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Article de revue

Jérôme Carcopino, candidat à une maîtrise de conférences à la faculté des Lettres de Lille (juillet 1909)

Pages 629 à 638

Notes

  • [1]
    Les maîtres de conférences sont une catégorie de personnel créée dans les facultés des Lettres et des Sciences par l’arrêté du 5 novembre 1877. Ils ont pour vocation soit de compléter l’enseignement des professeurs par adjonction de leçons en direction des boursiers de licence et d’agrégation soit de compléter par l’adjonction de nouveaux enseignements soumis au doyen le cadre des études de la faculté où ils sont nommés. Les maîtres de conférences sont recrutés parmi les membres sortants des Écoles de Rome et d’Athènes, parmi les répétiteurs de l’École pratique des hautes études s’ils sont licenciés, parmi les agrégés des lycées. Ils sont nommés pour une année universitaire par le ministre de l’Instruction publique. Cette délégation peut être indéfiniment renouvelée. La maîtrise de conférences devient rapidement une étape obligatoire dans le cursus des enseignants.
  • [2]
    Ernest Dupuy (1849-1918), ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de Lettres (1873), exerce dans divers lycées avant d’être nommé inspecteur de l’académie de Paris, puis inspecteur général de l’Instruction publique le 28 mai 1895. Son activité est alors intense : présidence du jury de l’agrégation des lettres, du Conseil supérieur de l’Instruction publique et de diverses autres commissions. C’est un homme d’influence dont la protection est recherchée (G. Caplat sous la direction de, Les inspecteurs généraux de l’Instruction publique dictionnaire biographique 1802-1914, Paris, INRP-CNRS, Histoire biographique de l’enseignement, 1986, p. 325-326).
  • [3]
    Agrégé de philosophie (1887), maître de conférences, puis professeur à la faculté des lettres de Lille où il introduit la Science de l’éducation, Georges Lefèvre en est le doyen depuis 1906.
  • [4]
    Sur l’histoire à la faculté des Lettres de Lille, cf. J.-F. Condette, « Le développement des études d’histoire-géographie à la faculté des Lettres de Lille de 1887 à 1914 », Revue du Nord, n° 330, avril-juin 1999, p. 329-366.
  • [5]
    « Il serait extrêmement désirable que dans une université aussi importante que la nôtre, il y eût des cours et des conférences d’histoire ancienne et que cet enseignement si utile pour la formation des esprits, au lieu d’être à la bonne volonté des professeurs qui n’en ont pas officiellement le soin et qui sont chargés de tout autres besognes, fût confié à un spécialiste ». Remarque de Charles Petit-Dutaillis, professeur d’histoire du Moyen Âge à la faculté des Lettres de Lille dans le rapport qu’il établit au terme de l’examen du diplôme d’études supérieures d’histoire et de géographie en juin 1897. P. Marchand, « Quand Georges Lefebvre, Alexandre de Saint-Léger et Paul Thomas passaient le diplôme d’études supérieures d’histoire et de géographie », Annales historiques de la Révolution française, n° 382, octobre-décembre 2015, p. 157-170.
  • [6]
    Sur Pierre Jouguet, cf. J.-F. Condette, Les lettrés de la République. Les enseignants de la Faculté des Lettres sous la Troisième République, Villeneuve-d’Ascq, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2006, p. 186-188. Pierre Jouguet est agrégé de grammaire.
  • [7]
    AD Nord 493 W 146 173, Procès-verbal de l’assemblée de la faculté des Lettres, 9 novembre 1910. La délibération rappelle que ce cours libre a été ouvert en novembre 1908. Sur la création des cours libres dans les facultés, cf. les articles 8 et 19 du décret du 26 décembre 1885. Les assemblées des facultés sont autorisées à délibérer sur la création de cours libres.
  • [8]
    Sur la vie et l’œuvre de Carcopino, cf. P. Grimal, Cl. Carcopino, P. Ourliac, Jérôme Carcopino, un historien au service de l’Humanisme, Paris, Les Belles Lettres, 1981 ; C. Charle (dir.), « Carcopino (Jérôme, Ernest, Joseph) » dans Les professeurs de la faculté des lettres de Paris Dictionnaire biographique 1909-1939, Paris, INRP, 1986, p. 47-49.
  • [9]
    1794-1994 l’École Normale Supérieure, Maîtres et Élèves, Célébrités et Savants, Catalogue Exposition, Paris, Archives nationales, Hôtel de Rohan, octobre 1994-janvier 1995, Courtry, Imprimerie SAGIM, 1994, p. 180-181.
  • [10]
    H.-I. Marrou, « Notice sur la vie et les travaux de Jérôme Carcopino, membre de l’Académie française », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1972, 116-1, p. 204-220.
  • [11]
    A. Chervel, Les lauréats des concours d’agrégation de l’enseignement secondaire 1821-1850, Paris, Jouve, INRP, Service d’histoire de l’éducation, 1999. Parmi les douze reçus, on relève Augustin Renaudet.
  • [12]
    Sur ce choix de l’École française de Rome au lieu de l’École française d’Athènes à laquelle semblait le destiner son mémoire, cf. J. Carcopino, Souvenirs romains, Paris, Hachette, 1968, p. 22.
  • [13]
    J. Carcopino, « L’enseignement de l’histoire dans les écoles centrales de la Révolution. Discours d’usage prononcé à la distribution des prix du lycée du Havre sous la présidence de M. Patrimonio le 31 juillet 1909 », Palmarès du Lycée du Havre 1909, Le Havre, Imprimerie Journal du Havre, 1909. Également publié dans la Revue internationale de l’enseignement, vol. LVIII, n° 9, 15 septembre 1909, p. 233-254.
  • [14]
    J. Carcopino, Histoire de l’ostracisme athénien, Paris, Félix Alcan, Mélanges d’histoire ancienne, t. XXV, p. 83-261. Réédité en 1935 et en 1984.
  • [15]
    Sur les publications de Carcopino pendant cette période, cf. la bibliographie de ses travaux dans Hommage à la mémoire de Jérôme Carcopino publiée par la Société archéologique de l’Aube, Paris, Société d’éditions Les Belles Lettres, Collection des études anciennes, 1972. Cf. aussi P. Grimal qui signale qu’au cours de ces années 1904-1909, les publications de Carcopino portent sur trois grands thèmes : les études d’épigraphie africaine, les études siciliennes qui trouvent leur aboutissement dans sa thèse complémentaire, ses recherches sur Ostie objet de sa thèse principale (P. Grimal, « L’œuvre dans le temps » dans Jérôme Carcopino, un historienop. cit., p. 137-138).
  • [16]
    Sa thèse principale, soutenue en 1919 est la suivante : Virgile et les origines d’Ostie, Paris, De Boccard, École française de Rome, 1919, 819 p. ; la thèse secondaire porte sur la Loi de Hiéron et les Romains (Paris, De Boccard, École française de Rome, 1919, 309 p.).
  • [17]
    Sur ces trois professeurs de la faculté des Lettres de Paris, cf. C. Charle, Les professeurs de la faculté des Lettres de Paris dictionnaire biographique 1809-1908, volume 1, Paris, INRPÉditions du CNRS, 1985, p. 31-33 (Bouché-Leclercq), p. 29-30 (Gustave Bloch), p. 147-148 (Christian Pfister).
  • [18]
    Bouché-Leclercq Auguste (1842-1923), chargé de divers enseignements avant d’être nommé professeur d’histoire ancienne en 1887 fonction qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1918.
  • [19]
    Gustave Bloch (1848-1923, membre de l’École de Rome (1873), professeur à la faculté des Lettres de Lyon, puis à la faculté des Lettres de Paris où il enseigne l’histoire romaine jusqu’à sa retraite en 1920.
  • [20]
    Christian Pfister (1857-1933) est professeur d’histoire des institutions et de la civilisation du Moyen Âge.
  • [21]
    Agrégé de philosophie, Georges Lyon était à cette date maître de conférences à l’École normale supérieure.
  • [22]
    Sur Eugène Cavaignac, cf. D. Schlumberger, « Eugène Cavaignac » dans Syria, t. 46, fasc. 3/4, 1969, p. 391-393 ; J.-P. Kintz, Charles-Eugène Cavaignac, Notice N et DBA 1985, consultable sur Internet.
  • [23]
    E. Cavaignac, Note sur la chronologie attique au ve siècle, lecture faite à l’Association pour l’encouragement des études grecques, 2 juillet 1908, chez l’Auteur.
  • [24]
    E. Cavaignac, Études sur l’histoire financière d’Athènes au ve siècle. Le trésor d’Athènes de 480 à 404, Paris, A. Fontenoing, 1908, LXXV-182 p. (thèse principale) ; E. Cavaignac, Études sur l’histoire financière d’Athènes au ve siècle. Le trésor d’Eleusis jusqu’en 404, Versailles, chez l’Auteur, 1908, 85 p.
  • [25]
    AD Nord, 2 T 930, Minute d’un courrier du doyen de la faculté au recteur.
  • [26]
    Mobilisé pendant la première guerre mondiale, Carcopino soutient ses thèses en 1919. Après un séjour en Algérie à la faculté des Lettres d’Alger, il est nommé professeur à la faculté des Lettres de Paris en 1930, il dirige l’École de Rome de 1937 à 1940 et l’École normale supérieure de 1940 à 1942. Il est secrétaire d’État à l’Éducation nationale du 24 février 1941 au 18 avril 1942. Emprisonné à Fresnes en août 1944, il est jugé en juillet 1947 par la Haute Cour de justice qui rend un arrêté de non-lieu pour services rendus à la Résistance. Il est réintégré dans ses fonctions en 1951 et est élu à l’Académie française en 1955. Il décède le 17 mars 1970 (Sur la carrière de Jérôme Carcopino, outre l’ouvrage cité dans la note 7, on peut consulter l’ouvrage de S. Corcy-Debray qui étudie la période 1942-1944 (S. Corcy-Debray, Jérôme Carcopino un homme à Vichy, Paris, L’Harmattan, 2001.
  • [27]
    AD Nord, 493 W 146 173, Procès-verbal de l’Assemblée de la faculté des Lettres, 9 novembre 1910. Sujet traité : l’époque de la colonisation grecque viiie-vie siècles avant Jésus-Christ. En 1919, Eugène Cavaignac est nommé maître de conférences d’histoire ancienne à l’Université de Strasbourg.
  • [28]
    AD Nord, 493 W 146 179, Procès-verbal de l’Assemblée de la faculté des Lettres de Lille, 20 novembre 1910.
  • [29]
    Ernest Dupuy préside le jury de l’agrégation des lettres…
  • [30]
    Antoinette Hillemacher, fille de Lucien Hillemacher, compositeur de musique. Le mariage a été célébré le 17 mai 1908 à la mairie du 6e arrondissement de Paris (Archives de Paris, État civil, 6 M 202) et non le 19 mai 1909 comme l’écrit Claude Carcopino (P. Grimal, Cl. Carcopino, P. Ourliac, Jérôme Carcopino, Un historien… p. 37). Date reprise par C. Charle. L’épouse de Carcopino est enceinte. Elle accouche d’une petite fille, Françoise, le 6 novembre 1909.
  • [31]
    Coucy-le-Château-Auffrique dans l’Aisne.
  • [32]
    Édouard Bailly, né en 1867, agrégé des lettres, nommé proviseur du lycée de garçons du Havre en 1904. Il quitte cet établissement à la rentrée de 1909 pour le lycée de Bordeaux, puis le lycée Louis le grand à Paris. (Les proviseurs du lycée François Ier au Havre, https//www.lycéefrançois1er.fr/proviseurs).
  • [33]
    Cf. n. 10.

1Dans le carton des Archives départementales du Nord coté 2 T 930 se trouve un mince dossier intitulé Carcopino contenant deux lettres. Dans la première datée du 22 juillet 1909, Jérôme Carcopino, alors professeur d’histoire et de géographie au lycée du Havre et désireux d’obtenir un poste de maître de conférences [1] en histoire ancienne à la faculté des Lettres de Lille, demande à Ernest Dupuy inspecteur général de l’Instruction publique [2] de dire « un mot en sa faveur » à Georges Lyon, recteur de l’académie de Lille et à ce titre président du Conseil de l’Université. La seconde, en date du 27 juillet, est la lettre qu’Ernest Dupuy écrit sans tarder à Georges Lyon, pour plaider la cause de son protégé. Ces deux courriers sont transmis pour information au doyen de la faculté des Lettres de Lille, Georges Lefèvre [3]. On a donc là un exemple de « campagne électorale » d’un jeune professeur de l’enseignement secondaire aspirant à entrer dans l’enseignement supérieur.

2Pour comprendre la démarche de Jérôme Carcopino, il faut évoquer brièvement la situation de l’enseignement de l’histoire ancienne à la faculté des Lettres de Lille [4]. Si la présence de l’histoire y est importante au moment où Carcopino prend la plume, il subsiste cependant un point noir déjà signalé en 1897 par Charles Petit-Dutaillis : l’absence de spécialistes d’histoire ancienne dont l’enseignement est tant bien que mal assuré par des représentants d’autres périodes historiques [5]. La nomination, en 1898, de Pierre Jouguet, agrégé de grammaire (1893) fondateur de l’Institut de papyrologie de Lille, ne comble que partiellement cette lacune [6]. Consciente de ce problème, l’assemblée des professeurs de la faculté autorise l’ouverture d’un cours libre d’histoire ancienne pendant le second semestre 1908-1909 [7]. La création d’un poste de titulaire reste cependant à l’ordre du jour, ce qui incite Jérôme Carcopino à entrer en campagne.

Les atouts de Jérôme Carcopino

3Né à Verneuil-sur-Avre (département de l’Eure) le 27 juin 1881, Jérôme Carcopino, après une scolarité secondaire effectuée dans deux célèbres établissements parisiens, le collège Sainte- Barbe puis le lycée Henri IV, est reçu 4e à l’École normale supérieure en 1900 [8]. Sa composition d’histoire fait partie des 13 meilleures copies du concours et mérite la note de 8/10 [9]. Deux ans plus tard, il est reçu à la licence ès lettres avec la mention Très bien. L’année suivante, en 1903, il obtient son diplôme d’études supérieures mention histoire-géographie avec un mémoire principal consacré à l’étude de L’ostracisme athénien. Ce diplôme, préparé sous la direction de Bouché-Leclercq, professeur d’histoire ancienne à la faculté des Lettres de Paris, est couronné de la mention Très bien et l’impose à l’attention de ses maîtres [10]. Un an plus tard, il est reçu 1er à l’agrégation d’histoire et géographie [11]. À sa demande, Georges Perrot, directeur de l’École normale, soumet alors son nom pour une place à l’École française de Rome [12]. Il y séjourne de 1904 à 1907, séjour entrecoupé par des missions de fouilles en Tunisie. De retour de Rome, Jérôme Carcopino est nommé professeur d’histoire et de géographie au lycée du Havre. Au terme de sa seconde année d’enseignement, il est chargé de prononcer le discours d’usage à la distribution des prix et choisit pour thème L’enseignement de l’histoire dans les écoles centrales[13].

4Le parcours scientifique du jeune professeur qui avait d’autres ambitions que l’enseignement secondaire n’est pas moins brillant. Pendant son séjour à l’École française de Rome, qui va l’orienter vers l’histoire romaine, il prépare l’édition de son mémoire sur l’ostracisme[14] et publie plusieurs articles qui le font entrer dans le monde savant comme une autorité scientifique et cela sur le plan international [15]. En même temps, il jette les premières fondations de ses thèses [16] principale et complémentaire pour l’obtention du doctorat ès Lettres.

5Pourvu d’un CV particulièrement brillant, Carcopino dispose d’un solide réseau de « patrons » dont les deux lettres font état. Trois professeurs de la faculté des Lettres de Paris [17] : Auguste Bouché-Leclercq [18] qui propose à la faculté l’impression de son mémoire sur L’ostracisme ; Gustave Bloch [19] ensuite, professeur d’histoire ancienne qui dit de Carcopino « qu’il marquera dans la science historique comme Fustel » ; Christian Pfister [20], professeur d’histoire du Moyen Âge qui selon Ernest Dupuy « faisait un éloge des plus marqués du jeune Carcopino ». Le même Ernest Dupuy, qui se fait son intercesseur auprès de Georges Lyon, en trace un portrait flatteur : « L’homme chez Carcopino, vaut l’érudit et le professeur : il est charmant de bon sens, de simplicité, de fermeté, de droiture ».

6Enfin Carcopino compte sur le soutien de Georges Lyon qui a corrigé sa copie de philosophie au concours d’entrée à l’École normale supérieure :

7

Il se souvient avec reconnaissance qu’une très bonne note de vous au concours de l’École normale l’a fait entrer très jeune mais déjà mûr [21].

8Mais Jérôme Carcopino a un rival en la personne d’Eugène Cavaignac, petit-fils de Louis-Eugène Cavaignac, chef du pouvoir exécutif sous la Seconde République, et fils de Jacques Marie Eugène Godefroy Cavaignac, ministre de la Guerre (28 juin-5 septembre 1898) qui croyait à la culpabilité de Dreyfus [22]. De cinq ans son aîné, Cavaignac ne peut présenter un CV aussi brillant que celui de Carcopino. Ce dernier ne manque d’ailleurs pas de souligner que ce candidat « n’a pu décrocher l’agrégation » tout en omettant de signaler que son concurrent a été élève de l’École française d’Athènes de 1903 à 1905. Sa liste de publications n’est guère fournie. Elle se résume à une conférence prononcée en juillet 1908 [23] et à ses thèses publiées en 1908 dont l’une à compte d’auteur [24]. Mais il a un avantage : il est titulaire du cours libre d’histoire ancienne, créé par la faculté, qu’il a donné de mai à juillet 1908 et qui a été prolongé pour l’année 1909-1910 [25]. Ce cours lui permet d’avoir un pied dans la faculté des Lettres et d’y être connu. On peut noter une certaine aigreur dans les propos de Carcopino quand il écrit que son rival « a eu les moyens d’aller le faire à Lille depuis mai jusqu’à juillet ». Allusion au fait que Cavaignac n’est pas tenu par des obligations d’enseignement ou plus prosaïquement qu’il avait les ressources pour financer ses allers et retours entre Paris et Lille ? Derrière ces propos on sent l’inquiétude de Carcopino devant ce rival qui « visiblement prend de l’avance ».

9Comme l’indique le bref commentaire de Georges Lyon porté sur la lettre d’Ernest Dupuy, l’espoir de Carcopino d’obtenir un poste à la faculté des Lettres de Lille ne se concrétisera pas. Il restera encore trois années au lycée du Havre avant d’être nommé chargé de cours d’antiquités de l’Afrique à la faculté des Lettres d’Alger à la rentrée de 1912 [26]. Quant à Cavaignac son cours libre est encore reconduit pour l’année 1910-1911 [27]. En 1912, une chaire d’histoire ancienne et de papyrologie est créée pour Pierre Jouguet [28] à Lille.


AD Nord 2 T 930
Université de Lille
Faculté des Lettres
21 juillet 1909

10Note

11Ci-joint deux lettres communiquées à M. Lefèvre et retournées après en avoir pris connaissance.

121. – Lettre de Jérôme Carcopino à Ernest Dupuy, inspecteur général.

13Le Havre 22. 7. 09

14Cher Monsieur,

15Je suis honteux vraiment de vous écrire encore pour vous demander un service et plus encore de vous le demander au moment même où vous absorbe le labeur écrasant des jurys d’agrégation [29]. Mais les ambitieux sont impitoyables…

16Je vous avais entretenu cet hiver d’un vague espoir que j’avais que l’Université de Lille créerait enfin la maîtrise de conférences d’histoire ancienne qui manque à sa faculté des Lettres et de mon intention, le cas échéant, de présenter ma candidature.

17Les choses, en apparence, n’ont point fait un pas depuis lors. Mais je crois, à divers indices, que la solution est assez proche, qu’elle interviendra sans doute, à la rentrée, en octobre. Jusqu’à présent on n’entend parler que de deux compétiteurs : un docteur ès lettres qui n’a pu décrocher l’agrégation d’histoire, M. Cavaignac, et un agrégé d’histoire qui n’a pas encore eu le temps de se faire recevoir docteur èslettres : moi-même. Les deux, à Lille, ont leurs partisans. Mais M. Cavaignac qui avait obtenu l’autorisation d’ouvrir un cours libre pendant le second semestre 1908-1909, qui a eu les moyens d’aller le faire à Lille depuis mai jusqu’à juillet, et qui vient de faire prolonger son privilège pendant le 1er semestre 1909-1910, visiblement, prend de l’avance. Je viens vous prier, si le hasard des commissions vous rapproche du recteur de Lille, comme il est probable en cette fin de juillet, de dire un mot à M. Lyon en ma faveur. Il est un de ceux qui me firent entrer, il y a neuf ans, à l’École Normale.

18Il est inutile que vous vous dérangiez encore pour me répondre. Je ne doute pas que vous ne fassiez la démarche. Vous n’avez donc pas à me l’annoncer. Elle ne peut amener un résultat immédiat. Je puis attendre mon prochain passage à Paris pour aller apprendre de votre bouche quel accueil M. Lyon lui a réservé.

19Je compte en effet passer le 1er août à Paris. Ma femme plus vaillante depuis trois semaines [30] est maintenant capable de voyager et nous partagerons nos vacances entre Coucy [31] et Verneuil. En attendant je serai de service jusqu’au 31 inclusivement. Je dois en effet prononcer le dernier discours d’usage que M. Bailly [32] entendra au Havre. J’ai traité un sujet un peu austère : l’Enseignement de l’histoire dans les Écoles Centrales de la Révolution : quelques trouvailles d’archives l’égayent un peu. D’ailleurs j’irai vous en porter un exemplaire [33].

20Veuillez présenter à Mademoiselle Dupuy, avec les meilleurs souvenirs de ma femme et de ma belle-mère que nous sommes bien heureux d’avoir avec nous en ce moment, tous mes hommages, et croire Cher Monsieur, à mes sentiments de respectueuse et reconnaissante affection.

21J. Carcopino

222. – Lettre d’Ernest Dupuy, inspecteur général, à Georges Lyon, recteur de l’académie de Lille.

2323 juillet 1909

24Mon Cher Ami,

25Permettez-moi de vous envoyer une lettre qui n’était pas destinée à passer sous vos yeux, mais qui vous dira pourquoi je viens vous prier de regarder d’un œil favorable la candidature de M. Jérôme Carcopino, premier agrégé d’histoire, ancien membre de l’École de Rome, professeur de toute première qualité, au poste de maître de conférences à Lille. Je ne puis mieux faire que de vous répéter un mot de mon camarade Bloch au sujet de ce jeune professeur : « Il marquera dans la science historique, comme Fustel de Coulanges ». Sans s’exprimer d’une façon aussi forte, M. Pfister me faisait, il y a déjà quelques années, du jeune Carcopino, un éloge des plus marqués. La faculté des Lettres de Paris vient d’imprimer son mémoire de licence, déjà proposé il y a six ou sept ans par Bouché-Leclercq pour cet honneur. Naturellement l’auteur du mémoire l’a complété (il s’agit de l’Ostracisme et, depuis sept ans, des publications nouvelles comme la Politique d’Athènes ont fourni des éléments nouveaux à ce sujet). À l’heure qu’il est, l’ouvrage, imprimé cette année-même, est le dernier mot de la science sur la question, me disait M. Bouché-Leclercq. L’homme, chez Carcopino, vaut l’érudit et le professeur : il est charmant, de bon sens, de simplicité, de fermeté, de droiture. Il se souvient qu’une très bonne note de vous au concours de l’École Normale l’a fait entrer très jeune, mais déjà mûr. Il a cru que je n’hésiterais pas à vous dire une parole en sa faveur : je vous écris de lui ce que j’en pense.

26Bien affectueusement à vous.

27Ernest Dupuy

283. – En haut de la lettre d’Ernest Dupuy, remarques, au crayon de bois de Georges Lyon, recteur de l’académie de Lille :

29À communiquer à M. le doyen Lefèvre (J’ai répondu avec sympathie que nulle création de chaire d’histoire ancienne n’était actuellement en perspective ; mais que je serais heureux s’il nous était possible de la réaliser).

Notes

  • [1]
    Les maîtres de conférences sont une catégorie de personnel créée dans les facultés des Lettres et des Sciences par l’arrêté du 5 novembre 1877. Ils ont pour vocation soit de compléter l’enseignement des professeurs par adjonction de leçons en direction des boursiers de licence et d’agrégation soit de compléter par l’adjonction de nouveaux enseignements soumis au doyen le cadre des études de la faculté où ils sont nommés. Les maîtres de conférences sont recrutés parmi les membres sortants des Écoles de Rome et d’Athènes, parmi les répétiteurs de l’École pratique des hautes études s’ils sont licenciés, parmi les agrégés des lycées. Ils sont nommés pour une année universitaire par le ministre de l’Instruction publique. Cette délégation peut être indéfiniment renouvelée. La maîtrise de conférences devient rapidement une étape obligatoire dans le cursus des enseignants.
  • [2]
    Ernest Dupuy (1849-1918), ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de Lettres (1873), exerce dans divers lycées avant d’être nommé inspecteur de l’académie de Paris, puis inspecteur général de l’Instruction publique le 28 mai 1895. Son activité est alors intense : présidence du jury de l’agrégation des lettres, du Conseil supérieur de l’Instruction publique et de diverses autres commissions. C’est un homme d’influence dont la protection est recherchée (G. Caplat sous la direction de, Les inspecteurs généraux de l’Instruction publique dictionnaire biographique 1802-1914, Paris, INRP-CNRS, Histoire biographique de l’enseignement, 1986, p. 325-326).
  • [3]
    Agrégé de philosophie (1887), maître de conférences, puis professeur à la faculté des lettres de Lille où il introduit la Science de l’éducation, Georges Lefèvre en est le doyen depuis 1906.
  • [4]
    Sur l’histoire à la faculté des Lettres de Lille, cf. J.-F. Condette, « Le développement des études d’histoire-géographie à la faculté des Lettres de Lille de 1887 à 1914 », Revue du Nord, n° 330, avril-juin 1999, p. 329-366.
  • [5]
    « Il serait extrêmement désirable que dans une université aussi importante que la nôtre, il y eût des cours et des conférences d’histoire ancienne et que cet enseignement si utile pour la formation des esprits, au lieu d’être à la bonne volonté des professeurs qui n’en ont pas officiellement le soin et qui sont chargés de tout autres besognes, fût confié à un spécialiste ». Remarque de Charles Petit-Dutaillis, professeur d’histoire du Moyen Âge à la faculté des Lettres de Lille dans le rapport qu’il établit au terme de l’examen du diplôme d’études supérieures d’histoire et de géographie en juin 1897. P. Marchand, « Quand Georges Lefebvre, Alexandre de Saint-Léger et Paul Thomas passaient le diplôme d’études supérieures d’histoire et de géographie », Annales historiques de la Révolution française, n° 382, octobre-décembre 2015, p. 157-170.
  • [6]
    Sur Pierre Jouguet, cf. J.-F. Condette, Les lettrés de la République. Les enseignants de la Faculté des Lettres sous la Troisième République, Villeneuve-d’Ascq, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2006, p. 186-188. Pierre Jouguet est agrégé de grammaire.
  • [7]
    AD Nord 493 W 146 173, Procès-verbal de l’assemblée de la faculté des Lettres, 9 novembre 1910. La délibération rappelle que ce cours libre a été ouvert en novembre 1908. Sur la création des cours libres dans les facultés, cf. les articles 8 et 19 du décret du 26 décembre 1885. Les assemblées des facultés sont autorisées à délibérer sur la création de cours libres.
  • [8]
    Sur la vie et l’œuvre de Carcopino, cf. P. Grimal, Cl. Carcopino, P. Ourliac, Jérôme Carcopino, un historien au service de l’Humanisme, Paris, Les Belles Lettres, 1981 ; C. Charle (dir.), « Carcopino (Jérôme, Ernest, Joseph) » dans Les professeurs de la faculté des lettres de Paris Dictionnaire biographique 1909-1939, Paris, INRP, 1986, p. 47-49.
  • [9]
    1794-1994 l’École Normale Supérieure, Maîtres et Élèves, Célébrités et Savants, Catalogue Exposition, Paris, Archives nationales, Hôtel de Rohan, octobre 1994-janvier 1995, Courtry, Imprimerie SAGIM, 1994, p. 180-181.
  • [10]
    H.-I. Marrou, « Notice sur la vie et les travaux de Jérôme Carcopino, membre de l’Académie française », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1972, 116-1, p. 204-220.
  • [11]
    A. Chervel, Les lauréats des concours d’agrégation de l’enseignement secondaire 1821-1850, Paris, Jouve, INRP, Service d’histoire de l’éducation, 1999. Parmi les douze reçus, on relève Augustin Renaudet.
  • [12]
    Sur ce choix de l’École française de Rome au lieu de l’École française d’Athènes à laquelle semblait le destiner son mémoire, cf. J. Carcopino, Souvenirs romains, Paris, Hachette, 1968, p. 22.
  • [13]
    J. Carcopino, « L’enseignement de l’histoire dans les écoles centrales de la Révolution. Discours d’usage prononcé à la distribution des prix du lycée du Havre sous la présidence de M. Patrimonio le 31 juillet 1909 », Palmarès du Lycée du Havre 1909, Le Havre, Imprimerie Journal du Havre, 1909. Également publié dans la Revue internationale de l’enseignement, vol. LVIII, n° 9, 15 septembre 1909, p. 233-254.
  • [14]
    J. Carcopino, Histoire de l’ostracisme athénien, Paris, Félix Alcan, Mélanges d’histoire ancienne, t. XXV, p. 83-261. Réédité en 1935 et en 1984.
  • [15]
    Sur les publications de Carcopino pendant cette période, cf. la bibliographie de ses travaux dans Hommage à la mémoire de Jérôme Carcopino publiée par la Société archéologique de l’Aube, Paris, Société d’éditions Les Belles Lettres, Collection des études anciennes, 1972. Cf. aussi P. Grimal qui signale qu’au cours de ces années 1904-1909, les publications de Carcopino portent sur trois grands thèmes : les études d’épigraphie africaine, les études siciliennes qui trouvent leur aboutissement dans sa thèse complémentaire, ses recherches sur Ostie objet de sa thèse principale (P. Grimal, « L’œuvre dans le temps » dans Jérôme Carcopino, un historienop. cit., p. 137-138).
  • [16]
    Sa thèse principale, soutenue en 1919 est la suivante : Virgile et les origines d’Ostie, Paris, De Boccard, École française de Rome, 1919, 819 p. ; la thèse secondaire porte sur la Loi de Hiéron et les Romains (Paris, De Boccard, École française de Rome, 1919, 309 p.).
  • [17]
    Sur ces trois professeurs de la faculté des Lettres de Paris, cf. C. Charle, Les professeurs de la faculté des Lettres de Paris dictionnaire biographique 1809-1908, volume 1, Paris, INRPÉditions du CNRS, 1985, p. 31-33 (Bouché-Leclercq), p. 29-30 (Gustave Bloch), p. 147-148 (Christian Pfister).
  • [18]
    Bouché-Leclercq Auguste (1842-1923), chargé de divers enseignements avant d’être nommé professeur d’histoire ancienne en 1887 fonction qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1918.
  • [19]
    Gustave Bloch (1848-1923, membre de l’École de Rome (1873), professeur à la faculté des Lettres de Lyon, puis à la faculté des Lettres de Paris où il enseigne l’histoire romaine jusqu’à sa retraite en 1920.
  • [20]
    Christian Pfister (1857-1933) est professeur d’histoire des institutions et de la civilisation du Moyen Âge.
  • [21]
    Agrégé de philosophie, Georges Lyon était à cette date maître de conférences à l’École normale supérieure.
  • [22]
    Sur Eugène Cavaignac, cf. D. Schlumberger, « Eugène Cavaignac » dans Syria, t. 46, fasc. 3/4, 1969, p. 391-393 ; J.-P. Kintz, Charles-Eugène Cavaignac, Notice N et DBA 1985, consultable sur Internet.
  • [23]
    E. Cavaignac, Note sur la chronologie attique au ve siècle, lecture faite à l’Association pour l’encouragement des études grecques, 2 juillet 1908, chez l’Auteur.
  • [24]
    E. Cavaignac, Études sur l’histoire financière d’Athènes au ve siècle. Le trésor d’Athènes de 480 à 404, Paris, A. Fontenoing, 1908, LXXV-182 p. (thèse principale) ; E. Cavaignac, Études sur l’histoire financière d’Athènes au ve siècle. Le trésor d’Eleusis jusqu’en 404, Versailles, chez l’Auteur, 1908, 85 p.
  • [25]
    AD Nord, 2 T 930, Minute d’un courrier du doyen de la faculté au recteur.
  • [26]
    Mobilisé pendant la première guerre mondiale, Carcopino soutient ses thèses en 1919. Après un séjour en Algérie à la faculté des Lettres d’Alger, il est nommé professeur à la faculté des Lettres de Paris en 1930, il dirige l’École de Rome de 1937 à 1940 et l’École normale supérieure de 1940 à 1942. Il est secrétaire d’État à l’Éducation nationale du 24 février 1941 au 18 avril 1942. Emprisonné à Fresnes en août 1944, il est jugé en juillet 1947 par la Haute Cour de justice qui rend un arrêté de non-lieu pour services rendus à la Résistance. Il est réintégré dans ses fonctions en 1951 et est élu à l’Académie française en 1955. Il décède le 17 mars 1970 (Sur la carrière de Jérôme Carcopino, outre l’ouvrage cité dans la note 7, on peut consulter l’ouvrage de S. Corcy-Debray qui étudie la période 1942-1944 (S. Corcy-Debray, Jérôme Carcopino un homme à Vichy, Paris, L’Harmattan, 2001.
  • [27]
    AD Nord, 493 W 146 173, Procès-verbal de l’Assemblée de la faculté des Lettres, 9 novembre 1910. Sujet traité : l’époque de la colonisation grecque viiie-vie siècles avant Jésus-Christ. En 1919, Eugène Cavaignac est nommé maître de conférences d’histoire ancienne à l’Université de Strasbourg.
  • [28]
    AD Nord, 493 W 146 179, Procès-verbal de l’Assemblée de la faculté des Lettres de Lille, 20 novembre 1910.
  • [29]
    Ernest Dupuy préside le jury de l’agrégation des lettres…
  • [30]
    Antoinette Hillemacher, fille de Lucien Hillemacher, compositeur de musique. Le mariage a été célébré le 17 mai 1908 à la mairie du 6e arrondissement de Paris (Archives de Paris, État civil, 6 M 202) et non le 19 mai 1909 comme l’écrit Claude Carcopino (P. Grimal, Cl. Carcopino, P. Ourliac, Jérôme Carcopino, Un historien… p. 37). Date reprise par C. Charle. L’épouse de Carcopino est enceinte. Elle accouche d’une petite fille, Françoise, le 6 novembre 1909.
  • [31]
    Coucy-le-Château-Auffrique dans l’Aisne.
  • [32]
    Édouard Bailly, né en 1867, agrégé des lettres, nommé proviseur du lycée de garçons du Havre en 1904. Il quitte cet établissement à la rentrée de 1909 pour le lycée de Bordeaux, puis le lycée Louis le grand à Paris. (Les proviseurs du lycée François Ier au Havre, https//www.lycéefrançois1er.fr/proviseurs).
  • [33]
    Cf. n. 10.
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