Un peu d’histoire...
1La découverte en Sibérie, à Ekaterinburg, d’un minerai rouge orangé baptisé crocoïte (PbO, CrO3) date de 1765. En 1795, le chimiste français Vauquelin isola le chrome métal contenu dans la crocoïte. Dans les années 1830, des gisements de chromite (FeCr2O4) furent découverts aux États-Unis. Au cours des années qui suivirent, les scientifiques réussirent à extraire le chrome présent dans ce minerai sous la forme d’oxyde, par réduction de cet oxyde au moyen de charbon porté à haute température. Les premières applications industrielles (au XIXe siècle) concernent la fabrication de colorants pour le papier peint, le jaune de chrome et le vert de chrome. Le bichromate de potassium, quant à lui, servit de base au rouge turc utilisé pour la teinture de la laine et du coton.
2À la fin du XIXe siècle, des composés de sels de chrome montrèrent leur aptitude au tannage des peaux, une utilisation qui est toujours d’actualité. Le mélange de la chromite avec de l’argile donna de bonnes propriétés réfractaires utiles à la fabrication de fours électriques servant à la production d’acier selon le procédé Thomas.
3La fabrication du chrome pur devint une réalité en 1898 quand l’Allemand Goldsmidt mit au point la réduction aluminothermique des oxydes de chrome. Cette avancée permit, au début du XXe siècle, le développement de l’industrie des ferrochromes, puis des nichromes (alliages nickel-chrome) et, enfin, des stellites (alliages cobalt-chrome), en 1914.
La chaîne de valeur du chrome
4L’utilisation de la chromite est fonction de sa teneur en oxyde Cr2O3 et d’autres composants (notamment le fer, le magnésium et l’alumine).
597 % de la chromite sert à la fabrication directe du ferrochrome et des produits réfractaires de fonderie. Les 3 % restants servent à la filière de la chimie du chrome (voir la Figure 1 de la page suivante).
Utilisations de la chromite
Utilisations de la chromite
6La chaîne de valeur de la chimie du chrome comporte différents étages, elle fluctue en fonction des besoins du marché. Dans cette chaîne complexe, l’oxyde de chrome métallurgique arrive en bout de chaîne (voir la Figure 2 de la page 83). C’est cet oxyde de chrome qui constitue la matière première de la fabrication du chrome-métal pur.
La chaîne de valeur de la chimie du chrome
La chaîne de valeur de la chimie du chrome
7La production de l’oxyde représente 1 % des débouchés de la chromite extraite.
8Citons quelques-unes des principales applications de ces différents composés issus de la chimie du chrome :
La fabrication du chrome métal
9Il existe trois grands procédés de fabrication du chrome métal :
- l’électrolyse de solutions contenant l’ion chrome Cr3+ (du ferrochrome ou de la chromite) ;
- électrolyse de l’ion Cr6+ (présent dans l’acide chromique CrO3) ;
- la réduction aluminothermique de l’oxyde de chrome Cr2O3.
10Les problèmes environnementaux liés à la production de chrome électrolytique sont tels que la proportion de cette fabrication s’est réduite à 5 % de la production mondiale. La pureté obtenue la rend néanmoins indispensable pour certaines applications, notamment électroniques.
1195 % de la production est donc réalisée par aluminothermie.
12La réaction mise en jeu est : Cr2O3+2Al => 2Cr+Al2O3.
13L’intérêt de cette réaction réside dans le fait qu’elle ne nécessite pas d’apport d’énergie. La réaction une fois démarrée grâce à un point chaud local est très exothermique et s’entretient tant qu’il reste des matières n’ayant pas réagi. Néanmoins, pour des questions d’homogénéité, l’apport d’un oxydant plus puissant (le CrO3 provenant par exemple du bichromate de potassium) est nécessaire. À la fin de cette réaction, qui est réalisée dans un creuset réfractaire, on obtient du chrome métal recouvert par de l’Al2O3 (le corindon). Chaque opération permet d’obtenir quelques tonnes de chrome (à noter que le corindon ainsi obtenu est valorisé dans les domaines des revêtements réfractaires et des abrasifs).
Le chrome métal dans le groupe Delachaux
14Historiquement, le groupe Delachaux a été le principal concurrent du groupe Goldsmidt dès le début du XXe siècle dans le secteur de la soudure aluminothermique des rails de tramway, puis de chemin de fer. C’est donc naturellement que le groupe Delachaux se lança lui aussi dans la production aluminothermique de chrome métal. Si l’on retrouve les premières traces de cette production au début des années 1930, c’est en 1955 que les choses démarrent vraiment, avec la contribution de Delachaux à la constitution du stock stratégique américain. En 1987, démarre la production de chrome dégazé sous vide, avec une pureté pouvant atteindre 99,9 %. Au fil du temps, la production a augmenté pour atteindre aujourd’hui les 10 000 tonnes par an, soit environ 25 % du marché mondial.
Les utilisations du chrome métal
15Les caractéristiques principales du chrome métal sont sa température de fusion élevée, sa résistance à la corrosion et sa dureté. Toutes ces propriétés font que ce métal améliore les caractéristiques mécaniques et la résistance à la corrosion à chaud des alliages auxquels il est ajouté, notamment et principalement les superalliages base nickel ou cobalt. Les champs d’applications principaux de ces alliages sont les suivants.
Aéronautique civile et militaire
16Les superalliages sont utilisés dans les parties chaudes de la chambre de combustion et de la turbine des turboréacteurs (voir la Figure 3 ci-contre). Ces parties sont en effet soumises à de très hautes températures et à une forte corrosion due au carburant. Leur température en fonctionnement est même en hausse constante, puisque toutes les recherches vont dans le sens de la diminution de la consommation de carburant et de la réduction des émissions de CO2 et de NOx. À cela, une seule solution : l’augmentation du rendement des réacteurs, et donc de leur température de fonctionnement. Par ailleurs, les nouvelles générations de superalliages (single cristal) exigent une pureté beaucoup plus grande, et donc un raffinage plus poussé du chrome métal. La quantité de chrome métal dans un turboréacteur représente à peu près 10 % de son poids. En ce qui concerne l’aéronautique militaire, outre le fait que les réacteurs sont soumis à des sollicitations encore plus fortes, il faut aussi y ajouter toute la partie propulsion des missiles et les têtes d’ogives.
Répartition des températures dans un turboréacteur
Répartition des températures dans un turboréacteur
Turbines terrestres pour la production d’énergie
17Leur fonctionnement en régime maximal soulève la même problématique que celle des turboréacteurs aéronautiques. On peut y ajouter une sollicitation plus importante en termes de corrosion, du fait de la diversité des gaz utilisés (gaz naturel, LPG, gaz issu de la gazéification du charbon, etc.). De plus, ce type de centrale vient de plus en plus en complément d’installations éoliennes ou solaires pour pallier au manque de vent ou de soleil. Cela exige une très grande flexibilité, avec des arrêts/démarrages fréquents, et ce sont lors de ces phases que la corrosion est la plus forte du fait d’un mauvais rendement de la turbine.
Récapitulatif des différentes qualités de chrome métal
Récapitulatif des différentes qualités de chrome métal
Nucléaire
18Les tubes des générateurs de vapeur sont l’unique interface entre les circuits primaires et secondaires dans les centrales à eau pressurisée. Ils sont soumis à de fortes pressions sous des températures élevées et l’on attend d’eux, bien sûr, une excellente fiabilité. Ils sont donc réalisés en alliage base nickel contenant un fort pourcentage de chrome. Ces alliages sont aussi utilisés dans les chaudières des bâtiments de surface et des sous-marins à propulsion nucléaire.
Pétrochimie et industrie chimique
19La recherche pétrolière, qui s’effectue de plus en plus en offshore à grande profondeur et donc sous de fortes pressions et dans des ambiances chargées en hydrogène sulfuré (H2S), consomme également une partie de ces superalliages. L’industrie chimique en utilise aussi, pour les réacteurs et les cuves de ses unités de désulfuration, de crackage…
Automobile
20Les turbines de turbocompresseur sont en superalliages de type inconel, c’est également le cas des soupapes.
Piles à combustible
21La poudre de chrome métal est utilisée pour la fabrication de plaques d’interconnexion CFY (Chrome Fer Yttrium) pour assurer la conduction électrique au sein des piles à combustible à oxyde solide (SOFC) fonctionnant à haute température et destinées à la production d’électricité.
Les acteurs du chrome métal
22Exception faite du chrome électrolytique (où le nombre des producteurs se réduit à deux, un russe et un chinois), la fabrication du chrome métal se répartit entre sept acteurs. Ce nombre s’est réduit avec l’arrêt de l’activité de plusieurs petits producteurs en Chine, pour des raisons environnementales. Pour la haute pureté, il y a DCX Chrome, le groupe Delachaux (en France), AMG (au Royaume-Uni), JFEM (au Japon), qui utilise un procédé par silicothermie, et Sing Horn (en Chine). Pour les qualités standard, s’y rajoute Novotroïtsk (Russie), Kluchevsky (Russie) et Jinzhou Ferroalloy (Chine).
23Dans ce panorama mondial, il faut ajouter qu’en amont de la filière, quatre pays (l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Kazakhstan et l’Inde) concentrent 87 % de la production mondiale de chromite. En ce qui concerne la chimie du chrome, quatre pays (la Chine, le Kazakhstan, la Russie et les États-Unis) représentent 70 % de la production.
Aspect environnemental et législatif
24Si le chrome métal proprement dit est inoffensif, certains composés du chrome servant à son élaboration, notamment le chrome hexavalent (Cr6+), sont classés CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques). L’utilisation de ces matières est donc soumise, d’une part, à l’échelle européenne, à la directive REACH et, d’autre part, en France, à la réglementation des installations classées, qui imposent des limites pour les rejets polluants atmosphériques et aqueux.
25Par ailleurs, il existe des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP). En France, ces valeurs viennent d’être réduites drastiquement par voie de décret, passant de 50µg/m3 d’air à 1µg/m3. Il est à noter que cette législation n’est pas homogène à l’intérieur même de l’Europe, puisque chaque pays a ses propres valeurs de référence (par exemple, 50µg/m3 pour le Royaume-Uni et l’Allemagne). Les autres pays extracommunautaires impliqués dans la fabrication de chrome métal (Chine, Russie) n’ont, quant à eux, pas de réglementation connue en la matière.
26Concernant DCX Chrome, tout a été mis en œuvre pour respecter les normes, et ce au prix de lourds investissements. Toutes les fumées sont captées, lavées, et l’eau de lavage est elle-même épurée pour qu’il n’y ait aucun rejet dans l’environnement. Tout a été mis en œuvre au niveau de la captation de poussières pour assurer la protection des travailleurs. Mais la disparité des normes en vigueur à travers le monde pose un problème de compétitivité. En effet, cette performance environnementale qui fait qu’une industrie est « propre » n’est pas reconnue par les clients et elle n’est donc pas valorisable en tant que telle sur le marché concurrentiel actuel.
27Comme on le voit, le chrome métal est présent dans de nombreuses applications, qui ont pour beaucoup un caractère stratégique. La Commission européenne vient d’ailleurs d’insérer le chrome dans sa base des matériaux critiques. Les fabricants de superalliages sont majoritairement européens, américains et japonais. Il en va de même en ce qui concerne les clients finaux, par exemple Airbus et Boeing, pour ne parler que du secteur de l’aéronautique.
28Le chrome métal est, quant à lui, à 40 % européen, le reste étant russe ou chinois. Mais sa disponibilité dépend de l’approvisionnement dans la filière de la chimie du chrome, d’une part, et de règles législatives cohérentes et équitables, d’autre part. Il est important, dans les développements en cours, d’adopter une démarche globale impliquant tous les acteurs de la chaîne de valeur ainsi que les instances législatives afin de permettre à l’Europe de maintenir une position forte en matière d’approvisionnement en chrome.