Notes
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[*]
Jean-Pierre Jessenne, professeur émérite d’Histoire moderne, Lille, IRHiS, 11, rue de la Paix, 62000 Arras.
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[1]
G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, [1924], Paris, A. Colin, 1972.
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[2]
Départements de l’Aisne, du Nord, du Pas-de-Calais, de l’Oise, de Seine-Inférieure et de la Somme. Sur l’importance des différenciations agro-rurales, voir J.-P. Jessenne, Les campagnes françaises entre mythe et histoire, Paris, A. Colin, 2006 et Revue du Nord, t. 90, « Pour une histoire décloisonnée des campagnes septentrionales », septembre 2008. Une application significative au département de l’Aisne : L. Brassart, Gouverner le local en Révolution, État, Pouvoirs et mouvements collectifs dans l’Aisne (1790-1795), Paris, SER, 2013, p. 97.
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[3]
Voir notamment G. Béaur, Histoire agraire de la France au xviiie siècle, Paris, SEDES, 2000 ; A. Bourde, Agronomie et Agronomes français au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 3 t., 1967 ; N. Vivier, Propriété collective et identité communale, les biens communaux en France, 1750-1914, Paris, PUS, 1998 ; G. Weulersse, La physiocratie à l’aube de la Révolution, 1781-1792, Paris, 1985.
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[4]
Les travaux récents ont beaucoup relativisé la supériorité de ce prétendu modèle, notamment la validité de l’intensification observée en certaines régions comme le Norfolk pour l’ensemble de la Grande-Bretagne ; voir par exemple notre contribution « Histoires comparées et échelles territoriales de l’analyse rurale », dans N. Vivier (dir.), Ruralité française et britannique, Approches comparées, Rennes, PUR, 2005, p. 15-43.
-
[5]
Voir l’étude du phénomène par Cl. Bruneel, L’hostilité à l’égard des grandes fermes, un aspect du populationnisme dans les Pays-Bas autrichiens, Louvain-la-Neuve, Centre belge d’histoire rurale, 1990.
-
[6]
En 1783, Joseph II décréta la suppression de 163 couvents contemplatifs et la gestion de leurs biens, notamment fonciers, par la Caisse de Religion.
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[7]
Sur ces conceptions des droits et de la propriété, P. Sagnac, La Législation civile de la Révolution française (1898), reéd. Genève, Megariotis, 1979, notamment chapitre II.
-
[8]
Mémoire imprimé à Abbeville chez De Vérité et à Paris chez Panckoucke en 1765 ; Archives municipales Hesdin, 2677.
-
[9]
Sur ces réseaux, leur intensité et leurs limites, A. Bourde, op. cit. ; D. Roche, Le siècle des Lumières en Province, Académies et académiciens provinciaux, Paris, Mouton, 1978 ; pour la Picardie, G.-R. Ikni, Crise agraire et Révolution paysanne, le mouvement populaire dans les campagnes de l’Oise de la décennie physiocratique à l’an II, Thèse, Université de Paris I, dir. M. Vovelle, 1993, t. 2, chapitre 4.
-
[10]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 2, p. 47.
-
[11]
AN, Q1 892-893. Enquête de l’intendant Esmangart sur le partage des communaux en Artois ; une étude essentielle sur la question : J.-M. Sallmann, La question des biens communaux en Artois à la fin de l’Ancien Régime, Thèse École des chartes, 1974.
-
[12]
An, H1/1486.
-
[13]
P. L. J. Delegorgue, Est-il utile en Artois de diviser les fermes et exploitations des terres, et dans le cas de l’affirmative, quelles bornes doit-on garder dans cette division ? Ouvrage qui a remporté le prix à l’Académie d’Arras, publié en 1786, 28 p.
-
[14]
Mémoire pour les habitants corps et communautés des villages de Brimeux, Lépinoy, Beaurainville … Auchy la plupart situés dans le bailliage d’Hesdin contre les États d’Artois (AM Hesdin, 9787). J’ai donné une version longue de ce texte dans B. Béthouart (dir.), Histoire d’Hesdin, Arras, Les Échos du Pas-de-Calais, 2013, p. 181-182.
-
[15]
Les monographies convergent sur ce point par exemple : Fl. Gauthier, La voie paysanne dans la Révolution française. L’exemple picard, Paris, Maspero, 1977 ; G.-R. Ikni, op. cit., 1993 ; G. Lefebvre, op. cit., [1924], 1972 ; J.-M. Sallmann, op. cit., 1974. On trouve de nombreuses études de communautés artésiennes dans les mémoires de maîtrise ou DEA sous la direction de Pierre Deyon et Alain Lottin ; on en trouvera une liste et une synthèse dans J.-P. Jessenne, « L’histoire rurale de la France du Nord de la fin du Moyen Âge au milieu du xxe siècle », Revue du Nord, t. 90, op. cit., 2008, p. 303-351, en particulier bibliographie.
-
[16]
Viennent ensuite corvées et banalités. Enquête publiée dans L. N. Berthe et alii (éd.), Villes et villages du Pas-de-Calais en 1790, Arras, 3 t., 1990-1992. François Wartelle a étudié les litiges anti-seigneuriaux : « Les communautés rurales du Pas-de-Calais et le système féodal en 1789-1790 », Cahiers de l’IRM, 1987.
-
[17]
J. Nicolas, La rébellion française, Paris, Seuil, 2002, notamment chapitre VI ; A. Antoine, Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle. Étude de la seigneurie et de la vie rurale dans une province de l’Ouest au dernier siècle de l’Ancien Régime, Mayenne, 1994.
-
[18]
À l’échelle française, John Markoff a compté que 50 % des paroisses revendiquent contre les taxes seigneuriales, 42 % contre les privilèges comme la chasse, 38 % contre les banalités (The Abolition of feudalism : Peasants, lords and legislators in the French Revolution, University Press of Pennsylvania, 1996, p. 40-43). Dans le district de Neufchâtel-en-Bray sur 91 cahiers, près de 70 comportent des revendications anti-seigneuriales avec en tête les banalités (P. Goujard, L’abolition de la féodalité dans le Pays de Bray, Paris, Bibliothèque Nationale, 1979, p. 65).
-
[19]
Cité par J. Dupâquier, Ainsi commença la Révolution. Les cahiers de doléances du bailliage de Pontoise, Pontoise, 1990, p. 29.
-
[20]
Par exemple à Songeons, un article ajouté à la fin précise : « La paroisse se trouve affaiblie d’année en année, le seigneur achetant les meilleurs biens de la paroisse », cité par G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 28 et n. 123.
-
[21]
Ibid., n. 127, p. 109.
-
[22]
P. Marchand, Florilège des cahiers de doléances du Nord, Lille, CHREN-O, 1989 ; J.-P. Jessenne, D. Rosselle, Florilège des cahiers de doléances du Pas-de-Calais, Lille, CHREN-O, 1989.
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[23]
Cité par P. Marchand, op. cit., p. 117.
-
[24]
P. Goujard, op. cit., 1979, p. 68.
-
[25]
Données établies par J. Dupâquier, op. cit., 1990.
-
[26]
Cité par P. Marchand, op. cit., 1989, p. 185.
-
[27]
G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 356-358.
-
[28]
G. Lefebvre, La Grande Peur de 1789, [1932], Paris, A. Colin, 2014 ; Cl. Ramsay, The Ideology of the Great Fear. The Soissonnais in 1789, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1992 (pour l’Aisne surtout) ; pour le nord de la Picardie et l ‘Artois, voir l’étude de L.-N. Berthe, Dubois de Fosseux, secrétaire de l’Académie d’Arras et son bureau de correspondance, Arras, 1969, p. 323-385 et carte p. 352.
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[29]
J.-P. Jessenne, E. Lemay (éd.), Député-paysan et fermière de Flandre en 1789, la correspondance des Lepoutre, Lille, CHREN-O, 1998, lettre de Versailles le 5 août 1789, p. 74-75.
-
[30]
AD Seine-Maritime, 205 BP 65.
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[31]
Cité par G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 252.
-
[32]
AN, DXXIX 29, Cambrai notamment étudié par A. Côme, Paysans et villageois du Nord, face aux événements et aux politiques révolutionnaires, Mémoire de master II, Lille 3, dir. J.-P. Jessenne, 2006, p. 52.
-
[33]
J. Bernet (éd.), Le journal d’un maître d’école d’Ile-de-France, Lille, PUS, 2000, p. 199 et sqq.
-
[34]
Nous renvoyons à plusieurs études, notamment à M. Edelstein, La Révolution française et la naissance de la démocratie électorale, Rennes, PUR, 2014, chapitre 3 et pour le Nord-Pas-de-Calais, J.-P. Jessenne, « De la citoyenneté proclamée à la citoyenneté appliquée : l’exercice du droit de vote dans le district d’Arras en 1790 », Revue du Nord, t. LXXII, N° 288, octobre-décembre 1990, p. 789-839 ; Id., « La mise en place des administrations locales dans le Pas-de-Calais en 1790 : adhésions et conflits », dans R. Dupuy (dir.), Pouvoir local et Révolution, la frontière intérieure, Rennes, PUR, 1995, p. 169-192.
-
[35]
Pour le Nord, le clergé contrôlait en moyenne quelque 20 % des terres agricoles avec cependant des nuances territoriales déjà relevées par G. Lefebvre (op. cit. [1924], 1972) : en Flandre wallonne autour de Lille et Douai, dans le Valenciennois et surtout le Cambrésis, la part de l’Église atteignait de 30 à 42 % des sols. On trouvera un résumé sommaire des études de répartition de la propriété dans B. Bodinier, É. Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution, la vente des biens nationaux, Paris, CTHS-SER, 2000 et des données plus précises dans les monographies déjà citées (n. 17).
-
[36]
Instruction du 15 juin cité par M. Garraud, op. cit., 1959, p. 203. Sur les troubles ruraux endémiques entre 1789 et 1792, une vue générale dans A. Ado, Paysans en Révolution, [1971], Paris, SER, 1996.
-
[37]
Voir surtout N. Vivier, op. cit., 1998, notamment chapitre IV ; F. Fortunet, « Code rural » dans A. Soboul, J.-R. Suratteau (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 245.
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[38]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 257-263.
-
[39]
P. Goujard, op. cit., 1979, p. 134.
-
[40]
A. Côme, op. cit., 2006, p. 70.
-
[41]
G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 375-395.
-
[42]
N. Vivier, op. cit., 1998, p. 108, 112.
-
[43]
Nombreux cas donnés avec plus ou moins de détails dans Villages du Pas-de-Calais en 1790, op. cit., t. 2, 1991, par exemple Annay (district de Béthune), contre l’abbaye Saint-Pierre de Gand, p. 75.
-
[44]
Fl. Gauthier, op. cit., 1979, chapitre 7.
-
[45]
AN, D XIV 8.
-
[46]
Cité par E. Lecesne, Arras sous la Révolution, 3 t. [1882-1883], reprint, Brionne, 1972.
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[47]
AD Seine-Maritime, L 12.
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[48]
P. Goujard, op. cit., 1979, p. 140-141.
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[49]
Cité par G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 386.
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[50]
AN, D XIV, Seine-Inférieure, signalé par P. Goujard, op. cit., p. 101.
-
[51]
G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 448 et sqq., note sur les achats collectifs.
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[52]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 34.
-
[53]
J. Bernet, op. cit., p. 235-236.
-
[54]
Dans un texte exemplaire du 3 février 1790, cet ex-contrôleur des vingtièmes défend l’idée que les petites exploitations sont plus productives, nourrissent une population plus nombreuse et que les grands fermiers sont des oppresseurs qui prolongent l’Ancien Régime. Levassor propose de limiter la superficie des exploitations à quelque 160 hectares. J’ai publié l’essentiel de ce texte repéré par G.-R. Ikni, dans Ruralité française …, op. cit., 2005, p. 33-34.
-
[55]
Journal La Sentinelle, 17 août 1792, cité par M. Dorigny, « Les Girondins et le droit de propriété », Bulletins d’histoire économique et sociale de la Révolution française, Paris, CTHS, 1980-1981, p. 15-31.
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[56]
Delacroix député de la Marne, membre du comité d’aliénation. Archives Parlementaires, t. 59, p. 588.
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[57]
Pour plus de détails, on pourra se reporter d’une part aux archives parlementaires, d’autre part aux divers travaux de Georges Lefebvre et pour des mises au point plus récentes : J.-P. Gross, Fair Shares for all, Cambridge, CUP, 1997 ; P. Jones, The Peasantry in the French Revolution, Cambridge, CUP, 1988 ; Id., « The Agrarian Laws : Schemes for Land Redistribution during the French Revolution », Past and Present, n° 133, novembre 1991, p. 96-133 ; J.-P. Jessenne, « The Land, Redefinition of Rural Community », dans K. Baker (dir.), French Revolution and Modernisation of Political Culture, t. 4, The Terror, Pergamon Press, 1994, p. 223-247.
-
[58]
Pour mémoire, décret du 3 juin 1793 : « Dans les communes qui n’ont pas de terrains communaux à partager et où il se trouvera des biens appartenant aux émigrés, il sera fait sur les dites terres un prélèvement suffisant, pour en donner un arpent à titre d’arrentement, à chaque propriétaire qui ne serait point propriétaire d’un fond de terre de cette étendue ».
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[59]
Outre Georges Lefebvre pour le Nord et mes propres travaux pour l’Artois, O. Caron, Revendications, réception et application des lois agraires de la Convention (district d’Arras et Bapaume), Mémoire de maîtrise, Lille 3, dir. J.-P. Jessenne, D. Rosselle, 1993 ; N. Lemaire, L’évolution des structures foncières dans le sud-est artésien (1780-1810), Mémoire de maîtrise, Lille 3, dir. J.-P. Jessenne, D. Rosselle, 1991 ; C. Lorillec, Vers une étude de l’application des réformes agraires pendant la Révolution française (district de Cambrai et Saint-Quentin), Lille 3, mémoire de master 1, dir. L. Brassart et J.-P. Jessenne, 2010.
-
[60]
AD Pas-de-Calais, 4 L 23.
-
[61]
AD Pas-de-Calais, 4 L 10 ; cité par O. Caron, op. cit., 1993, p. 96-97.
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[62]
L. Brassart, op. cit., 2013, p. 328-329.
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[63]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 5, p. 19 et sqq. ; N. Vivier, op. cit., 2000, p. 124-128.
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[64]
N. Vivier, op. cit., 1998, p. 164.
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[65]
AN, F10 330 ; à mettre en parallèle avec les arguments des villages de la vallée de la Canche reproduits supra.
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[66]
AN, F10 329.
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[67]
Sur ces profils agro-ruraux et la variété des comportements révolutionnaires voir la note 2.
1L’historiographie des campagnes a volontiers résumé les comportements ruraux dans le temps de la Révolution a une opposition bipolaire : figure des Jacques en révolte et acteurs essentiels de la Révolution contre stéréotype de villageois en force anti-révolutionnaire ancrée dans la défense de la communauté ou de l’église. Georges Lefebvre, qui demeure la référence en matière d’histoire rurale de la Révolution depuis ses Paysans du Nord [1], n’a pas complètement échappé à la dichotomie, même s’il lui a donné une dynamique chronologique en distinguant la révolution paysanne anti-féodale de 1789-1790 et la tendance au repli sur l’entre-soi communautaire à partir de 1792. En fait, ces appréciations un peu sommaires relèvent de plusieurs biais méthodologiques : l’extrapolation de comportements ponctuels de personnes ou de lieux en attitudes d’ensemble des campagnes ; l’inclination à opposer la rationalité étatique et législative nationale à la méconnaissance des règles et au déferlement des intérêts particuliers dans les comportements villageois ; enfin, la confusion courante, dans l’appréhension des enjeux agraires, entre questions seigneuriales, pratiques communautaires et accès à la propriété. C’est pourquoi dans le cadre d’une réflexion sur l’originalité et le conformisme de la France septentrionale en Révolution, il peut être éclairant d’interroger le dossier agraire : dans quelle mesure les principales dispositions et lois agraires prises par les gouvernements et assemblées nationales ont-elles été relayées et éventuellement appliquées dans les provinces septentrionales ? Quelles sont leurs synergies avec les mouvements collectifs ruraux ?
2La clarification de l’interrogation suppose à la fois la définition de ce que nous incluons dans cette législation agraire et la justification de l’aire géographique envisagée. Par question agraire, nous entendrons l’ensemble des problèmes posés par l’accès à l’exploitation de la terre et à la jouissance de ses ressources ; elle inclut donc évidemment la propriété et sa répartition, mais aussi les modes et superficies d’exploitation, y compris sous forme communautaire ; s’y ajoutent forcément, pour cette période, les modalités de tenure inhérentes au système seigneurial, en particulier les prélèvements effectués sur le travail agricole. Nous laisserons donc à l’écart les problèmes de subsistance même si dans les processus révolutionnaires ils sont souvent mêlés aux questions agraires. Encore faut-il, pour prendre la mesure du sujet, adopter une échelle territoriale adéquate, notamment pour échapper à la singularité des situations départementales ou locales et mesurer l’impact d’une part du centre parisien, d’autre part de la proximité frontalière, c’est pourquoi nous avons opté pour un Nord largement compris entre Seine et Quiévrain, c’est-à-dire une région de 6 départements en 1790, où dominent les secteurs de grande culture à structure sociale souvent contrastée, mais avec des zones soit de cultures plus intensives et de société rurale davantage composée de petits paysans (cas des vallées ou des « pays » d’agriculture à la flamande), soit de secteurs en conversion aux herbages et à l’élevage (Pays de Bray, Avesnois-Thiérache) [2]. Pour éviter l’illusion d’une révolution rurale liée aux seuls dynamiques révolutionnaires, nous avons ancré le propos dans les problèmes agraires soulevés par la confrontation des changements et des blocages, évidente dès le milieu du xviiie siècle. Nous examinerons ensuite la mise en mouvement révolutionnaire entre nouvelle législation et mobilisations paysannes de 1789 à 1792, pour terminer sur la singularité de la situation au temps du paroxysme révolutionnaire.
La nationalisation des questions agraires et la différenciation des priorités dans les campagnes septentrionales (1760-1789)
3Ce ne sont pas les événements et les lois révolutionnaires qui donnent aux questions agraires une dimension française impliquant le gouvernement du pays et entraînant une forme de nationalisation des enjeux. Il est frappant de constater à quel point, en parallèle avec les débats culturels ou politiques, s’instaure une véritable confrontation française – voire européenne – sur les bonnes solutions pour accéder à la prospérité agricole et économique.
Trois questions agraires au cœur des débats agro-politiques à des degrés divers
4Je serai rapide sur ces généralités qui ont fait l’objet de synthèses classiques et reconnues [3]. On sait que pour assurer les prospérités confondues du royaume et de l’État monarchique, deux leviers sont le plus souvent mis en avant : l’augmentation de la production agricole et la liberté du commerce, surtout des grains. C’est évidemment le premier volet qui concerne directement les questions agraires.
5Il se décline en trois sujets d’inégales implications. Le plus sensible, donnant lieu à la plus grande activité législative, porte sur les pratiques collectives et en particulier les communaux, c’est-à-dire les terrains exploités en commun par les collectivités villageoises, à quoi il faut ajouter divers usages par les habitants de ressources tirées de terres qu’ils ne possèdent pas (ramassage de bois dans les forêts, glanage, vaine pâture, etc.). Dans la vague des écrits d’agronomie la critique de ces usages occupe une place considérable. Après 1760, la monarchie se fait propagandiste de leur restriction, si bien qu’une succession d’édits, entre 1769 et 1781, favorise défrichements et partages des communaux.
6La deuxième question largement débattue dérive directement du débat sur la structure des exploitations et de l’influence anglaise, dont on assimile le développement au triomphe de la grande exploitation à cause de la vision véhiculée par les physiocrates et popularisée par Arthur Young [4]. Le schéma est simple : l’accroissement de la production agricole et des rendements requiert de grandes exploitations en fermage, seules capables, aux yeux de leurs propagandistes, de dégager les capitaux nécessaires à l’amélioration culturale. A contrario, certains dénoncent une concentration qui menace la subsistance des pauvres et risque de conduire à la dépopulation. Le débat n’est en rien spécifique à la France et à l’Angleterre ; par exemple, dans les Pays-Bas autrichiens, il atteint une singulière intensité dans les années 1780 [5].
7Enfin, le troisième enjeu se noue autour de la légitimité seigneuriale, mais la question des droits seigneuriaux n’est guère posée globalement ; ce sont plutôt certains abus ou mésusages qui sont interrogés. L’exemple le plus typique est celui des domaines ecclésiastiques dont l’utilité sociale est couramment discutée ; c’est même l’un des cas tout à fait exceptionnels où la propriété elle-même – et non seulement la propriété éminente et ses droits dérivés – est explicitement mise en cause, à l’exemple frappant de la réforme joséphiste aux Pays-Bas autrichiens [6]. Mais en général, la question de la propriété est avant tout abordée sous l’angle théorique et juridique ; il s’agit de savoir si sa légitimité relève du droit naturel auquel l’État ne saurait toucher sans risque de désordre (point de vue des libéraux et des physiocrates comme Mercier de la Rivière) ou des institutions sociales et des conventions transformables par la loi (idées de Jurieu, Rousseau, Mably) ; certains s’inscrivant plutôt dans une tradition pragmatique inspirée de Locke et Montesquieu, pour qui la propriété est une institution sociale, mais qu’il revient à l’État de la garantir [7].
Des échos au Nord ?
8Pour les apprécier sans schématisme, il importe de distinguer au moins trois niveaux de réception et de réactivité.
9Il y a en premier lieu les administrateurs, les corps constitués et plus largement les élites éclairées. Indéniablement les uns et les autres sont très sensibles au premier des trois thèmes et semblent majoritairement acquis aux thèmes libéraux et physiocratiques ou économistes. Le raisonnement est souvent le même et proche de celui de l’avocat Linguet qui publie un bel exemple de mémoire contre l’improductivité des marais de la vallée de la Canche entre Hesdin et Montreuil ; il y écrit :
« Le premier coup d’œil en est enchanteur. Quand on les découvre du haut des montagnes voisines, la vue s’étend avec satisfaction sur un vaste espace de verdure. […] Quand ensuite, on vient à songer que depuis Hesdin jusqu’à Brimeux, il y a plus de 4 000 mesures de prairies [environ 1 700 ha] qui appartiennent réellement aux seuls paysans des environs […]. Quand on calcule la richesse que doit bien produire un pareil terrain, on se croit transporté dans des contrées chimériques où tous les habitants sont tous égaux, tous opulents et tous heureux. Il est vrai que pour peu qu’on descende, l’illusion se dissipe. On n’aperçoit de près que de misérables villages où tout paraît le découragement et l’indigence. On cherche en vain les bestiaux qui habitent ces prairies fortunées […]. [Suit une longue complainte sur la sous-exploitation de ces communaux]. La possession indivise de ces Communes, les droits qu’y exercent plusieurs villages à la fois les rendent inutiles et le défaut de partage y détruit la possession. Le raisonnement et l’expérience nous l’apprennent : ce qui appartient à tout le monde n’appartient à personne. […] » [8].
11De fait beaucoup d’autorités et corps intermédiaires semblent relayer ces idées. En Picardie, en l’absence de Société d’Agriculture, mais avec un rôle-relais du Bureau de Beauvais de celle de Paris, on observe les interventions dans les débats ou les opérations agronomiques de personnalités diverses : propriétaires et exploitants, écrivains et publicistes originaires de la région, mais aussi curés ou maîtres de poste. Ainsi s’est formé un réseau plus ou moins informel mais couvrant quand même assez intensément le territoire au-delà des académies ou sociétés d’agriculture [9]. D’ailleurs, le comte d’Essuile, mobilise avec un certain succès ce réseau pour promouvoir le partage des communaux [10]. Dans le même ordre de mobilisation des intermédiaires, les États d’Artois s’engagent fortement en faveur du partage et l’intendant de Flandre Esmangart, quant à lui, pousse aussi énergiquement dans cette direction au point de s’étonner en 1785 des nombreuses résistances à un partage qu’il juge indispensable [11].
12En fait, il convient de ne pas exagérer l’unanimité de l’adhésion des « cadres » provinciaux aux arguments agronomiques physiocratiques. En 1767, un prédécesseur d’Esmangart, Caumartin, fait part au contrôleur général d’Ormesson de ses réserves ; après avoir évoqué les inconvénients de la vaine pâture et suggéré de « mettre en défense les prairies artificielles en les entourant par des haies ou des fossés », il ajoute :
« L’impossibilité d’établir des prairies artificielles tant que le droit de parcours subsistera est sans doute un inconvénient bien contraire à l’agriculture ; mais il en est un autre que je crois encore plus considérable et même destructif de la population c’est celui des grandes fermes. Il y a en Artois principalement des fermiers qui exploitent jusqu’à vingt charrues en un seul corps de ferme. Il est certain d’un côté qu’ils ne peuvent pas donner à une exploitation aussy étendue les mêmes soins qu’ils donneroient à celle d’une ferme de cinq ou six charrues ; d’un autre côté en réunissant ainsy entre leurs mains toutes les terres d’une paroisse, ils empêchent qu’il ne s’y établissent plusieurs familles… » [12].
14Contrairement au cliché dual opposant d’une part les tenants de la modernisation par la grande exploitation et la suppression des usages collectifs, d’autre part les défenseurs de la petite exploitation et des pratiques communautaires, Caumartin adopte une position nuancée, puisqu’il associe, lui, hostilité aux pratiques collectives et faveur au morcellement des exploitations. Ce ne semble toutefois pas être le point de vue dominant dans ces élites provinciales. Ainsi en 1786, l’Académie d’Arras propose comme sujet de concours l’efficacité comparée des grandes et des petites fermes ; la préférence pour la grande exploitation s’affiche dans le fait qu’elle couronne le mémoire de l’avocat Delegorgue qui disqualifie la division des fermes [13]. En revanche à ce niveau, pas plus qu’au plan national, la question des droits seigneuriaux n’est explicitement posée.
D’autres priorités villageoises
15Ce sont très nettement les problèmes enchevêtrés d’atteintes aux communaux et d’exigences seigneuriales qui viennent en tête des récriminations. Par exemple, dans le cas du Val de Canche, il est intéressant d’opposer aux arguments de Linguet, ceux du mémoire établi par sept communautés associées en 1779. Ce mémoire évoque les différents épisodes d’un conflit qui dure depuis les années 1750 et culmine en 1779 quand les États d’Artois décident le partage avec application du droit de triage au bénéfice des seigneurs. Après avoir invoqué les résistances dans certains secteurs de l’Artois, les rédacteurs justifient le maintien des communaux :
« Les marais dont elles [les communautés] sont propriétaires forment à peu près la centième partie des terres du canton qu’elles habitent ; ils s ‘étendent le long des rivières de Canche et de Ternoise ; une partie produit sans culture des foins de la meilleure qualité ; une autre partie fournit des pâturages gras et abondants, dans lesquels les bestiaux paissent pendant huit mois de l’année. Enfin, il en reste une troisième partie : elle supplée au bois qui manque dans ce canton ; les habitans en extraient des tourbes ; c’est la seule ressource qu’ils ayent pour se garantir contre les rigueurs du froid et pour préparer les aliments. Ces marais ou plutôt ces prairies facilitent le commerce considérable de lins [pour le rouissage] et de bestiaux qui se fait dans le quartier d’Hesdin ». [Suit un long et intéressant calcul sur les produits respectifs des terres cultivables et des prairies communes] [14].
17Ce texte, très concret dans l’évocation des différentes ressources tirées des communaux et très méthodique dans la démonstration de la cohérence économique et sociale de cette exploitation communautaire, constitue l’exact contrepoint des thèses des agronomes ou des économistes, fondés avant tout sur des idées abstraites (on ne travaille bien que ce qui est à soi …). Dans ce sens on est bien dans l’opposition de deux conceptions de l’économie politique. Pas étonnant donc que cette question des communaux constitue le facteur de mobilisation communautaire le plus puissant [15]. Il l’est d’autant plus qu’il rejoint la lutte contre une emprise ressentie comme arbitraire, celle des seigneurs.
18La montée de la lutte anti-seigneuriale peut se mesurer dans les territoires du futur Pas-de-Calais grâce à l’enquête de 1790 du département qui comporte une question sur les conflits et les procès des années antérieures. Sur 772 communes pour lesquelles on dispose de renseignements, 184 font état d’une affaire liée au complexe féodo-seigneurial ; dans 118 cas ce sont des usurpations de biens communaux qui sont signalées [16]. Le Nord s’inscrit donc plutôt dans le fil de l’observation par Jean Nicolas de la montée de la rébellion anti-seigneuriale après 1760, que dans la vision plutôt apaisée des relations villageois/seigneurs que soutient par exemple Annie Antoine pour l’Ouest [17].
19En contrepoint, l’absence de manifestations signalées dans les villages contre les grandes exploitations ou pour une autre répartition des terres peut surprendre. Comment interpréter cette absence de répercussion visible d’un débat qu’on pourrait penser propre à susciter la revendication ? Est-ce le groupe dominant des grands fermiers, la « fermocratie », qui démontre ainsi sa capacité à juguler des remises en cause de son pouvoir ? Ou bien la majorité paysanne et rurale manifeste-t-elle son respect de la propriété quand elle est considérée comme légitime et non attentatoire aux droits collectifs ? L’absence d’affleurement explicite du problème est en tout cas à signaler.
20Au total, la crise de l’Ancien Régime est bien aussi une crise du régime agraire avec des dimensions nationales à références européennes. La France du Nord y est notoirement sensible mais la hiérarchie des préoccupations y diffère des questionnements généraux et ce d’autant plus qu’on s’approche des priorités villageoises nettement dominées par les questions des pratiques communautaires et des charges seigneuriales. Évidemment, les processus collectifs et révolutionnaires sont de nature à faire rejouer massivement ces facteurs de comportement et leur hiérarchie.
La redéfinition de la propriété et l’intensification des mobilisations agraires dans la Révolution
21Sans reprendre le cours des événements de 1789, c’est-à-dire d’une Révolution dont la mise en rythme nationale est un trait indiscutable, on observe les synergies mais aussi les décalages entre les aspirations villageoises et paysannes septentrionales et les intentions réformatrices de la majorité des législateurs.
Les cristallisations et les rythmes des mobilisations villageoises en 1789
22Deux indicateurs exceptionnels permettent d’appréhender mieux qu’auparavant les dynamiques collectives et leurs distorsions : les cahiers de doléances et les manifestations rurales.
23Il est indéniable que le plus fort dénominateur commun des cahiers ruraux est, à côté de la protestation contre l’inégalité et les charges fiscales, la dénonciation des multiples emprises seigneuriales [18]. Cette polarisation se prolonge dans la dénonciation de toutes les atteintes à l’intégrité communautaire, matérielles autant que « politiques » : les usurpations supposées ou réelles des communaux par les seigneurs, les exclusivités dont ceux-ci jouissent (plantations, chasse, pigeonniers, etc.) ; la dénonciation de l’absence de représentation des campagnes dans les institutions revient aussi fréquemment.
24Ainsi, il faut bien constater que si l’usage s’est imposé de parler de « revendications paysannes », les problèmes spécifiquement agricoles ou agraires ne sont nullement isolés de l’ensemble des conditions de vie du Tiers rural. La question de la propriété foncière n’est quasiment jamais posée ; celle des structures de l’exploitation est abordée, mais elle demeure le fait d’une minorité de villages. Quelques exemples du sud au nord de la région : à Vauréal, dans le bailliage de Pontoise, on demande : « Que pour la conservation et l’augmentation de la population, tous les laboureurs soient assujettis à ne pouvoir exploiter et tenir à la fois qu’un seul corps de ferme […], étant très nuisible au public de voir des fermiers qui exploitent plusieurs fermes dans différentes paroisses […] » [19]. Dans le futur département de l’Oise, une vingtaine de paroisses avancent des revendications concernant la répartition de la terre, quelques-unes mettent directement en cause les effets de la directe seigneuriale [20], mais les plus nombreuses abordent la question sous l’angle de la superficie des exploitations, comme à Avrechy (bailliage de Clermont-en-Beauvaisis) : « Il faut défendre à tous les privilégiés de donner à tout cultivateur de prendre plus haut que deux charrues » ; on y dénonce aussi le fait que les grands fermiers monopolisent divers revenus (fermes des dîmes ou des champarts, moulins) [21]. Pour les actuels départements du Nord et du Pas-de-Calais, ce sont moins de 30 cahiers sur quelque 500 conservés qui posent plus ou moins clairement la question de la superficie des exploitations [22]. Les termes sont d’ailleurs souvent modérés à l’exemple de Marquette-en-Ostrevent qui écrit en l’article 16 de son cahier :
« […] Les monastères jouissent de la plus grande partie des biens du royaume et vivent dans l’abondance de toute chose, pendant que lesdits pauvres villageois souffrent dans lesdits lieux où les biens sont situés ; il sont des fermiers qui occupent 300 à 400 razières [environ 120 à 170 ha]. […] Le roi devrait donc ordonner auxdits monastères que les exploitations de leurs fermiers ne seraient plus que de 100 razières [environ 43 ha] ; cela suffirait à un fermier pour lui procurer la vie et élever une honnête famille » [23].
26Plafonnement modéré de la superficie des exploitations, on est loin d’une mise en cause de la propriété ou d’une réforme agraire radicale et la question de l’accès à la terre demeure concentrée sur les dimensions seigneuriales et communautaires. Le sentiment que la lutte contre les abus peut résoudre bien des problèmes et la capacité des élites villageoises, notamment des grands fermiers, à garder le contrôle de la prise de parole paysanne expliquent sans doute ce confinement revendicatif. Ajoutons, après Philippe Goujard, que là où les conflits seigneurs/communautés ont été durs notamment sur les questions de communaux, les revendications sont plus acérées ; tout annonce que l’esprit revendicatif grandit dans l’action elle-même [24].
27Cette observation se prolonge d’ailleurs dans la place que les villageois parviennent à prendre dans les assemblées de bailliages. Dans le Vexin, bailliage secondaire de Pontoise, les gros laboureurs et fermiers fournissent près des deux tiers des 130 députés. Cette forte « fermocratie » accentue son omniprésence dans la représentation au bailliage principal de Senlis (trois quarts de députés fermiers) [25]. L’exemple des futurs départements du Nord et du Pas-de-Calais confirme la nécessité de réviser le schéma de l’expression confisquée sans coup férir par la bourgeoisie des capacités. Le récit de l’élection des députés aux États généraux du bailliage de Lille, le 30 mars 1789, par le fils de l’avocat et député Wartel montre comment, contre le projet des délégués urbains de confisquer trois places de députés sur quatre, les délégués des villages parviennent à imposer deux députés issus de leurs rangs et Wartel conclut : « [les campagnards] n’entendirent pas raison ; ils étoient plus forts, il fallut capituler » [26]. De même, en Artois, quatre députés sur huit sont des fermiers. Mais évidemment la mise en mouvement de la France septentrionale ne se lit pas seulement dans l’expression canalisée des doléances et de la délégation aux États généraux, elle donne lieu aussi à des mobilisations collectives.
28Georges Lefebvre avait déjà montré qu’elles se déploient en deux temps [27]. Dès le mois de mai 1789, à côté des souvent repérées émeutes de subsistance, on voit se multiplier des manifestations antiseigneuriales dans plusieurs secteurs notamment de l’est de l’Artois, du Cambrésis ou de l’Ostrevent. À Oisy-le-Verger, par exemple, les villageois se mobilisent pour exterminer le gibier du seigneur et proclamer leur refus de payer les terrages ; la troupe est envoyée, des manifestants sont arrêtés et deux procès engagés à Arras et Douai qui se soldent par des condamnations aux galères. Le mouvement s’intensifie début juillet à l’occasion de la fenaison et de l’adjudication des dîmes.
29Le deuxième temps de la mobilisation rurale suit franchement le rythme national mais avec des nuances, c’est la Grande Peur. Au nord, elle se déclenche à partir d’un incident aux confins de l’Ile-de-France (affaires de braconniers près de Compiègne) ; la rumeur d’irruption des brigands se répand et, en réponse, les armements et formations de gardes locales se multiplient ; l’onde se propage en deux courants principaux, l’un vers l’est (Santerre, Cambrésis, Hainaut et Flandre intérieure), l’autre vers l’ouest (Amiénois, Ponthieu, Artois central, Audomarois). Néanmoins, le mouvement revêt deux originalités par rapport aux schémas généraux de la Grande Peur française : d’une part, et un peu en contradiction avec les revendications antérieures, les cristallisations anti-seigneuriales de ces prises d’armes sont rares, d’autre part la Peur n’affecte pas toute la région et s’essouffle avant d’avoir atteint la frontière nord (Flandre maritime et Avesnois sont peu affectés) [28].
30En fait, la Révolution de 1789 est en train de changer les perspectives communes. La conscience de la possibilité d’une France transformée, la confiance dans les institutions nouvelles, en particulier dans l’Assemblée nationale constituante et l’ouverture d’un nouvel horizon d’attente politique se manifestent de diverses manières en 1789-1790. D’abord les meneurs d’opinion de la région se font écho puissant de cette entrée dans un monde meilleur, à commencer par les députés. Ainsi, Pierre-François Lepoutre, fermier à Linselles, écrit à sa femme au lendemain du 4 août :
« La France sera à jamais recommandable au-dessus de toutes les puissances de l’Univers … Vous pouvez dire que ce ne sera qu’une même loy par tout le royaume ; ainsi voila Linselles réuni aux impositions communes, avec tous les citoyens de la châtellenie, puisqu’il n’y a aucune province, ni ville qui réservent aucun privilège […]. Je vous prie de donner une potée de plus aux ouvriers en réjouissance du 4 août. Dites leur de ma part que je les exhorte à prendre encore un peu de patience et que j’espère que leur misère sera soulagée » [29].
32Mais l’impulsion ne vient pas que du centre des nouveaux pouvoirs. Rapidement, les villageois invoquent l’Assemblée nationale quand ils éprouvent des difficultés dans la mise en œuvre des droits nouveaux. Par exemple dans le Pays de Caux, un paysan qui se plaint en mars 1790 des ravages que les lapins du seigneur font à ses blés écrit : « Si cela continue, je serai forcé d’adresser la requête à l’Assemblée » [30]. De même et en liaison stricte avec la question agraire, en l’occurrence ici les communaux, la commune d’Aumont écrit dans une pétition du 2 juillet 1790 qu’elle « a cru que le moment était arrivé où elle pouvait avec confiance se présenter au district pour y faire valoir ses titres » [31].
33Mais cette invocation du nouvel ordre revêt une double ambiguïté. D’une part sa nouveauté est relative, les travaux sur les révoltes paysannes ont montré que l’appel au roi de Justice était une constante dans les révoltes et à cet égard il y a certainement une part de simple transfert de la reconnaissance vers l’Assemblée nationale. D’autre part et surtout, la référence à l’Assemblée nationale peut servir à couvrir des actions d’une légalité douteuse, voire subversives. Ainsi dans le Cambrésis [32], Dherbécourt de Thun l’Évêque, prend la parole au sortir de la messe d’Eswars pour dénoncer les arrêts du parlement de Flandres enjoignant de payer les dîmes et les terrages. Il déclare que « ces arrêts n’étoient plus d’aucune valeur, que c’étoient d’anciens placards, qu’il avoit reçu des ordres des États généraux ». Quelques jours plus tard à Thun l’Évêque, le même Dherbécourt s’oppose à la lecture des arrêts par un échevin et invoque le fait que lui-même avait été désigné comme délégué à l’assemblée de bailliage. Ainsi quand les tentatives de remises en ordre se déploient, elles entrent en tension avec les mouvements ruraux et ses diverses manifestations. L’une des plus spectaculaires est la généralisation massive de la chasse. Dès le 13 août 1789, le maître d’école du Senlisois Delahaye écrit dans son journal : « Le sr Charpentier me dit que tout le monde pouvait chasser excepté dans les grains […]. Ainsi, je commençais, ainsi que quantité d’autres à chasser dans les jachères dès midi » et il multiplie les descriptions de parties avec ses amis dans les champs et les forêts, les tableaux de chasse imposants qu’ils réalisent [33].
34L’impression d’un « tout est permis » domine, mais elle n’empêche pas les manifestations d’intégration nationale sous des formes variées dont l’une des plus franches est certainement l’installation rapide des nouvelles communes et municipalités rurales au début de 1790 ; elle est marquée par une participation moyenne dans les campagnes du Nord de plus des deux tiers des citoyens actifs [34]. Cette situation paradoxale va transparaître avec de plus en plus de force quand il va s’agir de mettre en œuvre l’abolition sélective des droits seigneuriaux et la vente des biens nationaux, œuvre formidable de fondation législative mais aussi d’incertitudes essentielles pour la suite de la révolution de la terre.
Les législateurs, les citoyens et le nouvel ordre agraire : fermeté et contradictions
35Sans reprendre les très nombreux débats, décrets et lois auxquels les questions agraires donnent lieu pendant cinq années, nous proposons ce tableau de synthèse des indispensables références législatives.
Récapitulatif des principales dispositions dans les trois domaines agraires pendant la Révolution
Récapitulatif des principales dispositions dans les trois domaines agraires pendant la Révolution
36Dans les trois domaines concernant directement l’accès des Français à la terre, l’idéal est celui de la consécration de la propriété individuelle, mais sur les modalités de mise en œuvre, les législateurs hésitent notamment à cause des mouvements agraires. Pour les biens nationaux, on voit bien qu’entre mai et novembre 1790 intervient une précision décisive : la vente des domaines, notamment ecclésiastiques en bloc. La question est évidemment d’importance, surtout pour la France septentrionale où à de rares secteurs près, le clergé, chapitres et abbayes surtout, est propriétaire de grands domaines qui constituent entre 20 et 35 % de la surface agricole des 6 départements [35]. Sur le terrain seigneurial, l’hésitation est évidente puisqu’il faut attendre le printemps 1790 pour que la différenciation entre droits abolis et rachetables soit clairement établie et le fait que les décrets de juin considèrent les contrevenants comme « rebelles à la loi, usurpateur de la propriété d’autrui, mauvais citoyen et ennemi de tous » en dit long sur la volonté de défendre la propriété, mais aussi sur les craintes que les troubles suscitent chez les propriétaires [36]. Remarquons qu’à la notoire exception de Robespierre, les députés de nos départements ne s’opposent guère à ces dispositions, se taisent ou les approuvent. Sur les usages collectifs, la position de l’Assemblée constituante est demeurée floue. En septembre 1791, juste avant de se séparer, elle semble tirer les conclusions de son incapacité à régler les problèmes et observe « l’impossibilité de faire des lois rurales universelles » ; faute de réussir à promulguer un code rural, elle finit par adopter un « décret sur les biens et usages ruraux » qui reconnaît l’entière liberté du propriétaire de « varier à leur gré la culture et l’exploitation des terres […] d’avoir chez lui telle quantité et telle espèce de troupeaux […] de les y faire pâturer exclusivement [….] ». Mais dans le même temps, ce décret permet le maintien de la vaine pâture et du droit de parcours « quand ils sont établis depuis des temps immémoriaux » [37]. Ainsi la crainte de provoquer la généralisation des troubles conduit les législateurs à ne pas sortir des formules mitigées, malgré la pression des libéraux du comité féodal. Dans ce flou c’est évidemment très largement de l’attitude d’une part des ruraux, d’autre part des autorités intermédiaires et locales que dépendent les rythmes du changement.
37Dans l’ensemble de la région, l’impatience paysanne se manifeste à propos des deux priorités visibles dès avant 1789 : reprise des communaux usurpés par les seigneurs et droits seigneuriaux. En Picardie, le mouvement de « reconquête antiseigneuriale » donne lieu à des recours fréquents aux autorités nouvelles sous trois formes courantes : convocation par les municipalités d’une assemblée des habitants et rédaction d’une pétition aux autorités nationales ; démarche officielle pour exiger la présentation des titres des seigneurs ; formation d’une société devant notaire pour défendre les droits collectifs. À cette occasion d’ailleurs émergent de nouveaux meneurs villageois et se précisent les formulations du droit à la terre, par des personnalités comme Babeuf [38]. Dans le Pays de Bray, après un temps d’attentisme sur le paiement des redevances et après quelques incidents ponctuels, c’est surtout la résistance passive qui bloque les prélèvements. Les rachats sont peu nombreux, de faibles montants et effectués majoritairement par des non-paysans. Dans les procédures judiciaires engagées, les arguments sont significatifs ; par exemple devant la justice de paix de Blangy, en mai 1789, trois tenanciers déclarent qu’ils veulent bien payer à condition « qu’on leur justifie des titres » ; évidemment l’avocat du seigneur invoque le fait que la loi n’oblige pas le seigneur à fournir des titres et il montre quand même un aveu, mais les accusés répondent que cela ne suffit pas car ils ne veulent « s’en rapporter qu’au titre primitif » [39]. De même dans l’est du département du Nord, le refus de payer les dîmes et terrages sur la récolte de 1790 est spectaculaire. La plupart des communes refusent de payer et le régisseur général du duc d’Orléans, très grand propriétaire en Avesnois, adresse au district d’Avesnes une requête pour non-paiement à Rousies, Ferrière-la-Grande, Fourmies et Glageon [40]. Georges Lefebvre évalue à une quarantaine le nombre de rachats pour tout le département du Nord [41]. Donc, points communs aux régions entre Seine et Pays-Bas de 1790 à 1792, en prolongement logique des revendications d’avant 1789 : d’une part le non-paiement des droits seigneuriaux et ecclésiastiques fut la règle et le paiement l’exception, d’autre part cette attitude relève moins d’une désobéissance généralisée et d’une violation frontale de la loi que d’une utilisation des points d’appui qu’elle fournit, notamment la présentation de la preuve par les titres.
38Les affaires de communaux relèvent de la même logique et souvent s’entremêlent avec la question seigneuriale, partout où les communaux existent notamment dans toutes les vallées de la région, de l’Oise à la Lys, en passant par la Somme ou l’Escaut. Les cartes dressées par Nadine Vivier donnent un aperçu d’ensemble du phénomène au travers des pétitions. On voit qu’il n’est pas spécifique à la France septentrionale mais qu’il y prend une densité certaine ; seigneurs laïcs et ecclésiastiques sont également visés ; le triage est particulièrement ciblé [42]. Certaines enquêtes permettent d’affiner la connaissance des réactions en fonction de la géographie discontinue des communaux. Par exemple dans le Pas-de-Calais, où le questionnaire de 1790 autorise une comptabilité des affaires, on observe un net décalage entre d’une part le faible pourcentage des superficies concernées (de l’ordre de 2,5 à 3 % des surfaces agricoles) et le caractère minoritaire des communautés dotées (moins de 300 sur plus de 900), d’autre part la vigueur des récriminations ou des conflits auxquels ces communaux donnent lieu [43]. En Picardie, dans les districts d’Amiens et Doullens où fut aussi organisée une enquête sur les usurpations de communaux, 14 communes sur 92 ayant répondu dans le premier, 9 sur 46 dans le second dénoncent ces usurpations ; d’ailleurs plusieurs communes, comme Curlu ou Offoy ont récupéré sans attendre des biens usurpés de plus ou moins longue date [44].
39Sans exagérer la généralisation des troubles, mais en conjuguant les motifs et les manifestations de protestation, on peut sans conteste parler d’une mobilisation agraire régionale et septentrionales en 1790-1791. Rares doivent être les secteurs où les villageois n’entendent pas parler d’une communauté proche où la défense des intérêts collectifs est prise en main par des citoyens. Si les scenari sont divers, ils relèvent bien plus souvent d’une mise en phase qui connecte les initiatives centrales et les mobilisations locales que d’une simple réaction aux mesures de l’Assemblée nationale constituante ou à l’inverse de motivations strictement localisées. La prise en charge collective se traduit par une formulation politique qui reste souvent maladroite et mêle références anciennes et nouvelles, mais qui n’en est pas moins ferme, à l’exemple de la commune cambrésienne de Bantouzelle :
« A nos seigneurs de l’Assemblée nationale, Remontre très humblement les habitants du village de Bantouzelle disans que dans tous les tems, quantité de seigneurs ont exercé sur leurs sencitaires [sic] un pouvoir en petits souverains, les uns s’emparant des biens communaux, les autres assujettissant leurs vassaux ou à des corvées de bras et de chevaux ou à des banalités de four et de moulin, sans d’autres titres que ceux qu’ils se sont formés eux-mêmes sans l’intervention des habitants. C’est ce qui fait l’objet des justes plaintes que le peuple françois fait retentir de toute part jusqu’au pied du trône de sa majesté et jusque dans les coins les plus reculés de l’Assemblée nationale ». [Suivent des récriminations locales contre les empiètements seigneuriaux et des abus divers] [45].
41On remarque ici la forme très traditionnelle de la supplique y compris dans l’invocation du roi, mais aussi la dénonciation des « petits » souverains » illégitimes, les seigneurs, opposés au Souverain sur lequel on compte pour rendre justice, l’Assemblée nationale. En fait, celle-ci et les autorités en général semblent de plus en plus devoir composer avec la complexité de la question agraire.
Une question de plus en plus soumise aux rapports de forces
42Le compromis équivoque adopté par les législateurs ne peut qu’aggraver les difficultés concrètes d’application des lois et donc accentuer les responsabilités des autorités départementales, des districts et des municipalités. La déclaration de Dubois de Fosseux, premier maire d’Arras et futur président de l’administration du Pas-de Calais, à l’occasion de l’assemblée constitutive du directoire du district d’Arras, en mars 1790 est un concentré de la conception du nouvel ordre : « Il y en a qui refusent de payer, ceux-là sont de véritables rebelles. L’Assemblée nationale a eu des motifs puissants d’ordonner que la dîme soit encore perçue cette année, que les terrages sont une propriété et que ce serait un vol manifeste que d’en refuser le payement, du moins jusqu’au rachat qui peut en être suivant les lois » [46]. L’administration départementale de Seine-Inférieure se posant en défenderesse de la loi est très significative de l’attitude de la plupart de ses homologues ; elle déclare par exemple le 14 décembre 1791 :
« Egalité, propriété, liberté, sûreté, voilà nos droits. Soumission à la loy, respect des autorités constituées […] voilà nos devoirs. Malheur à toute personne qui perpétuerait les maux de la patrie en ramenant les moments désastreux de la Révolution […]. Ceux qui empêchent la confection des lois, qui en entravant l’exécution sont nos véritables ennemis et les seuls que nous ayons à craindre. […] La patrie entière demande à grands cris le rétablissement de l’ordre » [47].
44Mais le relais des administrations de district est-il au diapason dans l’application du nouvel ordre agraire ? Ce n’est pas sûr. Philippe Goujard observe que les districts de Neufchâtel et Gournay insistent dans leurs déclarations sur les acquis de l’abolition de la féodalité et sur le peu de moyens dont ils disposent pour faire appliquer les rachats [48]. Ce qui, joint aux difficultés techniques d’évaluation des droits, ne pouvait que favoriser une application relative, surtout que l’autorité sur les communes est incertaine. En effet, certaines municipalités rurales, troisième maillon de la pyramide des pouvoirs locaux, se défient des districts. Par exemple, Willems, dans le Nord, écrit le 16 août 1791, à propos d’une réclamation pour récupération du tiers du marais accaparé par le seigneur, sa défiance à l’égard du district :
« Les municipalités n’ont rien à faire avec lui. Si on le laisse se mêler d’administration, on détruira les municipalités ou elles retomberont sous l’Ancien Régime et il n’y aura plus de tranquillité pour ceux que leurs concitoyens choisissent et qui se dévouent gratuitement à la conservation de leurs droits et intérêts, surtout dans les villages où il y a des marais, ou d’autres droits à réclamer contre les ci-devant seigneurs » [49].
46On trouvera donc dans la plupart des études des exemples de municipalités qui relaient les lois agraires mais avec retenue et en atténuent les actions illégales des habitants quand elles ne les justifient pas.
47En effet, des pratiques attentatoires aux lois et à la propriété se développent à partir des priorités initiales, anti-seigneuriales et communautaires. Le glissement vers la mise en cause du droit de propriété était latent dans les revendications à l’exemple du conflit entre le duc de Bourbon-Penthièvre et les villageois dans le district d’Arques. Dès le 25 septembre 1789, ceux-ci envoient une pétition à l’Assemblée nationale où ils saluent ses initiatives visant à limiter les privilèges seigneuriaux sur la chasse mais ils remarquent :
« Aujourd’hui pour se conserver le droit de pouvoir exercer ce despotisme, la plupart de ces seigneurs cherchent de tout côté à acheter les terres et rotures sur lesquels ils l’exerçoient autrefois. Telle est notamment la conduite que tient en ce moment le duc de Penthièvre sur ces terres et il n’est pas douteux que ceux qui auront le courage de luy résister en seront les victimes, ce prince ne voyant que par les yeux de ses gens d’affaires qui toujours le trompent. Ils le sollicitent aujourd’hui d’acheter des biens dont la vente ruineroit une famille entière. […] Nous estimons donc qu’il seroit très à propos qu’il fut défendu aux princes du sang et aux princes légitimés d’acheter aucun bien et que tous ceux qu’ils avaient acquis depuis que les droits féodaux sont abolis soient rendus aux familles et la vente annulée » [50].
49On passe donc aisément de la critique d’une exclusivité seigneuriale à celle de l ‘exercice du droit de propriété pour certains. Dans cette perspective l’un des apports majeurs des travaux de Georges Lefebvre a été de montrer que dans de nombreux villages du Nord, surtout dans le district de Cambrai, les villageois se sont mobilisés pour peser non seulement dans la récupération des communaux, mais aussi dans la vente des biens nationaux [51]. Ces comportements se sont manifestés de trois manières : les perturbations plus ou moins spectaculaires des enchères ; l’organisation de groupements pour acheter des blocs fonciers et les partager ensuite ; l’accord avec un intermédiaire, souvent le fermier en place, pour qu’il acquiert la ferme mise en vente et en cède ensuite une partie.
50La deuxième pratique est sans doute une des plus intéressantes par sa fréquence et le degré de maturation collective qu’elle suppose ; pour le seul district de Cambrai, Georges Lefebvre en comptabilise une quarantaine de cas (sur un total de quelque 80 communes). Même si ces groupements sont sans doute moins courants dans bon nombre de districts, ils sont au moins avérés dans les districts d’Arras et Bapaume et dans la majeure partie du département de l’Oise où, dans 6 districts sur 9 on relève une trentaine de groupements, dont plusieurs donnent lieu à établissement de statuts de sociétés devant notaires [52].
51Dans son journal, Nicolas Delahaye décrit avec précision le fonctionnement d’une telle entreprise. Il écrit :
« Dimanche 20 [février 1791] au bureau de la municipalité de cette paroisse, nous avons fait une société de 28 personnes pour acquérir le marché des terres dépendant de la ci-devant abbaye Notre-Dame de Chaalis et ce par écrit sous seing privé, quoique M. Gibert, notaire royal au Plessis y fut présent, pour éviter un plus grand frai ».
53Suit la copie de l’acte commençant par la liste des associés, qui comporte une majorité d’artisans et seulement quatre laboureurs ; on nomme 3 membres pour « porter les « enchères » ; possibilité est laissée à ceux qui trouveraient ces enchères trop élevées de se retirer ; ensuite sont précisées les conditions du partage : terres sur les communes avoisinantes laissées à un des membres enchérisseurs, celles de Silly partagées selon une proposition précisée dans l’acte (entre 1 et 15 arpents pour un total de 65 arpents). Delahaye raconte ensuite le déroulement de l’acquisition, le 23 février, pour 53100 livres ; trois signataires se sont retirés, car ils ont jugé l’adjudication trop élevée. Le clerc ajoute :
« Ensuite de l’adjudication nous fûmes pour dîner ensemble chez le sieur Lécrinier, où les principaux fermiers de chez nous se joignèrent à nous et nous fimes un très beau repas. Il n’y eut qu’Étienne Cholet et Boucart qui ne s’y trouvèrent pas. Cette société fut admirée de toute la ville de Crépy et de tous ceux qui en ouirent parler. Nous revinmes tous ensemble à Silly en grande gaité ».
55Enfin, Delahaye raconte le partage définitif réalisé le 27, marqué par l’expulsion définitive de Cholet et Boucart, non seulement pour leur retrait mais « encore parce qu’ils n’avaient pas daigné venir avec nous diner à Crépy ». Par contre Rommetin qui s’était retiré mais avait participé au repas est réintégré [53]. Témoignage exceptionnel qui révèle quatre traits fondamentaux : l’appétit propriétaire de ces villageois majoritairement non agriculteurs ; la totale illégalité de la pratique d’association et d’achat collectif depuis les lois de l’automne 1790 ; la capacité d’organisation institutionnalisée aux marges de la légalité ; le mélange d’individualisme et de solidarité, au-delà des différences sociales pourtant traduites dans l’accord par les quantités acquises fort inégales ; enfin l’importance des pratiques festives et symboliques dans cette initiative du repas commun et la sanction réservée à ceux qui le « snobent ».
56Peut-être davantage que les mouvements protestataires finalement assez ponctuels en matière d’acquisitions foncières, ce comportement dévoile la capacité villageoise – et pas seulement paysanne – à saisir la législation nationale et à la gauchir dans un sens jugé conforme à l’intérêt du plus grand nombre. Ces pratiques de plus en plus nombreuses à partir du printemps de 1792 devenaient d’autant plus inquiétantes pour les législateurs désireux de terminer la Révolution qu’elles se superposaient souvent aux troubles de subsistance et aux textes revendicatifs présentés à l’Assemblée, notamment par des personnalités d’Ile-de-France et de Picardie comme Levassor [54]. La Convention allait devoir prendre en charge à la fois les équivoques de la législation et les incertitudes de la mise en œuvre dans une situation septentrionale d’autant plus incertaine qu’elle est profondément marquée par la guerre et l’occupation étrangère.
L’épreuve de vérité de 1792-1794 : protection et redistribution de la propriété
57Une première inflexion agraire est prise dans la période de transition entre Législative et Convention, le 14 août 1792, quand François de Neufchâteau fait voter une loi qui rend obligatoire le partage des communaux et la vente des biens de émigrés par petits lots (cf. tableau supra). Le futur conventionnel girondin Louvet peut proclamer : « De pareilles lois valent des victoires » et annoncer le triomphe de l’égalité [55]. En fait, c’est aller vite en espérance, car non seulement les six premiers mois de la Convention font peu place aux questions agraires, mais les suites quoique décisives ne lèvent pas toutes les ambiguïtés.
La politique agraire de la Convention : inflexions égalitaires et hésitations
58Le rapprochement des dispositions adoptées entre mars et juillet 1793 traduit à la fois les apparents paradoxes et l’accélération de la politique agraire dans un temps fort de la Révolution. La succession des lois est scandée par quatre séquences à première vue très heurtées.
59Au printemps 1793, défense de la propriété et égalitarisme coexistent. Le député Charles Delacroix, écrit dans les attendus liminaires du rapport présenté à la Convention, le 4 mars 1793 :
« Votre comité a examiné avec attention s’il est avantageux que chaque corps de ferme soit aliéné en masse ou divisé en lots et subdivisé en petites portions. […] Le premier soin d’une grande nation doit être de chercher à attacher au sol, par tous les moyens que la justice avoue, le plus grand nombre possible de citoyens » [56].
61On retrouve là l’idéal égalitaire jacobin : la généralisation de la propriété, notamment foncière, comme fondement d’une société plus juste. Mais quelques jours plus tard, une large majorité de conventionnels décrète que sera passible de la peine de mort « quiconque proposera une loi agraire ou toute autre subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles » [57]. En fait, pour garantir le ravitaillement en grains, notamment assuré par les grosses fermes, pour assurer les indispensables rentrées d’argent espérées de la vente des biens nationaux et rassurer les acquéreurs, y compris de nombreux députés, il s’agit, au-delà des différences de « partis », de mettre un coup d’arrêt aux surenchères agraires au moment où se dramatise la défense de la République. En juin, la situation politique change.
62Même si les uns et les autres partagent l’attachement à la propriété, l’élimination des Girondins et la prise de pouvoir des Montagnards à la Convention par les journées des 30 mai et 2 juin 1793 se soldent par trois inflexions spectaculaires : abolition complète des droits seigneuriaux ; partage égalitaire et démocratiquement décidé des communaux ; mesures à première vue aussi égalitaires sur les biens nationaux. En fait, c’est sur ce point, le plus directement liée à la propriété, que les oscillations et les équivoques demeurent. Dès septembre, la disposition du 3 juin est modifiée dans un sens moins favorable aux acquéreurs pauvres, car l’octroi d’un bon de 500 livres valant pour l’achat d’une portion de biens d’émigrés ne permet pas de couvrir le supplément de coût lié aux enchères [58]. Mais il faut remarquer une ultime et radicale avancée avec les décrets de ventôse (26 février, 3 mars 1794) qui prévoient le séquestre et la distribution des biens des suspects aux indigents. L’historiographie a soit négligé cette tentative agraire originale en considérant qu’elle n’avait reçu aucune application, soit prêté attention aux seules intentions égalitaires. Le dossier mérite cependant d’être repris dans notre perspective d’appréciation des répercussions régionales des lois.
Le test de l’application au Nord
63Nous partirons de l’étude de l’application des lois concernant les biens nationaux dans les quatre districts d’Arras, Bapaume, Cambrai et Saint-Quentin qui ont fait l’objet des rares études spécifiques pour cette période [59] et présentent une certaine similitude de profils agricoles et de structures agraires. Comment s’y opère la diffusion des lois, première condition de son application ?
64La diffusion de la législation peut s’apprécier par la chronologie de transmission/réception aux différents échelons, mais il convient d’observer la difficulté à réunir des données homogènes et complètes ; il manque le plus souvent l’une ou l’autre des dates pour permettre un suivi complet. Cependant, même partielle, cette recomposition livre quelques éléments intéressants. D’abord les lois et décrets arrivent toujours à peu près dans les mêmes délais aux administrations départementales, entre 11 et 18 jours, ce qui est somme toute rapide. En revanche les délais de transmission aux districts d’une part et de ceux-ci aux communes d’autre part sont variables : le plus souvent rapides et ramenés à quelques jours (une dizaine le plus souvent), mais étendus à plusieurs mois dans les cas des dispositions des 16 septembre 1793 et 2 frimaire an II (22 novembre 1793) ; en conséquence ces dispositions qui préconisent la division des biens nationaux ne sont transmises dans certains districts qu’au printemps 1794. Par contre les décrets de ventôse sont très rapidement expédiés. Ces données quoique limitées suggèrent que dans l’ensemble les mesures agraires ont été bien relayées par les administrations intermédiaires – notamment les districts – et locales, mais avec un relâchement à l’automne 1793 : obstruction ou simple laisser-aller, c’est difficile à préciser. L’étude des conditions concrètes de mise en œuvre permet d’aller un peu plus loin.
Chronologie d’émission, réception et transmission des lois et décrets agraires dans les départements, districts et communes
Chronologie d’émission, réception et transmission des lois et décrets agraires dans les départements, districts et communes
65L’attitude des districts d’Arras et Bapaume est effectivement animée par des motifs politiques de fort engagement jacobin dans une politique agraire égalitaire et ils dénoncent les freins mis aux entreprises de changements agraires, à commencer par les obstacles liés aux défaillances administratives. Ainsi le 24 mars 1794, au même district de Bapaume on fait état de ce que :
« Les piétons payés pour porter aux municipalités des campagnes les lois et autres objets sont d’une négligence considérable à remplir leurs obligations, que souvent des arrêtés devant avoir une exécution prompte ne sont fournis aux municipalités qu’après le terme fixé pour leur exécution ; qu’ils se permettent même de donner communication des objets dont ils sont porteurs à des particuliers avant de les remettre aux municipalités » [60].
67Évidemment, la négligence peut aussi couvrir l’opposition pour des motifs collectifs ou personnels. À Martinpuich (district de Bapaume), la dénonciation par le comité de surveillance est directe : « Le maire élude les lois qui peuvent porter la moindre atteinte à son intérêt particulier ; il lit lui-même quelques lois mais il ne les fait pas afficher » [61]. Ces attitudes de mauvais gré ou peut-être parfois d’anti-révolution jouent sûrement un rôle, mais elles pèsent sans doute moins que deux autres facteurs, d’une part la priorité accordée à d’autres préoccupations, d’autre part les synergies au sein des communautés villageoises.
68Laurent Brassart, soulignant que les réunions d’assemblées des habitants n’ont pas cessé au paroxysme de la Révolution, a étudié les délibérations de six communes rurales de l’Aisne comptant moins de 1 200 habitants, entre le second semestre de l’année 1792 jusqu’au second de l’année 1794. Les assemblées générales d’habitants furent en moyenne convoquées deux à trois fois par semestre. En 1793, 50 % de leurs délibérations ont concerné les biens communaux, 23 % les levées d’hommes et 23 % l’administration communale. En 1794, les problèmes d’administration communale sont au premier plan de leurs préoccupations (47 % des délibérations) devant les biens communaux (38 %) [62]. Ainsi d’une part l’administration générale et, dans cette région exposée, les exigences de la guerre dominent les affaires locales, d’autre part sur le plan agraire, c’est toujours la question des communaux qui prime. Cette observation confirme aussi bien l’étude des mobilisations dans l’Oise, par Guy-Robert Ikni, que la synthèse de Nadine Vivier, mais leurs conclusions diffèrent [63]. Le premier insiste sur la force du mouvement de partage malgré les conflits au sein des villages : environ 220 communes du département de l’Oise en débattirent ; quelque 160 le votèrent ; une centaine le réalisèrent : mouvement puissant donc et en partie spécifique à ce département. Le dossier serait à reprendre pour apprécier l’influence de la proximité parisienne, de la poussée jacobine et des forts contrastes dans cette société rurale, mais peut-être aussi de l’amplification du phénomène par l’auteur qui magnifie le mouvement égalitaire. Nadine Vivier donne une vue d’ensemble plus nuancée de cette poussée partageuse en soulignant que si l’agitation autour des communaux atteint bien alors son paroxysme, elle se traduit davantage par une multiplication des conflits et tensions que par une généralisation des partages. Toutefois sur la carte de synthèse qu’elle propose, la France septentrionale, à commencer par l’Aisne et l’Oise s’avèrent bien des zones de fortes pressions ; elle conclut : « Même si les surfaces partagées ne sont pas énormes la loi a eu ici des effets considérables » [64].
69Les exemples de Courrières et de Rœux dans le district d’Arras illustrent ces tensions contradictoires. De la première, il faut se souvenir que ses vastes communaux avaient été le théâtre d’importants conflits dans les années 1780, car les habitants s’opposaient au partage. Le débat est relancé en 1792-1793 et la pétition envoyée à l’Assemblée nationale le 1er février 1793 résonne comme une reprise des arguments collectifs en faveur des communaux [65] : « Il seroit d’utilité publique que les marais communaux dudit lieu restassent indivis pour des raisons qu’ils vont vous démontrer succinctement » ; suit un long descriptif des marais et de leurs usages où les auteurs insistent surtout sur la pratique du rouissage du lin qui fait vivre de nombreuses personnes, sur l’élevage et sur l’extraction de tourbe. La pétition conclut « Il n’y a point de proportion entre le bénéfice d’un arpent de terre de marais susceptible de ce que dessus et celui que le laboureur retire d’un arpent de terre mis en culture de grains ». Le mode d’expression, l’importance conférée au textile, la similitude avec des textes antérieurs laissent à penser que l’élite locale, des fermiers et des marchands textiles, a fortement inspiré ce plaidoyer. Rœux présente une vision quasiment inverse le 12 mars 1793 :
« La souche gothique de l’arbre féodal est anéantie […]. Nos terres communales nous sont rendues. Sur les ruines de la féodalité s’élève le temps auguste de l’égalité et de la fraternité. L’édifice cependant est encore imparfait. […] Les lois des 14 et 28 août [1792] en nous réintégrant dans la possession des biens communaux n’indiquent aucun mode pour en partager la jouissance. Ce partage renvoyé au comité d’agriculture appelle la discorde entre nous […]. Le décret du 28 août en nous rendant le tiers du ci-devant seigneur, nous offre l’espoir de participer à ces biens communs. Une partie de nos concitoyens cependant semblent s’y refuser, jaloux d’augmenter encore leurs propriétés. Ils voudroient sans précompter aucunement leurs portions primitives partager encore avec nous le tiers restitué » [66].
71Suivent de grandes déclarations de principe contre l’égoïsme, pour la fraternité et la revendication pour un partage entre les seuls dépourvus de terre. Les deux argumentaires montrent la relance de visions antagonistes des solutions agraires, avec en corollaire la difficulté à mobiliser des villageois plus divisés que jamais sur la politique d’accès à la terre. Les initiatives conventionnelles, paradoxales mais souvent relayées par les sociétés populaires, peinent donc à s’appliquer, même si on observe que jusqu’en l’an III au moins les ventes des biens nationaux en petits lots se poursuivent, mais le reflux et le retour aux modalités de vente de 1790 ne tarde pas à s’imposer. Evidemment on pourrait prolonger cette approche par l’étude des résultats, mais ceci dépasse le cadre de cet article. Nous nous arrêterons à cette perspective d’une vision complexe et non linéaire des mises en rythme des politiques agraires.
72*
73En définitive, cette étude, forcément allusive sur beaucoup d’aspects, nous semble démontrer d’abord que les politiques agraires font rejouer des solutions contradictoires déjà avancées sous l’Ancien Régime et très fortement réactivées par la Révolution. À cet égard, la France septentrionale suit les rythmes généraux, français voire européens. En revanche, il apparaît très nettement que les préoccupations des villageois septentrionaux diffèrent nettement, dans les années 1760-1780, des visions physiocratiques et libérales majoritaires dans les élites nationales et régionales. Le décalage se fait puissant mouvement revendicatif à la faveur du nouvel horizon politique et social ouvert en 1789 : abolition des droits seigneuriaux et promotion des usages communautaires prévalent au Nord comme en beaucoup de régions. Il faut la vente des biens nationaux pour que la question de l’accès à la propriété individuelle émerge dans les motivations rurales.
74À certains égards, les quelques acquis manifestes de la Révolution constituante (abolition des droits personnels, récupération des communaux) sont le résultat d’une mise en conformité de la loi avec les mouvements collectifs. Mais, rapidement, malgré la relative coopération des collectivités territoriales, on assiste au télescopage des politiques et des aspirations contradictoires : aux hésitations des législateurs sur la liquidation des droits seigneuriaux réels ou sur les usages collectifs répondent les états de fait créés par les villageois en refusant de payer les droits, en tentant de s’organiser pour parvenir à acheter les biens nationaux vendus en bloc, etc. Dès lors, au-delà de l’exemplarité de certains mouvements collectifs, la mise en rythme des politiques agraires devient largement illusoire car elle dépend trop des rapports de forces variables d’un village à l’autre. À certains égards, les mesures promues à partir du printemps 1793 pour plus d’égalité mais contre la loi agraire, mesures radicalisées par les Montagnards, peuvent s’interpréter comme une tentative pour relancer la convergence vers une France de petits propriétaires, mais non seulement cette politique demeura entravée par diverses contradictions et difficultés, mais elle aboutit à accentuer les comportements antagonistes parmi les ruraux, d’où évidemment, dans un contexte particulièrement incertain, le tableau de situations villageoises totalement émiettées, y compris sur la mise en œuvre des mesures agraires, sans pour autant que toutes les convergences antérieures fussent anéanties car les acquis révolutionnaires et les habitudes prises n’ont pas cessé de compter.
75Dès lors, malgré des moments d’intense mise en mouvement au rythme des impulsions nationales, l’originalité de l’évolution de la question agraire au Nord s’estompe derrière la multiplicité des comportements villageois et des profils agro-ruraux obéissant à de multiples facteurs – population, structures de la propriété et de l’exploitation, productions agricoles, activités non agricoles, etc. – finalement davantage consolidés par la Révolution qu’unifiés [67].
Mots-clés éditeurs : propriété foncière, modes d’exploitation, France du Nord, réformes agraires, mouvements paysans, régime seigneurial, Révolution française
Date de mise en ligne : 25/11/2015
https://doi.org/10.3917/rdn.409.0045Notes
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[*]
Jean-Pierre Jessenne, professeur émérite d’Histoire moderne, Lille, IRHiS, 11, rue de la Paix, 62000 Arras.
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[1]
G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, [1924], Paris, A. Colin, 1972.
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[2]
Départements de l’Aisne, du Nord, du Pas-de-Calais, de l’Oise, de Seine-Inférieure et de la Somme. Sur l’importance des différenciations agro-rurales, voir J.-P. Jessenne, Les campagnes françaises entre mythe et histoire, Paris, A. Colin, 2006 et Revue du Nord, t. 90, « Pour une histoire décloisonnée des campagnes septentrionales », septembre 2008. Une application significative au département de l’Aisne : L. Brassart, Gouverner le local en Révolution, État, Pouvoirs et mouvements collectifs dans l’Aisne (1790-1795), Paris, SER, 2013, p. 97.
-
[3]
Voir notamment G. Béaur, Histoire agraire de la France au xviiie siècle, Paris, SEDES, 2000 ; A. Bourde, Agronomie et Agronomes français au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 3 t., 1967 ; N. Vivier, Propriété collective et identité communale, les biens communaux en France, 1750-1914, Paris, PUS, 1998 ; G. Weulersse, La physiocratie à l’aube de la Révolution, 1781-1792, Paris, 1985.
-
[4]
Les travaux récents ont beaucoup relativisé la supériorité de ce prétendu modèle, notamment la validité de l’intensification observée en certaines régions comme le Norfolk pour l’ensemble de la Grande-Bretagne ; voir par exemple notre contribution « Histoires comparées et échelles territoriales de l’analyse rurale », dans N. Vivier (dir.), Ruralité française et britannique, Approches comparées, Rennes, PUR, 2005, p. 15-43.
-
[5]
Voir l’étude du phénomène par Cl. Bruneel, L’hostilité à l’égard des grandes fermes, un aspect du populationnisme dans les Pays-Bas autrichiens, Louvain-la-Neuve, Centre belge d’histoire rurale, 1990.
-
[6]
En 1783, Joseph II décréta la suppression de 163 couvents contemplatifs et la gestion de leurs biens, notamment fonciers, par la Caisse de Religion.
-
[7]
Sur ces conceptions des droits et de la propriété, P. Sagnac, La Législation civile de la Révolution française (1898), reéd. Genève, Megariotis, 1979, notamment chapitre II.
-
[8]
Mémoire imprimé à Abbeville chez De Vérité et à Paris chez Panckoucke en 1765 ; Archives municipales Hesdin, 2677.
-
[9]
Sur ces réseaux, leur intensité et leurs limites, A. Bourde, op. cit. ; D. Roche, Le siècle des Lumières en Province, Académies et académiciens provinciaux, Paris, Mouton, 1978 ; pour la Picardie, G.-R. Ikni, Crise agraire et Révolution paysanne, le mouvement populaire dans les campagnes de l’Oise de la décennie physiocratique à l’an II, Thèse, Université de Paris I, dir. M. Vovelle, 1993, t. 2, chapitre 4.
-
[10]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 2, p. 47.
-
[11]
AN, Q1 892-893. Enquête de l’intendant Esmangart sur le partage des communaux en Artois ; une étude essentielle sur la question : J.-M. Sallmann, La question des biens communaux en Artois à la fin de l’Ancien Régime, Thèse École des chartes, 1974.
-
[12]
An, H1/1486.
-
[13]
P. L. J. Delegorgue, Est-il utile en Artois de diviser les fermes et exploitations des terres, et dans le cas de l’affirmative, quelles bornes doit-on garder dans cette division ? Ouvrage qui a remporté le prix à l’Académie d’Arras, publié en 1786, 28 p.
-
[14]
Mémoire pour les habitants corps et communautés des villages de Brimeux, Lépinoy, Beaurainville … Auchy la plupart situés dans le bailliage d’Hesdin contre les États d’Artois (AM Hesdin, 9787). J’ai donné une version longue de ce texte dans B. Béthouart (dir.), Histoire d’Hesdin, Arras, Les Échos du Pas-de-Calais, 2013, p. 181-182.
-
[15]
Les monographies convergent sur ce point par exemple : Fl. Gauthier, La voie paysanne dans la Révolution française. L’exemple picard, Paris, Maspero, 1977 ; G.-R. Ikni, op. cit., 1993 ; G. Lefebvre, op. cit., [1924], 1972 ; J.-M. Sallmann, op. cit., 1974. On trouve de nombreuses études de communautés artésiennes dans les mémoires de maîtrise ou DEA sous la direction de Pierre Deyon et Alain Lottin ; on en trouvera une liste et une synthèse dans J.-P. Jessenne, « L’histoire rurale de la France du Nord de la fin du Moyen Âge au milieu du xxe siècle », Revue du Nord, t. 90, op. cit., 2008, p. 303-351, en particulier bibliographie.
-
[16]
Viennent ensuite corvées et banalités. Enquête publiée dans L. N. Berthe et alii (éd.), Villes et villages du Pas-de-Calais en 1790, Arras, 3 t., 1990-1992. François Wartelle a étudié les litiges anti-seigneuriaux : « Les communautés rurales du Pas-de-Calais et le système féodal en 1789-1790 », Cahiers de l’IRM, 1987.
-
[17]
J. Nicolas, La rébellion française, Paris, Seuil, 2002, notamment chapitre VI ; A. Antoine, Fiefs et villages du Bas-Maine au xviiie siècle. Étude de la seigneurie et de la vie rurale dans une province de l’Ouest au dernier siècle de l’Ancien Régime, Mayenne, 1994.
-
[18]
À l’échelle française, John Markoff a compté que 50 % des paroisses revendiquent contre les taxes seigneuriales, 42 % contre les privilèges comme la chasse, 38 % contre les banalités (The Abolition of feudalism : Peasants, lords and legislators in the French Revolution, University Press of Pennsylvania, 1996, p. 40-43). Dans le district de Neufchâtel-en-Bray sur 91 cahiers, près de 70 comportent des revendications anti-seigneuriales avec en tête les banalités (P. Goujard, L’abolition de la féodalité dans le Pays de Bray, Paris, Bibliothèque Nationale, 1979, p. 65).
-
[19]
Cité par J. Dupâquier, Ainsi commença la Révolution. Les cahiers de doléances du bailliage de Pontoise, Pontoise, 1990, p. 29.
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[20]
Par exemple à Songeons, un article ajouté à la fin précise : « La paroisse se trouve affaiblie d’année en année, le seigneur achetant les meilleurs biens de la paroisse », cité par G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 28 et n. 123.
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[21]
Ibid., n. 127, p. 109.
-
[22]
P. Marchand, Florilège des cahiers de doléances du Nord, Lille, CHREN-O, 1989 ; J.-P. Jessenne, D. Rosselle, Florilège des cahiers de doléances du Pas-de-Calais, Lille, CHREN-O, 1989.
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[23]
Cité par P. Marchand, op. cit., p. 117.
-
[24]
P. Goujard, op. cit., 1979, p. 68.
-
[25]
Données établies par J. Dupâquier, op. cit., 1990.
-
[26]
Cité par P. Marchand, op. cit., 1989, p. 185.
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[27]
G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 356-358.
-
[28]
G. Lefebvre, La Grande Peur de 1789, [1932], Paris, A. Colin, 2014 ; Cl. Ramsay, The Ideology of the Great Fear. The Soissonnais in 1789, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1992 (pour l’Aisne surtout) ; pour le nord de la Picardie et l ‘Artois, voir l’étude de L.-N. Berthe, Dubois de Fosseux, secrétaire de l’Académie d’Arras et son bureau de correspondance, Arras, 1969, p. 323-385 et carte p. 352.
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[29]
J.-P. Jessenne, E. Lemay (éd.), Député-paysan et fermière de Flandre en 1789, la correspondance des Lepoutre, Lille, CHREN-O, 1998, lettre de Versailles le 5 août 1789, p. 74-75.
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[30]
AD Seine-Maritime, 205 BP 65.
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[31]
Cité par G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 252.
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[32]
AN, DXXIX 29, Cambrai notamment étudié par A. Côme, Paysans et villageois du Nord, face aux événements et aux politiques révolutionnaires, Mémoire de master II, Lille 3, dir. J.-P. Jessenne, 2006, p. 52.
-
[33]
J. Bernet (éd.), Le journal d’un maître d’école d’Ile-de-France, Lille, PUS, 2000, p. 199 et sqq.
-
[34]
Nous renvoyons à plusieurs études, notamment à M. Edelstein, La Révolution française et la naissance de la démocratie électorale, Rennes, PUR, 2014, chapitre 3 et pour le Nord-Pas-de-Calais, J.-P. Jessenne, « De la citoyenneté proclamée à la citoyenneté appliquée : l’exercice du droit de vote dans le district d’Arras en 1790 », Revue du Nord, t. LXXII, N° 288, octobre-décembre 1990, p. 789-839 ; Id., « La mise en place des administrations locales dans le Pas-de-Calais en 1790 : adhésions et conflits », dans R. Dupuy (dir.), Pouvoir local et Révolution, la frontière intérieure, Rennes, PUR, 1995, p. 169-192.
-
[35]
Pour le Nord, le clergé contrôlait en moyenne quelque 20 % des terres agricoles avec cependant des nuances territoriales déjà relevées par G. Lefebvre (op. cit. [1924], 1972) : en Flandre wallonne autour de Lille et Douai, dans le Valenciennois et surtout le Cambrésis, la part de l’Église atteignait de 30 à 42 % des sols. On trouvera un résumé sommaire des études de répartition de la propriété dans B. Bodinier, É. Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution, la vente des biens nationaux, Paris, CTHS-SER, 2000 et des données plus précises dans les monographies déjà citées (n. 17).
-
[36]
Instruction du 15 juin cité par M. Garraud, op. cit., 1959, p. 203. Sur les troubles ruraux endémiques entre 1789 et 1792, une vue générale dans A. Ado, Paysans en Révolution, [1971], Paris, SER, 1996.
-
[37]
Voir surtout N. Vivier, op. cit., 1998, notamment chapitre IV ; F. Fortunet, « Code rural » dans A. Soboul, J.-R. Suratteau (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 245.
-
[38]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 257-263.
-
[39]
P. Goujard, op. cit., 1979, p. 134.
-
[40]
A. Côme, op. cit., 2006, p. 70.
-
[41]
G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 375-395.
-
[42]
N. Vivier, op. cit., 1998, p. 108, 112.
-
[43]
Nombreux cas donnés avec plus ou moins de détails dans Villages du Pas-de-Calais en 1790, op. cit., t. 2, 1991, par exemple Annay (district de Béthune), contre l’abbaye Saint-Pierre de Gand, p. 75.
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[44]
Fl. Gauthier, op. cit., 1979, chapitre 7.
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[45]
AN, D XIV 8.
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[46]
Cité par E. Lecesne, Arras sous la Révolution, 3 t. [1882-1883], reprint, Brionne, 1972.
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[47]
AD Seine-Maritime, L 12.
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[48]
P. Goujard, op. cit., 1979, p. 140-141.
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[49]
Cité par G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 386.
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[50]
AN, D XIV, Seine-Inférieure, signalé par P. Goujard, op. cit., p. 101.
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[51]
G. Lefebvre, op. cit. [1924], 1972, p. 448 et sqq., note sur les achats collectifs.
-
[52]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 3, p. 34.
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[53]
J. Bernet, op. cit., p. 235-236.
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[54]
Dans un texte exemplaire du 3 février 1790, cet ex-contrôleur des vingtièmes défend l’idée que les petites exploitations sont plus productives, nourrissent une population plus nombreuse et que les grands fermiers sont des oppresseurs qui prolongent l’Ancien Régime. Levassor propose de limiter la superficie des exploitations à quelque 160 hectares. J’ai publié l’essentiel de ce texte repéré par G.-R. Ikni, dans Ruralité française …, op. cit., 2005, p. 33-34.
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[55]
Journal La Sentinelle, 17 août 1792, cité par M. Dorigny, « Les Girondins et le droit de propriété », Bulletins d’histoire économique et sociale de la Révolution française, Paris, CTHS, 1980-1981, p. 15-31.
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[56]
Delacroix député de la Marne, membre du comité d’aliénation. Archives Parlementaires, t. 59, p. 588.
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[57]
Pour plus de détails, on pourra se reporter d’une part aux archives parlementaires, d’autre part aux divers travaux de Georges Lefebvre et pour des mises au point plus récentes : J.-P. Gross, Fair Shares for all, Cambridge, CUP, 1997 ; P. Jones, The Peasantry in the French Revolution, Cambridge, CUP, 1988 ; Id., « The Agrarian Laws : Schemes for Land Redistribution during the French Revolution », Past and Present, n° 133, novembre 1991, p. 96-133 ; J.-P. Jessenne, « The Land, Redefinition of Rural Community », dans K. Baker (dir.), French Revolution and Modernisation of Political Culture, t. 4, The Terror, Pergamon Press, 1994, p. 223-247.
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[58]
Pour mémoire, décret du 3 juin 1793 : « Dans les communes qui n’ont pas de terrains communaux à partager et où il se trouvera des biens appartenant aux émigrés, il sera fait sur les dites terres un prélèvement suffisant, pour en donner un arpent à titre d’arrentement, à chaque propriétaire qui ne serait point propriétaire d’un fond de terre de cette étendue ».
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[59]
Outre Georges Lefebvre pour le Nord et mes propres travaux pour l’Artois, O. Caron, Revendications, réception et application des lois agraires de la Convention (district d’Arras et Bapaume), Mémoire de maîtrise, Lille 3, dir. J.-P. Jessenne, D. Rosselle, 1993 ; N. Lemaire, L’évolution des structures foncières dans le sud-est artésien (1780-1810), Mémoire de maîtrise, Lille 3, dir. J.-P. Jessenne, D. Rosselle, 1991 ; C. Lorillec, Vers une étude de l’application des réformes agraires pendant la Révolution française (district de Cambrai et Saint-Quentin), Lille 3, mémoire de master 1, dir. L. Brassart et J.-P. Jessenne, 2010.
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[60]
AD Pas-de-Calais, 4 L 23.
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[61]
AD Pas-de-Calais, 4 L 10 ; cité par O. Caron, op. cit., 1993, p. 96-97.
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[62]
L. Brassart, op. cit., 2013, p. 328-329.
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[63]
G.-R. Ikni, op. cit., 1993, t. 5, p. 19 et sqq. ; N. Vivier, op. cit., 2000, p. 124-128.
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[64]
N. Vivier, op. cit., 1998, p. 164.
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[65]
AN, F10 330 ; à mettre en parallèle avec les arguments des villages de la vallée de la Canche reproduits supra.
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[66]
AN, F10 329.
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[67]
Sur ces profils agro-ruraux et la variété des comportements révolutionnaires voir la note 2.