Couverture de RDN_349

Article de revue

Société d'histoire du droit et des institutions des pays flamands, picards et wallons

Pages 183 à 199

Journées internationales d’Utrecht. 9 au 12 mai 2002

1C’était à l’invitation du doyen de la faculté de droit, M. Adriaan Dorresteijn, que la Société s’assembla à Utrecht. Il s’agissait d’un retour à cette ville épiscopale, toujours empreinte de son passé médiéval, où le congrès de la Société eut lieu déjà en 1983, sous la présidence du professeur G.C.J.J. van den Bergh.

2Alors, les séances de travail se tenaient dans la salle du chapitre cathédral, haut lieu de l’histoire des Pays-Bas puisqu’en 1579 l’Union d’Utrecht y fut conclue, traité qui fonctionnait comme constitution de la République des Provinces-Unies. En 2002 le congrès se déroulait dans les bâtiments de la faculté de droit, Achter Sint Pieter 200, nom de rue qui rappelle qu’on s’y trouve dans l’ancien enclos de l’église Saint-Pierre, magnifique bâtiment en style roman du xie siècle. Au xvie siècle Adriaan Floriszoon, précepteur de Charles Quint, était prévôt de Saint Pierre et fit construire une maison qui existe toujours. Son nom « maison du pape » rappelle le bref et malheureux pontificat (1522-1523) d’Adriaan Floriszoon (Adrien VII) qui soupira qu’il valait mieux être prévôt de Saint Pierre à Utrecht que d’être cardinal ou même pape à Rome ! Aux xviie, xviiie et xixe siècles des maisons construites en annexes à la « maison du pape » constituèrent un complexe où les états provinciaux ont siégé aux xixe et xxe siècles. Ce complexe ayant passé aux mains de l’Université, c’était dans l’ancienne salle d’assemblée des états que nos séances de 2002 se tenaient. Au jour de l’Ascension les membres de la société eurent l’occasion de faire la connaissance d’Utrecht par une promenade en bateau. On y suivait le fossé de l’enceinte médiévale pour emprunter ensuite le « vieux canal » (Oude Gracht), branche ancienne du Rhin qui rappelle les origines d’Utrecht comme forteresse frontalière romaine. Ce cours d’eau est marqué par des quais qui depuis longtemps font service de terrasse de café. Comme il faisait très beau les congressistes cheminaient sur l’eau parmi une assistance nombreuse et joyeuse. Ce pronostic ne nous a point trompé. En effet pendant ces journées la ville et les environnements nous ont présenté leurs agréments de manière à faire comprendre les soupirs pour sa ville natale du pape Adrien VII.

3La réception au musée de l’Université au jour de l’Ascension nous avait déjà introduit à l’histoire de l’Université, étroitement liée à celle de la ville puisqu’elle était fondée en 1636 par le magistrat. Le vendredi 10 mai l’introduction à l’histoire de la ville et de l’Université par M. Th. H.M. Verbeek y fit suite. À la fin de cette journée la visite du musée « Van Speeldoos tot Pierement » (« De la boîte à musique aux orgues de barbarie ») nous fit connaître aussi bien la collection de ce musée voué aux instruments de musique mécanique que sa demeure, l’église « des voisins » (Buurkerk), c’est-à-dire la plus ancienne église paroissale des citoyens d’Utrecht. Cette visite nous étant offerte par la commune nous y fumes reçus par le maire-adjoint M. T. Gispen qui dans son allocution souligna les bonnes relations entre la ville et l’Université. La visite de la collection du musée, conduite par son directeur, M. H.M. Blankenberg, fut beaucoup appréciée par le congrès. L’enthousiasme, voire la fougue, démontrée par M. Blankenberg en firent une expérience remarquable. Une collation offerte par la ville termina le programme de ce jour.

4Le samedi 11 mai les séances de travail reprirent. Un vin d’honneur offert par la faculté de droit marqua la fin des communications dans le thème. L’après-midi les communications hors thème furent présentées.

5À l’assemblée générale de la société nous eûmes le triste devoir de commémorer notre collègue et ami, M. M.J. Van Lennep, décédé le 13 mars. Maurits Van Lennep (1921-2002) était depuis longtemps parmi les fidèles de notre société. Ancien archiviste de Leeuwarden il avait des connaissances profondes sur l’organisation du gouvernement local aux Pays-Bas. Une décision remarquable prise par l’assemblée porta sur l’usage de l’anglais pour les communications présentées par des non-francophones. Le français et le néerlandais étant « langues nationales » de la société on y admettra désormais en principe aussi l’anglais si l’usage d’une autre langue paraît nécessaire.

6Le soir on se retrouva au bâtiment principal de l’Université (Academiegebouw). La construction de ce bâtiment, don à l’Université des citoyens d’Utrecht à l’occasion du 250e anniversaire de celle-ci, a été l’enjeu d’un débat âpre sur le style à adopter. Le style gothique étant considéré trop « catholique », ce fut le style renaissance qu’on adopta comme représentant « les traditions nationales et protestantes ». Ce bâtiment adjacent à la cathédrale s’en démarque donc nettement. C’est dans la salle du sénat qu’eut lieu le banquet de clôture des Journées. Cette salle est ornée d’une série remarquable de portraits de professeurs de l’Université d’Utrecht, allant du premier recteur Gisbertus Voetius jusqu’au milieu du siècle passé. C’étaient donc quatre siècles de vie académique qui regardaient la remise de la présidence de la société par le président sortant, M. C.G. Roelofsen, professeur à l’Université d’Utrecht, à Mme R. Martinage, professeur émérite de l’Université de Lille II.

7L’excursion du dimanche nous fit visiter d’abord la forteresse Hoofddijk, faisant partie de la ligne de défense nationale établie au xixe siècle. Cette place forte et ses boulevards ont été aménagés pour les jardins botaniques de l’Université. Comme le temps nous souriait toujours, cette visite mi-historique, mi-botanique nous permettait d’apprécier le paysage des environs d’Utrecht, où les prés et les bocages se succèdent. L’ancien village de Doorn (dont le nom ferait allusion au Donar, dieu germanique du tonnerre) est une des perles dans cette région souriante. Doorn est surtout connu comme le lieu d’exil du dernier empereur allemand, Guillaume II. Ce monarque qui s’affichait comme chef militaire dans la tradition prussienne était en même temps fort marqué par son héritage anglais. On sait qu’il était petit-fils de la reine Victoria qui mourut dans ses bras. On retrouve au château de Doorn un mélange assez curieux et caractéristique provenant des collections historiques des Hohenzollern et du mobilier des palais de Berlin. Entre autres, il y a la collection de tabatières de Frédéric II, allié fort inconstant de Louis XV pendant la guerre de la succession autrichienne. Nos collègues français trouvèrent donc à Doorn ce roi de Prusse au seul profit duquel selon le proverbe la France aurait alors travaillé.

8La visite de Doorn termina ces journées. La Société se félicite d’avoir trouvé à Utrecht un séjour agréable et en remercie la faculté de droit qui s’est chargée de l’organisation du congrès.

9? une université et une ville : quelques aperçus sur l’histoire de l’université d’utrecht.

10M. Theo Verbeek,

11professeur à l’Université d’Utrecht.

12? l’université de louvain, fille de rome ou corps brabançon ? les élites universitaires et le pouvoir sous le règne des archiducs albert et isabelle 1598-1621.

13Dans son article « De Brabanticiteit van de Leuvense Universiteit op het einde van de 18e eeuw », Jan Roegiers aborde le problème du statut juridique de l’Université de Louvain comme il s’était posé à la veille de la Révolution brabançonne (Roegiers, 1977). Fondée en 1425 par le pape Martin V, à la demande de la ville de Louvain, du chapitre de Saint Pierre et du duc de Brabant (Nelissen, 2000), l’Université se définit trois siècles plus tard comme corpus Brabanticum dans sa révolte contre les réformes de Joseph II. C’est la première fois, d’ailleurs, que l’argument de la « brababanticité » de l’Université est utilisé d’une façon aussi explicite. Quelques années plus tôt, une ordonnance impériale avait supprimé les privilèges pontificaux de nomination de l’Université et de la faculté des arts, tout appel à Rome étant déjà impossible dès la deuxième moitié du xviiie siècle.

14L’ancienne Université était-elle alors essentiellement une fondation pontificale, soumise directement au Saint-Siège ; une institution princière, soumise aux ducs de Brabant, un corps brabançon ou une institution nationale ? Les arguments pour et contre chacune de ces représentations ont été développés pendant plus de cinq siècles, avant et après la suppression de l’ancienne Université, en 1797 d’abord par les intéressés eux-mêmes, et après 1797 par les historiens. Tous ont essayé de trancher la question d’une façon ou d’une autre, et tous ont échoué à donner une réponse satisfaisante. Les travaux des historiens (Van Waefelghem, 1911, Camerlyncks, 1927, Elas, 1931, Vandermeersch, 1997) sur la visite de l’Université de Louvain (1607-1617) — l’un des épisodes considérés généralement comme crucial pour l’évolution du statut juridique de l’ancienne Université — ne traitent généralement que deux périodes (1607 et 1617) où la légitimation de la visite est l’enjeu de réparations juridiques heurtantes, prononcées respectivement par la curie romaine et les légistes du conseil privé. Pour eux, la visite est avant tout un moment héroïque de la lutte entre « le sacerdoce » et « l’empire ». En résumé, on pourrait dire que, sans avoir capté le contexte des négociations subtiles entre les parties concernées pendant la décennie qui mène à la promulgation du texte de la visite en 1617, ces auteurs ont pris les assertions des contemporains qui devaient la légitimer (l’Université est en piteux état ; elle est soumise directement à la juridiction du duc de Brabant ou, le cas échéant, à celle du Saint-Siège) pour une explication.

15Le but de cette communication est de démontrer que le problème du statut juridique de l’Université est insoluble parce que ce problème est mal défini. Même l’assertion récente selon laquelle l’Université, sous l’Ancien Régime, serait une institution sui generis qui ne peut être définie comme institution ecclésiastique ni séculière (Roegiers, 1990), se situe, à mon avis, toujours dans cette tradition, malgré ses mérites par rapport aux définitions partisanes précédentes. En effet, on a essayé d’utiliser les références nombreuses à une tradition juridique séculaire et hétérogène, c’est-à-dire les légitimations ad hoc, développées au cours de multiples débats, pour définir un fait social soi-disant objectif — l’Université, le monde académique, les universitaires, dans leurs rapports avec « le pouvoir » — qui existerait indépendemment des acteurs historiques qui l’invoquent. Si ceux-ci développent des stratégies (la « pratique ») déviantes vis-à-vis de leur discours (la « théorie » juridique, morale, intellectuelle…, éternelle, ésotérique, distincte de la pratique), on les accuse alors d’opportunisme (cf. par exemple, Boute, 1998) ou de mesquinerie (cf. de nombreux historiens du jansénisme à Louvain).

16Une lecture différente, inspirée de récents travaux de sociologie des sciences et des scientifiques (entre autres Latour et Callon, 1984-1986, Biagioli, 1993), des résultats d’une recherche empirique et propédeutique de la politique académique au début de la Contreréforme dans les Pays-Bas archiducaux, permet à mon avis de mieux situer le discours juridique entre les ressources économiques, culturelles, sociales et symboliques en jeu. Il en résulte qu’aucun statut juridique de l’Université, des professeurs et des étudiants n’existe hors de la constellation concrète où il est mobilisé par des acteurs concrets avec des attitudes et des intérêts concrets, dans un réseau socio-politique d’action et de communication qui dépasse largement les frontières institutionnelles du monde académique. Dans le cas étudié, on pourrait dire, en résumant, que l’Alma Mater n’était pas visitée par des représentants des élites du pouvoir en Brabant parce qu’elle était brabançonne. Elle était brabançonne du fait que des représentants des élites du pouvoir en Brabant l’ont visitée — et s’y sont proprement intéressés (cf. Callon, 1986).

17M. B. Boute,

18assistant à la Katholieke Universiteit de Leuven.

19? professeurs universitaires : citoyens ou étrangers ?

20Dans la littérature juridique du Moyen Âge et des Temps modernes on retrouve parfois l’idée que les docteurs enseignants devaient être considérés comme citoyens du lieu où ils enseignaient publiquement. Ce privilège était basé sur le principe qu’on devenait citoyen du lieu où l’on recevait un salaire public ou où l’on servait le public, comme cela s’appliquait aux soldats. D’autre part, il y a moins de consentement sur le fait si les docteurs juristes et médecins pratiquants dans la ville avaient les mêmes droits dans la ville où ils exerçaient leurs métiers. Le plus souvent on trouve la règle que seulement les citoyens de la ville avaient le droit d’entrer dans les collèges professionnels locaux et avaient en conséquence le droit de pratiquer. Autour des privilèges des docteurs, ainsi qu’autour du droit de citoyenneté existe donc encore beaucoup de confusion.

21En ce qui concerne la situation des enseignants universitaires en Italie entre les xive et xvie siècles, mes recherches montrent qu’en pratique les docteurs ne jouissaient pas du tout de ce privilège et qu’ils n’étaient point considérés comme des citoyens. Les statuts universitaires et municipaux faisaient généralement la différence entre enseignants citoyens (cives) et étrangers (forenses). En réalité, le droit des enseignants d’exercer certaines fonctions académiques dépendait largement de leurs origines géographiques. Dans quelques villes, il était défendu aux docteurs étrangers d’occuper les chaires les plus importantes, dans d’autres villes, au contraire, ces chaires leur étaient réservées. Dans plusieurs villes, les docteurs étrangers n’étaient pas admis dans les collèges doctoraux locaux ou seulement sous certaines conditions.

22Dans ce contexte, il faut se poser les questions : « Qui est citoyen ? », « Comment devient-on citoyen ? » La législation dans ce domaine n’était pas univoque, de ville en ville, la notion de « citoyen » pouvait varier.

23Cette différente interprétation de la notion de « citoyen » ainsi que les différentes interprétations des droits et privilèges du docteur ont souvent créé des conflits entre les différentes parties intéressées : collèges doctoraux, autorités municipales ou princières et professeurs. Surtout, l’attitude des collèges locaux prévalait dans la plupart des villes ; ce sont eux en particulier qui semblent avoir décidé des droits et carrières des professeurs étrangers. En second lieu, les autorités prenaient des décisions décisives à ce sujet : quelques villes accordaient facilement la citoyenneté aux professeurs qui avaient enseigné pendant plusieurs années dans la ville, d’autres ne le faisaient presque jamais. La situation des docteurs pouvait aussi avoir des conséquences pour leurs fils. Selon certains jurisconsultes, le fils d’un docteur était considéré comme citoyen de la ville où son père enseignait au moment de sa naissance. L’exemple de Bologne montre, cependant, que cela n’était pas toujours le cas et qu’il y avait souvent des discussions sur le nombre de générations qui devait avoir habité la ville.

24En prenant l’exemple des villes universitaires de Bologne et Padoue, deux villes qui suivaient une politique tout à fait différente et presque opposée vis-à-vis des enseignants étrangers, j’ai l’intention d’analyser les principaux points de discussion et de voir quels étaient les droits des enseignants étrangers, à la base des statuts des deux villes et Universités mentionnées.

25Mme A. de Coster,

26Université de Gand, aspirant du Fonds de la recherche scientifique.

27? les professeurs de la faculté de droit de douai pendant la révolution.

28L’Université de Douai fut créée par lettre de Philippe II, en date du 19 janvier 1561. Elle comprenait cinq facultés : théologie, médecine, droit civil, droit canon, arts. Les Professeurs des Facultés utriusque juris sont au nombre de six à partir de 1573. Après la conquête française, Louis XIV institue un concours pour le recrutement des professeurs de la Faculté de Droit. L’installation du Parlement de Flandre à Douai en 1713 accroît l’importance de la Faculté de Droit. Les traitements des professeurs et leurs obligations furent révisés et précisés plusieurs fois au cours du xviiie siècle.

29La Révolution semble ne pas avoir été mal accueillie à la Faculté. La plupart des professeurs décidèrent de la servir, en acceptant des fonctions politiques, locales ou nationales. Pourtant, cette période 1789-1791 fut très malheureuse pour eux. Ils furent destitués et remplacés par une nouvelle équipe professorale éphémère de 1791 à 1793.

Les années 1789-1791 : de l’engagement politique à la destitution et aux drames personnels

30Avant la Révolution, certains professeurs s’étaient dévoués au service de leurs concitoyens, dans des fonctions municipales, ils s’étaient montrés ouverts aux idées nouvelles, en adhérant à la franc-maçonnerie par exemple. La Révolution ayant créé de nombreuses fonctions électives, au niveau national et au niveau local, les professeurs les brigueront d’autant plus que Douai est le siège et le chef-lieu des nouvelles collectivités territoriales : commune, district, département.

31Simon de Maibelle, professeur très brillant, est élu premier député du tiers-état du bailliage de Douai, aux états généraux. Mais, dès fin 1789, l’évolution politique de l’Assemblée lui déplaît, il démissionne et rentre à Douai. Bonnaire devient maire de Douai en 1790. Mais, à cause de l’insurrection dite des « goulottes » en mars 1791, émeute frumentaire qu’il n’a pas su maîtriser, il est menacé d’arrestation et de jugement. Il s’enfuit à temps, et part pour l’exil. Despres est conseiller général en juillet 1790. Mais il n’est pas renouvelé à ce poste, en août 1791. Comme Bonnaire, son collègue au barreau, il subit la suppression du titre d’avocat et perd cette occupation professionnelle.

32C’est alors que la loi du 22 mars 1791 impose aux enseignants le serment civique. Les professeurs de droit le refuseront, car le serment impose fidélité aux lois votées depuis 1789, et parmi celles-ci se trouve la constitution civile du clergé, qui suscite leurs réticences. En conséquence du refus de serment, ils sont déchus de leur poste.

33Leur destin fut ensuite plus ou moins tragique. Bonnaire mourut en exil, en 1795. Simon de Maibelle tout comme Despres, furent inquiétés en raison de leur résistance au serment. Simon de Maibelle fut incarcéré sous la Convention mais relâché, il devait décéder peu après. Despres rencontra encore une autre difficulté, le certificat de civisme lui fut refusé, or cette pièce était nécessaire à l’exercice des fonctions de défenseur officieux, dans lesquelles il s’était reconverti. Considéré comme suspect, il fut incarcéré, puis libéré. Son destin fut plus heureux ensuite, surtout après l’an VIII et il meurt comblé d’honneurs en 1820.

Le recrutement massif et hâtif en 1791-1792 de nouveaux professeurs, pour remplacer leurs collègues déchus

34Le décret du 15 avril 1791 chargea les directoires de département de remplacer les professeurs déchus. C’est ainsi que sept personnes furent nommées pour occuper les cinq postes vacants. En effet, à peine nommés, certains démissionnaient aussitôt car ils venaient d’obtenir un mandat électif, judiciaire ou politique.

35La qualité scientifique des nouveaux n’égalait pas celle des anciens. Avocats au Parlement de Flandre, ils n’étaient pas docteurs en droit et n’avaient pas préalablement enseigné, à l’inverse de ceux qui avaient été recrutés avant la Révolution. Le critère politique avait été déterminant dans leur désignation. Notamment, ils avaient accepté le serment civique. Certains, d’ailleurs, se montreront actifs sous la Terreur.

36Les nouveaux exercèrent leurs fonctions dans une Faculté en déclin. Les étudiants la désertaient. L’Université avait perdu son indépendance morale et financière, elle cessa ses activités en 1792. La plupart des éphémères professeurs se reclassa dans la magistrature élue, puis dans la magistrature nommée dès l’an VIII. En conséquence, plusieurs, considérés comme bonapartistes, furent éliminés par la Restauration dès 1815, bien qu’ils appartinssent au siège.

37Quant à l’Université, condamnée par le décret du 15 septembre 1793, elle survécut en théorie jusqu’à la création des écoles centrales, où l’on enseignait le droit, par la loi du 7 ventôse an III. Ensuite, les écoles de droit seront rétablies par Napoléon en 1806. Douai obtiendra la création d’une Faculté de droit par le décret du 28 avril 1865, avant le transfert de celle-ci à Lille, en 1887.

38Mme R. Martinage,

39professeur émérite de l’Université de Lille II

40président de la Société.

41? suppôt ou bourgeois à louvain : une frontière contestée.

42En signant la bulle d’érection de l’universitas louvaniensis, Martin V créa un nouveau corps social dont les membres furent désignés comme suppositi ou suppôts. Ce projet ne fut pas du tout original. La societé médiévale fut composée de nombreuses universitates de nature très différente. Néanmoins, les problèmes qui se posèrent concernant les suppôts de 1’Université furent causés pour la plupart par le caractère spécifique d’une universitas studiosorum et les circonstances locales à Louvain. L’importance du statut de suppôt vint des privilèges juridiques et fiscaux accordés en 1425 et plus tard. Une position sociale avantageuse pour les suppôts en fut la conséquence, mais aussi des frictions continues avec la ville de Louvain. Une délimitation de l’universitas s’imposa.

43La bulle d’érection énuméra les différents groupes de suppôts de l’Université : les docteurs, les maîtres, les étudiants, les membres (membra) et leurs serviteurs. Les conflits entre ville et Université exigèrent une description plus précise de ces différentes catégories. Après une période dans laquelle un compromis se forma, ces règles furent enfin enregistrées dans la Visitatio de 1617. La visite ne fut quand même pas la fin de l’évolution. Après la crise du siège de la ville en 1635, un nouvel accord fut conclu par lequel les suppôts furent divisés en deux catégories : ceux qui jouirent de tous les privilèges et libertés et les « kleyne gevrijden » (« les petits libérés »), obligés de faire leur contribution aux impôts des États de Brabant mais exempts des charges communales. Souvent, ces dispositions générales ne suffirent pas quand il s’agit de juger si une personne fut oui ou non suppôt de 1’Université. Comme le statut de suppôt fut temporaire, les questions suivantes sont les plus évidentes : comment acquit-on ce statut et comment put-on le perdre ? Dans les statuts de 1’Université, il fut stipulé que l’acquisition du statut de suppôt et la jouissance des privilèges qui en suivit, furent rattachés à 1’inscription dans les matricules. Les sources nous montrent qu’en réalité, les liens entre le statut de suppôt et 1’inscription ne furent pas si strictes. Nombreux furent les étudiants-suppôts qui ne furent pas inscrits dans les matricules. Les membres des familles des suppôts, qui jouirent aussi des privilèges, ne furent pas inscrits non plus.

44Le problème de la perte ou fin du statut de suppôt est encore plus compliqué parce que les statuts de 1’Université sont assez imprécis sur ce sujet. On put perdre le statut de suppôt en ne se présentant pas quand on fut assigné par le tribunal rectoral. La perte de la jouissance des privilèges fut aussi une peine assez commune, prononcée par le recteur. Des conditions furent posées aux différents groupes de suppôts : les étudiants durent assister aux leçons régulièrement, les professeurs et licenciés ne purent pas exercer une profession contraire à leur statut d’hommes de lettres et le commerce fut strictement défendu à tous suppôts. En principe, les suppôts qui n’appliquèrent pas les consignes perdirent leurs privilèges. En réalité, 1’Université protégea assez souvent des suppôts qui exercèrent une profession non admise ou les suppôts-commerçants.

45Ce manque d’un cadre législatif précis, l’administration très incomplète d’une communauté aussi dynamique que celle des suppôts, et ce laisser-aller de la part de 1’Université, eurent comme conséquence des conflits quasi continuels entre la ville et 1’Université. Puisque ni le banc scabinal ni le tribunal rectoral ou le conservateur des privilèges n’étaient reconnus comme tribunaux compétents par les parties, une cour de justice supérieure dut juger et fixer cette frontière contestée entre suppôt et bourgeois. Mais sur ce niveau aussi il y eut des problèmes : dans la plupart des cas, le Conseil de Brabant fut consulté mais le gouvernement central voulut aussi y exercer son influence. Surtout au xviiie siècle, le gouvernement central remplaça le Conseil de Brabant comme arbitre pour ces conflits frontaliers à Louvain.

46M. D. Lanoye,

47boursier du Fonds de recherches à la Katholieke Universiteit Leuven.

48? la justice et les étudiants. privilèges et réclamations au xixe siècle à utrecht.

49M. Pieter ‘t Hart,

50professeur honoraire de l’Université d’Utrecht.

51? 170 ans d’enseignement militaire à bruxelles : le statut de l’école militaire de 1831 à 2001.

52Très rapidement après son accession au trône, en 1831, le Roi Léopold Ier décréta un arrêté concernant la formation des officiers de son armée. Des « cours de mathématiques et de différentes branches de l’art militaire » seraient enseignés à Bruxelles, en attendant la formation d’une école militaire. Cette création d’une « École militaire » se ferait en 1838. L’enseignement fut confié à des professeurs militaires et civils. Les élèves, admis par voie de concours et devant payer une pension pendant leur premier cycle d’études, étaient divisés en deux sections : les élèves destinés à la cavalerie, l’infanterie et la marine, qui suivaient une formation de deux ans, et les élèves destinés aux armes spéciales (l’artillerie et le génie), qui suivaient une formation de quatre ans. Dès la création de l’école militaire, elle fut considérée comme une école supérieure de l’État et son personnel avait un statut similaire au personnel des Universités de l’État. Ses professeurs ne pouvaient enseigner dans d’autres institutions que dans celles de l’État et devaient avoir le grade de docteur dans la branche qu’ils enseignaient, ainsi qu’il fut exigé dans les Universités de l’État. L’adoption d’une loi sur le corps enseignant des Universités de l’État fut systématiquement suivie d’une loi relative au personnel enseignant civil de l’école militaire, appliquant le statut des professeurs des Universités de l’État aux professeurs de l’école militaire. Dès 1933, les officiers ayant suivi la formation de l’artillerie ou du génie de l’école militaire étaient autorisés à porter le titre d’ingénieur civil s’ils quittaient l’armée. En 1965, une modification à la loi sur la protection des titres d’enseignement supérieur accorda aux élèves ayant suivi les études des armes spéciales (dénommée entre-temps la « section polytechnique ») le droit de porter le titre d’ingénieur civil au même titre que les étudiants issus des Universités du pays, et ce indépendemment du fait qu’ils restaient à l’armée ou non, et aux élèves issus de la section « toutes armes » (dont la durée des études avait progressivement été portée à quatre ans) celui de licencié. La loi sur les titres d’enseignement supérieur prenait ainsi en compte la situation de fait à l’école militaire. De fait, une loi, adoptée en 1967, dut encore régulariser la situation dont avait tenu compte la loi de 1965. Les dénominations d’École royale militaire (ERM) et des sections Polytechnique et Toutes Armes, utilisées sans base légale depuis plus de vingt ans, furent ainsi enfin inscrites dans la loi, tout comme il fut mentionné explicitement que l’ERM était un établissement d’enseignement supérieur. La durée des études, portée depuis des années à 5 ans pour les polytechniciens et à 4 ans pour les élèves de la section « Toutes Armes », fut reconnue par la loi, qui imposa par ailleurs que le programme d’études comprendrait, pour la section polytechnique, le programme des examens universitaires pour les grades d’ingénieur civil et pour la section « Toutes Armes », un programme du même niveau que celui des études universitaires conduisant au diplôme de licencié. Depuis la loi du 22 mars 2001, finalement, 1’ERM jouit de la personnalité juridique (accordée depuis bientôt un siècle aux Universités), et ses sections s’appellent « facultés », dispensant une formation dont le programme doit être équivalent à ceux des études universitaires menant aux grades universitaires d’ingénieur civil et de licencié dans le domaine des sciences politiques, sociales ou économiques qui est calculé en semaines de cours académiques. Elle n’est plus seulement « destinée à former des officiers pour les forces armées », mais « chargée de la formation académique, militaire, sportive et caractérielle des élèves » (qui ne doivent d’ailleurs plus nécessairement avoir la qualité de militaire). « L’Université militaire » est un fait…

53M. S. Horvat,

54assistant à la Vrije Universiteit Brussel.

55? oldenbarnevelt, étudiant à padoue et sa bulle de docteur en droit.

56M. A.L. Tervoort,

57maître de conférences à la Vrije Universiteit Amsterdam.

58? l’université de douai au xvie siècle : un corps privilégié à la conquête de sa juridiction.

59Fondée en 1561 par le roi Philippe II et le pape Paul IV en vue de contrecarrer l’hémorragie protestante qui menace alors les Pays-Bas, l’Université de Douai est dotée d’une grande autonomie et de multiples privilèges. À ce titre, elle se voit accorder un véritable droit de juridiction, contenu dans l’article IV des lettres d’érection accordées par Philippe II à l’Université le 19 janvier 1561, article qui édicte le principe suivant :

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Lesd. Recteur et Université auront l’entiere jurisdiction, tant Civile que Criminelle sur lesdits Docteurs, Licenciez, Bascheliers, Estudians, Escoliers et tous autres suppostz dicelle Université, sans que Nous, nos Officiers & Justiciers ou ceux de la Loy de ladite Villle ayent, ou puissent avoir aucune connoissance sur eux.

61Si l’on retranscrit cette disposition dans notre langue du xxie siècle, on comprend que le Recteur et l’Université disposent de l’intégralité de la juridiction, civile et pénale, sur les étudiants, professeurs et autres membres de l’Université. C’est là une véritable juridiction d’exception qui est érigée.

62C’est le Recteur qui est chargé, en première instance de rendre la justice universitaire. Les décisions de ce dernier sont susceptibles d’appel devant le « tribunal des cinq juges », composé de membres issus des différentes facultés composant l’Université. En dernier ressort, une contestation est également possible au nonce ou au pape.

63L’Université dispose donc de moyens pour exercer ce droit de juridiction qui lui a été accordé. Cependant, un problème va très rapidement se poser : quelles sont les personnes pouvant se prévaloir de ce privilège du for ? Car les lettres d’érection restent évasives sur le sujet, particulièrement dans la formule et tous autres suppostz dicelle université : que faut-il entendre par le terme suppôt ? Quelles personnes désigne-t-il ? La pratique retient comme critère l’immatriculation. Sont considérées comme suppôts les personnes ayant satisfait à l’obligation d’immatriculation, c’est-à-dire à l’inscription sur le registre de l’Université détenu par le Recteur. Par ailleurs, cette qualité de suppôt se prouve au moyen de certificats d’immatriculation délivrés par le Recteur et authentifiés du sceau de l’Université.

64Mais cette juridiction universitaire ne tarde pas à être contestée et dénoncée. En effet, si le pouvoir royal accepte de bonne grâce d’abandonner une partie de sa compétence judiciaire, il n’en va pas de même pour l’Échevinage douaisien. Certes, la Ville a grandement favorisé l’érection d’un pôle intellectuel sur son sol, mais sans jamais avoir à l’esprit que cela impliquerait la perte d’une partie de sa juridiction séculaire. Le Magistrat douaisien entre alors en conflit ouvert avec le Recteur afin de tenter de limiter le plus possible la justice rectorale et tous les arguments sont utilisés pour agrémenter ces conflits de juridiction : contestations de la qualité de suppôt, contestations de la nature de l’infraction, erreurs de procédure, domaine privilégié de la compétence exclusive de ceux de la Ville… Les batailles judiciaires entre les deux institutions sont parfois tellement âpres que le pouvoir royal est appelé pour les trancher.

65Ces querelles Université-Échevinage vont occuper toute la seconde moitié du xvie siècle, se poursuivre au xviie où elles se feront plus rares, et finalement disparaître au Siècle des Lumières.

66Mme S. Castelain,

67doctorante à l’Université de Lille II.

68? le procès héritiers issaac vossius vs université leiden — un exemple de laesio enormis dans les notes des conseillers bijnkershoek et pau.

69Dans ma thèse intitulée : « Aspekte der Rechtsprechung des Hohen Rats von Holland, Seeland und West-Friesland im Zeitraum von 1704-1787 » je me suis occupé des arrêts du Haut Conseil et de ses motifs en rapport avec quelques questions de droit. Les principales sources ont été les Observationes tumultuariae de Comelis Van Bynkershoek et la même œuvre de Willem Pauw. Ces deux livres sont d’une importance exceptionnelle parce que leurs auteurs sont les seuls à nous faire comprendre les délibérations et les considérations des conseillers hollandais du xviiie siècle. Dans la période de 1704 à 1787 le Haut Conseil a été obligé de décider 7 cas de laesio enormis, afin de révoquer un contrat ou de réduire le prix à cause de lésion de plus de sept douzièmes (ultra dimidium decepti). Déjà dans l’Observatio n° 62 le Conseil a développé une motivation spécifique, dans le cas des héritiers du libraire Vossius contre l’Université de Leyde. Ce cas peut servir d’exemple pour la connaissance du style et de la composition des observations.

70Suivant le testament du libraire Vossius, ses héritiers devraient vendre toute sa bibliothèque cataloguée et ses manuscrits extraordinaires à une Université. En 1690, après de longs pourparlers, l’Université de Leyde leur offrait 33 000 F pour la bibliothèque et le contrat de vente fut conclu. Les clauses du contrat prévoyaient que la bibliothèque serait transmise aux dirigeants de l’Université dans l’état où Vossius l’avait possédée et organisée. Les titres et le nombre de livres étaient détaillés dans le catalogue. Dans le cas où certains livres manqueraient, on ferait un décompte du prix relativement à la valeur des livres manquants. Les acheteurs payaient seulement une partie du prix de vente et ils refusaient de payer plus. Ils demandaient de faire annuller le contrat de vente et la restitution de la somme payée (restitutio in integrum), respectivement de réduire le prix (actio quanti minoris) jusqu’au niveau de la valeur réelle des livres. Par conséquent les dirigeants de l’Université furent accusés devant la Cour de Hollande et puis devant le Haut Conseil afin de les faire condamner à l’exécution entière du contrat et notamment au paiement complet du prix de vente. Les curateurs de l’Université se défendaient disant qu’ils avaient été trompés parce que les héritiers n’avaient livré qu’une partie des livres et manuscrits et que ces manuscrits étaient dans un état lamentable. De plus, il y avait des manuscrits qui n’avaient pas été catalogués. Par conséquent, la valeur des livres et manuscrits ne dépasserait pas F 4947 et 15 s. — d’après une autre estimation : 8159. Le Haut Conseil accordait la demande des requérants et condamnait les défendeurs au paiement complet du prix de vente. Les conseillers se basaient sur les arguments suivants : il n’est pas vrai que tous les livres de Vossius avaient été l’objet du contrat de vente, mais seulement les livres contenus dans le catalogue. En ce qui concerne ces livres : les acheteurs avaient eu l’occasion d’inspecter la bibliothèque, ce qu’ils avaient délaissé.

71En outre, on ne peut pas attendre que ces livres et manuscrits soient tout neufs. Il est suivant la nature des choses qu’ils étaient partiellement endommagés. D’ailleurs la valeur des livres ne peut pas être fixée de manière objective : ils valent seulement ce qu’un amateur de livres veut donner en échange. Et finalement : les curateurs de l’Université n’ont pas été trompés parce qu’il y avait beaucoup de livres et manuscrits d’une importance exceptionnelle.

72M. C. Brom,

73Université de Francfort-sur-le-Main.

74? grande guerre et université : les facultés de droit de lille et la résistance à l’occupant.

75Il s’agit d’aborder la collaboration qui s’est instaurée entre deux professeurs de droit international (l’un de la Faculté d’État, l’autre de la faculté de droit catholique) de Lille et la municipalité de Lille pendant la durée de l’Occupation. En effet, les élus municipaux ont été confrontés très vite aux exigences de l’ennemi, lesquelles portaient sur de nombreux points et furent rapidement exorbitantes. Ils eurent alors l’idée de s’adresser aux spécialistes de droit international de leur ville pour leur demander de rédiger des consultations juridiques sur les questions qui leur étaient soumises par l’Occupant, afin de disposer des arguments de droit à opposer aux Allemands. Cela se fit secrètement. J’ai retrouvé le texte de ces consultations, qui sont finalement des études de cas d’application des conventions de La Haye de 1899 et 1907. La variété des sujets abordés est très intéressante.

76S’il n’est pas question à proprement parler d’évolution du statut juridique des professeurs, cette communication s’inscrit, je crois, dans le thème. Car la guerre dans ce cas précis a fait évoluer le statut des professeurs qui pendant quatre années sont devenus des consultants, des praticiens, plus que des théoriciens. Il y a aussi l’aspect collaboration de deux Universités, l’une laïque, l’autre catholique, après la bataille religieuse qui constitue le fond de l’histoire politique française au tournant du siècle, ce qui est un aspect de l’Union sacrée. Enfin, ces consultations sont une forme de résistance, bien perçue par eux d’ailleurs, comme le droit opposé à la force, une manière donc de mener la guerre du droit.

77Mme A. Deperchin,

78chercheur du Centre d’histoire judiciaire de l’Université de Lille II.

79? la diversification des universités d’état aux pays-bas ; les nominations aux chaires « délicates » dans la première moitié du xxe siècle.

80M. O.J. de Jong,

81professeur honoraire de l’Université d’Utrecht.

82? la cause de repriels vs. beckers. l’appel d’un jugement échevinal introduit auprès du tribunal civil de la meuse inférieure.

83La question de droit à laquelle le Tribunal civil s’est restreint portait : « C’est-à-dire que la question se réduit simplement à savoir si la règle coutumière Paterna paternis, Materna maternis a eu lieu à Mechelen avant que la nouvelle législation de la République française y ait eu force de loi ». Bien que le Tribunal civil fût un tribunal fonctionnant dans l’organisation judiciaire française de la Constitution de l’an III, les juges ne purent pas se restreindre à la législation française. Dans le cas où les faits dont litige datèrent d’un moment antérieur à la promulgation de la nouvelle législation y relative, le droit ancien devait être appliqué. « Devait être » parce qu’il n’est pas encore établi que les juges même s’ils étaient « belges » ou « hollandais » ne se laissaient pas quand même mener par leur dévouement aux idées républicaines vers l’application des lois révolutionnaires. La procédure entre Repriels et Deckers se rapporte à la succession de Jean Henri Repriels, mort le 14 septembre 1794, à l’âge de 14 ans, qui mourut intestat, puisqu’il n’était pas encore d’âge à pouvoir tester. Il n’avait ni descendants, ni frères ni sœurs. Il survécut à ses parents, laissant une succession très importante, de vastes possessions venant de ses bisaïeux tant paternels que maternels. Les héritiers présomptifs du décédé étaient d’un côté les frères et sœurs du père (Ferdinand Repriels) et le grand-oncle et la grande-tante maternels de l’autre. Les premiers réclamaient la succession en vertu de la règle : « het naaste bloed erft het goed », le plus proche parent hérite du bien. Cette règle se trouve dans la Novelle 118 caput 3 de Justinien. Les parents maternels ne contestaient pas le degré plus proche des parents paternels, mais ils se référaient à l’adage de paterna paternis materna maternis. Cette règle coutumière fut, entre autres, posée par l’article 8 du caput 43 des « Recessen van Maastricht ».

84D’abord un litige fut intenté devant les échevins de Mechelen-sur-Meuse (Mechelen op de Maas, maintenant Maasmechelen). De la décision des échevins il fut appelé « viva voce » par Repriels, qui était mis dans le tort. Par le fait de la réunion des départements « belges » et la promulgation de la législation relative à l’ordre judiciaire, le procès d’appel fut intenté devant le Tribunal civil séant à Maastricht. Le 11 août 1796, le Tribunal civil prononça un jugement en cause de Mathieu Repriels et consors et Henri Deckers et consors, les deux parties demeurant à Mechelen-sur-Meuse. Bien que les juges avaient réduit la question en droit à celle citée ci-dessus, le problème était assez complexe.

85Tout d’abord se posait la question de la législation applicable. La loi du 17 nivôse an II ne fut promulguée que le 16 décembre 1795. Donc, le droit coutumier rei sitae aurait été applicable à la succession. Comme les possessions dont litige se situaient à Mechelen-sur-Meuse, la coutume de cet endroit devait être appliquée — s’il y en avait une. Il n’y avait pas de coutume propre à Mechelen. L’échevinage de Mechelen-sur-Meuse ressortait sous le chapitre de l’église de Saint Servais à Maestricht. Le chapitre et le prévôt conjoints administrèrent onze « bancs », les juridictions des villages soumises au chapitre. Le prévôt seul administrait les bancs de Mechelen-sur-Meuse et de Tweebergen. Les jugements étaient rendus dans la maison prévôtale à l’arrière de l’église Saint Servais. Lors de la recherche d’une coutume applicable, il fallait faire le choix entre le droit romain tel que reçu, la coutume générale du Brabant, et la coutume de Maestricht, cette dernière étant à la fois la ville la plus prochaine et la ville où se trouvaient l’église et le chapitre de Saint Servais. Une deuxième question se rapportait à la teneur de la règle applicable. La règle paterna paternis, materna maternis avait différentes formes. On distingue trois groupes principaux : I. Les coutumes souchères. Celles-ci appliquaient le principe rigoureusement : il fallait être descendant du premier acteur qui avait mis le bien dans la famille pour le recueillir en propriété. Ce premier acquéreur de la propriété s’appellait « tronc commun » c’est-à-dire auteur commun du défunt et de l’héritier. II. Coutumes de côté et ligne. Dans leur système, il n’était pas nécessaire de descendre du premier acquéreur, il suffisait de se rattacher à lui par un lien de parenté collatérale. III. Coutumes de simple côté. Celles-ci suivaient un système encore plus simplifié : il n’était pas nécessaire d’être parent d’une façon quelconque de celui qui avait mis le premier 1’héritage dans la famille : il suffisait d’être parent du défunt du côté paternel pour recueillir les biens qui lui venaient de son père ; et de même sorte, d’être parent de côté maternel pour recueillir les biens maternels.

86Bien qu’on doit présumer que la question de savoir quelle coutume devait être appliquée et celle de savoir quelle était la teneur de la règle, étaient des questions distinctes, le jugement du Tribunal civil et le jugement des échevins dont appel montrent que les deux se confondaient.

87Mme Adrienne van Lambalgen,

88doctorande. Université de Maastricht Griffier bij het Kantongerecht te Maastricht.

89? la compagnie des indes orientales néerlandaise comme acteur en droit international (1602-environ 1650).

90Il y a deux cents ans depuis la fondation de la Compagnie des Indes orientales néerlandaise (l’octroi est daté le 20 mars 1602). Cette compagnie jouissait du monopole du commerce entre les Pays-Bas et l’Asie. Elle avait été constituéee par la réunion de plusieurs entreprises établies tant en Hollande qu’en Zélande, d’où son acronyme VOC (Verenigde Oostindische Compagnie). Elle reçut des États-Généraux des compétences gouvernementales considérables qui établirent son autorité administrative et judiciaire sur son personnel. Elle reçut aussi, en Asie, des compétences qu’on peut qualifier de droit international, le jus belli ac pacis, et aussi le jus foederis, la faculté de conclure des traités. Est-ce que la Compagnie était donc constituée sujet de droit international par délégation ? En y regardant de près il faut rejeter cette construction. Il s’agit seulement d’un mandat des États-Généraux. La Compagnie n’agissait qu’au nom des états généraux et donc sous la condition implicite de leur approbation.

91Néanmoins, la gestion de la VOC correspondait bien plus à celle d’un état quasi-indépendant qu’à celle d’un humble mandataire. Surtout depuis la constitution d’un noyau territorial sur l’île de Java par la fondation de Batavia (1619) la Compagnie, c’est-à-dire le Gouverneur-Général siégeant dans cette capitale des possessions néerlandaises, se conduisait plutôt comme puissance quasi-indépendante que comme mandataire du souverain. Il faut notamment souligner l’importance du style et du cérémonial quasi-monarchique adopté par les Gouverneurs-Généraux.

92Pour la VOC comme pour ses partenaires asiatiques les situations de fait étaient bien plus importantes que les constructions juridiques qu’on établissait dans les fameux « contrats » conclus entre la VOC et les monarques. Quant aux contrats conclus dans les régions desquelles la Compagnie prétendait exclure ses rivaux européens, ils sont conçus plutôt comme « titres formels » à l’encontre des puissances européennes que comme représentant une situation de fait. L’adaptation à la situation locale, la souplesse dont témoignait la pratique de la VOC sont à souligner. L’image qui souvent est encore courante, d’une imposition de l’autorité coloniale par la force brute doit être rejetée.

93M. J.A. Somers,

94docteur en droit. Erasmus Universiteit Rotterdam.

95? les mémoires et projets sur la police de bruxelles au xviiie siècle.

96Mon propos n’est pas de proposer une simple monographie sur la police de Bruxelles mais de la replacer dans une recherche géographique et conceptuelle plus large sur la police au xviiie siècle. Bruxelles présente en effet de nombreux avantages dans cette perspective de recherche. D’abord c’est une capitale, siège d’un gouvernement, avec un ministre plénipotentiaire représentant l’Empereur, autour duquel gravite une cour princière habitant un quartier huppé dans la ville haute, même si, au cours du xviiie siècle, de plus en plus de choses se décident à Vienne. En même temps Bruxelles reste une ville moyenne. Sa superficie est limitée, et sa population, qui passe de 57 854 habitants en 1755 à 74 427 en 1783 l’apparente davantage aux capitales régionales plutôt qu’aux métropoles européennes. Les problèmes urbanistiques et sociaux ne se révèlent pas à la même échelle qu’à Paris ou à Naples. La configuration des pouvoirs dans la ville, et par conséquent le partage des pouvoirs policiers, reflète donc cet aspect en quelque sorte bicéphale de capitale et de ville moyenne.

97Ensuite, l’histoire géopolitique de l’Europe de l’Ouest a placé Bruxelles en situation de carrefour d’influences et en position de réception des divers modèles policiers nationaux. La proximité géographique et culturelle avec la France, jointe à la prégnance du modèle policier parisien, ainsi que le rattachement politique à l’Autriche, expliquent que les influences les plus directes relèvent de Paris et de Vienne. À un second degré, Bruxelles reçoit aussi, quoique de manière plus ponctuelle, l’influence des Provinces-Unies, de l’Angleterre et des pays allemands.

98Enfin, Bruxelles reste avant tout une ville des Pays-Bas, c’est-à-dire qu’elle participe à une culture urbaine (qualifiée par Philippe Guignet d’hispano-tridentine), solidement appuyée sur une longue histoire et toujours vivante au xviiie siècle.

99La combinaison de ces divers éléments produit une situation policière originale, objet de multiples tentatives avortées de réforme au cours du xviiie siècle, d’où un ensemble d’archives particulièrement riche, tant aux Archives du Royaume que dans les Archives de la ville. Ce que je propose est une approche de la question, à partir de premiers dépouillements, dans trois pistes de réflexion. D’abord une description de la configuration policière de Bruxelles, puis l’influence qu’y prennent les nouveaux modèles de police et enfin, une proposition d’explication de l’échec des projets répétés de réforme de la police.

100Mme C. Denys,

101maître de conférences de l’Université de Lille 3.

102? la conférence de bruxelles (1874) : précurseur et ébauche de la conférence de la paix (1899).

103Dans le cours de mes études sur le développement du droit humanitaire au xixe siècle, en particulier sur le rôle des Pays-Bas dans ce processus de codification progressive, je suis venu à attribuer une certaine importance à la conférence de Bruxelles. Elle est en général peu remarquée, l’attention se portant plutôt sur Genève et La Haye. Pourtant, elle doit être considérée comme une date non négligeable dans l’histoire du droit humanitaire. En outre, les réactions aux Pays-Bas, tant du milieu gouvernemental que dans l’opinion publique attestent que ce fût à l’occasion de « Bruxelles 1874 » que s’élabora une politique hollandaise déterminée.

104Les étapes de ce qu’on peut appeler la prise de conscience aux Pays-Bas sont un peu comme suit. La préparation de la délégation néerlandaise profita d’un mémoire élaboré par le ministre néerlandais à Berlin, Jhr. W.F. Rochussen. La politique ébauchée dans ce document, soulignant l’importance du sujet de la conférence aussi bien que la divergence inévitable entre le point de vue des grandes puissances et celui des « puissances du second rang » comme les Pays-Bas était en effet celle de la délégation néerlandaise à Bruxelles. Le chef de la délégation, l’envoyé à Bruxelles, J.W. van Lansberge y joua un rôle bien plus actif que celui de la diplomatie néerlandaise en général.

105En effet, le conflit entre les grandes puissances et les « puissances du second rang », pronostiqué par Rochussen, ne tarda pas de se produire. Il prit parfois la forme, peu usuelle à l’époque, d’un débat entre les représentants néerlandais et allemand, Van Lansberge et le général Voigt-Rhetz. La politique étrangère néerlandaise, politique de neutralité et d’abstention, aurait dû mener à une acquiescence aux propositions allemandes sur la restriction de la « levée en masse » défensive et sur l’attribution de la juridiction territoriale à l’occupant.

106Malgré l’opposition néerlandaise et belge le texte établi par la conférence reflétait bien plus la position allemande que celle des petits États. Il provoqua une réaction assez critique dans l’opinion publique aux Pays-Bas. Notamment, il faut ici noter la position acharnée du professeur d’Utrecht G.W. Vreede qui rejeta d’emblée toute restriction au droit sacré de la défense de la patrie. S’il ne faut pas considérer cette réaction comme dominante, il ressort des commentaires de presse que l’importance du sujet fût assez largement appréciée par le public.

107M. D.J.H.N. den Beer Poortugael,

108doctorant à l’Université d’Utrecht.

109? juge de paix et juge de canton aux pays-bas (1811-1838-2000) ; deux siècles de justice de base.

110Après l’annexion en 1810 du Royaume de Hollande à l’Empire français, la législation et l’administration judiciaires françaises ont été imposées. Ainsi le juge de paix français fait son entrée aux Pays-Bas. Après la libération du pays en 1813 l’administration judiciaire française restait en vigueur. En 1833 elle a été remplacée par une variante « nationale ». Aux Pays-Bas il existait beaucoup de réserves à l’égard du juge de paix, la plus importante étant son amateurisme juridique. Il en résulte qu’une de ses tâches principales, à savoir l’œuvre de conciliation des parties échoua. En 1833 le juge de paix est remplacé par le « kantonrechter » (juge de canton) : un juge, pas un conciliateur.

111Deux siècles nous montrent quelques évolutions :

  • le nombre des tribunaux cantonaux est graduellement réduit de 220 en 1811 à 59 en 2001. Des économies et un manque de travail aux tribunaux de moindre importance en sont les causes. C’est ainsi que la superficie des cantons judiciaires s’étend largement et que la distance entre le juge de canton et ses justiciables augmente. De meilleurs moyens de transport peuvent pallier cet inconvénient ;
  • le juge de canton est de plus en plus chargé de travail, tant du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif. D’un juge de campagne il devient un juge spécialisé. En même temps sa condition sociale et son salaire augmentent ;
  • la fonction du juge de canton est critiquée mais sa justice était appréciée. Des tentatives faites depuis la seconde moitié du xixe siècle pour intégrer le juge de canton au tribunal de première instance n’avaient, au départ, pas de succès. Ce n’est que le premier janvier 2002 que les juges de canton furent intégrés administrativement aux tribunaux de grande instance. Néanmoins, la fonction de « kantonrechter » et son indépendance à l’égard du tribunal de grande instance ont été préservées.

112M. Albert Bosch,

113procureur de la Reine honoraire.

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