Couverture de RDN_350

Article de revue

Soutenances de thèse

Pages 409 à 426

Habilitation à diriger des recherches

1Le 6 janvier 2003, à l’Institut d’Études Politiques de Paris, Michel Leymarie, maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, a soutenu son habilitation à diriger des recherches en histoire sur le thème Culture et politique en France pendant la IIIe République avec, notamment, un mémoire inédit, Albert Thibaudet. Le jury était composé de Mme et MM. les professeurs René Rémond, de l’Académie française, Serge Berstein, directeur de recherches, Jean-Yves Mollier, Jacques Prévotat, Élisabeth du Reau, Jean-François Sirinelli, Jean Vavasseur-Desperriers.

Présentation par l’auteur

2Dans son exposé de présentation, Michel Leymarie rappelle qu’il a d’abord été un professeur de lettres qui, lors de son DEA, s’est intéressé à un professeur en République, Jean Guéhenno, qui a incarné le monde des « boursiers ». Il s’est ensuite tourné, lors de sa thèse d’histoire, vers deux héritiers, les frères Tharaud, des dreyfusards qui ont évolué et adopté des positions nationalistes et antisémites, et qui ont marqué la culture de leur temps en collaborant à la Revue des deux mondes et à la Revue Universelle. Dans la perspective de son habilitation, sa recherche s’est étendue ensuite à divers aspects de l’histoire culturelle, notamment, en participant à des entreprises collectives — La postérité de l’Affaire Dreyfus, La belle époque des revues — et en publiant un Que sais-je ? sur Les intellectuels de la politique. L’étude principale présentée pour cette habilitation porte sur Albert Thibaudet (1874-1936), critique littéraire et historien des idées politiques, un libéral pluraliste, un modéré, un esprit non-partisan sur lequel il y avait encore peu de travaux. Ce professeur, disciple de Bergson et admirateur de Mallarmé, bi-admissible à l’agrégation de philosophie, agrégé d’histoire à 34 ans, est un médiocre pédagogue qui demande souvent des congés pour pouvoir voyager ; il est attiré par la Grèce. Il devient un critique littéraire renommé grâce à Gide qui l’appelle à la NRF en 1911. La guerre est une épreuve et un champ d’observation pour ce citoyen de quarante ans qui sert pendant 4 ans comme caporal dans la territoriale. Ses carnets de guerre inédits, La campagne avec Thucydide, utilisés ici sont un maître ouvrage. Après la démobilisation, il donne une chronique régulière à la NRF. À partir de 1924, il enseigne la littérature française à l’Université de Genève et circule beaucoup entre Genève, Paris et Tournus où il est né et aime séjourner. Ce critique littéraire qui publie des ouvrages sur Barrès, Maurras, le bergsonisme, Flaubert, et laisse à sa mort le manuscrit d’une Histoire de la littérature française, s’intéresse de plus en plus aux idées politiques et observe les hommes, les idéologies et les comportements politiques dans des ouvrages qui ont fait longtemps référence : les Princes lorrains, la République des professeurs — opposée un peu sommairement à la République des avocats — et enfin les Idées politiques de la France.

Compte rendu de la soutenance par Yves-Marie Hilaire

3M. Serge Berstein, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris, évoque d’abord la qualité des travaux de Michel Leymarie, agrégé de Lettres, devenu historien voué à l’observation scientifique et dépassionnée de la politique. Il apprécie l’activité d’un chercheur, animateur d’un groupe de travail sur l’histoire des intellectuels et engagé dans l’organisation de colloques, dans les comités de rédaction dont celui de la Revue historique et dans l’édition universitaire à Septentrion. Il le félicite d’avoir choisi d’écrire la biographie d’un intellectuel qui se situe au carrefour de la philosophie, des lettres et de l’histoire, Albert Thibaudet, que René Rémond, lors du colloque de Tournus, a sacré fondateur de l’histoire des idées politiques en France. Il montre l’intérêt d’une étude fondamentale d’un critique à l’immense culture qui, dans son dernier ouvrage, a mis en valeur le concept de génération littéraire. Il rappelle que l’expérience de la première guerre mondiale a fait passer Thibaudet de la critique littéraire à la réflexion sur l’histoire comme en témoignent les étonnants carnets qu’il a laissés sur le conflit. Observateur du radicalisme, force politique essentielle sous la IIIe République, ce fils de notable radical présente cette formation politique avec sympathie mais aussi avec une certaine distance, Michel Leymarie précise alors que, selon lui, Thibaudet est un radicalisant du dehors, originaire de Saône-et-Loire, le pays de Barodet et de Sarrien.

4M. Jean-Yves Mollier, professeur à l’Université de Saint-Quentin-en-Yvelines, évoque la carrière riche d’expériences variées et de recherches originales de Michel Leymarie, qui a reçu une formation littéraire et est devenu un historien. Il rappelle son aptitude à l’encadrement de la recherche et souligne l’intérêt de son grand travail sur Thibaudet, collaborateur apprécié de la NRF — « grande force » selon le jugement d’Otto Abetz — où ses chroniques sont très estimées. Lorsque Thibaudet disparaît, les notices nécrologiques signalent bien l’importance du personnage. Celui-ci a été un pionnier de la science politique française contemporaine avec André Siegfried, mais celle-ci avait été illustrée auparavant par Montesquieu et Tocqueville avant de trouver sa place dans le monde universitaire. Certes Thibaudet a contribué à remettre à la mode le concept de génération, mais les romantiques l’avaient déjà utilisé, notamment Musset, auteur des Confessions d’un enfant du siècle. Michel Leymarie intervient brièvement pour indiquer que Thibaudet n’a pas une place dominante à la NRF à laquelle il collabore régulièrement mais il demeure très présent dans la presse périodique, écrivant dans des journaux très différents.

5M. Jean Vavasseur-Desperriers, professeur à l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, insiste sur le rapport entre politique et littérature auquel s’est intéressé Thibaudet qui s’est montré très critique pour Maurras et rappelle que le thème de la République des professeurs est réapparu en 1981 (« République des instituteurs » pour Raymond Aron). Il s’interroge sur les convictions politiques de Thibaudet qui se dit favorable à la démocratie, au suffrage universel, mais qui ne vote pas. Il évoque la distanciation de Thibaudet, le caporal qui observe les soldats pendant la guerre, le critique qui s’intéresse à la littérature des auteurs extrêmes, traditionalistes ou socialistes qui ne font pas de politique concrète, électorale. Il se demande dans quelle mesure il reflète son temps, car Thibaudet n’analyse pas le communisme, néglige l’antisémitisme et perçoit mal l’importance des luttes sociales ; il vit dans un pays de petits producteurs indépendants. Dans sa réponse, Michel Leymarie note que Thibaudet manque de convictions fortes. Observateur toujours excentré, solitaire indépendant, libéral relativiste, républicain, il rejette les jugements excessifs de Daniel Halévy.

6M. Jean-François Sirinelli, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris, insiste sur les mérites de Michel Leymarie, un professeur en République comme l’a été Guehenno, qui n’est absolument pas un homme de bunker, mais un enseignant-chercheur dont les nombreuses activités font que notre métier existe et peut continuer à exister. Il compare le professionnalisme de Michel Leymarie, membre du CNU (Conseil National des Universités) pour la quatrième année qui étudie sérieusement 37 dossiers, au comportement négligé du critique Thibaudet qui entre Genève et Paris jette les livres par la fenêtre du train. Il avoue avoir beaucoup aimé « ce Thibaudet » et déclare que l’on pourra dire dorénavant « sur Thibaudet, voyez Leymarie ». Il souligne la nouveauté de la recherche par rapport à celle sur Guéhenno et à celle sur les Tharaud, et apprécie le style limpide de l’auteur. Thibaudet est un spectateur non engagé, un belvédère, il observe et évolue entre la Politique et le Culturel. Michel Leymarie a écrit une biographie intellectuelle de grande qualité car il a su éviter les pièges de l’hagiographie en indiquant les limites de son personnage : c’est une œuvre de maturité, érudite et équilibrée. Michel Leymarie évoque, en répondant, les difficultés de sa recherche car on sait peu de choses sur les relations humaines de cet intellectuel. Il signale que, dans la guerre, le caporal Thibaudet s’éprouve lui-même et qu’il n’est plus seulement un intellectuel préférant les humanités, car il se met à découvrir l’humanité.

7Mme Élisabeth du Réau, professeur à l’Université de Paris III-Sorbonne nouvelle, loue un très beau livre sur Thibaudet. Elle rappelle les débats pionniers de l’École des Sciences politiques autour de Leroy-Beaulieu sur l’Europe en 1900 et sur l’idée d’arbitrage international. Après son expérience de la première guerre mondiale, notre critique réagit rapidement aux événements internationaux de l’entre-deux-guerres. En août 1925, il signale l’émergence de l’idée européenne, « un drapeau à peine dégainé ». Sur la question des responsabilités allemandes en 1914, il s’appuie sur les travaux de Pierre Renouvin et s’intéresse aux controverses sur le concept d’Europe et au projet de 1929 sur la Fédération européenne. Mais le désenchantement survient après 1930 et Thibaudet n’a guère de relations avec la génération des années trente et ne voit pas la relève qui se dessine. Michel Leymarie signale que Thibaudet refuse le simplisme, l’explication par une seule cause et, de Genève où il se trouve (il y enseigne et collabore au Journal de Genève), il prend du recul dans les débats sur les origines de la guerre ou sur le traité de Versailles.

8M. Jacques Prévotat, professeur à l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, signale que le Que sais-je ? de Michel Leymarie sur Les intellectuels et la politique est devenu une synthèse de référence. Il analyse les oppositions entre Maurras et Thibaudet, le provençal attaché à la petite patrie et le bourguignon jacobin ; la notion maurrassienne d’héritage, qui insiste après Comte et Barrès sur l’emprise des morts sur les vivants, contredit le bergsonisme de Thibaudet pour qui la durée est dynamique et ouvre sur l’avenir ; le passé est donc vivant pour lui, fait corps avec l’homme. D’autre part Thibaudet n’est pas un homme du passé, car il ouvre de nouvelles perspectives : ce chroniqueur est un observateur perspicace du réel et des changements. Il sait que la nation est une réalité, il défend le pacte de la Société des nations lors de la crise éthiopienne. Il s’est intéressé à Freud et à la psychanalyse dès avril 1921. Il constate que le fascisme et le communisme sont deux forces de nature religieuse qui annoncent de futures guerres de religion. Admirateur de Barrès qui lui a enseigné la sympathie, il est imprégné de la pensée de Bergson combattue alors par Lasserre, par Maurras et plus tard par le communiste Politzer. Or en 1921, il écrit l’un des premiers ouvrages sereins sur Bergson. Michel Leymarie rappelle que Julien Benda, autre adversaire de Bergson, est un vieil ennemi de Thibaudet et que ce dernier s’oppose à Maurras dans le débat sur l’intelligence. Thibaudet, qui est du pays de Lamartine, récuse l’histoire de France maurrassienne et pense que « le roi est une fiction politique ».

9M. René Rémond, président de la Fondation nationale des Sciences Politiques, président du jury, apprécie un travail très riche d’un chercheur qui a une double culture, une vision binoculaire, souligne la rectitude du parcours, la cohésion des recherches, la sagacité dans l’utilisation des documents, insiste sur la parfaite maîtrise de l’historien qui a réalisé une œuvre accomplie, caractéristique de la maturité. Thibaudet a beaucoup voyagé : « patriote il l’est, nationaliste point », une distinction, importante à l’époque, trop oblitérée maintenant, ce qui empêche les hommes d’aujourd’hui de comprendre l’état d’esprit des Français de la Grande Guerre. Thibaudet, comme Siegfried, rejette l’explication moniste. Le fait Bergson est capital, car l’influence de ce penseur suscite un clivage dans les mentalités et les sensibilités. Thibaudet, homme qui a certes des limites, manifeste beaucoup de perspicacité. Par exemple, sur la question religieuse, il constate que la séparation est une réussite dont les effets positifs se manifestent pour l’Église, la République ayant perdu le contrôle des cultes. À propos des idées de Charles Maurras, il note que celui-ci est un catholique du dehors, un pseudo-catholique antisémite et athée car l’Église est apostolique avant d’être romaine. Thibaudet demeure actuel car il refuse la défiance sur les idées et la défiance sur la politique : « les idées, ça existe et la politique, c’est intéressant ». Il n’y a pas de système qui expliquerait tout. La Science Politique qui se développe après lui va parfois sacrifier au scientisme. Thibaudet, dans la ligne de Tocqueville, trop ignoré par l’université en son temps, était lisible ; il a contribué à la naissance de la Science Politique et il a une postérité importante. Il a été l’un des inspirateurs de son histoire de la Droite en France, parue en 1954.

10Après une brève délibération, le jury proclame qu’il accorde à M. Michel Leymarie l’habilitation à diriger des recherches en histoire.

Thèses de doctorat

Yves Junot, La société valenciennoise de Charles Quint aux Archiducs (début xvie siècle-années 1620) : bourgeoisie et dynamique sociale dans une « bonne ville » marchande des Pays-Bas méridionaux, thèse de doctorat, Université de Lille 3, le 20 décembre 2002

11Jury : M. Lottin (professeur émérite, Université d’Artois), président, M. Guignet (professeur d’histoire moderne, Lille 3), rapporteur, Mme Cocula (professeur d’histoire moderne, Bordeaux III), Mme Pelus-Kaplan (professeur d’histoire moderne, Paris VII), M. Schnerb (professeur d’histoire médiévale, Lille 3).

Présentation par l’auteur

12M. Junot annonce, en commençant son exposé, qu’il a entrepris l’étude de la société urbaine de Valenciennes au cours de la première modernité, c’est-à-dire des années 1500 à 1620. Le pivot de sa recherche réside dans la reconstitution des groupes sociaux (individus, familles, associés), la définition des identités sociales et civiques, ciment de la société, et des liens entretenus par ces groupes sociaux avec l’espace urbain. La méthode suivie consiste en l’élaboration d’une prosopographie par l’indexation, dans une base de données, des personnes qui s’inscrivent dans les différents réseaux relationnels. La priorité a été donnée aux sources locales, exceptionnelles à Valenciennes pour cette période (comptabilité de l’Aumône générale, actes civils, registres fiscaux du centième denier), sans oublier les dépôts lillois et bruxellois nécessaires à la connaissance de l’environnement extérieur politique et économique des villes des Pays-Bas espagnols. L’angle d’étude retenu est la bourgeoisie, statut juridique qui recoupe la société dans sa diversité, et la dynamique sociale de ce groupe au temps de la Renaissance, de la Réforme et de la construction d’États modernes centralisés. Valenciennes, ville du Hainaut, au sud des Pays-Bas espagnols, est dotée d’un pouvoir municipal fort, mais elle est dépourvue des organes propres à une capitale de province. Elle connaît l’émergence d’une nouvelle conscience municipale face au prince et l’affirmation progressive de la réforme calviniste, brutalement extirpée dans le dernier tiers du xvie siècle. Elle s’impose par le commerce et la manufacture textile dans le sillage des métropoles dynamiques de la mer du Nord, en particulier Anvers. La ville expérimente de nouveaux rapports à la pauvreté et à la richesse.

13Le plan adopté par M. Junot se présente en quatre volets :

  1. Structures et représentations de la population urbaine.
  2. Hommes, institutions et pratiques politiques.
  3. Territoires de l’économie urbaine.
  4. Organisation du travail, patrimoines et appropriation de l’espace.

14Dans la première partie, après avoir précisé le cadre démographique d’une ville moyenne de 15 000 habitants en 1569 et 21 000 vers 1600, est définie la citoyenneté de statut ou bourgeoisie qui concerne une fraction variable de la population valenciennoise. Ainsi trouve-t-on 1 800 hommes des compagnies bourgeoises à la fin du xvie siècle, mais seulement 200 « bons personnages » qui se distinguent par leur charité vis-à-vis de l’assistance municipale en 1566. Le statut de bourgeois est lié à des droits et des devoirs, en principe équivalents pour toute la communauté civique, comme la protection judiciaire des personnes et des biens, le gouvernement municipal, la milice urbaine, la participation aux offices de contrôle économique et à l’affermage des impôts indirects. Mais le vécu pratique de ces droits et de ces devoirs permet de stratifier la bourgeoisie en sous-groupes aux intérêts distincts. Le statut de bourgeois s’affaiblit quand la dynamique sociale produit ses effets. Après 1566, les inscriptions de nouveaux bourgeois déclinent en dépit de l’absence de barrières juridiques et financières. À la fin du siècle, un glissement sémantique s’opère qui lie le bourgeois au marchand. Au xviie siècle, les valeurs nobiliaires exercent une forte attractivité auprès des élites marchandes.

15La deuxième partie s’attache à cerner les contours de « l’homme municipal ». Les bourgeois exercent des pouvoirs très étendus tels que la justice civile et criminelle, l’enregistrement des actes de droit privé et public, la législation et le contrôle sur les corps de métiers et les activités économiques, ainsi que l’assistance aux pauvres, avec la création, en 1531, de l’Aumône générale, nouvel instrument centralisant les moyens charitables. Le pouvoir municipal est exercé par un échevinage de treize membres, assisté depuis 1498 d’un conseil de vingt-cinq membres. Le grand conseil, assemblée générale des deux cents bourgeois de statut, perd inexorablement sa mission de contrôle. Dans ce paysage politique les officiers du prince demeurent très discrets. Ainsi Valenciennes s’affirme-t-elle comme une République urbaine. Les rapports entre le prince et les bourgeois de sa « bonne ville » se placent sous le signe du compromis. Les règlements de 1498 et 1615 affirment la tutelle princière sur les institutions et les finances municipales, en échange d’une relative autonomie de gestion des affaires. Les troubles religieux de 1560-1579 remettent apparemment en cause ce contrat. En se crispant sur ses privilèges de bourgeoisie, la ville cherche en vain à concilier la fidélité politique au roi d’Espagne et la liberté de conscience religieuse. La répression contre les calvinistes devenus rebelles amène une sévère épuration des cadres politiques locaux, sans toucher cependant aux institutions. Dans la première moitié du xvie siècle, le Magistrat voit la cohabitation de dynasties échevinales et d’hommes nouveaux. Mais, après la période des troubles, le recrutement se resserre et l’autorité centrale contrôle attentivement les nominations, laissant moins de place à la corruption. Les juristes entrent en force dans la composition des échevinages, alors que la part des marchands diminue, en dépit de la primauté manufacturière de Valenciennes.

16La bourgeoisie marchande et la bourgeoisie corporative se partagent l’espace économique. Les marchés alimentaire et manufacturier sont de plus en plus tournés vers Anvers et la mer du Nord. Le marché céréalier est avant tout régional, atomisé et peu spéculatif. La transformation des grains est un travail spécifiquement urbain qui nécessite des installations coûteuses (moulins, fours ou brasseries). Au xvie siècle, les maîtres boulangers et brasseurs deviennent des entrepreneurs aisés, fermiers des impôts sur les boissons, propriétaires de leurs établissements. Leur situation est confortée, pour les uns, par la hausse séculaire des prix des grains et pour les autres par la croissance de la consommation de la bière. Le grand commerce alimentaire des vins et des poissons entre la France et les Pays-Bas passe par Valenciennes et la route de l’Escaut. Des grands marchands venus des villes voisines de Mons, Cambrai, Arras, s’y installent et intègrent la bourgeoisie de statut. Le commerce de détail du vin, du poisson et du sel est aux mains d’une bourgeoisie moyenne représentée par les officiers de l’étape des vins et les maîtres aisés de corporations comme les graissiers et les métiers du cuir. Ce grand commerce subit des perturbations dues aux guerres entre la France et l’Espagne, et après 1560, les volumes échangés baissent. La manufacture textile constitue le cœur de l’économie valenciennoise : plus de 40 % des nouveaux bourgeois de Valenciennes (main-d’œuvre formée d’artisans qualifiés et réseaux de négociants spécialisés dans l’exportation) s’y rattachent au xvie siècle. Face à une draperie traditionnelle peu vigoureuse, la sayetterie puis la hautelisse sont les activités lainières majeures qui génèrent un négoce totalement détaché d’une production laborieusement menée par les maîtres-ouvriers. Les troubles de la Réforme ne provoquent pas d’effondrement durable de la production mais une réorganisation de fond. L’exil, les condamnations ou les confiscations de biens frappent les artisans et décapitent définitivement les réseaux de négociants calvinistes. Leurs remplaçants sont de moindre envergure, ce qui permet à la concurrence de Lille de triompher. Valenciennes voit l’installation massive, dans les années 1560 puis 1580, de tisserands de lin et de négociants fuyant le Cambrésis plongé dans les guerres de religion françaises. Il s’ensuit un brillant essor d’une nouvelle manufacture linière, la mulquinerie, qui fait la fortune de la ville au xviie siècle, avec de grands marchands directement impliqués dans la finition et l’exportation des toiles fines.

17La dernière partie présente l’incidence des transformations politiques et économiques sur l’organisation du travail et la répartition de la richesse. Le xvie siècle voit une réforme des corporations. La remise en ordre interne, entamée sous Charles Quint, impose l’apprentissage et le chef-d’œuvre. Après les troubles, les corps de métiers deviennent le fer de lance du nouvel ordre hispano-tridentin, avec des devoirs religieux et civiques renforcés au prix d’un déficit financier important. Le cadre corporatif n’est pas un carcan, comme en témoignent l’ouverture aux étrangers et le développement, en dehors des corps réglementés, de professions telles que les cabaretiers, les hôteliers ou les marchands-négociants. L’évolution des salaires et des profits commerciaux accroît les écarts à l’intérieur du monde corporatif et de la société. Le pouvoir d’achat des non-qualifiés se démarque de plus en plus de celui des maîtres, peu touchés par les crises de subsistances qui se multiplient entre les années 1540 et 1590. Dans le même temps, les fortunes issues du grand commerce croissent et sont investies dans le foncier urbain, la terre et la rente financière. Les veuves jouent un rôle important dans la bourgeoisie d’affaire et chez les maîtres-entrepreneurs, assurant la transmission du capital immobilier et financier nécessaire aux affaires et la continuité de l’activité. Le paysage immobilier est le témoin des métamorphoses sociales. À la fin du xvie siècle, l’émigration définitive générée par les troubles accroît les transactions immobilières et favorise l’implantation des nouveaux arrivants. Une topographie sociale se dessine en cercles concentriques allant des paroisses riches du centre, celles des marchands, des maîtres boutiquiers et des artisans aisés, vers les paroisses périphériques où les terrains vagues sont utilisés dès l’époque de Charles Quint pour loger à bas prix, dans des courées et culs de sac, le prolétariat textile et les pauvres de la ville.

18Il ne fait aucun doute que la société urbaine valenciennoise, au cours de la première modernité, est en mutation. La percée de l’individualisme commercial et religieux correspond à un affaiblissement du statut juridique de bourgeoisie. Une redéfinition de la conscience civique s’effectue sur une base tridentine. Un nouveau cadre collectif se met en place dans une société plus hiérarchisée, dont les groupes sont séparés par de nouvelles valeurs. L’honorabilité devient incompatible avec le travail manuel. Loin de triompher, l’identité bourgeoise se cherche. Serait-ce là le signe des incertitudes d’une ville moyenne ?

Compte rendu de la soutenance par Catherine Tempère-Dubois

19Selon M. Guignet professeur à l’Université de Lille 3 et rapporteur, la thèse de M. Junot renoue avec la grande tradition de l’histoire urbaine. En cela, elle s’inscrit dans la lignée des travaux de Henri Pirenne et de Émile Coornaert. Il souligne l’ampleur et la variété des sources utilisées par le candidat. Il indique que ce travail doctoral entretient un dialogue fécond entre l’économique, le social, le culturel et le religieux. Après avoir repris les grands axes du plan, M. Guignet insiste sur les apports de la thèse de M. Junot. Ainsi sont confirmés différents aspects déjà connus comme, par exemple, le caractère central de l’échevinage ou la position déterminante de Valenciennes sur l’axe scaldien qui fait de cette ville un pôle majeur du grand commerce. Des éléments nouveaux éclairent certains points. Ainsi, la création du Conseil particulier par un règlement de 1498 est-elle bien replacée dans le contexte financier et politique. De même il apparaît que l’Aumône générale, créée en 1531, est au moment de la crise de 1566 un lieu où s’exerce la rivalité entre protestants et catholiques, l’enjeu étant le contrôle de la population urbaine. M. Guignet souligne également les apports originaux de la thèse. L’étude des sources fiscales a permis de mettre en évidence la diminution de la consommation de vin qui s’accompagne en parallèle d’une augmentation de celle de la bière. Ce phénomène est imposé par les prix plus bas de cette boisson ainsi que par la détérioration séculaire des salaires.

20Les transformations de l’activité économique sont bien présentées. Après l’âge d’or de la sayetterie valenciennoise (1520-1560), l’industrie textile se reconvertit dans le travail du lin au cours de la deuxième moitié du xvie siècle. Cet essor s’explique notamment par un afflux migratoire de mulquiniers venant de Cambrai, suite à l’occupation de cette ville par les Français de 1581 à 1595. La thèse montre, en outre, que l’émigration de la bourgeoisie protestante, se ralentit mais continue après la fin du Conseil des troubles.

21Puis le rapporteur en vient à formuler quelques petites critiques. Selon lui, l’étude de la diaspora protestante menée dans la quatrième partie lui semble venir un peu tard et aurait pu être placée dans la deuxième partie après les ruptures politiques. La pesée démographique globale aurait pu être davantage mise en évidence. Il apparaît que Valenciennes connaît un blocage démographique à partir du xviie siècle. En effet, dans les paroisses de Saint-Géry, Saint-Nicolas et Saint-Jacques, la moyenne annuelle des baptêmes se chiffre à 578 entre 1601 et 1609 et à 579 pour les années 1740. Il s’opère également dans la deuxième moitié du xvie siècle une disjonction démographique entre Valenciennes et Lille, deux fois plus peuplée vers 1650 et trois fois plus au xviiie siècle. Le triomphe de la contre-Réforme à Valenciennes, provoquant le départ de la bourgeoisie protestante a contribué à l’affaiblissement de la ville. Concernant l’archaïsme des pratiques commerciales des grands marchands valenciennois, illustré par l’utilisation tardive de la lettre de change à la fin du xvie siècle, M. Guignet indique qu’il aurait été possible d’élargir le champ de comparaison à d’autres villes de la même aire géographique. Enfin, il aurait aimé des précisions sur les caisses de secours des corporations. M. Guignet conclut son intervention en précisant que la thèse de M. Junot est exemplaire.

22Le candidat a repris les différents points soulevés par M. Guignet. Concernant la place de l’étude de la diaspora protestante, il a justifié son choix en précisant que les motivations de départ ne sont pas seulement religieuses mais aussi économiques. La carrière du négoce amène certains protestants à partir s’installer dans des villes, comme Anvers ou Cologne, offrant plus d’opportunité en matière commerciale. Or la deuxième partie est centrée sur les aspects politiques. Sur la disjonction démographique, M. Junot a mis en avant le poids politique de Lille, capitale provinciale, siège de la gouvernance et de la chambre des comptes, ce qui peut expliquer la plus forte attractivité exercée par cette ville, comparée à Valenciennes. Concernant l’archaïsme commercial de Valenciennes, il précise que la cité n’est pas une place financière, ni une ville de foire et qu’elle doit passer par Anvers pour son crédit. Il apparaît donc logique qu’elle ne se dote que tardivement des outils nécessaires au grand commerce. Les sources du xvie siècle ne mentionnent pas le rôle charitable des corporations. La ville, avec l’Aumône générale, remplace sans doute les corps de métiers dans les fonctions d’assistance aux pauvres.

23Mme Cocula, professeur à l’Université de Bordeaux III, exprime d’emblée l’intérêt porté à la lecture d’une thèse qui montre bien la spécificité urbaine de Valenciennes, très différente de Bordeaux. Elle manifeste son admiration pour le travail fourni sur les sources. À cette occasion, elle indique qu’elle aurait aimé avoir plus d’informations sur la méthode utilisée pour la composition du corpus prosopographique ainsi que quelques précisions sur certaines sources spécifiques, comme le greffe des werps, mal connues pour des lecteurs non valenciennois. Mme Cocula évoque les nombreux apports de la thèse de M. Junot. Elle apprécie les comparaisons judicieuses établies avec les villes proches. Elle note aussi que la création de l’Aumône générale montre bien que la paupérisation se manifeste à Valenciennes dès les années 1520, ce qui remet en cause l’image traditionnelle du « beau xvie siècle ». Les relations entre la ville et le pouvoir royal permettent de concilier le renforcement de la tutelle princière avec la conservation d’avantages financiers pour le patriciat. À cet égard, elle se demande si ce « pacte » ne constitue pas, une fois la crise religieuse passée, un frein à la dynamique sociale, la bourgeoisie cherchant à conserver ses acquis.

24M. Junot, invité à répondre, précise la nature financière de ces liens. Grâce à l’émission de rentes, le prince obtient rapidement des subsides, d’autant qu’il y a peu de fiscalité directe. La bourgeoisie, quant à elle, investit dans un placement à long terme car elle avance le capital mais elle touche la rente. Selon lui, ce pacte ne constitue pas un frein car une frange, au demeurant limitée, de la bourgeoisie, vu l’importance des sommes avancées pouvant atteindre 500, 1 000 voire 1 200 livres, se trouve confortée dans ses biens.

25Mme Cocula apprécie que les hiérarchies sociales soient distinguées avec une grande précision. Elle souligne notamment l’intérêt de l’étude sur le patriciat, ces quelques familles qui forment une oligarchie caractéristique des villes européennes. Il est également bien montré comment, dans la seconde modernité, la bourgeoisie perd son rôle de défense de la cité. En guise de réserve, Mme Cocula aurait aimé un rappel de l’héritage médiéval concernant la bourgeoisie. Il lui serait apparu également utile d’avoir un état des lieux du paysage économique au début du xvie siècle et plus de précisions sur le décor de la cité pour en mieux percevoir le quotidien et le vécu. Mme Cocula clôt son intervention en réitérant ses compliments.

26Mme Pelus-Kaplan, professeur à l’Université de Paris VII, exprime, comme Mme Cocula, le plaisir suscité par la lecture de cette thèse et sa satisfaction devant ce regain d’intérêt pour l’industrie et le commerce, champs de recherche qui lui sont familiers. Elle annonce que son intervention associera des compliments et des critiques formulées sous forme de questions, engageant ainsi une discussion avec le candidat. Le plan, selon elle, aurait pu être plus chronologique. La symbiose entre la ville et sa région est bien montrée. Valenciennes élargit ses marchés aux grands ports des Pays-Bas. On perçoit bien qu’il n’y a pas de grands marchands spécialisés dans les blés et qu’en cas de crise ceux du textile interviennent dans le commerce des grains. Mme Pelus-Kaplan interroge le candidat pour savoir si, lors des crises frumentaires, la ville importait des grains ou prenait des mesures de taxation. De même, des troubles éclataient-ils à l’occasion de ces crises ?

27En réponse M. Junot indique qu’il n’a retrouvé qu’un contrat isolé de ravitaillement et qu’en l’absence de sources, notamment des comptes de la ville, il paraît difficile de généraliser les éventuelles importations. La législation échevinale ne mentionne pas de taxation. Les sources n’attestent pas d’émeutes frumentaires, ce qui tendrait à prouver que l’Aumône générale fait bien son travail et réussit à contenir les tensions sociales. Mme Pelus-Kaplan demande si le développement de la brasserie ne serait pas lié à la rupture avec les Pays-Bas du nord. M. Junot répond que le marché local de la bière est protégé et que normalement il n’y a pas d’importation.

28Mme Pelus-Kaplan remarque que la présence à Valenciennes d’un marchand de vin venant de Lübeck constitue une preuve supplémentaire que la circulation des hommes ne s’effectue pas seulement des Pays-Bas vers la Baltique mais aussi en sens inverse. Elle souligne l’étude excellente sur les activités textiles qui présente les différents types d’industrie et la diversité des tissus. Concernant le travail du lin, elle demande des précisions sur l’ancienneté de cette activité à Valenciennes. Le candidat indique que des chartes du xve siècle attestent de l’existence de corps de métiers organisés mais qu’il est difficile d’évaluer leur importance car, avant 1570, il n’y a pas de taxation de leur production. Mais les registres de bourgeoisie laissent apparaître dès 1560 un afflux de mulquiniers, preuve qu’un changement s’opère. Mme Pelus-Kaplan demande vers quelle destination partent les toiles de lin et s’il existe des exportations vers l’Espagne. M. Junot précise que la plupart des toiles partent vers le Nord et qu’en l’absence de sources et particulièrement des registres d’exportation, il est difficile d’avoir une vue d’ensemble des débouchés. Mme Pelus-Kaplan demande si l’on trouve des traces de chambrelans. M. Junot répond qu’il a relevé quelques traces ponctuelles. Un ou deux testaments font état de récompenses accordées à une servante qui file la laine à domicile. Les registres de la Halle-basse, autorité chargée de contrôler les métiers du textile, mentionnent parfois des saisies de fil. Mais il ne semble pas que les métiers aient mené une grande chasse aux chambrelans.

29Mme Pelus-Kaplan interroge le candidat pour savoir si les cabaretiers valenciennois jouent un rôle de courtier ou de créancier comme ils le font fréquemment à Amiens. M. Junot note que certains hôteliers glissent vers le commerce, particulièrement ceux dont les établissements se situent à des points stratégiques, comme la grand-place et le « rivage », lieux de déchargement des chariots et barques. Quant au rôle de prêteur les sources ne donnent pas de traces précises, il apparaît seulement que certains deviennent des fermiers d’impôts.

30Mme Pelus-Kaplan regrette que la formation des marchands ait été présentée trop rapidement et juge excessif le terme d’archaïsme appliqué aux pratiques commerciales des marchands valenciennois. Elle fait remarquer que l’absence de trace de lettre de change, comme c’est également le cas à Amiens au xvie siècle, ne signifie pas qu’elle n’est pas utilisée, se référant au travail de François Crouzet sur le commerce international, paru en 1989.

31Puis, Mme Pelus-Kaplan aborde les questions juridiques, politiques et religieuses. Elle demande si, comme à Amiens, les sayetteurs forment les fers de lance de la révolte calviniste. Le candidat répond que les sayetteurs étant le groupe social majoritaire dans les années 1560, il apparaît logique qu’ils constituent le gros des bataillons calvinistes. Toutefois il n’y a pas forcément d’exclusivité liée à un corps de métier. De même, à l’intérieur des familles, coexistent des opinions religieuses différentes.

32Mme Pelus-Kaplan aurait souhaité avoir des comparaisons avec d’autres villes concernant l’accès à la bourgeoisie, indiquant que dans certaines villes de la Hanse, comme Lübeck, les compagnons ne peuvent pas devenir bourgeois, contrairement à Valenciennes qui apparaît plus démocratique. M. Junot précise qu’à Gand les barrières juridiques et financières limitent l’accès à la bourgeoisie. Mme Pelus-Kaplan invite le candidat à expliciter la notion de « bourgeoisie première ». M. Junot explique que les sources parlent « d’ancienne bourgeoisie » : il s’agit en fait du patriciat noble ou non, fréquentant l’échevinage, possédant des armoiries, et qui représente une cinquantaine de familles considérées comme les plus éminentes de la cité.

33Mme Pelus-Kaplan achève son intervention en rappelant que la thèse présentée par le candidat constitue un travail excellent, extrêmement solide et très intéressant.

34M. Schnerb, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Lille 3, manifeste d’emblée son admiration pour une thèse qui est le fruit d’un labeur immense et qui impose le respect. En qualité de médiéviste, il a été amené à constater qu’à Valenciennes le passage du Moyen Âge aux Temps modernes s’effectue après la flambée huguenote, cause d’un changement dans l’attitude du prince envers les privilèges militaires et judiciaires des bourgeois. M. Schnerb regrette que le passé brillant de Valenciennes au xve siècle n’ait pas été évoqué en introduction. De fait, il rappelle que la ville en réponse aux commandes de la cour des ducs de Bourgogne a été un grand centre de production artistique. C’est à Valenciennes également que, par l’intermédiaire d’auteurs comme Georges Chastellain et Jean Molinet, a été élaborée l’historiographie officielle.

35M. Schnerb signale la qualité de l’imposante et exhaustive bibliographie qui ménage une large place aux publications étrangères. Il attire l’attention du candidat, d’une part, sur la thèse, non publiée, d’Alain Salamagne consacrée aux fortifications de Valenciennes et, d’autre part, sur l’ouvrage de Thierry Dutour qui montre que la société dijonnaise au xive siècle est « une société de l’honneur ».

36M. Schnerb observe que l’histoire démographique est présentée d’une manière solide et prudente, révélant une capacité à exploiter des sources variées et notamment des données chiffrées. Il apprécie que l’étude des institutions ne soit jamais séparée de la chronologie et des événements.

37M. Schnerb regrette que le clergé ne soit pas évoqué dans la présentation des hiérarchies sociales d’une ville qui possède pourtant de nombreux couvents, collèges et églises. Selon lui, alors même que le candidat affirme s’être concentré sur l’étude de la bourgeoisie et avoir délibérément écarté le clergé, ce choix aurait dû être clairement justifié. M. Schnerb trouve excessif de parler de « démilitarisation de la noblesse » suite à la création de compagnies d’ordonnances : celle-ci n’a pas fait disparaître le service féodal mais a entraîné sa réorganisation. La thèse montre bien l’influence du modèle chevaleresque sur les élites bourgeoises après la fondation, en 1520, d’un ordre calqué sur les ordres de chevalerie. M. Schnerb interroge le candidat pour savoir si les courtiers de chevaux forment un corps de métier et s’ils exercent leur activité dans le cadre d’un marché réglementé. M. Junot indique que le courtage de chevaux est un office municipal. Ce commerce, bien que mal connu, semble être lucratif dans les années 1530-1540, répondant aux besoins du transport et de l’armée.

38M. Schnerb félicite à nouveau le candidat pour son excellente thèse dont il espère une publication dans les meilleurs délais.

39M. Lottin, président du jury, commence par dire tout le respect que lui inspire la thèse du candidat qui a eu le courage de s’attaquer non seulement à l’histoire économique sociale et urbaine mais encore à la paléographie du xvie siècle. Par son ampleur, le travail de M. Junot s’apparente à l’ancienne thèse qualifiée par M. Lottin de « chef-d’œuvre réalisé autrefois par les artisans historiens ».

40Le président fait remarquer que les Albums de Croÿ auraient pu être utilisés pour enrichir l’iconographie. Il estime que le clergé aurait dû être évoqué puisqu’il constitue un débouché et une source de revenu pour les bourgeois, et assure un rôle essentiel dans la formation des cadres avec, notamment, le collège de jésuites établi à Valenciennes.

41M. Lottin signale l’importance des privilèges possédés par la bourgeoisie (notamment ceux à caractère judiciaire) et rappelle que les prisonniers pour dettes constituent la majorité des détenus dans les villes à l’époque moderne. Il constate que Valenciennes, même avant la présence du duc d’Albe, n’a pas réussi aussi bien que Lille à conserver son privilège de non confiscation des biens. M. Lottin note que le parrainage des bourgeois n’existe pas à Lille et il se demande si cette pratique constitue une exception valenciennoise. Mme Pelus-Kaplan intervient pour préciser que le parrainage est généralisé dans les villes de la Hanse. M. Lottin, après avoir souligné l’intérêt de l’étude concernant l’Aumône générale, demande si cette institution assure l’exclusivité de la charité distribuée. En effet, il précise que la Bourse commune des pauvres, à Lille, ne prend en charge que la moitié des secours, les fondations privées assurant une part importante de l’assistance. M. Junot convient que les établissements hospitaliers existant avant la création de l’Aumône générale ont continué à assurer leurs fonctions charitables après 1531. Il insiste sur la particularité de l’Aumône générale qui propose une assistance à domicile.

42M. Lottin se demande si le glissement de la consommation du vin vers la bière, outre les différences de prix de ces deux boissons, n’était pas lié non plus à la coupure entre les Pays-Bas et la Bourgogne. M. Junot précise que les vins continuent à circuler mais par des routes différentes. Au Moyen Âge la voie terrestre est la plus empruntée et Valenciennes constitue la porte d’entrée des Pays-Bas. Au xvie siècle, les ports de Flandres deviennent les points de débarquement des vins, la circulation s’effectuant désormais par la Seine puis par voie maritime.

43M. Lottin souligne que la baisse de l’activité textile à Valenciennes est liée aux effets cumulés, d’une part, de l’émigration protestante et, d’autre part, de la reconquête de l’actuelle Belgique. Le déclin de la bourgeoisie de statut est à mettre en rapport avec la croissance de l’État moderne. Épicentre de la révolte contre le roi, Valenciennes en a subi de lourdes conséquences.

44Le président du jury, au terme de son intervention, a salué la très belle « défense » de thèse, selon l’expression usitée en Belgique, menée par M. Junot.

45Après délibération, le jury a déclaré M. Yves Junot digne du titre de docteur en histoire de l’Université de Lille 3 avec la mention très honorable et avec les félicitations à l’unanimité.

Alain Mounier-Khun, Les services de santé militaire et les médecins militaires français pendant la conquête et la pacification du Tonkin et de l’Annam (1882-1896), Université du Littoral-Côte d’Opale, 19 mars 2003

46Le jury était composé de B. Béthouart, professeur d’histoire contemporaine, président, des rapporteurs J.-P. Duteil, professeur d’histoire moderne à Paris VIII et J. Rouffi, médecin général et directeur du service de santé des armées, du directeur de la thèse, P. Villiers, professeur d’histoire moderne à l’Université du Littoral, de X. Boniface, maître de conférences à l’Université du Littoral-Côte d’Opale et de B. Brisou, médecin général et inspecteur de la Marine. La soutenance a eu lieu dans l’amphithéâtre de la Chapelle en présence d’un public de soixante-dix personnes.

Présentation par l’auteur

47M. Mounier-Khun, professeur de chirurgie en retraite et médecin colonel honoraire, rappelle son parcours à l’Université du Littoral-Côte d’Opale : malgré la vingtaine d’articles qu’il avait consacrés à sa spécialité, la chirurgie orthopédique, exercée jusqu’en 1993, il estima que pour devenir un véritable historien de la médecine, il lui fallait reprendre dès le début les études d’histoire. Il se retrouva donc sur les bancs des amphithéâtres en première année, comme « un assez grand ancêtre » et devant des enseignants dont beaucoup avaient l’âge de ses enfants. Après une maîtrise consacrée à la chirurgie de guerre au Moyen Âge, il décida, en septembre 1997, sur les conseils de Patrick Villiers, de se consacrer à l’histoire de la médecine de santé militaire au xixe siècle. M. Mounier-Khun évoque la masse considérable d’archives existant sur le sujet qu’il a choisi : les services de santé et les médecins militaires lors de la conquête du Tonkin de 1882 à 1896. Il décrit la richesse des dépôts d’archives qu’il a assidûment et longuement fréquentés de 1997 à 2002, en particulier : les services historiques de la Marine à Vincennes, Toulon et Brest, le service historique de l’Armée de terre, les archives d’outre-mer à Aix-en-Provence. Il souligne l’intérêt particulier des archives du musée du Val-de-Grâce ou la bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, où peut être consulté l’ensemble des thèses de médecine soutenues entre 1860 et 1900 sur cette question.

48La thèse est divisée en trois parties consacrées aux aspects médicaux, administratifs et humains du sujet. La zone tropicale induit une pathologie médicale et chirurgicale spécifique qui provoque une forte mortalité des soldats malgré des efforts d’hygiène préventive. C’est lors des transports maritimes que se posent les problèmes les moins bien résolus. L’étude de l’organisation des services de santé au port de Hanoï, à Formose et dans la flotte de combat est complétée par celle de l’administration centrale des ministères. Les médecins étudiés par l’auteur sont les acteurs d’une vaste organisation administrative au Tonkin pendant quinze ans. Les dossiers personnels des médecins de la Marine, de l’Armée de terre et des Colonies ont été analysés, de même que l’évolution de l’ensemble du corps de santé : le déroulement des carrières, les espérances de vie d’un métier très exposé à la contagion, la formation, la dispersion des écoles de santé navale qui permirent des progrès importants avec la création de celles de Bordeaux en 1890 et de Toulon en 1894. L’une des questions centrales de la période est de savoir comment ces médecins ont vécu la révolution pasteurienne. Ceux de la Marine, les plus maltraités par l’administration, se distinguent pourtant par leur ouverture aux innovations, en particulier l’usage courant du microscope, devenu l’instrument par excellence de la recherche biologique et médicale. Cet usage est attesté pour Lebreton en 1878 à Saigon et pour le fondateur de l’Institut Pasteur de Lille, Calmette, en 1885.

Compte rendu de la soutenance par Christian Borde

49Patrick Villiers, professeur d’histoire moderne à l’ULCO, directeur de la thèse, évoquant « l’hégémonie du territoire de l’historien », félicite le professeur Mounier-Khun pour la modestie dont il fit preuve, en dépit de ses titres et de son expérience, en se comportant comme un étudiant ordinaire. S’y ajoutent les éloges mérités pour les qualités formelles de la thèse, sa nouveauté, sa langue et son style agréable. Patrick Villiers situe cette thèse dans le cadre de la convention signée entre l’Université du Littoral-Côte d’Opale et les services historiques des Armées, notamment pour des études sur la marine. Avec l’expédition de Crimée, décimée par le typhus et le choléra, l’État semble avoir pris conscience que « l’homme a un coût ». Lors de l’expédition du Tonkin, ce mouvement se poursuit et il ne s’agit plus d’amener la plus grande quantité d’hommes possible dans n’importe quelle condition, mais, comme l’écrit un médecin du temps, de transporter sur place « des soldats pleins de santé ». Le savoir du médecin est venu compléter l’analyse historique et M. Mounier-Khun participe vraiment au renouvellement actuel de l’histoire navale et militaire parce qu’il considère la bataille comme l’affrontement de deux systèmes sociaux, d’autant plus inégaux que la guerre est menée par une puissance impériale. Le résultat est un véritable « travail de romain » : 1 227 pages de texte auxquelles s’ajoutent des annexes nombreuses et, en particulier, les carrières de 130 médecins militaires.

50Laissant aux autres membres du jury le soin de critiquer d’autres aspects du sujet, Patrick Villiers souligne l’intérêt de ce travail sur deux plans : la mise en place des services de santé et le métier de médecin militaire. Dans les années 1880, s’applique toujours le principe inauguré par Colbert de l’appel d’offres concurrentiel dont les lourdeurs se révèlent en cas de guerre. L’incurie de l’intendance se manifeste dans de nombreux domaines : pour obtenir un casque colonial réglementaire, il faut quatre ans de démarche ; les six grammes de quinine distribués aux Européens ne permettent pas de prévenir le paludisme ; la glace destinée à rafraîchir les hommes lors de la remontée de la Mer rouge vers le canal de Suez est prévue à l’aller mais pas au retour. M. Mounier-Khun attribue ces manquements à la mesquinerie de la Chambre des députés qui ne vote pas de crédits suffisants pour ces expéditions. Patrick Villiers évoque ses propres recherches sur l’expédition vers l’Île-de-France en 1782 ou les travaux des historiens navals britanniques sur les transports de troupe pour la période 1830-1850 qui montrent que les taux de mortalité sont comparables à ceux des négriers. On considère que chaque homme peut disposer d’un volume égal à un tonneau soit 1,250 m3. Les trois services sanitaires de l’Armée, des Colonies et de la Marine sont en nombre très inégal. Le dernier est le moins prestigieux socialement comme le montre le faible pourcentage (25 %) de ces membres qui parviennent à épouser des femmes dotées de plus de 50 000 F.

51Bernard Brisou, médecin général inspecteur, responsable du service de santé de la Marine se dit passionné par la lecture des trois gros volumes de la thèse dans lesquels on redécouvre les difficultés des soldats et des marins du passé. Ancien de l’École de santé navale de Bordeaux, il rappelle la bonne conscience cultivée dans l’une des chansons traditionnelles de cet établissement qui parlait de « porter la science au pays des Bantous ». Le général Brisou souligne que le travail de M. Mounier-Khun analyse les relations de la Marine avec ses médecins et le drame de la création du service de santé colonial au sein duquel ceux qui pouvaient donner leur vie en soignant étaient seulement « assimilés ». La loi de 1834 sur l’état d’officier permet aux médecins de devenir, avec retard, partie prenante dans la marine mais au prix d’une division en deux filières : ceux qui embarquent et finissent avec seulement trois galons comme Bérenger-Ferraud, et ceux qui, passant le concours de professeur, peuvent accéder aux grades supérieurs. C’est le cas de George Treille qui devient directeur du service de santé et exerce une grande influence sur Jérôme Bonaparte puis Gambetta. La création du « service de santé des colonies et pays du Protectorat » en 1890 apparaît comme une déchirure profonde puisque les meilleurs de la marine optent pour ce nouveau corps. La séparation du ministère des Colonies de celui de la Marine en 1894 vient confirmer la mainmise de l’Institut Pasteur qui s’empare de toute la pathologie coloniale, accentuant encore les inimitiés entre les médecins de la Marine, qui assistent les troupes au combat et en campagne, et les médecins des Colonies.

52Xavier Boniface souligne que cette thèse est le fruit de nombreux dépouillements et qu’elle procède des histoires coloniale, militaire, sociale, politique et médicale. L’auteur montre les raisons, les caractères et les difficultés de l’alternance des services de santé de la Marine et de l’Armée de terre, puis des Colonies dans l’accompagnement sanitaire des troupes et en tire de passionnantes comparaisons sur leur efficacité respective et en regard des services similaires dans l’Empire britannique. Avec la précision clinique du chirurgien, il décrit les pathologies et les traumatologies selon les lieux (grandes villes, postes isolés et à bord des transports de troupe) ou les unités (contingent, légion, supplétifs) et s’attache à la lexicologie du temps (le « palu » des marins devient « fièvre tellurique » dans l’Armée de terre). Les difficiles conditions de travail du personnel de santé et la grande considération qu’ils montrent pour leurs patients auraient pu être mises en perspective avec les nouvelles problématiques de l’histoire bataille qui insistent sur les représentations du soldat au combat (John Keagan, Olivier Chaline et Stéphane Audoin-Rouzeau). L’analyse de la conquête des Français qui l’emportent à un contre dix confirme celle de Victor Hanson sur le triomphe du modèle occidental au combat, mais les conquérants français ont aussi le souci de soigner les indigènes à la différence des Anglo-saxons qui ne s’occupent pas des peuples colonisés. Il y a là une tradition coloniale et militaire française. Une prosopographie présente judicieusement les origines, le recrutement, la formation et la carrière des médecins même si les dossiers administratifs donnent rarement des indications sur leurs options politiques, religieuses ou philosophiques. De remarquables considérations méthodologiques éclairent la complexité des statistiques des effectifs engagés et du nombre de médecins. Cette thèse apporte beaucoup à l’histoire coloniale, médicale et militaire. D’une impressionnante érudition, sans défauts majeurs dans la forme, elle ouvre de nouvelles et riches perspectives de recherche.

53Jean-Pierre Duteil explique que cette thèse est un « véritable travail d’histoire » puisqu’il s’agit d’analyser la manière dont s’organise un corps de 30 000 soldats, son approvisionnement hospitalier et son rapatriement sanitaire. L’un des problèmes les plus délicats est d’évaluer les pertes et l’impact des découvertes de Pasteur en Asie, complétant les recherches qui existent sur l’Afrique. Le résultat des recherches dans les huit grands fonds d’archives complétés par les sources imprimées est au croisement de l’histoire politique et de l’histoire militaire. Jean-Pierre Duteil insiste surtout sur les conditions de navigation des vapeurs de l’État ou des paquebots des compagnies privées qui ne sont pas conçus pour les missions sanitaires pour lesquelles on les emploie. Les véritables navires-hôpitaux conçus comme tels dès leur construction ne sont lancés que dans les années 1970 ; à l’époque de l’expédition du Tonkin, on n’utilise que des transports de troupes ou des navires à voyageurs sommairement aménagés. L’étude attentive des 118 rapports de mer de ces navires permet à l’auteur de montrer que, malgré ces faiblesses, le pourcentage de décès n’est que de 3,2 %, soit 993 morts sur 30 000 soldats. Ce résultat est dû à trois facteurs essentiels : l’embarquement systématique d’étuves pour la désinfection, la réceptivité des médecins aux idées pasteuriennes et la qualité de leur formation à l’école de Bordeaux après 1890. Le corps de la Marine s’aligne ainsi sur celui de l’Armée de terre.

54Le médecin général Rouffi remercie son « grand ancien » pour ce travail qui donne une idée précise du drame humain que fut cette expédition entre 1882 et 1896 : 2 640 morts au combat et 5 110 blessés. Il rappelle que, pendant la guerre de 1870, douze ans avant, 70 % des blessés mouraient des suites de leurs blessures. Les études pasteuriennes ont permis de mettre en œuvre les pansements antiseptiques à l’acide phénique. La blessure est immédiatement lavée avec ce produit à la relève du blessé et les blessures thoraciques sont pansées avec du collodion chloroformé. Ainsi, grâce à l’application des idées pasteuriennes, il n’y a plus que 11,7 % des blessés qui succombent. Cependant, 18 300 soldats meurent de maladies provoquées par l’environnement hostile, soit 85 % de la mortalité. Ce premier conflit du Vietnam fait découvrir le raffinement du peuple dans la guerre d’embuscade. L’armée des Bodoi, que le général Bigeard avait qualifiée de « meilleure armée du monde » utilise à la fin du xixe siècle des moyens de défense simples mais ravageurs pour le corps expéditionnaire français : blessures par sabre et lance, mais surtout morceaux de bambou taillés plantés dans le sol destinés à traverser les chaussures fatiguées ou les sandalettes des soldats français. Ces blessures au pied, qui nécessitent à terme l’amputation, représentent un taux inédit de 5 %. Les hommes sont constamment épuisés puisqu’ils portent un bagage de quarante kilos, circulent constamment sur les étroites digues des rizières, et sont victimes des sangsues et des coups de chaleur. L’aménagement des postes militaires est réalisé par des soldats amaigris et en état fébrile permanent. Au milieu de ces conditions épouvantables, les principaux dangers restent les maladies infectieuses : le paludisme dont la source est découverte par Lavedan en 1880 et la dysenterie qui provoque des hémorragies. Comme on ne sait pas la traiter, elle provoque des abcès amibiens du foie, mortels pour la moitié de ceux qui en sont atteints. La démarche de l’actuelle médecine de prévention, faire bouillir l’eau de consommation, est difficilement applicable faute d’une intendance efficace. Beaucoup de soldats gardent des séquelles de ces pathologies et les conditions d’un rapatriement de trois semaines à bord de ce qu’il faut bien appeler des « bétaillères » montre la grande résistance de ces hommes dont beaucoup restent invalides une fois rendus en France.

55Bruno Béthouart, président du jury, salue « l’entreprise intellectuelle et le parcours exemplaire et brillant d’un jeune étudiant qui a repris ses études avec l’enthousiasme des soldats de l’An II ». Le professeur Mounier-Khun avait d’abord considéré le sujet proposé par Patrick Villiers comme « assez mince » : une période de 14 années, les seuls médecins, un territoire limité. En fait, le résultat qui est présenté aujourd’hui est pour Bruno Béthouart à la charnière de plusieurs objets essentiels de l’histoire : les institutions, la science, la guerre, le commerce, la civilisation et l’autorité. D’une micro histoire, le candidat a su faire une histoire globale en traitant des hommes dans leur parcours, le rapport d’un groupe professionnel à la politique, le Second Empire qui est à l’origine des développements de la période traitée, l’entreprise coloniale qui apparaît bien comme un dérivatif provisoire pour la Revanche et un enjeu de civilisation pour la France. Sachant se faire très scientifique lorsque cela est nécessaire et très limpide ailleurs, cette thèse examine de nombreuses thématiques. Les enjeux politiques de la colonisation se retrouvent dans l’importance donnée aux budgets et la droite et l’extrême gauche s’allient provisoirement pour casser ce projet. Les personnages clés de la guerre coloniale comme Courbet ou Négrier, influent sur la vie politique française. La chute de Jules Ferry est provoquée au début de 1885 par le succès chinois à Lang-Son. L’auteur a éprouvé quelques difficultés pour évoquer le contexte indigène du service de santé, les relations de l’armée avec les missionnaires ou les responsables économiques installés, mais le bilan de son étude est entièrement positif. Outre le travail d’investigation impressionnant, la clarté de la présentation, ont été ouverts les débats sur la médecine et ses pratiques chirurgicales, agressives ou conservatrices, les débats politiques et les progrès de la logistique militaire face à la supériorité des Britanniques. En étudiant de si près l’évolution d’une organisation essentielle à une armée moderne, celle de son service de santé, le professeur Mounier-Khun a fait la part belle à l’histoire de la médecine et à l’Histoire.

56Après en avoir délibéré, le jury décerne à M. Mounier-Khun le titre de Docteur en histoire, et lui attribue la mention très honorable avec félicitations du jury.


Date de mise en ligne : 01/10/2014

https://doi.org/10.3917/rdn.350.0409

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.169

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions