Notes
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[*]
Else Jongeneel, University of Groningen, Faculty of Arts, Department of European Languages and Cultures (French), courriel : e.c.s.jongeneel@rug.nl.
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[1]
Voir C. Banz, Höfisches Mäzenatentum in Brüssel, Berlin, Mann, 2000, p. 90, 129-134.
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[2]
« Brueghel » dans la suite du présent article.
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[3]
Au départ le terme renvoie à une espèce de commode avec tiroirs, panneaux et volets, destinée à héberger des objets précieux (voir par exemple le cabinet sur L’Allégorie de la vue) ; il s’applique aussi à la chambre ou la salle d’exposition avec la collection et finalement au genre pictural représentant collection et espace d’exposition.
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[4]
Bien qu’ils aient souligné à l’unanimité le caractère novateur de la série, jusqu’ici les critiques d’art n’ont guère analysé plus à fond la composition « bi-modale » des panneaux. Pour une analyse critique de la série, voir surtout K. Ertz, Jan Brueghel der Ältere (1568-1625). Die Gemälde mit kritischem Œuvrekatalog, Köln, DuMont, 1979, p. 328-356 ; K. Ertz, Chr. Nitze-Ertz, Jan Brueghel der Ältere (1568-1625). Kritischer Katalog der Gemälde, Band III, Lingen, Luca Verlag, 2008-2010, p. 1108-1153 ; J. Müller Hofstede, « ‘Non Saturatur Oculus Visu’ – Zur « Allegorie des Gesichts » von Peter Paul Rubens und Jan Brueghel d. Ä », dans H. Vekeman, J. Müller Hofstede (éd.), Wort und Bild in der niederländischen Kunst und Literatur des 16. und 17. Jahrhunderts, Erftstadt, Lukassen, 1984, p. 243-289 ; B. Welzel, Der Hof als Kosmos sinnlicher Erfahrung. Der Fünfsinne-Zyklus von Jan Brueghel d. Ä und Peter Paul Rubens als Bild der erzherzoglichen Sammlungen Isabellas und Albrechts, Marburg [Habilitationsschrift], 1997 ; B. Welzel, « Sinnliche Erkenntnis, Wissenschaft und Bildtheorie. Der Fünf-Sinne V. Zyklus von Jan Brueghel d. Ä. und Peter Paul Rubens für das erzherzogliche Paar Albrecht und Isabella », dans Scientiae et artes. Die Vermittlung alten und neuen Wissens in Literatur, Kunst und Musik I, B. Mahlmann-Bauer (éd.), Wiesbaden, Harrassowitz in Kommission, 2004, p. 231-245.
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[5]
Les historiens de l’art diffèrent sur ce point. Voir K. Ertz, Chr. Nitze-Ertz, op. cit. (n. 4), p. 1109-1110.
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[6]
Très probablement il s’agit de Wolfgang Guillaume, duc de Pfalz-Neuburg. Voir J. Müller Hofstede, art.. cit. (n. 4), p. 243-244.
-
[7]
A. Van Suchtelen, « Jan Brueghel de Oude en Peter Paul Rubens, Allegorie op de Smaak », dans A.J. Woollett, A. van Suchtelen (éd.), Rubens & Brueghel. Een artistieke vriendschap, La Haye, Waanders, 2006, p. 96-98. Van Suchtelen renvoie entre autres à B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 229. J. Müller Hofstede, op. cit. (n. 4), p. 264-265, observe que l’échappée à droite avec œil de bœuf sur L’Allégorie de la vue représente une des trois galeries du palais de Coudenberg. Voir aussi M. de Maeyer, Albrecht en Isabella en de schilderkunst. Bijdrage tot de geschiedenis van de xviieeeuwse schilderkunst in de Zuidelijke Nederlanden, Bruxelles, Paleis der Academiën, 1955, p. 36, 44-45.
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[8]
L’aigle fonctionne aussi comme animal-attribut de la Vue.
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[9]
Ch. Brown, « Rubens and the Archdukes », dans W. Thomas et L. Duerloo (éd.), Albert & Isabella, 1598-1621 : Essays, Turnhout, Brepols, 1998, p. 123 ; K. Proesmans, « The Key Role of the Archducal Court in Spreading a New Musical Style in the Low Countries », dans Albert & Isabella, 1598-1621 : Essays, ibid., p. 129-135. Pour une description détaillée de la collection de peintures et ses avatars, voir surtout M. de Maeyer, op. cit. (n. 7), p. 33-58. La majeure partie des tableaux-dans-le-tableau qui figurent sur la série sont des copies en miniature de peintures existantes de Rubens ou de Brueghel, mais la plupart ne faisaient pas partie de la collection d’Albert. Sur l’enchâssement des tableaux et les sujets représentés, voir infra.
-
[10]
Voir B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 269-270.
-
[11]
Voir B. Welzel, « Armony and Archducal Image : The Sense of Touch from the Five Senses of Jan Brueghel d. Ä und Peter Paul Rubens für das erzherzogliche Paar Albrecht und Isabella », dans B. Mahlmann-Bauer, op. cit. (n. 4), p. 99-106.
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[12]
Voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 48, 1985, p. 1-22, et C. Nordenfalk, « The Five Senses in Flemish Art before 1600 », dans G. Cavalli-Björkman éd., Netherlandish Mannerism. Papers given at a symposium in Nationalmuseum Stockholm, Stockholm, Nationalmuseum, 1985, p. 135-154. Notons qu’afin d’esquisser en grandes lignes la tradition figurative des cinq sens dont Brueghel et Rubens se sont inspirés, nous ne relevons ici que quelques développements de celle-ci, pour le reste assez riche. Pour un aperçu bien documenté de la tradition littéraire des cinq sens, voir L. Vinge, The Five Senses. Studies in a Literary Tradition, Lund, Gleerup, 1975.
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[13]
Observez bien x [les Dix Commandements] et fuyez vii [les sept péchés capitaux] / Maîtrisez bien v [les cinq sens] et montez au ciel, R. H. Robbins, Secular lyrics of the xivth and xvth centuries, Oxford, Clarendon Press, 1955, p. 80 no. 83, cité dans C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art » (n. 12), p. 4 (notre traduction).
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[14]
C. Nordenfalk, Ibid., p. 1.
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[15]
Ibid., p. 1-2.
-
[16]
Ibid., p. 16-17.
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[17]
Voir B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 309-310.
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[18]
Les sources principales étant les gravures des cinq sens du dessinateur allemand Georg Pencz (1541) et les dessins du peintre anversois Frans Floris (1561). Voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Flemish Art before 1000 » (n. 12), p. 135-139.
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[19]
K. Ertz et Chr. Nitze-Ertz, op. cit. (n. 4), p. 1108, 1124-1127. B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 129-130, met également en doute l’hypothèse de Müller Hofstede. Elle signale, entre autres, que les paons à l’arrière-plan font partie de la ménagerie royale (en effet on retrouve le même couple de paons dans les tableaux du Goût et de l’Odorat) et qu’une couronne semblable orne la tête d’une des trois Grâces dans un autre tableau de Rubens. Le couple Vénus-Cupidon personnifie le toucher sur le tableau correspondant de la série (et là les peintres ont bel et bien puisé dans la tradition mythologique) ; il est peu probable, à notre avis, que les peintres aient voulu conférer un double rôle à ce duo à l’intérieur de la série.
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[20]
Voir K. Ertz, op. cit. (n. 4), p. 349 ; G. de Tervarent, Attributs et symboles dans l’art profane. Dictionnaire d’un langage perdu (1450-1600), Genève, Droz, 1997, p. 37, et B. Welzel, art. cit. (n. 11).
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[21]
« … la tortue est un attribut du Toucher en sa qualité d’animal rétractile, sensible au moindre attouchement », G. de Tervarent, op. cit. (n. 20), p. 445.
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[22]
Voir L’Allégorie du feu (1608), La Prophétie d’Isaïe (1609) et Retour de guerre : Mars désarmé par Vénus (1610).
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[23]
Le singe remplit des fonctions multiples dans la peinture de la Renaissance. Dans les représentations allégoriques des cinq sens, il se rencontre le plus souvent comme animal-attribut du Goût. Voir G. de Tervarent, op. cit. (n. 20), p. 409, et l’étude princeps de H. W. Janson, Apes and Ape hore in the Middle Ages and the Renaissance, London, University of London, Warburg Institute, 1952.
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[24]
La personnification de l’Ouïe-luthiste remonte à la tradition de l’allégorie des cinq sens (voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art » (n. 12), p. 19-20). La tradition emblématique et les bestiaires mettent le cerf en rapport avec la musique qui, dit-on, le fascine tellement qu’il tombe facilement en proie aux chasseurs (G. de Tervarent, op. cit. (n. 20), p. 92).
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[25]
Par cette nudité aux dimensions étirées (par rapport à la tête), Rubens a accentué le rôle allégorique de la figure.
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[26]
Brueghel et Rubens ont également peint en collaboration un Flore et Zéphyr. Le tableau dont l’aménagement (architecture, fleurs, plantes, animaux) ressemble à bien des égards à L’Allégorie de l’odorat, fut terminé à peu près à la même époque (1617). Pour une description du tableau, voir A. Van Suchtelen, « Jan Brueghel de Oude en Peter Paul Rubens, Flora en Zephyrus », op. cit. (n. 7), p. 78-81.
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[27]
Notons encore que selon Ovide, Fasti 5, Flore fut placée dans un jardin éternellement printanier.
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[28]
En revanche, l’ordre des tableaux au musée du Prado, basé sur des numéros d’inventaire anciens, est Vue-Ouïe-Odorat-Goût-Toucher. En s’appuyant sur la structuration de l’espace pictural des tableaux et le positionnement des personnages et objets, K. Ertz (op. cit. (n. 4), p. 329-332), a proposé l’ordre séquentiel suivant : Vue-Toucher-Ouïe-Goût-Odorat.
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[29]
Dans les chambres de merveilles anciennes, on subdivisait les artificialia en mirabilia, exotica et scientifica. Voir G. Beßler, Wunderkammern. Weltmodelle von der Renaissance bis zur Kunst der Gegenwart, Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 2009, p. 32.
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[30]
Z. Z. Filipczak, Picturing art in Antwerp, 1550-1700, Princeton, Princeton University Press, 1987, p. 51-56.
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[31]
Description de tout le Pais-bas autrement dict la Germanie inferieure, Anvers, 1567, p, 168, cité par Z. Z. Filipczak, op. cit. (n. 30), p. 3.
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[32]
Voir surtout J. Müller Hofstede, art. cit. (n. 4), p. 260-261.
-
[33]
Francken II, « Cabinet d’amateur avec des ânes iconoclastes », ca. 1612-1614, Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen (une autre version de ce tableau se trouve au Palais Barberini à Rome). La scène des ânes iconoclastes est aussi un motif récurrent dans les tableauxdans-le-tableau des cabinets d’amateur anversois ; voir par exemple « Les archiducs Albert et Isabelle en visite chez un collectionneur », par Adriaen van Stalbemt et Jean Brueghel l’Ancien, Baltimore, ca. 1616, Walters Art Gallery. Voir A. Scarpa Sonino, Cabinet d’amateur. Le grandi collezioni d’arte nei dipinti dal xvii al xix secolo, Milano, Berenice, 1992, p. 38, 41.
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[34]
Voir L. da Vinci, Scritti scelti, Firenze, Giunti Barbèra, 2006, p. 182-222.
-
[35]
Il s’agit d’une référence à une gravure de la Vue par Maerten de Vos (ca. 1595), à l’arrière-plan de laquelle se trouve également une scène avec la guérison d’un aveugle par le Christ. Cf. J. Müller Hofstede, art. cit. (n. 4), p. 250.
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[36]
« Die Göttin wird durch die doppelte Gebärde nachdenklicher Vernunft und spontaner Emotion zur exemplarischen Modellfigur für einen Bildbetrachter, der die im Kunstwerk wirkenden Komponenten des ‘instruere et delectare’ an sich selbst verspürt und entsprechend beantwortet », J. Müller Hofstede, art. cit. (n. 4), p. 247.
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[37]
Ibid., p. 257.
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[38]
« Silène ivre », « Daniel dans la fosse aux lions » et « La Chasse au tigre, au lion et au guépard » se réfèrent à des tableaux existants de Rubens ; « La Vierge à la guirlande » est de la main de Rubens et Brueghel. Pour une liste des tableaux-dans-le-tableau dans L’Allégorie de la vue et dans les autres panneaux de la série, se reporter à B. Welzel, op. cit. (n. 4), A. Scarpa Sonino, op. cit. (n. 33), p. 23-24, et à M. Díaz Padrón, El siglo de Rubens en el Museo del Prado. Catálogo razonado de pintura flamenca del siglo xvii, 2 vol., Barcelone, Editorial Prensa Ibérica, 1996.
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[39]
Voir C. Banz, op. cit. (n. 1), p. 80-147. Qu’Albert s’affichât volontiers comme l’apôtre de la Contre-Réforme s’explique surtout par son mandat politique quelque peu précaire : en 1599 il avait été nommé archiduc et régent des Flandres par Philippe II à condition d’y restaurer le catholicisme affaibli par le mouvement de la Réforme pendant la seconde moitié du xvie siècle. La mission de purger les Provinces-Unies de l’hérésie protestante était expressément formulée dans l’acte de cession de 1598, dans lequel Philippe II conféra la régence des Pays-Bas espagnols aux archiducs Albert et Isabelle. Notons encore qu’Albert était représentant du pape (il était cardinal avant d’être nommé gouverneur). Voir http://www.histoire-des-belges.be/au-fil-du-temps/temps-modernes/archiducs-albert-et-isabelle.
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[40]
Le site du musée du Prado offre un enregistrement numérique des deux madrigaux (http://www.museodelprado.es/en/the-collection/online-gallery/on-line-gallery/obra/hearing/).
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[41]
Effectivement la ménagerie de la cour archiducale comprenait des perroquets, un singe, des chiens et un chevreuil (voir A. Van Suchtelen, op. cit. (n. 7), p. 98). Notons que la mouffette peut aussi être apprivoisée. Sur la « domestication » des objets-emblèmes et animaux-attributs dans la peinture de dévotion de la Renaissance, voir M. Butor, Les mots dans la peinture, Genève, Skira, 1969, p. 60-61.
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[42]
« Le rideau est motif plastique dans un tableau et outil scénographique au théâtre. Le peintre peut le décliner à volonté, en l’éloignant ou en le rapprochant de sa vocation domestique initiale, constamment sur fond de théâtralisation des conduites […]. Le rideau […] définit aussi une structure d’appel. Une fois ouvert et la scène dégagée, le rideau captive l’œil, l’attire, l’invite, en lui intimant le désir d’explorer l’image, d’accueillir ce qu’elle offre comme de s’interroger sur ce qu’elle cache », G. Banu, Le Rideau ou la fêlure du monde, Paris, A. Biro, 1997, p. 13.
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[43]
Georg Pencz fut l’un des premiers artistes à situer les Sens dans un cadre domestique. Voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art » (n. 12), p. 19.
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[44]
A. Van Suchtelen, op. cit. (n. 7), p. 98.
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[45]
Voir B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 118-119.
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[46]
Il semble que Brueghel se soit inspiré de son père qui souvent a minimisé le thème central de ses tableaux en un détail insignifiant et l’a situé dans un endroit insolite de la toile, submergé par une masse de personnages et d’objets. Voir par exemple La Chute d’Icare (1558), Le Recensement à Bethléem (1566), et La Prédication de saint Jean-Baptiste (1566).
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[47]
Voir aussi K. Minges, Das Sammlungswesen der frühen Neuzeit. Kriterien der Ordnung und Spezialisierung, Museen – Geschichte und Gegenwart, vol. 3, Münster, LIT Verlag, 1998.
1Entre 1615 et 1618 les peintres Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens exécutèrent en collaboration une série de cinq tableaux qui, aujourd’hui, comptent parmi la fine fleur de la peinture anversoise de la première moitié du xviie siècle : les Allégories des cinq sens. Actuellement la série se trouve au musée du Prado à Madrid. Les tableaux étaient destinés à l’archiduc Albert d’Autriche et sa femme l’archiduchesse Isabelle d’Espagne qui depuis 1598 gouvernaient les Pays-Bas espagnols au nom du roi d’Espagne, Philippe II. Rubens était peintre de cour d’Albert et Isabelle, Jean Brueghel l’Ancien, tout en ne portant pas ce titre officiel, reçut régulièrement des commandes de la part de la cour archiducale [1]. Pendant les deux premières décennies du xviie siècle, Pierre Paul Rubens (1577-1640) et Jean Brueghel l’Ancien (1568-1625) [2] étaient les peintres les plus éminents d’Anvers. Entre 1598 et 1625, l’année de la mort de Brueghel, ils ont peint environ vingt-cinq tableaux en collaboration.
2S’inscrivant dans la lignée moralisatrice des allégories des cinq sens, la série de Brueghel et Rubens manifeste en même temps l’esprit nouveau de la Renaissance, comme en témoigne la contextualisation des Sens dans des intérieurs richissimes regorgeant d’œuvres d’art, de naturalia, de scientifica et d’artificialia, qui, nous le verrons, offrent un portrait idéalisé de la cour archiducale. En fait, les peintres ont emboîté le genre de l’allégorie sensorielle dans un autre genre pictural beaucoup plus récent et d’origine anversoise : le cabinet d’amateur [3]. Ainsi, tout en renouant avec la tradition didactique et emblématique de la peinture du bas Moyen Âge, la série témoigne en même temps d’une attitude nouvelle vis-à-vis de l’art en général et de la peinture en particulier, née dans une société en plein développement commercial et artistique qui considère l’art comme une source de connaissance, de prestige et de jouissance esthétique. La série consiste en un mélange de deux genres picturaux et a donc été organisée selon deux modes iconographiques divergents : le mode sérialisant et universalisant à répertoire pictural fixe de l’allégorie sensorielle, et le mode individualisant et panégyrique à répertoire pictural proliférant du cabinet d’amateur. C’est la combinaison de ces deux « modes » picturaux et l’esthétique nouvelle sur laquelle elle repose qui confèrent à la série son caractère intriguant et novateur que nous nous proposons d’examiner ici de plus près [4].
La série des cinq sens : l’enseigne de la cour archiducale
3Les tableaux des cinq sens de Brueghel et Rubens ont un format assez modeste (en moyenne 65 cm sur 109 cm). Sans aucun doute ils étaient destinés à être exposés dans un intérieur privé aux dimensions relativement réduites, étant donné aussi la portée emblématique des scènes représentées (voir infra) qui nécessite une lecture de près. Les critiques d’art s’accordent pour dire que Brueghel s’est réservé le plus gros du travail : c’est lui qui s’est chargé de la structure et de l’organisation des espaces picturaux, de la figuration des cadres architecturaux et des artificialia, scientifica et naturalia, tandis que Rubens a peint les figures humaines et quelques-uns des tableauxdans-le-tableau renvoyant à des peintures de sa main.
4On ignore si les tableaux ont été commandés par Albert et Isabelle [5] ou bien par la ville d’Anvers par exemple, dans l’intention d’honorer le couple régnant. Certains critiques ont lancé l’hypothèse que les archiducs destinaient la série à un allié politique nouvellement recruté [6] à qui ils auraient voulu laisser un témoignage de la magnificence et de la puissance de la cour archiducale. Quoi qu’il en soit, une simple lecture globale montre que la cour archiducale constitue le pivot d’orientation de la série.
5Tout d’abord, les trois résidences du couple sont représentées sur trois des cinq tableaux : la demeure principale, le château de Coudenberg à Bruxelles, figure sur L’Allégorie de la vue (fig. 1) que les deux peintres considéraient comme le tableau principal de la série, tandis que le château de Mariemont (résidence d’été du couple) apparaît sur L’Allégorie de l’ouïe (fig. 2), et le château de chasse à Tervuren sur L’Allégorie du goût (fig. 3). En outre, la grotte artificielle avec des canalisations d’eau sur L’Allégorie de l’odorat (fig. 5) fait penser à une construction semblable que l’architecte paysagiste Salomon de Caus conçut et construisit pour Albert et Isabelle [7]. En second lieu, les tableaux affichent des motifs-dédicaces qui, sans équivoque, se réfèrent aux deux régents, tels le portrait officiel du couple, le portrait d’Albert à cheval et l’aigle bicéphale habsbourgeois qui couronne le lustre sur L’Allégorie de la vue [8], ainsi que les armes d’Albert imprimées sur une partition de Peter Philips, organiste et compositeur de cour, partition visible sur L’Allégorie de l’ouïe. Troisièmement, les œuvres d’art, de même que les naturalia et les instruments scientifiques qu’exposent les tableaux témoignent de la magnificence de la cour d’Albert et Isabelle bien que les peintres n’aient pas copié littéralement la collection des deux mécènes. Ainsi la collection d’objets précieux, de peintures, de sculptures, d’instruments de musique (Allégorie de la vue, Allégorie de l’ouïe) et d’instruments scientifiques, jonchant le sol, entassés sur des tables et commodes ou décorant les parois, renvoie à la richissime collection de préciosités et d’œuvres d’art (parmi lesquelles cinq cents peintures) d’Albert, collectionneur et connaisseur passionné et grand amateur de peinture et de musique [9]. Les instruments scientifiques sur L’Allégorie de la vue et la collection d’horloges sur L’Allégorie de l’ouïe l’honorent en tant que promoteur des sept arts libéraux et prélat droit et fiable. Ainsi, les horloges ne se réfèrent pas seulement au sens de l’ouïe en rapport avec l’admonition du tempus fugit, mais encore à la célèbre collection d’horloges d’Albert. En outre, celles-ci possèdent une connotation politique bien connue à l’époque : celle du souverain en tant que « métronome » du pays [10]. Le gibier entassé dans L’Allégorie du goût témoigne du privilège de la chasse réservé exclusivement au couple archiducal et des fêtes somptueuses célébrées à la cour, accompagnées de banquets et de jeux d’armes. Les engins de guerre sur L’Allégorie du toucher (fig. 4) renvoient non seulement à la puissance politique de la cour, mais aussi à la fameuse collection d’armes et de harnais d’Albert [11]. Enfin, la flore abondante sur L’Allégorie de l’odorat fait penser au jardin botanique du palais de Coudenberg qui fascinait particulièrement Brueghel, peintre-spécialiste de naturalia, que l’on retrouve aussi en abondance dans les autres panneaux de la série. Bref, les Allégories des cinq sens nous offrent un portrait idéalisé de la cour archiducale de Bruxelles, portrait qu’il s’agit maintenant d’analyser plus à fond en interrogeant les deux genres picturaux à la base de la série.
Le mode sériel des cinq sens
6Les représentations figuratives les plus anciennes de l’allégorie des cinq sens qui subsistent aujourd’hui dans le monde occidental datent du haut Moyen Âge [12]. Elles se fondent sur une théorie cognitive d’origine profane concernant la perception humaine, qui remonte aux Parva naturalia d’Aristote, une collection de traités d’histoire naturelle. Tout au long du Moyen Âge, on retrouve l’allégorie sensorielle dans des écrits didactiques et moralistes de toutes sortes qui traitent de la place de l’homme dans l’univers. Dans les textes patristiques les cinq sens prennent souvent une signification péjorative. Ils sont considérés comme des éléments faisant partie de la nature animale de l’homme, le soumettant à la tentation. Pour citer une maxime anglaise du xive siècle :
Keep well X and flee from VII
Rule well V and come to Heaven ! [13]
8À partir du xiiie siècle, la représentation figurative des cinq sens devient plus fréquente, notamment dans les enluminures et dans les gravures. Partant du principe que certains animaux possèdent un système sensoriel beaucoup plus développé que l’homme, les artistes ont coutume de symboliser chacun des cinq sens par un animal spécifique. Voici une série assez répandue, fondée sur une encyclopédie médiévale d’autorité du xiiie siècle, le Liber de natura rerum 4, I (ca. 1245) de Thomas de Cantimpré [14] :
- l’Ouïe = le sanglier,
- la Vue = le lynx,
- le Goût = le singe,
- l’Odorat = le vautour,
- le Toucher = l’araignée.
9Au cours du siècle une autre tradition figurative se développe qui accentue davantage le fonctionnement des sens en tant que perception humaine, notamment dans les traductions latines d’Aristote et les illustrations s’y reportant. Les personnifications, des nus masculins ou féminins, sont représentées en position de charade et tenant en main un objet-attribut : un miroir pour la Vue, un instrument de musique pour l’Ouïe, une fleur pour l’Odorat, un fruit pour le Goût, une harpe pour le Toucher [15]. Afin de débarrasser les scènes de toute ambiguïté, les dessinateurs ont ajouté le plus souvent les animaux-emblèmes respectifs. Les deux séries d’attributs sensoriels, à savoir celle des objets et celle des animaux, sont sujettes à variation. Ainsi le chien ou bien le milan remplacent parfois le vautour dans l’allégorie de l’Odorat, et il arrive que le chevreuil prenne la place du sanglier dans l’allégorie de l’Ouïe. Vers la fin du xve siècle le Toucher tenant un objet-attribut est substitué par un couple d’amoureux qui s’embrassent [16].
10De manière significative, les artistes de la Renaissance ont ennobli de nouveau les cinq sens. Au lieu d’en faire des voies de perdition, ils les exaltent comme des moyens permettant à l’homme de maîtriser l’univers. Ainsi le savant allemand Nicolas de Cues, dans son traité Compendium (1463), compare l’organisme sensoriel de l’homme à un astronome qui possède une ville à cinq portes par où entrent des messagers provenant du monde entier pour témoigner de l’organisation de l’univers [17]. Le plus souvent les personnifications sont représentées sous la forme de nus féminins, symboles de sensualité, situés dans un intérieur ou dans un paysage, en train de pratiquer le sens en question et accompagnés d’objets et d’animaux-attributs.
11Il est clair que pour la décoration de la série des sens, Brueghel et Rubens se sont inspirés de l’iconographie de l’allégorie sensorielle du xvie siècle [18]. Les panneaux expriment le bien-être et la volupté qui l’emportent sur le moralisme traditionnel du genre. Les cinq tableaux exposent, sur l’avant-scène, des nus féminins agrémentés de draperies (la Vue, l’Ouïe, le Toucher, l’Odorat) ou de robes (le Goût) qui accentuent leur nudité au lieu de l’occulter. Assistées par des putti et entourées d’animaux-attributs et d’objets, les femmes se soumettent au régime du sens qu’elles personnifient en contemplant, chantant, goûtant, touchant ou reniflant. Les personnifications de la Vue et de l’Ouïe se trouvent dans une salle à baies ouvertes donnant sur un paysage avec des prairies et un château à l’arrière-fond, le Goût et le Toucher sont situés dans un espace ouvert sur le côté (terrasse, pièce d’entrée sans porte donnant directement sur l’extérieur), l’Odorat, assis au milieu d’un jardin richement fleuri, se délecte du parfum d’un bouquet que lui tend un putto. Le caractère hybride des lieux exposés, des intérieurs communiquant directement avec l’extérieur, renvoie aux deux modalités picturales que Brueghel et Rubens ont essayé de combiner : la modalité universalisante de l’allégorie sensorielle et la modalité individualisante du cabinet d’amateur en tant que signe d’une cour royale prestigieuse.
12L’historien de l’art Müller Hofstede a avancé que la Vue portant une tiare, sur le panneau qui lui est consacré (fig. 1), est personnifiée par Junon, la déesse des déesses, dans le rôle de Juno Optica, la donatrice de la lumière et la protectrice de l’œil (et par conséquent de la peinture). Le paon et l’aigle, ses animaux-attributs, l’accompagnent. Cependant d’autres critiques d’art, parmi lesquels Ertz, sont convaincus qu’il s’agit de Vénus, en raison de la présence du putto ailé qui l’assiste, qu’ils interprètent comme étant Cupidon. De plus, ils renvoient au tableau affiché au-dessus de la tête de la Vue, qui représente Vénus et Psyché d’après un tableau du Titien [19]. De toute façon, que la vue soit personnifiée ou non par un personnage connu de la mythologie, la tiare royale et l’éblouissante collection d’œuvres d’art et d’instruments scientifiques que présente le panneau en question, achevé le premier de la série, indiquent que les artistes ont voulu accentuer la supériorité du sens visuel et par conséquent de l’art pictural.
13Il ne fait aucun doute que la belle qui embrasse ou plutôt essaie d’embrasser un putto ailé armé d’un carquois rempli de flèches, dans le tableau du Toucher, représente le couple Vénus et Cupidon (fig. 4). La réticence visible de ce dernier évoque la réconciliation de la déesse et de son fils (ils échangent le baiser de paix), un motif favori de l’humanisme renaissant qui combine souvent mythologie et morale chrétienne [20]. Le couple est entouré, entre autres, d’un faucon saisissant sa proie, de deux scorpions, d’une fourmi et d’une tortue, qui évoquent, ensemble avec l’amoncellement d’armes et d’instruments de guerre, des associations de sensations tactiles douloureuses ou délicates [21]. Sur l’arrière-fond se profile une espèce de forge de Vulcain, un motif cher à Brueghel [22]. Un peu plus loin, un homme est en train de frapper un âne qui a succombé sous un grand fardeau. Il est clair que nous avons affaire au sens le plus agressif. Le singe accroupi près d’un tableau posé à même le sol, qui représente une scène de martyre, n’est pas relié à l’allégorie du toucher, mais fait partie, de même que ses confrères dans le tableau de la Vue, nous le verrons, du répertoire pictural du cabinet d’amateur.
14En revanche le singe en train de grignoter quelque chose sur un dossier de chaise, dans le tableau du Goût (fig. 3), fonctionne bel et bien comme animal-attribut de la dame alléchante qui lui tourne le dos [23]. Servie par un satyre ricanant en train de lui verser du vin, dame Goût profite des mets succulents rangés sur la table. Sur l’avant-scène, des poissons, des crustacés, du gibier, de la volaille et des fruits s’empilent pêle-mêle. Il s’agit du tableau de la bonne chère, étalant un festin pour les yeux et le palais, le tableau le plus exubérant de la série où éclatent la sensualité et la joie de vivre, tableau exempt, de même que celui de l’Odorat, du moralisme plus prononcé des trois autres panneaux, tel celui du sens tactile qui expose des sources de conflits et de douleur.
15L’Ouïe est personnifiée par une femme en train de chanter qui s’accompagne au luth (fig. 2). À ses pieds se trouve un putto chantant, tenant une partition. Il lève les yeux vers la chanteuse. Deux passereaux sur un tabouret prennent également part au concert. D’autres oiseaux, parmi lesquels deux couples de perroquets et un cacatoès, écoutent attentivement. L’Ouïe est la seule parmi les cinq femmes à communiquer directement avec le spectateur. Tandis que les autres sont absorbées par leur activité respective, l’Ouïe, tout en continuant à chanter et à jouer, a tourné la tête vers le spectateur et lui jette un regard complice, doublé du regard fixe du chevreuil à côté, son animalattribut [24] et de deux perroquets représentés de face. Puisque l’audition, surtout lorsqu’il s’agit de musique vocale, est la plus communicative des activités sensorielles, l’Ouïe nous invite à nous laisser séduire par le spectacle qui se déroule sous nos yeux. Notre regard se promène non seulement sur l’intérieur exposant une collection impressionnante d’instruments de musique et d’horloges, mais encore, à travers la grande baie ouverte à trois arcades, sur les gazons ondulants du parc archiducal où a lieu une chasse au cerf et sur le château d’été de Mariemont. L’intérieur fastueux et le vaste terrain avec château à l’arrière-plan témoignent de la magnificence de la cour.
16L’Odorat, lui, a été situé à l’extérieur, au milieu d’un jardin en fleur (fig. 5). En tant que personnification sensorielle la plus proche de la nature, elle est entièrement nue [25]. Elle porte une couronne de fleurs et tient une couronne semblable dans la main gauche – il s’agit donc très probablement de Flore, épouse de Zéphyr [26]. Elle renifle l’odeur de deux œillets (symboles de l’amour) qu’elle tient dans la main droite et sourit d’un air rêveur à un putto badin qui lui tend un gros bouquet de fleurs odorantes (parmi lesquelles des lys), tout en cachant derrière le dos quelques branches de fleurs (des myosotis ?) qu’il tient dans la main gauche. À ses pieds se trouvent un bouquet de roses et deux branches de muguet, plante herbacée également très odoriférante. Derrière Flore, un chien curieux, animal-attribut olfactif, surveille la scène, guetté par une mouffette, célèbre par ses liquides qui dégagent une odeur pénétrante. Tout près, deux cochons d’Inde grignotent des gousses (le cochon d’Inde est fameux pour son odorat très développé), épiés par un écureuil jaloux, prêt à leur voler les graines. Somme toute, l’aménagement idyllique du tableau évoque, lui aussi, des idées de bien-être naturel et de beauté permanents [27]. Mélangeant la nature sauvage et la nature cultivée, des animaux et plantes empruntés à la tradition picturale de l’allégorie des cinq sens et au répertoire des deux peintres, ces derniers ont voulu évoquer une cour stable et prospère, où l’art, la science et Mère nature se font concurrence.
17L’attitude de l’Odorat, bien que plus détendue, ressemble à celle de la Vue. La correspondance entre ces deux poses et entre celles des putti respectifs dont l’un présente un tableau tandis que l’autre offre un bouquet, des actions qui toutes les deux incitent les destinataires à la réflexion, suggèrent un rapport de symétrie entre les deux panneaux : il est probable que les peintres considéraient le tableau de l’Odorat comme la conclusion de la série dont le tableau de la Vue formait la clé de voûte [28]. Cet ordre de la série, à notre avis, est également corroboré par la position des deux personnifications : respectivement sur le devant à gauche et tournée vers la droite, la position de départ de la lecture dans la civilisation occidentale, et sur le devant à droite, tournée vers la gauche.
Le cabinet d’amateur
18En plaçant les Sens et leurs attributs à l’intérieur de « chambres de merveilles » ou bien au milieu d’un locus amoenus décoré de merveilles naturelles et artificielles, Brueghel et Rubens ont intégré le genre traditionnel de l’allégorie des cinq sens dans un autre genre pictural assez récent : celui du tableau du cabinet d’amateur. Le cabinet d’amateur désigne une collection privée d’objets précieux d’un « amateur » (dans le sens courant, au xviie siècle, de « connaisseur »), en général un aristocrate ou un bourgeois haut placé. Ces collections remontent aux chambres de merveilles (« Raritätenkabinette » et « Wunderkammern ») que l’on trouve auprès des cours royales et impériales de l’Europe Centrale et du Nord aux xve et xvie siècles. Les cabinets d’amateur de la Renaissance consistaient en naturalia (par exemple des perles, des cristaux de roche, des coquilles variées, des œufs d’autruche, des dents de baleine), et artificialia (entre autres des œuvres d’art, des instruments en rapport avec les sept arts libéraux, des armes, des pièces de monnaie [29]). La collection était censée représenter l’histoire de la civilisation occidentale et ses fondements, l’Antiquité et la tradition judéo-chrétienne. La chambre de merveilles était donc une espèce de microcosme qui témoignait de la curiositas universelle du propriétaire et, par-là, était une marque de considération intellectuelle et de pouvoir politique [30].
19Au début du xviie siècle, le genre pictural du cabinet d’amateur se développe à Anvers, sous l’influence du prestige grandissant dont jouit la peinture dans cette ville, à l’époque le centre bancaire et artistique le plus important de l’Europe du Nord. D’après l’historiographe italien Lodovico Guicciardini, qui depuis 1542 jusqu’à sa mort en 1589 résidait dans la ville, elle comprenait alors deux fois plus d’artistes (300) que de boulangers [31]. Les artistes s’étaient réunis dans des guildes qui exerçaient un pouvoir politique et commercial considérable. Ainsi Rubens et Brueghel faisaient partie de la guilde de Saint-Luc, une des confréries artistiques les plus importantes d’Anvers, dont Brueghel fut nommé doyen en 1602.
20Les historiens de l’art ont avancé l’hypothèse selon laquelle le développement du genre pictural du cabinet d’amateur à Anvers serait dû au besoin de promouvoir la peinture et la fonction moralisatrice de celle-ci dans un contexte domestique privé [32]. Le peintre anversois Frans Francken II fut l’un des premiers à pratiquer ce genre. Francken s’est sans aucun doute inspiré de gravures contemporaines avec des tableaux-dans-le-tableau moralisateurs, tels les intérieurs d’Abel Grimmer, les dessins de Maerten de Vos, et les Emblemata Horatiana (1607) d’Otto van Veen. Tous les trois étaient des peintres anversois ; en outre Otto van Veen était peintre de cour d’Albert et Isabelle et maître de Rubens. Dans ses premiers cabinets d’amateur qui datent des années 1612-1614, Francken a représenté des intérieurs avec des tableaux et statuettes exposés de front que des amateurs sont en train d’évaluer. Représentant des sujets bibliques et mythologiques, les tableaux-dans-le-tableau chez Francken expriment l’antithèse de la pietas chrétienne et de la vanité païenne. Par analogie avec la subscriptio de l’emblème, ils fonctionnent donc comme explication du tableau-cadre. Sur un de ses cabinets d’amateur, Francken a représenté des ânes munis de bâtons et de torches qui, dans le vestibule donnant sur la chambre des merveilles, sont en train de démolir une collection d’œuvres d’art, référence aux bandes de réformés iconoclastes qui, à l’époque, ravagèrent les églises catholiques des Pays-Bas espagnols [33]. Les premiers cabinets d’amateur ne représentent donc pas des collections existantes. Il s’agit d’allégories emblématiques qui présentent des leçons moralisatrices in bono et in malo. Il n’empêche que les œuvres d’art et autres objets précieux exposés, serrés les uns contre les autres, éblouissent en même temps le spectateur par leurs formes et couleurs, d’autant plus que leur format réduit n’invite pas à une lecture de près. La leçon de morale qu’ils sont censés transmettre échappe donc souvent à l’attention des spectateurs.
21En aménageant les scènes des cinq sens dans le cadre de cabinets d’amateur, Brueghel et Rubens ont sublimé la leçon de morale, généralement attachée à l’allégorie sensorielle, moyennant un contexte esthétique. L’Allégorie de la vue est révélatrice à cet égard. Il s’agit du tableau le plus étoffé de la série, signe de l’importance de la vue et de l’excellence de l’art pictural. Il nous présente un opulent cabinet d’amateur avec une galerie annexe, regorgeant de sculptures, de bustes, de peintures, de tapisseries, de meubles décorés, d’objets précieux, de manuscrits et d’instruments optiques tous en rapport avec la Vue et en même temps avec les sept arts libéraux. Non seulement le panneau de la Vue, mais aussi toute la série constituent un plaidoyer pour l’intégration de la peinture dans les arts libéraux, une question qui avait été abordée un siècle plus tôt déjà par Léonard de Vinci [34]. Objets et œuvres d’art ont été placés ou entassés sans ordre apparent dans l’espace. Les tableaux-dans-le-tableau représentent des genres picturaux divers, tels le portrait sacré (« La Vierge à l’Enfant »), le portrait profane (le portrait équestre, le portrait de couple), la marine, la nature morte (où les fruits et fleurs peints font concurrence aux fleurs et fruits « nature » parsemés dans la salle), la bacchanale, le tableau de chasse, et le tableau historique. Trois chiens, un perroquet, un panier avec des coquillages et un grand vase de fleurs (que l’on retrouve dans le panneau de l’Odorat) créent une atmosphère intime. Dans le parc, de l’autre côté de la baie à gauche, un couple de paons est posé sur une muraille basse qui côtoie un jet d’eau ; au loin on distingue quelques personnages à cheval et une petite compagnie richement vêtue qui est en train de prendre l’air avec deux chiens à peine visibles.
22La Vue, assise sur un tabouret, est plongée dans la contemplation d’une peinture posée sur la table, maintenue de la main droite par un putto, son assistant. Le tableau, qui remplace l’attribut traditionnel de la Vue, le miroir, représente la guérison d’un aveugle par le Christ [35]. Il fait contraste avec « La chute des aveugles », le tableau posé un peu plus loin sous une planche avec des bustes d’empereurs romains (position qui n’est pas exempte d’ironie, il est vrai). La Vue dédaigne les manuscrits et livres anciens ainsi que les instruments optiques – entre autres une loupe, un télescope (découverte récente), un globe, un compas – déposés sur la table ou jonchant le sol. Elle n’a d’yeux que pour la peinture en face. Rubens l’a figurée dans la pose de la Mélancolie de Dürer. Cette attitude significative, la tête reposant dans la main gauche (attitude réflexive doublée par le putto), la main droite aux doigts écartés désignant le tableau, en signe d’émotion vive, connote le discernement d’une vérité spirituelle [36]. L’œil est l’organe indispensable non seulement pour connaître le monde, mais aussi pour nous initier aux vérités révélées. Il confère en même temps son titre de noblesse à la peinture. La Vue plongée dans ses réflexions est imitée par le singe à lunettes à ses pieds qui fixe son regard sur un tableau représentant un paysage marin. Animal imitateur par excellence, le singe figure souvent dans les cabinets de peintures en tant que pendant ironique aussi bien du peintre que de l’amateur et du marchand de tableaux. Ici l’ironie est d’autant plus manifeste que le singe regarde d’un air stupide une marine qui à l’époque occupait le niveau le plus bas de la hiérarchie des genres picturaux [37] ; en outre son compagnon niais, qui apparaît de derrière le même tableau joue avec un télescope qui traîne sur le sol.
23Dans le sillage des cabinets d’amateur de Frans Francken II, la leçon moralisatrice a été conférée aux tableaux-dans-le-tableau, ici et sur les autres panneaux de la série. Ils représentent des exemples édifiants in bono et in malo, dévotion et joie de vivre, guerre sainte et guerre profane, martyre et assassinat. Les sujets représentés se rapportent au sens en question. Dans l’esprit éclectique de la Renaissance, des sujets empruntés aussi bien à la mythologie et à la vie quotidienne qu’à la Bible servent d’exempla moralisateurs. Ainsi, sur L’Allégorie de la vue, un « Silène ivre » et une « Nature morte avec panier de raisins » côtoient une « Vierge à la guirlande » et un « Daniel dans la fosse aux lions ». Sur la paroi centrale une « Chasse au tigre, au lion et au guépard » voisine avec « Vénus et Psyché » [38]. Sur L’Allégorie de l’ouïe une « Annonciation » et une « Annonce aux bergers » cohabitent avec un « Concert des muses » et avec un « Concert d’Orphée ». Sur L’Allégorie du goût, des « Noces de Cana » frôlent une « Cuisine grasse » à la Pierre Brueghel l’Ancien. Sur L’Allégorie du toucher une tapisserie de chasse représentant un cerf agonisant fait écho à plusieurs scènes bibliques de martyre et d’apocalypse.
24Les tableaux et tapisseries qui représentent des scènes bibliques attestent que l’archiduc Albert est un catholique pratiquant. Ainsi la « Vierge à la guirlande », un tableau hors échelle qui occupe une place prééminente sur l’avant-scène de L’Allégorie de la vue, l’honore en tant que défenseur de la pietas mariana, fidèle à la Contre-Réforme [39]. En fait, les richesses étalées remplissent une fonction moralisatrice, tout en constituant en même temps un festin pour les yeux. Ainsi, dans L’Allégorie de l’ouïe, les horloges exposées sur la partie droite du panneau, tout en se référant à la riche collection de l’archiduc, avertissent en même temps de la fuite du temps. De même les instruments de musique et les partitions affichées sur la partie gauche rappellent le rôle central de la parole divine à la cour où la chapelle musicale accompagne quotidiennement les offices religieux qui y sont célébrés. En outre les deux partitions avec des motets d’un compositeur inconnu, Beati qui audiunt (« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu », Luc 11 : 28) et Auditui meo, composé à partir du psaume 51, psaume de contrition (« Annonce-moi l’allégresse et la joie, et les os que tu as brisés se réjouiront »), exhortent le spectateur à la dévotion et prêchent en même temps la joie de vivre [40]. Il s’avère donc que les tableaux-dans-le-tableau et la collection d’objets d’art représentent les deux pierres angulaires du mécénat d’Albert et Isabelle, la pietas mariana et la repraesentatio politique et culturelle.
L’hybridation de l’espace pictural
25L’imbrication de deux genres picturaux, l’allégorie des sens et le cabinet d’amateur, explique le cadre architectural fantaisiste qui endigue objets, œuvres d’art, naturalia et personnifications. Il s’agit à la fois d’intérieurs privés et d’espaces ouverts sur l’extérieur. Les intérieurs débouchent abruptement dans l’extérieur, ou bien intérieur et extérieur s’interpénètrent ; témoin L’Allégorie du goût où la frondaison des arbres et les piliers de la terrasse à baie ouverte forment un tout hybride. Même L’Allégorie de l’odorat, située en plein air, présente une juxtaposition analogue d’espace clos et ouvert : le jardin sur l’avant-scène, où l’Odorat se délecte du parfum des fleurs, forme une espèce d’hortus conclusus séparé du parc au fond par une fontaine, des plantes et des fleurs en pots, par l’entrée d’une parfumerie, un portail dans le fond au loin et la façade d’une grotte artificielle. Les intérieurs et le jardin ont été mis en perspective par des paysages et corridors en point de fuite. Les peintres ont donc mis en parallèle les œuvres de la nature et celles de l’homme. Tel le corps humain qui grâce aux cinq sens est capable de maîtriser le monde, la cour archiducale est présentée comme un microcosme qui ouvre sur le macrocosme de l’univers.
26Le caractère hybride de l’espace accentue la fonction emblématique des scènes. Nous avons affaire tout d’abord à des lieux d’exposition. Les personnifications sur le devant, les objets et animaux qui les entourent et les comparses à l’arrière-fond figurent le fonctionnement du sens en question. La répartition des personnages et attributs dans les panneaux répond donc à un régime additionnel et non pas à un ordre narratif quelconque. L’allégorie appartient au domaine public. En première instance les personnages, animaux et objets qui peuplent les salles, illustrent une idée, ils ne participent pas à une action en train de se dérouler. Le style proliférant à la base de la série est particulièrement clair dans L’Allégorie du goût et dans L’Allégorie du toucher où, respectivement, les victuailles et les armes s’entassent sur l’avant-scène sans ordre apparent. En dépit de la mise en perspective illusionniste de l’espace pictural, les peintres sont partis de l’ordre de la surface plane qui est caractéristique de l’allégorie picturale. En trichant avec les dimensions perspectives des corps et objets et des espaces interstitiels, ils ont mis en relation les personnages, objets et attributs, qu’ils soient situés directement dans l’espace ou qu’ils fassent partie des tableaux-dans-le-tableau, telles les composantes d’un collage. Ainsi, nous l’avons dit, le tableau de la « Guérison d’un aveugle par le Christ », que la Vue est en train de contempler, est directement relié à la « Chute des aveugles » qui a été placée en ligne diagonale avec le premier.
27Cependant les intérieurs et alentours représentés superposent en même temps un régime narratif, dynamique et illusionniste au régime statique et généralisateur de l’allégorie. Les peintres ont voulu esquisser un portrait idéalisé de la vie quotidienne à la cour archiducale. Les salles et galeries où, en arrière-fond, le personnel s’occupe de travaux et divertissements quotidiens – un serviteur en train de cuisiner, un forgeron maniant un fer à souder sur l’enclume, deux femmes cueillant des roses, un groupe de personnes en train de faire de la musique – respirent un air domestique et familier. S’y ajoutent les groupes de personnages se divertissant dans le parc. Même les animaux-attributs ont l’air d’animaux domestiques ou domestiqués : le chien, les cochons d’Inde et la mouffette sur L’Allégorie de l’odorat, le paon sur L’Allégorie de la vue, le singe sur L’Allégorie du goût et sur L’Allégorie du toucher, les oiseaux guettés par le chat et même le chevreuil fixant le spectateur, bien que complètement dépaysé à l’intérieur de la salle fastueuse, sur L’Allégorie de l’ouïe, semblent faire partie intégrante de l’entourage archiducal en tant qu’animaux de compagnie [41].
28De plus, les rideaux qui décorent les salles contribuent eux aussi à privatiser les scènes. Suivant une tradition picturale bien établie à l’époque de Brueghel et Rubens, les rideaux écartés transforment les intérieurs en des lieux de spectacle [42]. Cette théâtralisation (et donc narrativisation) des lieux se manifeste aussi à travers la figuration des Sens. Contrairement à la tradition allégorique qui, d’ordinaire, situe les personnifications dans un no man’s land généralisé, les Sens se trouvent à l’intérieur, l’Odorat excepté, dans des salles qui respirent la magnificence de la cour archiducale. En outre, ils ne sont pas en train de poser, mais ils sont absorbés par leurs activités sensorielles respectives [43].
29Cependant le caractère hybride des lieux, débordant vers l’extérieur et vers l’intérieur, la nudité des personnifications et l’hétérogénéité des naturalia exhibés (le gibier empilé dans L’Allégorie du goût comporte des animaux qui sont chassés pendant des périodes diverses de l’année, pareillement les plantes représentées sur L’Allégorie de l’odorat ont des périodes de floraison différentes [44]) connotent l’allégorie : il est parfaitement clair que nous avons affaire à un aperçu idéalisé d’une cour royale, non pas à une série d’instantanés. Néanmoins l’individualisation de la peinture, à l’œuvre depuis l’époque de la Renaissance, a aussi marqué la présente série de son empreinte. Le portrait allégorique fait place à la scène d’intérieur, le tableau de la collection d’art privée se substitue à la chambre de merveilles. Les Allégories des cinq sens de Brueghel et Rubens constituent la première représentation, bien qu’idéalisée, d’une collection d’art privée [45]. Le spectateur se laisse facilement éblouir par les merveilles qui se présentent à ses yeux ; il regarde, il ne lit ni ne déchiffre plus.
Des festins pour les yeux : vers une nouvelle valorisation de la peinture
30Conformes au genre du cabinet d’amateur, les tableaux-dans-le-tableau dans la série de Brueghel et Rubens, nous l’avons vu, remplissent une fonction moralisatrice de premier ordre. Cependant, la contextualisation des collections d’art et des Sens témoigne en même temps de la volonté des deux peintres de rehausser le prestige de la peinture. Celle-ci ne nous enseigne pas seulement la morale chrétienne, mais est aussi un témoignage d’aisance ainsi qu’une source de connaissance et de jouissance esthétique. Cette tension entre l’utile et le dulci de la peinture, qui se manifeste plus spécifiquement dans les premiers cabinets d’amateur anversois, est accentuée ici par la façon dont les peintres ont aménagé et étoffé l’espace pictural. Les salles représentées sur quatre des cinq panneaux grouillent d’objets qui ont été affichés et déposés dans tous les coins et recoins. Bien qu’ils occupent une position prééminente sur la toile, les Sens sont quelque peu amenuisés par ces flots d’objets qui inondent l’espace [46]. Pour suggérer l’abondance, les peintres ont pris le soin de représenter partiellement la plupart des tableaux-dans-le-tableau ; parfois ceux-ci dépassent même le cadre des panneaux. En outre la majeure partie des tableaux-dans-le-tableau, nous l’avons dit, se réfère à des peintures ou des genres picturaux existants, de la main de Rubens ou de Brueghel, ou bien de peintres avec lesquels ils ont collaboré. De plus, le format hors échelle et la position bien en vue des tableaux en miniature indiquent que les deux peintres ont, sans aucun doute, voulu faire de la publicité pour leur art. Les « merveilles » exposées évoquent le bien-être, l’abondance et la soif de connaissance du collectionneur Albert, tout en exaltant en même temps les talents des peintres et l’excellence du médium pictural.
31Dans ces salles débordant de richesses, la morale hédoniste semble l’emporter sur l’éthique chrétienne. Conforme aux idées fondatrices des chambres de merveilles de la Renaissance, la série des cinq sens de Rubens et Brueghel réunit l’art, la science, la nature et l’Histoire en un microcosme à l’échelle humaine qui résume l’ordre cosmique. L’ordre divin est mis au second rang au profit de l’art et de la science grâce auxquels l’homme est capable de connaître le monde et de le maîtriser [47]. Cette désacralisation du rôle de la peinture se manifeste nettement à travers le développement du cabinet d’amateur anversois. Au cours du xviie siècle, celui-ci se transforme en un cabinet de peintures privé où artistes, vendeurs et collectionneurs se rencontrent et débattent des prix – témoin par exemple les cabinets d’amateur de David Teniers le Jeune qui exhibent la collection de l’archiduc Léopold Guillaume. Ayant gagné en prestige, la peinture a acquis de la valeur marchande. Elle devient un objet d’échange et va prendre possession des intérieurs bourgeois et des lieux publics. Vers la fin du siècle, les premiers musées ouvrent leurs portes au public.
32La série des cinq sens de Brueghel et Rubens, sur fond de tradition emblématique, nous offre un portrait idéalisé en cinq volets de la cour archiducale d’Albert et Isabelle qu’ils présentent comme le centre artistique, politique et religieux du pays, un foyer florissant de culture, de science et de dévotion. Les peintres ont asservi l’allégorie sérielle des cinq sens à la fois aux intérêts politiques de la cour d’Espagne et à la promotion de leur propre art. Le microcosme parfait de l’homme a été plaqué sur le microcosme idéalisé de la cour, circonscrit à l’intérieur d’une splendide collection d’art. Il en résulte un curieux pastiche figuratif témoignant de l’émancipation de l’art pictural qui, depuis plus d’un siècle, est en train de s’accomplir dans la civilisation occidentale : de messager de la morale chrétienne, il évolue vers l’ars princeps étalant les merveilles de l’univers et soutenant les visées politiques des puissants.
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie de la vue
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie de la vue
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie de l’ouïe
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie de l’ouïe
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie du goût
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie du goût
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie du toucher
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie du toucher
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie de l’odorat
Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, Allégorie de l’odorat
Mots-clés éditeurs : Brueghel, allégorie sensorielle, cabinet d’amateur, Albert d’Autriche, Rubens
Mise en ligne 24/04/2017
https://doi.org/10.3917/rdn.416.0557Notes
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[*]
Else Jongeneel, University of Groningen, Faculty of Arts, Department of European Languages and Cultures (French), courriel : e.c.s.jongeneel@rug.nl.
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[1]
Voir C. Banz, Höfisches Mäzenatentum in Brüssel, Berlin, Mann, 2000, p. 90, 129-134.
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[2]
« Brueghel » dans la suite du présent article.
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[3]
Au départ le terme renvoie à une espèce de commode avec tiroirs, panneaux et volets, destinée à héberger des objets précieux (voir par exemple le cabinet sur L’Allégorie de la vue) ; il s’applique aussi à la chambre ou la salle d’exposition avec la collection et finalement au genre pictural représentant collection et espace d’exposition.
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[4]
Bien qu’ils aient souligné à l’unanimité le caractère novateur de la série, jusqu’ici les critiques d’art n’ont guère analysé plus à fond la composition « bi-modale » des panneaux. Pour une analyse critique de la série, voir surtout K. Ertz, Jan Brueghel der Ältere (1568-1625). Die Gemälde mit kritischem Œuvrekatalog, Köln, DuMont, 1979, p. 328-356 ; K. Ertz, Chr. Nitze-Ertz, Jan Brueghel der Ältere (1568-1625). Kritischer Katalog der Gemälde, Band III, Lingen, Luca Verlag, 2008-2010, p. 1108-1153 ; J. Müller Hofstede, « ‘Non Saturatur Oculus Visu’ – Zur « Allegorie des Gesichts » von Peter Paul Rubens und Jan Brueghel d. Ä », dans H. Vekeman, J. Müller Hofstede (éd.), Wort und Bild in der niederländischen Kunst und Literatur des 16. und 17. Jahrhunderts, Erftstadt, Lukassen, 1984, p. 243-289 ; B. Welzel, Der Hof als Kosmos sinnlicher Erfahrung. Der Fünfsinne-Zyklus von Jan Brueghel d. Ä und Peter Paul Rubens als Bild der erzherzoglichen Sammlungen Isabellas und Albrechts, Marburg [Habilitationsschrift], 1997 ; B. Welzel, « Sinnliche Erkenntnis, Wissenschaft und Bildtheorie. Der Fünf-Sinne V. Zyklus von Jan Brueghel d. Ä. und Peter Paul Rubens für das erzherzogliche Paar Albrecht und Isabella », dans Scientiae et artes. Die Vermittlung alten und neuen Wissens in Literatur, Kunst und Musik I, B. Mahlmann-Bauer (éd.), Wiesbaden, Harrassowitz in Kommission, 2004, p. 231-245.
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[5]
Les historiens de l’art diffèrent sur ce point. Voir K. Ertz, Chr. Nitze-Ertz, op. cit. (n. 4), p. 1109-1110.
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[6]
Très probablement il s’agit de Wolfgang Guillaume, duc de Pfalz-Neuburg. Voir J. Müller Hofstede, art.. cit. (n. 4), p. 243-244.
-
[7]
A. Van Suchtelen, « Jan Brueghel de Oude en Peter Paul Rubens, Allegorie op de Smaak », dans A.J. Woollett, A. van Suchtelen (éd.), Rubens & Brueghel. Een artistieke vriendschap, La Haye, Waanders, 2006, p. 96-98. Van Suchtelen renvoie entre autres à B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 229. J. Müller Hofstede, op. cit. (n. 4), p. 264-265, observe que l’échappée à droite avec œil de bœuf sur L’Allégorie de la vue représente une des trois galeries du palais de Coudenberg. Voir aussi M. de Maeyer, Albrecht en Isabella en de schilderkunst. Bijdrage tot de geschiedenis van de xviieeeuwse schilderkunst in de Zuidelijke Nederlanden, Bruxelles, Paleis der Academiën, 1955, p. 36, 44-45.
-
[8]
L’aigle fonctionne aussi comme animal-attribut de la Vue.
-
[9]
Ch. Brown, « Rubens and the Archdukes », dans W. Thomas et L. Duerloo (éd.), Albert & Isabella, 1598-1621 : Essays, Turnhout, Brepols, 1998, p. 123 ; K. Proesmans, « The Key Role of the Archducal Court in Spreading a New Musical Style in the Low Countries », dans Albert & Isabella, 1598-1621 : Essays, ibid., p. 129-135. Pour une description détaillée de la collection de peintures et ses avatars, voir surtout M. de Maeyer, op. cit. (n. 7), p. 33-58. La majeure partie des tableaux-dans-le-tableau qui figurent sur la série sont des copies en miniature de peintures existantes de Rubens ou de Brueghel, mais la plupart ne faisaient pas partie de la collection d’Albert. Sur l’enchâssement des tableaux et les sujets représentés, voir infra.
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[10]
Voir B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 269-270.
-
[11]
Voir B. Welzel, « Armony and Archducal Image : The Sense of Touch from the Five Senses of Jan Brueghel d. Ä und Peter Paul Rubens für das erzherzogliche Paar Albrecht und Isabella », dans B. Mahlmann-Bauer, op. cit. (n. 4), p. 99-106.
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[12]
Voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 48, 1985, p. 1-22, et C. Nordenfalk, « The Five Senses in Flemish Art before 1600 », dans G. Cavalli-Björkman éd., Netherlandish Mannerism. Papers given at a symposium in Nationalmuseum Stockholm, Stockholm, Nationalmuseum, 1985, p. 135-154. Notons qu’afin d’esquisser en grandes lignes la tradition figurative des cinq sens dont Brueghel et Rubens se sont inspirés, nous ne relevons ici que quelques développements de celle-ci, pour le reste assez riche. Pour un aperçu bien documenté de la tradition littéraire des cinq sens, voir L. Vinge, The Five Senses. Studies in a Literary Tradition, Lund, Gleerup, 1975.
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[13]
Observez bien x [les Dix Commandements] et fuyez vii [les sept péchés capitaux] / Maîtrisez bien v [les cinq sens] et montez au ciel, R. H. Robbins, Secular lyrics of the xivth and xvth centuries, Oxford, Clarendon Press, 1955, p. 80 no. 83, cité dans C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art » (n. 12), p. 4 (notre traduction).
-
[14]
C. Nordenfalk, Ibid., p. 1.
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[15]
Ibid., p. 1-2.
-
[16]
Ibid., p. 16-17.
-
[17]
Voir B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 309-310.
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[18]
Les sources principales étant les gravures des cinq sens du dessinateur allemand Georg Pencz (1541) et les dessins du peintre anversois Frans Floris (1561). Voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Flemish Art before 1000 » (n. 12), p. 135-139.
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[19]
K. Ertz et Chr. Nitze-Ertz, op. cit. (n. 4), p. 1108, 1124-1127. B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 129-130, met également en doute l’hypothèse de Müller Hofstede. Elle signale, entre autres, que les paons à l’arrière-plan font partie de la ménagerie royale (en effet on retrouve le même couple de paons dans les tableaux du Goût et de l’Odorat) et qu’une couronne semblable orne la tête d’une des trois Grâces dans un autre tableau de Rubens. Le couple Vénus-Cupidon personnifie le toucher sur le tableau correspondant de la série (et là les peintres ont bel et bien puisé dans la tradition mythologique) ; il est peu probable, à notre avis, que les peintres aient voulu conférer un double rôle à ce duo à l’intérieur de la série.
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[20]
Voir K. Ertz, op. cit. (n. 4), p. 349 ; G. de Tervarent, Attributs et symboles dans l’art profane. Dictionnaire d’un langage perdu (1450-1600), Genève, Droz, 1997, p. 37, et B. Welzel, art. cit. (n. 11).
-
[21]
« … la tortue est un attribut du Toucher en sa qualité d’animal rétractile, sensible au moindre attouchement », G. de Tervarent, op. cit. (n. 20), p. 445.
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[22]
Voir L’Allégorie du feu (1608), La Prophétie d’Isaïe (1609) et Retour de guerre : Mars désarmé par Vénus (1610).
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[23]
Le singe remplit des fonctions multiples dans la peinture de la Renaissance. Dans les représentations allégoriques des cinq sens, il se rencontre le plus souvent comme animal-attribut du Goût. Voir G. de Tervarent, op. cit. (n. 20), p. 409, et l’étude princeps de H. W. Janson, Apes and Ape hore in the Middle Ages and the Renaissance, London, University of London, Warburg Institute, 1952.
-
[24]
La personnification de l’Ouïe-luthiste remonte à la tradition de l’allégorie des cinq sens (voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art » (n. 12), p. 19-20). La tradition emblématique et les bestiaires mettent le cerf en rapport avec la musique qui, dit-on, le fascine tellement qu’il tombe facilement en proie aux chasseurs (G. de Tervarent, op. cit. (n. 20), p. 92).
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[25]
Par cette nudité aux dimensions étirées (par rapport à la tête), Rubens a accentué le rôle allégorique de la figure.
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[26]
Brueghel et Rubens ont également peint en collaboration un Flore et Zéphyr. Le tableau dont l’aménagement (architecture, fleurs, plantes, animaux) ressemble à bien des égards à L’Allégorie de l’odorat, fut terminé à peu près à la même époque (1617). Pour une description du tableau, voir A. Van Suchtelen, « Jan Brueghel de Oude en Peter Paul Rubens, Flora en Zephyrus », op. cit. (n. 7), p. 78-81.
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[27]
Notons encore que selon Ovide, Fasti 5, Flore fut placée dans un jardin éternellement printanier.
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[28]
En revanche, l’ordre des tableaux au musée du Prado, basé sur des numéros d’inventaire anciens, est Vue-Ouïe-Odorat-Goût-Toucher. En s’appuyant sur la structuration de l’espace pictural des tableaux et le positionnement des personnages et objets, K. Ertz (op. cit. (n. 4), p. 329-332), a proposé l’ordre séquentiel suivant : Vue-Toucher-Ouïe-Goût-Odorat.
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[29]
Dans les chambres de merveilles anciennes, on subdivisait les artificialia en mirabilia, exotica et scientifica. Voir G. Beßler, Wunderkammern. Weltmodelle von der Renaissance bis zur Kunst der Gegenwart, Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 2009, p. 32.
-
[30]
Z. Z. Filipczak, Picturing art in Antwerp, 1550-1700, Princeton, Princeton University Press, 1987, p. 51-56.
-
[31]
Description de tout le Pais-bas autrement dict la Germanie inferieure, Anvers, 1567, p, 168, cité par Z. Z. Filipczak, op. cit. (n. 30), p. 3.
-
[32]
Voir surtout J. Müller Hofstede, art. cit. (n. 4), p. 260-261.
-
[33]
Francken II, « Cabinet d’amateur avec des ânes iconoclastes », ca. 1612-1614, Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen (une autre version de ce tableau se trouve au Palais Barberini à Rome). La scène des ânes iconoclastes est aussi un motif récurrent dans les tableauxdans-le-tableau des cabinets d’amateur anversois ; voir par exemple « Les archiducs Albert et Isabelle en visite chez un collectionneur », par Adriaen van Stalbemt et Jean Brueghel l’Ancien, Baltimore, ca. 1616, Walters Art Gallery. Voir A. Scarpa Sonino, Cabinet d’amateur. Le grandi collezioni d’arte nei dipinti dal xvii al xix secolo, Milano, Berenice, 1992, p. 38, 41.
-
[34]
Voir L. da Vinci, Scritti scelti, Firenze, Giunti Barbèra, 2006, p. 182-222.
-
[35]
Il s’agit d’une référence à une gravure de la Vue par Maerten de Vos (ca. 1595), à l’arrière-plan de laquelle se trouve également une scène avec la guérison d’un aveugle par le Christ. Cf. J. Müller Hofstede, art. cit. (n. 4), p. 250.
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[36]
« Die Göttin wird durch die doppelte Gebärde nachdenklicher Vernunft und spontaner Emotion zur exemplarischen Modellfigur für einen Bildbetrachter, der die im Kunstwerk wirkenden Komponenten des ‘instruere et delectare’ an sich selbst verspürt und entsprechend beantwortet », J. Müller Hofstede, art. cit. (n. 4), p. 247.
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[37]
Ibid., p. 257.
-
[38]
« Silène ivre », « Daniel dans la fosse aux lions » et « La Chasse au tigre, au lion et au guépard » se réfèrent à des tableaux existants de Rubens ; « La Vierge à la guirlande » est de la main de Rubens et Brueghel. Pour une liste des tableaux-dans-le-tableau dans L’Allégorie de la vue et dans les autres panneaux de la série, se reporter à B. Welzel, op. cit. (n. 4), A. Scarpa Sonino, op. cit. (n. 33), p. 23-24, et à M. Díaz Padrón, El siglo de Rubens en el Museo del Prado. Catálogo razonado de pintura flamenca del siglo xvii, 2 vol., Barcelone, Editorial Prensa Ibérica, 1996.
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[39]
Voir C. Banz, op. cit. (n. 1), p. 80-147. Qu’Albert s’affichât volontiers comme l’apôtre de la Contre-Réforme s’explique surtout par son mandat politique quelque peu précaire : en 1599 il avait été nommé archiduc et régent des Flandres par Philippe II à condition d’y restaurer le catholicisme affaibli par le mouvement de la Réforme pendant la seconde moitié du xvie siècle. La mission de purger les Provinces-Unies de l’hérésie protestante était expressément formulée dans l’acte de cession de 1598, dans lequel Philippe II conféra la régence des Pays-Bas espagnols aux archiducs Albert et Isabelle. Notons encore qu’Albert était représentant du pape (il était cardinal avant d’être nommé gouverneur). Voir http://www.histoire-des-belges.be/au-fil-du-temps/temps-modernes/archiducs-albert-et-isabelle.
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[40]
Le site du musée du Prado offre un enregistrement numérique des deux madrigaux (http://www.museodelprado.es/en/the-collection/online-gallery/on-line-gallery/obra/hearing/).
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[41]
Effectivement la ménagerie de la cour archiducale comprenait des perroquets, un singe, des chiens et un chevreuil (voir A. Van Suchtelen, op. cit. (n. 7), p. 98). Notons que la mouffette peut aussi être apprivoisée. Sur la « domestication » des objets-emblèmes et animaux-attributs dans la peinture de dévotion de la Renaissance, voir M. Butor, Les mots dans la peinture, Genève, Skira, 1969, p. 60-61.
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[42]
« Le rideau est motif plastique dans un tableau et outil scénographique au théâtre. Le peintre peut le décliner à volonté, en l’éloignant ou en le rapprochant de sa vocation domestique initiale, constamment sur fond de théâtralisation des conduites […]. Le rideau […] définit aussi une structure d’appel. Une fois ouvert et la scène dégagée, le rideau captive l’œil, l’attire, l’invite, en lui intimant le désir d’explorer l’image, d’accueillir ce qu’elle offre comme de s’interroger sur ce qu’elle cache », G. Banu, Le Rideau ou la fêlure du monde, Paris, A. Biro, 1997, p. 13.
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[43]
Georg Pencz fut l’un des premiers artistes à situer les Sens dans un cadre domestique. Voir C. Nordenfalk, « The Five Senses in Late Medieval and Renaissance Art » (n. 12), p. 19.
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[44]
A. Van Suchtelen, op. cit. (n. 7), p. 98.
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[45]
Voir B. Welzel, op. cit. (n. 4), p. 118-119.
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[46]
Il semble que Brueghel se soit inspiré de son père qui souvent a minimisé le thème central de ses tableaux en un détail insignifiant et l’a situé dans un endroit insolite de la toile, submergé par une masse de personnages et d’objets. Voir par exemple La Chute d’Icare (1558), Le Recensement à Bethléem (1566), et La Prédication de saint Jean-Baptiste (1566).
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[47]
Voir aussi K. Minges, Das Sammlungswesen der frühen Neuzeit. Kriterien der Ordnung und Spezialisierung, Museen – Geschichte und Gegenwart, vol. 3, Münster, LIT Verlag, 1998.