Couverture de RDN_364

Article de revue

Société d’histoire du droit et des institutions des pays flamands, picards et wallons

Pages 219 à 230

Journées internationales de Nimègue 5-8 mai 2005

1Les journées annuelles de la Société d’histoire du droit des pays flamands, picards et wallons, se sont tenues aux Pays-Bas, à Nimègue, du 5 au 8 mai 2005, à l’invitation de M. C. Coppens, Professeur à l’Université catholique de Nimègue. Le thème des travaux était intitulé « L’exclusion, aspects juridiques et judiciaires ». L’Université catholique de Nimègue étant fermée pour cause de vacances, les séances de travail eurent lieu à Berg-en-Dal, dans un hôtel situé dans un espace boisé et vallonné, propice à la promenade.

2Dès le jeudi de l’Ascension, et selon l’usage, les participants purent visiter la ville, la plus ancienne des Pays-Bas, où fut conclue en 1679 la fameuse paix de Nimègue entre Louis XIV, les Provinces-unies, l’Empire germanique et l’Espagne. Conquise par les Romains, la cité fut appelée Ulpia Noviomagus et devint prospère. Plus tard, elle devint l’un des séjours préférés de Charlemagne, qui y construisit un palais. Le groupe se rendit au Valkhof, un parc aménagé sur l’emplacement de la résidence de

3Charlemagne, reconstruite par Frédéric Barberousse au xiie siècle et détruite au xviiie siècle. Des vestiges de la chapelle romane du palais de Frédéric Barberousse y subsistent, ainsi qu’une chapelle du palais carolingien, sans doute remaniée au xvie siècle. Près d’une terrasse du parc, les visiteurs purent admirer la belle vue sur le Waal. La promenade continua ensuite vers le centre historique des xvie et xviie siècles. Malgré la destruction de la ville par un bombardement américain en 1944, de beaux monuments de style Renaissance ont été conservés ou restaurés : l’hôtel de ville, des maisons anciennes, le poids public sur la Grand Place, etc.

4La journée du 6 mai commença par la présentation historique et culturelle de la ville de Nimègue, du plus lointain passé jusqu’à nos jours, illustrée de très belles diapositives, et effectuée par Mme van der Spek-Chouzenoux, consul honoraire de France. Les premières communications concernèrent le xxe siècle, et elles s’attachèrent notamment aux exclusions qui se produisirent lors des deux guerres mondiales : celles de certains militaires indignes de faire partie de l’armée belge lors du premier conflit, celles des juifs dans le Nord de la France et de la Belgique au début du second. Les exclusions religieuses furent ensuite soulignées, à propos de la loi de séparation de l’Église et de l’État français en 1905. En remontant le temps jusqu’au xixe siècle, l’histoire fluctuante des procès de presse en Belgique, tantôt excluant et tantôt acceptant la compétence du juge civil dans ces matières fut abordée. Le droit international ramena l’auditoire à l’actualité, avec l’exclusion avérée des États non européens, non admis comme sujets de droit international. Cette première journée de travail devait se terminer par un appel à la réflexion philosophique sur les opinions de Montesquieu en matière de « bouche de la loi ».

5La matinée du 7 mai fut consacrée aux périodes plus anciennes. L’exclusion par le droit pénal, sous l’Ancien Régime, fut illustrée à la fois par le procès d’une relapse devant le Parlement de Tournai au xviie siècle, et par la formation de l’incrimination de vagabondage, en Brabant et Hainaut, au xvie siècle. Pour la même époque, fut évoquée l’exclusion du risque après sinistre, en matière d’assurance maritime, à Anvers. Cette belle succession de communications, dont certaines assorties de rétroprojections, donna lieu à plusieurs débats animés. L’excursion traditionnelle eut lieu l’après-midi, au château situé à s’Heerenberg. Le trajet nous fit passer en Allemagne pour revenir aux Pays-Bas. L’imposant château de Bergh fut construit au xiiie siècle par les van den Bergh, et transformé au xviie siècle. En 1946 son dernier propriétaire le légua à l’État. L’intérieur est meublé à l’ancienne et orné de belles peintures et sculptures. Après cette agréable promenade, la soirée se termina par l’Assemblée générale, suivie du banquet. L’Assemblée évoqua d’abord le souvenir des membres disparus. La section belge avait déploré en 2003 le décès de M. Carlos Wyffels, archiviste général honoraire des archives du Royaume, et en 2004, celui de M. José Douxchamps, l’époux de Mme Douxchamps-Lefèvre, présidente honoraire de la société. La section française a été durement éprouvée par le décès prématuré survenu en juillet 2004, à l’âge de 58 ans, de M. Georges-Éric Dequidt, président du Tribunal de Saint-Omer, et membre très assidu, avec sa famille, de la Société. Après une minute de recueillement, l’Assemblée accueillit les nouveaux membres. Elle se félicita de la participation, aux travaux de la société, de plusieurs jeunes doctorants de l’Université catholique de Louvain, fidèles depuis quelques années. Les comptes de la société furent ensuite approuvés à l’unanimité. La Présidente donna ensuite quelques nouvelles des publications des « Actes » des journées annuelles de la société. Les « Actes » de Saint-Riquier, intitulés « églises et justices » sont parus en 2005, ceux de Courtrai paraîtront avant la fin de l’année, ceux de Nimègue seront publiés à l’initiative de Monsieur le Professeur Coppens. Enfin, l’Assemblée procéda au renouvellement du bureau, comme les statuts l’imposent tous les trois ans. M. Georges Macours, Professeur à l’Université catholique de Louvain fut élu Président, Mme Catherine Lecomte, Professeur à l’Université de Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines et ancien doyen de la faculté de droit, fut élue vice-Président français, et M. Tanguy Le Marc’hadour, Maître de conférences à l’Université de Douai, fut élu secrétaire général de la société.

6Le lieu des prochaines journées fut fixé à Boulogne-sur-Mer, à l’invitation de M. Christian Pfister, Maître de Conférences à l’Université du littoral. Le thème retenu est celui de « l’environnement », qui recoupe notamment les questions juridiques et judiciaires liées aux nuisances et pollutions (tapages, déchets, odeurs, etc.) et à l’aménagement du territoire.

7Au cours du banquet qui eut lieu dans une magnifique salle de réception de l’hôtel, avec vue sur la plaine allemande et le lac, l’ancienne Présidente remercia ceux qui avaient organisé ces agréables journées nimèguoises, Monsieur le Professeur Coppens et Mme Nève, ainsi que M. Korbeld et Mme Coppens. Le nouveau Président, G. Macours, remercia Mme Martinage pour l’activité qu’elle avait déployée au service de la société durant son mandat.

8R. Martinage

9Professeur émérite de l’Université de Lille II,

10Présidente honoraire de la Société.

11★ « indignes de faire partie de larmée ». les commandants des forts belges de 1914 devant les juridictions militaires daprès-guerre.

12En 1914, les plans de défense de la Belgique prévoyaient une défense axée sur trois positions fortifiées et plusieurslignes de front derrière des cours d’eau. En deux mois et demi de guerre cependant, toute cette défense s’écroula. D’août à octobre 1914, tant les positions de terrain que les trois positions fortifiées tombèrent aux mains de l’envahisseur car les lignes de forts autour de Liège, Namur et Anvers ne purent résister à l’artillerie moderne des Allemands. Un nombre de forts succombèrent sous les bombardements intensifs et systématiques, d’autres furent pris après un long bombardement, d’autres encore furent abandonnés par leurs soldats après un bref combat ou même avant, leurs commandants estimant que toute opposition serait vaine vu la force des canons allemands.

13Alors que l’armée de campagne se replia vers Gand et Ostende, pour se retrancher finalement derrière l’Yser, les officiers des forts se mirent en route vers le nord avec leur troupe, craignant que la route de repli vers Gand soit coupée par les Allemands, et franchirent la frontière hollandaise pour s’y réfugier.

14Aussitôt la guerre terminée, en 1918, les officiers internés par les autorités hollandaises pendant la durée de la guerre furent progressivement rapatriés et réintégrèrent l’armée. Le ministère de la Guerre érigea une commission d’examen des droits à l’avancement des officiers rapatriés (la « Commission Biebuyck » — du nom de son président, l’aide de camp du roi), chargée d’examiner les dossiers des officiers revenant des pays voisins. Pour plusieurs d’entre eux, la conclusion émise par la commission était qu’ils étaient « indignes de faire encore partie de l’armée », ayant « gravement manqué à leurs devoirs militaires », et la commission réclamait leur renvoi devant un conseil de guerre « pour y être jugé conformément aux lois ».

15La justice militaire investigua longuement les dossiers des officiers poursuivis du chef d’avoir, étant commandant d’un fort, capitulé avec l’ennemi ou rendu la place qui leur était confiée sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont ils disposaient. De nombreux témoins furent appelés à la barre : généraux, collègues, adjoints, soldats. Plusieurs experts furent dépêchés dans les forts abandonnés pour décrire les dommages occasionnés aux forts et pour vérifier la mise hors d’usage de l’armement des forts auquel avait prétendument procédé les commandants des forts avant de les abandonner aux mains de l’ennemi en 1914.

16S’il s’avéra que plusieurs officiers avaient quitté leur position avant même le combat, les juges militaires estimèrent cependant que les conditions de la reddition de la plupart des forts justifièrent les décisions prises par les officiers commandants. Si certains n’avaient certes pas « fait preuve de toute l’énergie et l’esprit de décision que les circonstances comportaient », l’épaisseur insuffisante et la mauvaise qualité du béton des forts offrant une résistance et une protection très limitées face à la capacité de tir des canons allemands, le retrait des troupes d’intervalle interrompant la chaîne défensive, le repli de l’armée de campagne vers la côte rendant inutile la poursuite des combats à hauteur de la position fortifiée d’Anvers, l’impossibilité de défendre l’intérieur de la ligne de forts rendant vulnérables les forts après l’incursion de l’ennemi à l’intérieur du dispositif défensif, l’armement étant dirigé quasi exclusivement vers l’extérieur du dispositif, et la piètre qualité des troupes de forteresse (les réservistes les plus âgées, sans formation militaire récente et sans connaissances de l’armement utilisé) avaient mis ces officiers dans des conditions de combat extrêmement défavorables.

17Tous furent acquittés ou l’amnistie de leur peine fut constatée par les tribunaux militaires. Les juges (militaires) ne partagèrent donc pas la sévérité de l’administration (militaire) et évitèrent la destitution (et, partant, l’exclusion) de tous ces officiers.

18S. Horvat,

19Avocat, Collaborateur pédagogique à la Vrije Universiteit Brussel, Administrateur du Centre d’étude de Droit militaire et de Droit de la Guerre.

20★ la séparation de 1905, discours républicain sur une exclusion politique du clergé.

21Fin 1905, en France, on vote la séparation des Églises et de l’État. À la Chambre et au Sénat, le discours académique ne fait jamais passer au second plan les réalités concrètes et les raisons politiques et sociales.

22De la collaboration à la confrontation politique

23Avec le concordat de 1801 la religion est un instrument de règne et le clergé un organe de l’État.

24L’affirmation des divergences entre l’Église et l’État

25Le catholicisme n’est cependant pas déclaré religion officielle et l’Église salariée a perdu toute indépendance. Après l’avènement de la République et avec les politiques intransigeantes du ministère Combes et du Pape pie X, l’antinomie entre les deux France, les deux sociétés, l’une laïque, l’autre cléricale, paraît irréductible.

26Un clergé politicien aveuglé par le cléricalisme

27La séparation devenue inéluctable, la représentation parlementaire va en assumer la responsabilité, sans vexation inutile et en cherchant un compromis. On ne s’attaque pas à la religion, mais seulement à son mauvais usage : certes le clergé catholique de France est sorti de son rôle et a versé dans le cléricalisme, mais il a été instrumentalisé par la droite.

28De la dépendance à la liberté surveillée

29Pour se défendre, les républicains se proposent donc de retirer à l’Église de qui en fait grand corps politique, afin qu’elle se dissolve dans la liberté.

30La perte du privilège d’investiture et d’argent

31La suppression du budget des cultes, destinée à porter un coup décisif à la puissance matérielle de l’Église, tirée du concordat, est justifiée par la cessation du service public et tempérée par l’octroi de pensions. Elle empêchera les cléricaux de consacrer trop de ressources à la lutte électorale et permettra à la libre pensée et à la religion de s’affronter à armes égales.

32Une application du droit commun limitée par des impératifs politiques

33Cette privation sera en fait compensée par l’octroi de la liberté impliquant pour les prêtres, redevenus simples citoyens, un retour au droit commun.

34Cependant ce dernier n’est ni complet ni systématique. Il est contrarié par des motifs d’ordre public. L’autorité morale du prêtre n’ayant pas été rayée d’un trait de plume, il convient encore à l’État de prendre provisoirement des précautions spéciales contre ses éventuels abus et un retour offensif en politique.

35J. Lorgnier,

36CNRS, Université de Lille 2.

37★ lexclusion de la responsabilité aquilienne ? la compétence et lincompé-tence du juge civil en matière de presse au xixe siècle en belgique.

38B. Delbecke,

39Doctorant à l’Université de Louvain.

40★ lexclusion par la loi dans le nord de la france et la belgique sous loccupation allemande durant la seconde guerre mondiale.

41De 1940 à 1944, les départements du Nord et du Pas-de-Calais sont rattachés au commandement militaire allemand d’occupation de Bruxelles, alors que le reste de la France occupée est sous la responsabilité de celui siégeant à Paris. Il résulte de la formation de cette « zone rattachée » un régime juridique propre à cette zone, qui porte à la comparaison entre les politiques menées dans la zone Nord en France, la zone rattachée et la Belgique. L’exclusion trouve dans cette époque un champ de manœuvre pour le moins privilégié, mais dont les contours restent parfois à préciser.

42Ainsi, l’intervention s’attache à décrire dans un premier temps le régime d’exclusion par la loi appliqué aux juifs dans le Nord et le Pas-de-Calais, dans une perspective de comparaison entre les statuts des juifs appliqués dans les zones d’occupation décrites plus haut, par les autorités allemandes comme françaises. En effet, il faut démêler les accords internationaux comme locaux régissant l’occupation par l’Allemagne nazie de ces territoires pour comprendre quel est le statut applicable dans le Nord et le Pas-de-Calais. Ces règles évoluent dans le temps, révélant tantôt une conformité à la situation belge et française, ou même créant un régime local.

43Dans cet enchevêtrement complexe des règles, il faut souligner la difficile lisibilité de l’application de ces mesures dans la zone concernée, aux conséquences pourtant tragiques. Les personnes concernées elles-mêmes, comme les autorités locales peinent à identifier le droit applicable. C’est pourquoi cette communication se propose, dans un deuxième temps, de faire place à la publicité de ces terribles réglementations. Pour la prise de connaissance du statut, la publication officielle ne suffit pas, qui n’informe pas sur le point de savoir si des règles applicables en Belgique ou en France le sont également en zone rattachée. En la matière, il faut faire une place particulière à la presse, portant souvent cette mention, comme moyen d’information pour le chercheur comme pour les personnes à qui s’appliquent cette exclusion par la loi.

44C. Million,

45Doctorant à l’Université de Lille II.

46★ lexclusion des états non-européens, non admis comme sujets du droit international.

47Si dans cette communication je traite d’un aspect de l’expansion européenne qui s’est manifesté surtout au xixe siècle, ses origines se situent sans doute dans l’élaboration du droit international au xviie et surtout au xviiie siècle. Ce droit prit un caractère largement conventionnel et s’appuyait sur une doctrine de plus en plus élaborée. La participation des États non-européens à un code spécifiquement européen devint donc de plus en plus difficile. Le « droit public européen » ne pouvant reconnaître que des États du modèle européen, l’admission d’autres sujets devint conditionnelle et était assez rare. L’Europe, expression géographique, acquit de la sorte une signification juridique, puisque les États européens et leur territoire se distinguèrent des autres parties du monde ne jouissant point des « avantages du droit public et du concert européen », formule employée en 1856 à l’admission de l’Empire ottoman à ce cercle charmé.

48Inclusio et est exclusio : l’admission de quelques puissances asiatiques, comme l’Empire ottoman, la Chine, le Japon, la Perse et le Siam fit ressortir le caractère sévèrement restreint du groupe de nations reconnues. Encore, ces puissances asiatiques étaient soumises à des exceptions, les juridictions consulaires extraterritoriales, qui étaient perçues de plus en plus comme d’intolérables infractions à la souveraineté.

49Probablement le phénomène de l’exclusion n’a jamais été mieux en évidence que dans ces journées hautes du colonialisme que furent les conférences de Berlin et de Bruxelles où les nations civilisées s’exprimaient tout bénévolement sur le sort de l’Afrique. Il ne surprend pas qu’à l’ère de la décolonisation les représentants des nouveaux États indépendants ont condamné le partage de l’Afrique entre les Européens et ont revendiqué les traditions africaines. La critique des méthodes d’appropriation de territoire et de la détermination de frontières par les puissances coloniales a été sévère.

50On pouvait s’attendre à une réévaluation de traditions politiques africaines à laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes semblait bien inviter. Or, il n’en fut rien. De l’examen de la pratique juridique contemporaine, notamment de la jurisprudence de la Cour internationale de justice on pourrait plutôt conclure au triomphe de l’exclusion des États/unités politiques pré-coloniales. Seule, la pratique des puissances coloniales fait foi, selon le principe uti possidetis.

51C.G. Roelofsen,

52Professeur à l’Université d’Utrecht.

53★ montesquieu et charles eisenmann : encore la bouche de la loi.

54Charles Eisenmann et sa théorie du « juge-automate » — une thèse très controversée. D’abord, parce que la lecture du passage XI,6 (49) de l’Esprit des Lois est influencée par ses propres conceptions positivistes : alors incompatible avec les idées de Montesquieu sur le droit naturel.

55Puis, parce que le passage « les juges ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi » se situe dans le chapitre « De la Constitution d’Angleterre » et le droit anglais se caractérise par judge-made law — tandis qu’en France, au xviiie siècle, les Parlements ont exercé une autorité politique profonde.

56En effet, dans II,4, Montesquieu a critiqué le Parlement anglais qui — selon lui — aurait dénaturé la monarchie en affaiblissant un des pouvoirs intermédiaires, la noblesse.

57Dans XI,6, l’auteur reprend l’idée de la thèse nobiliaire. Il l’indique par le rappel « comme nous avons dit » énoncé au passage de « la bouche de la loi ». De cette circonstance j’ai déduit qu’il s’agit d’une allusion rétrospective, c’est-à-dire d’une période où les juges anglais avaient encore un rôle, et une autorité politique.

58Il y a un cas dans l’histoire anglaise désigné comme Calvin’s Case ou le Postnati Case (1608) qui répond à ce signalement. La controverse touchait au problème de la nationalité des Écossais nés après l’avènement au trône de Jacques VI (I) en Angleterre. Sur l’essentiel de l’argument — le statut légal des sujets — à la fin, le roi et le juge étaient du même avis. Mais, à juste titre, qui était autorisé de décider le cas : le roi par sa prérogative, ou le juge ? Voilà une confrontation entre les deux : selon Jacques Ier, c’était rex lex loquens, selon Edward Coke judex lex loquens. Les deux revendications s’appuyaient sur un passage du De Legibus de Cicéron : magistratus lex loquens. Et Montesquieu en fin de compte, en articulant les mots « la bouche de la loi », lui aussi fut inspiré par l’aphorisme cicéronien — à l’en croire son contemporain Le Blanc de Castillon.

59Jacques VI, déjà en Écosse, fut confronté par les écrits de son maître, Georges Buchanan. Celui-ci — étiqueté monarchomaque —, dans son De Juri Regni apud Scotos a reproduit la pensée cicéronienne d’une manière spéciale : ut Rex esset lex loquens.

60Un contemporain de Montesquieu, Legendre de Saint Aubin, dans son Traité de l’Opinion (1733) a critiqué Buchanan parce qu’il a subordonné le roi à la loi, contrairement à la doctrine classique d’Aristote.

61C’est ici — comme je le présume, du moins — que Montesquieu entre en jeu. Dans le livre xi, chapitre xi, il mentionne Aristote. Il rejette sa doctrine selon laquelle le roi devait à la fois exercer le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Une réfutation des mots de Legendre de Saint Aubin ? Pas forcément. En tout cas on ne peut pas se méprendre sur l’intention de notre auteur.

62Ce que j’ai démontré jusqu’ici ce sont les origines cicéroniennes des mots de Montesquieu, et le rapport, le common ground de la métaphore (bouche de la loi) avec la problématique du Calvin’s Case.

63Mais ni l’un, ni l’autre de ces critères se manifeste sans équivoque dans le texte XI,6 (49). En effet, selon Brethe de la Gressaye, dans son Analyse du livre XI, ch. 6, « les allusions [de Montesquieu] sont parfois si indirectes qu’on hésite sur leurs significations ».

64Heureusement, il y a de l’évidence supplémentaire. Il existe un texte français qui traita d’une situation comparable avec celle que nous avons trouvée chez George Buchanan et qui, en même temps, utilisa aussi la terminologie de « la bouche de la loi ». Il s’agit d’un fragment emprunté au traité intitulé Résolution claire et facile sur la question tant de fois faite de la prise des armes par les inférieurs (Basle 1575). Dans ce texte apparaissent les mots suivants : Le Roy, la bouche des loix […]. Un antécédent français à la « bouche de la loi » de Montesquieu, ainsi sembla-t-il, fût-ce avec une différence de sens (roi au lieu de juge).

65L’auteur anonyme et George Buchanan étaient des contemporains et, comme celui-ci, le Français, en matière de politique, lui aussi était un monarchomaque. Le De Jure Regni apud Scotos et la Résolution utilisent le même registre métaphorique : le roi qui est censé être le porte-parole de la loi (Rex esset lex loquens — le Roy, la bouche des loix).

66Reste la question de savoir quelle signification il faut accorder au texte de la Résolution (le roi comme la bouche de la loi). Avons-nous affaire à un précédent de l’expression de Montesquieu ?

67Je suis convaincu que c’est en effet le cas. Le coq-à-l’âne terminologique (roi > juge) ne constitue pas un obstacle véritable, étant donné la façon dont les attributions du souverain sont formulées dans le premier texte et chez Buchanan.

68Je dis bien : « un » précédent. Si ça s’est limité à un seul précédent, ou s’il y a eu plusieurs précédents de nature semblable ou comparable, voilà une question à laquelle je n’ose répondre.

69K.M. Schönfeld,

70Université de Nimègue.

71★ lexclusion des relaps, lexemple du procès de catherine du metz au parlement de tournai (1691).

72Un relaps est une personne qui est retombée dans l’erreur, selon l’étymologie relapsus. Le phénomène de relaps est courant dès lors que le pouvoir interdit une religion et persécute ses fidèles. Certains persécutés préfèrent se convertir à la religion dominante, pour éviter les tracas et les expulsions. Toutefois ces nouveaux convertis sont toujours suspectés de retourner à leur culte primitif, en secret, et dans ce cas, ils sont très sévèrement punis. Ainsi, la législation française du xviie siècle est-elle rigoureuse à l’égard des relaps protestants, et ce crime est rangé au nombre des crimes de lèse majesté divine.

73Louis XIV, durant tout son règne, va fulminer des textes de plus en plus sévères contre les relaps, lesquels étaient d’autant plus nombreux que le monarque s’était efforcé d’obtenir des conversions, en maniant tantôt la carotte, tantôt le bâton. Le Roi finit même par s’intéresser aux anciens protestants mourants qui auraient refusé les derniers sacrements, signe évident de leur reniement. Il écrit à ce sujet au Parlement de Tournai le 10 novembre 1685, puis il confirme ses injonctions dans la déclaration du 26 avril 1686. Ce texte prévoit que le procès à la mémoire, et au cadavre, sera fait contre les nouveaux convertis décédés après avoir refusé les derniers sacrements. C’est sous l’empire de cette législation redoutable qu’eut lieu le procès de Catherine du Metz.

74Cette célibataire, née le 6 novembre 1622, mourut à Valenciennes le 28 juin 1691, en refusant les services du curé et du vicaire. Elle était suspectée de protestantisme, et, devenue plus circonspecte depuis la révocation de l’édit de Nantes, elle avait accompli quelques devoirs religieux, sans grande assiduité. Notamment, elle se serait confessée à Pâques 1690, et aurait fait, à cette occasion, profession de foi catholique. Le 30 mai 1691, elle avait fait son testament où elle déclarait vouloir mourir dans la religion catholique. Dès son décès, le magistrat de Valenciennes se saisit de l’affaire et lance l’information. Cependant, vu l’importance du procès, les juges consultent le ministre Louvois et lui demandent quelle conduite tenir. C’est l’intendant de Bagnols qui répond, le 9 juillet, en approuvant la procédure entreprise. Fort de ce soutien, le magistrat de Valenciennes rend sa sentence de condamnation et ordonne, conformément à la déclaration de 1686, que le corps de la défunte sera traîné sur la claie et jeté à la voirie, ses biens confisqués. L’exclusion est à son comble puisque la condamnée est privée de sépulture. Le curateur au cadavre, Jean Dupont, nommé par la juridiction valenciennoise, fait aussitôt appel au Parlement de Tournai. Le 19 juillet, l’intendant écrit au magistrat de Valenciennes qu’il ne doute pas que la sentence sera confirmée en appel.

75Le fond du droit présentait bien des difficultés que Dubois d’Hermaville, conseiller rapporteur du procès devant la Tournelle, relate dans son « Recueil d’arrêts ». La déclaration de 1686 posait trois conditions pour établir la culpabilité du relaps : l’abjuration publique, le refus des derniers sacrements, la déclaration de vouloir mourir dans la religion réformée. Or, s’agissant de Catherine du Metz, seul le refus de sacrements était prouvé. Les parlementaires vont eux aussi, consulter le pouvoir pour lever l’ambiguïté. Barbezieux leur répond, le 11 août, en leur ordonnant de confirmer la condamnation de l’accusée comme relapse. La procédure se poursuit donc, alors que la décision est déjà arrêtée. Jean Dupont est entendu le 16 août pour le dernier interrogatoire. Son habileté à défendre la cause sera inutile. Le 16 août, l’arrêt de confirmation est rendu. Mais Dubois d’Hermaville, dans son « Recueil d’arrêts », proteste contre les pressions subies et dégage la responsabilité des parlementaires à l’égard de cette injustice. Pouvait-on trouver plus bel exemple d’atteintes à l’indépendance des magistrats, de déni du droit, et d’instrumentalisation de la justice ?

76On peut s’interroger sur l’exécution de la sentence !… D’ailleurs, le Roi ne tarda pas à regretter les aspects spectaculaires de cette répression. Le 20 novembre 1699, Barbezieux écrivit au Parlement de Tournai : « … Sa Majesté a jugé à propos d’éviter de traîner les corps sur la claie… ». La répression n’en demeurait pas moins aussi rigoureuse qu’inefficace.

77R. Martinage,

78Professeur émérite à l’Université de Lille 2.

79★ lincrimination du vagabondage, une exclusion détat ? brabant et hainaut, xve-xve siècles.

80Notre contribution aux journées d’histoire du droit porte sur l’incrimination du vagabondage en Brabant et en Hainaut durant les xve et xvie siècles. L’incrimination du vagabondage c’est-à-dire la définition comme délit de ce comportement, ou ici en l’occurrence de cet État. Historiquement, un phénomène d’incrimination comporte toujours deux pôles, l’incrimination primaire qui « sous forme normative à travers coutumes, édits, lois ou codes révèle la définition théorique d’un comportement en termes d’infraction par les autorités jouissant du pouvoir de sanctionner » ; ainsi que l’incrimination secondaire qui est constituée par la pratique effective des institutions chargées de l’exercice de la sanction (X. Rousseaux). C’est des institutions législatives étatiques que provient le phénomène d’incrimination du vagabondage, ce qui signifie que, dans ce cas précis, l’incrimination primaire précède et induit l’incrimination secondaire. Il est possible d’établir le corpus des ordonnances princières qui traitent des vagabonds. Dans les évolutions et mécanismes législatifs qui mènent à l’incrimination, l’on recence trois grandes étapes : premièrement d’un point de vue conceptuel l’idée selon laquelle les vagabonds refusent sciemment et volontairement de travailler ainsi que l’établissement d’un syllogisme « implacable » selon lequel, privé du droit de mendicité, toute personne — si elle n’est ni noble ni clerc — qui ne travaille pas est privée de tout moyen de subsistance ; deuxièmement, ce syllogisme débouche, d’un point de vue plus concret, sur l’amalgame entre les vagabonds et les criminels, l’établissement d’une suspicion collective à leur égard et sur le fait que même s’ils ne sont pas criminels, les vagabonds nuisent à la chose publique ; troisièmement, du point de vue des modalités pratiques prescrites dans les ordonnances, le mode de condamnation se fait par le biais de la contravention aux règles et édits princiers, par l’attribution aux « bons pauvres » d’un signe distinctif, par l’interdiction complète de la mendicité, par l’indispensable réforme de l’assistance, et enfin par un bannissement collectif et d’office.

81L’étude de l’incrimination primaire, doit être confrontée à celle des sources de la pratique, essentiellement les comptes des officiers de justice. L’étude de ces sources permet de mettre au jour un phénomène d’instrumentalisation du corpus législatif par les forces de l’ordre : les officiers de justice n’arrêtent pas tous les vagabonds et toutes les personnes appréhendées sous cette appellation ne sont pas des vagabonds. D’un point de vue très concret, l’on constate que cette instrumentalisation s’applique sur une population d’hommes jeunes ou dans la force de l’âge, pauvres, sans attache et qui semblent fuir la misère rurale pour tenter leur chance dans les villes.

82L’on peut considérer l’incrimination du vagabondage, phénomène historiquement neuf qui lie l’apparition d’un nouveau type de délit, d’une nouvelle conception de la pauvreté et l’apparition d’un nouveau type d’exclu, comme symptomatique d’évolutions historiques profondes et qui concernent l’ensemble de la société. Et ce dans deux domaines en particulier, tout d’abord l’auto-affirmation de l’État, tant d’un point de vue législatif que d’un point de vue judiciaire. « Auto-affirmation et volonté d’initiative de l’État qui se couple avec une certaine autonomisation de ce dernier ainsi qu’avec une croissance et une institutionnalisation de ses organes » (C. Gauvard, X. Rousseaux). Ensuite, « l’incrimination du vagabondage nous donne à voir une modification des rapports de production dans l’économie, trahissant la naissance d’un embryon de prolétariat mobile » (R. Castel, H. Soly).

83B. Dauven,

84Doctorant à l’Université catholique de Louvain.

85★ lexclusion du risque après sinistre : lassurance sur bonnes et mauvaises nouvelles à anvers (xvie-xviie siècle).

86L’assurance sur bonnes et mauvaises nouvelles est un genre particulier d’assurance maritime. Ce type d’assurance consiste en une extension contractuelle du risque assuré. Par l’insertion de la clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles », la garantie comprend la réparation du dommage qui s’est déjà produit au moment de la formation du contrat.

87Cette assurance après sinistre est issue d’un climat favorable. Au milieu du xvie siècle, on commençait à assurer des voyages loin du lieu de départ et d’arrivée. La transformation de l’économie des foires en marchés permanents, et l’installation des réseaux de commissionnaires en résultant contribuaient à la création de l’assurance sur bonnes et mauvaises nouvelles. À travers les siècles, l’assurance sur bonnes et mauvaises nouvelles a fait l’objet de plusieurs interventions législatives.

88Très vite, la clause a reçu plusieurs significations. Selon les coutumes de la bourse anversoise, la clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles » réfutait la présomption de mauvaise foi auprès de l’assuré en cas de sinistre avant la date du contrat d’assurance. À condition que les nouvelles du sinistre n’aient pas pu atteindre le lieu de l’assurance, la police était valable. Le moment de connaissance présumée était calculé moyennant une heure par mile, plus tard deux heures par trois miles. Un contrat d’assurance signé après ce moment était nul. Cette règle était empruntée aux ordonnances espagnoles et était d’application à Anvers. La clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles » renversait la charge de la preuve. L’assureur devait prouver la mauvaise foi de l’assuré et ne pouvait pas invoquer le calcul mentionné. Il devait démontrer que l’autre partie contractuelle était au courant du sinistre au moment de la formation du contrat. Bien que les compilations de droit coutumier anversois et l’ordonnance royale du 21 janvier 1571 (n.s.) ne l’aient pas reconnue, cette pratique était bien connue dans le milieu commercial d’Anvers. La pratique était stimulée par l’ordonnance d’Amsterdam de 1598, qui transformait la règle anversoise en acceptant la réfutabilité de la présomption de connaissance. Les Compilatæ, la version des coutumes anversoises de 1608, ont repris cette solution. La réfutation de la présomption était réservée à cette clause. Si l’assureur ne réussissait pas à prouver la mauvaise foi, l’assuré était libéré après serment purgatoire.

89Deuxièmement, la clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles » excluait l’interdiction de conclure une police d’assurance après le départ du navire. Les coutumes anversoises de 1582, les Impressæ, contenaient cette interdiction. Une police d’assurance pouvait être conclue après départ si l’assureur en était averti. La clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles » était un des avertissements possibles. Dans l’ordonnance d’Amsterdam de 1598 et les Compilatæ de 1608, la clause était la seule exception à l’interdiction d’assurance après départ.

90Enfin, l’assurance sur bonnes et mauvaises nouvelles était aussi à l’avantage de l’assureur. Quand une assurance était conclue et il n’y avait jamais eu de risque parce que le navire était déjà arrivé au moment du contrat, l’assureur gardait la prime. Suite à l’insertion de la clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles », l’assuré avait demandé la récupération de la prime en cas de « bonnes nouvelles ». Cette caractéristique fut introduite dans le droit coutumier anversois en 1608.

91Dans l’ordonnance de la Marine de 1681, l’assurance sur « bonnes et mauvaises nouvelles » conservait deux fonctions. La présomption de connaissance était réfutable, exclusivement par la clause « sur bonnes et mauvaises nouvelles ». L’ordonnance de 1598 était à la base de cette règle. L’Ordonnance de la marine allait néanmoins plus loin : le serment purgatoire et l’interdiction d’assurance un certain délai après départ étaient abolis. L’assurance sur bonnes et mauvaises nouvelles excluait également le remboursement de la prime en cas d’assurance après arrivée.

92Ces articles étaient repris dans le Code de commerce. En Belgique, les articles concernés furent changés en 1879. Une assurance signée après la date du sinistre ou arrivée du navire est nulle, si respectivement l’assuré ou l’assureur en étaient au courant. La présomption de connaissance était abolie.

93L’assurance sur « bonnes et mauvaises nouvelles » fournit un bon exemple de l’introduction de certaines pratiques de la bourse dans le droit coutumier et royal. Il s’agissait sur certains points d’une véritable transformation de ces coutumes. Malgré tous les efforts des législateurs, la clause a gardé sa signification originale. Elle figure dans la police type d’Anvers, composée en 1859 et toujours en vigueur.

94D. de Ruysscher,

95Doctorant à l’Université catholique de Louvain.

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