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Article de revue

Matières et mémoires. Usages des traces de soi et des siens dans une grande famille bourgeoise de la seconde moitié du XIXe siècle

Pages 395 à 432

Notes

  • [*]
    Manuel Charpy, professeur agrégé, docteur en histoire de l’Université François-Rabelais de Tours, chargé de recherches au CNRS UMR 8529 IRHiS, 93 rue des Couronnes, 75020 Paris.
  • [1]
    Voir par exemple A. Pardailhé-Galabrun (dir.), La Naissance de l’intime, 3 000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 1988 ; sur les limites de cette approche, voir D. Poulot, « Une nouvelle histoire de la culture matérielle ? », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, avril-juin 1997, p. 344-357.
  • [2]
    G. Benou, Code et manuel du commissaire-priseur ou traité des prisées et ventes mobilières, par Me G. Benou, avocat et commissaire-priseur, Paris, E. D’Ocagne, 1835, p. 291. Les vêtements de deuil sont eux aussi écartés des prisées, cf. p. 293.
  • [3]
    C. Demolombe, Traité des successions, Paris, A. Durand, L. Hachette, 1859-1867, p. 691.
  • [4]
    Le Journal du Palais, 1867, p. 911.
  • [5]
    Voir la synthèse de Philippe Lejeune sur la conservation des écrits intimes : P. Lejeune et C. Bogaert, Un journal à soi. Histoire d’une pratique, Paris, Éditions Textuel, 2003.
  • [6]
    Voir notamment I. Kopytoff, « The Cultural Biography of Things » dans D. Miller (dir.), Consumption : Critical Concepts in the Social Sciences, London, New York, Routledge, 2001, vol. 3, p. 9-33.
  • [7]
    8 août 1882.
  • [8]
    Voir notamment le tableau d’Édouard Richter, La photographie de bébé, présenté au salon de 1875 et largement reproduit par la maison Goupil. Toutes les comptabilités privées parisiennes confirment cette pratique.
  • [9]
    7 juillet 1883.
  • [10]
    Walter Benjamin raconte cette expérience parfois désagréable in Petite histoire de la photographie, Paris, Société Française de Photographie, 1996 [1931], p. 17. Voir aussi le passage consacré aux albums photographiques et au nouveau regard sur le social qu’ils induisent, dans P. Hamon, Imageries, littérature et image au xixe siècle, Paris, Éditions José Corti, 2001, op. cit., p. 42.
  • [11]
    Les machines à projeter les plaques de verres 9 x 13 se répandent dans les intérieurs dans les années 1880 ; la lumière électrique et le commerce massif de vues touristiques et historiques peintes font passer ces machines des lanternes magiques pour enfants à des usages familiaux voire scientifiques. Voir les publicités des marchands de diapositives dans les Annuaires Bottin-Didot du commerce qui promettent des « vues de tous les pays et monuments ».
  • [12]
    25 mars 1886.
  • [13]
    Voir, parmi d’autres, le manuel qui rencontre le plus de succès : Baronne Staffe, Usages du monde. Règles du savoir-vivre dans la Société moderne, Paris, Ernest Flammarion, 1891.
  • [14]
    6 juillet 1886.
  • [15]
    24 juillet 1886.
  • [16]
    29 mars 1887.
  • [17]
    7 mai 1889.
  • [18]
    10 mai 1889.
  • [19]
    M. Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au xviiie siècle. Les attitudes devant la mort d’après les clauses de testaments, Paris, Seuil, 1978.
  • [20]
    Voir à titre d’exemples pour la fin du siècle : Archives nationales (désormais AN), ET/XXXIV/1390, 23 avril 1881, consentement à exécution au testament de Mme Lebrun, rentière, veuve de Pierre-Antoine Lebrun, membre de l’Académie française, 1 rue de Beaune (Paris) et AN, MC, ET/LXVII/1830, 22 septembre 1897, testament et inventaire Veuve Antier, 54 rue Caumartin (Paris). L’étude des testaments montre une place croissante des objets mémoriels à côté des legs d’argent et de propriétés ; 11 % des testaments évoquent des objets dans les années 1860 contre 36 % dans les années 1890.
  • [21]
    11 mai 1889.
  • [22]
    Rapport du jury central sur les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849…, t. 3, Paris, Imprimerie nationale, 1850, p. 690-691. Dans les années 1850, on dépose de nombreux brevets – de « photocalcomanie » – qui permettent de faire des portraits en cheveux d’après photographies.
  • [23]
    Charles-Joseph N. Robin, Histoire illustrée de l’Exposition universelle, par catégories d’industries, avec notices sur les exposants, Paris, Furne, 1855, p. 378. Les archives privées montrent par ailleurs que cette pratique est présente dans toutes les grandes familles occidentales ; voir par exemple les carnets d’autographes avec mèches de cheveux brodées conservés à la New York Historical Society, Miller family papers, ca. 1854-1931. Voir en complément le seul travail sur la question et uniquement sur les bijoux de Marcia Pointon sur la France et l’Australie : « Materializing Mourning : Hair, Jewellery and the Body », in M. Kwint, C. Breward et J. Aynsley (dir.), Material Memories : Design and Evocation, Oxford, New York, Berg publishers, 1999, p. 39-57.
  • [24]
    Voir par exemple l’inventaire du banquier Leroy ; en fuite, les priseurs inventorient la totalité de ses biens y compris le « tableau en cheveux de Mme Leroy » sa veuve, AP, D11U3/175, dossier n° 11499, 5 avril 1854, faillite de la banque Leroy, De Chabrol et Cie, 16 rue Lepelletier.
  • [25]
    Voir les Annuaires Bottin-Didot du commerce de Lille et Paris, années 1860-1890, rubrique « photographes ». Nadar malgré son dégoût se souvient d’avoir été obligé de répondre à cette demande fréquente, voir Nadar, Quand j’étais photographe, Paris, Reprint Booking International, 1994, p. 1109 [Flammarion, 1900].
  • [26]
    M. Lebrun, Manuel complet du mouleur, ou l’Art de mouler en plâtre, carton, carton-pierre, carton-cuir, cire, plomb, argile, bois… édition revue et corrigée, Paris, Roret, 1860 [1829 pour la première édition], p. 45 et sq. et « Nature morte » p. 51-52 et « Moulage en plâtre des cadavres », p. 243. Voir en complément sur le moulage en général au xixe siècle, É. Papet, À fleur de peau le moulage sur nature au xixe siècle, Paris, Musée d’Orsay, 2002.
  • [27]
    Voir par exemple, INPI, brevet n° 12863, 26 février 1852, « Moyens perfectionnés propres à fixer les couleurs et rendre les portraits du daguerréotype inaltérables et indestructibles », par Allouis, bijoutier, 7 rue Jacob ; INPI, brevet n° 37337, 1858, Saujon et Garnier, représentés par Léon, Paris, rue Saint-Étienne du Mont, 24, « Procédé de photographie inaltérable » et n° 53919, 3 mai 1862, Moisson et Gittard, Héricy (Seine-et-Marne), « Procédés de vitrification des images sur verre » ; n° 94464, 15 mars 1872, M. Pietkiewicz « pour une boîte moule servant à repousser les portraits-cartes photographiques émaillés ».
  • [28]
    30 mai 1889. « Je vais chez le photographe Carlier porter le portrait de Mathilde pour en faire des portraits-cartes d’album ».
  • [29]
    R. Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Paris, Gallimard/Seuil/Cahiers du cinéma, Paris, 1980.
  • [30]
    E. Bonnaffé, Causeries sur l’art et la curiosité, Paris, A. Quantin, 1878, p. 6.
  • [31]
    Ces vues sont réunies en album en 1891 : É. Boldoduc, Album souvenir : Lille ancien monumental, suivi de sujets modernes, jeux populaires et fêtes publiques d’après nature, Lille, Boldoduc éditeur, 1891.
  • [32]
    27 octobre 1886.
  • [33]
    Voir par exemple AP, D2U6/91 1890, Paul-Émile Manifacier, Auguste Bourdel, J.-B. Audebert ; Comptoir du Progrès universel, 19 rue Niepce, Paris. Leur publicité indique : « Portraits peints à l’huile sur panneau bois, d’après photographie. Ce que nous offrons au public est un travail vraiment artistique, d’une grande perfection d’exécution et d’une ressemblance absolue, c’est l’œuvre des plus éminents artistes portraitistes de Paris. […] Le succès toujours grandissant de nos Portraits peints à l’huile, d’après photographie, est la meilleure preuve de la satisfaction du public. Nombre de personnes après avoir essayé d’une, nous ont ensuite envoyé à faire le portrait de parents ou d’amis de qui elles avaient la photographie. Chacune peut ainsi se constituer une intéressante galerie de portraits de famille peints à l’huile. […] La ressemblance est garantie. NB : indiquer bien exactement la couleur des cheveux et de la barbe, des yeux et du teint. ». Les prix sont entre 12 et 50 francs selon le format, soit de 3 à 10 fois plus cher qu’un portrait photographique.
  • [34]
    L’inflation est manifeste à Paris même si les annuaires ne distinguent pas les spécialités des peintres ; en revanche, les Directories pour Londres comme pour New York City (publiés par Trow pour Manhattan) distinguent les spécialités – peintres de portraits, paysages, natures mortes… – et montrent ainsi la place prédominante des portraitistes et leur inflation constante entre 1870 et 1900.
  • [35]
    À la lecture des testaments, c’est généralement entre 50 et 60 ans qu’ils sont rédigés, additionnés ensuite de codicilles.
  • [36]
    AN, ET/CXIII/1282, testament de M. François-Joseph Desfrançois, 1882.
  • [37]
    M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [PUF, 1950, publication posthume (inachevé à sa mort en 1945)], p. 194-197 et p. 209.
  • [38]
    Voir P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 62-63, juin 1986, p. 69-72.
  • [39]
    G. Freund, Photographie et société, Paris, Le Seuil, 1974 [thèse de 1936].
  • [40]
    H. de Balzac, Pierre Grassou, Paris, Charles-Béchet, 1839.
  • [41]
    « La portraituromanie, considérations sur le Daguerréotype », dans V. Fournel, Ce qu’on voit dans les rues de Paris, Paris, Plon, 1858, p. 384-385 (chapitre 19).
  • [42]
    Voir les très nombreux brevets déposés pour des systèmes de reproductions à l’identique de peinture sur toile ; voir par exemple pour la seule année 1869 : Institut national de la protection industrielle, brevet n° 88092, 4 décembre 1869, A.-M. Janicot, « pour un mode de peinture photographique sur tissus » et brevet n° 86152, 18 juin 1869, A.-M. Pouncey, « pour des perfectionnements d’édition de tableaux ou images photographiques coloriés ou non [sur tissus] ».
  • [43]
    Ce dernier est en outre l’inventeur avec Collas de systèmes de réduction d’objets en ronde-bosse à destination de l’industrie.
  • [44]
    Notice sur le physionotype inventé par M.-F. Sauvage, Paris, Imprimerie de Baudouin, 1835.
  • [45]
    L.-G.-I. Salivet, Manuel du tourneur…, Paris, Roret, 1816, « Le tour à portrait », Chapitre VIII, p. 435 et sq. Voir en complément, Bulletin de la société d’encouragement, septembre 1816, « tour à portrait », p. 199 et sq. et pour le développement à partir des années 1840, voir M. Alcan et C. Laboulaye, Dictionnaire des arts et manufactures, description des procédés de l’industrie française et étrangère…, Paris, A. Decq, 1861, p. 668 « Tour à portrait ».
  • [46]
    Voir par exemple la comptabilité du Comte de Mackau qui fait faire une copie du portrait, semble-t-il, de son père ; AN, Fonds Mackau, AP/156, carton 115, « Dailly, doreur en bâtimens et meubles, 23 rue de la Michodière, près les Bains chinois, encadre les tableaux, dessins, estampes et glaces, blanchit les estampes et vernit les tableaux, restauration de tableaux » (21 mars 1851).
  • [47]
    19 juillet 1880.
  • [48]
    Pour une très succincte évocation de la question dans l’Angleterre victorienne, voir C. Robertson, « Related objects : the Family Stuff in Victorian interiors » in The New-York Journal of American History, « Portraits, portraiture, and group dynamics », Spring/Summer 2006, p. 56-63 et B. Marie, « La photographie sur la cheminée », Paris, Métaillé, 1998. Je me permets en outre de renvoyer à mon article : « L’ordre des choses, Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914 », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 34, 2007.
  • [49]
    Voir les archives du papetier et marchand de couleurs Asse qui fournit quantité d’albums de photographies avec chiffres (AP, Asse, 2AZ14, 8 rue du Bac, comptabilités et carnets de commande, 1856-vers 1880).
  • [50]
    E. Dufaux, Le savoir-vivre dans la vie ordinaire et dans les cérémonies civiles et religieuses, Paris, Garnier frères, 1883, p. 16.
  • [51]
    L. d’Alq, Le maître et la maîtresse de maison, Paris, Bureaux des Causeries familières, 1885, p. 67.
  • [52]
    Il s’agit d’un agglomérat de sciure de bois et de sang de bœuf, très prisé dans les années 1860-1880 pour les objets d’étrennes et les bibelots.
  • [53]
    M. Perrot, Histoire de la vie privée. De la Révolution à la Grande Guerre, t. IV, Paris, Seuil, 1997, p. 168.
  • [54]
    Voir le travail pionnier d’E. A. McCauley, Disderi and the Carte de Visite Portrait Photograph, London et New Haven, Yale Publications in the History of Art, 1985 et plus récemment la synthèse sur la France de F. Boisjoly (avec le concours de J.-L. Pinol), La photo-carte. Portrait de la France au xixe siècle, Lyon, Lieux-dits, 2006.
  • [55]
    Sur ces « raisons graphiques » et la place des écritures ordinaires, voir D. Fabre (dir.), Écritures ordinaires, Paris, Bibliothèque publique d’information, Centre Georges-Pompidou / POL, 1993.
  • [56]
    AN, AB/XIX/3499, Carnet d’adresse Mme Déverin, femme d’un ingénieur des Arts et Métiers, installé 7, rue Chomel.
  • [57]
    19 juillet 1880.
  • [58]
    Voir les comptabilités et factures dans les fonds privés : AN, AB/XIX/4226, Fonds Gustave Richelot, années 1860-1910 ; AN, Paul Pettier, AB XIX 5223-5224, 1897-1910 ; AN, Aubry-Vitet, 572/AP, 1893-1914 et AP, D1U1/899. Scellés, famille Bordes, 1878-1880.
  • [59]
    M. Foucault, Dits et écrits, t. IV, Paris, Gallimard, 1980-1988, p. 634 et sq.
  • [60]
    Je me permets de renvoyer sur ces questions à mon article : « La bourgeoisie en portrait, Albums familiaux de photographies des années 1860-1914 », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 34, 2007.
  • [61]
    7 juin 1879.
  • [62]
    25 novembre 1880.
  • [63]
    A. Corbin, « Coulisses » in Histoire de la vie privée, t. 4, Paris, Seuil, 1985.
  • [64]
    AD Lille, 39 Fi 672 à 729.
  • [65]
    Voir par exemple le catalogue de la Maison Barbedienne de 1875 (AN, 368AP/2, Fonds Barbedienne et BHVP, série actualités « fondeurs »).
  • [66]
    On songe naturellement aux travaux de M. Agulhon et en particulier « Nouveaux propos sur les statues de “grands hommes” au xixe siècle », Romantisme, 1998, vol. 28, n° 100, p. 11-16.
  • [67]
    Voir le catalogue de P.-L. Renié, Une image sur le mur. Images et décoration intérieurs au xixe siècle, catalogue de l’exposition du musée Goupil, Bordeaux, 2005. La maison Goupil reproduit et diffuse dans le monde entier aussi bien des œuvres contemporaines qu’anciennes ; elle prend alors le soin, comme le fond les fondeurs, d’indiquer les musées dans lesquels les originaux sont conservés.
  • [68]
    K. Pomian, « Histoire culturelle, histoire des sémiophores » in Sur l’histoire, Paris, Gallimard, 1999.
  • [69]
    Sur cette notion, voir le travail de M. Jasanoff, le plus récent et le plus convaincant : Aux marges de l’Empire. Conquérants et collectionneurs à l’assaut de l’Orient de 1750 à 1850, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2009 [2005].
  • [70]
    Voir Romantisme, revue du dix-neuvième siècle, « La collection », n° 112, 2001.
  • [71]
    Dominique Pety a montré cette parenté pour les Goncourt, oubliant parfois peut-être trop vite que la pratique dépasse largement celle des « hommes de l’art » : Les Goncourt et la collection. De l’objet d’art à l’art d’écrire, Genève, Droz, 2003.
  • [72]
    Voir toutes les archives privées déjà citées et notamment le fonds Richelot, collectionneur d’antiquités ; voir en outre, C. Schreiber, Lady Charlotte Schreiber’s Journals : Confidences of a Collector of Ceramics and Antiques throughout Britain, France, Holland, Belgium, Spain, Portugal, Turkey, Austria and Germany from the Year 1869 to 1885, London, New York, John Lane Company, 1911, 2 vol.
  • [73]
    11 août 1882 et 16 avril 1887 pour Lille et 14 décembre 1881, 5 mai 1883, 23 mars 1886 et 20 avril 1887 pour Paris.
  • [74]
    On trouve au moins huit occurrences de visite à la salle des ventes lilloise et plus d’une quinzaine à Drouot.
  • [75]
    Voir A. Corbin (dir.), L’Avènement des loisirs, Paris, Aubier, 1995 qui s’inscrit dans la veine de T. Veblen et P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
  • [76]
    R. W. Belk, Collecting in a Consummer Society, Londres et New York, Routledge, 1995, p. 148 et sq.
  • [77]
    A. de Musset, La confession d’un enfant du siècle, Paris, Charpentier, 1840 [1836], p. 33-34.
  • [78]
    21 mars 1880.
  • [79]
    N. Roqueplan, Chapitre XX « Le Bric-à-brac » dans La vie parisienne. Regain, Nouvelle édition (revue et augmentée ; première édition 1857), Michel Lévy frères, Paris, 1869.
  • [80]
    Voir notamment la comptabilité du médecin Richelot qui a très largement recours à cette pratique (AN, AB/XIX/4226, Fonds Gustave Richelot, années 1860-1910) ; voir en complément l’étude qui condamne ces pratiques : É. Bayard, L’art de reconnaître les fraudes, Paris, R. Roger et F. Chernoviz, Collection « Guides pratiques de l’amateur et du collectionneur d’art », 1914.
  • [81]
    La visite au Palais-Royal où l’on trouve alors de nombreux marchands de curiosités et d’antiquités puis à Drouot est le circuit ordinaire de Jules-Émile à Paris ; voir par exemple pour la seule année 1881 : 15 avril, 16 mai et 14 décembre. On peut dénombrer plus de 15 visites mentionnées dans son journal ce qui laisse en imaginer de bien plus nombreuses.
  • [82]
    Voir C. W. Smith, Auctions : The Social Construction of Value, New York, The Free Press, 1989 ; sur le succès spécifique de Drouot dans la seconde partie du siècle, je me permets de renvoyer à ma thèse, chapitre 9, « L’invention de Drouot, nouvelle institution du goût et de l’authenticité », in «  Le théâtre des objets. Espaces privés, culture matérielle et identité bourgeoise. Paris, 1830-1914 », thèse sous la direction de J.-L. Pinol, Tours, 2010.
  • [83]
    16 novembre 1891.
  • [84]
    J. Deville, Dictionnaire du tapissier, critique et historique de l’ameublement français depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Paris, Claesen, 1878, « préface ».
  • [85]
    E. Bonnaffé, Physiologie du curieux, Paris, Jules Martin, 1881, p. 42.
  • [86]
    Ris-Paquot, Répertoire annuaire général des collectionneurs de la France et de l’étranger, Paris, Administration de l’annuaire, 1892-1914.
  • [87]
    11 août 1882.
  • [88]
    2 novembre 1881. De très nombreux manuels après 1880 donnent des conseils quant à la mise en scène des « trouvailles » dans les appartements ; voir par exemple, H. Havard, « L’art dans la maison. Des galeries de tableaux et cabinets de curiosités » in L’Illustration, mars 1883.
  • [89]
    M. Douglas et B. Isherwood, The World of Goods : Toward an Anthropology of Consumption, New York, Norton, 1979.
  • [90]
    J. Baudrillard, Le système des objets. La consommation des signes, Paris, Gallimard, 1968, p. 149.
  • [91]
    Voir, sur la période contemporaine, S. Marcoux, « The Refurbishment of Memory » in D. Miller (dir.), Home Possessions : material culture behind closed doors, Oxford, Berg, 2001, p. 69-86.
  • [92]
    J. Baudrillard, Le système… op. cit., « Le système marginal : la collection », p. 120-150.
  • [93]
    Voir M. de Certeau, L’invention du quotidien, vol. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990 [1980] et en particulier p. 52-57.

1Portraits de famille, albums de photographies, objets-souvenirs, collection de bibelots : transmis au sein des familles, aperçus lors des déménagements ou aux vitrines des antiquaires, ces objets intimes nous sont familiers. Tout indique leur omniprésence dans les intérieurs au moins depuis le milieu du xixe siècle. Pour autant, les archives publiques en font peu de cas et aucun musée, du moins en France, n’a pour mission de collecter et d’exposer ces objets dont on peut croire qu’ils ne font mémoire qu’à l’échelle des familles. Dans le même temps, les archives notariales, si souvent convoquées comme sources de l’histoire de la culture matérielle et de la vie privée, ne portent que très rarement trace de ces artefacts [1]. Les années 1830 entérinent en effet la pratique qui consiste à sortir des prisées tous les objets essentiellement chargés de porter le souvenir. Le Traité des prisées et des ventes précise ainsi en 1835 :

2

« les portraits de famille ne doivent pas être inventoriés ; on en trouve le motif suffisant dans la vénération qu’on doit à ses ancêtres, et d’ailleurs, quelle valeur leur donnerait-on ? Ils ont rarement de prix pour une personne étrangère » [2].

3Au milieu du siècle, cet usage s’étend. Le Traité des successions souligne en 1859 :

4

« Qui voudrait prétendre, par exemple, que les tombeaux de famille doivent entrer en partage, à l’égal d’un pré ou d’un bois ? [et] les portraits de famille ! les portraits surtout des père et mère, et des proches parents ! nous ne saurions adhérer à une doctrine qui les assimile au reste du mobilier de la succession ! et il importerait peu, selon nous, que le portrait fût l’œuvre d’un grand maître, et qu’il eût une valeur artistique considérable ; […] il n’y a pas à en considérer le mérite ni la valeur ; et on doit toujours le placer extra bona » [3].

5Le Journal du Palais note en 1867, moment où la jurisprudence est enregistrée, que « souvenirs de famille, tels que décorations, armes, portraits, etc., objets placés hors du commerce et dont le prix a surtout une valeur d’affection » sont placés hors des prisés [4].

6Cette double absence, à la fois muséographique et archivistique, a sans doute pesé sur l’historiographie de la vie privée comme de la culture matérielle et visuelle. Car, éparpillés et extraits de leur contexte, ces objets esseulés comme les pratiques sociales qui s’y rattachent deviennent illisibles. Le fonds Scrive est en cela précieux. D’une part, disons-le d’emblée, parce qu’il est ordinaire. Jules-Émile a collectionné les objets, a été producteur et consommateur d’images sans se faire évergète ; rien d’extraordinaire ne destinait donc ces documents à être conservés. D’autre part, parce que son journal avait toutes les raisons d’être négligé [5] tant il est conforme aux pratiques du siècle. C’est ce caractère ordinaire et la réunion d’images et d’un journal qui rendent ce fonds précieux. De la sorte, il devient possible de penser ensemble toutes ces pratiques autobiographiques et de comprendre les usages des images et des objets, dans les familles comme au sein d’un groupe social. C’est dans cette perspective que nous voudrions essayer de saisir ces éléments qui entourent Scrive et les siens et qui avaient pour destination de porter la mémoire des individus et du groupe. Car ces artefacts ne sont pas que des représentations mais aussi des moyens d’appréhension de soi ou, pour le dire autrement, des instruments à la fois de la conscience de soi, de la production de la famille bourgeoise et de ses liens sociaux. Butte-témoin, ce fonds, confronté à d’autres archives privées comme aux objets en circulation dans le marché, permet de réinterroger les usages de la culture matérielle, d’esquisser une « biographie sociale des objets » et d’échapper à la logique de l’inventaire après décès qui efface les usages au profit de la possession [6].

Collection et production des souvenirs

Pour mémoire : les cadres photographiques de la mémoire

7Le journal de Jules-Émile montre que se souvenir demande un travail constant. Rien de moins naturel que la production et la collecte d’une mémoire, qui de plus est mise en ordre et hiérarchisée. Objets et images qui peuplent la maison de Wazemmes puis l’hôtel particulier de Marquette sont une chronique familiale patiemment construite. Voyages, fêtes, cérémonies : tous les moments qui marquent le temps de la vie familiale doivent, pour fonctionner comme rites sociaux, produire des traces, témoins et supports de mémoire. En voyage, l’achat de vues touristiques sur papier ou sur diapositive fixe pour toute la famille une mémoire fédératrice car convenue, faite de monuments et de paysages. Ainsi, une brève excursion au Tréport et à Amiens « le long des maisons de la plage » se conclut après « avoir acheté des photographies » [7]. Le succès des appareils photographiques pour amateurs après 1880 – Dubroni puis Kodak – renforce cette production de lieux de mémoire familiaux. Chez les Scrive, et c’est vrai pour l’immense majorité des amateurs, on ne peut distinguer les images achetées des images produites : appareil en main, les amateurs s’attachent à reproduire les clichés du commerce. Les images des cérémonies familiales comme des voyages sont mises sous verre qui protège, sacralise et donne à voir en interdisant le toucher, sorte de réplique de l’expérience mémorielle.

8Baptêmes, communions, mariages sont autant de moments fixés dans les studios des photographes et par là dans la mémoire familiale. Même les moments les moins ritualisés doivent produire des traces. Pour mardi-gras, en mars 1880, Jules-Émile emmène toute la famille déguisée en Robinsons chez le photographe Baudelaire [ill. 1] ; quelques années plus tard, un cliché immortalise Jules et Antoine jouant la farce de Maître Pathelin [ill. 2] [ill. 3]. Les rites sociaux doivent produire des souvenirs pour exister ou, plus exactement, ont pour fonction de produire des souvenirs. Mis bout à bout, entre la commode et la cheminée ou dans un album, ils forment une fresque qui raconte la geste familiale. Il faut noter ici la mutation profonde qui se fait jour dans la seconde partie du siècle et qui demeure cependant difficile à saisir. Avec l’intense production de ces images-souvenirs, la mémoire se fait photographique. Dorénavant, se souvenir, c’est aussi se souvenir par les photographies et, dans bien des cas, l’image prend le pas sur l’expérience vécue, recomposant une collection de moments en noir et blanc. Jules-Émile le dit en ouvrant les tiroirs familiaux : « que de souvenirs ! », confondant sous ce terme à la fois les objets et la mémoire de ces moments.

Ill. 1

Robinsonade : la famille Scrive déguisée en sauvages, atelier du photographe Baudelaire

Ill. 1

Robinsonade : la famille Scrive déguisée en sauvages, atelier du photographe Baudelaire

Lille (AD Nord 39 Fi 124)
Ill. 2

La production de souvenirs familiaux : Jules et Antoine jouant la Farce de Maître Pathelin

Ill. 2

La production de souvenirs familiaux : Jules et Antoine jouant la Farce de Maître Pathelin

(AD Nord 39 Fi 41)
Ill. 3
Ill. 3
La production des souvenirs : le photographe à domicile. Gravure d’après « Édouard Richter. La photographie de bébé (Salon de 1875), avec l’autorisation de Goupil et Cie, propriétaire du droit exclusif de reproduction »
Gravure extraite de L’Univers illustré, 1876, p. 377, coll. M. Charpy

Une vie en images

9Ce travail de production d’images destinées à faire souvenirs s’attache à marquer les âges de la vie et au premier chef l’enfance, berceau d’une mémoire fugace mais déterminante. Les parents soucieux d’inscrire l’enfant dans l’histoire familiale savent en même temps qu’il convient de ne pas laisser la mémoire enfantine livrée à elle-même et qu’il faut l’écrire afin de la hiérarchiser. Chez Jules-Émile, ce travail est manifestement à l’œuvre. S’il s’agit pour lui et sa femme de se souvenir de leurs enfants à tous les âges, il apprend aussi à ses enfants à se souvenir de leur enfance. Toute la société bourgeoise fait de même qui, après 1860, emmène chaque année, souvent à l’occasion de l’anniversaire, l’enfant chez le photographe [8]. [Ill. 4] En juin 1883, Jules-Émile associe, dans un télescopage propre au journal intime, ce travail d’enregistrement et le temps qui passe et qui creuse le sentiment de déréliction :

« En vérité, c’est curieux de faire de temps en temps des retours en arrière et de revivre dans le passé. Que d’individus sont déjà disparus. Ce n’est pas croyable, tous les changements arrivés en si peu de temps. Les enfants sont chez le photographe Carlier pour se faire photographier ».
Quelques jours plus tard, il se félicite que « les photographies des enfants [soient] bien réussies. Nous sommes très contents de Carlier, le photographe » [9]. Ces images fondent l’apprentissage, pour les enfants, d’un regard rétrospectif et introspectif fondé sur une appréhension du temps qui passe. Toute une génération dans les années 1870-1880 fait ainsi, pour la première fois, tout au moins aussi massivement, l’expérience d’appréhender l’évolution de son apparence. Si celle-ci est parfois désagréable, elle n’en est pas moins fondatrice [10]. Dans une famille comme celle des Scrive où le poids de la transmission et la conscience d’être une génération inscrite dans une filiation familiale sont réels, ces images jouent un rôle déterminant. Les séances collectives de lecture des albums familiaux, ajoutées aux soirées de projection de plaques de verre diapositives, courantes après 1880 et très nombreuses dans le fonds Scrive, apprennent ce travail de remémoration et transmettent une mémoire sans faux plis [11]. En outre, la transmission de ces collections d’images – évidente chez les Scrive dans la mesure où elles sont arrivées jusqu’à nous – constitue une invite à poursuivre la construction du roman-photo familial.

Ill. 4

Jules-Émile et Mathilde, photographie carte de visite du photographe Carette, Lille

Ill. 4

Jules-Émile et Mathilde, photographie carte de visite du photographe Carette, Lille

(AD Nord 39 Fi 125)

10Pédagogue, désireux de transmettre cette conscience autobiographique et familiale, Jules-Émile lors d’une visite à la famille du grand patron roubaisien Mimerel prend le temps après un tour du propriétaire de montrer à son fils aîné, « les souvenirs de la famille Mimerel, portraits… » [12] Le jeune Jules doit sans doute comprendre que la réussite – et celles d’Auguste Mimerel et de son fils sont indiscutables – ne va pas sans une collection attentive de soi et des siens, condition d’une conscience de sa propre destinée et de ses devoirs.

Reliques et multiples : figurer les absents

11Dans ce long fleuve que l’on rêve tranquille du temps ritualisé des familles, les deuils cristallisent toutes les questions mémorielles. Ils appellent un savoir-vivre et des formes sociales de l’expression de la douleur que les guides détaillent : éléments de toilette, y compris les bijoux, papier à lettres, tenture du salon en crêpe noire… [13] Plus qu’aucun autre moment, ils posent la question des pratiques sociales, individuelles comme collectives, de la mémoire. Le journal de Jules-Émile montre que tous les objets ayant appartenus aux défunts deviennent des monuments. En fouillant « les tiroirs aux souvenirs de famille » [14] – « il y en a des quantités ! » note-t-il naïvement –, il retrouve des objets qui deviennent des souvenirs de sa mère défunte. Robes, meubles, bijoux, bibelots : tout est susceptible de faire souvenir. Après la mort de « maman Jules », il se rend chez elle « pour le partage des objets ». « J’ai la belle pendule Louis XIV, la Vierge en ivoire, le cœur Jean Bart… » note-t-il dans un inventaire pathétique [15]. Un an plus tard, alors que la famille met en vente les objets restants, l’estimation par un antiquaire entre en contradiction avec leur valeur sentimentale :

12

« Je suis surpris de ce que l’on ne soit pas amateur du vieux canapé de papa Jules, estimé seulement 40 F et du secrétaire de maman Jules 75 F. Je m’empresse de prendre ces vieux souvenirs plutôt que de les laisser aller chez Minet » [16].

13À la mort de Mathilde, ce sont ses robes et ses accessoires de toilette qui sont mués en monuments [17]. Les proches reçoivent robes et dentelles : autant d’invitations à se souvenir. La pratique est suffisamment courante dans les années 1880 pour que l’entourage attende ces dons : avec « maman Loyer », Jules-Émile fait « des lots pour les dames Gustave, Albert, Pierre-Bernard, madame Ernest » et sa sœur Louise lui « recommande sa fille Émilie, la filleule de Mathilde pour un souvenir personnel ». La jeune femme choisit alors, avec l’aide de « son mari et de sa mère » et, on imagine, dans un pieux recueillement, entre « la bague rubis, la paire de boutons perles fines [et] la broche émail de Limoges » [18]. La pratique apparaît largement ritualisée : point ici d’excès de sentimentalisme de Jules-Émile, mais une culture partagée dans laquelle les objets ont la charge de raconter des histoires intimes et de perpétuer le souvenir. Cette manière d’investir par la mémoire et le sentiment les objets se retrouve dans une autre pratique autobiographique qu’est le testament. Leur lecture souligne cet investissement sentimental grandissant des objets. Si le testament spirituel – le « beau testament » du xviiie siècle analysé par Michel Vovelle [19] – recule, ces écrits s’attachent toujours plus, après le milieu du xixe siècle, à évoquer les objets et leurs histoires. Confiant dans leur capacité des objets à porter le souvenir et à permettre, voire à favoriser, l’anamnèse, la bourgeoisie de la seconde moitié du siècle est aussi confiante dans leur capacité à porter quelque chose de la personnalité de leur propriétaire. De cette façon, tous les objets – même si ce n’est pas au départ leur destination – peuvent faire objet de mémoire. Une robe, quelques bijoux – le plus souvent hérités – ou une image figurent l’absent et rendent son absence incontournable. Dans les testaments, ce sont les histoires d’une cafetière brisée sur trois générations, d’un portrait à l’huile, d’un éventail ou d’un jouet qui fonctionnent comme des documents du récit familial [20].

14Cette culture de l’objet censé porter quelque chose de l’être perdu s’attache aussi, dans une tradition de la relique, aux traces organiques. Alors qu’il conserve et distribue la garde-robe de sa femme, Jules-Émile se soucie de l’ultime relique :les cheveux. Il note ainsi en mai 1889 : Lalment, coiffeur ou artiste en cheveux, « vient prendre les cheveux coupés sur la tête de ma pauvre femme afin de les nettoyer et que je puisse les conserver » [21]. La pratique n’est alors en rien marginale. Développée depuis la fin du xviie siècle, elle consiste à faire, à partir des cheveux, des tableaux ou des bijoux [Ill. 5 / 6]. Le rapporteur de l’exposition des produits de l’industrie de 1849 donne le sens de cette pratique :

15

« Les cheveux sont le seul souvenir matériel qui puisse rester des personnes aimées ; les familles, les amis regardent comme un pieux devoir de conserver […] ce souvenir des absents ou des morts et cet usage a donné naissance à une petite industrie. Les cheveux ont été tressés pour en former des bagues, des bracelets, des colliers, des cordons, des bourses ; on en a fait des gerbes, des palmes, des boucles, des chiffres, etc. ; on a été jusqu’à les transformer en fleurs, en arbres, en bouquets, en corbeilles, et enfin on s’en est servi […] pour peindre des tableaux » [22].

16TABLEAU EN CHEVEUX FAIT À L’AIGUILLE

Ill. 5
Ill. 5
Maison Osmer-Jérosme, tableau de cheveux à l’aiguille, « Vue des environs et chaumière de Bernay (Normandie) », d’après le tableau de J.-P. Hackerts, 1855. Gravure extraite de Charles Joseph N. Robin, Histoire illustrée de l’Exposition universelle, par catégories d’industries, avec notices sur les exposants, Paris, Furne, 1855, p. 378
Ill. 6

Modèles pour tableaux et bijoux en cheveux. Extrait du catalogue de Firmin Giry, Paris, Lemercier et Cie, Dessins pour tableaux et bijoux en cheveux, vers 1880, lithographie. Collection M. Charpy

Ill. 6

Modèles pour tableaux et bijoux en cheveux. Extrait du catalogue de Firmin Giry, Paris, Lemercier et Cie, Dessins pour tableaux et bijoux en cheveux, vers 1880, lithographie. Collection M. Charpy

17Si les productions parfois spectaculaires de la première moitié du siècle – la maison Osmer-Jérosme présente par exemple une « vue des environs de Bernay » –, reculent, on continue à créer des mourning pictures avec quelques mèches de cheveux mises en forme et installées dans un globe de verre, parfois associé à une photographie [23]. On ne sait si Scrive, comme on le fait volontiers au milieu du siècle, a fait réaliser un portrait en cheveux de sa veuve, un paysage ou s’il se limite à un assemblage [24]. Quoi qu’il en soit, bien après sa condamnation comme une pratique « morbide », le journal indique qu’on continue à collecter jalousement cette ultime trace. [Ill. 7 / Ill. 8].

Ill. 7
Ill. 7
Représentation en cheveux d’un portraitiste peignant un couple… Exemple d’un objet produit par un artisan en cheveux, années 1870, Paris. Collection M. Charpy
Ill. 8

Tableau de cheveux d’un couple parisien avec son enfant, années 1870. Collection M. Charpy

Ill. 8

Tableau de cheveux d’un couple parisien avec son enfant, années 1870. Collection M. Charpy

18Dans cette collecte des traces ultimes, le journal donne aussi à comprendre la place des portraits après décès, en photographie ou par « empreintes sur mort », c’est-à-dire des moulages du visage du cadavre. Pour ces derniers, la pratique du masque mortuaire est là aussi très courante durant toute la première partie du siècle. Pour les photographies, la pratique est intense jusque dans les années 1870 : daguérréotypistes puis photographes des années 1860-1870 proposent à Lille comme à Paris de faire l’ultime portrait, même si la pratique en rebute certains [25]. Le journal de Scrive indique que si ces pratiques demeurent pour les « grands hommes », elles sont abandonnées dans la bourgeoisie. Il faut dire que ces portraits sont délicats à réaliser : pour les moulages, un long travail de taxidermie est nécessaire pour éviter l’affaissement des chairs qui produirait un masque inquiétant [26]. Pour la photographie, un abondant maquillage et de la ouate permettent seuls de donner au mort une figure apaisée. À lire les manuels de moulages comme de photographie, ces ultimes portraits doivent figurer la personne endormie. On préfère à partir des années 1860-1870 – au moment où toute la bonne société est passée devant un objectif – reprendre les images de la personne vivante. Le souvenir s’attache aux moments partagés et non plus au dernier soupir. C’est d’autant plus facile que la photographie sur négatif permet retirages, recadrages et multiples. Mais l’image gagnant en virtualité et en mobilité perd aussi de son caractère de relique. Les photographes vont rapidement remédier au caractère trop fragile de l’image sur papier. La photographie mortuaire d’ornement prend alors un essor considérable avec le succès des portraits en médaillons ? qui prennent place sur les pierres tombales. Les images des personnes vivantes sont figées dans l’émail. Car si le daguerréotype, pâle reflet changeant, est alors obsolète, il avait l’avantage d’avoir la dignité et la longévité manifestes d’un objet en métal gravé. Avec l’avènement de la photographie sur papier, le support perd de sa capacité à faire monument et à s’inscrire dans la durée. Ainsi dès les années 1860, au moment où le papier l’emporte sur le cuivre, des dizaines de brevets sont déposés non seulement pour les images vitrifiées sur métal des cimetières mais plus encore pour transférer ces techniques à des supports papier [27]. Tous les brevets l’indiquent : il s’agit de rendre l’image des êtres chers « imputrescibles » et « inaltérables ». Dans les cimetières comme dans les intérieurs, les images au charbon ou au grain d’argent vitrifiées se donnent comme des « souvenirs éternels ». Les images de Mathilde faites après sa mort et destinées à être distribuées doivent faire monument. Il s’agit comme le note Jules Émile de faire des « portraits-cartes d’album », ces grandes photographies montées sur un épais carton, souvent doré sur tranche [28]. [Ill. 9 / Ill. 10] Ces cartes sont frappées de la mention « inaltérable » ce qui en fait à la fois comme l’a noté Roland Barthes, le souvenir d’un moment définitivement perdu et la tentative pour échapper au temps [29].

19Ce que montre le journal de Scrive et qui permet de mieux éclairer le marché des images, c’est que les images, pour devenir « les monuments de la vie usuelle » [30] doivent prendre les traits du passé. Dans la culture bourgeoise du xixe siècle, le meilleur moyen de s’assurer de durer est de perpétuer des pratiques aristocratiques. En outre, la photographie crue n’est pas digne car elle apparaît sans tradition. Les photographes pallient ce défaut en usant de décors et de poses empruntés directement à la peinture et en retravaillant lourdement les images. La retouche relève d’un arrangement avec le réel et d’une réécriture de la mémoire, mais c’est aussi une manière de muer les photographies en peintures. Un flou artistique, inspiré des pictorialistes et imitant le fusain, achève d’anoblir l’image. Reste que le journal de Jules-Émile l’indique : ces images n’ont pas toujours la dignité idoine. En septembre 1885, après la mort de « papa Jules », Jules-Émile fait réaliser comme « image de deuil » une lithographie par Édouard Boldoduc, image qui possède la dignité de la production artistique tout en permettant comme la photographie les multiples. Le lithographe lillois est d’autant plus indiqué qu’il est, outre un portraitiste « délicat », déjà réputé pour ses vues des monuments anciens de Lille [31]. Cependant, pour la dévotion intime et l’anamnèse, unicité de l’image et tradition esthétique semblent primer. En octobre 1886, Jules-Émile fait ainsi réaliser par le peintre Schrevere des portraits de ses parents au pastel, technique digne car inscrite dans la tradition des portraits familiaux depuis le xviiie siècle [32]. Le prix confirme la valeur : ils coûtent 125 francs alors qu’un grand tirage photographique en vaut aux alentours de dix. Ils sont, comme le mentionne le journal, réalisés d’après photographies selon une pratique généralisée après les années 1870. En réaction à la démocratisation massive de l’image photographique, toute la génération des années 1870-1880 fait en effet produire des tableaux à l’huile ou des dessins des ancêtres à partir des photographies. Tous les peintres de la fin du siècle proposent de réaliser des portraits d’après photographies dans des techniques nobles : peinture à l’huile, sanguine, fusain, pastel… [33] Comme le signalent les publicités, des indications quant à la complexion, à la teinte des cheveux et des yeux, et un choix concerté quant à la gestuelle, suffisent à faire une image qui semble avoir été posée et qui peut former une « galerie de portraits de famille peints à l’huile » aux allures aristocratiques. Ce retour des portraits traditionnels explique l’inflation vertigineuse des peintres portraitistes après 1870, à Lille, à Paris comme dans toutes les villes occidentales [34].

Ill. 9

Mathilde Scrive-Loyer, photographie carte de visite, photographe Carette, Lille

Ill. 9

Mathilde Scrive-Loyer, photographie carte de visite, photographe Carette, Lille

(AD Nord 39 Fi 132)
Ill. 10

« Impression inaltérable au charbon » de Lucie de Négri, Nestor Schaffers, Gand

Ill. 10

« Impression inaltérable au charbon » de Lucie de Négri, Nestor Schaffers, Gand

(AD Nord 39 Fi 141)

Postérités : les souvenirs à venir

20Ces images accusent le désir de postérité mais aussi celui de la contrôler. C’est manifeste chez Scrive qui fait multiplier et distribue son portrait avec décoration. Plus encore, c’est évident lorsqu’il se fait peindre en 1894 par Rémy Cogghe, un des peintres les plus en vue dans la haute société lilloise. Le tableau consacre une carrière, mais fixe aussi l’image d’un grand-père et d’un patron installé. Jules-Émile le sait alors : il est à l’acmé de sa réussite sociale et de sa vie professionnelle et, à 57 ans, le tableau a tout du testament [35]. Peinture à l’huile destinée à être transmise au sein de la famille et portraits photographiques largement distribués indiquent le désir de maîtriser sa postérité visuelle et par là de modeler son souvenir, tant l’image est alors placée au centre du culte des ancêtres. Les testaments de la seconde partie du siècle voient se multiplier cette prise en charge anticipée de l’économie mémorielle familiale. Un seul exemple, socialement comparable : François-Joseph Desfrançois. Directeur adjoint de la Compagnie d’assurances L’Urbaine, installée à Paris rue Le Peletier, il rédige son testament en 1882 à l’âge de 54 ans :

21

« En sa qualité d’aîné et de légataire universel, Alfred aura la garde des papiers de famille et manuscrits laissés par moi. […] Ma volonté est que ces souvenirs comprenant bustes, portraits et albums ne soient pas dispersés et restent à la disposition de tous les membres qui voudront les consulter, aussi est-ce Servance [berceau de la famille] qui me semble le lieu le mieux choisi pour ce dépôt. J’engage fortement mes neveux à s’entendre pour constituer des archives de famille au fur et à mesure que des faits intéressants se produiront et que de nouvelles générations surviendront. J’ai toujours été frappé, en le regrettant, de la négligence des familles qui ne savent rien de leur propre histoire » [36].

22La suite du testament montre qu’il lègue deux grands bustes de lui – réalisés sans doute d’après photographie comme c’est l’usage depuis les années 1870 – et douze bustes en réduction, à la fois de lui et de son fils. Les bustes ont le double avantage de pouvoir être multipliés par le moulage tout en restant, grâce aux imitations de marbre et de patine du bronze, dans la filiation des représentations dignes. Qu’il s’agisse de bustes ou d’une peinture à l’huile doublée de multiples photographiques, c’est toujours d’un legs et du désir de prendre en charge son propre souvenir dont il s’agit. Le journal lui-même pourrait être inclus dans cette économie mémorielle mais à le lire, il ne délivre pas une image fixe et glorieuse de Jules-Émile. Sans doute a-t-il envisagé comme tous les hommes du siècle un legs écrit sous la forme de mémoires. Surpris par la mort ou trop dilettante, tout indique qu’il ne s’est pas lancé dans cette entreprise ou qu’elle demeura inachevée. Testaments, mémoires autobiographiques et portraits sont de même nature. Dans l’écrit comme dans l’image, il s’agit de contrôler son propre souvenir et l’on sait, particulièrement dans les familles d’extraction récente, à quel point l’oubli menace.

23Comme a pu le noter Maurice Halbwachs, le monde des objets dans les intérieurs « ne changent pas ou changent peu, et nous offrent une image de permanence et de stabilité. C’est comme une société silencieuse et immobile […] qui nous donne un sentiment d’ordre et de quiétude ». Celui qui s’était alors illustré en analysant les cadres de la mémoire collective et leur inscription dans le bâti concluait :

24

« Ainsi s’explique que les images spatiales jouent un tel rôle dans la mémoire collective [de la famille]. Le lieu a reçu l’empreinte du groupe, et réciproquement. […] Un événement vraiment grave entraîne toujours un changement des rapports du groupe avec le lieu, soit qu’il modifie le groupe dans son étendue, par exemple une mort, ou un mariage, soit qu’il modifie le lieu, que la famille s’enrichisse ou s’appauvrisse, que le père de famille soit appelé à un autre poste ou passe à une autre occupation. À partir de ce moment, ce ne sera plus exactement le même groupe, ni la même mémoire collective, mais, en même temps, l’entourage matériel non plus ne sera plus le même. »

25La conclusion s’impose : c’est dans notre environnement matériel « que notre pensée doit se fixer, pour que reparaisse telle ou telle catégorie de souvenirs » [37].

26Jules-Émile, comme toute la société bourgeoise, est attentif à cette façon dont les objets comme les images portent au sens plein du terme le souvenir : à la fois vers le passé dans un travail de ressouvenir et vers l’avenir, en tant que legs. Sans doute est-ce là un trait de la culture bourgeoise que de parvenir à s’inscrire dans sa propre histoire. Alors que dans les milieux populaires lorsque, fait rare, les objets traversent les générations, ils deviennent vite muets, le travail écrit et oral de récits mené dans les familles bourgeoises participe pleinement à la fiction biographique et familiale [38].

L’économie du multiple : les portraits et leurs usages sociaux

Le succès des portraits multiples

27Dès les années 1930, Gisèle Freund a ancré l’histoire de la photographie dans son contexte social. Elle faisait ainsi débuter son histoire avec la pressante demande de portraits à la fin du xviiie siècle par une bourgeoisie marchande et industrielle ascendante [39]. Le développement conjoint du physionotrace et des silhouettes conforte cette thèse. La filiation est alors inscrite dans les machines : elles reproduisent fidèlement et sans que l’opérateur n’ait besoin de formation artistique. Cette généalogie apparaît cependant imparfaite. Le fond Scrive nous rappelle que c’est avant tout une nouvelle économie sociale de l’image qui se déploie bien plus qu’une nouvelle façon de produire des portraits. Le nombre de peintres qui proposent des portraits à l’huile ne cesse en effet d’augmenter, bien plus rapidement que la croissance démographique. Dès les années 1830, tous les peintres, à l’instar du Pierre Grassou campé par Balzac, s’occupent de faire le portrait de ce qu’on appelle alors en langage d’atelier des « melons » ou des « gras » [40]. Les « bourgeois de Paris conçoivent périodiquement l’idée burlesque de perpétuer leur figure, déjà bien encombrante par elle-même » écrit Balzac et son « rapin » rencontre le succès en peignant des portraits moyens pour la moyenne bourgeoisie. Sans surprise, les prix baissent considérablement : contrairement à l’idée reçue véhiculée dès le milieu du siècle par la réclame, un portrait fait par un peintre sans renommée coûte à peine plus cher qu’un portrait au daguerréotype. La « portraituromanie » observée au milieu du siècle par Victor Fournel, indique qu’avant l’avènement de la photographie à proprement parler, la consommation de portraits sous toutes leurs formes est ancrée dans la société [41]. Mais ces images ont alors un défaut : elles ne peuvent être multipliées. C’est sans doute là la profonde révolution introduite par la photographie dans les usages sociaux et singulièrement familiaux des images. Les recherches acharnées dans les années 1850-1860 pour des techniques de reproduction de la peinture à l’huile attestent le désir de pouvoir multiplier les portraits. Les échecs de l’oléographie sur toile obligent à se rabattre sur la chromo-lithographie mise au point au début du siècle [42]. Mais son coût est prohibitif pour les petits tirages. On peut ainsi dire que le développement de la photographie naît deux fois : quand on parvient à fixer l’image sur une plaque de cuivre et socialement, une seconde fois quand on entre dans l’âge du multiple. Il faut dire que durant toute la première moitié du xixe siècle, la recherche du multiple est permanente : il ne s’agit pas seulement de produire industriellement des séries, mais de pouvoir fournir des multiples à l’échelle des familles et des réseaux sociaux. Aux cartes de visite typographiques – en général livrées par paquets de 100 exemplaires – on cherche à adjoindre des images. Les exemples sont nombreux, et notamment les succès du physionotype de Dieudonné et Sauvage [43] : il permet, à l’aide de centaines de tiges de métal, de prendre une empreinte du visage, empreinte qui peut ensuite être moulée en série. Leur publicité dit le projet :

28

« Le Physionotype est un véritable bienfait pour les familles ; ne seront-elles pas empressées de profiter d’une invention qui permet au fils, à l’épouse et au père de se survivre à eux-mêmes ? et de retrouver dans une empreinte inaltérable les traits d’une mère, d’un enfant, enlevés à leur amour » [44].

29Si le physionotype est un échec technique, le tour à portrait mis au point au début du siècle rencontre le succès : un pantographe associé à un ciseau puis à une toupie à la fin des années 1840 permettent de reproduire en série les bustes et ce sur tous les supports, y compris le bois ou le marbre qui ne peuvent être moulés [45]. On ne peut comprendre le succès de la photographie si l’on oublie cette demande sociale de multiples ; sans cela, le portrait à l’huile puis le daguerréotype tout aussi distinctif répondaient parfaitement à la demande d’une image mémorielle pouvant s’intégrer dans une galerie familiale.

30Dans la majorité des fonds, les images esseulées dominent. En réalité, les archives Scrive rappellent que l’économie du multiple est au cœur de l’économie des images. Jules-Émile évoque ainsi toujours « les photographies » qu’il fait faire : aller chez le photographe au xixe siècle, c’est se fourbir en images efficaces dans leur usage car multiples.

Liens familiaux et circulations des multiples

31Il suffit de dénombrer le nombre de photographies dans le fonds Scrive pour se convaincre que le multiple participe pleinement à tisser les liens de la famille contemporaine et à les resserrer. Car c’est bien ici un fait nouveau que cette circulation des images dans les familles : tout juste, jusqu’alors, fait-on copier les portraits à l’huile par un peintre – mais la copie vaut souvent aussi cher que l’original et reste de ce fait exceptionnelle [46]. Les archives Scrive conservent plus de 350 images de famille, de parents proches comme éloignés. Si les images de Jules-Émile, de Mathilde et des enfants sont produites à la demande de Jules-Émile lui-même, l’immense majorité est reçue des parents. Une séance de studio donne lieu à une distribution de multiples en direction de tous les parents. Les images sont échangées par courrier, lors des réunions de familles hebdomadaires ou annuelles, à l’occasion des fêtes familiales. En retour, Jules-Émile est attentif à faire circuler les images de lui et des siens. Les photographies de ses enfants réalisées régulièrement dans le studio de Carlier sont multipliées et lors du décès de Mathilde, on l’a vu, il fait réaliser plus d’une vingtaine de tirages de son portrait destinés aussi bien à la famille qu’aux amies. Il ne s’oublie pas lui-même : son portrait « émaillé » où il arbore sa décoration est commandé en vingt exemplaires, qu’il s’empresse de faire circuler [47].

32Ces multiples constituent ainsi autant de galeries familiales qu’il y a de foyers ; seule variante, les images sont réorganisées autour de chaque propriétaire. Au sein même des intérieurs, le multiple permet une mise en scène plurielle de la mémoire et des pratiques du souvenir [48]. D’une part, l’album, enfant du keepsake et parent du journal intime, devient un véritable monument familial [Ill. 11/ Ill. 12/ Ill. 13]. Les marchands d’articles de Paris comme les papetiers en confectionnent qui sont de véritables autels à la gloire de la famille : des fermoirs lourds de bronze et d’épaisses couvertures de cuir manifestent leur capacité à protéger durablement les images [49]. À la croisée de l’arbre généalogique et de la galerie de portraits, ils deviennent après 1860 des objets incontournables, régulièrement évoqués par Jules-Émile. Dans le même temps, ces images réduites ou agrandies prennent place dans les intérieurs. Elles sont rejetées des espaces de réception pour leur trop grande vulgarité après 1860. Ermance Dufaux le confirme en 1883 :

Ill. 11

Modèle de présentation d’albums avec broderies et pieds en bronze, La Mode illustrée, 1883, coll. M. Charpy

Ill. 11

Modèle de présentation d’albums avec broderies et pieds en bronze, La Mode illustrée, 1883, coll. M. Charpy

Ill. 12

Albums du début des années 1880. Collection M. Charpy

Ill. 12

Albums du début des années 1880. Collection M. Charpy

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Albums du début des années 1880. Collection M. Charpy

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Albums du début des années 1880. Collection M. Charpy

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« La place des portraits de famille est au salon. Cependant si ce sont des œuvres médiocres, il est mieux de les reléguer dans une chambre à coucher […]. Les photographies resteront dans l’album ; à peine s’il est fait exception pour deux ou trois des plus notables ; encore l’élégance du cadre doit-elle sauver la vulgarité de ce genre de portrait » [50].

34Louise d’Alq confirme cette migration : « dans une chambre à coucher, des photographies, des portraits de famille, tout ce charmant fouillis des souvenirs du cœur y trouve sa place, quelle que soit la qualité de l’œuvre », voire même sur « les murs du cabinet de travail » [51]. Comme le confirme l’observation des inventaires après 1870, les photographies trouvent refuge dans les espaces de l’intime et du ressouvenir que sont les chambres, les cabinets d’hommes et les petits salons ou boudoirs. Les cadres de la mémoire ne sont pas uniquement mentaux : se souvenir et célébrer les ancêtres appellent des cadres luxueux et lourds, en bronze, en plâtre moulé et peint, en « bois durci » [52] ou encore en velours qui a l’avantage de capter poussières et empreintes appelant ainsi à soigner les souvenirs [Ill. 14]. Plus les images paraissent fragiles, plus les cadres doivent les inscrire dans la matière et la durée. Sur l’étagère à bibelots d’un boudoir ou appendues au mur des chambres et, en même temps, dans l’album-monument familial, à l’instar du partage entre le journal intime d’un côté et le livre de raison de l’autre, ces multiples permettent à la fois la piété dans les espaces intimes et la construction d’une mémoire collective dans les espaces de représentation.

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Modèles de cadres pour photographies et miniatures. Planches extraites du catalogue de démonstration de la Maison Adolphe Giroux, boulevard des Capucines, vers 1860. Bibliothèque des arts décoratifs

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Modèles de cadres pour photographies et miniatures. Planches extraites du catalogue de démonstration de la Maison Adolphe Giroux, boulevard des Capucines, vers 1860. Bibliothèque des arts décoratifs

35Michelle Perrot définissait la famille comme un « être moral », « qui se dit, se pense, se représente comme un tout. Des flux la parcourent qui maintiennent son unité : le sang, l’argent, les sentiments, les secrets, la mémoire » [53]. Nous ne saurions mieux dire, si ce n’est ajouter que, outre les objets, les images multiples jouent à partir de la seconde partie du siècle un rôle de premier plan dans ces « flux » qui construisent l’identité bourgeoise et fabriquent l’étoffe de la famille.

Matérialiser ses réseaux

36L’économie des multiples déborde largement le cadre familial. D’abord parce qu’on le voit à la lecture du journal – et les études sur le patronat l’ont montré de longue date –, réseaux sociaux et familiaux se confondent. Mais aussi parce que le multiple photographique permet de matérialiser les réseaux sociaux. Le succès de la carte de visite photographique, succès fulgurant au début des années 1860, repose largement sur sa capacité à sceller des liens [54]. Après avoir collectionné depuis le xviiie siècle les cartes de visite typographiées, on se met à accumuler les images de ses relations amicales, mondaines et professionnelles. On l’a vu jusqu’à maintenant : à chaque pratique d’écriture – comptabilités, mémoires, journal… – répond un usage des images. Significativement, alors que la carte de visite photographique rencontre un large succès, le carnet d’adresse devient un des éléments des écritures ordinaires et ce dans toutes les strates de la bourgeoisie [55]. Les rares carnets conservés montrent un travail scrupuleux pour mettre à jour les liens sociaux, mentionner leur nature, travail qui semble échoir aux femmes [56]. Dans une bourgeoisie inquiète de se fabriquer et d’entretenir des relations sociales, la collection de cartes permet de mesurer son entregent et de visualiser son étendue sociale. Jules-Émile n’enregistre qu’une fois cette distribution, en 1880 : son portrait en 20 exemplaires qui célèbre sa décoration va par courrier jusqu’à Lisbonne où réside son ami et représentant Lallement [57]. Le geste est sans aucun doute trop ordinaire pour être régulièrement mentionné. Les comptabilités privées indiquent que la commande régulière de ces images dure, tout au moins pour ceux dont la vie mondaine et professionnelle le permet, jusqu’au début du xxe siècle [58]. Là encore, la circulation de ces portraits fonctionne sur la réciprocité : Jules-Émile mène la comptabilité précise de ses réseaux en les amassant. On peut en dénombrer plus de 150 qui sont à l’évidence collectés à des fins mondaines et professionnelles : peintres, collectionneurs, négociants, entrepreneurs…

37Aux albums familiaux répond ainsi un paysage social, recomposé le plus souvent dans le bureau de monsieur, alors que madame prend en charge le travail de politesse épistolaire et le carnet d’adresse. On pressent que cette collection témoigne d’un désir de matérialiser ses relations sociales autour de soi.

Pratiques autobiographiques : textes, images et objets

38Cette manière de rassembler autour de soi ses propres images, celles de sa famille comme de ses relations sociales s’apparente aux pratiques d’écriture de soi. Images et objets figurent autour des individus une sorte de gangue qui les définit. Sans doute l’existence d’un journal et sa mise en regard des objets et des images renforcent-ils par trop la lecture autobiographique de ces pratiques sociales. Reste que ces pratiques parentes et en correspondance d’écriture de soi et de collection d’images et d’objets participent aux mêmes processus de construction d’une identité sociale et intime. Sinon comment comprendre ces travaux chronophages autant qu’improductifs ? Il s’agit dans les deux cas justement de créer un espace à côté du monde professionnel – d’autant qu’il est alors troublé –, un espace où l’individu est censé s’épanouir hors de toute nécessité. La formule convenue du « jardin secret », alors très présente en tête des carnets intimes et des albums, indique cet espace délimité et protégé dans lequel l’individu se construit. Il y a là le désir, dit régulièrement par Jules-Émile, de prendre de la distance par rapport au quotidien pour s’appréhender avec plus d’acuité et s’épanouir en dehors, du moins le croit-on, d’un ordre social imposé. En cela, l’écriture autobiographique, collection des images de soi et pratique de la collection, ne sont en rien hétérogènes et si l’historiographie les disjoint, le fonds Scrive nous invite à voir de quelle manière elles relèvent de la même discipline ou techniques de soi [59].

Images de soi et modèles édifiants

39Le fonds Scrive contient au moins douze images de Jules-Émile seul et environ une cinquantaine avec sa femme. Les premières datent de 1857, alors qu’il a vingt ans, et la dernière de 1894, alors qu’il a 57 ans. Entre les deux images, son mariage en 1866 à 29 ans et sa décoration vingt plus tard constituent les temps forts de la production de portraits. Les poses sont ordinaires : l’expression de l’individu passe par une somatique fixée durant la première moitié du siècle [60]. Si Jules-Émile se dit « très content » de son photographe, c’est que ce dernier sait se conformer aux modèles dominants. C’est en même temps toute l’ambiguïté de ces représentations : les modèles ont le sentiment de participer à leur fabrication en même temps qu’ils demandent à l’homme de l’art de leur proposer les poses, les décors et les accessoires convenus et adaptés à leur âge, leur sexe, leur rang social, leur profession… On comprend mieux l’attention que porte Jules-Émile aux portraits quand il visite musées et collections privées. Il admire ainsi à Paris le « superbe » portrait de Mme de V. par le très à la mode Carolus Duran [61] ; en visite à Chartres, les « portraits de la famille d’Aligre » retiennent son attention et dans les nombreux salons et expositions de peinture, ce sont les portraits – qui plus est lorsqu’il connaît les modèles – qu’il mentionne. La fréquentation des peintres, pleinement intégrés à la vie mondaine bourgeoise depuis le milieu du siècle, accroît sans aucun doute cette attention et nourrit une forme de compétition visuelle qui débouche sur le choix de Rémy Cogghe :

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« Dîner chez Édouard Agache, note-t-il en 1880, avec ses père et beau-père [et] le peintre Morot qui fait le portrait de la jeune Madeleine, Lecreux-Druez, Albert Crespel, les Decroix, Ernest Plaideau, Leblan-Delsalle » [62].

41Le tiraillement entre désir de conformité et affirmation de l’individu est ainsi présent dès la pose dans les studios des photographes ou des peintres. Ce conformisme ne rend que plus sensibles les infimes détails qui marquent les évolutions de l’apparence et racontent un parcours qui, lui, prétend à la singularité. On le devine chez Jules-Émile si attentif, comme tous les diaristes au demeurant [63], aux défaillances physiques et effets de l’âge sur son corps : la collection de ses portraits, et notamment des photographies, est matière à méditation. Blanchiment de la chevelure, embonpoint, costumes de mariage, apparition d’une discrète mais ostensible décoration : la conscience de soi est accrue par ce face-à-face rétrospectif rendu possible. Alors que les secrétaires et les bureaux de femme s’équipent de miroirs qui invitent à la réflexion au double sens du terme, les photographies permettent cette mise en perspective de sa propre histoire par le truchement de son apparence, à la fois corporelle et socialement codifiée.

42À cette collection de portraits – de soi et des siens – s’ajoutent des portraits qui sont autant des modèles esthétiques que de réussite. Alors que Nadar, Disdéri et toutes les grandes maisons de photographe commercialisent avec succès des « panthéons », collection des illustrations du temps, Jules-Émile s’entoure de portraits dans une logique d’édification, si familière au xixe siècle. Figures historiques – de Jeanne d’Arc à Washington en passant par Élisabeth Ier –, écrivains – Shakespeare, Hugo, Lamartine, Walter Scott… –, peintres – Michel-Ange, Léonard de Vinci, Le Titien, Rembrandt… –, musiciens – Beethoven, Liszt et Rossini –, hommes de sciences – Copernic et Galilée –, hommes politiques, au demeurant éclectiques – Guizot, Thiers, Napoléon III, Lacordaire… – et religieux – Jules ii, Léon x, Pie ix, Dupanloup… – constituent ce panthéon d’album qui doit faire exemple [64]. La pratique est ordinaire jusqu’à l’épicier Félix Potin qui distribue son propre panthéon à des fins publicitaires. Si généralement l’album de ces illustrations est distinct et fonctionne comme un panthéon autonome, bustes, masques mortuaires et cartes-albums des grands hommes trouvent une place sur les cheminées ou les murs. Catalogues de fondeurs et mouleurs, photographies d’intérieurs comme inventaires après décès montrent que l’on vit alors au milieu de figures qui doivent comme par mimétisme édifier au quotidien l’individu, à la fois moralement et culturellement [65]. Dante, Voltaire, Rousseau, Napoléon ou Rachel : le siècle qui ne cesse de couvrir les places publiques de statues est confiant dans la capacité des images et des sculptures à transmettre culture et morale [66]. En peuplant son intérieur de ces figures, fait possible grâce au multiple, Jules-Émile se constitue son propre panthéon. Une reproduction de la Joconde relevée dans l’inventaire des photographies laisse en outre imaginer un musée en réduction aux murs. Dans les intérieurs de la seconde partie du siècle, les reproductions photographiques des « chefs-d’œuvres » de l’art viennent en effet comme en complément forger le bon goût par des reproductions d’œuvres socialement instituées [67].

Pratique de la collection : l’écriture autobiographique par les objets

43Nous avons vu d’emblée la place des objets dans la construction d’une mémoire et la pratique du ressouvenir. Il n’apparaît ainsi pas de solution de continuité entre les images et les objets : les deux sont des artefacts matériels investis d’une fonction mémorielle et des « sémiophores » chargés de récits par leurs usages [68]. Dans cette perspective, la collection de bibelots apparaît bien comme un des pans de cette construction de soi – ou self-fashioning [69]. Largement étudiée, la pratique de la collection reste cependant peu connue dans son ordinaire [70]. C’est ce que nous rappelle le journal de Jules-Émile : même inachevées et indignes des musées et d’un quelconque évergétisme, ce qui les rend invisibles pour l’historien et singulièrement pour l’historien de l’art, ces collections occupent une place importante. Éparpillées par les successions, ces collections perdent tout leur sens tant elles ont été construites comme un tout cohérent et autour d’un individu. Pourtant, le journal de Jules-Émile montre constamment cette parenté entre écriture de soi et patiente accumulation d’objets qui n’ont pas d’usages fonctionnels [71]. Immergé dans le monde de la marchandise, il bibelote des antiquités. Contre le monde du multiple industriel, Jules-Émile comme toute la bourgeoisie depuis le milieu du siècle, cherche soit des objets « authentiques » selon le terme devenu sacramentel, soit des objets uniques et qui n’ont pas été destinés à leurs acheteurs [72]. Tout au long du journal, on le découvre bibelotant chez les antiquaires de Lille, de Paris ou des villes qu’ils visitent en touriste. Ainsi, souvent accompagné de sa femme, il se rend chez Tahon l’antiquaire lillois où il achète « quelques bibelots » et des carreaux anciens pour garnir sa cheminée, chez Bellet des gravures anciennes et céramiques de Douai, chez Mailliez des bronzes Louis xvi, chez Facq un « lustre flamand » peut-être du xve siècle… Tout aussi souvent, à Paris, il fait la « visite d’antiquaires », se distrait « dans les boutiques de marchands de bric à brac », se promène « le long du quai Malaquais en regardant les étalages des marchands de bouquins et des bibelots », au Palais-Royal et rue Lafayette – « antiquités » mentionne-t-il laconiquement [73]. À ces pratiques de bibelotage, il faut ajouter la fréquentation très régulière des ventes aux enchères : à Lille comme à Paris, Jules-Émile y achète faïences, meubles, gravures, bibelots… [74]

44Quel sens donner à ce que Jules-Émile, un jour lassé, appelle ces « bêtises » ? S’il note qu’il « aime mieux conserver [son] argent que de le gaspiller en niaiseries et frivolités », son prosaïsme n’est que passager et il bibelote en réalité tout le temps où il tient son journal. À l’évidence, ces pratiques revêtent tout d’abord un caractère de distinction : pratiquer le bibelotage nécessite du temps, d’autant plus que c’est une forme de shopping des plus aléatoires, s’agissant d’un commerce de hasard [75]. Il s’agit dans le même temps de rejouer, comme le montrent par ailleurs toutes les comptabilités d’industriels et de commerçants, un autre rapport au monde des objets dans l’espace privé. Outre que c’est une manière de distinguer intérieur et espace public, on peut y voir le désir – en réalité une obligation sociale – de manifester sa capacité à échapper au monde vulgaire de la marchandise pour s’intéresser à celui de la rareté, d’objets rattachés à l’histoire et à l’art. En d’autres termes, bibeloter revient à montrer et se prouver à soi-même sa capacité à s’intéresser à des objets dont la valeur vénale ne reflète que la valeur culturelle. Comme l’a noté Russel W. Belk pour les collectionneurs du xxe siècle, collectionner peut être lu comme la « quintessence de la consommation », c’est-à-dire la capacité à acquérir des objets purement inutiles [76]. Autrement dit, la décontextualisation à laquelle procède l’acte de collectionner marque paradoxalement la distance du collectionneur au monde matériel. Mais en peuplant ses intérieurs de ces « débris, comme si la fin du monde était proche » [77], de ces objets hautement narratifs et socialement distinctifs, la bourgeoisie non seulement se démarque de la vulgarité du multiple industriel, mais s’approprie dans tous les sens du terme le passé. Jules-Émile, en bourgeois ordinaire, se forge ainsi une sensibilité à l’histoire et procède à demeure à une sacralisation du passé parente du culte des ancêtres comme au souci de postérité. Là encore dans une logique d’édification, vivre dans la familiarité de ces bribes du passé c’est apprendre, et sans aucun doute apprendre à ses enfants, à apprécier ses objets ésotériques pour la majorité de la population qui n’y voit que des objets obsolètes. Visites obsessionnelles des monuments historiques et bibelotage d’antiquités procèdent ainsi de la même logique. Ne fait-il pas lui-même le rapprochement lors de son excursion à Tournai en mars 1880 : « Nous voyons les monuments et les antiquaires » [78] ? L’histoire, pierre angulaire de la culture bourgeoise du xixe siècle, n’est pas qu’érudition – même si la famille Scrive y sacrifie à voir les très nombreuses vues de monuments, l’achat d’ouvrages historiques et la fréquentation régulière de conférences : plus profondément, c’est la familiarité quotidienne avec ces objets qui fonde une sensibilité distinctive au passé et par là une identité sociale. Ce souci de « se meubler en vieille France » [79] appelle de nouvelles pratiques signalées par Jules-Émile. Le 29 juillet 1888, il note : « Je m’occupe de combiner un banc “Renaissance” avec Mme Carlier en réunissant un certain nombre de panneaux de vieux bois ». La fétichisation des bribes du passé permet cette fabrication de meubles qu’on appelle alors « clunisiens », généralisés après 1880 [80]. Des bribes authentiques du passé comme pulvérisées dans les intérieurs permettent ainsi de se forger une sensibilité à l’histoire et plus encore la capacité à s’émouvoir d’un passé nébuleux. Dans ce paysage matériel, photographies et reliques trouvent aisément leur place.

45Dans cette logique, les nombreuses visites aux ventes aux enchères à Lille et plus encore à l’hôtel Drouot qui accompagnent presque systématiquement ses moments de loisirs à Paris montrent ce désir de partager une culture commune du passé [81]. Le succès des ventes aux enchères et singulièrement de Drouot, et leur embourgeoisement dans la seconde partie du siècle, s’expliquent en effet largement par ce désir de collecter des objets singuliers et sans prix tout en s’assurant par le jeu des enchères d’une consécration collective du goût et de la valeur [82]. Dans la même logique, les visites de Jules-Émile aux collectionneurs et aux amateurs montrent que la pratique de la collection permet de partager un goût et, dans le même temps, permet de se réinventer des sociabilités tout en demeurant dans un monde socialement homogène. Un exemple en novembre 1891, lorsqu’il visite la collection de M. de Béthune « petit-fils de madame de Renty » : « collection très remarquable de porcelaines et de médailles, de monnaies… » [83]. L’affirmation de soi n’est possible qu’à la condition d’être assurée qu’elle est dans ses formes socialement acceptée et, si possible, validée par l’histoire des grandes familles.

46Dernier et comme ultime aspect de cette collection d’objets uniques et authentiques : la collection elle-même. Jules-Émile, dilettante, l’évoque à peine et ne dit pas les motifs singuliers qu’il choisit. C’est pourtant le moment où les collections se diversifient à l’extrême. En 1878, le tapissier Jules Deville fait l’histoire d’un phénomène alors récent :

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« C’est à partir de 1860 que la mode d’avoir la passion du bibelot, de la collection a pris son essor. Jusque-là quelques familles possédaient une galerie de tableaux, quelques vases de Sèvres, quelques potiches […]. À côté des savants collectionneurs de médailles, de vases étrusques, d’armes, de tapisserie, de meubles, on est tout étonné de connaître des collectionneurs de chiffons, de chaufferettes, de boutons, de clous, etc., etc. » [84].

48Et de conclure que cette « passion de la curiosité » a pour résultat « la potichomanie », c’est-à-dire « l’étalage désordonné d’objets sans valeur et sans utilité ». Trois ans plus tard, Edmond Bonnaffé, dans sa Physiologie du curieux, note :

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« Quelle variété de types dans ce monde bizarre […] où l’on est tailleur, millionnaire, serrurier, artiste, politique, homme de robe, d’épée, d’affaires, de théâtre, de Bourse ou d’Église, médecin, poète ou notaire [et] où l’on collectionne tout, depuis le silex jusqu’aux Meissonnier, depuis les Van Blarenberghe jusqu’aux Michel-Ange », les crânes, les estampes ou les pipes… [85]

50Les annuaires de collectionneurs des années 1890 confirment le phénomène et ressemblent à un immense et universel bric-à-brac où toutes les passions semblent possibles [86]. Cette diversité n’est pas une simple dégradation de la collection aristocratique mais bien plus une forme d’affirmation nouvelle de l’individu par son goût et ses passions. Jules-Émile, comme de très nombreux bourgeois, a dû se passionner pour plusieurs collections, amorcées et abandonnées : meubles de la Renaissance, céramiques du xviiie siècle, ivoires et petits tableaux… On peut ainsi y voir le simple désir de partager une pratique adoptée par tous ses semblables ; on peut aussi faire l’hypothèse que même inachevées, ces collections témoignent de la parenté entre collection et rédaction d’un journal qui peuvent être considérées toutes les deux comme des pratiques autobiographiques. Si Jules-Émile consigne nombre de ses achats, c’est que ces objets avec les images fabriquent des souvenirs et forment autour de l’individu autant de traces et d’outils qui attestent de son existence. Comme le journal procède d’une mise en ordre du monde et des souvenirs autour de soi, la collection est elle aussi une façon de mettre le monde et le temps en ordre. On comprend mieux alors le soin porté à la muséographie domestique de ces bibelots : les vieux ivoires sont apportés « chez l’encadreur Chevalier pour qu’il les place dans des petits cadres de velours » [87] et Jules-Émile se rend « chez le menuisier Bulkens pour [s]’entendre avec lui au sujet des meubles […] achetés et en faire des vitrines à bibelots » [88]. Le succès de la vitrine, meuble qui apparaît dans les années 1830-1840, signe le succès de la collection et la tentative pour organiser un musée domestique où les objets portent à la fois quelque chose de l’histoire collective – ces sont des antiquités – et des souvenirs individuels – chacun est le fruit d’une « trouvaille ». Le caractère ordinaire des objets accumulés par Jules-Émile n’empêche pas qu’ils participent à cette formation de soi ; au contraire, leur caractère ordinaire indique que tout leur sens reposait sur l’individu au centre de cette accumulation. Ce qui donne sens aux collections réunies dans les intérieurs de la seconde partie du siècle, c’est donc bien l’individu qui a produit cet ensemble unique, ou selon Mary Douglas, le processus abouti d’une mise en ordre de la marchandise qui permet de construire sa personnalité [89]. Les collections relèvent ainsi d’une écriture de soi, d’« un discours à soi-même » pour reprendre l’expression de Jean Baudrillard [90], les objets possédant un sens « secret » connu seulement par celui qui les a réunis [91]. L’objet collectionné est décontextualisé et prend alors « un statut strictement subjectif » [92]. Poursuivant ce raisonnement, l’auteur du Système des objets a noté un élément central sans lequel ces collections sont muettes : « on se collectionne toujours soi-même » écrit-il. Car si la collection est « une succession de termes », « le terme final en est la personne du collectionneur ». En ce sens, les collections mêmes modestes, et celles de Jules-Émile le sont manifestement, ne sont donc pas des imitations ratées des grandes collections publiques ou privées mais bien, non seulement des façons de se façonner une culture et une sensibilité, mais aussi d’écrire une forme matérielle d’autobiographie où les objets mêlent souvenirs intimes et histoire collective.

Conclusion

51Pour qui s’intéresse à la construction de l’individu et de l’intimité, le journal de Jules-Émile Scrive est décevant. On aimerait y voir des écarts à la norme. Il n’en est rien et c’est sans doute là tout son intérêt. Au plus intime des pratiques de l’écriture, les formules sont convenues et les soucis ordinaires. Il en va de même pour tous les objets et images qu’il amasse autour de lui : les inventaires après décès, faillites ou scellés comme les marchés qui se construisent dans la seconde partie du siècle montrent qu’ils sont présents dans tous les intérieurs bourgeois. Mais ce que montre l’ensemble constitué par le journal et les photographies, c’est que ces images et une majeure partie des objets fonctionnent pour leurs possesseurs de la même façon : ils sont la matière de la mémoire. Le fonds Scrive interdit de reprendre les clivages introduits par les disciplines historiques : une huile sur toile, des photographies, des mèches de cheveux ou des bibelots anciens se révèlent de même nature et sont les fruits en même temps que les instruments des mêmes usages. Il remet dans un continuum objets et images qui s’organisent autour des individus et que l’on charge de porter le rapport au passé et aux autres membres de son groupe, familial, mondain comme professionnel. Par ces écrits et ces pratiques autobiographiques, ce sont bien les « bricolages » ou les pratiques sociales des objets et des images que l’on peut retrouver, « bricolages » qu’on croit trop souvent réservés aux sphères populaires. Or, la notion développée par Michel De Certeau traverse les classes sociales : elle rappelle simplement, mais avec force, que l’histoire matérielle est une histoire des pratiques sociales et culturelles [93]. Les images accompagnées d’écrits du privé offrent la possibilité de retrouver un peu de ces pratiques. Le fonds Scrive est ainsi une pièce importante, parce que rare, d’une histoire à la fois des pratiques sociales des objets et d’une histoire des figurations des absents, entre industrie et artisanat, entre affirmation de l’individu et conformisme.

Notes

  • [*]
    Manuel Charpy, professeur agrégé, docteur en histoire de l’Université François-Rabelais de Tours, chargé de recherches au CNRS UMR 8529 IRHiS, 93 rue des Couronnes, 75020 Paris.
  • [1]
    Voir par exemple A. Pardailhé-Galabrun (dir.), La Naissance de l’intime, 3 000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 1988 ; sur les limites de cette approche, voir D. Poulot, « Une nouvelle histoire de la culture matérielle ? », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, avril-juin 1997, p. 344-357.
  • [2]
    G. Benou, Code et manuel du commissaire-priseur ou traité des prisées et ventes mobilières, par Me G. Benou, avocat et commissaire-priseur, Paris, E. D’Ocagne, 1835, p. 291. Les vêtements de deuil sont eux aussi écartés des prisées, cf. p. 293.
  • [3]
    C. Demolombe, Traité des successions, Paris, A. Durand, L. Hachette, 1859-1867, p. 691.
  • [4]
    Le Journal du Palais, 1867, p. 911.
  • [5]
    Voir la synthèse de Philippe Lejeune sur la conservation des écrits intimes : P. Lejeune et C. Bogaert, Un journal à soi. Histoire d’une pratique, Paris, Éditions Textuel, 2003.
  • [6]
    Voir notamment I. Kopytoff, « The Cultural Biography of Things » dans D. Miller (dir.), Consumption : Critical Concepts in the Social Sciences, London, New York, Routledge, 2001, vol. 3, p. 9-33.
  • [7]
    8 août 1882.
  • [8]
    Voir notamment le tableau d’Édouard Richter, La photographie de bébé, présenté au salon de 1875 et largement reproduit par la maison Goupil. Toutes les comptabilités privées parisiennes confirment cette pratique.
  • [9]
    7 juillet 1883.
  • [10]
    Walter Benjamin raconte cette expérience parfois désagréable in Petite histoire de la photographie, Paris, Société Française de Photographie, 1996 [1931], p. 17. Voir aussi le passage consacré aux albums photographiques et au nouveau regard sur le social qu’ils induisent, dans P. Hamon, Imageries, littérature et image au xixe siècle, Paris, Éditions José Corti, 2001, op. cit., p. 42.
  • [11]
    Les machines à projeter les plaques de verres 9 x 13 se répandent dans les intérieurs dans les années 1880 ; la lumière électrique et le commerce massif de vues touristiques et historiques peintes font passer ces machines des lanternes magiques pour enfants à des usages familiaux voire scientifiques. Voir les publicités des marchands de diapositives dans les Annuaires Bottin-Didot du commerce qui promettent des « vues de tous les pays et monuments ».
  • [12]
    25 mars 1886.
  • [13]
    Voir, parmi d’autres, le manuel qui rencontre le plus de succès : Baronne Staffe, Usages du monde. Règles du savoir-vivre dans la Société moderne, Paris, Ernest Flammarion, 1891.
  • [14]
    6 juillet 1886.
  • [15]
    24 juillet 1886.
  • [16]
    29 mars 1887.
  • [17]
    7 mai 1889.
  • [18]
    10 mai 1889.
  • [19]
    M. Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au xviiie siècle. Les attitudes devant la mort d’après les clauses de testaments, Paris, Seuil, 1978.
  • [20]
    Voir à titre d’exemples pour la fin du siècle : Archives nationales (désormais AN), ET/XXXIV/1390, 23 avril 1881, consentement à exécution au testament de Mme Lebrun, rentière, veuve de Pierre-Antoine Lebrun, membre de l’Académie française, 1 rue de Beaune (Paris) et AN, MC, ET/LXVII/1830, 22 septembre 1897, testament et inventaire Veuve Antier, 54 rue Caumartin (Paris). L’étude des testaments montre une place croissante des objets mémoriels à côté des legs d’argent et de propriétés ; 11 % des testaments évoquent des objets dans les années 1860 contre 36 % dans les années 1890.
  • [21]
    11 mai 1889.
  • [22]
    Rapport du jury central sur les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849…, t. 3, Paris, Imprimerie nationale, 1850, p. 690-691. Dans les années 1850, on dépose de nombreux brevets – de « photocalcomanie » – qui permettent de faire des portraits en cheveux d’après photographies.
  • [23]
    Charles-Joseph N. Robin, Histoire illustrée de l’Exposition universelle, par catégories d’industries, avec notices sur les exposants, Paris, Furne, 1855, p. 378. Les archives privées montrent par ailleurs que cette pratique est présente dans toutes les grandes familles occidentales ; voir par exemple les carnets d’autographes avec mèches de cheveux brodées conservés à la New York Historical Society, Miller family papers, ca. 1854-1931. Voir en complément le seul travail sur la question et uniquement sur les bijoux de Marcia Pointon sur la France et l’Australie : « Materializing Mourning : Hair, Jewellery and the Body », in M. Kwint, C. Breward et J. Aynsley (dir.), Material Memories : Design and Evocation, Oxford, New York, Berg publishers, 1999, p. 39-57.
  • [24]
    Voir par exemple l’inventaire du banquier Leroy ; en fuite, les priseurs inventorient la totalité de ses biens y compris le « tableau en cheveux de Mme Leroy » sa veuve, AP, D11U3/175, dossier n° 11499, 5 avril 1854, faillite de la banque Leroy, De Chabrol et Cie, 16 rue Lepelletier.
  • [25]
    Voir les Annuaires Bottin-Didot du commerce de Lille et Paris, années 1860-1890, rubrique « photographes ». Nadar malgré son dégoût se souvient d’avoir été obligé de répondre à cette demande fréquente, voir Nadar, Quand j’étais photographe, Paris, Reprint Booking International, 1994, p. 1109 [Flammarion, 1900].
  • [26]
    M. Lebrun, Manuel complet du mouleur, ou l’Art de mouler en plâtre, carton, carton-pierre, carton-cuir, cire, plomb, argile, bois… édition revue et corrigée, Paris, Roret, 1860 [1829 pour la première édition], p. 45 et sq. et « Nature morte » p. 51-52 et « Moulage en plâtre des cadavres », p. 243. Voir en complément sur le moulage en général au xixe siècle, É. Papet, À fleur de peau le moulage sur nature au xixe siècle, Paris, Musée d’Orsay, 2002.
  • [27]
    Voir par exemple, INPI, brevet n° 12863, 26 février 1852, « Moyens perfectionnés propres à fixer les couleurs et rendre les portraits du daguerréotype inaltérables et indestructibles », par Allouis, bijoutier, 7 rue Jacob ; INPI, brevet n° 37337, 1858, Saujon et Garnier, représentés par Léon, Paris, rue Saint-Étienne du Mont, 24, « Procédé de photographie inaltérable » et n° 53919, 3 mai 1862, Moisson et Gittard, Héricy (Seine-et-Marne), « Procédés de vitrification des images sur verre » ; n° 94464, 15 mars 1872, M. Pietkiewicz « pour une boîte moule servant à repousser les portraits-cartes photographiques émaillés ».
  • [28]
    30 mai 1889. « Je vais chez le photographe Carlier porter le portrait de Mathilde pour en faire des portraits-cartes d’album ».
  • [29]
    R. Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Paris, Gallimard/Seuil/Cahiers du cinéma, Paris, 1980.
  • [30]
    E. Bonnaffé, Causeries sur l’art et la curiosité, Paris, A. Quantin, 1878, p. 6.
  • [31]
    Ces vues sont réunies en album en 1891 : É. Boldoduc, Album souvenir : Lille ancien monumental, suivi de sujets modernes, jeux populaires et fêtes publiques d’après nature, Lille, Boldoduc éditeur, 1891.
  • [32]
    27 octobre 1886.
  • [33]
    Voir par exemple AP, D2U6/91 1890, Paul-Émile Manifacier, Auguste Bourdel, J.-B. Audebert ; Comptoir du Progrès universel, 19 rue Niepce, Paris. Leur publicité indique : « Portraits peints à l’huile sur panneau bois, d’après photographie. Ce que nous offrons au public est un travail vraiment artistique, d’une grande perfection d’exécution et d’une ressemblance absolue, c’est l’œuvre des plus éminents artistes portraitistes de Paris. […] Le succès toujours grandissant de nos Portraits peints à l’huile, d’après photographie, est la meilleure preuve de la satisfaction du public. Nombre de personnes après avoir essayé d’une, nous ont ensuite envoyé à faire le portrait de parents ou d’amis de qui elles avaient la photographie. Chacune peut ainsi se constituer une intéressante galerie de portraits de famille peints à l’huile. […] La ressemblance est garantie. NB : indiquer bien exactement la couleur des cheveux et de la barbe, des yeux et du teint. ». Les prix sont entre 12 et 50 francs selon le format, soit de 3 à 10 fois plus cher qu’un portrait photographique.
  • [34]
    L’inflation est manifeste à Paris même si les annuaires ne distinguent pas les spécialités des peintres ; en revanche, les Directories pour Londres comme pour New York City (publiés par Trow pour Manhattan) distinguent les spécialités – peintres de portraits, paysages, natures mortes… – et montrent ainsi la place prédominante des portraitistes et leur inflation constante entre 1870 et 1900.
  • [35]
    À la lecture des testaments, c’est généralement entre 50 et 60 ans qu’ils sont rédigés, additionnés ensuite de codicilles.
  • [36]
    AN, ET/CXIII/1282, testament de M. François-Joseph Desfrançois, 1882.
  • [37]
    M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [PUF, 1950, publication posthume (inachevé à sa mort en 1945)], p. 194-197 et p. 209.
  • [38]
    Voir P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 62-63, juin 1986, p. 69-72.
  • [39]
    G. Freund, Photographie et société, Paris, Le Seuil, 1974 [thèse de 1936].
  • [40]
    H. de Balzac, Pierre Grassou, Paris, Charles-Béchet, 1839.
  • [41]
    « La portraituromanie, considérations sur le Daguerréotype », dans V. Fournel, Ce qu’on voit dans les rues de Paris, Paris, Plon, 1858, p. 384-385 (chapitre 19).
  • [42]
    Voir les très nombreux brevets déposés pour des systèmes de reproductions à l’identique de peinture sur toile ; voir par exemple pour la seule année 1869 : Institut national de la protection industrielle, brevet n° 88092, 4 décembre 1869, A.-M. Janicot, « pour un mode de peinture photographique sur tissus » et brevet n° 86152, 18 juin 1869, A.-M. Pouncey, « pour des perfectionnements d’édition de tableaux ou images photographiques coloriés ou non [sur tissus] ».
  • [43]
    Ce dernier est en outre l’inventeur avec Collas de systèmes de réduction d’objets en ronde-bosse à destination de l’industrie.
  • [44]
    Notice sur le physionotype inventé par M.-F. Sauvage, Paris, Imprimerie de Baudouin, 1835.
  • [45]
    L.-G.-I. Salivet, Manuel du tourneur…, Paris, Roret, 1816, « Le tour à portrait », Chapitre VIII, p. 435 et sq. Voir en complément, Bulletin de la société d’encouragement, septembre 1816, « tour à portrait », p. 199 et sq. et pour le développement à partir des années 1840, voir M. Alcan et C. Laboulaye, Dictionnaire des arts et manufactures, description des procédés de l’industrie française et étrangère…, Paris, A. Decq, 1861, p. 668 « Tour à portrait ».
  • [46]
    Voir par exemple la comptabilité du Comte de Mackau qui fait faire une copie du portrait, semble-t-il, de son père ; AN, Fonds Mackau, AP/156, carton 115, « Dailly, doreur en bâtimens et meubles, 23 rue de la Michodière, près les Bains chinois, encadre les tableaux, dessins, estampes et glaces, blanchit les estampes et vernit les tableaux, restauration de tableaux » (21 mars 1851).
  • [47]
    19 juillet 1880.
  • [48]
    Pour une très succincte évocation de la question dans l’Angleterre victorienne, voir C. Robertson, « Related objects : the Family Stuff in Victorian interiors » in The New-York Journal of American History, « Portraits, portraiture, and group dynamics », Spring/Summer 2006, p. 56-63 et B. Marie, « La photographie sur la cheminée », Paris, Métaillé, 1998. Je me permets en outre de renvoyer à mon article : « L’ordre des choses, Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914 », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 34, 2007.
  • [49]
    Voir les archives du papetier et marchand de couleurs Asse qui fournit quantité d’albums de photographies avec chiffres (AP, Asse, 2AZ14, 8 rue du Bac, comptabilités et carnets de commande, 1856-vers 1880).
  • [50]
    E. Dufaux, Le savoir-vivre dans la vie ordinaire et dans les cérémonies civiles et religieuses, Paris, Garnier frères, 1883, p. 16.
  • [51]
    L. d’Alq, Le maître et la maîtresse de maison, Paris, Bureaux des Causeries familières, 1885, p. 67.
  • [52]
    Il s’agit d’un agglomérat de sciure de bois et de sang de bœuf, très prisé dans les années 1860-1880 pour les objets d’étrennes et les bibelots.
  • [53]
    M. Perrot, Histoire de la vie privée. De la Révolution à la Grande Guerre, t. IV, Paris, Seuil, 1997, p. 168.
  • [54]
    Voir le travail pionnier d’E. A. McCauley, Disderi and the Carte de Visite Portrait Photograph, London et New Haven, Yale Publications in the History of Art, 1985 et plus récemment la synthèse sur la France de F. Boisjoly (avec le concours de J.-L. Pinol), La photo-carte. Portrait de la France au xixe siècle, Lyon, Lieux-dits, 2006.
  • [55]
    Sur ces « raisons graphiques » et la place des écritures ordinaires, voir D. Fabre (dir.), Écritures ordinaires, Paris, Bibliothèque publique d’information, Centre Georges-Pompidou / POL, 1993.
  • [56]
    AN, AB/XIX/3499, Carnet d’adresse Mme Déverin, femme d’un ingénieur des Arts et Métiers, installé 7, rue Chomel.
  • [57]
    19 juillet 1880.
  • [58]
    Voir les comptabilités et factures dans les fonds privés : AN, AB/XIX/4226, Fonds Gustave Richelot, années 1860-1910 ; AN, Paul Pettier, AB XIX 5223-5224, 1897-1910 ; AN, Aubry-Vitet, 572/AP, 1893-1914 et AP, D1U1/899. Scellés, famille Bordes, 1878-1880.
  • [59]
    M. Foucault, Dits et écrits, t. IV, Paris, Gallimard, 1980-1988, p. 634 et sq.
  • [60]
    Je me permets de renvoyer sur ces questions à mon article : « La bourgeoisie en portrait, Albums familiaux de photographies des années 1860-1914 », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 34, 2007.
  • [61]
    7 juin 1879.
  • [62]
    25 novembre 1880.
  • [63]
    A. Corbin, « Coulisses » in Histoire de la vie privée, t. 4, Paris, Seuil, 1985.
  • [64]
    AD Lille, 39 Fi 672 à 729.
  • [65]
    Voir par exemple le catalogue de la Maison Barbedienne de 1875 (AN, 368AP/2, Fonds Barbedienne et BHVP, série actualités « fondeurs »).
  • [66]
    On songe naturellement aux travaux de M. Agulhon et en particulier « Nouveaux propos sur les statues de “grands hommes” au xixe siècle », Romantisme, 1998, vol. 28, n° 100, p. 11-16.
  • [67]
    Voir le catalogue de P.-L. Renié, Une image sur le mur. Images et décoration intérieurs au xixe siècle, catalogue de l’exposition du musée Goupil, Bordeaux, 2005. La maison Goupil reproduit et diffuse dans le monde entier aussi bien des œuvres contemporaines qu’anciennes ; elle prend alors le soin, comme le fond les fondeurs, d’indiquer les musées dans lesquels les originaux sont conservés.
  • [68]
    K. Pomian, « Histoire culturelle, histoire des sémiophores » in Sur l’histoire, Paris, Gallimard, 1999.
  • [69]
    Sur cette notion, voir le travail de M. Jasanoff, le plus récent et le plus convaincant : Aux marges de l’Empire. Conquérants et collectionneurs à l’assaut de l’Orient de 1750 à 1850, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2009 [2005].
  • [70]
    Voir Romantisme, revue du dix-neuvième siècle, « La collection », n° 112, 2001.
  • [71]
    Dominique Pety a montré cette parenté pour les Goncourt, oubliant parfois peut-être trop vite que la pratique dépasse largement celle des « hommes de l’art » : Les Goncourt et la collection. De l’objet d’art à l’art d’écrire, Genève, Droz, 2003.
  • [72]
    Voir toutes les archives privées déjà citées et notamment le fonds Richelot, collectionneur d’antiquités ; voir en outre, C. Schreiber, Lady Charlotte Schreiber’s Journals : Confidences of a Collector of Ceramics and Antiques throughout Britain, France, Holland, Belgium, Spain, Portugal, Turkey, Austria and Germany from the Year 1869 to 1885, London, New York, John Lane Company, 1911, 2 vol.
  • [73]
    11 août 1882 et 16 avril 1887 pour Lille et 14 décembre 1881, 5 mai 1883, 23 mars 1886 et 20 avril 1887 pour Paris.
  • [74]
    On trouve au moins huit occurrences de visite à la salle des ventes lilloise et plus d’une quinzaine à Drouot.
  • [75]
    Voir A. Corbin (dir.), L’Avènement des loisirs, Paris, Aubier, 1995 qui s’inscrit dans la veine de T. Veblen et P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
  • [76]
    R. W. Belk, Collecting in a Consummer Society, Londres et New York, Routledge, 1995, p. 148 et sq.
  • [77]
    A. de Musset, La confession d’un enfant du siècle, Paris, Charpentier, 1840 [1836], p. 33-34.
  • [78]
    21 mars 1880.
  • [79]
    N. Roqueplan, Chapitre XX « Le Bric-à-brac » dans La vie parisienne. Regain, Nouvelle édition (revue et augmentée ; première édition 1857), Michel Lévy frères, Paris, 1869.
  • [80]
    Voir notamment la comptabilité du médecin Richelot qui a très largement recours à cette pratique (AN, AB/XIX/4226, Fonds Gustave Richelot, années 1860-1910) ; voir en complément l’étude qui condamne ces pratiques : É. Bayard, L’art de reconnaître les fraudes, Paris, R. Roger et F. Chernoviz, Collection « Guides pratiques de l’amateur et du collectionneur d’art », 1914.
  • [81]
    La visite au Palais-Royal où l’on trouve alors de nombreux marchands de curiosités et d’antiquités puis à Drouot est le circuit ordinaire de Jules-Émile à Paris ; voir par exemple pour la seule année 1881 : 15 avril, 16 mai et 14 décembre. On peut dénombrer plus de 15 visites mentionnées dans son journal ce qui laisse en imaginer de bien plus nombreuses.
  • [82]
    Voir C. W. Smith, Auctions : The Social Construction of Value, New York, The Free Press, 1989 ; sur le succès spécifique de Drouot dans la seconde partie du siècle, je me permets de renvoyer à ma thèse, chapitre 9, « L’invention de Drouot, nouvelle institution du goût et de l’authenticité », in «  Le théâtre des objets. Espaces privés, culture matérielle et identité bourgeoise. Paris, 1830-1914 », thèse sous la direction de J.-L. Pinol, Tours, 2010.
  • [83]
    16 novembre 1891.
  • [84]
    J. Deville, Dictionnaire du tapissier, critique et historique de l’ameublement français depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Paris, Claesen, 1878, « préface ».
  • [85]
    E. Bonnaffé, Physiologie du curieux, Paris, Jules Martin, 1881, p. 42.
  • [86]
    Ris-Paquot, Répertoire annuaire général des collectionneurs de la France et de l’étranger, Paris, Administration de l’annuaire, 1892-1914.
  • [87]
    11 août 1882.
  • [88]
    2 novembre 1881. De très nombreux manuels après 1880 donnent des conseils quant à la mise en scène des « trouvailles » dans les appartements ; voir par exemple, H. Havard, « L’art dans la maison. Des galeries de tableaux et cabinets de curiosités » in L’Illustration, mars 1883.
  • [89]
    M. Douglas et B. Isherwood, The World of Goods : Toward an Anthropology of Consumption, New York, Norton, 1979.
  • [90]
    J. Baudrillard, Le système des objets. La consommation des signes, Paris, Gallimard, 1968, p. 149.
  • [91]
    Voir, sur la période contemporaine, S. Marcoux, « The Refurbishment of Memory » in D. Miller (dir.), Home Possessions : material culture behind closed doors, Oxford, Berg, 2001, p. 69-86.
  • [92]
    J. Baudrillard, Le système… op. cit., « Le système marginal : la collection », p. 120-150.
  • [93]
    Voir M. de Certeau, L’invention du quotidien, vol. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990 [1980] et en particulier p. 52-57.
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