1 Le 13 novembre 2015, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) faisait face à la série d’attentats la plus meurtrière de son histoire. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale la capitale française n’avait connu un tel bilan : 130 morts, 413 blessés, la grande majorité d’entre eux par balles, des milliers de personnes psychologiquement affectées. Depuis, d’autres massacres sont venus ponctuer l’actualité nationale et internationale. Bruxelles, Nice, Berlin, Istanbul ont été frappés par la folie meurtrière des terroristes. Et le meurtre de deux fonctionnaires de police à Magnanville le 13 juin 2016 ou l’assassinat d’un prêtre à Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, sont venus rappeler que le terrorisme peut frapper partout, à tout instant.
2 Deux ans après les premiers attentats de Paris, l’analyse permanente des modes d’actions terroristes associée aux retours d’expériences des villes européennes confrontées aux mêmes problématiques permet d’améliorer la réponse des secours en cohérence avec l’ensemble des unités participant à la défense et la sécurité du territoire national.
3 Ainsi, tout en tenant compte du « brouillard de la guerre » conséquence de modes d’actions terroristes évolutifs, c’est bien en coordonnant sa préparation opérationnelle avec l’ensemble des forces de sécurité intérieure, civiles et militaires, que la BSPP poursuit la modernisation et l’adaptation de sa réponse à la menace. Mais c’est aussi en améliorant ses techniques de prise en charge des blessés et en échangeant avec les autres services de secours du monde que la BSPP participe à la réponse globale de prise en charge des victimes et à l’optimisation de la résilience de la Nation.
Une préparation opérationnelle adaptée aux risques et menaces d’une mégapole
4 Le 1er mars 2017, il y aura cinquante ans que les pompiers de Paris sont passés d’une structure régimentaire à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris qui protège Paris et les trois départements de la petite couronne. La BSPP est une unité à part entière de l’Armée de terre qui compte 8 500 hommes et femmes dans ses rangs. Mais ce n’est pas une brigade comparable aux autres. D’abord par sa mission qui fait du pompier militaire un soldat de la vie et un soldat du feu. Ensuite, par sa double subordination aux ministères de la Défense pour son statut et de l’Intérieur pour son emploi puisqu’elle est placée sous l’autorité directe du préfet de Police et qu’à ce titre elle est une des grandes directions actives de la préfecture de Police de Paris. Enfin, par son rayonnement parce qu’elle est le premier corps de sapeurs-pompiers d’Europe et le troisième du monde (derrière Tokyo et New York) et que, dans son domaine de compétence, elle fait autorité en France comme à l’étranger.
5 Mais ce qui caractérise vraiment la BSPP, c’est son « milieu » d’intervention, toujours dans des conditions réelles. Ce « milieu » est celui d’une mégapole en constante évolution avec des risques et désormais des menaces à l’échelle de son hyperurbanisation, et de la concentration humaine qui l’accompagne. Par exemple, la BSPP traite en moyenne chaque mois 80 victimes blessées par arme à feu ou par arme blanche. Ce n’est donc pas exceptionnel pour un pompier de Paris de traiter un blessé par balle. Ce qui est exceptionnel, en revanche, c’est d’en avoir des centaines en quelques minutes. Aucun service de santé ou de secours au monde n’en a heureusement l’habitude.
6 Avant le mois de janvier 2015, Paris n’avait pas connu d’attaque terroriste depuis les années 1995-1996, avec les attentats du RER Saint-Michel et Port-Royal faisant au total 16 morts et 266 blessés. Mais d’autres villes avaient subi des attaques d’ampleur, en particulier Madrid en 2004, Londres en 2005 puis Bombay en 2008. À chaque fois la BSPP a tiré des leçons et a adapté ses plans d’urgence, ses modes d’action et sa préparation opérationnelle en conséquence.
7 Les attaques de janvier et de novembre 2015 en région parisienne ne furent donc pas une surprise stratégique au regard des modes d’action déjà employés ailleurs dans le monde par l’organisation État islamique, même si les attaques suicides étaient restées jusqu’à présent cantonnées au Moyen-Orient.
8 Comme pour toute opération, qu’elle soit armée ou de secours, ce qui compte d’abord c’est le renseignement. Et pour les sapeurs-pompiers, le premier capteur terrain reste le requérant qui appelle les secours et donne, à travers sa demande, une indication sur la situation en cours. Ensuite, le renseignement est précisé par les équipes déployées sur le terrain.
9 Le 13 novembre 2015, le centre de traitement des appels de la BSPP, la coordination médicale ainsi que les secours immédiatement déployés sur les lieux ont constitué autant de sources de renseignements privilégiées permettant de préciser assez rapidement les lieux, les modes opératoires et les effets des attaques terroristes. Ces renseignements ont permis d’informer les autorités préfectorales et politiques. La compréhension rapide du scénario de « course mortifère » employé par les terroristes à Paris a constitué un élément clé pour la réussite de l’intervention, permettant une répartition des moyens et des organes de commandement sur les six lieux d’attaque identifiés, et surtout la constitution immédiate d’une réserve d’intervention afin de conserver la capacité à couvrir un très grand nombre de sites.
10 Plus généralement, cette analyse fine témoigne d’une préparation et d’une planification opérationnelle permanente, gage d’une adaptation de la BSPP à la diversité des menaces urbaines. Établi à tous les échelons de commandement, ce processus est la garantie du maintien et de l’actualisation des acquis professionnels de chaque sapeur-pompier de Paris. Par des manœuvres quotidiennes, les gestes élémentaires sont répétés en les adaptant systématiquement au milieu rencontré. Parallèlement, des exercices hebdomadaires mettant en scène des interventions d’ampleur émaillent la formation continue des sapeurs-pompiers de Paris pour se calquer concrètement sur les menaces dominantes. C’est dans cette logique qu’était organisé, le matin même du 13 novembre 2015, un exercice conjoint BSPP-SAMU avec pour thème une « course mortifère » perpétrée sur une dizaine de sites touristiques parisiens.
11 Ainsi, ce cycle permanent d’adaptation de la réponse opérationnelle aux risques et menaces aura été à l’origine de plusieurs évolutions majeures au cours des dernières décennies. Le plan rouge créé par la BSPP en 1978 pour prendre en charge un nombre conséquent de victimes sera étendu au niveau national en 1989. Il évoluera en 2005 pour répondre à une attaque multisites, conséquence des attentats de Madrid et Londres, et prendra en compte l’aspect NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques) à partir de 2006 par l’intermédiaire du plan jaune. Ces évolutions réglementaires ne se limitent pas à la menace terroriste mais intègrent l’ensemble des phénomènes sociaux et des innovations technologiques. Les procédés d’engagement dans les cités sensibles (plan violences urbaines) seront ainsi repensés consécutivement aux violences urbaines de 2005.
12 Capitalisant sur son expérience, la BSPP a depuis près de deux ans amélioré son système de commandement de l’avant en le rendant plus modulaire et plus résilient y compris en cas de chute des réseaux de communications civils. La formation des cadres a été enrichie de modules spécifiquement dédiés à la menace attentat à tous les niveaux de commandement. Les futurs sous-officiers passent désormais en stage à l’École nationale des sous-officiers d’active (ENSOA) où leur formation interarmes a été durcie avec, entre autres, une sensibilisation aux effets des explosifs en milieu urbain.
13 En somme, ce qui est brutal c’est que la guerre revienne au cœur de la cité dans une Europe en paix depuis plus de soixante-dix ans. Mais au fond, ce n’est pas totalement nouveau et ce n’est pas vraiment une surprise stratégique pour une unité militaire comme la BSPP, rompue à penser l’insolite et à s’y préparer même quand personne n’y croit.
Une doctrine d’engagement des secours qui s’adapte à la doctrine antiterroriste
14 Face à des événements majeurs tels que les attaques terroristes avec tuerie de masse, les principes de la guerre restent pertinents. Un engagement raisonné des moyens de secours permet de concentrer les efforts en un lieu et à un instant privilégiés tout en laissant une totale liberté d’initiative et donc d’action aux plus bas échelons afin de ne jamais bloquer la manœuvre d’ensemble.
15 Il faut d’abord « mailler » le terrain. Et pour cela la BSPP dispose de ses 77 centres de secours qui assurent la sécurité des biens et des personnes pour 7 millions d’habitants, auxquels s’ajoutent les millions de touristes qui visitent la capitale chaque année. Ce maillage territorial est adapté. D’une part, il permet de faire face aux 1 300 interventions quotidiennes, d’autre part, même en situation exceptionnelle, il garantit une réponse opérationnelle dans des délais extrêmement courts. Certes, pour la victime qui attend, c’est toujours trop long, mais le 13 novembre 2015, aucun site frappé n’a attendu les premiers secours plus de douze minutes. C’est une capacité unique en France et probablement en Europe.
16 Ensuite, il faut prendre en charge le plus rapidement possible les blessés les plus graves. Car les victimes en urgence absolue ne survivent guère plus d’une heure, connue comme la fameuse « golden hour », sans soins appropriés. Pensé et conçu par la BSPP il y a plus de dix ans, consécutivement aux attentats de Madrid et Londres, le plan rouge Alpha a été mis en œuvre réellement pour la première fois le 13 novembre 2015. Il est totalement adapté aux attentats faisant un grand nombre de victimes sur plusieurs sites simultanément. Il s’agit d’extraire les victimes de la zone de danger, de les trier entre celles qui peuvent attendre quelques heures (urgences relatives) et celles qui ne peuvent pas attendre (urgences absolues). L’effort est porté sur la stabilisation des victimes « sauvables » et sur leur évacuation rapide vers les centres hospitaliers adaptés. Le corps médical de la BSPP, issu en majorité du Service de santé des armées, est particulièrement sensibilisé aux blessures de guerre de soldats projetés en opération extérieure. Il a ainsi pu mettre en œuvre le principe du « damage control » dans le traitement des hémorragies et éviter de nombreux décès pré-hospitaliers. La relation privilégiée des médecins militaires avec les hôpitaux de Bégin et Percy a aussi participé à l’anticipation des évacuations vers les filières traumatologiques parisiennes. Cette mobilisation précoce de l’ensemble des moyens médicaux au plus près des victimes a ainsi sensiblement amélioré le taux de survie final des victimes prises en charge.
17 En outre, la BSPP organise le commandement de ses interventions autour de deux principes ayant démontré une nouvelle fois leur pertinence : la centralisation par l’intermédiaire d’un état-major opérationnel (EMO) et la liberté d’action laissée au premier commandant des opérations de secours.
18 Qu’il soit caporal, sergent-chef ou capitaine, le commandant des opérations de secours, en tant que premier acteur déployé sur le terrain, dispose de toute latitude pour demander les moyens de renforcement qu’il juge nécessaires et éventuellement déclencher le plan rouge. Appliqué à un attentat multisites, cela permet un compte rendu rapide de la situation à l’EMO et une réelle initiative de commandement des acteurs de terrain. Ainsi, le soir du 13 novembre 2015, sur chaque site attaqué a été déployé, dès les premières minutes, un chef d’agrès capable de demander les renforts nécessaires et d’en organiser l’accueil de manière optimale. L’EMO a ainsi pu centraliser les demandes simultanées, répartir les moyens avec cohérence en fonction de la remontée d’informations terrain et anticiper l’étape suivante.
19 En somme, la cohérence et l’efficacité de la prise en charge des victimes par les secours reposent sur une application concrète des principes de la guerre. La BSPP, par sa structure et son modèle militaire, démontre sa capacité d’adaptation à cette menace terroriste protéiforme. Tenant compte de l’expérience du 13 novembre 2015 et dans le prolongement des principes évoqués, l’hypothèse d’un événement d’ampleur encore supérieure a dorénavant imposé le déploiement de moyens NRBC, de véhicules renfort brancards (VRB), d’un véhicule appui-communication (VAC) et d’effectifs entraînés à l’extraction de victimes situées en zone d’exclusion.
Une optimisation de la résilience de la Nation qui passe aussi par une coordination inter-service renforcée et une ouverture à l’international
20 Les attentats de janvier 2015 à Paris ont déclenché un déploiement massif et durable d’unités militaires sur le territoire national. En dehors des effectifs de la garde républicaine et du dispositif Vigipirate, la BSPP constituait jusqu’alors la seule entité militaire engagée sur le territoire parisien. Sa capacité à se coordonner avec les différents services de l’État et à partager son savoir-faire avec les services de secours du monde entier lui permet d’optimiser sans cesse sa prise en charge des victimes tout en participant à la résilience globale de la Nation.
21 D’abord, la BSPP est depuis sa création placée pour emploi sous l’autorité du préfet de Police. Elle détient donc par nature cette culture interministérielle – Défense et Intérieur – garante d’une compréhension des problématiques sécuritaires. Par ailleurs, la chaîne des secours s’appuie sur l’autorité d’un directeur des opérations de secours, responsable d’un commandant des opérations de secours (COS/BSPP) et d’un directeur des secours médicaux (médecin BSPP). Elle doit se coordonner avec une chaîne police, composée de plusieurs unités judiciaires et d’intervention.
22 L’implication d’unités spécialisées telles que la brigade de recherche et d’intervention (BRI), le RAID (recherche, assistance, intervention, dissuasion), de renforts de sapeurs-pompiers civils issus de la grande couronne et des associations agréées de sécurité civile participent à diversifier les interlocuteurs et complexifie la communication lors d’opérations majeures. Une des clés de l’efficacité repose alors sur une préparation opérationnelle commune où chaque entité participe à la manœuvre globale au moyen d’outils partagés par tous.
23 Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été prises pour renforcer cette coopération. La plate-forme des appels d’urgence 17-18-112 permet, depuis juin 2016, de mutualiser la réception des appels police et pompier à Paris et dans le département de la Seine-Saint-Denis avec l’objectif d’étendre ce dispositif à l’ensemble des départements de la petite couronne, d’ici fin 2017. De la même manière, les attentats de 2015 ont amené à repenser la notion de zonage de l’intervention. L’interaction des forces de police et de secours engagées en zone d’exclusion et potentiellement sous le feu des terroristes a conditionné la création d’un groupe d’extraction spécialisée dont l’objectif est de porter secours aux victimes les plus exposées. Dans cette perspective, l’expérience et le savoir-faire acquis en Opex par les cadres et les médecins de la BSPP peuvent s’avérer précieux. Aussi, les militaires de l’opération Sentinelle peuvent dorénavant être engagés dans la protection des postes médicaux avancés et des organes de commandement. Des exercices sont régulièrement organisés aux abords des sites sensibles de la capitale pour développer ces actes réflexes multi-services.
24 Ensuite, la BSPP a depuis plusieurs années entretenu des échanges réguliers avec les services de secours du monde entier. Ces échanges se sont densifiés avec l’émergence de menaces nécessitant de repenser l’engagement des secours et d’y intégrer les modes d’action terroristes. C’est ainsi que la BSPP a multiplié les échanges avec les pompiers, les médecins et les forces de sécurité des grandes villes européennes et mondiales au cours de l’année 2016 : Berlin, Bruxelles, Londres, Bagdad, Boston, New York, Sydney… Un séminaire rassemblant les services de secours des capitales européennes a notamment été organisé par la BSPP en juin dernier avec l’objectif de partager les enseignements des attentats de 2015 à Paris tout en faisant évoluer les doctrines d’emploi des secours au regard des modes d’actions terroristes.
25 Enfin, la manifestation du terrorisme au cœur même de la société a généré un désir d’engagement de la population par le biais du volontariat ou de la réserve opérationnelle. Les séances de sensibilisation aux « gestes qui sauvent », initiées par la BSPP dans plusieurs centres de secours de Paris et de la petite couronne parisienne après le 13 novembre 2015, ont été généralisées à l’ensemble du territoire national. Toutes ces actions ont ainsi développé la capacité de résilience des services de l’État et de la population française face à des événements aussi dramatiques.
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27 Cela fait donc plus de deux siècles que la BSPP, sous l’autorité du préfet de Police, défend la population francilienne. Baromètre de l’activité humaine, elle adapte sa préparation opérationnelle aux évolutions technologiques et aux menaces. Les retours d’expérience de ces derniers mois ont ainsi fait évoluer sa doctrine, ses équipements et sa coordination avec les forces de sécurité intérieure. À l’heure où l’Armée de terre est déployée sur le territoire national pour faire face à une menace terroriste considérée comme majeure et durable, la BSPP poursuit sa préparation opérationnelle afin de faire face à des attaques multiformes : NRBC-E, sur-attentat, prise d’otages massive, cibles taboues… Son expérience et son statut renforcent ainsi sa légitimité à participer, avec les forces de police et les autres unités militaires, à la protection de l’État et à la résilience de la Nation.