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Article de revue

Du Reaper à l’UCAV : de nouveaux enjeux pour l’Armée de l’air

Pages 99 à 108

1 Au cours des dix dernières années, les drones ont pris une place de plus en plus importante pour la conduite des opérations extérieures et la lutte contre le terrorisme. Leurs atouts opérationnels sont connus : présence continue sur la zone, capteurs très discriminants qui permettent de limiter les risques de dommages collatéraux, élimination des risques de pertes humaines, réduction drastique des délais de frappe de la cible identifiée. Leur vulnérabilité demeure toutefois importante, ce qui explique qu’ils n’aient été jusqu’ici utilisés que dans des conflits asymétriques.

2 Il n’est pas étonnant que toutes les armées modernes se bousculent pour acquérir ces plateformes dans les différentes gammes de performances disponibles : mini-drones, drones de surveillance tactique, drones de moyenne altitude susceptibles d’êtres armés, comme le Reaper, voire drones de haute altitude comme le Global Hawk, dont l’Otan se dotera à partir de 2017. Ainsi, la récente Strategic Defence and Security Review britannique de novembre 2015 prévoit l’acquisition d’une vingtaine de drones Reaper de la nouvelle génération.

3 La France ne fait pas exception. Succédant à la francisation partielle (et coûteuse) du drone d’origine israélienne Harfang, largement utilisé en Afghanistan, le choix par la France du Reaper américain susceptible d’être armé, marque une nouvelle étape. Après un premier lot de 3 drones Reaper, déployés actuellement dans le cadre de l’opération Barkhane, une nouvelle dotation intervient cette année.

4 Si la décision politique était prise, ils pourraient être armés de missiles air-sol, comme le sont déjà les plateformes similaires britanniques et comme les Italiens, les Néerlandais et un certain nombre de pays du Golfe l’ont depuis demandé auprès de Washington.

5 Sur le plan opérationnel, l’utilisation du Reaper armé prépare et préfigure celle d’une nouvelle génération de drones européens de moyenne altitude et, vers 2020, le nouveau rendez-vous technologique et opérationnel que constituera le drone de combat (UCAV), dont les démonstrateurs font actuellement l’objet de préfinancements et d’essais en vol.

6 Les implications du développement des drones armés sont multiples : aspects juridiques et politiques, retombées en termes technologiques et industriels en Europe, implications stratégiques de la prolifération de ces plateformes dans le monde, conséquences pour le format futur des armées de l’air et la formation de leur personnel, insertion dans l’espace aérien civil…

7 Une réflexion engagée entre civils et militaires, au sein d’un groupe de travail de réservistes de l’Armée de l’air, a donné lieu à la production d’un rapport l’été dernier. On en retiendra ici quelques aspects.

Le drone armé, complémentaire des appareils pilotés

8 Le drone de surveillance et le drone armé partagent des plateformes similaires, mais le drone armé apporte à la fonction d’intervention au sol des avantages supplémentaires : permanence sur zone très supérieure à celle du chasseur bombardier, absence de risque de perte humaine, présence silencieuse et invisible au-dessus de la cible, auquel s’ajoute une réduction drastique des délais de réaction pour opérer la frappe.

9 Toutefois, les drones armés actuels ne s’adaptent pas à tous les conflits. Ils demeurent en effet très vulnérables : lents, ils ne peuvent s’autodéfendre ou survivre à des défenses antiaériennes modernes. Confrontés à une attaque devant des chasseurs de 4e ou 5e génération, ils ne possèdent pas de capacité évasive face à leurs missiles. Ils sont également sensibles aux perturbations atmosphériques et leur liaison satellitaire, essentielle à la programmation de la mission, peut être interrompue, étant de surcroît, potentiellement vulnérable à des attaques cyber. Enfin, leur capacité d’emport demeure très limitée, qu’il s’agisse de l’armement embarqué sur le drone (par exemple seulement 2 missiles Hellfire et 2 bombes guidées laser pour le Reaper) ou de leurs capacités de générer des contre-mesures électroniques puissantes.

10 Cela explique que les drones dans leur version armée n’aient été, jusqu’ici, et en dehors du cas particulier d’Israël, utilisés efficacement que dans des environnements relativement permissifs (Afghanistan, Sahel, zones tribales au Pakistan, Yémen, Somalie, Irak).

11 Dans la gestion de la crise, le drone de surveillance, mais également le drone armé prennent une importance croissante, réduisant les risques de mauvaise interprétation de la situation sur le terrain, car capable de fournir 24h/24 une image de la situation, alors que le satellite est tributaire de ses passages. Le drone armé peut attaquer directement l’objectif qu’il a permis d’identifier, s’affranchissant des contraintes et des délais inhérents à l’arrivée à distance de frappes du chasseur-bombardier.

12 En revanche, la destruction d’un drone à partir du sol, par un appareil piloté ou par détournement ou piratage de sa liaison électronique, reste un aléa.

13 En d’autres termes, les drones armés viennent s’ajouter à la gamme des moyens utilisables en opérations extérieures : ils apportent au niveau des capteurs et des capacités de frappe instantanée de nouvelles capacités essentielles, mais ils ne constituent pas un substitut aux moyens classiques.

14 Qu’en est-il de l’avenir ? Les concepts présidant à la nouvelle génération des drones de combat (UCAV), envisagée pour être déployée dans les années 2025-2030, visent à surmonter ces limitations en apportant aux UCAV armés, vitesse, furtivité et capacité d’emport.

15 Complémentaires des chasseurs-bombardiers, qui demeureront seuls à même de disputer à l’adversaire la maîtrise de l’espace aérien et des gros-porteurs, les drones de combat de type UCAV s’insèrent dans une nouvelle approche globale des opérations aériennes, fondée sur une synergie renforcée entre les différentes plateformes, pilotées et non pilotées interagissant et communiquant entre elles à différents niveaux.

16 La furtivité et la capacité d’emport des UCAV pourraient ainsi permettre, par exemple, à des essaims de drones, ravitaillés en vol, d’intervenir sur de longues distances : la possibilité d’un ravitaillement en vol entre deux plateformes non pilotées vient d’être démontrée et constitue un affranchissement considérable par rapport à la limitation actuelle de leurs performances. De plus, des appareils classiques, chasseurs bombardiers ou gros porteurs peuvent devenir eux-mêmes des plateformes de lancement de drones armés, au même titre que ce qui existe déjà pour les missiles de croisière, ce qui accroîtrait encore leur portée.

17 Lancés à partir de gros-porteurs, ils pourraient permettre, dans un scénario d’entrée en premier sur le théâtre, d’ouvrir la voie aux chasseurs bombardiers par la destruction des défenses adverses. Ces possibilités renforcent notamment les
différents concepts associés à la recherche d’une garantie d’accès au territoire de l’ennemi (anti access/area denial ou A2/AD) que les Américains développent actuellement dans la perspective d’un conflit dans la zone Asie-Pacifique.

18 Le choix de la furtivité pour les drones armés de type UCAV, qui s’effectue toutefois au détriment de la capacité d’emport, pose la question des coûts entraînés par l’évolution constante des capacités de détection : elles deviennent plus performantes et désormais plus accessibles à un plus grand nombre d’États. L’option de la saturation des défenses de l’ennemi par des plateformes aux coûts relativement moindres, précédant les chasseurs-bombardiers qui assurent la supériorité aérienne, apparaît ainsi complémentaire pour l’entrée en premier sur le théâtre.

Les appréhensions actuelles d’une partie de l’opinion concernant la « déshumanisation » des opérations menées avec des drones

19 Les possibilités ouvertes par l’utilisation des drones armés fascinent les opinions : à juste titre, elles y voient les prémices d’une révolution stratégiques. En même temps, elles éprouvent des sentiments mêlés vis-à-vis de ces perspectives. Les craintes exprimées ressortent en réalité de la superposition de deux problématiques différentes et, à la limite, contradictoires.

20 La première concerne la pratique des opérations sur des cibles individuelles, au vu de l’utilisation importante qu’en ont faite les États-Unis au cours des dix dernières années, non seulement en Afghanistan, mais également en dehors de ce théâtre, dans les zones tribales du Pakistan, au Yémen, en Somalie et aujourd’hui au Levant. En dépit de la volonté de transparence affichée par le président Obama en 2013, et des arguments avancés pour affirmer la légitimité d’une compétence extraterritoriale pour des interventions ciblées en dehors même des zones de conflits ouverts, le débat s’est focalisé sur quatre questions.

21

  • Le manque de limites géographiques à la mise en œuvre de la « guerre globale », y compris en l’absence du consentement des pays concernés (même si Islamabad et Sanaa ont eu à cet égard des attitudes ambiguës, se gardant d’approuver publiquement les frappes, mais les acceptant de facto) et de l’extension correspondante du concept de légitime défense.
  • Les aléas du « lien démontré avec une organisation terroriste », qui est naturellement fonction de la qualité et de la précision du renseignement disponible concernant les personnes ciblées. La plupart des erreurs et des dommages collatéraux recensés tenaient à des failles du renseignement.
  • La question juridique posée aux États-Unis lorsqu’il s’agit de citoyens américains, cela constitue un processus « extrajudiciaire » par rapport à la législation américaine.
  • Le débat sur l’efficacité même de ces frappes ciblées dans la mesure où elles peuvent susciter des réactions des proches ou des populations visées qui renforcent la détermination des opposants et suscitent des nouveaux recrutements.

22 De fait, la controverse est assez rapidement retombée aux États-Unis même si elle s’est prolongée au sein des Nations unies et a été relayée en Europe (par exemple, au sein du Parlement européen). L’utilisation des drones pour des frappes ciblées à distance apparaît, en effet, à l’opinion américaine sous la forme d’un rapport coût/efficacité intéressant pour l’élimination des responsables terroristes et surtout comme moyen d’éviter l’engagement de troupes au sol et les risques de pertes parmi les pilotes.

23 Subsiste toutefois pour certains l’argument de l’asymétrie des vulnérabilités entre la cible et le décideur, situé à des milliers de kilomètres de distance. Pourtant, il n’y a là rien de fondamentalement nouveau dans l’histoire de l’évolution des armements. Le fait que le drone soit géré à distance et que le pilote soit situé en dehors de la plateforme ne rend pas l’arme « plus immorale », d’autant que la précision des frappes effectuées par les drones permet la limitation des dommages collatéraux, dans la limite évidemment de la qualité du renseignement disponible.

24 Il est significatif que la Croix Rouge Internationale (CICR) ait admis que le drone n’apportait pas, du point de vue du droit de la guerre, d’éléments nouveaux par rapport aux frappes menées par les avions : les mêmes critères de précaution et de proportionnalité s’appliquent dans un cas comme dans l’autre.

25 Pour la France, qui observe rigoureusement les principes du droit humanitaire international pour ses opérations aériennes, rien ne serait changé pour l’utilisation des drones armés.

26 La seconde préoccupation se développe dans les milieux scientifiques (cf. la lettre collective adressée en juillet dernier par un certain nombre de spécialistes américains) et dans les instances internationales spécialisées à Genève et à New York. Elle est liée aux implications potentielles d’une automatisation plus ou moins complète des systèmes de drones armés qui, à la limite, seraient susceptibles de paramétrer eux-mêmes le choix de la cible, compte tenu des progrès de l’intelligence artificielle.

27 Aujourd’hui, personne n’envisage de sortir l’homme de la « boucle de décision ». Toutefois, le débat est compliqué par les anticipations futuristes sur les développements de l’intelligence artificielle et leur application à des systèmes d’armes qui seraient ainsi « robotisés ».

28 Une confusion est en passe de s’instaurer entre des processus en partie « automatisés » (comme les systèmes antimissiles du type Aegis et Patriot) et les systèmes « autonomes » (dits « SALA » dans le cadre des travaux internationaux menées à Genève à la CCW) qui seraient à l’avenir susceptibles de se reprogrammer eux-mêmes en fonction des données recueillies par leurs capteurs et ceci sans intervention extérieure.

29 Un degré d’automatisation progressive des systèmes d’armes, notamment assurant une fonction défensive, est inévitable – encore que les technologies ne soient pas toutes au rendez-vous – mais il n’est nullement assuré que « les robots tueurs » voient le jour : il existe en effet un consensus général pour considérer qu’en tout état de cause l’homme doit continuer à jouer un « rôle significatif » dans leur mise en œuvre.

30 Aujourd’hui comme demain, toute frappe de drone résultera donc d’une prise d’initiative, validée par la chaîne de commandement et sous sa responsabilité, excluant une robotisation complète.

L’internationalisation du débat

31 Si les instances internationales se sont saisies du problème des drones armés, c’est aussi parce que ce qui n’était, jusqu’ici, que l’apanage de quelques nations est en passe de se banaliser.

32 La France n’est évidemment ni le premier ni le seul pays européen à préparer l’armement de ses drones. La Grande-Bretagne, qui dispose actuellement d’une dizaine de plateformes armées, les a utilisées depuis trois ans en Afghanistan puis au Proche-Orient. L’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas sont en passe d’acquérir également des Reapers armés. Israël, qui a été l’un des précurseurs dans ce domaine et jusqu’ici l’un des deux grands pays exportateurs de drones, mais aussi deux pays du Golfe, disposent de drones armés. Surtout nombre de pays, en dehors même des alliés et partenaires des États-Unis, préparent l’introduction de drones armés à partir de plateformes russes ou chinoises, voire de fabrication nationale (par exemple dans le cas de la Turquie et du Pakistan, ce dernier disposant d’une plateforme dérivée d’un modèle chinois). La Chine devrait devenir dans les dix prochaines années le premier pays constructeur et exportateur de drones, supplantant donc les États-Unis et Israël.

33 Certes, les différentes plateformes sont de nature très diverses et seuls quelques grands pays disposant de la technologie des liaisons satellitaires et des capteurs de haute définition peuvent atteindre à de hautes performances. Toutefois, la prolifération de petites plateformes, guidées à vue, et pouvant emporter suffisamment de charges explosives pour causer des dommages significatifs est un sujet de préoccupation, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste. Des systèmes de défense des points sensibles existent et sont en cours de déploiement, mais ont évidemment un coût important.

34 Le problème se complique en raison de l’explosion des demandes d’autorisation d’exploitation des drones pour les usages civils (voire ludiques) les plus variés et de la difficulté actuelle de définir au niveau européen (mais le problème se pose encore davantage aux États-Unis) les règles d’identification de ces drones et de leur insertion pour leur navigation dans l’espace aérien.

35 Le retard pris dans ce domaine gêne le développement commercial des drones civils, mais peut aussi affecter celui des drones militaires, qui disposent pourtant des couloirs aériens réservés aux armées. Les Allemands, qui avaient envisagé en 2013 de se doter du Global Hawk américain, ont dû y renoncer en partie pour des problèmes d’insertion dans l’espace aérien allemand et cette situation pourrait freiner les projets d’entraînement mutualisés entre pays européens ayant acquis des Reapers.

36 En tout état de cause, il est désormais trop tard pour envisager une politique internationale de non-prolifération des drones armés. La mixité civile et militaire des plateformes, la relative simplicité de leurs systèmes de propulsion et de leur guidage sur des distances courtes (« line of sight ») augurent d’une évolution dans les prochaines années avec une double direction : d’une part, quelques grands pays technologiquement avancés développeront des plateformes armées sophistiquées de type UCAV ; d’autre part, des drones rustiques, lents et vulnérables deviendront à la portée des autres États, mais aussi d’organisations et de mouvements non étatiques divers avec tous les risques correspondants.

37 Dans le premier cas, les États-Unis, en dépit de la pression de leur industrie, maintiennent toujours une politique visant à limiter les transferts de Reapers à des alliés proches et seulement dans le cas d’une utilisation pour des opérations qu’ils approuvent (en pratique, les opérations effectuées en coalition sur des théâtres auxquels ils participent eux-mêmes).

38 Dans le second cas, la multiplication de pays exportateurs et l’affaiblissement du dispositif de restriction de transferts de technologies élaboré à partir de 1987 laissent peu de chances à une régulation internationale.

39 L’arrangement dit de Wassenaar et le régime dit du MTCR (Missile Technology Control Regime) concernant les missiles et plateformes au-delà d’une certaine capacité d’emport et d’une portée de plus de 300 kilomètres, continuent d’être en vigueur entre 34 pays. Il s’agit toutefois d’engagements qui n’intéressent que des pays occidentaux et encore seulement sur une base de déclarations volontaires. La France est partie à ces deux régimes.

40 En février 2015, les États-Unis ont de facto renoncé à leur application en cas des transferts de drones à des alliés et partenaires (US Export Policy for Military Unmanned Aerial System). Les véritables restrictions demeurent donc nationales (par exemple du côté américain l’US Conventional Arms Transfert Process, l’Arm Export Control Act et l’application stricte du régime ITAR sur les composants).

41 Quelle que soit leur autonomie, les différentes catégories de drones MALE pourront s’affranchir plus facilement que des appareils pilotés des contraintes traditionnelles telles que les autorisations de survol des pays ou la négociation des bases de déploiement. La décision de privilégier la proximité du théâtre, ou au contraire la distance, devient dès lors autant politique qu’opérationnelle. Le risque de perte humaine ou de capture de pilotes étant par hypothèse nul, c’est toute une approche des opérations aériennes qui en est affectée.

42 Quant aux drones armés de hautes performances de type UCAV, gérés depuis des stations situées à des milliers de kilomètres de distance, ou au contraire rapprochés des zones de conflit et susceptibles de se relayer entre elles, ils s’inscrivent dans la tendance lourde vers la « déterritorialisation » des théâtres d’intervention ; à la différence des chasseurs bombardiers, le drone ravitaillé en vol peut demeurer en permanence au plus près de l’objectif et s’accommoder de missions intercontinentales, comme l’a montré dès 2012, le Global Hawk.

Le retard pris par l’industrie européenne des drones et l’achat « sur étagère » de drones américains

43 Le choix de l’achat sur étagère du Reaper américain était justifié à la fois sur le plan financier et sur le plan opérationnel, compte tenu en particulier de ses performances très supérieures à celles du Harfang « francisé ». Surtout il répondait aux besoins immédiats, notamment dans le cadre des opérations au Sahel.

44 L’accord donné par le Congrès américain à ce transfert au bénéfice de la France qui porte sur 12 Reapers, pour un coût global approchant 900 millions d’euros, entraîne toutefois, à l’heure actuelle, une série de dépendances.

  • Sur le plan opérationnel ne sont concernés, à ce stade, que les théâtres où Américains et Français coopèrent, comme au Sahel ou au Levant. Pour la maintenance et, au moins encore pour un certain temps, pour les phases délicates de décollages et d’atterrissages, des contractuels fournis par le constructeur General Atomic doivent être présents.
  • La formation des opérateurs s’effectue aujourd’hui exclusivement aux États-Unis, où elle se heurte à la concurrence des besoins propres de l’US Air Force (dont le déficit en opérateurs de drones atteint 25 %). Il en résulte une limitation du nombre de stages disponibles pour les pays européens ayant acquis des Reapers. Ceux-ci, qui ont constitué un « club d’utilisateurs », s’efforcent de partager leur expérience et souhaiteraient mutualiser progressivement en Europe la formation des opérateurs.
  • À moyen terme, d’autres contraintes pourraient éventuellement apparaître : divergences d’appréciation politique et militaire sur les opérations dans lesquelles sont engagés les Reapers, coût croissant de la maintenance des plateformes et des capteurs au fur et à mesure de l’obsolescence des systèmes et de leur remplacement aux États-Unis par des modèles nouveaux, évolution possible sous la pression du Congrès des conditions juridiques et politiques de l’emploi des drones américains (certains y ont déjà proposé une obligation de communication sur les frappes opérées).

45 Dans les conditions présentes, cette dépendance, sous ses différentes formes, se justifie par l’absence d’alternatives compétitives, en dépit des efforts passés de l’industrie européenne et par les exigences immédiates des opérations extérieures. Elle est gérable pour les prochaines années, mais une prolongation au-delà pourrait se révéler problématique.

46 Surtout elle ne doit pas obérer l’avenir, notamment sur le plan industriel et technologique. Le fait que les grands pays européens aient malheureusement manqué au départ la révolution militaire que constitue l’introduction des drones dans la panoplie des forces armées modernes, alors même que le reste du monde va déjà dans cette direction, n’est nullement irréversible.

47 La prise de conscience de l’importance stratégique des drones a été tardive en Europe, davantage d’ailleurs au niveau politique qu’au niveau industriel. On assiste cependant aujourd’hui à une relance des efforts de coopération en vue de susciter un successeur européen aux drones de moyenne altitude américains et israéliens, actuellement en situation de quasi-monopole. Déjà celui-ci s’effrite. Ainsi l’on voit la Chine commencer, non seulement, à se doter massivement en drones, mais encore à se lancer dans l’exportation (par exemple au Nigeria). D’ici la fin du siècle, la Chine pourrait contrôler le tiers du marché mondial.

48 À l’achat sur étagère devrait donc être substitué, à l’horizon 2020-2030, comme l’a d’ailleurs reconnu le Conseil européen de décembre 2014, l’acquisition par les pays européens de la maîtrise industrielle et technologique des filières permettant leur production et exploitation, qu’il s’agisse des drones MALE ou de l’UCAV.

49 L’accord du 18 mai 2015 entre les ministres de la Défense français, allemand et italien retient pour objectif l’étude d’un concept opérationnel pour un drone MALE de nouvelle génération d’ici 2017 et le déploiement au milieu des années 2020 d’une plateforme européenne, dont les différents partenaires ont indiqué qu’elle devrait être « armable ». France, Allemagne et Italie en sont les principaux promoteurs, mais l’Espagne, la Suède, la Pologne et la Suisse ont montré leur intérêt. La Grande-Bretagne est absente. Elle est menée sous l’égide de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar) et de l’Agence européenne de défense (AED) par Airbus, Dassault et Alenia Aeromacci du groupe Finmeccanica.

50 S’agissant du drone de combat UCAV, l’accord franco-britannique de Lancaster House 2013, prolongé par un accord de novembre 2014 entre Dassault et BAE a prévu le financement d’un démonstrateur furtif (FCAS-DP) qui, sur la base du nEUROn de Dassault et de son homologue britannique Taranis, devrait permettre le lancement d’un programme de développement à l’horizon 2030. Les essais du démonstrateur (une plateforme de l’ordre de 15 tonnes) sont déjà avancés.

51 Il est intéressant de noter que l’appel d’offres pour l’étude technico-opérationnelle lancé au printemps 2015 par la DGA prévoit la survivabilité vis-à-vis des menaces air-air (niveau de détectabilité, autodéfense), les « conséquences d’une forte autonomie décisionnelle » (impact du niveau d’intelligence artificielle sur les besoins de communication, interaction entre l’opérateur et l’UCAV) et, naturellement, le coût global de possession.

52 Les technologies concernées sont déterminantes pour le maintien de la compétitivité de l’industrie européenne dans toute une série de secteurs de pointe (furtivité, propulsion, contrôle de la mission depuis une station reliée à un réseau C4I, largage d’armements, détection de cibles mobiles au sol, etc.).

53 Pour l’avenir, l’enjeu est d’autant plus important que la part relative des plateformes non pilotées et des avions pilotés dans les forces aériennes de demain et surtout leur synergie réciproque va évoluer. Elle fera certainement une part importante aux premières – c’est la conclusion à laquelle sont déjà arrivés les États-Unis – même si elle est plus difficile à déterminer en ce qui concerne l’Europe.

54 À moyen et long termes, la production du drone MALE et de l’UCAV est génératrice de retombées technologiques importantes qui ne sont pas limitées à ces seules filières. Qu’il s’agisse, notamment dans le cas de l’UCAV, de technologies de furtivité et/ou d’hypervélocité ou encore de l’environnement technique qui supporte l’exploitation des différentes catégories de drones (liaisons électroniques et satellitaires, capteurs et contre-mesures), ces secteurs ne doivent pas être abandonnés, alors que le pays a consenti, jusqu’ici, aux efforts lui permettant de se situer parmi les quelques nations qui comptent dans ces domaines.

55 Les années 2016-2030 représentent une période de tension budgétaire au niveau des différents programmes d’équipement des forces. S’agissant des drones armés et notamment de l’UCAV, les enjeux sont donc considérables, aussi bien sur le plan technologique, qu’industriel, militaire et financier.

56 Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’une grande partie de l’avenir de l’industrie aéronautique militaire française et européenne s’y joue. Au milieu du siècle, l’UCAV constituera probablement (en dehors de parts de sous-traitance du F-35 américain pour quelques pays) le seul nouveau programme d’envergure technologique intéressant l’aéronautique militaire en Europe.

57 La nécessité pour les Européens de se doter des moyens de participer à la révolution stratégique qu’apportent les drones armés apparaît donc urgente, et toutes les implications de leur apport aux opérations militaires futures doivent être tirées.

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