Notes
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[*]
Christian Pfister-Langanay, maître de conférences HDR à l’Université du Littoral, 3 bis, rue Belle Rade, 59240 Dunkerque.
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[1]
A. Cabantous, La mer et les hommes. Pêcheurs et matelots dunkerquois de Louis XIV à la Révolution, Dunkerque, Westhoek-Éditions, 1980, 352 p. ; C. Pfister-Langanay, Ports, navires et négociants à Dunkerque (1662-1792), Dunkerque, 1985, 680 p. ; P. Villers, Les corsaires du littoral. Dunkerque, Calais, Boulogne, de Philippe II à Louis XIV (1568-1715), Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2000, 358 p.
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[2]
R. de Bertrand, « Port et commerce maritime à Dunkerque au xviiie siècle », Société Dunkerquoise, t. 9, 1862-1864, p. 112-429 et t. 10, 1864-1865, p. 69-424 ; H. Malo, Les derniers corsaires, Dunkerque (1715-1815), Paris, 1925, 292 p.
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[3]
L. Lemaire, « Après le désastre, l’incendie de la Bibliothèque de Dunkerque (23 avril 1929) », Revue Historique de Dunkerque et du Littoral, n° 32, décembre 1998, p. 303-316.
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[4]
Parfois des découvertes inattendues ne font qu’aviver les regrets. Le carton 6 U 3-67 du tribunal de commerce de Dunkerque aux Archives départementales du Nord contient ainsi les papiers de l’Amirauté concernant la création du Pilotage et les visites des pêcheurs de Gravelines à la frontière au xviiie siècle.
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[5]
E. Cleirac, Us et coustumes de la mer, divisées en trois parties : I – De la navigation ; II – Du commerce naval ; III – De la Juridiction de la Marine, Bordeaux, Millanges, 1661, p. 217. D’une manière générale, se reporter à J. Cavignac, Jean Pellet, commerçant en gros, 1694-1772, Paris, SEVPEN, 1965, les p. 73-83 sur les assurances. Mise au point très claire.
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[6]
Pothier, Traité du contrat à la Grosse et du contrat d’assurance, Paris, 1777. Voir aussi Balthazard Maris de Émerigon, Traité des assurances et des contrats à la Grosse, Marseille, 1783.
-
[7]
Un article précurseur : H. Sée, « Notes sur les assurances maritimes en France, et particulièrement à Nantes au xviiie siècle », dans Revue historique du Droit, 1927, 1re série, t. 6, p. 287 et suivantes, puis un livre incontournable : A. Tenenti, Naufrages, corsaires et assurances maritimes à Venise d’après les notaires Catti et Spinelli (1592-1609), Paris, SEVPEN, 1959, 643 p. Également Franck C. Spooner, Risks at sea, Amsterdam insurance and maritime Europe, 1766-1780, Cambridge University Press, 1983, qui utilise les données de N.W. Posthumus dans Inquiry into the History of Prices in Holland, t. 1, 1946. Ces données sont reprises et travaillées dans l’ouvrage désormais classique de J. Ducoin, Naufrages, conditions de navigation et assurances dans la marine de commerce du xviiie siècle. Le cas de Nantes et de son commerce colonial avec les îles d’Amérique, Paris, Librairie de l’Inde, 2 t., 1993. N’oublions pas L. A. Boiteux, La fortune de mer et les débuts de l’assurance maritime, Paris, SEVPEN, 1968.
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[8]
Ch. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, Marseille, 1973, t. 1, p. 537.
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[9]
Archives départementales du Nord, 76 J 15, dossier composé de huit documents conservés parmi les archives de la chambre de commerce de Lille.
-
[10]
J. Ducoin, op. cit., p. 162.
-
[11]
J. Ducoin, op. cit., p. 159 et surtout les graphiques p. 168 à 171.
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[12]
Voir J. Cavignac, op. cit., p. 78 : la pratique, en France, est de payer la prime au retour du vaisseau alors que l’article 6 de l’ordonnance de 1681 prévoit qu’elle soit payée en son entier lors de la signature de la police. Même conclusion chez J. Ducoin, op. cit., p. 166.
-
[13]
C. Pfister-Langanay, « Le trafic colonial de Dunkerque sous l’Ancien Régime : une tentative de bilan », Revue Historique de Dunkerque et du Littoral, n° 31, décembre 1997, p. 143-180.
-
[14]
C. Pfister-Langanay, Ports, navires et négociants à Dunkerque (1662-1792), op. cit., p. 251.
-
[15]
Le Pilotage fournit la profondeur du navire, c’est-à-dire son tirant d’eau.
-
[16]
J. Cavignac, op. cit., p. 381-382. Sur la liste des assurances passées par ce négociant, nous repérons l’existence d’une prime de 15 % en 1743, 18 % en 1744, 33 % en 1745, de 22-24 % en 1747, sur la ligne de Caracas (côte des caraques).
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[17]
L.-A. Bouly de Lesdains et P. Daudry, Notices généalogiques sur quelques familles patriciennes de Dunkerque et sur d’autres qui sont leurs alliées, Fécamp, L. Durand et fils, 1959, p. 57-64.
-
[18]
J. Bacquart-Ellebode, « Les premières élections municipales à Dunkerque », Revue de la Société Dunkerquoise d’Histoire et d’Archéologie, n° 29, novembre 1995, p. 71-102.
-
[19]
Qui écrit Montd’hiver dans les documents.
-
[20]
C. Harbion, « À propos du tableau : la distribution des prix de l’Académie de dessin et de peinture de la ville de Dunkerque de Nicolas Truit », Revue de la Société Dunkerquoise d’Histoire et d’Archéologie, n° 29, novembre 1995, p. 59 et 60.
-
[21]
Manuscrits nos 27 à 31. Jean Lebaudy et sa femme Henriette rassemblèrent entre autres 300 manuscrits historiques qu’ils donnèrent en 1962 à la bibliothèque municipale de Versailles, plus 500 livres anciens en 1972. Pour une vue complète de la donation, voir le t. 64 du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, supplément Versailles, CNRS, 1989, p. 306-307, avec les cotes définitives L 265-266 pour les manuscrits 27, 27bis et 28, L 273 pour les manuscrits 29, 30 et 31.
-
[22]
L. Lemaire, « Bibliographie de l’histoire de Dunkerque », Bulletin Union Faulconnier, t. 26, 1929, p. 422 à 424.
-
[23]
Voir J. Ducoin, op. cit., p. 237 et suivantes.
-
[24]
J. Bouchary, « Les compagnies financières à Paris à la fin du xviiie siècle », Annales historiques de la Révolution française, 1939, p. 481-528.
-
[25]
Ils comptent respectivement 376, 276 et 473 pages.
-
[26]
Plus une du 15 mars 1776.
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[27]
L’invocation céleste est générale, même en pays protestant. Voir J. Ducoin, op. cit., p. 232.
-
[28]
Nous ne disposons d’aucun élément nous permettant d’estimer le montant de l’amortissement. La valeur du navire dépend de son « dépérissement », lui-même fonction de l’âge du bâtiment et du nombre de voyages effectués.
-
[29]
Courtage : prime de tant de pour cent qu’on donne à ceux qui font le courtage, c’est-à-dire suite à la négociation du titre ou valeur mobilière et non sur le capital négocié.
-
[30]
Les pages concernant ces deux années ayant été arrachées ainsi que la partie gauche du premier folio de l’année 1769 sur le manuscrit 27bis. Le manuscrit n° 28 reprend la totalité des informations contenues dans le manuscrit précédent, mais dans un autre ordre.
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[31]
Ms n° 27bis (26 avril 1754-31 décembre 1774), 43 folios dont les deux premiers sont partiellement arrachés, les comptes courants du ms. n° 27 permettent en grande partie de combler les lacunes des 24 assurances. Dans six cas, le navire reste inconnu.
-
[32]
Voir J. Ducoin, op. cit., publication in extenso du règlement p. 669-671.
-
[33]
P. Villiers [et al.] : Les Européens et la mer, de la découverte à la civilisation (1455-1860), Paris, Ellipses, 1997, p. 176 et suivantes.
-
[34]
G. Le Bouëdec, Activités maritimes et sociétés littorales de l’Europe atlantique (1690-1790), Paris, A. Colin,1997, p. 219.
-
[35]
Ch. Carrière, Négociants marseillais…, op. cit., p. 539.
-
[36]
Au total, pour l’ensemble de la période, 1 912 actes.
-
[37]
Aucun total n’est fait en 1766, ni en 1770. Pour 1768, il faudrait reprendre les 25 listes contenues dans le manuscrit n° 28. La chose est impossible pour 1767 car il nous manque la valeur des 92 premières polices souscrites entre le 1er janvier et le 26 mars.
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[38]
Ce qui explique pourquoi C. Huetz de Lemps, dans sa Géographie du commerce bordelais au début du xviiie siècle, parue en 1972, a choisi « l’année récolte » pour ses statistiques portuaires.
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[39]
Un récent achat des archives municipales a permis enfin de mettre à la disposition des historiens les archives commerciales du négociant Melchior Didier, soit une trentaine de registres depuis 1741 (sous-série 23 Z).
-
[40]
J. Ducoin, op. cit., p. 242.
-
[41]
J. Ducoin, op. cit., p. 245. Voir aussi H.A.L. Cockerel et E. Green, The British Insurance Business, 1547-1970. An introduction and guide to historical records in the United Kingdom, Heineman Educational Book, 1976, et A.M. John, « The London Assurance Company and the Maritime Insurance market of the Eighteenth Century », The London Schools of Economics, mai 1958, p. 126-141.
1L’histoire maritime dunkerquoise a fait de grands progrès à la fin du xxe siècle. Successivement les historiens se sont penchés sur les marins, le commerce et les corsaires [1] et ont exploité les terrains laissés en friche par les vulgates du xixe siècle [2]. Remarquons cependant qu’entre temps une multitude de sources documentaires de premier ordre sont parties en fumée le 23 avril 1929 [3]. Ainsi les fonds de l’Amirauté française, de la chambre consulaire et du tribunal de commerce ont été anéantis avant même d’être consultés [4]. Nous avons ainsi perdu les propriétés de navires de 1679 à 1791, les soumissions faites au greffe (1682-1791), les actes de sociétés (1776-1791), plus tout ce que contenait le gros des notaires (27 795 actes de 1660 à 1699, 42 787 de 1700 à 1789).
2Il est devenu impossible d’étudier l’économie portuaire dunkerquoise de l’intérieur : heureusement, la bureaucratie royale pallie partiellement les pertes, même si ces informations souvent sorties de leur contexte ont perdu de leur valeur. Il en est de même pour le marché des assurances maritimes, question qui n’a jamais été abordée sur cette place. Nous sommes en présence d’un trafic qui frise parfois les 2 000 sorties annuelles, ce qui suppose l’existence d’un chiffre équivalent d’assurances passées pour couvrir les risques sur le navire sans compter celles concernant la cargaison, ce qui devait représenter également plusieurs milliers de contrats. En effet, chaque navire transporte les marchandises réunies par plusieurs négociants, à l’occasion d’un voyage commun; chacun d’entre eux souscrit alors une police d’assurances couvrant les risques sur ses biens. E. Cleirac, dans son traité de 1661, fournit une définition très claire de ces opérations :
l’« asseurance est un contrat par lequel on promet indemnité des choses qui sont transportées d’un pays en autre, spécialement par la mer, et ce par le moyen du prix convenu à tant pour cent, entre l’assuré qui fait ou fait faire le transport et l’asseureur qui promet l’indemnité » [5].
4Pothier, un siècle après, précise cette définition :
« L’assurance maritime est un contrat par lequel un particulier ou une compagnie promet à celui qui a un intérêt dans un vaisseau ou dans son chargement, de le garantir de toutes les pertes et dommages qui arriveront par cas fortuit et fortune de mer, au navire et au chargement, pendant le voyage, ou durant le temps des risques, moyennant une somme qui doit lui être payée par l’assuré » [6].
6Le problème des assurances n’a guère retenu l’attention des chercheurs malgré quelques travaux pionniers [7]. Ch. Carrière le mentionne avec raison à propos de la guerre et des spéculations qu’elle entraîne. Il souligne l’importance des variations d’une part sur les taux de fret et d’autre part sur les assurances. Pour ces dernières, le coefficient multiplicateur peut grimper jusqu’à 20 et même 25 [8]. Voyons donc la situation à Dunkerque.
Les comptes du sieur Castanier (1742-1745)
7Nous ignorons pourquoi ils se trouvent maintenant intégrés aux archives de la chambre de commerce de Lille, mais ils forment un ensemble cohérent et facile à exploiter [9].
8Castanier n’est pas dunkerquois : il n’apparaît dans aucune des délibérations de la chambre de commerce de Dunkerque de 1730 à 1745, ce qui signifie qu’il n’a commis aucune fraude, qu’il n’est pas de tempérament contestataire et qu’il n’est pas un personnage important sur la scène locale. Il ne fait pas non plus partie des capités de 1742 et de 1744. En revanche, le dernier compte courant, daté de mars 1745, est adressé au « sieur Castanier de Paris ». Ainsi donc notre homme pourrait être parisien, d’autant qu’il écrit au trésorier de l’Amirauté de Dunkerque, le 25 octobre de la même année, toujours de Paris, pour l’avertir de la capture d’un navire qu’il assurait. Il faut se résigner à ne pas connaître davantage ce brasseur d’affaires parisien dont l’un des correspondants dunkerquois s’avère être Louis Darluy père, pour le différencier de son fils qui n’est autre que le trésorier de la dite Amirauté.
9Le premier état couvre l’année 1742 et porte sur 18 armements allant du 26 avril au 10 décembre, se décomposant en cinq allers-retours, six retours et sept allers simples (voir document n° 1). Un seul voyage ne concerne pas Dunkerque : Charles Nottebaert assure Le Saint-Jean de Dieppe à Ayr en Écosse puis son retour à Rouen. Quelques navires apparaissent plusieurs fois : l’Amitié, le 1er juin et le 18 juillet, pour deux allers simples vers Londres, Le Saint-François-Xavier, le 12 juillet et le 19 septembre, concernant un périple qui le mène successivement à Whitehaven, Morlaix, Bordeaux et retour à Dunkerque. La Notre-Dame de Grâce posait problème car elle est citée respectivement le 4 août et le 26 août. Nous pourrions être en présence de deux navires différents, portant le même nom : le cas n’est pas si exceptionnel à cette époque, mais le nom du capitaine (Pierre Aget) incite à penser qu’il s’agit du même vaisseau. Nous avons affaire à deux polices d’assurances signées par deux personnes différentes, même cause et même effet pour Le Royal Jacques, le 21 novembre et le 10 décembre. Mais dans l’ensemble, nous ne sortons pas du milieu dunkerquois à l’exception justement de ce dernier navire attaché à Boulogne-sur-Mer et du Joseph-Marie de Calais.
10Les sommes assurées varient entre 2000 et 10 000 l-t pour un total de 102 400 l-t. La prime varie de 1,5 % à 5 %. Comme l’a judicieusement remarqué J. Ducoin, la tarification des voyages de cabotage se trouve sensiblement plus délicate à définir que celle des voyages transatlantiques, compte tenu du plus grand nombre de variables qui interviennent [10]. Néanmoins, la grille pratiquée à Nantes ne diffère guère de celle que nous avons établie à Dunkerque [11]. Le versement de la prime présente plusieurs cas de figure. Elle est payée comptant dix fois, cinq fois au retour, trois cas restent indéterminés [12]. Le risque de guerre est pris en compte : l’augmentation peut atteindre 15 % (le 12 juillet 1742) mais 12 % seulement pour les trois armements islandais du 26 avril. Les paiements au retour concernent quatre fois sur cinq des voyages vers les Isles. La seule vraie particularité de ce tableau provient du Saint-Jean dont la prime s’élève à 5 % pour aller jusqu’à Ayr en Écosse alors que L’Amitié s’en tire à 1,5 % vers Londres. N’oublions pas que l’ancien royaume des Stuart est fortement travaillé par les menées des Jacobites qui attendent tout de la mer afin de se soulever avec des chances réelles de succès et que Dunkerque, depuis 1689, est devenu une place essentielle de leur dispositif. Les assureurs prennent dans ce cas leurs précautions. Le total des primes versées s’élève à 3 897 l-t et, selon le document, 12 des 18 navires sont arrivés à bon port.
Compte des assurances faites pour le compte de Monsieur Castanier depuis le 26 avril 1742 jusqu’au 30 décembre 1742
Compte des assurances faites pour le compte de Monsieur Castanier depuis le 26 avril 1742 jusqu’au 30 décembre 1742
Dunkerque, le 8 janvier 1743Notes : C = Comptant, R = Au retour.
11Le dossier ne contient pas les opérations de Castanier pour 1743, hormis le rappel de ses bénéfices qui triplent en un an ; la progression du trafic est peu probable, en revanche, les nuages s’accumulent sur le front diplomatique et les taux de prime ont dû grimper.
12Le dernier compte, plus court, porte sur l’année 1744 : sept navires du 8 janvier au 19 février 1744, soit deux allers-retours, un aller simple et quatre retours. Un trajet ne concerne pas Dunkerque puisque Le Saint-Jean part de Morlaix et rentre probablement à Morlaix. Les montants couverts vont de 2 600 à 9 000 l-t, et le greffier indique, pour la première fois, le risque assuré : le navire, cinq fois ou la cargaison (blé ou vin), deux fois. La prime varie de 2,5 % à 5 %, plus les traditionnels 15 % d’augmentation en cas d’ouverture des hostilités. Elle est payée comptant, sauf pour La Notre-Dame de Grâce au retour de Saint-Domingue à 5 % (document n° 2).
13À première vue, nous sommes donc en présence d’un petit brasseur d’affaires, même si nous ne connaissons là que ses activités strictement dunkerquoises ! Il peut en faire autant sur les autres places portuaires. Le récapitulatif suivant montre bien le volume médiocre des assurances qu’il traite dans la cité flamande.
14Par rapport aux 299 navires qui sont sortis en 1744 avec l’aide d’un pilote, notre échantillon fait quantitativement pâle figure, mais il n’est pas dénué d’intérêt. Ainsi L’Aurore et Le Bourbon, qui s’en vont vers le Cap Français, ne sont pas répertoriés dans les registres du Pilotage. Le trafic colonial local passe ainsi de 8 à 10 vaisseaux, soit autant qu’en 1743. De même, pour les retours des Isles, ces polices d’assurances permettent d’affiner les renseignements : Pierre Aget revient de Léogane avec La Notre-Dame de Grâce, et non avec La Marie de Grâce, comme le greffier du Pilotage l’avait écrit le 19 juillet 1743. Le croisement de ces deux sources permet ainsi de reconstituer l’ensemble du périple du Prudent. Nous retrouvons le navire dans les réservations de sortie du Pilotage le 2 mars 1742, alors que la police d’assurances du retour date du 18 août 1742 [13]. Le voyage aller dut être rapide et les opérations de chargement très réduites. Encore plus intéressantes sont les informations concernant la pêche à la morue au large de l’Islande. Seule la chambre de commerce renseigne les autorités sur les activités de ce secteur qui ne sont bien connues qu’à partir de 1763 ; il existe même un grand blanc documentaire entre 1742 et 1751 [14]. Or le compte de Castanier débute par trois armements d’avril 1742, réalisés par Pierre Gillodts. Ce négociant, car c’en est un, n’était connu par ses expéditions coloniales qu’entre 1764 et 1773. Enfin, par le Pilotage, nous savons qu’il n’y a pas eu trois mais quatre sorties vers l’Islande et, si les polices sont toutes signées le 26 avril, les départs se sont échelonnés sur une semaine à partir de cette date :
- 26 avril : la busse Sainte-Catherine, de 7,5 pieds [15], de Corneille Noets ;
- 2 mai : la busse La Fortune, de 8 pieds, de Pierre Langhetée ;
- 3 mai : la corvette Le Saint-Pierre, de 8 pieds, de Henry Dezitter ;
- 13 mai : la corvette Le hareng couronné, de 7 pieds, de François Berlemont, non assurée par Castanier.
Compte courant du 1er janvier 1744 au 19 février 1744
Compte courant du 1er janvier 1744 au 19 février 1744
15Un dernier document comptable (mars 1745) indique, en sus du récapitulatif, les bénéfices provenant des augmentations de prime consécutives à la déclaration de guerre, intervenue le 15 mars 1744. Comme quatre des cinq navires arrivent à bon port, l’augmentation est ramenée à 12 %, contre 15 % prévus initialement.
16Le bénéfice des trois années atteint la somme non négligeable de 21 880 l-t.
17Castanier subit cependant quelques pertes sérieuses que le document mentionne aussi, et pas seulement du fait des hostilités.
18Ces débours se montent à 10 777 l-t. Il reste à Castanier 11 103 l-t, soit un peu moins de la moitié du bénéfice primitif.
19Les mauvaises nouvelles se succèdent parfois très rapidement : La Sainte-Catherine, dogre à trois mâts, jaugeant 80 tonneaux, appartenant à Jacques Coppens, part de Dunkerque le 31 juillet 1743 et touche La Martinique le 7 octobre ; elle quitte l’île le 29 janvier 1744 et se fait prendre le 6 avril. Mais le capitaine Ferdinand David et son second Antoine Figoly s’évadent très vite sur La Jeuffrow Angeline, neutre hollandais qui les amène à Helnoushuys, le 4 mai. Puis, à pied, ils reviennent à Dunkerque le 15 et font leur déposition à l’Amirauté le même jour, soit cinq semaines après la capture du navire.
20Restait en cours, en mars 1745, le cas du Neptune commandé par le capitaine Jean Harinck pour un aller-retour aux Isles à 10 %, soit le double du taux de 1742, plus 15 % en cas de guerre. Le navire est capturé au retour, Castanier y perd 8 000 l-t, même si les affréteurs lui ont payé comptant 2 000 l-t pour les 25 % de prime [16]. L’histoire remonte au 9 novembre 1743 quand Castanier souscrit une assurance sur 1/16e de l’expédition de cette pinque, organisée par le sieur Narcy, soit 2 500 l-t sur la quille et l’armement et 5500 l-t sur la cargaison, au total, 8 000 l-t. Les assurances confirment la médiocrité des expéditions dunkerquoises vers les Isles : 128 000 l-t tout compris. C’est peu par rapport à Nantes et à Bordeaux et, dans cette conjoncture, Castanier ne peut être qu’un petit assureur. Avec ce voyage, il perd 6 000 l-t et il ne lui reste plus que 5 103 l-t sur les 21 880 escomptées. Pour en savoir plus, il faudrait connaître ses autres activités économiques sur la place dunkerquoise. Il est certain qu’il n’est pas seulement assureur.
21Avec les activités de la Compagnie des assurances générales, nous changeons d’échelle tout en nous trouvant à la veille d’une autre guerre, bien plus catastrophique, celle de Sept Ans (1756-1763).
Les comptes des sieurs Coppens et Taverne de Montd’hyver (1754-1776)
22Ces directeurs de la succursale dunkerquoise de la Société d’assurances générales de Paris dominent la scène économique et sociale de la ville. Les Coppens représentent l’une des familles les plus prestigieuses de Dunkerque au xviiie siècle. Si, au début du xviie siècle, ils sont encore charpentiers de navires, ils choisissent dès 1662 le parti français et s’installent à l’échevinage, l’Amirauté et la chambre de commerce, mais il est difficile de savoir si l’assureur est Laurent Bernard (1714-1792), procureur du Roi à l’Amirauté en 1749, son frère aîné Jacques Josse (1711-1783) qui obtint la même place ou son fils Bernard Pierre (1731-1793) qui hérita du poste paternel jusqu’à la disparition de l’institution le 9 août 1791. Le premier fut anobli en 1770, le second dès 1747 [17]. Nous sommes en présence d’individus très représentatifs de cette classe dirigeante qui se fera balayer dès le début de la Révolution [18]. De toute façon, la signature de Coppens disparaît en 1763 au profit de celle exclusive de Taverne de Montd’hyver [19].
23La vie du personnage décrite par Christine Harbion résume bien la destinée de la ville au xviiie siècle. Né le 29 mai 1730 à Dunkerque et baptisé dans la paroisse Saint-Pierre de Lille le 4 juin de la même année, Jacques Joseph Nicolas est le fils d’un second mariage entre Jean Nicolas Taverne, né le 10 octobre 1641 à Dunkerque, acquéreur en 1718 d’une charge de conseiller secrétaire du Roy auprès du Parlement de Flandre, anobli le 13 février 1739, et de Marie Anne Vanderlinde. Jacques Joseph Nicolas se maria trois fois et eut 16 enfants. Ses activités professionnelles l’amènent à se tourner d’abord vers le métier des armes en qualité de mousquetaire dans la seconde compagnie des gardes, puis il devient seigneur de Renescure, Montdhiver, Zeggers-Cappel et Beauval, et sous-lieutenant du roi à Hondschoote. En 1774-1775, il se préoccupe de doter Dunkerque d’un théâtre avec l’aide du Prince de Robecq, commandant de la Flandre maritime. Armateur corsaire, il confia entre autres en 1778 le cotre Le Maurepas aux capitaines Royer et Juin. Quant à ses fonctions électives, il devient échevin en 1755, 1756 et 1761 puis premier échevin en 1764, 1779 et 1780, et assure les fonctions de bourgmestre entre 1774 et 1779. Retiré à Dompierre, dans la Somme, chez l’un de ses fils, Nicolas Honoré Taverne, écuyer, il y décède le 22 décembre 1801 [20].
24S’il n’existe aucun fonds de famille qui permette de retracer les multiples occupations de ces deux individus, en revanche, grâce au collectionneur érudit Lebaudy, la chance veut que nous ayons à notre disposition six registres de leurs activités d’assureurs, déposés à la bibliothèque municipale de Versailles [21]. Ces documents rendent compte des activités de la succursale dunkerquoise de la Société d’assurances générales sise à Paris. Les sources locales sont peu disertes : L. Lemaire cite dans sa bibliographie dunkerquoise vingt documents et articles concernant les assurances maritimes. Mais à peine quatre d’entre eux se rapportent à l’Ancien Régime, à savoir des avis imprimés localement et qui ont disparu eux aussi dans l’incendie de 1929. Il est cependant intéressant d’y relever un fascicule de 16 pages sorti des presses de Weins le 17 janvier 1750 contenant les Articles du Traité de la société d’assurances établies en la ville de Dunkerque, du 17 janvier 1750 [22] dont nous ignorons tout.
25La plus ancienne société d’assurances maritimes connue en France fut créée à Nantes en 1739 [23], mais rapidement la place de Paris l’emporta en fondant les Assurances générales de Paris. Jean Bouchary indique que
« le 20 septembre 1753, un sieur Hilaire de Maisonneuve, négociant à Paris, fondait avec sept particuliers appartenant à la noblesse, la bourgeoisie, le commerce, le barreau, une Chambre ou Société d’assurances générales, tant pour garantir le commerce maritime contre les naufrages que pour assurer les maisons contre les risques d’incendie. Le capital fut fixé à 9 millions de livres, divisé en 3000 portions d’intérêt de 3000 livres chacune, affecté moitié aux assurances maritimes, moitié aux assurances contre l’incendie. Chacun des fondateurs devait être possesseur de vingt parts d’intérêts, soit 60 000 livres ; aucun sociétaire ne pouvait dépasser ce chiffre. La Compagnie s’installa rue Croix-des-Petits-Champs » [24].
27Malheureusement, il faut bien l’avouer : ce secteur de la recherche historique reste à l’état de friche. Nous ignorons tout de l’importance de Paris à cette époque sur le marché de l’assurance et nous nous contenterons d’examiner la correspondance de la succursale dunkerquoise. Les lettres envoyées aux clients sont rassemblées dans trois registres qui couvrent environ six ans d’activité ; manuscrit n° 29 (1er mars 1773-17 janvier 1777), manuscrit n° 30 (17 janvier 1777-13 février 1778), manuscrit n° 31 (13 février 1778-31 décembre 1779) [25]. Le manuscrit n° 28 rassemble les lettres du 27 mars 1767 au 5 décembre 1775 [26] et débute par la traditionnelle invocation Ad Majorem Dei Gloriam en grands caractères, puis en dessous commencé le présent, copie des lettres, n° B, le 27 mars 1767 [27]. Il existait donc un registre précédent dont l’existence est confirmée par la première liste de polices d’assurances, qui débute par le numéro 139. Un registre A devait donc contenir les 138 polices antérieures.
28Ce manuscrit compte 56 listes de ce type (nos 139 à 190) plus 126 lettres envoyées la plupart à Mrs du Comité, c’est-à-dire au siège de la Compagnie des assurances générales à Paris. Chaque liste récapitule un certain nombre d’assurances, elles aussi numérotées. On en dénombre 267 en 1767, 186 en 1768 et 115 en 1769. Au lieu d’un tableau récapitulatif comme pour Castanier, nous disposons des polices elles-mêmes, d’où une somme d’informations sans commune mesure. Nous avons, sans surprise, des actes qui portent sur le navire uniquement [28], comme l’assurance n° 209 du 29 octobre 1767 :
« sur le corps, quille, agrès, apparaux, appendances et dépendances du navire Le Phénix, capitaine Ml Vanstabel lequel navire était le 12 courant à Marseille destiné pour Le Havre avec permission de venir de là, à Dunkerque, le risque à courir dudit jour 12 octobre, jusqu’à ce qu’il soit arrivé audit lieu du Havre ou Dunkerque et là amarré de 24 heures à bon sauvement, exemptions d’avaries »,
30le tout sur une somme de 5 000 l-t d’où une prime exigible de 150 l-t moins les frais de courtage [29] (7 l-t 10 s), soit 142 l-t 10 s qui doivent normalement tomber dans la caisse de Taverne et Coppens.
31L’essentiel des actes concerne cependant la cargaison comme par exemple le:
N° 74 : 8 avril 1768 : « assuré Blondeau Grandet sur 30 barils d’amidon marqués IL n° 408 à 437, chargés à Dunkerque pour Bordeaux dans le navire L’Amitié, capne Pre Bernard. Le risque à courir du moment de l’embarquement jusqu’à ce qu’ils soient arrivés à décharge à leur destination exempts d’avaries, 3 % de prime payable comptant ».
33Soit 2 500 l-t, une somme de 56 l-t 5 s réduite à 53 l-t 8 s 9 d’après ponction du courtage.
34Ce registre est très précieux [30] : il comporte les années 1767 et 1768 qui manquent au manuscrit suivant 27bis. Dans ce dernier cas, pour les 32 polices d’assurances lacunaires, il est possible de reconstituer la partie manquante avec une grande certitude du fait que le montant du courtage et la destination indiqués sur la partie droite correspondent exactement aux renseignements fournis par les actes contenus dans le manuscrit n° 28.
35Le livre-journal qui couvre les années 1754 à 1774 [31] donne une vision financière des activités de la succursale dunkerquoise. Pour chaque année, le greffier inscrit la totalité des assurances souscrites suivant un tableau qui rassemble tous les renseignements contenus dans chaque police (voir ci-dessus) et effectue ensuite le bilan des opérations en cours. Comme le livre-journal commence le 6 avril 1754 et que le règlement de la Compagnie a été enregistré au Châtelet le 6 mars de la même année [32], nous avons la chance de suivre presque jour par jour la mise en place de la succursale dunkerquoise et les étapes de son développement. Nous sommes en présence des comptes des deux associés vis-à-vis de la compagnie, ce qui est débit pour eux se transforme en crédit pour elle.
Une conjoncture heurtée (1754-1774)
36L’étude de la conjoncture montre comment la Société d’assurances a géré ses affaires pendant ces 20 années.
37La première approche possible, la plus simple, est d’établir un comptage des polices souscrites chaque année. Grâce au manuscrit 26, la chose est aisée et la courbe d’activité de la Société d’assurances générales comble une lacune documentaire importante : ni le Pilotage, ni l’Amirauté n’ont laissé de document comptable pour établir le moindre indice de l’activité maritime de Dunkerque.
Nombre de polices souscrites annuellement
Nombre de polices souscrites annuellement
* Grâce au manuscrit n° 28.38Il est logique de voir les activités de la compagnie s’arrêter en novembre 1755. Faisant fi du droit international, le Royaume-Uni, par le biais de l’amiral Boscawen, s’empare, en pleine paix de plus de 300 navires de commerce français entre septembre et octobre 1755 [33]. Louis XV ne déclare la guerre qu’en mai 1756 : les jeux sont déjà faits et le royaume ira de désastre naval en désastre naval.
39L’impact de la Guerre de Sept Ans est facile à cerner : 17 polices portant sur huit navires nous permettent, comme en 1744, d’établir un bilan de cette rafle.
40La Notre-Dame de Fonteyne est cependant relâchée, après avoir été conduite à Portsmouth. Les pertes s’élèvent à 81 669 l-t, alors que les sommes assurées en 1754-1755 se montent à 686 744 l-t, soit 11,9 % du total. À Dunkerque, la rafle n’atteint pas les sommets que Bordeaux ou Nantes ont dû subir. La rafle de Boscawen prélève à Nantes 37 vaisseaux pour une valeur de 8,7 millions de l-t [34]. C’est une nouvelle confirmation du rang médiocre que tient le commerce colonial à Dunkerque. Cela n’empêche pas les contestations avec les négociants qui avaient souscrit des polices auprès de la compagnie.
41Elles peuvent parfois traîner en longueur. Martin père souscrit parmi les premiers, le 12 décembre 1754, il assure La Reine de France pour 4 000 l-t plus 8 000 sur la cargaison, pour un aller-retour à Saint-Domingue (polices nos 19 et 20). Le vaisseau revient sain et sauf à Dieppe le 29 décembre. Le 19 janvier 1756, le négociant verse alors les 900 l-t de prime. Cependant, l’affaire dut rebondir puisque dans le compte courant du 31 décembre 1757, la Compagnie doit verser à Taverne et Coppens 12 l-t 14 s « pour avoir payé au sieur Jolly, procureur [de l’Amirauté], les frais de procédure exercée contre le sieur Martin à l’occasion des augmentations des primes ». Une autre contestation est évoquée avec J. Boudry assurant 7 600 l-t de marchandises sur La Bourse de Dunkerque (n° 43, 13 janvier 1755), navire arrivé au Havre le 8 octobre 1755. En 1757, l’affaire est traitée devant le Parlement de Paris, mais nous en ignorons le dénouement.
42Le cinquième compte courant, clos le 31 décembre 1755, est des plus simples : 442 l-t versées aux deux directeurs pour des débours de même importance. Nous retrouvons la même somme à la même date en 1758. Restent à récupérer les augmentations de prime dues à la déclaration des hostilités. Un tableau du 9 mai 1761 clôt, non sans mal, ce douloureux chapitre. Les affaires ne reprennent qu’en 1763 avec un nouveau compte courant du 31 décembre. Entre temps, un compte épisodique est ouvert concernant la participation de la Compagnie d’assurances à l’armement du corsaire Le Chevalier Bart pour un montant de 5 849 l-t, mauvais calcul puisque le navire est pris le 24 avril 1757.
43Le commerce dunkerquois est anéanti et, sagement, Coppens et Taverne attendent des jours meilleurs qui arrivent avec la signature du traité de Paris en février 1763. Ch. Carrière constatait à Marseille : « Après les premiers coups, les désillusions ne tardent pas, la lassitude gagne les assureurs. Ceux-ci se font difficiles ou simplement prudents ; ils refusent de garantir certains itinéraires [35] ». À Dunkerque, les choses se révèlent encore plus dramatiques : l’ensemble des routes commerciales est inutilisable et la société d’assurance cesse toute activité durant le conflit. Après-guerre, en années complètes (1764-1773), 1626 actes [36] sont conclus et à une moyenne annuelle de 162 actes, soit huit fois plus que Castanier dans le meilleur des cas. Au plan financier, les différences sont encore plus parlantes [37].
44La simple lecture des chiffres nous montre immédiatement que nous ne sommes plus dans le cadre presque « domestique » des affaires de Castanier. Le volume brassé par Coppens et Taverne de Montd’hyver est de six à dix fois plus élevé.
45Au-delà de ce simple comptage, l’intérêt de ces documents réside à la fois dans la richesse des informations et leur côté systématique. Prenons la seconde police établie en 1763 :
46N° 2, mars 11, R. Coppens pour J. J. H. Delille, l’Aigle, Snÿvens, 1 caisse de soieries, 4 000 l-t 7,5 %, 300 l-t, pour aller et retour, Saint-Domingue, 3 mois après son retour, ristournes : 82 l-t 10 s, courtage : 15 l-t, primes : 202 l-t 10 s, arrivé : 5 novembre 1763, « fini ». Nous avons un total de 19 rubriques concernant chaque opération d’assurances, à savoir, la date de la police, le nom des assurés, ceux du navire et du capitaine, les effets assurés et leur valeur, le montant de la prime (3 à 9 % en 1763), les termes du voyage assuré : aller, retour, les deux, les termes du paiement de la prime, la ristourne (cas rare qui disparaît en 1774 au profit de la prime nette), le courtage, les avaries, les pertes totales, le montant de la prime encaissée (montant primitif diminué de la ristourne qui correspond aux avaries, d’où l’expression « prime déduite » puis « prime nette »), enfin la date d’arrivée du navire, et la clôture de l’opération par l’expression « fini ».
47L’année 1766 donne une idée générale du fonctionnement de la succursale dunkerquoise. La reprise des affaires en 1763 et les multiples spéculations de l’immédiat après-guerre ont laissé place à une situation plus stable où les courants d’échange ont retrouvé leur pérennité. Nous comptons ainsi la signature de 139 polices, 21 garantissent le navire et 118 assurent les marchandises transportées. Leur conjoncture est également particulière :
Ventilation mensuelle des contrats signés en 1763
Ventilation mensuelle des contrats signés en 1763
48Si l’hiver demeure une période de très faible activité avec une moyenne mensuelle qui s’établit autour d’une dizaine de polices, en revanche, il y a bien explosion pendant l’automne, du simple fait que l’économie maritime dépend de l’économie agricole [38]. Les sommes en jeu demeurent faibles.
49N. Crespel assure ainsi 683 l-t de sucre sur L’Isabelle de Bordeaux à Dunkerque (police n° 15), le sieur Renart fait de même pour 440 l-t de sel d’ammoniaque sur La Dauphine de Marseille à Dunkerque (police n° 67). En revanche, c’est sur 30 000 l-t de chanvre partis de Saint-Pétersbourg que le négociant Reynaud établit sa police (n° 76). Le record est établi le 12 novembre par le sieur Tugghe sur le vaisseau Le Dauphin pour 30 000 l-t entre Dunkerque et Marseille. Il est intéressant de noter que 205 780 l-t sont assurées sur les navires et que 10 des 21 contrats dépassent les 10 000 l-t. Avec une valeur moyenne de près de 9 800 l-t, la police portant sur « le corps du vaisseau » se détache nettement des autres polices concernant les marchandises. Nous avons affaire ici à deux milieux économiques différents : les petits brasseurs d’affaires n’entrent pas en compétition avec les négociants, propriétaires de la flotte de charge locale. Sur quels trajets les trouvons-nous ?
Montants des polices souscrites en 1763
Montants des polices souscrites en 1763
50Il faut distinguer les allers et retours en premier lieu. 38 navires quittent le port flamand mais rassemblent un nombre plus important de polices : L’Isabelle commandée par Pierre Olive fournit un groupe de 7 contrats. Les assurances sur le retour sont plus nombreuses avec 63 voyages. Contentons-nous du réseau départ, nous observons cinq voyages vers les Isles, plus un à Cadix. La Méditerranée comprend cinq escales à Marseille plus une à Livourne. Le tiers des voyages concerne le long cours et le grand cabotage.
51Le secteur français est dominé par Bordeaux (quatre voyages), mais pèse peu : cinq villes pour à peine sept navires (Noirmoutier, Ré, Rouen entre autres). En revanche, le secteur britannique est bien présent, avec une série de ports qui s’égrènent le long de la Mer du Nord, particulièrement présents en Écosse (Leith, Montrose, Cromarty, Dunbar, Portsoy). Nous voyons, dans ce cas bien précis, tout l’apport de ces archives privées [39] : en effet, les sources administratives restent muettes sur le poids spécifique de ce secteur. Concernant toujours cette année 1766, le greffier n’indique aucun renseignement précis sur le dénouement de chaque opération, alors que, l’année précédente, il précisait la date d’arrivée du navire et le cas échéant les avaries. En 1770, tous ces renseignements reviennent sous sa plume, mais plus en 1771 où il mentionne au sujet de L’Aimable Madeleine du capitaine François Vanstabel qu’elle a péry le 11 septembre 1771 sur les cayques où on n’a rien sauvé du tout, mais l’assurance ne concernait que 4 000 l-t de sucre.
52Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces deux dossiers ? La première est, c’est presque un truisme, l’apport qualitatif incomparable que détiennent les archives économiques privées. Pourtant le domaine maritime est d’une certaine manière survalorisé administrativement : dans le cas présent, alors que la chambre de commerce, l’Amirauté, le Pilotage, l’Intendance, le commissaire des classes sont parties prenantes, on peut observer que bien des choses leur échappent !
53La seconde conclusion porterait sur le fonctionnement interne de cette succursale. Comment Taverne et Montd’hyver gèrent-ils les affaires de la Société d’assurances générales ? Si la comptabilité en partie double est impeccablement présentée, et si, apparemment, le travail est réalisé en temps et avec sérieux, la lecture complète de la correspondance fournirait des vues aussi intéressantes qu’inédites sur le déroulement interne des affaires, sur leurs appréciations concernant les bons et mauvais clients, sur les « coups » à réaliser.
54En dernier lieu, une étude de la clientèle procurerait pour la première fois une présentation dynamique du milieu d’affaires dunkerquois jusqu’ici très partiellement connu dans sa hiérarchie fiscale, ou à travers l’échelle des honneurs liés à l’Ancien Régime. Grâce à ces registres, non seulement l’identité des différents acteurs économiques serait dévoilée, mais il serait possible de suivre l’évolution de leurs positions respectives sur près de 20 ans et de la voir fonctionner de l’intérieur. En définitive, ces registres sont par bien des aspects irremplaçables et devront être consultés (avec profit) par quiconque voudra étudier le commerce dunkerquois dans la deuxième moitié du xviiie siècle.
55Cependant, la concurrence étrangère nous échappe. L’ordonnance de 1681 permet de s’assurer en dehors du royaume. Dès 1720, la Maatschappij van Assurantie offre ses services à Rotterdam. Dans un mémoire nantais de 1775, il est indiqué que la Chambre des Assurances de Paris taxe à 1 1/2 % de plus qu’on ne fait en Hollande [40]. Mais c’est la Lloyd’s qui emporte le marché dans la mesure où le négociant français a tout intérêt à se faire assurer chez l’ennemi potentiel, à prévoir une procédure d’abandon au bénéfice de la compagnie afin de toucher une indemnité à la suite de la prise de son navire [41]. Il serait surprenant qu’une ville comme Dunkerque, si perméable aux influences d’Outre-Manche, n’ait pas profité de ces aubaines.
Mots-clés éditeurs : marine, Dunkerque, commerce, risques, assurances
Date de mise en ligne : 19/03/2013.
https://doi.org/10.3917/rdn.369.0043Notes
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[*]
Christian Pfister-Langanay, maître de conférences HDR à l’Université du Littoral, 3 bis, rue Belle Rade, 59240 Dunkerque.
-
[1]
A. Cabantous, La mer et les hommes. Pêcheurs et matelots dunkerquois de Louis XIV à la Révolution, Dunkerque, Westhoek-Éditions, 1980, 352 p. ; C. Pfister-Langanay, Ports, navires et négociants à Dunkerque (1662-1792), Dunkerque, 1985, 680 p. ; P. Villers, Les corsaires du littoral. Dunkerque, Calais, Boulogne, de Philippe II à Louis XIV (1568-1715), Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2000, 358 p.
-
[2]
R. de Bertrand, « Port et commerce maritime à Dunkerque au xviiie siècle », Société Dunkerquoise, t. 9, 1862-1864, p. 112-429 et t. 10, 1864-1865, p. 69-424 ; H. Malo, Les derniers corsaires, Dunkerque (1715-1815), Paris, 1925, 292 p.
-
[3]
L. Lemaire, « Après le désastre, l’incendie de la Bibliothèque de Dunkerque (23 avril 1929) », Revue Historique de Dunkerque et du Littoral, n° 32, décembre 1998, p. 303-316.
-
[4]
Parfois des découvertes inattendues ne font qu’aviver les regrets. Le carton 6 U 3-67 du tribunal de commerce de Dunkerque aux Archives départementales du Nord contient ainsi les papiers de l’Amirauté concernant la création du Pilotage et les visites des pêcheurs de Gravelines à la frontière au xviiie siècle.
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[5]
E. Cleirac, Us et coustumes de la mer, divisées en trois parties : I – De la navigation ; II – Du commerce naval ; III – De la Juridiction de la Marine, Bordeaux, Millanges, 1661, p. 217. D’une manière générale, se reporter à J. Cavignac, Jean Pellet, commerçant en gros, 1694-1772, Paris, SEVPEN, 1965, les p. 73-83 sur les assurances. Mise au point très claire.
-
[6]
Pothier, Traité du contrat à la Grosse et du contrat d’assurance, Paris, 1777. Voir aussi Balthazard Maris de Émerigon, Traité des assurances et des contrats à la Grosse, Marseille, 1783.
-
[7]
Un article précurseur : H. Sée, « Notes sur les assurances maritimes en France, et particulièrement à Nantes au xviiie siècle », dans Revue historique du Droit, 1927, 1re série, t. 6, p. 287 et suivantes, puis un livre incontournable : A. Tenenti, Naufrages, corsaires et assurances maritimes à Venise d’après les notaires Catti et Spinelli (1592-1609), Paris, SEVPEN, 1959, 643 p. Également Franck C. Spooner, Risks at sea, Amsterdam insurance and maritime Europe, 1766-1780, Cambridge University Press, 1983, qui utilise les données de N.W. Posthumus dans Inquiry into the History of Prices in Holland, t. 1, 1946. Ces données sont reprises et travaillées dans l’ouvrage désormais classique de J. Ducoin, Naufrages, conditions de navigation et assurances dans la marine de commerce du xviiie siècle. Le cas de Nantes et de son commerce colonial avec les îles d’Amérique, Paris, Librairie de l’Inde, 2 t., 1993. N’oublions pas L. A. Boiteux, La fortune de mer et les débuts de l’assurance maritime, Paris, SEVPEN, 1968.
-
[8]
Ch. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, Marseille, 1973, t. 1, p. 537.
-
[9]
Archives départementales du Nord, 76 J 15, dossier composé de huit documents conservés parmi les archives de la chambre de commerce de Lille.
-
[10]
J. Ducoin, op. cit., p. 162.
-
[11]
J. Ducoin, op. cit., p. 159 et surtout les graphiques p. 168 à 171.
-
[12]
Voir J. Cavignac, op. cit., p. 78 : la pratique, en France, est de payer la prime au retour du vaisseau alors que l’article 6 de l’ordonnance de 1681 prévoit qu’elle soit payée en son entier lors de la signature de la police. Même conclusion chez J. Ducoin, op. cit., p. 166.
-
[13]
C. Pfister-Langanay, « Le trafic colonial de Dunkerque sous l’Ancien Régime : une tentative de bilan », Revue Historique de Dunkerque et du Littoral, n° 31, décembre 1997, p. 143-180.
-
[14]
C. Pfister-Langanay, Ports, navires et négociants à Dunkerque (1662-1792), op. cit., p. 251.
-
[15]
Le Pilotage fournit la profondeur du navire, c’est-à-dire son tirant d’eau.
-
[16]
J. Cavignac, op. cit., p. 381-382. Sur la liste des assurances passées par ce négociant, nous repérons l’existence d’une prime de 15 % en 1743, 18 % en 1744, 33 % en 1745, de 22-24 % en 1747, sur la ligne de Caracas (côte des caraques).
-
[17]
L.-A. Bouly de Lesdains et P. Daudry, Notices généalogiques sur quelques familles patriciennes de Dunkerque et sur d’autres qui sont leurs alliées, Fécamp, L. Durand et fils, 1959, p. 57-64.
-
[18]
J. Bacquart-Ellebode, « Les premières élections municipales à Dunkerque », Revue de la Société Dunkerquoise d’Histoire et d’Archéologie, n° 29, novembre 1995, p. 71-102.
-
[19]
Qui écrit Montd’hiver dans les documents.
-
[20]
C. Harbion, « À propos du tableau : la distribution des prix de l’Académie de dessin et de peinture de la ville de Dunkerque de Nicolas Truit », Revue de la Société Dunkerquoise d’Histoire et d’Archéologie, n° 29, novembre 1995, p. 59 et 60.
-
[21]
Manuscrits nos 27 à 31. Jean Lebaudy et sa femme Henriette rassemblèrent entre autres 300 manuscrits historiques qu’ils donnèrent en 1962 à la bibliothèque municipale de Versailles, plus 500 livres anciens en 1972. Pour une vue complète de la donation, voir le t. 64 du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, supplément Versailles, CNRS, 1989, p. 306-307, avec les cotes définitives L 265-266 pour les manuscrits 27, 27bis et 28, L 273 pour les manuscrits 29, 30 et 31.
-
[22]
L. Lemaire, « Bibliographie de l’histoire de Dunkerque », Bulletin Union Faulconnier, t. 26, 1929, p. 422 à 424.
-
[23]
Voir J. Ducoin, op. cit., p. 237 et suivantes.
-
[24]
J. Bouchary, « Les compagnies financières à Paris à la fin du xviiie siècle », Annales historiques de la Révolution française, 1939, p. 481-528.
-
[25]
Ils comptent respectivement 376, 276 et 473 pages.
-
[26]
Plus une du 15 mars 1776.
-
[27]
L’invocation céleste est générale, même en pays protestant. Voir J. Ducoin, op. cit., p. 232.
-
[28]
Nous ne disposons d’aucun élément nous permettant d’estimer le montant de l’amortissement. La valeur du navire dépend de son « dépérissement », lui-même fonction de l’âge du bâtiment et du nombre de voyages effectués.
-
[29]
Courtage : prime de tant de pour cent qu’on donne à ceux qui font le courtage, c’est-à-dire suite à la négociation du titre ou valeur mobilière et non sur le capital négocié.
-
[30]
Les pages concernant ces deux années ayant été arrachées ainsi que la partie gauche du premier folio de l’année 1769 sur le manuscrit 27bis. Le manuscrit n° 28 reprend la totalité des informations contenues dans le manuscrit précédent, mais dans un autre ordre.
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[31]
Ms n° 27bis (26 avril 1754-31 décembre 1774), 43 folios dont les deux premiers sont partiellement arrachés, les comptes courants du ms. n° 27 permettent en grande partie de combler les lacunes des 24 assurances. Dans six cas, le navire reste inconnu.
-
[32]
Voir J. Ducoin, op. cit., publication in extenso du règlement p. 669-671.
-
[33]
P. Villiers [et al.] : Les Européens et la mer, de la découverte à la civilisation (1455-1860), Paris, Ellipses, 1997, p. 176 et suivantes.
-
[34]
G. Le Bouëdec, Activités maritimes et sociétés littorales de l’Europe atlantique (1690-1790), Paris, A. Colin,1997, p. 219.
-
[35]
Ch. Carrière, Négociants marseillais…, op. cit., p. 539.
-
[36]
Au total, pour l’ensemble de la période, 1 912 actes.
-
[37]
Aucun total n’est fait en 1766, ni en 1770. Pour 1768, il faudrait reprendre les 25 listes contenues dans le manuscrit n° 28. La chose est impossible pour 1767 car il nous manque la valeur des 92 premières polices souscrites entre le 1er janvier et le 26 mars.
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[38]
Ce qui explique pourquoi C. Huetz de Lemps, dans sa Géographie du commerce bordelais au début du xviiie siècle, parue en 1972, a choisi « l’année récolte » pour ses statistiques portuaires.
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[39]
Un récent achat des archives municipales a permis enfin de mettre à la disposition des historiens les archives commerciales du négociant Melchior Didier, soit une trentaine de registres depuis 1741 (sous-série 23 Z).
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[40]
J. Ducoin, op. cit., p. 242.
-
[41]
J. Ducoin, op. cit., p. 245. Voir aussi H.A.L. Cockerel et E. Green, The British Insurance Business, 1547-1970. An introduction and guide to historical records in the United Kingdom, Heineman Educational Book, 1976, et A.M. John, « The London Assurance Company and the Maritime Insurance market of the Eighteenth Century », The London Schools of Economics, mai 1958, p. 126-141.