1 Élément essentiel du développement économique et principal vecteur de la mondialisation des échanges, la voie maritime assure 40 % des échanges intracommunautaires et 90 % des échanges mondiaux. Elle est également dominée par un maître-mot : l’innovation. Ainsi, la recherche et l’exploitation pétrolière, la pose de câbles sous-marins ou les énergies marines renouvelables constituent aujourd’hui des secteurs en pleine expansion, celui des navires de services. Et ce, malgré la baisse du prix du baril qui entraîne actuellement un ralentissement purement conjoncturel de l’offshore pétrolier.
2 Parce qu’il fait battre le cœur du commerce international, le shipping se veut un acteur majeur de la lutte contre les effets du réchauffement climatique.
3 Grâce aux efforts engagés, le shipping ne représente qu’une faible part des émissions de CO2 globales. De 2007 à 2012, cette part est passée de 2,6 % à 2,1 %, alors que le trafic mondial a augmenté de 14 % sur la même période. Le transport maritime est aujourd’hui le mode de transport le plus propre à la tonne transportée avec cinq fois moins d’émissions de CO2 que le transport routier et treize fois moins que l’aérien.
4 Dans la perspective de la COP21, ces chiffres démontrent que notre industrie est parfaitement consciente du rôle qu’elle doit jouer en matière de lutte contre le changement climatique. Depuis une dizaine d’années, elle s’est engagée sur la voie d’une véritable transition énergétique. Cependant, ces bons résultats ne nous dispensent nullement de continuer à agir. Au contraire, ils sont une incitation à faire davantage dans la réduction des émissions de CO2 et dans la limitation de l’empreinte environnementale du transport maritime.
5 Dans cette perspective, l’action des armateurs se déploie autour de trois axes : l’adoption de bonnes pratiques, le navire du futur et l’évolution de la réglementation.
Développer les bonnes pratiques
6 Le shipping n’a pas attendu la COP21 pour œuvrer à la préservation de l’océan et du climat. En effet, la hausse du prix des carburants a très tôt contraint les navires à réduire leur consommation et à améliorer leur efficacité énergétique. Pour réduire la consommation, le moyen le plus simple est de réduire sa vitesse. À l’exception du transport de passagers, le transport maritime est un mode de transport lent, en moyenne autour de 20 kilomètres/heure.
7 Depuis 2008, la pratique du « slow steaming » s’est beaucoup développée pour répondre à la crise économique. Les armateurs ont adopté de nouveaux schémas d’exploitation et adapté les navires à ces nouveaux schémas. La réduction de la vitesse s’est traduite par une réduction globale des émissions du transport maritime de 10 % entre 2007 et 2012.
8 Cela confirme que, malgré les avancées sur la propulsion et l’hydrodynamique, la réduction de la vitesse reste le levier majeur de réduction des émissions de CO2 du transport maritime.
9 Avec des navires plus gros et plus efficaces, et une réduction de la vitesse, les armateurs se sont fixé un objectif de réduction de 50 % des émissions de CO2 à l’horizon 2050.
10 Préoccupations économiques et environnementales se rejoignent ici parfaitement. Renforcer la compétitivité du transport maritime permet ainsi de mieux préserver l’environnement en diminuant la production de gaz à effets de serre.
Construire des navires toujours plus sûrs et plus propres
11 Une décennie presque ininterrompue d’innovations technologiques a permis de construire des navires plus sûrs, plus propres et plus économes en énergie.
12 Les entreprises françaises, qui ont très tôt misé sur la qualité de leur offre, ont été pionnières dans ce domaine. Parce que le pavillon français est souvent beaucoup plus cher, elles se sont engagées à rajeunir et à moderniser leur flotte, à investir dans des métiers comme l’offshore, à forte intégration technologique. La flotte française, dont la moyenne d’âge est de sept ans, est aujourd’hui une des plus jeunes en Europe. Pour la troisième année consécutive, les entreprises françaises ont été récompensées en 2015 pour la qualité de leur flotte en matière de sécurité, sociale et environnementale.
13 Les armateurs français entendent poursuivre leurs efforts pour moderniser leur flotte. Leur double objectif est de réduire l’empreinte environnementale des navires tout en limitant leur facture énergétique. Les derniers navires entrés en flotte sont autant d’illustrations de cette ambition.
14 Ainsi, chez Louis Dreyfus Armateurs, la dernière génération de moteur lent est équipée d’une gestion de l’injection de combustible et des soupapes d’échappement opérés hydrauliquement et commandés par ordinateur, au lieu d’arbres à cames pour les moteurs « mécaniques » de génération précédente. Ce dispositif permet un meilleur contrôle des paramètres de navigation, ce qui entraîne une réduction de la consommation spécifique à pleine charge d’environ 3 g/kWh (soit environ 5 %).
15 Les nouveaux porte-conteneurs, notamment ceux de la compagnie CMA-CGM, mettent en œuvre toute une série de prouesses technologiques en matière de motorisation (moteur à injection électronique) et d’hydrodynamisme (stator à pales fixes, safran à bords orientés). Depuis 2005, ces innovations ont permis de réduire de 30 % en moyenne la consommation de carburant et les émissions de CO2.
16 Ces nouveaux navires sont en outre équipés de systèmes de traitement innovants des eaux de ballast pour supprimer le transfert d’espèces invasives d’un port à l’autre, ou de systèmes de récupération d’hydrocarbures en cas de naufrage, dits « Fast Oil Recovery Systems ». Un pas supplémentaire en faveur de la protection des océans.
17 La Méridionale, en liaison avec le grand port maritime de Marseille, développe actuellement un projet novateur en France, qui prévoit de relier les navires à quai au courant de terre. Les vertus environnementales de ce dispositif sont multiples : réduction de la pollution locale, réduction des émissions de CO2, amélioration des conditions de travail à bord (suppression des nuisances sonores et des vibrations liées au fonctionnement des génératrices), réduction des nuisances sonores dans l’environnement proche du port.
18 Autre compagnie maritime française particulièrement en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique : Ponant. Forte de ses quinze ans d’expérience en Antarctique, où son savoir-faire est reconnu internationalement, Ponant dispose d’une flotte de quatre navires très récents, dans le souci d’assurer la sécurité des passagers et de limiter la pollution de l’air et de l’eau. Parmi les techniques mises en œuvre, il faut citer le positionnement dynamique évitant de jeter l’ancre et protégeant ainsi les fonds marins, une propulsion électrique silencieuse et économique, le système de détection optique et sous-marin permettant d’éviter les collisions de nuit avec les cétacés ou le traitement des eaux usées et des déchets qui permet le zéro rejet.
19 Ce ne sont que quatre exemples parmi beaucoup d’autres. Le transport maritime est aussi un secteur du transport pionnier en matière de transition énergétique. Pour réduire encore plus les émissions atmosphériques, les armateurs réfléchissent à de nouveaux modes de propulsion.
20 Le Gaz naturel liquéfié (GNL) est l’une des solutions les plus innovantes avec un double bénéfice pour l’environnement : la suppression des émissions de dioxyde de soufre, et la réduction de 20 % des émissions d’oxydes d’azote et de CO2. Il constitue un saut technologique important pour de nombreux intervenants de l’industrie maritime, car il nécessite de réunir des compétences variées pour créer les infrastructures de la chaîne logistique, mettre en place un soutage adapté dans les ports, et organiser le stockage et l’utilisation à bord du navire. C’est sans doute un virage aussi important que le passage de la voile à la vapeur.
21 En outre, si un retour à la voile semble plus qu’improbable en raison des aléas liés à ce type de navigation, la propulsion vélique peut en revanche constituer un complément tout à fait utile, en particulier pour les navires suivant des lignes régulières. Ainsi, Armateurs de France apporte son soutien au projet « Beyond the Sea » du navigateur Yves Parlier. Il s’agit de démontrer l’efficacité de traction par cerf-volant. Cette solution d’appoint à une propulsion classique pourrait permettre de réduire de 20 % la consommation de carburant et donc les émissions résultantes.
Faire évoluer la réglementation
22 Avec leurs homologues norvégiens et danois, les armateurs français ont d’abord plaidé pour la mise en place d’un dispositif de suivi des émissions de gaz à effet de serre. Il ne suffit pas de proclamer notre engagement en matière de développement durable. Nous souhaitons le démontrer de manière irréfutable. C’est pourquoi nous avons soutenu le règlement dit MRV (Monitoring, Reporting et Verifying) mis en place par l’Europe en ce début d’année. Avec ce nouveau règlement, les armateurs faisant escale dans les ports européens, qu’ils soient sous pavillon européen ou international, doivent rendre compte de leur consommation en carburant, des distances parcourues et des quantités de marchandises transportées. Ces données permettent de calculer de façon précise les émissions de CO2 par les navires et, ce faisant, d’établir leur efficacité énergétique. La diffusion systématique de ces informations est un grand pas en avant. Elle permettra au grand public et aux ONG environnementales de connaître précisément les consommations réelles et l’efficacité énergétique de nos navires. Là encore, le shipping est un secteur pionnier : aucun autre mode de transport, dans son ensemble, ne publie de tels chiffres.
23 Agir au niveau européen n’est pas suffisant, car ne sont concernés que les navires en escale dans les ports de l’Union européenne. Les armateurs souhaitent maintenant la mise en place d’une obligation comparable au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI). Les discussions actuellement en cours sont rendues difficiles par l’intransigeance des pays en développement, notamment la Chine et l’Inde, qui souhaitent la prise en compte du principe de « Responsabilité commune, mais différenciée » issu de la Convention Climat. Pour nous, armateurs, il n’est pas possible de traiter différemment un navire selon qu’il bat un pavillon européen, américain ou autre. Les réglementations de l’OMI s’appliquent à tous les navires, en application du principe « du traitement le plus favorable ». Ce principe répond à une réalité économique, puisqu’il s’agit de garantir des conditions de concurrence égale, mais également un objectif environnemental : la pollution n’est pas plus acceptable quand elle vient d’un pays développé ou émergent.
24 Sur ce point, l’enjeu de la COP21 est de taille et les négociations en cours doivent être considérées comme une formidable occasion de mieux prendre en compte le rôle des océans dans le changement climatique. Elle constitue aussi un test pour l’OMI, qui doit encore démontrer son efficacité dans son combat pour la réduction des émissions de CO2 du shipping.
25 Dans ce contexte tendu, Armateurs de France ne se contente pas de soutenir l’adoption d’un système de surveillance et de compte rendu des émissions, sur le modèle du MRV européen. Nous travaillons, avec d’autres associations européennes, sur une proposition plus ambitieuse : la mise en place d’une taxe carbone internationale sur les soutes. La relative simplicité d’un tel système est gage de transparence et permet d’éviter toute distorsion de concurrence tout en encourageant l’amélioration de l’efficacité énergétique du transport maritime, soit par la réduction de la vitesse, soit par la modification des modes de propulsion. Les fonds levés grâce à la taxe permettraient également de financer l’aide aux pays en développement, et ainsi d’obtenir leur soutien dans le renforcement de la réglementation internationale.
26 Il est rare qu’une industrie, qui plus est mondiale, propose l’instauration d’une taxe sur son activité. C’est un signe de responsabilité et de maturité. Mais il faut que les représentants des États-membres de l’OMI s’en saisissent et cessent de tergiverser sur la stratégie à adopter.
27 Pour la COP21, ce serait une occasion manquée, mais pour l’OMI, ce serait un grave échec qui laisserait le champ libre à d’autres organisations internationales ou aux initiatives régionales.
28 Pour nous armateurs, pour nos équipages, l’océan est notre lieu de travail : le préserver, c’est garantir la pérennité de notre activité.
29 Ces dernières années, les armateurs français ont suivi avec intérêt les résultats des différentes réunions de la Conférence des parties sur le changement climatique, guettant à chaque fois d’éventuelles conclusions relatives à la protection des océans. Malheureusement, force est de reconnaître que, jusqu’à présent, le fait maritime est apparu comme le grand absent des négociations sur le climat.
30 Pour essayer de corriger cet état de fait, Armateurs de France a rejoint en 2014 la Plateforme Océan et Climat. Cette structure est inédite, car elle crée un espace de travail collaboratif entre des acteurs issus de mondes très différents : scientifiques, organisations non gouvernementales et représentants de l’industrie maritime. Notre objectif commun est d’aboutir à la prise en compte du fait maritime par les négociateurs climatiques et de préparer des solutions partagées.
31 Aujourd’hui, le shipping, et en particulier le shipping français, a fait le choix courageux et responsable de la transition énergétique. Pour le poursuivre avec le même succès, nous aurons besoin de nouvelles innovations, qui devront être testées et mises en œuvre grâce à une collaboration renforcée entre équipementiers, chantiers navals et armateurs. Nous aurons besoin également de l’engagement des États à nos côtés pour faire évoluer la réglementation internationale.
32 La voie maritime s’inscrit, par excellence, dans une logique de filière industrielle qui engage l’ensemble de la communauté maritime française. Notre pays doit rester un lieu d’excellence et d’innovation technologique, et devenir une véritable puissance maritime, capable de tirer parti des atouts que la géographie et l’histoire lui ont donnés dans le respect de l’environnement.