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Article de revue

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Pages 133 à 137

1Par deux fois, dans son livre L’Exposition de mes rêves (Mamco, Genève, 2013), le critique d’art et commissaire d’expositions Jean-Max Colard rêve de revues. Au cours d’une nuit de décembre, une revue d’art internationale bien particulière traverse son sommeil. Elle vient d’inventer une formule inédite surmontant la contradiction entre les longs essais érudits et les haïkus. Alors que le monde de l’art proclame son adhésion, le rêveur demeure quant à lui plus circonspect. Le second songe revuiste de cette collection de « rêves critiques » entamée en 2005 est funèbre, mais grandiose : il s’agit d’une célébration en grande pompe organisée à l’occasion de la mort d’une revue. Le funérarium est alors transformé en galerie d’art présentant des œuvres de Cy Twombly, Olivier Debré et Bertrand Lavier, trois artistes proches de la défunte revue. À lire ces textes, on s’enhardirait presque à imaginer une grande collecte : racontez vos rêves de revues !

2 Jérôme Duwa

3 Jean-Max Colard, L’Exposition de mes rêves, Genève : Mamco, 2013.

4Sous une maquette heureusement refondue, la Revue d’histoire du théâtre propose un ensemble original « Pour une préhistoire des revues de théâtre ». Une plongée dans les derniers années du xix e siècle jusqu’au tournant du siècle suivant pour observer et étudier l’émergence de quantité de périodiques plus ou moins éphémères qui tentent de faire naître des approches globales du fait théâtral, de fonder des discours spécifiques sur l’esthétique du théâtre telle qu’elle se cherche ou se déploie pendant cette période. Naissance donc de la « revue de théâtre » encore peu explorée : Sophie Lucet et Romain Piana dessinent dans un long article introductif une cartographie du territoire partagé entre, d’une part, les petites revues artistiques et littéraires proches des scènes de la modernité théâtrale et qui s’efforcent de faire émerger un discours critique spécifique et, d’autre part, les périodiques du spectacle bientôt enrichis par l’illustration et la photographie. Assurément, les petites revues fin-de-siècle apparaissent comme le creuset où s’est forgé un discours autonome sur le théâtre quand dans le même temps les moyens modernes de reproduction ont doté les périodiques de théâtre des instruments de leur émancipation éditoriale. Jean-Claude Yvon livre une étude – archéologie d’une préhistoire ? – sur un rapport inédit « Les journaux de théâtre » de Jules Maret-Leriche (1872) » : portrait au vitriol de la presse théâtrale de l’époque. Deux études de cas referment ce dossier. Simona Montini, « Art et critique. Revue littéraire, dramatique, musicale et artistique…Une revue laboratoire ? » : fondée par le dramaturge et théoricien en 1889, la revue se veut « un laboratoire pour une critique militante qui accompagne le mouvement théâtral ». Enfin, Alice Folco s’intéresse au Bulletin programme de l’Œuvre de Lugné-Poe, entre illustration et défense du travail du metteur en scène et instrument de promotion internationale. Cette dernière oscillation témoigne qu’un regard sur la préhistoire des revues peut aussi emporter une actualité renouvelée : quand une revue de théâtre est en fait la revue d’un théâtre… Au demeurant comment faire l’histoire du théâtre – et de ses métamorphoses – en ignorant les revues qui l’ont réfléchie. Le dossier de la Revue d’histoire du théâtre est, à cet égard, salutaire et nécessaire.

5 Revue d’histoire du théâtre n° 259, juillet-septembre 2013

6 www.sht.asso.fr

7Les éditions de l’Encyclopédie des nuisances ont récemment publié Une Tragédie sans héros, un remarquable recueil d’essais signés Dwight Macdonald. Ce penseur critique souvent présenté comme un « Orwell américain » raconte en particulier ses souvenirs de militant révolutionnaire, traçant un tableau drôlatique des différents courants de la gauche radicale américaine des années 1920 aux années 1940. Dans ces « Souvenirs d’un révolutionnaire », Macdonald évoque sa rupture avec la Partisan Review et le lancement de Politics. Cette mémorable revue de critique et de théorie politiques parut de 1944 à 1949 et accueillit la gauche antistalinienne critique du marxisme. Macdonald en est « le directeur, le rédacteur en chef, le propriétaire, le correcteur d’épreuves, le metteur en pages et le principal collaborateur ». Dans les colonnes de ses quarante-deux numéros, paraissent des textes de Hannah Arendt, Georges Bataille, Albert Camus, Nicola Chiaromonte, David Rousset, Victor Serge ou Simone Weil.

8 Les pages que Macdonald consacre à cette aventure résument à merveille l’esprit de ces « petites revues » intellectuelles dont l’influence fut déterminante. Il note d’ailleurs que, dix ans après la disparition de la revue, il ne cesse de rencontrer « de vieux lecteurs nostalgiques ». Il éprouve ainsi le sentiment d’être plus reconnu pour la confidentielle Politics que pour ses articles du célèbre New Yorker. C’est que, ajoute-t-il : « Une “petite” revue est souvent lue plus attentivement que des magazines grand public car s’y expriment des points de vue plus personnels »… Apparente banalité de base à méditer.

9 François Bordes

10 Dwight MacDonald, Une Tragédie sans héros. Essais critiques sur la politique, la guerre et la culture, Saint-Front-sur-Nizonne : Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2013.

11Nîmois tous deux certes, écrivains assurément, mais rien de prédisposait Marc Bernard et Jean Paulhan, si différents et séparés de 14 ans, à tomber en amitié. « J’ai pour vous une amitié un peu baroque et exclusive » écrit ainsi Marc Bernard. L’affection, l’attention constante à l’œuvre comme à l’homme sont les formes d’une relation aussi profonde que durable : seule la mort… « Mon petit Marc », « mon petit Jean » s’interpellent-ils presque tout au long d’une correspondance alerte, complice et nourrie : 461 lettres retrouvées et publiées aujourd’hui par les soins des Éditions Claire Paulhan. « […] considérez-vous comme accueilli à La NRF » : c’est la première lettre, en juin 1928, de Jean Paulhan en réponse à l’envoi d’un manuscrit de Marc Bernard. En janvier 1968, un dernier mot de ce dernier pour souhaiter à Paulhan une année féconde : celui-ci ne la verra pas finir.

12 Cette correspondance a été établie, présentée, annotée dans un premier moment par Christian Liger, puis complétée et achevée par Guillaume Louet.

13 Ajoutons que l’abondance des documents et la richesse des annexes ajoutent au plaisir de la lecture.

14 Marc Bernard & Jean Paulhan, Correspondance 1928-1968, éditions Claire Paulhan, novembre 2013, 464 p.

15 Les Cahiers de l’école du Louvre, revue en ligne, (et longuement sous-titrée : recherches en histoire de l’art, histoire des civilisations, archéologie, anthropologie et muséologie) consacrent une grande partie de leur troisième livraison aux revues. Dans son texte liminaire, Hélène Klein, conservatrice et responsable d’un groupe de recherche sur l’étude des revues d’art au xx e siècle montre tout le parti qu’on peut tirer de ces objets pour l’histoire de l’art tant dans leur apparence (souvent de « belles » revues) que leur contenu, leur contenu étant lui-même double, de par ses images et de par ses textes. Les revues sont par définition des objets multiples, riches d’un éventail très large de thématiques, au carrefour de nombre d’enjeux esthétiques. Hélène Klein évoque les méthodes d’approches mis en œuvre par chaque étudiant, diverses mais enrichissant la cohérence du groupe. Pour rendre sensible « le plaisir de la recherche », quatre articles suivent cette mise en bouche : « La présentation des objets africains dans Documents, 1929-1930 » (Coline Bidault), « Le conflit renaissant de la figure et de l’abstraction dans Labyrinthe, 1944-1946 (Blandine Delhaye), « L’image de la guerre dans L’Élan » (Hadrien Viraben) et « BROOM : An international Magazine of arts, 1921-1924 » (Ambre Gauthier qui avait livré une première version dans La Revue des revues n° 45).

16 http://www.ecoledulouvre.fr/revue/revue3.html

17L’union inattendue qui naît entre Bataille, quelques-uns de ses amis et les surréalistes autour de Breton, répond à une angoisse politique et morale : la menace nationaliste bien réelle en France depuis février 1934 et celle, déjà établie, en Italie et en Allemagne. Le Front Populaire est peut-être une « digue », mais pas un rempart ; il s’agit de le transformer en arme. Environ 70 intellectuels s’unissent pour penser une autre tactique contre le fascisme, contre l’« idiotie patriotique » et contre la guerre, en réaffirmant leur anti-capitalisme viscéral. Leurs idées : « fanatiser » les foules, mettre un terme à « l’ennui » politique et établir violemment par la grâce de la rue un Front Populaire de combat. Sur cette question d’une « communauté fraternelle », Bataille et Breton vont s’accorder, mettant de côté leur différend, jusqu’à ce que l’objection d’un « sur-fascisme » des batailliens brouille à nouveau le jeu. Mais comme le souligne Michel Surya, on ne peut que reconnaître ici, à travers ces documents heureusement rassemblés, la concordance de vue entre Bataille et Breton : le recours à l’excès, au mythe bouleversant est nécessaire pour refonder une société prête à se perdre.

18 Cette élégante édition propose un ensemble de documents complémentaires à l’unique Cahier de Contre-Attaque. On peut ainsi découvrir des reproductions de l’ensemble des tracts diffusés par cette union d’intellectuels prêts à l’offensive.

19 Jérôme Duwa

20 Georges Bataille, André Breton, « Contre-Attaque », Union de lutte des intellectuels révolutionnaires, Les cahiers et les autres documents 1935-1936, préface de Michel Surya, Paris : Ypsilon éditeur, mars 2013, 152 p.

Deux informations qui se font écho

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21Dans un article de Livres Hebdo intitulé « De moins en moins de livres en BU », l’auteur Véronique Heurtematte note ceci : « En 2002, les livres représentaient près de 33 % des dépenses, les revues 51 % et la documentation électronique 16 %. Onze ans plus tard, les revues papier représentent à peine 20 % du total des acquisitions, et les livres 23,6 %. Pour les revues une chute qui apparaît vertigineuse certes mais qu’il faut rapporter au transfert massif des « périodiques » vers le numérique. « Chères ressources numériques » clament en chœur les directeurs de bibliothèques ! Celle-ci par exemple n’achète plus un seul livre depuis plus d’un an, son budget étant absorbé par l’achat de ressources numériques… Dans ce constat morose les revues peuvent se consoler : elles n’ont pas disparu des bibliothèques – moins que les livres, semble-t-il – elles ont migré… Mais à ce rythme, que restera-t-il dans un an, dans cinq ans, de ces 20 % ? Hors portails point de salut ? Les revues de sciences humaines l’ont compris mais que sauront faire les revues littéraires ?

22 Livres Hebdo n° 965, 13/09/2013

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23S’attendre au pire ? La Bibliothèque inter-universitaire de santé de Paris-Descartes se désabonne en masse : elle supprime douze de ses bases de données ou bouquets dont Cairn, 8 000 périodiques électroniques et 1 000 abonnements à des périodiques imprimés (Nature !). Les raisons d’un tel massacre : le renchérissement du coût de la littérature scientifique, un budget qui baisse (moins 1,5 million d’euros) pour la bibliothèque universitaire et le service commun de documentation). Qui donc nous parle d’effort pour la recherche ? Les revues scientifiques n’ont-elles rien à lui dire ? Certes, ce n’est pas tout à fait notre univers, cela ne concerne pas encore les revues culturelles (mais déjà L’Année psychologique) telles que nous les cultivons ici…Pour combien de temps ?

24 Un des commentaires laissé, parmi d’autres plus développés, sur le blog de la BIU : « on finira par se former avec Femme actuelle… » Peut-être une idée à généraliser.

25 http://www2.biusante.parisdescartes.fr/wordpress/index.php/contraintes-budgetairesdesabonnements-2014/

26 Deux publications ont offert de courts dossiers sur les revues au cours des derniers mois :

27 De ligne en ligne n° 13, janvier-mars 2014, le magazine de la Bibliothèque publique d’information (BPI) évoque les mooks, France culture papiers, La Revue dessinée, Le Tigre.

28 http://www.bpi.fr/fr/la_bpi_et_vous/le_magazine_de_la_bpi.html

29 Publication(s) n° 21, octobre 2013, journal de l’Agence régionale du livre et de la lecture de Haute-Normandie : il y est question de Grumeaux, La Femelle du Requin, Théodore Balmoral, Le Magasin du XIXe Siècle, Espace(s), Kanyar, Feuilleton.

30 Dans son numéro 22, janvier 2014, le journal propose un entretien avec François-Marie Deyrolle, créateur de L’Atelier contemporain à l’occasion de son dossier « Arts et Lettres » qui propose également une présentation de la revue suisse Les Lettres et les Arts.

31 http://www.arl-haute-normandie.fr/publication-categorie-publications-le-journal-delarl-2.html

32 La RdL interrompt sa parution : les limites de bénévolat ajoutées à la crise de la presse papier dans un monde où la circulation des contenus par internet se taille la part du lion forment les principales raisons de cet arrêt. Difficile de trouver dans un tel contexte un modèle économique viable mais tout aussi difficile d’abandonner « l’exigence critique » et d’ignorer « le sentiment d’urgence intellectuelle » qui portaient, après son aînée La RILI, La Revue des Livres. Il s’agit donc moins d’une mort que d’un sommeil réparateur : elle reviendra, affirment Charlotte Nordmann et Jérôme Vidal.

33Pour ses 30 ans, la revue / magazine Espaces Latinos s’offre un sérieux lifting. Elle garde au cœur, bien sûr la passion de faire découvrir ici la richesse et la réalité des mondes latino-américains mais elle décide de creuser le sillon « revue » en s’affranchissant de l’actualité immédiate – sans cependant l’oublier – afin de faire une place prépondérante à la réflexion et l’analyse. Rythme trimestriel et thème central : un nouveau départ en beauté pour ce n° 279. Un clic pour faire entendre le thème de la livraison : la photographie d’Amérique latine célébrée en France ces temps-ci, à la fondation Cartier mais aussi à la Fondation Cartier-Bresson et à La Maison européenne de la photographie avec le fameux Sebastiao Salgado. Toujours du côté des arts visuels, la revue fait un long crochet par le cinéma (Patricio Guzman qui dit sa dette à l’égard de Chris Marker) et par le théâtre, vu par un photographe, Guy Labadens. Un visage qui fait retour, celui de Michelle Bachelet, ouvre les pages politiques de cette livraison avant un zoom sur le Chili dans les pages culturelles.

34 http://www.espaces-latinos.org


Date de mise en ligne : 06/07/2018.

https://doi.org/10.3917/rdr.051.0133

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