Notes
-
[*]
Serge Dormard, Professeur à l’Université de Lille 1, Faculté des Sciences Économiques et Sociales, MÉDEE-IFRÉSI, 59655 Villeneuve-d’Ascq Cedex.
-
[1]
Selon le mécanisme décrit par G. Béaur, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles. Des liens solides ou des chaînes fragiles ? », Annales, Histoire, Sciences Sociales, 49e année, n° 6, novembre-décembre 1994, p. 1411-1428.
-
[2]
Notamment G. Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du xviiie au début du xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, et Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001.
-
[3]
Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique. Les marchés du crédit à Paris, 1750-1840 », Annales, Histoire, Sciences Sociales, n° 1, janvier-février 1994, p. 65.
-
[4]
Précisons que cette étude ne concerne que les relations entre prêteurs et emprunteurs privés et laisse de côté les rentes émises par les institutions publiques, la ville de Douai notamment.
-
[5]
Comme la vente anticipée de récoltes, le prêt sur gages ainsi que diverses formes de sûretés réelles suspectes de dissimuler une opération de prêt à intérêt telles que le mort-gage, contrat par lequel un débiteur se dépossédait temporairement d’un bien immobilier au profit de son créancier, celui-ci percevant les revenus de l’immeuble jusqu’à ce que le débiteur rembourse le montant intégral de sa dette, et la vente à réméré ou vente avec faculté de rachat.
-
[6]
La prohibition du prêt à intérêt apparaît en fait plus rigoureuse pour les particuliers que pour les marchands qui disposaient d’instruments de crédit particuliers, les lettres de change, qui n’étaient pas considérés par l’Église comme des prêts à intérêt.
-
[7]
La liberté de l’intérêt défendue par un certain nombre de philosophes et écrivains du xviiie siècle, entre autres Cantillon, Montesquieu, Quesnay et Turgot, a certainement contribué à la reconnaissance du prêt à intérêt accordée par le décret des 3-12 octobre 1789.
-
[8]
Sans que cela entraîne pour le débiteur une dépossession de son bien comme dans le cas, par exemple, du mort-gage ou de la vente à réméré.
-
[9]
B. Schnapper, Les rentes au xvie siècle. Histoire d’un instrument de crédit, Paris, SEVPEN, 1957, p. 67.
-
[10]
C’est ainsi, par exemple, qu’une rente créée en 1358 devant les baillis et échevins d’Anhiers (Nord) au profit de la collégiale Saint-Pierre de Douai était encore active en 1604, soit près de deux siècles et demi plus tard (AD Nord Tabellion de Douai 212).
-
[11]
P. Servais, « De la rente au crédit hypothécaire en période de transition industrielle. Stratégies familiales en région liégeoise au xviiie siècle », Annales, Histoire, Sciences Sociales, 49e année, n° 6, novembre-décembre 1994, p. 1396.
-
[12]
Au cours des deux siècles suivants, la population douaisienne fluctue, à cause des guerres notamment, et la ville ne comprend plus que 13 000 habitants en 1720. Le nombre d’habitants s’élève à 17 000 en 1789.
-
[13]
Michel Rouche (dir.), Histoire de Douai, Westhoek-Éditions, Éditions des Beffrois, 1985, p. 146.
-
[14]
Voir J. Godard, « Contribution à l’étude de l’histoire du commerce des grains à Douai, du xive au xviie siècles », Revue du Nord, t. XXVII, nos 107-108, juillet-décembre 1944, p. 171-205.
-
[15]
Sans oublier sa vocation militaire, Douai étant devenue, après la conquête française, une importante ville de garnison avec l’installation de plusieurs casernes pouvant contenir jusqu’à 6 000 hommes. Ce rôle est conforté par la construction d’un arsenal en 1667, de la fonderie de canons en 1669 et d’une école d’artillerie en 1679.
-
[16]
En 1716, les ecclésiastiques représentent plus de 7 % de la population communale. M. Rouche (dir.), Histoire de Douai, ouv. cité, p. 114.
-
[17]
G. Postel-Vinay, La terre et l’argent…, ouv. cité, p. 34.
-
[18]
Pour des détails sur les notaires de Douai et de sa région, voir nos articles : « Les notaires de la ville de Douai sous l’Ancien Régime », Douaisis-Généalogie, n° 4, décembre 1992, p. 6-8, et « Les notaires de la Gouvernance de Douai », Douaisis-Généalogie, n° 5, 1er trimestre 1993, p. 10-11.
-
[19]
Avant la Révolution, les notaires étaient tenus de déposer leurs minutes auprès d’un Tabellion ou Garde-Notes qui seul avait le droit de délivrer les grosses. Sa signature en conférait l’authenticité sans qu’il soit besoin d’autre preuve. C’est ce fonds qui constitue le Tabellion de Douai.
-
[20]
Le fonds comprend aussi de nombreuses reconnaissances de rentes (2 200), des actes de transport et de cession (1 200) et un certain nombre de rentes viagères (600) qui n’ont pas été exploitées dans cette étude.
-
[21]
Pour une présentation plus complète du système monétaire en vigueur dans notre région, voir notre article, « Monnaies de compte et monnaies réelles utilisées dans le Nord de la France du xvie siècle à la Révolution », Douaisis-Généalogie, nos 13, 14, 15, 1er, 2e et 3e trimestres 1995
-
[22]
La livre parisis (comme la livre tournois) est divisée en vingt sols (ou gros) et chaque sol (ou gros) en douze deniers. Le florin est divisé en vingt patards et chaque patard en douze deniers. Trois deniers font un liard.
-
[23]
AD Nord Tabellion de Douai 91.
-
[24]
AD Nord Tabellion de Douai 556.
-
[25]
Il existait encore d’autres monnaies de compte locales qui n’étaient cependant pas utilisées dans les contrats de rentes, notamment la livre de Cambrai, égale au florin, et la livre douaisienne, égale au tiers de la livre parisis de Flandre. La livre de gros de Flandre, égale à 6 florins, était quant à elle plutôt réservée aux baux de maisons.
-
[26]
On peut aussi observer une certaine répartition géographique des monnaies de compte. Au xviiie siècle, les emprunteurs dont les contrats sont exprimés en livres parisis de Flandre se situent plutôt au nord-est du Douaisis dans les communes proches de la frontière (Aix, Landas, Nomain, Mouchin, Saméon, etc.), les habitants de Douai et des environs proches utilisant presque exclusivement le florin ou la livre tournois de France.
-
[27]
On peut s’interroger sur les fondements de ce choix, compte tenu du rapport fixe entre les deux monnaies de compte. Est-il le fait de l’emprunteur ? Ne serait-il pas imposé par le notaire ? Les calculs ne montrent cependant pas de corrélation significative entre le type de monnaie utilisée et le notaire qui a enregistré l’acte.
-
[28]
Les chiffres indiqués reflètent aussi l’état de conservation du fonds d’archives qui a pu subir diverses pertes et destructions, sans oublier les minutes encore conservées de nos jours, malgré la législation, dans les études notariales. Pour cette raison, il est préférable d’utiliser des moyennes calculées sur des périodes suffisamment longues, ici de vingt ans.
-
[29]
Contrairement au marché parisien (Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique… », art. cité, p. 74), l’activité de crédit à Douai au xviiie siècle ne semble pas avoir été affectée par les événements politiques, notamment la guerre de Sept ans (1756-1763), ou la baisse réglementaire des taux entre 1766 et 1770.
-
[30]
G. Postel-Vinay, La terre et l’argent…, ouv. cité, p. 39.
-
[31]
Ibid., p. 98.
-
[32]
Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique… », art. cité, p. 70. Les auteurs retiennent la ville de Dijon comme représentative de la catégorie des « Autres grandes villes », celles dont la population est supérieure à 15 000 habitants. L’écart avec Douai pour ce qui concerne le montant moyen des rentes pose la question de la pertinence de ce choix et ne peut qu’encourager l’étude d’autres grandes villes françaises.
-
[33]
Grâce à quelques gros emprunteurs comme la collégiale Saint-Pierre de Douai qui, au cours des années 1740-1750, crée pour 65 000 florins de rentes afin de financer la réfection du clocher de l’église.
-
[34]
Ce rôle modeste peut s’expliquer, au moins en partie, par le fait que de nombreux membres de la noblesse qui ont acquis des charges de conseillers ou de procureurs au Parlement de Flandre figurent dans la catégorie des bourgeois de Douai.
-
[35]
Dont 120 000 florins (150 000 livres tournois) en une rente, émise le 7 juillet 1784, au profit de la Régie des biens confisqués sur les collèges des Pays-Bas autrichiens situés dans le ressort du Parlement de Flandre (AD Nord Tabellion de Douai 1618).
-
[36]
Un exemple parmi d’autres : le 19 décembre 1788, Louis-Joseph Le Vasseur de la Thieuloy, ancien président du Conseil d’Artois, achète pour son fils, Ernest-Joseph, alors substitut du procureur général au Conseil d’Artois, un office de conseiller au Parlement de Flandre pour la somme de 60 000 livres tournois. Il verse à Henri-Joseph de Francqueville, président à mortier, 36 000 livres en espèces, soit 60 % du prix de l’office, et contracte une rente héritière pour les 24 000 livres restantes (AD Nord Tabellion de Douai 348).
-
[37]
Voir les exemples cités par G. Béaur, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles… », art. cité, p. 1415.
-
[38]
Bien que pour les donations en faveur d’enfants entrant en religion, la rente viagère soit généralement préférée car les versements cessent au décès du bénéficiaire.
-
[39]
J. Jacquart, « L’endettement paysan et le crédit dans les campagnes de la France moderne », in Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne (M. Berthé éd.), Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1998, p. 288.
-
[40]
Soit des chiffres du même ordre que ceux obtenus pour le Pays de Herve par P. Servais, art. cité, p. 1405.
-
[41]
AD Nord Tabellion de Douai 1080.
-
[42]
Le volume de prêts accordés par les notaires de Douai ayant été de 400 000 livres tournois en 1780, ceci correspond à peu près à la proportion calculée par Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique… », art. cité, p. 70, pour la catégorie des « Autres grandes villes » entre le volume des prêts notariés réalisés et le stock estimé de ces prêts à cette date.
-
[43]
Les contrats contiennent généralement une clause indiquant qu’au cas où le débirentier voudrait profiter des édits royaux lui permettant de retenir sur son créancier l’impôt (dixième ou vingtième) dû sur les revenus des immeubles servant d’hypothèque à la rente, alors le taux de celle-ci serait augmenté et passerait, par exemple, de 4 à 5 %.
-
[44]
Ph. Godding, Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du xiie au xviiie siècle, Mémoires de l’Académie royale de Belgique, t. XIV, fascicule 1, 1987, p. 481.
-
[45]
Lorsqu’en juin 1766, un édit royal abaisse le taux légal de 5 % (denier 20) à 4 % (denier 25), les taux pratiqués à Douai diminuent mais le nombre de rentes émises au-dessus du nouveau plafond progresse fortement et représente 20 % du total des rentes, ceci jusqu’au rétablissement, en février 1770, du denier 20.
-
[46]
Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, Des marchés sans prix…, ouv. cité, p. 65.
-
[47]
Calculée à l’aide d’un coefficient de variation, la dispersion des taux d’intérêt s’accroît continuellement du début du xviie siècle jusqu’aux années 1720. Elle se stabilise ensuite.
-
[48]
A contrario, une baisse générale des taux d’intérêt permet aux emprunteurs les plus risqués de pouvoir accéder au marché du crédit.
-
[49]
Les écarts des taux d’intérêt selon les catégories sociales conjugués avec l’augmentation constatée précédemment de la part des bourgeois et la diminution de celle des ruraux dans la population des emprunteurs conduit mécaniquement à une baisse du taux d’intérêt moyen.
-
[50]
C’est ainsi que les emprunts de la famille Calonne auprès de différentes fondations de l’Université de Douai (voir plus haut) ont été conclus au taux privilégié de 3,5 %.
-
[51]
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’évolution de la fiscalité au cours du xviiie siècle a affecté le marché du crédit douaisien. C’est ainsi que l’établissement du « dixième » en 1710 semble n’avoir pas modifié le taux moyen des rentes mais il faudrait en même temps pouvoir apprécier l’effet sur le marché de la dégradation de la situation des habitants de Douai causée par le siège de la ville et par la surmortalité liée aux mauvaises récoltes et aux épidémies qui ont alors touché Douai et sa région.
-
[52]
G. Postel-Vinay, La terre et l’argent…, ouv. cité, p. 381. Sur l’activité de crédit dans la région de Maubeuge pendant la période révolutionnaire, voir G. Béaur et Ph. Minart (éds), Atlas de la Révolution française, 10, Économie, Paris, éd. de l’EHESS, 1996, p. 58-59.
-
[53]
P. Servais, La rente constituée dans le Ban de Herve au xviiie siècle, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, Collection Histoire, n° 62, 1982.
-
[54]
E. Le Roy Ladurie, Paysans du Languedoc, Paris, SEVPEN, 1966. Mais il s’agit d’un taux non pondéré par les montants des prêts.
1Divers aspects de la vie économique sous l’Ancien Régime demeurent encore mal connus. C’est le cas de tout ce qui touche aux questions monétaires et, plus particulièrement, au crédit. Quand il n’est pas tout simplement ignoré par les historiens, celui-ci est souvent perçu de façon négative, comme l’un des facteurs de l’endettement et, par voie de conséquence, de l’expropriation de la paysannerie [1]. Or, des travaux de plus en plus nombreux [2] ont montré que le crédit joue, depuis une époque fort reculée, un rôle positif voire essentiel dans l’économie pré-industrielle. Sous des formes diverses, institutionnelles ou informelles, publiques ou privées, le crédit irrigue en permanence, à l’aide d’instruments multiples, les circuits économiques locaux qu’ils soient agricoles ou artisanaux, ruraux ou urbains.
2Si l’Église interdisait le prêt à intérêt, elle acceptait cependant une forme particulière de crédit, la rente constituée (ou héritière), qui avait en fait toutes les caractéristiques d’un prêt à intérêt. Généralement passé devant un notaire qui en assurait ainsi l’authenticité, ce type de contrat est devenu, au cours des xviie et xviiie siècles, l’instrument de crédit privilégié dans la France du Nord. Les dépôts d’archives publiques contiennent un grand nombre de ces actes dont l’analyse se révèle particulièrement précieuse pour la compréhension des rapports liant « ceux qui, à un moment de leur cycle de vie, épargnaient et plaçaient ou, au contraire, empruntaient pour une certaine durée au moyen d’engagements contractuels » [3].
3Quelques recherches ont permis d’avancer dans cette voie mais beaucoup reste à faire tant est grande la diversité des marchés locaux. Cet article a pour but d’ajouter une pierre à l’édifice à partir de l’exemple de Douai au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime. Ville importante des Pays-Bas méridionaux puis de la France du Nord, Douai est alors le siège de deux institutions prestigieuses, l’Université et le Parlement de Flandre, qui vont lui assurer prospérité et rayonnement jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Les nombreuses rentes passées devant les notaires de la ville et de sa région constituent des matériaux privilégiés pour analyser les divers aspects du marché du crédit [4]. Elles vont notamment permettre de préciser les caractéristiques des différents intervenants, les montants échangés et de vérifier dans quelle mesure la baisse générale des taux d’intérêt au cours du xviiie siècle a affecté le marché douaisien.
Marché du crédit et rente constituée
4Il n’y a pas d’activité économique sans crédit. En effet, faute de rentrées suffisantes et immédiates, le marchand, le commerçant, l’artisan ne peuvent régler tous leurs achats au comptant. Ils doivent, au moins temporairement, emprunter les capitaux dont ils ont besoin pour leurs affaires. Il en est de même du particulier qui souhaite acheter une terre ou une maison ou, ce qui est fréquent sous l’Ancien Régime, une charge ou un office public, sans disposer de la totalité de la somme nécessaire.
5Sous l’Ancien Régime, l’Église maintient avec rigueur la condamnation du prêt à intérêt défendue par Aristote et saint Thomas. Ce qu’elle rejette, c’est la possibilité de recevoir une rémunération du simple prêt d’un capital car, disait-on, l’argent est stérile. Au cours des siècles, les théologiens et canonistes ont constamment cherché à lutter contre les différents procédés permettant de contourner l’interdiction [5]. En fait, ce que l’Église condamne, c’est l’intention : il y a usure lorsqu’on prête en vue d’en tirer un gain, un bénéfice. Ce qui permet quelques exceptions à l’interdiction du prêt à intérêt comme réclamer un dédommagement à l’emprunteur pour un dommage causé au créancier, le damnum emergens ou même pour un manque à gagner pour le prêteur, le lucrum cessans [6].
6Malgré la rigueur des sanctions prévues (excommunication et privation de sépulture), l’Église ne parvint pas à extirper totalement le mal. D’autant qu’en beaucoup de lieux, principalement dans les pays de droit écrit où le droit romain était resté puissant, les pratiques usuraires étaient tolérées voire favorisées par les autorités locales. Cependant, même si l’influence exercée par les pays passés au protestantisme a pu parfois quelque peu infléchir les positions doctrinales et conduire à une certaine tolérance, en France, jusqu’à la Révolution, le prêt à intérêt demeurera officiellement interdit [7].
7La prohibition de l’intérêt signifiait-elle que toute forme de prêt était dans la réalité impossible ? Non, si elle n’incorporait pas d’intérêt. C’est ainsi qu’était largement utilisé le crédit à la consommation, la fameuse ardoise du boulanger ou du cabaretier, ou l’obligation, contrat par lequel une personne s’engageait à rembourser une certaine somme dans un délai fixé. Mais l’acte ne devait pas mentionner d’intérêt sous peine de condamnation.
8Il existait cependant un instrument de crédit qui permettait de tirer profit d’un capital sans attirer les foudres des canonistes, la rente constituée. Appelée aussi rente héritière, elle peut être définie comme le droit de percevoir chaque année un certain revenu contre le versement préalable d’une somme d’argent. Mais, pour ne pas être frappée par les interdictions de l’Église, elle doit respecter strictement certaines conditions fixées par les bulles Regimini de 1425 et 1455 :
- être assignée sur un immeuble spécifique, maison, terre, fief, etc. [8]
- ne pas dépasser un taux maximum, 6,25 % au début du xviie siècle, abaissé à 5 % par la suite (voir plus loin) ;
- être rachetable au gré du débiteur, le prêteur ne pouvant exiger le remboursement de son capital [9].
9La particularité de ce contrat de prêt est qu’il ne mentionne pas de délai de remboursement. Celui-ci est laissé à la discrétion de l’emprunteur et le créancier ne peut exiger rien d’autre que les versements annuels prévus dans l’acte. De ce fait, la durée d’une rente est a priori illimitée, le débiteur pouvant même ne jamais rembourser le capital emprunté. En réalité, il n’est pas rare de trouver des rentes qui ont plusieurs dizaines d’années voire plusieurs siècles d’existence [10].
10La rente est généralement assise sur les biens, terres, maisons et héritages de l’emprunteur, qui sont « affectés et hypothéqués à l’assurance des capitaux deniers et cours à escheoir ». Lorsque ces biens font l’objet de mutations, ventes, partages, successions, le nouveau propriétaire prend à sa charge la rente qui y est attachée et en assure le service. La rente fait alors l’objet d’une reconnaissance, souvent passée devant un notaire.
11La rente peut aussi circuler. Elle peut faire l’objet de donations, cessions ou transports et ainsi servir d’instrument d’échange. En cas d’achat d’un bien immobilier, par exemple, il est fréquent que l’acquéreur cède en paiement une ou plusieurs rentes héritières. De même, le crédirentier qui souhaite récupérer ses fonds peut vendre à un tiers son titre de rente. Ainsi se constitue une sorte de « marché secondaire » où sont échangés des titres d’origines et de valeurs très diverses, conférant ainsi « à l’ensemble du système de la rente la touche de souplesse qui était nécessaire pour le parachever et lui donner toute son efficacité » [11].
12Le stade ultime de la vie d’une rente, c’est son rachat ou remboursement. Le contrat prévoit cette éventualité en précisant que les versements annuels auront lieu « à toujours sauf le rachat qu’il s’en pourra faire en remboursant », en une ou plusieurs fois, la somme prêtée. Le débiteur rend alors au créancier le montant emprunté selon les conditions fixées dans le contrat. L’hypothèque est levée et la dette éteinte. Si plusieurs versements ont lieu, le rachat n’est que partiel tant qu’il reste une partie du capital à rembourser. Les avantages de la rente constituée, sa souplesse et surtout son caractère légal en ont fait le principal instrument de crédit sous l’Ancien Régime, du moins dans la France du Nord. Généralement passée devant un notaire, elle a de ce fait laissé de nombreuses traces écrites qui figurent de nos jours en bonne place dans les dépôts d’archives publiques et qui constituent un matériau privilégié pour étudier les marchés du crédit locaux.
Douai: une ville culturelle et administrative
13Avec une population d’environ 15 000 habitants au début du xviie siècle [12], Douai fait partie des principales villes des Pays-Bas. Ancienne grande cité drapière au Moyen Âge, Douai connaît un déclin irréversible de son activité textile à partir du xve siècle, malgré les diverses tentatives du Magistrat pour redonner à la ville sa splendeur passée. Au xviiie siècle, il ne reste plus qu’une manufacture de camelots, créée en 1702 pour prévenir la mendicité et quelques rares métiers [13]. Ce qui va assurer la prospérité de la ville jusqu’au début du xviie siècle, c’est le commerce des grains pour lequel Douai occupe une place majeure grâce au privilège de « l’étape ». Celui-ci obligeait les marchands à exposer sur le marché de la ville tous les grains passant par Douai et tous les producteurs situés dans un rayon de cinq lieues devaient obligatoirement y apporter leurs récoltes [14]. Mais la canalisation de la Scarpe jusqu’à Arras sous le règne des Archiducs et surtout les guerres qui, à partir de 1640, vont couper Douai de ses sources d’approvisionnement et de ses débouchés provoquent le déclin du commerce des grains même si la ville conservera son privilège jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
14Si on trouve à Douai de nombreuses activités artisanales, les entreprises industrielles y sont rares. On peut citer la fonderie de canons créée en 1669 par Louis XIV et qui emploie 150 ouvriers, la manufacture de « grés anglais », fondée en 1782 et occupant 120 ouvriers, et la verrerie, créée en 1786 par la famille de Bacquehem, devenue très vite la première de la région. Douai semble n’avoir que peu profité des bénéfices procurés par l’exploitation du charbon qui, à partir de 1734, commence à bouleverser une partie de sa région, même si quelques Douaisiens font partie des actionnaires des deux compagnies d’Anzin et d’Aniche.
15Mais aux xviie et xviiie siècles, Douai est d’abord et avant tout une ville « tertiaire », culturelle, judiciaire et administrative [15]. L’Université installée à Douai par le roi d’Espagne Philippe II en 1562 et les divers collèges et séminaires ouverts à la fin du xvie siècle confèrent à la ville un grand rayonnement intellectuel et attirent de nombreux étudiants en provenance de l’ensemble des Pays-Bas. Au cours des siècles, de nombreuses communautés religieuses se sont installées à Douai, 22 couvents d’hommes et de femmes rien que pour le xviie siècle [16]. Mais ce qui va donner tout son prestige à la ville de Douai, c’est l’installation, en octobre 1714, du Parlement de Flandre, confortant ainsi le rôle judiciaire traditionnel de la ville, siège d’une Gouvernance dont le ressort a été étendu, au cours du xviiie siècle, jusqu’à la ville de Saint-Amand.
16La vocation tertiaire de Douai a permis, surtout au xviiie siècle, le développement de nombreuses activités induites, artisanales et commerciales, qui ont redonné un nouveau souffle à la ville. Elle a aussi attiré, en provenance des provinces voisines, une population disposant souvent d’importants moyens financiers qui vont, dans une large mesure, s’investir sur le marché douaisien.
Les notaires et le marché du crédit douaisien
17Le marché du crédit peut présenter une grande diversité de formes selon le type de relations existantes entre les prêteurs et les emprunteurs. Celles-ci seront qualifiées d’informelles lorsqu’elles reposent sur des engagements personnels et privilégiés, au sein des familles ou de divers réseaux d’alliance notamment. Mais ces transactions de personnes à personnes donnaient généralement lieu à de simples écrits privés qui n’ont malheureusement laissé que peu de traces. Tout au plus apparaissent-ils parfois dans les inventaires après décès ou les actes de partage entre héritiers passés devant les notaires.
18Les relations entre les contractants deviennent institutionnelles lorsque des intermédiaires spécialisés mettent en relation bailleurs de fonds et emprunteurs et confèrent une authenticité à l’acte de prêt. Ces intermédiaires peuvent être, par exemple, des échevinages de villes ou de seigneuries qui ont l’avantage d’être bien identifiés par les participants notamment les habitants des campagnes. Mais si les actes passés devant les échevins étaient encore nombreux jusqu’au xvie siècle, ils deviennent plus rares les siècles suivants. Et puis, sauf pour certaines communes, Douai en premier lieu, il n’en reste, à l’heure actuelle, que très peu de traces dans les dépôts d’archives publiques.
19Ce sont les notaires qui, aux xviie et xviiie siècles, jouent le rôle principal sur le marché du crédit douaisien, du fait de leur statut officiel et de l’information privilégiée dont ils disposent sur leurs clients. Véritables courtiers de l’épargne locale, ils sont chargés de mettre en rapport « de façon bilatérale ceux de leurs clients qui détiennent des fonds avec des emprunteurs dûment sélectionnés par eux » [17]. Si la fonction d’intermédiation des notaires apparaît incomplète, ils ne peuvent répartir les risques des prêts accordés sur l’ensemble des fonds collectés comme le ferait une banque, ce défaut est contrebalancé par divers avantages, en particulier une forte présence sur le terrain grâce à un maillage territorial serré et continu qui leur permet de mobiliser le maximum d’informations.
20Successeurs des auditeurs impériaux puis royaux institués au début du xvie siècle, les notaires de la ville de Douai sont au nombre de six depuis l’édit du mois de février 1692 créant 200 offices de notaires royaux dans l’étendue du ressort du Parlement de Tournai. Mais quatre offices seulement sont mis en vente le 17 décembre 1695, les deux autres ne le sont qu’en 1740. Un septième est vendu en 1742. Des offices de notaires sont aussi créés, à la fin du xviie siècle, dans le ressort de la Gouvernance de Douai, deux à Orchies (un troisième est vendu en 1741), un à Raimbeaucourt, pourvu seulement en 1716, et un à Marchiennes, pourvu en 1741 [18]. C’est donc un total de douze études notariales qui, au milieu du xviiie siècle, couvrent le territoire de la Gouvernance de Douai.
21Les minutes des rentes créées devant les notaires de la Gouvernance sont actuellement conservées aux Archives départementales du Nord dans le fonds appelé « Tabellion de Douai » [19]. De 1600 à la fin du xviiie siècle, ce dépôt comprend environ 13 000 créations de rentes héritières [20]. Toutes les informations figurant dans ces documents, patronymes, qualités des contractants, montants empruntés, annuités, biens hypothéqués, etc., ont été relevées et intégrées dans une base de données informatisée (sous Access), permettant ainsi de procéder à une analyse précise et complète du marché du crédit privé à Douai et sa région au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime.
La diversité des monnaies de compte
22Les rentes, comme tous les contrats, sont exprimées en monnaies de compte [21]. À Douai et dans sa région, on utilise plusieurs monnaies de compte. Traditionnellement, c’est la livre parisis monnaie de Flandre qui est utilisée. Puis, au début du xvie siècle apparaît le florin monnaie de Flandre qui s’impose peu à peu sans que pourtant soit abandonnée la livre parisis [22].
23Un rapport fixe existe entre les deux monnaies de compte : un florin est égal à deux livres parisis. Ce rapport est attesté dans de nombreux contrats où est indiquée explicitement la correspondance entre les deux monnaies. Par exemple, le 23 février 1610, Philippe de Berghes, seigneur de Nomain, emprunte, sous forme de rente, auprès de Nicolas de Bellain, bourgeois de Douai, la somme de 300 florins moyennant une annuité de « trente sept livres dix gros parisis faisant dix huit florins quinze patars » [23]. Ce rapport de un à deux se maintiendra jusqu’à la fin du xviiie siècle.
24Avec la conquête de la Flandre par Louis XIV, une nouvelle monnaie de compte apparaît dans notre région, la livre tournois de France. La correspondance avec le florin est souvent précisée dans les actes eux-mêmes. C’est ainsi que, par exemple, le 8 janvier 1706, Paul-François Lenoir emprunte, en vue d’acquérir un office de notaire de Flandre à Douai, la somme de 2 000 livres monnaie de France, « faisant mille six cents florins monnaie de Flandre à raison que celle de Flandre est à présent sur le pied d’un cinquième plus bas que celle de France » [24]. Le rapport est le suivant : un florin de Flandre = 1,25 livre de France, le florin étant donc supérieur d’un quart à la livre de France.
25La proximité de provinces telles que l’Artois, le Cambrésis ou le Hainaut faisait que parfois étaient utilisées à Douai des monnaies de compte plus locales. Les contrats permettent là encore de connaître les rapports entre les diverses unités de compte : la livre d’Artois était strictement égale à la livre tournois de France et la livre de Hainaut était équivalente à la livre parisis, monnaie de Flandre (il fallait deux livres de Hainaut pour faire un florin).
26Au total donc, aux xviie et xviiie siècles, on trouvait à Douai cinq monnaies de compte [25]. Les livres d’Artois et de Hainaut ne jouaient cependant qu’un rôle marginal. Le graphique 1 représente l’évolution de la répartition des trois autres monnaies de compte utilisées dans les contrats de rentes passées à Douai de 1601 à 1790. On constate que, tout au long de cette période, le florin occupe la place principale. Du début du xviie siècle jusque vers 1670, la quasi totalité des actes est exprimée en florins, la livre parisis de Flandre représentant moins de 10 % du nombre de rentes. À partir de 1670, le florin cède un peu de terrain devant la livre parisis mais, en 1750, il constitue la référence de près de 80 % des rentes [26]. À partir du milieu du xviiie siècle, l’emploi de la livre parisis de Flandre diminue progressivement pour disparaître totalement à la veille de la Révolution.
27La livre tournois de France joue un rôle réduit jusqu’au milieu du xviiie siècle. Le rattachement à la France n’a donc eu que peu d’influence sur le système monétaire local. Ce n’est qu’à partir des années 1750 que la monnaie française occupe une place croissante et significative, bien que toujours secondaire, dans les transactions. À la veille de la Révolution, les contrats exprimés en livres tournois ne dépassent pas 40 % du total des actes contre 60 % pour ceux exprimés en florins. Ceci montre un fort attachement de la population locale à sa monnaie traditionnelle.
28Cependant, si l’on considère non plus le nombre d’actes mais les sommes prêtées, à la fin du xviiie siècle, la livre de France domine avec près de 70 % du total contre seulement 30 % pour le florin. Les contrats en livres tournois, bien que moins nombreux, portent sur des montants beaucoup plus importants que ceux en florins : en moyenne, 5 247 livres (soit 4 197 florins) contre 1 410 florins. Les très gros emprunteurs, en particulier les officiers du Parlement ou la haute noblesse, préfèrent la monnaie française. Les commerçants, les artisans et les paysans, même aisés, restent fidèles au florin [27].
Un marché de première importance
29Le tableau 1 montre que le nombre de créations de rentes héritières devant les notaires douaisiens a subi d’importantes fluctuations au cours du temps [28]. Après avoir augmenté jusqu’aux années 1620, il diminue ensuite progressivement pour atteindre son minimum dans les années 1640-1679. Cette raréfaction des rentes peut certainement être attribuée à la paralysie de l’activité économique provoquée par le conflit franco-espagnol qui a gravement touché la région de Douai. Lorsque la situation politique se stabilise, le nombre de rentes progresse de nouveau pour atteindre une centaine d’actes par an en moyenne (deux cents certaines années) au début du xviiie siècle.
Graphique 1
Graphique 1
La répartition des rentes héritières (nombre d’actes) passées devant les notaires de Douai par monnaies de compte (1601-1790)Les créations de rentes héritières à Douai de 1600 à 1790
Les créations de rentes héritières à Douai de 1600 à 1790
30La banqueroute de Law, marquée par une forte chute des taux d’intérêt (voir plus loin), provoque un brutal effondrement du nombre de rentes nouvelles et il faudra attendre les années 1730 pour que les créations retrouvent leur rythme du début du siècle. Les décennies suivantes sont caractérisées par une progression soutenue et continue des créations de rentes [29] et, contrairement à ce qui a pu être observé ailleurs [30], l’usage de la rente ne paraît pas alors reculer devant d’autres instruments de crédit concurrents comme l’obligation, qui a l’avantage du choix de la durée, ou la rente viagère qui, du fait de l’extrême variabilité du risque encouru par l’emprunteur, dispose d’un plus large degré de liberté en matière de taux. En fait, le nombre d’obligations passées devant les notaires de Douai, particulièrement élevé au début du xviie siècle, diminue ensuite régulièrement et, de son côté, la rente viagère reste réservée à quelques opérations très particulières comme la constitution de dots en faveur d’enfants entrant en religion. Jusqu’à la fin du xviiie siècle, la rente héritière reste l’instrument de crédit privilégié par les participants au marché des capitaux douaisien.
31C’est la légalisation du taux d’intérêt par le décret des 3-12 octobre 1789 qui va provoquer le déclin de la rente héritière : le nombre de créations régresse de 106 en 1789 à 36 en 1794 et seulement 1 en 1799 pour disparaître ensuite. Les contraintes de la rente ne se justifient plus face à l’obligation qui, en plus de sa souplesse en matière de durée du prêt, peut maintenant mentionner le taux d’intérêt de l’opération. La disparition de la rente constituée au début du xixe siècle fournit aussi la preuve que « l’économie morale du crédit s’est considérablement durcie après la fin de l’Ancien Régime » [31].
32Si l’on considère maintenant le montant moyen des rentes, trois périodes peuvent être distinguées (tableau 1). Au cours de la première, qui va du début du xviie siècle à la fin des années 1650, le prêt moyen double et passe de 407 livres à 819 livres tournois. Il diminue ensuite et revient, au début du xviiie siècle, à un montant de 544 livres. La progression est ensuite continue et, à la fin de l’Ancien Régime, le prêt moyen à Douai s’élève à 3 226 livres. C’est certes beaucoup moins qu’à Paris (14 619 livres en 1780) mais près de deux fois plus que les « Autres grandes villes » françaises (1 674 livres) [32]. Le marché douaisien apparaît donc de première importance à la veille de la Révolution.
La répartition par tailles des rentes héritières
La répartition par tailles des rentes héritières
33Le montant moyen des rentes n’est cependant pas suffisant pour caractériser complètement l’état du marché à un moment donné. Il faut aussi tenir compte de la dispersion des sommes engagées autour de cette moyenne. Le tableau 2 indique pour trois périodes distinctes, 1600-1640, 1685-1715 et 1760-1790, la distribution des prêts classés par tailles. Pour les années 1600-1640, la répartition apparaît fortement concentrée autour de la moyenne : peu de petits prêts (moins de 100 florins) et de prêts importants (supérieurs à 2 000 florins), 70 % des rentes se situant dans la fourchette 101-500 florins. Lors de la période suivante, 1685-1715, la distribution a légèrement évolué : toujours aussi peu de prêts dépassant 2 000 florins mais une plus grande proportion (24 %) de rentes de faibles montants (moins de 100 florins), 77,1 % des prêts étant égaux ou inférieurs à 500 florins. En revanche, pour les années 1760-1790, la répartition des rentes a profondément changé : quasiment plus de petits prêts, une majorité de prêts entre 500 et 2 000 florins et une forte proportion de prêts supérieurs à 2 000 florins.
34Le calcul du coefficient de variation (rapport de l’écart-type à la moyenne) des prêts permet de comparer la dispersion des prêts au cours des trois périodes (tableau 2). Il augmente entre les deux premières périodes puis diminue très sensiblement pendant les années 1760-1790 et se situe à un niveau inférieur à celui des années 1600-1640. L’éventail des montants prêtés qui s’était beaucoup élargi au cours du xviie siècle s’est ensuite fortement réduit. Contrairement à l’apparence, à la fin du xviiie siècle, les montants engagés sur le marché du crédit douaisien se révèlent beaucoup plus resserrés autour de la moyenne qu’au cours du siècle précédent.
35Les évolutions constatées, forte progression des montants moyens des rentes, raréfaction des petits prêts et concentration autour de la moyenne, s’expliquent par les profonds changements observés dans la population des participants au marché douaisien.
Les emprunteurs : plus de citadins, moins de ruraux
36Pour analyser la population des emprunteurs sur le marché douaisien, nous l’avons divisée en quatre catégories distinctes :
- les habitants de Douai, quelles que soient leurs situations sociales ou personnelles autres que ceux appartenant au clergé ou à la noblesse. Nous les appellerons par commodité « bourgeois », même si tous n’ont pas le statut de bourgeois de la ville. Cette catégorie comprend aussi les officiers du Parlement de Flandre mais, compte tenu de leur puissance financière, ils seront, dans les tableaux qui suivent, distingués des autres Douaisiens ;
- les membres du clergé, y compris les établissements charitables (hôpitaux, pauvretés) et les nombreuses fondations et collèges rattachés à l’Université ;
- les nobles, autres que ceux appartenant à l’une des catégories précédentes. Il s’agit généralement de membres de l’aristocratie terrienne ou de nobles occupant des fonctions militaires ;
- les ruraux, c’est-à-dire les habitants des campagnes, villages ou petites villes, quelles que soient leurs professions, paysans, artisans, marchands, etc. Bien que les habitants de certaines villes de la région aient parfois un statut de « bourgeois » (Orchies, Marchiennes), ils ont été inclus dans ce groupe.
37Le tableau 3 montre qu’au cours des années 1630-1640, les ruraux dominent largement le marché avec près des 2/3 du total des créations de rentes et 44,8 % des sommes empruntées, même si le montant moyen des rentes reste limité, 434 livres tournois. Un siècle plus tard, dans les années 1740-1750, la part des habitants des campagnes a subi un profond recul : 43,3 % du nombre d’actes et seulement 22,1 % des sommes empruntées. Est-ce le signe d’un abandon progressif de leur part de la rente héritière comme mode d’emprunt ou celui d’un retrait général du marché ? Il est difficile de le savoir faute d’informations précises sur les autres instruments de crédit utilisés dans le monde rural.
38Ce sont les habitants de la ville de Douai qui dorénavant se taillent la part du lion. Alors qu’ils ne représentaient que 24,4 % des actes et 35 % des sommes empruntées en 1630-1640, leur position devient prépondérante au cours de la période 1740-1750, avec 51,1 % des actes et 60,1 % des montants empruntés. Mais dans cette catégorie figurent les officiers du Parlement qui jouent un rôle très actif sur le marché douaisien et représentent 6,4 % des sommes empruntées. De nombreuses corporations de la ville de Douai (ferronniers, merciers, cabaretiers, tailleurs d’habits, cordonniers, charpentiers, perruquiers, etc.) font aussi partie des principaux emprunteurs de capitaux.
La répartition des différentes catégories d’emprunteurs
La répartition des différentes catégories d’emprunteurs
39La place des membres du clergé, y compris les établissements charitables et ecclésiastiques, reste limitée et relativement stable au cours du temps. Mais les sommes empruntées sont élevées, 4 762 livres tournois en moyenne par rente [33]. La noblesse ne joue plus, au milieu du xviiie siècle, qu’un rôle modeste sur le marché du crédit douaisien [34], même si le montant emprunté, 4 940 livres en moyenne, demeure important.
40À chaque période de gros emprunteurs dominent le marché. Au xviie siècle, on trouve en premier lieu les représentants de la grande noblesse locale : les seigneurs de Landas qui empruntent un total de 37 500 livres tournois, la famille de Montmorency ou différents membres de la famille de Berghes qui s’endettent respectivement pour 32 500 et 23 125 livres tournois. Quelques riches marchands de la ville de Douai figurent aussi dans la liste des principaux emprunteurs : les familles Becquet (22 500 livres) et Le Vaillant (17 500 livres) notamment. On y trouve aussi différents établissements ecclésiastiques : l’abbaye des Prés (17 500 livres), le couvent des Annonciades (7 500 livres) et celui des Minimes (7 250 livres).
41Au siècle suivant, les sommes empruntées deviennent parfois considérables. Le record est détenu par la famille Calonne qui crée, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, un total de 110 rentes héritières pour un montant de 430 000 livres tournois. Louis-Joseph-Dominique de Calonne, conseiller puis président à mortier du Parlement de Flandre, contracte à lui seul, au cours des années 1765-1770, une soixantaine de rentes pour un total de près de 200 000 livres fournies par différentes fondations de l’Université de Douai. Le 4 octobre 1786, son fils, Charles-Alexandre de Calonne, alors contrôleur général des finances, emprunte, dans la même journée, auprès des mêmes fondations, un total de 100 000 livres de France réparties en 14 rentes.
42Parmi les autres gros emprunteurs de cette période figurent différents membres de la famille de Bacquehem qui créent un total de 77 rentes pour un montant de 410 000 livres tournois. Viennent ensuite Charles-François-Joseph de Casteele, conseiller au Parlement puis président à mortier, qui emprunte 266 000 livres [35], puis la famille de Berghes (260 000 livres), Nicolas-François-Guislain Ruyant de Bernicourt (190 000 livres), le comte Philippe-Louis de Sainte-Aldegonde (157000 livres), Jean-François Bérenger, commissaire général des fontes de l’artillerie de France (150 000 livres).
43Dans la deuxième moitié du xviiie siècle, des entreprises font leur apparition sur le marché douaisien : la compagnie des mines d’Aniche qui emprunte, de 1780 à 1793, un total de 137 500 livres tournois, la manufacture de « grés anglais » qui s’endette, de 1783 à 1791, pour un total de 100 000 livres. Même si les documents ne permettent pas de le confirmer, on peut penser que les rentes créées par la famille de Bacquehem à partir de 1786 ont pour but d’assurer le financement de leur verrerie établie à Douai à cette date.
44Les motifs de l’opération ne sont que rarement indiqués dans l’acte. L’emprunteur contracte une rente « pour subvenir à ses affaires » ou « pour satisfaire à ses besoins et urgentes nécessités ». Quelquefois cependant, l’acte mentionne clairement l’affectation des sommes empruntées, notamment lorsqu’il s’agit d’un investissement immobilier important comme par exemple l’achat d’une maison, d’une terre ou d’un fief, ou lors de l’acquisition d’une charge ou d’un office (notaire, greffier, conseiller ou procureur au Parlement, etc.). Ce qui apparaît nettement, c’est que, malgré les sommes en jeu, la rente ne couvre en général qu’une fraction relativement limitée du coût de la transaction [36]. À Douai, contrairement à ce que l’on peut observer ailleurs [37], la pratique du paiement comptant semble très répandue au cours des xviie et xviiie siècles.
45Les autres motifs de créations de rentes, lorsqu’ils sont exprimés, apparaissent généralement liés à diverses circonstances de la vie familiale : constitution de dots, notamment lors d’un mariage ou pour l’entrée en religion d’un enfant [38], donations en faveur d’enfants mineurs, legs et fondations faites par des testateurs au profit d’établissements ecclésiastiques. De nombreuses créations ont aussi pour but de consolider une dette existante, « en la faisant passer du court terme au long terme, de l’incertaine clause de remboursement ‘à la requête et volonté’du créancier à l’hypothèque programmée » [39]. Les rentes nouvelles entrent aussi dans les stratégies mises en œuvre par les débiteurs pour profiter d’une baisse des taux d’intérêt et ainsi réduire la charge supportée (voir plus loin).
Les limites géographiques du marché douaisien
46Si les changements constatés précédemment dans la structure de la population des emprunteurs, notamment l’augmentation de la part des bourgeois de Douai, ont certainement affecté leur répartition géographique, cela ne présume rien quant à l’évolution de l’espace couvert par le marché douaisien. Les contrats de rente étant des actes authentiques, les limites géographiques du marché doivent en principe coïncider avec le ressort des notaires devant lesquels les actes sont signés. Mais rien n’empêchait cependant un emprunteur extérieur de faire appel à un notaire local, par exemple en se faisant représenter sur place par un mandataire. Ce qui pose la question du degré d’ouverture du marché douaisien et, par voie de conséquence, celle de la mobilité des capitaux dans l’espace régional ou national.
47Les cartes 1 et 2 indiquent les localisations géographiques des emprunteurs sur le marché douaisien pour deux périodes, 1620-1640 et 1740-1750. Pour la première période, on ne dénote pas une forte concentration géographique des emprunteurs (carte 1). Certes, la ville de Douai regroupe la population d’emprunteurs la plus nombreuse (19,2 %) mais les communes voisines fournissent un contingent non négligeable de demandeurs de fonds : Flines-lez-Râches (7,7 %), Coutiches (5,5 %), Râches (4,4 %), Nomain (4,2 %), Landas (3,9 %), etc. Le périmètre du marché douaisien s’étire alors le long d’un axe allant de la châtellenie de Lécluse, au sud-ouest, à la commune d’Aix, près de la frontière actuelle, au nord-est. Il s’inscrit assez bien dans les frontières de la Flandre wallonne et, plus précisément, de la Gouvernance de Douai et Orchies, bordée à l’ouest par l’Artois, au sud par le Cambrésis et à l’est par le Hainaut. La Pévèle fixe la limite septentrionale.
48Les choses changent radicalement au siècle suivant. La domination de la ville de Douai devient alors écrasante (carte 2). Près de 71 % des emprunteurs y résident et les communes qui suivent dans le classement, Raimbeaucourt et Flines, ne regroupent que 2,2 % et 1,7 % seulement des demandeurs de capitaux. Le reste se répartit entre un petit nombre de villages situés dans un espace plus restreint et plus concentré autour de Douai qu’au siècle précédent. Lécluse, et non plus les autres villages de sa châtellenie, constitue la limite au sud-ouest et, à l’est, les villages de Nomain, Landas, Aix, Auchy ne figurent plus dans l’aire du marché douaisien. Il en est de même pour certaines paroisses de la Pévèle comme Cappelle ou Templeuve.
49Cette polarisation du marché douaisien peut être la conséquence de l’ouverture d’études notariales, à partir de la fin du xviie siècle, dans d’autres villes de la Gouvernance, Orchies, Raimbeaucourt et Marchiennes. Mais cette raison n’explique pas tout. En effet, si l’on prend en compte les rentes signées devant l’ensemble des notaires de la Gouvernance, la part de Douai diminue certes mais elle reste encore majoritaire avec 53,1 % du total. De plus, de nombreux emprunteurs auprès des notaires de Douai résident dans les villes disposant de nouveaux offices, par exemple Raimbeaucourt mais aussi Marchiennes. Enfin, cela ne peut concerner les emprunteurs habitant les communes situées au sud-ouest de Douai (Cantin, Estrées, Lécluse) qui ne disposent d’aucune étude notariale. La question qui se pose alors est celle de savoir ce que sont devenus les emprunteurs ayant abandonné le marché douaisien, notamment les habitants des villages les plus éloignés de Douai. Se sont-ils retirés du marché de la rente, du moins sous sa forme institutionnelle, ou ont-ils choisi de faire appel à des notaires installés dans d’autres bailliages ? L’étude des rentes passées devant les notaires des villes voisines permettrait peut-être de répondre à cette question.
Carte 1
Carte 1
La répartition géographique des emprunteurs sur le marché de Douai de 1620 à 1640Carte 2
Carte 2
La répartition géographique des emprunteurs sur le marché de Douai de 1740 à 1750Des prêteurs essentiellement urbains
50Si les prêteurs appartiennent à toutes les catégories sociales, l’offre de capitaux est d’abord le fait des bourgeois de Douai qui représentent 71,1 % des actes et 67,4 % des sommes prêtées au cours de la période 1630-1640 (tableau 4). Leur nombre a quelque peu diminué pendant les années 1740-1750 mais leur part dans les montants prêtés a augmenté pour atteindre 71,1 %. Le marché du crédit apparaît donc largement dominé par les habitants de Douai qui participent à plus de 70 % des prêts et à près de 60 % des emprunts. Le caractère local du marché du crédit douaisien s’est donc nettement accentué au cours du temps.
51Mais la composition de la population des prêteurs douaisiens a profondément changé. Au début du xviie siècle, les principaux bailleurs de fonds font partie des grandes familles marchandes de la ville, les Le Sellier, Becquet, Heriguer, Taisne, Le Vaillant, Cardon, Lemaire, Hattu, etc. Au siècle suivant, les marchands, quoique toujours présents, ne jouent plus qu’un rôle modeste sur le marché du crédit douaisien. Les gros prêteurs appartiennent alors à la catégorie des rentiers ou occupent des fonctions (conseillers, procureurs, avocats…) auprès du Parlement de Flandre ou de la Gouvernance de la ville.
La répartition des différentes catégories de prêteurs
La répartition des différentes catégories de prêteurs
52La noblesse, avec 8,8 % des sommes prêtées en 1740-1750 contre 4,9 % en 1630-1640, participe plus activement au marché du crédit au xviiie siècle qu’au siècle précédent. Parmi les principaux bailleurs de fonds, on trouve notamment des représentants de grandes familles seigneuriales de la région de Douai (d’Aoust, Taffin, de La Pierre, etc.).
53La place des ruraux, qui était relativement réduite au début du xviie siècle, progresse nettement pour atteindre 19 % du total des actes et 11,9 % des sommes prêtées au cours des années 1740-1750. Il s’agit le plus souvent d’exploitants de grandes « censes », ecclésiastiques ou laïques, et disposant d’importantes liquidités qu’ils placent sous forme de rentes pour assurer leur avenir ou celui de leurs enfants, les rentes entrant fréquemment dans les dots des enfants lors de leurs mariages. Les sommes engagées peuvent parfois être très élevées comme, par exemple, pour Jacques-André Rousseau, censier et mayeur d’Erchin, et sa femme, Marie Jeanne Bernard, qui investissent sous forme de rentes plus de 72 000 livres tournois au cours des années 1742-1757.
54Mais la principale évolution constatée entre les deux périodes est le retrait massif du clergé du marché douaisien avec seulement 8,2 % des sommes prêtées dans les années 1740-1750 contre 20 % pour la période précédente. Les nombreux couvents installés à Douai (Annonciades, Carmes déchaussés, Dominicains, etc.) qui figuraient parmi les principaux pourvoyeurs de fonds au début du xviie siècle disparaissent à peu près totalement du marché au cours du siècle suivant. Ce sont alors plutôt les multiples fondations de l’Université ainsi que les divers collèges et séminaires de la ville (collèges de la Motte, du Roi, d’Anchin, séminaire du Roi) qui ont pris le relais.
55La conséquence de ces différentes évolutions est l’extrême concentration géographique des prêteurs sur la ville de Douai, 71 % du total pour les années 1620-1640, 84 % pour les années 1740-1750, les autres localisations correspondant à des rentes passées entre des contractants ruraux résidant souvent dans les mêmes villages.
56Une autre caractéristique du marché douaisien, c’est la diminution de la fréquence de participation au marché de l’ensemble des prêteurs. Au début du xviie siècle, 70 % des créanciers n’interviennent qu’une seule fois sur le marché, 26,3 % entre 2 et 10 fois et 3,7 % plus de 10 fois. Cela n’empêche pas certains bailleurs de fonds de jouer un rôle très actif comme, par exemple, Antoine Ducrocquet, censier de la cense de Dompret à Marchiennes, qui, entre 1601 et 1626, accorde 75 prêts pour des sommes allant de 40 à 300 florins. Le siècle suivant, le nombre d’interventions uniques augmente légèrement avec 71,5 % du total. Inversement, seulement 2,2 % des intervenants apparaissent plus de 10 fois sur le marché [40]. Si le marché des prêts s’est élargi au cours du xviiie siècle à un nombre plus important de participants, individuellement ceux-ci effectuent moins d’opérations.
57Le marché du crédit a toujours été ouvert aux femmes qui y occupent une place non négligeable et même croissante : elles représentent 28,4 % du nombre total de prêteurs dans les années 1630-1640 et 29,8 % au cours de la période 1740-1750. Ce sont presque exclusivement des filles célibataires, « libres de condition », ou des veuves qui participent parfois de façon très dynamique au marché comme, par exemple, Jacqueline Delecroix, veuve de Jean Cordouan, bourgeois orfèvre de Douai, qui, au cours du premier quart du xviie siècle, a accordé 68 prêts notariés pour un total de 16 000 florins.
Crédit à court ou long terme ?
58La durée de vie d’une rente héritière n’étant pas fixée à l’avance, elle peut être utilisée comme instrument de crédit à court terme, quelques mois ou quelques années, ou, au contraire, à moyen ou long terme. Pour savoir ce qu’il en est réellement, il faut connaître les dates de remboursement des rentes. À Douai, celles-ci ne sont pas connues pour les contrats passés au xviie siècle et au début du xviiie siècle. Les actes de reconnaissance permettent cependant de constater que les durées de vie de certaines rentes pouvaient être très longues (voir plus haut). La baisse des taux à la fin du xviie siècle et au début du xviiie a certainement incité les emprunteurs à rembourser leurs dettes. Ceci est confirmé par le fait que, dans la seconde moitié du xviiie siècle, les reconnaissances, qui sont d’ailleurs moins nombreuses, concernent généralement des rentes créées récemment, quelques années ou quelques décennies auparavant. On ne trouve plus alors de rentes séculaires.
59À partir de la première moitié du xviiie siècle, les notaires indiquent en marge de certains actes les dates de remboursement ainsi que les conditions dans lesquelles ces remboursements ont été effectués (noms et qualités des débiteurs et des bénéficiaires, modalités de versement, arrérages, etc.). Ces mentions permettent de calculer la durée de vie de chaque rente. Si l’on ne retient que les rentes créées avant 1750 et remboursées avant 1790, ce qui permet, compte tenu du fort taux de remboursement lié aux événements révolutionnaires, d’avoir des durées a priori plus longues, on constate que l’âge des rentes va de quelques mois à 43 ans. La durée de vie moyenne d’une rente est de 17 ans. La moitié des rentes remboursées a moins de 14 ans d’existence et un quart environ a moins de 5 ans. Inversement, 31 % ont entre 14 et 30 ans et 19 % plus de 30 ans. Toutes ces données indiquent clairement que la rente est d’abord et avant tout conçue comme un instrument de crédit à long terme et même parfois à très long terme. Ce qui n’empêche pas des opérations à court terme, une rente remboursée sur huit n’ayant pas plus de deux ans d’existence.
60Ce que les calculs montrent aussi, c’est que les petites rentes sont remboursées soit rapidement, dans les 5 ans, soit tardivement, après plus de 30 ans. En effet, les 26 % de rentes remboursées dans un délai de 5 ans ne représentent que 15,7 % des sommes empruntées. Il en est de même des rentes remboursées au-delà de 30 ans qui représentent 19,2 % du nombre des rentes et seulement 10,5 % des sommes empruntées. Le premier cas correspond à de petits emprunts nécessaires, par exemple, pour assurer une transition entre deux récoltes ou en attendant une rentrée prochaine de fonds. Dans le cas d’emprunts remboursés au-delà de 30 ans, on est en face de situations dans lesquelles les débiteurs semblent avoir de grosses difficultés à faire face à leurs engagements. C’est ainsi que la rente ayant eu la durée de vie la plus longue est celle créée, le 4 février 1737, par un couple de ménagers de Nomain, Jean Noël Carpentier et Marie Catherine Martinache, au profit de la fabrique de l’église du village [41]. La somme concernée apparaît modeste, 300 livres parisis, mais le remboursement de la rente n’aura lieu que 43 ans plus tard, le 12 décembre 1780, par le fils d’un second mariage de la contractante.
61En pondérant les sommes empruntées chaque année par la durée de vie moyenne des rentes, on peut déterminer à chaque moment le stock des prêts notariés sous forme de rentes privées. De 1740 à 1780, un peu plus de 8 millions de livres tournois de rentes ont été créées devant les notaires de Douai. Compte tenu des durées de vie moyennes calculées précédemment, on peut estimer que le stock de rentes encore en activité à Douai en 1780 s’élève à environ 3,7 millions de livres tournois [42]. En 1790, il doit approcher les 4,2 millions de livres.
Rentes héritières et coût du crédit
62Le contrat de rente mentionnant la somme prêtée et l’annuité, il est aisé de calculer le taux d’intérêt de l’opération qui est d’ailleurs souvent précisé dans l’acte [43]. Mais il est généralement exprimé non pas sous la forme d’un taux mais par le denier, c’est-à-dire le coefficient par lequel il faut multiplier l’intérêt pour obtenir le capital. Ainsi une rente sera dite au denier 16 si, pour 16 deniers empruntés, il faut verser chaque année un denier. Dans ce cas, le taux d’intérêt est de 6,25 %. Lorsque le denier s’élève à 18, le taux d’intérêt est de 5,555 %, lorsqu’il s’établit à 20, celui-ci est de 5 %, etc.
63En laissant le choix de la date de remboursement à la discrétion du débiteur, la rente lui donne un avantage au détriment du bailleur de fonds qui devra, pour récupérer son capital, attendre le bon vouloir de l’emprunteur. En fait, le problème pour le prêteur n’est pas tant l’incertitude quant à la date de remboursement de son prêt que les conséquences pour lui d’une variation future du taux d’intérêt. En effet, si celui-ci reste fixe, il peut toujours, en cas de besoin, emprunter à son tour sous forme de rente. Les annuités qu’il devra alors verser seront compensées (aux coûts de transaction près) par celles qu’il percevra de son débiteur.
64Dans le cas où le taux d’intérêt baisse après la création de la rente, le prêteur se trouve pénalisé. Le débiteur a tout intérêt à profiter de cette baisse pour rembourser sa dette et, s’il manque de fonds, il les empruntera à un taux plus faible. Certes le prêteur récupère son capital mais s’il n’a pas besoin de ces liquidités, il ne pourra les replacer qu’à un taux plus bas. Il subit donc totalement les effets de la baisse de l’intérêt.
65Si, au contraire, le taux d’intérêt augmente après la création de la rente, le crédirentier est cette fois-ci doublement pénalisé. D’une part, s’il a besoin de liquidités, il devra les emprunter à un taux plus élevé que celui versé par son débiteur. Le coût pour lui sera égal à la différence entre les taux d’intérêt. D’autre part, faute de récupérer son capital, il ne peut pas profiter de l’opportunité offerte par l’augmentation des taux. En effet, celle-ci ne pousse pas, bien au contraire, le débiteur à rembourser son emprunt. S’il dispose de la somme nécessaire, celui-ci a plutôt intérêt à la placer sous forme de rente, héritière ou viagère, et ainsi de profiter de la différence des taux.
66C’est donc en fait la variation potentielle du taux d’intérêt qui crée un risque pour le bailleur de fonds. S’il anticipe une prochaine variation du taux, légal ou usuel, il peut alors être tenté de chercher à compenser la perte prévisible par la fixation d’un taux d’intérêt plus élevé. Il en résulte que les taux devraient s’élever plus vite lorsque les prêteurs anticipent de fortes fluctuations des taux d’intérêt sur le marché que lorsqu’ils prévoient une certaine stabilité de ces taux. Le mécanisme de la rente tend donc à « hausser » les taux d’intérêt par rapport à un dispositif à durée de remboursement fixée à l’avance. Mais, à chaque moment, tout dépend des conditions du marché, notamment des besoins de liquidité, eux-mêmes liés à la situation personnelle ou aux perspectives de gains de l’emprunteur de capitaux.
La contrainte du taux légal
67L’un des principes de la rente constituée est qu’elle ne doit pas dépasser un taux maximum au-delà duquel l’opération est considérée comme usuraire. Ce taux plafond a évolué au cours du temps. Fixé au denier 20 (5 %) par une ordonnance de Charles Quint du 19 octobre 1520, il passe au milieu du xvie siècle au denier 16 (6,25 %). Il n’est plus modifié par la suite dans les Pays-Bas [44]. Cependant, une ordonnance royale de 1665 fixe le denier officiel en France à 20 (5 %), taux qui se maintiendra jusqu’à la fin du xviiie siècle.
68Mais le taux légal est loin d’être toujours respecté. Le tableau 5 montre qu’au cours du xviie siècle, un nombre non négligeable de rentes (2 à 3 %) sont émises à un taux supérieur au maximum autorisé de 6,25 %. À partir de 1680 et jusqu’en 1719, la situation apparaît confuse, les participants semblant avoir du mal à identifier clairement le taux plafond. Est-il encore fixé à 6,25 % ou est-ce le taux de 5 %, adopté en France à partir de 1665 ? C’est pourquoi on trouve un pourcentage élevé de rentes, bien qu’en diminution, au taux de 6,25 %: 58,9 % pour les années 1680-1699, 47,9 % pour les années 1700-1719. Mais, en même temps, la part des rentes au taux de 5 % progresse nettement : 25 % pour la période 1680-1699 et 31,4 % pour la période 1700-1719.
Répartition (en %) du nombre de rentes héritières en fonction du taux d’intérêt (i)
Répartition (en %) du nombre de rentes héritières en fonction du taux d’intérêt (i)
69L’année 1720, marquée par une forte chute des taux d’intérêt entraînée par la banqueroute de Law, constitue une rupture. Le nombre de rentes au-dessus du plafond de 5 % chute brutalement, passant de 62,7 % en 1700-1719 à seulement 2,4 % en 1720-1739. À partir de 1740, quasiment plus aucune rente ne dépasse le taux légal [45].
70La conséquence est une augmentation progressive de la part des rentes émises au-dessous du plafond. Si, au cours des années 1720-1759, 25 % des rentes étaient créées à des taux inférieurs au maximum de 5 %, à la veille de la Révolution, 87,1 % des rentes sont au-dessous de ce plafond, dont 84,2 % à des taux égaux ou inférieurs à 4,5 %. À partir du milieu du xviiie siècle, la réglementation officielle en matière de taux d’intérêt ne constitue plus une contrainte. Le marché des capitaux douaisien ne peut être qualifié de « marché sans prix ». Les marges de fluctuation des taux sont alors telles qu’il paraît difficile de conclure que « ce ne sont pas les prix qui assurent l’ajustement de l’offre à la demande » [46], même si diverses imperfections du marché, notamment en matière d’information, empêchent la formation d’un équilibre concurrentiel.
71Chaque période apparaît caractérisée par un large éventail des taux pratiqués : de 5 % à 6,7 % au début du xviie siècle, de 2 % à 5 % à la veille de la Révolution [47]. Comment expliquer de tels écarts ? Les taux exigés dépendent en premier lieu des caractéristiques personnelles des emprunteurs, en particulier des risques qu’ils représentent pour les bailleurs de fonds. Ces risques peuvent être quelque peu atténués par les sûretés offertes par les débiteurs à condition cependant que la valeur des biens hypothéqués soit correctement estimée. Or, les créanciers n’ont généralement pas les moyens de procéder systématiquement à ces évaluations. Seuls les notaires sont capables de réduire la part d’aléa que comporte tout appariement entre prêteurs et emprunteurs grâce aux informations particulières qu’ils possèdent sur leurs clients.
72Le groupe auquel appartient l’emprunteur doit constituer un critère d’appréciation du risque potentiel qu’il représente pour le bailleur de fonds. Si, au cours de la période 1740-1750, le taux d’intérêt moyen s’établit à 4,6 %, il s’échelonne de 4 à 5 % selon la catégorie sociale de l’emprunteur. Il est le plus élevé pour les ruraux (4,68 %) mais, à l’intérieur de cet ensemble, des écarts importants existent entre les gros fermiers qui supportent un taux moyen de 4,57 %, inférieur à la moyenne générale, et les manouvriers et journaliers qui empruntent au plafond autorisé de 5 %. Pour ces derniers, la prime de risque exigée est maximale, ce qui a pour conséquence que les débiteurs présentant des risques excessifs ont alors été exclus du marché [48].
73Pour les bourgeois de Douai, le taux d’emprunt est égal à la moyenne générale de 4,6 %, mais il atteint 4,73 % pour les marchands et artisans et seulement 4 % pour les nombreuses corporations de la ville. Les conseillers et autres officiers du Parlement bénéficient d’un taux moyen de 4,4 % seulement. Les institutions ecclésiastiques empruntent au taux moyen de 4,58 %, légèrement supérieur à celui supporté par les membres de la noblesse, 4,4 %.
74Ce critère n’est cependant pas suffisant pour expliquer la totalité des écarts de taux d’intérêt [49]. En effet, à l’intérieur de chaque catégorie, des différences importantes existent. Par exemple, pour les conseillers au Parlement de Flandre ou la noblesse, les taux supportés s’échelonnent de 4 à 5 %. Pour l’ensemble des laboureurs et autres gros fermiers, l’écart est encore plus grand, de 2,75 % à 5 %.
75Les taux des rentes décroissent avec les sommes empruntées. Toujours pour la période 1740-1750, le taux moyen des emprunts inférieurs à 200 florins s’élève à 4,93 %, soit un pourcentage nettement supérieur à la moyenne. Entre 200 et 1 000 florins, le taux moyen baisse légèrement à 4,86 %. Il n’est plus que de 4,58 % pour les emprunts compris entre 1 000 et 5 000 florins. Pour les grosses sommes, supérieures à 5 000 florins, le taux est encore plus bas, 4,36 % en moyenne, et il descend à 4,14 % pour les rentes supérieures à 10 000 florins. Mais ce facteur apparaît en fait fortement corrélé au précédent, le clergé et la noblesse mais aussi les membres du Parlement empruntant, nous l’avons vu, des sommes généralement supérieures aux autres catégories sociales.
76Parmi les autres facteurs de différenciation des taux d’intérêt figurent les relations familiales ou les affinités personnelles entre les contractants. Si les premières, qui peuvent, en première approche, être appréhendées à partir des patronymes des contractants, conduisent à des taux généralement plus bas que la moyenne, les autres types de relations apparaissent plus opaques et leurs effets sur les taux d’intérêt difficiles à mesurer. Ce sont ces facteurs qui expliquent les taux particulièrement bas (moins de 4 %) obtenus par certains emprunteurs [50].
La tendance séculaire à la baisse du taux d’intérêt
77Le tableau 5 a montré une importante baisse des taux des rentes à partir de la fin du xviie siècle. Pour mieux appréhender l’évolution effective, il est nécessaire de calculer pour chaque année un taux d’intérêt moyen. Mais les résultats obtenus seront différents selon que l’on retient une moyenne simple des différents taux pratiqués chaque année ou une moyenne pondérée par les sommes engagées. Si la première méthode permet de prendre en compte la situation de l’ensemble des participants, la moyenne pondérée traduit mieux l’état du marché dans sa globalité. Les deux séries figurent sur le graphique 2.
78On constate que les deux courbes ne se confondent pas même si elles suivent des évolutions similaires. Le taux pondéré est généralement inférieur au taux non pondéré ce qui s’explique par la pression à la baisse exercée par les gros emprunteurs sur le marché. Le graphique montre très clairement la tendance à la décroissance du taux d’intérêt au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime. Ce mouvement séculaire a cependant subi de profondes perturbations consécutives aux événements politiques qui ont affecté la région de Douai.
79Au début du xviie siècle, les taux approchent le maximum de 6,25 %. Une légère détente peut être observée dans les années 1620-1640, notamment pour le taux pondéré, mais il tend à remonter lorsque le conflit entre la France et l’Espagne, marqué par la prise d’Arras par les Français en 1640, commence à toucher Douai et sa région. Le plafond de 6,25 % est de nouveau atteint en 1667, année de la prise de Douai par Louis XIV.
80Il faudra attendre la relative stabilité politique de la fin des années 1670 pour que le mouvement de baisse reprenne et amène le taux moyen pondéré à un minimum de 4,9 % en 1700. Cette détente n’est cependant que provisoire, la reprise des hostilités l’année suivante s’accompagnant d’une remontée du taux des rentes qui culmine à 5,64 % en 1710, lors du siège de Douai par les Alliés, et même 5,73 %, en 1712, au moment de la reconquête de la ville par les Français. La lente décroissance des taux qui suit est perturbée par les désordres monétaires de la Régence qui provoquent un brusque effondrement du taux d’intérêt qui s’établit à 3,1 % en 1720.
81Après être remonté quelque peu les années suivantes, sans atteindre cependant son niveau antérieur (4,94 % en 1731 contre 5,6 % en 1717), le taux d’intérêt pondéré diminue ensuite progressivement [51] et de manière continue jusqu’à la fin du siècle. Au cours de la période 1766-1770, marquée par une réduction autoritaire à 4 % du maximum légal, le taux moyen pondéré s’établit à 3,88 % en 1767, 3,69 % en 1768 et 3,96 % en 1769. Dès l’abrogation de l’édit en février 1770, il dépasse de nouveau les 4 %. À la veille de la Révolution, il s’établit à 4,22 %, ce qui situe le taux douaisien dans la moyenne de ceux observés sur d’autres marchés, légèrement au-dessous de celui constaté à Maubeuge (4,31 %) [52], mais un peu supérieur à ceux du Ban de Herve (4,14 %) [53] et du Languedoc (3,93 %) [54].
Graphique 2
Graphique 2
Les taux d’intérêt des rentes héritières passées devant les notaires de Douai (1600-1790)82Si la légalisation du prêt à intérêt a été permise par le décret des 3-12 octobre 1789, la liberté du taux d’intérêt est le fait de la loi du 5 thermidor An IV (23 juillet 1796). Le taux des rentes augmente alors fortement à Douai passant de 4 % en 1793 à 4,9 % en 1798 et… 7,5 % en 1800. Il faudra attendre la loi du 3 septembre 1807 pour que le taux plafond de 5 % soit rétabli, maximum qui restera inchangé pendant tout le xixe siècle.
Conclusion
83Les informations fournies par les rentes constituées passées devant les notaires de Douai avant la Révolution ont permis de préciser certaines des caractéristiques du marché du crédit douaisien. Ce marché s’est révélé de première importance, moins cependant par le nombre de participants que par les sommes engagées, grâce notamment à la présence d’institutions prestigieuses comme le Parlement de Flandre. Il apparaît aussi de plus en plus polarisé sur la ville de Douai, ses limites territoriales s’étant sensiblement réduites au cours du xviiie siècle. Le marché douaisien est aussi caractérisé par un mouvement de baisse continue des taux d’intérêt au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime, malgré de fortes fluctuations liées aux événements politiques dont la région de Douai a été le théâtre. Certains des résultats obtenus peuvent cependant avoir été conditionnés par les limites fixées à cette étude. Aussi la prise en compte des relations informelles, celles qui ne passent pas par les études notariales, serait souhaitable, à condition de pouvoir résoudre le problème de la rareté voire de l’absence de données précises sur ce type de transactions. L’impact de la dette publique, de l’État ou des institutions locales, sur le marché privé serait aussi à examiner. Enfin et surtout, une comparaison avec les autres grandes villes de la région, Lille, Valenciennes, Cambrai notamment, apporterait des informations précieuses sur les liens entre les divers marchés locaux. Ces quelques suggestions montrent qu’il reste encore beaucoup à faire pour que l’on puisse avoir une vision claire et précise des mécanismes régissant les marchés de capitaux sous l’Ancien Régime et ainsi mieux comprendre le rôle joué par le crédit dans le développement économique de la région du Nord à la veille de la Révolution industrielle.
Notes
-
[*]
Serge Dormard, Professeur à l’Université de Lille 1, Faculté des Sciences Économiques et Sociales, MÉDEE-IFRÉSI, 59655 Villeneuve-d’Ascq Cedex.
-
[1]
Selon le mécanisme décrit par G. Béaur, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles. Des liens solides ou des chaînes fragiles ? », Annales, Histoire, Sciences Sociales, 49e année, n° 6, novembre-décembre 1994, p. 1411-1428.
-
[2]
Notamment G. Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du xviiie au début du xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, et Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001.
-
[3]
Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique. Les marchés du crédit à Paris, 1750-1840 », Annales, Histoire, Sciences Sociales, n° 1, janvier-février 1994, p. 65.
-
[4]
Précisons que cette étude ne concerne que les relations entre prêteurs et emprunteurs privés et laisse de côté les rentes émises par les institutions publiques, la ville de Douai notamment.
-
[5]
Comme la vente anticipée de récoltes, le prêt sur gages ainsi que diverses formes de sûretés réelles suspectes de dissimuler une opération de prêt à intérêt telles que le mort-gage, contrat par lequel un débiteur se dépossédait temporairement d’un bien immobilier au profit de son créancier, celui-ci percevant les revenus de l’immeuble jusqu’à ce que le débiteur rembourse le montant intégral de sa dette, et la vente à réméré ou vente avec faculté de rachat.
-
[6]
La prohibition du prêt à intérêt apparaît en fait plus rigoureuse pour les particuliers que pour les marchands qui disposaient d’instruments de crédit particuliers, les lettres de change, qui n’étaient pas considérés par l’Église comme des prêts à intérêt.
-
[7]
La liberté de l’intérêt défendue par un certain nombre de philosophes et écrivains du xviiie siècle, entre autres Cantillon, Montesquieu, Quesnay et Turgot, a certainement contribué à la reconnaissance du prêt à intérêt accordée par le décret des 3-12 octobre 1789.
-
[8]
Sans que cela entraîne pour le débiteur une dépossession de son bien comme dans le cas, par exemple, du mort-gage ou de la vente à réméré.
-
[9]
B. Schnapper, Les rentes au xvie siècle. Histoire d’un instrument de crédit, Paris, SEVPEN, 1957, p. 67.
-
[10]
C’est ainsi, par exemple, qu’une rente créée en 1358 devant les baillis et échevins d’Anhiers (Nord) au profit de la collégiale Saint-Pierre de Douai était encore active en 1604, soit près de deux siècles et demi plus tard (AD Nord Tabellion de Douai 212).
-
[11]
P. Servais, « De la rente au crédit hypothécaire en période de transition industrielle. Stratégies familiales en région liégeoise au xviiie siècle », Annales, Histoire, Sciences Sociales, 49e année, n° 6, novembre-décembre 1994, p. 1396.
-
[12]
Au cours des deux siècles suivants, la population douaisienne fluctue, à cause des guerres notamment, et la ville ne comprend plus que 13 000 habitants en 1720. Le nombre d’habitants s’élève à 17 000 en 1789.
-
[13]
Michel Rouche (dir.), Histoire de Douai, Westhoek-Éditions, Éditions des Beffrois, 1985, p. 146.
-
[14]
Voir J. Godard, « Contribution à l’étude de l’histoire du commerce des grains à Douai, du xive au xviie siècles », Revue du Nord, t. XXVII, nos 107-108, juillet-décembre 1944, p. 171-205.
-
[15]
Sans oublier sa vocation militaire, Douai étant devenue, après la conquête française, une importante ville de garnison avec l’installation de plusieurs casernes pouvant contenir jusqu’à 6 000 hommes. Ce rôle est conforté par la construction d’un arsenal en 1667, de la fonderie de canons en 1669 et d’une école d’artillerie en 1679.
-
[16]
En 1716, les ecclésiastiques représentent plus de 7 % de la population communale. M. Rouche (dir.), Histoire de Douai, ouv. cité, p. 114.
-
[17]
G. Postel-Vinay, La terre et l’argent…, ouv. cité, p. 34.
-
[18]
Pour des détails sur les notaires de Douai et de sa région, voir nos articles : « Les notaires de la ville de Douai sous l’Ancien Régime », Douaisis-Généalogie, n° 4, décembre 1992, p. 6-8, et « Les notaires de la Gouvernance de Douai », Douaisis-Généalogie, n° 5, 1er trimestre 1993, p. 10-11.
-
[19]
Avant la Révolution, les notaires étaient tenus de déposer leurs minutes auprès d’un Tabellion ou Garde-Notes qui seul avait le droit de délivrer les grosses. Sa signature en conférait l’authenticité sans qu’il soit besoin d’autre preuve. C’est ce fonds qui constitue le Tabellion de Douai.
-
[20]
Le fonds comprend aussi de nombreuses reconnaissances de rentes (2 200), des actes de transport et de cession (1 200) et un certain nombre de rentes viagères (600) qui n’ont pas été exploitées dans cette étude.
-
[21]
Pour une présentation plus complète du système monétaire en vigueur dans notre région, voir notre article, « Monnaies de compte et monnaies réelles utilisées dans le Nord de la France du xvie siècle à la Révolution », Douaisis-Généalogie, nos 13, 14, 15, 1er, 2e et 3e trimestres 1995
-
[22]
La livre parisis (comme la livre tournois) est divisée en vingt sols (ou gros) et chaque sol (ou gros) en douze deniers. Le florin est divisé en vingt patards et chaque patard en douze deniers. Trois deniers font un liard.
-
[23]
AD Nord Tabellion de Douai 91.
-
[24]
AD Nord Tabellion de Douai 556.
-
[25]
Il existait encore d’autres monnaies de compte locales qui n’étaient cependant pas utilisées dans les contrats de rentes, notamment la livre de Cambrai, égale au florin, et la livre douaisienne, égale au tiers de la livre parisis de Flandre. La livre de gros de Flandre, égale à 6 florins, était quant à elle plutôt réservée aux baux de maisons.
-
[26]
On peut aussi observer une certaine répartition géographique des monnaies de compte. Au xviiie siècle, les emprunteurs dont les contrats sont exprimés en livres parisis de Flandre se situent plutôt au nord-est du Douaisis dans les communes proches de la frontière (Aix, Landas, Nomain, Mouchin, Saméon, etc.), les habitants de Douai et des environs proches utilisant presque exclusivement le florin ou la livre tournois de France.
-
[27]
On peut s’interroger sur les fondements de ce choix, compte tenu du rapport fixe entre les deux monnaies de compte. Est-il le fait de l’emprunteur ? Ne serait-il pas imposé par le notaire ? Les calculs ne montrent cependant pas de corrélation significative entre le type de monnaie utilisée et le notaire qui a enregistré l’acte.
-
[28]
Les chiffres indiqués reflètent aussi l’état de conservation du fonds d’archives qui a pu subir diverses pertes et destructions, sans oublier les minutes encore conservées de nos jours, malgré la législation, dans les études notariales. Pour cette raison, il est préférable d’utiliser des moyennes calculées sur des périodes suffisamment longues, ici de vingt ans.
-
[29]
Contrairement au marché parisien (Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique… », art. cité, p. 74), l’activité de crédit à Douai au xviiie siècle ne semble pas avoir été affectée par les événements politiques, notamment la guerre de Sept ans (1756-1763), ou la baisse réglementaire des taux entre 1766 et 1770.
-
[30]
G. Postel-Vinay, La terre et l’argent…, ouv. cité, p. 39.
-
[31]
Ibid., p. 98.
-
[32]
Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique… », art. cité, p. 70. Les auteurs retiennent la ville de Dijon comme représentative de la catégorie des « Autres grandes villes », celles dont la population est supérieure à 15 000 habitants. L’écart avec Douai pour ce qui concerne le montant moyen des rentes pose la question de la pertinence de ce choix et ne peut qu’encourager l’étude d’autres grandes villes françaises.
-
[33]
Grâce à quelques gros emprunteurs comme la collégiale Saint-Pierre de Douai qui, au cours des années 1740-1750, crée pour 65 000 florins de rentes afin de financer la réfection du clocher de l’église.
-
[34]
Ce rôle modeste peut s’expliquer, au moins en partie, par le fait que de nombreux membres de la noblesse qui ont acquis des charges de conseillers ou de procureurs au Parlement de Flandre figurent dans la catégorie des bourgeois de Douai.
-
[35]
Dont 120 000 florins (150 000 livres tournois) en une rente, émise le 7 juillet 1784, au profit de la Régie des biens confisqués sur les collèges des Pays-Bas autrichiens situés dans le ressort du Parlement de Flandre (AD Nord Tabellion de Douai 1618).
-
[36]
Un exemple parmi d’autres : le 19 décembre 1788, Louis-Joseph Le Vasseur de la Thieuloy, ancien président du Conseil d’Artois, achète pour son fils, Ernest-Joseph, alors substitut du procureur général au Conseil d’Artois, un office de conseiller au Parlement de Flandre pour la somme de 60 000 livres tournois. Il verse à Henri-Joseph de Francqueville, président à mortier, 36 000 livres en espèces, soit 60 % du prix de l’office, et contracte une rente héritière pour les 24 000 livres restantes (AD Nord Tabellion de Douai 348).
-
[37]
Voir les exemples cités par G. Béaur, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles… », art. cité, p. 1415.
-
[38]
Bien que pour les donations en faveur d’enfants entrant en religion, la rente viagère soit généralement préférée car les versements cessent au décès du bénéficiaire.
-
[39]
J. Jacquart, « L’endettement paysan et le crédit dans les campagnes de la France moderne », in Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne (M. Berthé éd.), Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1998, p. 288.
-
[40]
Soit des chiffres du même ordre que ceux obtenus pour le Pays de Herve par P. Servais, art. cité, p. 1405.
-
[41]
AD Nord Tabellion de Douai 1080.
-
[42]
Le volume de prêts accordés par les notaires de Douai ayant été de 400 000 livres tournois en 1780, ceci correspond à peu près à la proportion calculée par Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, « Économie et politique… », art. cité, p. 70, pour la catégorie des « Autres grandes villes » entre le volume des prêts notariés réalisés et le stock estimé de ces prêts à cette date.
-
[43]
Les contrats contiennent généralement une clause indiquant qu’au cas où le débirentier voudrait profiter des édits royaux lui permettant de retenir sur son créancier l’impôt (dixième ou vingtième) dû sur les revenus des immeubles servant d’hypothèque à la rente, alors le taux de celle-ci serait augmenté et passerait, par exemple, de 4 à 5 %.
-
[44]
Ph. Godding, Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du xiie au xviiie siècle, Mémoires de l’Académie royale de Belgique, t. XIV, fascicule 1, 1987, p. 481.
-
[45]
Lorsqu’en juin 1766, un édit royal abaisse le taux légal de 5 % (denier 20) à 4 % (denier 25), les taux pratiqués à Douai diminuent mais le nombre de rentes émises au-dessus du nouveau plafond progresse fortement et représente 20 % du total des rentes, ceci jusqu’au rétablissement, en février 1770, du denier 20.
-
[46]
Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, Des marchés sans prix…, ouv. cité, p. 65.
-
[47]
Calculée à l’aide d’un coefficient de variation, la dispersion des taux d’intérêt s’accroît continuellement du début du xviie siècle jusqu’aux années 1720. Elle se stabilise ensuite.
-
[48]
A contrario, une baisse générale des taux d’intérêt permet aux emprunteurs les plus risqués de pouvoir accéder au marché du crédit.
-
[49]
Les écarts des taux d’intérêt selon les catégories sociales conjugués avec l’augmentation constatée précédemment de la part des bourgeois et la diminution de celle des ruraux dans la population des emprunteurs conduit mécaniquement à une baisse du taux d’intérêt moyen.
-
[50]
C’est ainsi que les emprunts de la famille Calonne auprès de différentes fondations de l’Université de Douai (voir plus haut) ont été conclus au taux privilégié de 3,5 %.
-
[51]
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’évolution de la fiscalité au cours du xviiie siècle a affecté le marché du crédit douaisien. C’est ainsi que l’établissement du « dixième » en 1710 semble n’avoir pas modifié le taux moyen des rentes mais il faudrait en même temps pouvoir apprécier l’effet sur le marché de la dégradation de la situation des habitants de Douai causée par le siège de la ville et par la surmortalité liée aux mauvaises récoltes et aux épidémies qui ont alors touché Douai et sa région.
-
[52]
G. Postel-Vinay, La terre et l’argent…, ouv. cité, p. 381. Sur l’activité de crédit dans la région de Maubeuge pendant la période révolutionnaire, voir G. Béaur et Ph. Minart (éds), Atlas de la Révolution française, 10, Économie, Paris, éd. de l’EHESS, 1996, p. 58-59.
-
[53]
P. Servais, La rente constituée dans le Ban de Herve au xviiie siècle, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, Collection Histoire, n° 62, 1982.
-
[54]
E. Le Roy Ladurie, Paysans du Languedoc, Paris, SEVPEN, 1966. Mais il s’agit d’un taux non pondéré par les montants des prêts.