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Article de revue

Un besoin de sincérité

Pages 72 à 75

L’affaire Volkswagen a révélé les rouages de la réglementation au grand public

1Les chaînes de télévision du monde entier bruissent, ces derniers jours, du scandale du moment : la plus grande marque automobile du monde, réputée d’une précision et d’une rigueur toutes germaniques, vient de perdre le quart de sa valeur en bourse après une révélation inattendue : les voitures Volkswagen embarquaient un logiciel qui, lors des tests d’émissions de particules fines, faisaient fonctionner le moteur dans un régime spécifiquement déterminé pour « passer » les tests, alors qu’en « conditions réelles » les performances étaient bien moindres.

2L’annonce de l’engagement par les autorités américaines d’une procédure judiciaire à l’encontre de Volkswagen et le montant exorbitant de l’amende demandé (plusieurs milliards d’euros) auraient dû entraîner une correction à la baisse de la valeur de l’entreprise dans des proportions équivalentes. Mais cette baisse a été bien plus forte : les marchés ont sur-réagi, sans doute, mais ils ont intégré la perte de la confiance, laquelle est bien plus difficile à chiffrer.

3Les semaines qui ont suivi ont démontré que Volkswagen n’était pas le seul constructeur automobile à avoir contourné une réglementation qui, aux yeux du grand public, ressemble à une farce. Des critères ne ressemblant en rien à ceux de la vie quotidienne qui permettent à des grandes entreprises de vanter les mérites de leur technologie, des gouvernements soupçonnés de faire partie du « complot » : plus encore qu’un fabricant automobile, c’est toute l’industrie et la réglementation, voire le gouvernement, qui ont perdu un peu plus de la confiance du Français moyen.

4Comment remédier à une telle situation ?

Nous devons lutter contre le mythe de l’infaillibilité de l’ingénieur

5Si la déception est grande, c’est avant tout parce que ce scandale révèle au grand public l’inefficacité d’un système mis en place par ceux en qui le plus grand nombre avait externalisé sa confiance : si les ingénieurs, les pouvoirs publics et l’État lui-même ont contrôlé les véhicules et créé des tests sonnant comme des labels de qualité, alors on devrait pouvoir s’y fier.

6Il est très compliqué d’expliquer aux Français, et plus largement à n’importe quel peuple, comment fonctionnent les tests scientifiques. Les sciences sont dans le domaine de la probabilité, de la marge d’erreur, de la meilleure approximation. Mais comment faire comprendre que l’on fait en permanence des compromis, des calculs économiques pour savoir si, oui ou non, un risque peut être pris ?

7Cette difficulté est particulièrement révélée par l’utilisation du principe de précaution : on n’accepte plus de faire courir des risques. Mais si les risques sont si mal acceptés, c’est aussi parce que l’on croit que l’on peut toujours les mesurer, les supprimer : dès lors, tolérer le risque, ce serait ne pas avoir pris toutes les précautions nécessaires. Tant qu’existera la croyance que les ingénieurs peuvent tout réaliser sans limite, on ne pourra pas faire comprendre qu’il faut accepter certaines approximations.

La notion de sincérité qui s’applique aux comptes d’entreprises doit aussi s’appliquer aux réglementations

8La réglementation mise en place par les services techniques de l’État doit tenir compte de ces limites : la volonté d’élaborer des normes traduisant fidèlement la réalité perçue par les citoyens devrait être la règle. Si un ingénieur comprend bien comment on a pu aboutir à un test ressemblant à celui que Volkswagen a pu contourner, il est beaucoup plus compliqué de faire entendre cela à un citoyen lambda, et au fond, celui-ci aurait raison d’avancer qu’une norme doit permettre de s’assurer que la pollution d’un véhicule soit effectivement faible, et non pas simplement de vérifier une pseudo conformité à ladite norme.

9Les comptes d’une entreprise doivent répondre à plusieurs principes : la sincérité est l’un d’entre eux. Cela signifie que les comptes ne peuvent pas se borner à respecter la règle, ils doivent aussi refléter correctement la réalité de l’entreprise. Cela signifie que l’information non seulement quantitative, mais aussi qualitative que fournissent les comptes d’une société, doit permettre à une personne extérieure à celle-ci d’en comprendre la réalité.

10Ce même principe devrait s’appliquer aux normes mises en place par les services techniques de l’État : il ne suffit plus de définir des critères qui soient en blanc ou en noir, forcément réducteurs car réduits au plus petit dénominateur commun, il faut que la norme transcrive clairement la volonté du législateur, et, à travers elle, qu’elle réponde au besoin qui en a originellement motivé la création.

Le scandale des véhicules diesel du groupe Volkswagen équipés d’un logiciel permettant de coutourner les normes réglementaires en matière d’émissions polluantes

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Le scandale des véhicules diesel du groupe Volkswagen équipés d’un logiciel permettant de coutourner les normes réglementaires en matière d’émissions polluantes

« Si un ingénieur comprend bien comment on a pu aboutir à un test ressemblant à celui que Volkswagen a pu contourner, il est beaucoup plus compliqué de faire entendre cela à un citoyen lambda, et au fond, celui-ci aurait raison d’avancer qu’une norme doit permettre de s’assurer que la pollution d’un véhicule soit effectivement faible, et non pas simplement de vérifier une pseudo conformité à ladite norme. »
Photo © Julian Stratenschulte/EPA-MAXPPP

L’inflation des règles et des normes participe d’un processus de déresponsabilisation généralisée au sein de l’État permettant de repousser la prise de décision

11La multiplication des contrôles peut être perçue comme un moyen de limiter les responsabilités individuelles.

12L’inflation du corpus règlementaire, en particulier dans le domaine technique, n’est pas gage d’une sécurité renforcée ou d’un sérieux accru des équipes devant le mettre en place. En effet, lorsque les règles se multiplient et que la réglementation semble couvrir toutes les situations envisagées, les équipes se contenteront de respecter scrupuleusement les critères listés, même si, dans un cas particulier, le risque est ailleurs et que le fond de la norme réside dans un autre critère.

13Les exemples de tels détournements de réglementation sont nombreux. On peut citer l’industrie financière : dans leur principe, les règles de Bâle vont conduire les banques à respecter de nouveaux critères plus sécurisants pour les clients. Malheureusement, les banques vont effectivement respecter ces critères a minima en multipliant les techniques innovantes prenant pour socle ces contraintes afin de maximiser leurs retours sur investissements. Sommes-nous certains que le risque ainsi généré, masqué par le respect des normes, est moindre que le risque qui existait précédemment ? Rien n’est moins sûr.

14À l’inverse, dans le domaine du nucléaire, c’est la démonstration de la sûreté qui doit être faite par l’exploitant, celui-ci ne pouvant se contenter de respecter une liste de critères qui laisserait forcément un espace pour la faille, laquelle pourrait être catastrophique. Jusqu’à présent, il semble que cette méthode ait eu un effet positif pour le parc nucléaire français.

Les Autorités indépendantes ont permis une clarification du paysage de la régulation. Mais qui est garant de la conformité de leur travail à leur mandat ?

15Un premier pas dans le sens d’un regain de confiance de la population dans les systèmes de contrôle de l’État a été réalisé au travers de la création d’Autorités administratives indépendantes. Celles-ci, non soumises à un contrôle direct de l’exécutif, ont pour mission d’assurer la sûreté et le respect des normes dans un domaine donné, en bénéficiant généralement d’un pouvoir règlementaire pouvant être plus ou moins étendu.

16Ces Autorités indépendantes ont redoré le blason de la réglementation et du contrôle, mais elles n’ont pas changé le problème de fond : le respect des normes qu’elles écrivent n’assure pas nécessairement la fidélité à l’esprit de la mesure. Pire : les Autorités indépendantes peuvent induire un nouveau niveau de conflit d’intérêt, car elles sont, d’une certaine manière, « programmées » pour exécuter leur mission, et elles traduisent donc dans leur action la lettre de la mission qui leur est confiée. Il peut en résulter chez elles, dans certains cas, des comportements allant à l’inverse de ce qu’elles devraient faire, les amenant à créer des critères ou des normes contreproductives afin de « respecter » la contrainte qui leur avoir été fixée. Modifier le comportement d’une Autorité indépendante est chose complexe et délicate… En outre, l’externalisation de la mission de contrôle peut être (ou apparaître) un moyen de se dédouaner de la responsabilité finale de la décision.

17Les Autorités indépendantes devraient voir leur mission et leur présence repensées afin d’assurer la hauteur de vue qui devrait garantir leur indépendance.

Pour pousser dans le sens de la logique de responsabilité, l’État devrait mettre en place plus généralement des compensations ou des indemnisations ex ante

18Le monde n’est plus celui des Trente Glorieuses, durant lesquelles l’élan général tourné vers la science et le progrès permettait de réaliser des projets industriels ou risqués là où l’État le souhaitait. La généralisation du comportement not in my backyard devrait être la norme dans les années à venir. Qui acceptera une nouvelle décharge sur le territoire de sa commune ? Personne, sans doute, s’il n’y a pas de compensations.

19Des compensations, cela doit se comprendre au sens d’indemnisation, et même d’indemnisation ex ante. L’État cherche aujourd’hui, pour des raisons budgétaires, mais aussi par crainte de rentrer, en acceptant la logique d’une compensation financière, dans une course à l’indemnisation record, à faire croire qu’il peut ne jamais faire aucun perdant, qu’aucune politique n’aura d’effet négatif sur qui que ce soit. Cet aveuglement généralisé pousse à camoufler, à masquer, à trahir la réalité, et il contribue à la perte de confiance dans la parole publique.

20Une démarche saine pour l’État consisterait probablement à intégrer le coût d’externalités négatives de ses projets dès leur conception et à indemniser les principaux perdants dès la mise en place desdits projets. Responsabilisant pour l’État, ce principe permettrait d’impliquer plus fortement les citoyens dans l’estimation du risque et la définition des projets.

Une réglementation d’avenir devrait avant tout être porteuse de sens

D’autres pays que le nôtre ont une culture laissant plus de marge de manœuvre pour mettre en place les règlements sans perte de qualité

21La culture française, très jacobine, ne laisse que peu de place à la décision décentralisée, et c’est la centralisation de la décision qui doit donc, par définition, créer des normes permettant de l’appliquer sans se poser de question et qui conduit à des « chimères » comme le test que Volkswagen a pu contourner. D’autres pays ont, dans certains domaines, des approches très différentes de l’approche française.

22Ainsi, la réglementation américaine est perçue, en règle générale, comme moins précise que la réglementation française. Cependant, son application ne laisse pas planer de doute sur le fait que si de petits écarts ne seront pas forcément punis, des dysfonctionnements graves comme ceux soupçonnés chez l’industriel allemand ou la violation d’un interdit légal (à l’instar de la BNP dans ses transactions avec des pays sous embargo) donneront lieu à des pénalités si fortes qu’elles seront dissuasives non seulement pour le coupable, mais aussi pour le reste du système économique. En somme, le message est : « Respectez l’esprit de la loi, sinon, attendez-vous à payer cher les écarts à la norme ».

23Il est ainsi assez intéressant de constater, dans le domaine bancaire, que les banques américaines, censées dans l’imaginaire commun coller encore plus au plancher de la norme que les banques françaises, ont souvent des niveaux de fonds propres supérieurs à leurs homologues européennes. Et les modèles déployés en interne sont souvent beaucoup plus simplistes…, mais aussi plus robustes. Il est ainsi fréquent d’entendre les consultants européens railler les Américains, pour lesquels une moyenne est un « modèle mathématique permettant de mesurer le risque ». Il n’empêche que ces références simples permettent souvent d’appréhender le risque de manière plus compréhensive et globale que les modèles hypersophistiqués des mastodontes français qui optimisent à tout bout de champ.

24D’autres domaines, comme celui de la cyber-sécurité, sont le théâtre de déploiements de normes à l’état d’esprit radicalement différent. Seul l’avenir permettra de juger quelle est l’approche la mieux adaptée à chaque situation.

Une « nouvelle approche » datant de… 1985 !

25Le groupe a remarqué que cette méthode, qui émergeait des débats, semblant aller dans le sens d’une norme moins « rigoureuse » mais plus robuste, transparente et sincère n’était pas vraiment une nouveauté : la « nouvelle approche » réglementaire, au cœur de l’édifice européen, repose sur des principes similaires. Or, elle a été édictée en… 1985 !

26Certes, l’intégration européenne est encore en cours, les domaines règlementés par l’Union sont encore limités et la transcription dans chaque droit national laisse à chaque pays une marge de « culturalisation ». Il n’en demeure pas moins que cette démarche est désormais trentenaire et qu’elle n’a vraisemblablement pas produit les fruits que l’on en attendait. Il conviendrait donc de réfléchir au moyen de concevoir des normes reposant véritablement sur ces principes.

Seul un recentrage sur le sens, allié à une communication plus sincère, permettra de regagner la confiance

27En conclusion, il semblerait donc que, dans un monde dominé par l’immédiateté et la transparence croissante des médias, l’opacité des normes et leur complexité ne pourront pas demeurer longtemps génératrices de cas comme l’affaire Volkswagen, et que les services de l’État, à commencer par les corps techniques, devront œuvrer à la création de normes qui soient porteuses de sens et garantes du respect de l’esprit de la loi, c’est-à-dire répondant aux attentes des citoyens qui sont d’être protégés autant que possible et de voir les fraudeurs punis. La norme ne peut plus être un test conventionnel ne garantissant pas le résultat et exonérant des tricheurs pour peu qu’ils aient réussi à respecter les règles à la lettre.

28Ces nouvelles normes seront plus souples et il faudra accepter la possibilité d’une marge de manœuvre dans la décision, accepter qu’elles soient décentralisées et qu’elles s’accompagnent d’une responsabilisation des acteurs impliqués qui seront jugés sur les résultats atteints au regard des moyens employés. Les perdants devront être systématiquement indemnisés et cette indemnisation devra être intégrée dans la réflexion dès l’origine.

29Enfin, le régulateur devra adapter sa communication à ce nouveau contexte en traduisant sincèrement l’effet des normes et leurs limites dans un langage compréhensible par le citoyen.

30Sans ces évolutions, le divorce entre la population et l’État ne pourra que s’aggraver, creusé par de nouveaux scandales qui pourraient être plus nombreux à l’avenir.

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