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Article de revue

Stephen Tyler l’inquiétant. Retour sur un héraut du postmodernisme en anthropologie

Pages 327 à 344

Notes

  • [1]
    L’ouvrage a subi des assauts de différents bords et pour différentes raisons, qui dépassaient la question du réalisme scientifique. Les marxistes le critiquaient pour sa naïveté vis-à-vis des réalités objectives de l’économie politique en se concentrant sur le pouvoir de la représentation et du discours ; les féministes soulignaient à raison son échec à reconnaître la généalogie féministe de l’expérimentation textuelle en anthropologie. Pour les réévaluations critiques récentes de l’ouvrage et les retours sur la polémique qu’il a suscitée, je renvoie entre autres à Clifford [2011 ; 2012], Mahieddin [2011], Naepels [2012] et Starn [2015].
  • [2]
    À l’heure actuelle, seule son introduction a été traduite en 2011, à l’occasion des 25 ans de sa parution, dans le Journal des anthropologues [Clifford, 2011b].
  • [3]
    Il ne s’agit pas simplement de faire adopter au texte une forme dialogique. En effet, pour Tyler, le dialogue mis en texte n’est plus le dialogue lui-même mais simplement un texte imitant un dialogue réel produit par un seul auteur, soit un monologue déguisé en dialogue.
  • [4]
    Son texte a en fait été placé au milieu pour être caché parmi des critiques plus raisonnées afin que le ton millénariste de son propos n’imprègne pas l’ensemble du livre en étant placé en début ou en fin.
  • [5]
    Notons que ce commentaire critique de Clifford s’adressait à toute la profession et non à Tyler en particulier. Il questionnait ainsi ce qui se passe concrètement sur le terrain, lieu producteur de l’effet de réel de l’ethnographie, dont les anthropologues parlaient finalement bien peu à l’époque. Que dirait-on de physiciens qui ne décriraient pas leur protocole expérimental ? Que se passe-t-il autour de l’anthropologue pendant qu’il est plongé dans ses notes ? Décrit-il adéquatement la réalité qui l’entoure ? C’est justement ce passage sous silence de l’activité d’écriture que Tyler reproche lui-même aux ethnographes.
  • [6]
    Tout en reconnaissant son génie théorique, on pourrait par exemple soupçonner l’anthropologue Leonardo Piasere [2010] d’avoir cédé à cette tentation.
  • [7]
    Le caractère ludique est un des aspects fondamentaux du style postmoderne dans son rapport au savoir et au langage. Les anglophones parlent en ce sens de « playfulness ». Jeux de mots, néologismes, jeux sur les sens, recherche délibérée de révéler l’absurdité d’un raisonnement sont autant de traits que l’on peut retrouver dans les textes postmodernes.
  • [8]
    Notons au passage que cette sociologie de la génération postmoderne, Pierre Bourdieu l’applique aux institutions françaises où il avait étudié lui-même, lesquelles, en termes d’élitisme et d’enfermement scolastique, n’avaient rien à envier aux institutions américaines. C’est en effet au lycée Louis-Le-Grand qu’il s’était lié d’amitié avec Jacques Derrida, grand postmoderne s’il en est, avant de le retrouver à l’École normale supérieure dans les années 1950. Bourdieu, lui, soucieux de souligner son élection, pense avoir été sauvé des effets pervers de l’« intellectualocentrisme » des philosophes par son expérience en Algérie.
  • [9]
    Cependant, Mahmut Mutman interroge cette tentation postmoderne du pluralisme et de la polyphonie, cherchant à capturer mieux encore la voix de l’indigène dans le texte : ne serait-elle pas finalement une intensification de la volonté de pouvoir sur l’information, un simple désir de maximiser la « récupération de données », cédant par ailleurs à l’illusion que l’indigène, lui, serait l’authentique dépositaire de l’ensemble de sa « culture » ? [Mutman, op.cit.]. C’est peut-être la différence entre Clifford et Tyler : là où le premier, défenseur d’un réalisme situé, cherche à améliorer l’adéquation entre le réel et l’ethnographie dans le but d’accroître le savoir, le second, voyant l’ethnographie comme une forme d’imaginaire, a renoncé à cette quête, qu’il considère vaine, en cherchant seulement à restructurer l’expérience du monde.
  • [10]
    Pour une analyse détaillée et une discussion approfondie du concept de Unheimlich, je renvoie au travail de Jean-Baptiste Brenet. Ce dernier envisage par ailleurs un autre intellectuel comme une figure de l’Unheimliche dans l’histoire de la philosophie : Ibn Rushd (ou Averroès). Le titre de cet article est d’ailleurs inspiré du titre de l’un de ses ouvrages : Averroès l’inquiétant [Brenet, 2015].
  • [11]
    Après avoir été déclarée morte, la renaissance de la grande revue française d’anthropologie Terrain en 2016 est notamment passée par l’adaptation à ce support numérique avec le développement de l’écriture numérique sur son site et son blog Carnets de Terrain (https://blogterrain.hypotheses.org/). C’est probablement l’illustration d’un tournant quant au statut de l’écriture numérique et le croisement sur un même support de différents modes d’« écritures » ethnographiques faisant appel à différents médiums : dessins, films, photographies, captures d’écran sur les réseaux sociaux, critiques littéraires du point de vue de l’anthropologie, etc. La multiplication des fameux carnets hypothèses dans le monde de la recherche en sciences sociales n’est pas anodine à cet égard.

1L’anthropologue américain Stephen Tyler nous a quittés le 2 avril 2020. La traduction de son texte le plus célèbre « Post-Modern Ethnography : From Document of the Occult to Occult Document » (1986), probablement l’essai le plus clivant de l’histoire de l’anthropologie, est l’occasion de lui rendre hommage en revenant sur son parcours singulier et ses propositions pour la discipline.

2Writing Culture, dirigé par James Clifford et George Marcus [1986], compte parmi les ouvrages les plus influents de l’anthropologie [Starn, 2015]. Publié il y a bientôt trente-cinq ans, ce livre a suscité de nombreuses réactions, aussi bien marquées par l’enthousiasme que la réprobation inquiète, voire le déchaînement de haine. Il a en effet été retenu comme un point de rupture dans l’histoire de la discipline, confirmant son entrée dans le tournant textualiste. Considéré comme un manifeste « postmoderne » pour l’anthropologie, il a cristallisé les inquiétudes de sciences sociales en plein tourment, traversées par une crise de légitimité à la fois scientifique, politique et morale suite à l’avènement du post-structuralisme et à la décolonisation [James, Hockey et Dawson, 1997]. Comment devait-on écrire sur les autres ? Le pouvait-on seulement, en ayant conscience du caractère socialement construit du langage et des catégories, de la part de rhétorique inhérente à toute mise en texte de la réalité et de la complicité tacite, voire inévitable, entre savoir et pouvoir ? Accompagnant le contexte historique et politique, un certain nombre de publications au cours des années 1960 et 1970 ont progressivement érodé l’arrogance d’une anthropologie moderne qui prétendait produire un savoir total sur l’homme. Writing Culture, faisant suite aux propositions de Foucault, Derrida ou Deleuze, semblait venir porter l’estocade en suggérant que les textes anthropologiques eux-mêmes étaient des fictions et des artifices de pouvoir.

3Mais si Writing Culture a été reçu avec raideur par certains anthropologues pour sa radicalité critique, il faut rappeler encore et toujours le caractère éminemment hétéroclite de l’ouvrage. Tous les contributeurs n’étaient pas enclins au même degré de déconstruction, leurs centres d’intérêt divergeaient, de même que leurs aspirations pour l’anthropologie. La plupart ne se réclamaient même pas du « postmodernisme », à l’exception de celui qui nous intéresse ici : Stephen Tyler. L’inquiétude générée par le livre tient en effet, entre autres [1], au ton quasi-millénariste de sa contribution intitulée « Post-Modern Ethnography : From Document of the Occult to Occult Document » [1986], dont nous proposons une traduction ci-après. Ce préambule est l’occasion de prendre un temps de recul, de se tourner vers le passé de la discipline pour dresser un bilan, au moins partiel, du parcours qui nous en éloigne aussi bien qu’il nous y relie – quelques mois seulement après le décès de Tyler à l’âge de 87 ans.

4Writing Culture n’est malheureusement toujours pas traduit en français dans son intégralité [2] et il m’a semblé indispensable d’en extraire au moins ce texte pour plusieurs raisons. D’une part, c’est cette contribution qui a prêté le flanc aux critiques les plus virulentes et c’est d’ailleurs son auteur qui figure sur la photographie légendaire qui fait la couverture de l’ouvrage. D’autre part, son importance est fondamentale : il s’agit d’un texte programmatique pour l’ethnographie postmoderne – sans être un texte d’ethnographie postmoderne lui-même. La critique de l’ethnographie a eu une place fondamentale dans le mouvement postmoderne en général [Mutman, 2006], ce qui fait de cet article de Tyler un texte incontournable dans l’histoire des sciences sociales. Cependant, ce dernier est réputé particulièrement difficile d’accès. Sa traduction en langue française sera, j’ose l’espérer, un outil pédagogique qui permettra aux étudiants en anthropologie de se libérer de la barrière de la langue pour se faire une idée plus précise de son contenu.

5Je propose ici de revenir dans un premier temps sur son auteur, dont le parcours est assez singulier, qui a été la cible d’attaques quasi personnelles pour ses propos. Il s’agira dans un second temps d’éclairer le statut de son texte et des propositions qu’il contient. Enfin, je poserai la question de son héritage : qu’a légué Stephen Tyler à la discipline ?

Le cheminement intellectuel de Stephen Tyler

6Stephen Tyler, né à Hartford dans l’Iowa en 1932, est décédé le 2 avril 2020 à Houston, au Texas, après avoir été professeur à l’Université de Rice où il enseignait depuis 1970. Son parcours intellectuel a de quoi étonner. Le caractère inattendu de cette trajectoire révèle probablement une insatiable démarche exploratoire, une quête permanente de dépassement de l’état des savoirs tels qu’ils se présentaient à lui. Que l’on soit d’accord ou non avec Tyler, cette capacité rare à remettre en question ses propres acquis, quand beaucoup se contentent de penser en rond dans un réseau cohérent de concepts durant toute leur carrière, a de quoi forcer l’admiration. Docteur de l’Université de Stanford en 1964, Stephen Tyler s’est intéressé à l’anthropologie en passant par les Asian studies – auxquelles il est venu après avoir fait ses armes dans l’aviation américaine lors de la guerre de Corée [Lukas, 2013]. C’est en tant qu’indianiste qu’il a commencé son parcours académique, en travaillant d’abord sur la parenté et la linguistique qui lui apparaissaient alors comme les domaines les plus rigoureux et les plus méthodiques de l’anthropologie. Il livre d’ailleurs une ethnographie des Koya en Inde [1969] ainsi qu’une anthropologie de l’Inde qu’il a compilée pour les besoins d’un cours et publiée dans India : An Anthropological Perspective [1973]. Il s’agit de textes d’une facture assez classique, une anthropologie dans ce qu’elle a de plus « moderne ». On trouve ainsi dans ses premiers ouvrages, écrits dans une perspective holistique, un auteur impersonnel à la recherche de structures sociales, intéressé par les systèmes de parenté dravidiens. Il tente, à l’époque, de travailler à une convergence entre structuralisme et anthropologie cognitive – qui ne se différenciaient à ses yeux que par quelques nuances. En effet, avant d’être connu comme un postmoderne, Tyler l’a d’abord été comme pionnier du cognitivisme en anthropologie [Tyler, 1969b].

7Mais il s’éloigne progressivement de ces premiers travaux dont la teneur cesse vite de le convaincre lui-même. Dans un entretien accordé à Scott Lukas [1996], il confie avoir eu pleinement conscience qu’il procédait dans son ouvrage India à la construction d’une image : l’image de la culture de l’Inde. Il dit par ailleurs avoir réalisé les limites des anthropologues cognitivistes de l’époque et de la perspective qu’ils portaient sur le langage, notamment du fait de leur manque de dialogue avec la sociolinguistique. Ils lui semblaient restreindre de plus en plus leur intérêt à l’analyse des champs lexicaux comme des unités de discours, des objets isolables et analysables pour eux-mêmes [1996, p. 3-4].

8C’est à partir de la fin des années 1970 que Tyler commence à prendre un tournant postmoderne, en poussant ses analyses du langage dans The Said and the Unsaid : Mind, Meaning and Culture [1978], inspiré par des corpus aussi variés que la phénoménologie, l’herméneutique, les travaux de Wittgenstein, Foucault et les philosophies indiennes. Selon lui, l’usage du langage est précaire, plein de risques et de surprises. Parler, écrit-il, « est plus similaire au fait de respirer qu’au fait de penser » [1978, p. 25]. La parole, toute faite de faux départs, d’hésitations et de répétitions, échouerait souvent à exprimer ce que nous avons réellement en tête [1978, p. 134-137]. L’arrangement des phrases ferait ainsi exister un ordre qui varie sensiblement de l’intention originelle de l’énonciateur. Tout langage étant piégé dans les impératifs de la grammaire et de la rhétorique, il serait inapte à exprimer la réalité de ce qui est pensé, sans compter que la correspondance entre les mots et les choses est rarement complète ou totale ; pas plus qu’elle n’est analytique. Selon lui, le langage est, tout au plus, indexical, analogique et inférentiel. Il s’agit ainsi, pour Tyler, d’un arrangement créatif de mots et de choses [1978, p. 181]. Il y note la centralité de la métaphore, à laquelle nul ne peut échapper malgré le discrédit dont elle fait l’objet [1978, p. 315-316 ; p. 335-336]. Il finira d’explorer ces questions dans The Unspeakable [1988], un recueil de sept essais visant à une critique du « sens commun » de « l’épistème occidental » et de sa « rationalisation par la science ». Inspiré par Walter J. Ong, il critique l’« idéologie visualiste » au fondement de la pensée scientifique, articulée à une compréhension du discours comme « référentiel » [1988, p. 207]. Or pour Tyler, il s’agit de comprendre l’usage du langage comme plus rhétorique que référentiel, en ce que les mots ne se référent que très imparfaitement aux choses. Il interroge ainsi le mouvement de textualisation qui fait passer de la réalité sociale expérimentée au concept abstrait. Reprenant dans The Unspeakable ses réflexions menées dans sa contribution à Writing Culture, il y critique le style simple et réaliste des écrits anthropologiques qui véhicule, en opérant de manière invisible un lissage de la réalité, ce qu’il appelle « l’indicible » (the unspeakable), la part non-verbalisable du mot en tant qu’acte dans le monde. Ce style réaliste, en recherchant une vérité abstraite et en prétendant à une représentation mimétique du réel, « efface les traces du discours [speech] ». Il préconise ainsi une ethnographie faite de textes polyphoniques [3], écrits de manière coopérative ; des fragments de discours ayant pour visée l’évocation d’autres mondes possibles et d’autres formes de sens commun sur la composition du réel. Ces textes provoqueraient ainsi une intégration esthétique qui aurait un effet thérapeutique sur leurs lecteurs et auditeurs. C’est là la définition de l’ethnographie postmoderne selon Tyler, la fonction cathartique qu’il lui assigne la rapprochant de la poésie.

9La démarche de Stephen Tyler semble ainsi caractérisée par l’exploration des limites de la connaissance, et notamment du langage, qui est la condition de possibilité de production du savoir et de sa communication. À la manière d’un Wittgenstein, dont les Investigations philosophiques ont d’ailleurs eu une influence majeure sur son œuvre, il cherche à saisir le langage par ses bornes en imaginant différents mondes possibles. On ne peut appréhender le langage que depuis l’intérieur, à travers ceux qui en usent pour communiquer – imparfaitement – leur pensée et non depuis un extérieur transcendant. Il n’y a pour Tyler de transcendance qu’évoquée, transcendance dont il se méfie, y voyant l’héritage conjoint d’un certain scientisme moderne et du christianisme. Il préfère ainsi l’anarchie des singularités et des immanences à l’ordre unique de la transcendance, le fragment à la synthèse totalisante, l’évocation à la représentation, l’abduction à l’induction ou la déduction, parce que ces traits caractériseraient au mieux notre monde postmoderne. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, c’est le style réaliste de l’ethnographie moderne qu’il situe du côté de l’abstraction et de la construction suspecte. Il positionne son propos du côté d’une forme d’utopie concrète, trahissant moins le réel en soulignant la limite inhérente à toute tentative de représentation.

10Néanmoins, ce projet ethnographique a fait de Tyler une figure honnie de l’anthropologie. Tâchons de comprendre pourquoi.

De l’ethnographie occulte à l’anthropologue sorcier

11Ce cheminement intellectuel amène Tyler à insister sur le rôle de l’ethnographie comme évocation, point de départ de l’argumentation de sa contribution à Writing Culture. Il faut bien comprendre son propos comme une interrogation centrée exclusivement sur le langage. Le corps, par exemple, n’intéresse que très peu Tyler, si ce n’est en tant que véhicule symbolique. Sa matérialité ne l’interpelle guère : il n’est à ses yeux que la base d’un nouveau discours dans les travaux des anthropologues, un découpage conceptuel de plus opéré dans le réel. Sa contribution est expérimentale jusque dans la forme : il joue avec le texte et avec les mots, ne s’embarrasse guère de faire usage de néologismes et de métaphores élaborées. La première partie du texte raconte des évolutions de la science sous la forme d’un mythe ou d’un conte. La seconde partie est de facture plus classique pour un article – bien que son contenu n’ait rien de coutumier pour des anthropologues de l’époque ; elle est peut-être plus proche de l’essai philosophique. Enfin, la troisième et dernière partie se présente sous la forme d’un dialogue partiel dans lequel Tyler répond à des interlocuteurs qui le questionnent ou objectent à ses propositions. Ces interlocuteurs n’avaient probablement rien d’imaginaires, il s’agissait sans doute de ses collègues, auditeurs du colloque de Santa Fe où Tyler a présenté la communication à l’origine de ce texte. Mais le caractère expérimental de son écriture n’est pas la seule raison de l’ire suscitée par Tyler.

12L’ouvrage a fait l’objet de critiques jusqu’à sa couverture même. On se demande d’ailleurs parfois où est la limite entre la critique des idées postmodernes et celle de la personne de Tyler. En effet, c’est aussi lui qui apparaissait sur le frontispice maintenant légendaire de Writing Culture. La photo, prise par son épouse Martha Tyler, le représentait sur le terrain parmi les Koya, en Inde, en 1963. Mis en avant sur la couverture et en position centrale dans l’ouvrage [4], il en est venu à incarner plus que tout autre le tournant postmoderne. À la fois très expressive pour illustrer les préoccupations de l’ouvrage mais en même temps énigmatique, cette photographie aura d’autant plus attiré l’attention que James Clifford entame son introduction au recueil par sa description et son commentaire, contribuant à accentuer la dimension presque spectrale du Tyler de la couverture. Entre deux séries de questions sur ce qui se passait au moment où l’obturateur a été déclenché, Clifford écrit : « Sur cette photo, l’ethnographe à l’air de planer sur les bords du cadre – sans visage, presque extraterrestre, une main qui écrit […] ; il a couvert la monture de ses lunettes d’un linge humide. Son expression en est obscurcie. » [Clifford, 2011, p. 385-386] Cette convergence d’éléments a peut-être définitivement poussé les détracteurs de Writing Culture à attaquer Stephen Tyler sur un plan aussi bien intellectuel que personnel : proposant un texte aux accents prophétiques, figurant sur une photographie énigmatique en couverture de l’ouvrage, commentée par James Clifford qui le décrit tel un spectre venu d’un autre monde absorbé dans sa prise de note [5]. Ainsi a-t-on pu lire à propos de cette photo : « Tyler est peut-être sur le terrain mais il n’est certainement pas dans le terrain ; il est complètement absorbé par lui-même. » [Howes, 1991, p. 72] Ceci n’est pas sans faire écho aux accusations, lancées par Sangren [1988, p. 423], qui y voyait « l’auto-satisfaction » et la « décadence narcissique » d’une « critique bourgeoise ». Tyler était devenu, un peu malgré lui, le représentant de ce que Writing Culture avait de plus répugnant aux yeux de beaucoup d’ethnologues de l’époque, de quelque obédience fussent-ils.

13Prophète d’une mort de l’ethnographie scientifique, Tyler propose une lecture de cette dernière comme une pratique occulte de pouvoir, l’écriture étant pour lui une forme de magie faisant advenir des totalités absentes. Cela a pu lui valoir de devenir lui-même une figure d’anthropologue-sorcier, accusé, comme tout sorcier, d’être à l’origine – ou le représentant tout du moins – des dérives et de la crise de l’anthropologie, voire de la société contemporaine tout entière. Il apparaît en somme comme un bouc émissaire de l’anthropologie, l’épouvantail que l’on agite pour signaler la limite à ne pas franchir afin d’éviter de quitter les sentiers de l’orthodoxie disciplinaire [Godelier, 2010, p. 36-38]. Victime de sa propre écriture – ne sommes-nous pas tous les créatures de notre écriture plus que ses créateurs ? –, le voilà figure messianique clouée sur la croix pour sauver la scientificité de l’anthropologie ; ou plus prosaïquement pour paraître encore raisonnable quand on avance soi-même une proposition potentiellement excessive (comprenez : « Je m’aventure certes assez loin sur les chemins de la déconstruction mais tout de même, je ne suis pas Stephen Tyler ! ») [6].

14Or, paradoxalement, la communication de celui qui est devenu le représentant des excès du mouvement Writing Culture n’avait pas du tout plu aux autres intervenants et aux organisateurs du colloque de Santa Fe. Elle apparaissait comme trop expérimentale, trop bardée de néologismes aux yeux de ses pairs, comme l’auteur le clame dans l’entretien accordé à Scott Lukas, publié en 1996. Cependant, les préoccupations énoncées par Tyler dans son texte, si l’on se permet d’être juste à son égard, renvoient beaucoup moins à une obsession narcissique pour lui-même qu’à l’effet généré par un texte sur son lecteur comme sur son auteur [Strathern, 2004]. Tyler appelle en effet à mettre à nu le processus de co-production de l’information ethnographique dans le texte lui-même, sous une forme collaborative : il y a toujours plusieurs « auteurs » derrière un texte, au-delà du rédacteur lui-même ; il y a autant de sens à un texte qu’il y a de lecteurs. Plutôt que de se concentrer sur l’adéquation entre une écriture et une culture, Tyler déplace la focale sur le seul matériau empirique qui soit à ses yeux : la configuration auteur-texte-lecteur et les effets qu’elle génère. Tyler ne cherche pas un univers en dehors de la représentation, quête utopique des positivistes, mais clame au contraire que l’on ne quitte jamais l’empire des politiques de la représentation. C’est là la marque d’une ethnographie postmoderne qui, dans la foulée de la « mort de l’homme » [Foucault, 1966, p. 353] et de la « mort du sujet » en philosophie, annonçait et préconisait « la mort de l’ethnographe de terrain » [Strathern, 2004, p. 12] pour redonner du souffle à la pensée. Au-delà du style réaliste de l’ethnographie classique, dénoncé comme naïf, c’est l’individualité même de l’ethnographe qui est remise en cause, dans la droite ligne de la remise en cause de l’individualisme moderne et de son mythe d’authenticité de la personne dans la recherche du style en art [Jameson, 1991] : l’arbitre du sens n’est pas – et ne peut pas être – un seul individu. « Le texte est la somme de ses mauvaises interprétations », écrit-il.

15Comme les styles, les cultures décrites n’apparaissent plus pour Tyler que comme des évocations ou des échos les unes des autres. C’est ce qui fait que l’ethnographie postmoderne n’a pas de forme prédéterminée, elle est tout simplement une réalisation des limites de toute forme, et Tyler de procéder à sa description par la négative. On pourra d’ailleurs être frappés par l’usage ad nauseam de la négation dans ce texte. Vaines seraient ainsi un certain nombre de critiques trop empressées de Tyler : on ne peut pas dénoncer l’opacité de la définition de ce que devrait être un texte postmoderne ou encore dire que les « postmodernes » ne suivraient pas leurs propres prescriptions. L’ethnographie postmoderne est la prise de conscience que le texte ne fait qu’évoquer ce qui ne peut pas être mis en texte [Tyler, 1986, p. 138], l’évocation étant comprise comme un processus itératif, un aller et un retour, ou une connexion, rien de plus. Ce mouvement de retour vers soi fait dire à Tyler que l’ethnographie peut être « thérapeutique », dans le sens où elle participe à colmater les frontières entre soi et les autres. En aucun cas pour Tyler, l’ethnographe ne peut représenter : il n’est ni en capacité ni en droit de porter une vision totalisante de l’Autre comme être collectif. On peut se demander s’il voyait dans la totalisation un geste totalitaire. Cependant, n’en déplaise à ses détracteurs, l’ethnographie postmoderne reste une anthropologie dans la mesure où elle se plie à la promesse d’inviter une différence ou une altérité dans le texte, laquelle reste propriétaire exclusive de sa « culture » [Mutman, op.cit.]. Évidemment, d’aucuns pourront juger que l’hospitalité épistémologique proposée par Tyler est d’une charité excessive.

16Il faut lire dans cette méditation tylerienne la cristallisation des inquiétudes d’une époque qui se méfie de l’ethnographe, d’une génération qui se méfie du savoir en tant qu’il est instrument de pouvoir, et qui provocante, se permet de jouer avec [7]. Bien que sceptique et adepte de la « philosophie du soupçon », cette génération est en effet aussi optimiste et insouciante. Ayant grandi dans la prospérité des Trente glorieuses et dans la montée d’un individualisme exacerbé, elle se plaît aussi à défier l’autorité [Clifford, 2012, op.cit.]. La prétention à la scientificité est ainsi vue comme l’expression d’une volonté de puissance, masque de l’ordre ou d’une injonction cachée. Cette forme de contrôle policier de la pensée produirait tout au plus un « effet de vérité » ayant vocation à susciter la soumission à l’autorité [Bourdieu, 2003 (1997), p. 48]. Pierre Bourdieu y voyait d’ailleurs une sorte de génération d’enfants gâtés américains. Il décrivait le campus de Santa Cruz, haut lieu du postmodernisme où enseignait d’ailleurs James Clifford, comme un endroit « coupé de la réalité du monde », construit dans les années soixante au sommet d’une colline et à proximité d’une station balnéaire pour retraités fortunés, « paradis social » d’où « toute trace de travail et d’exploitation a été effacée » et depuis lequel il était aisé de croire que le capitalisme s’était « dissous dans un “flux de signifiants détachés de leurs signifiés” » [8] [Bourdieu, op.cit., p. 64]. C’était donc bien dans l’esprit de cette génération que de problématiser ce qui n’était pas problématique auparavant : l’autorité dans l’acte de représenter, souci aussi nourri des angoisses liées à la prise de conscience – tardive pour beaucoup – de l’implication de l’anthropologie dans le projet colonial et des limites de la capacité du langage à saisir le réel alors même qu’il n’apparaît que comme une série de signifiants flottants. Cette génération accuse ses ainés de tous les maux d’un ordre social vicié par une hiérarchie qu’il faut absolument défaire [9]. Le texte de Tyler en est le parangon : une critique à la fois scientifique, politique et éthique qui ébranle et déplace les fondements de la confiance dans le discours vrai, en anthropologie et au-delà. Ce faisant, il renvoie la génération précédente au passé et redéfinit l’ethnographie par son seul potentiel d’évocation, une version voulue défaite de toute autorité. Comme l’écrit tout simplement Strathern : « Something that was right has become wrong », ce qui persuadait autrefois ne convainc plus. L’ethnographie a perdu son pouvoir de produire un effet de réalité [Strathern, 2004, p. 11].

17Au-delà, on pourrait se plaire à le penser, le propos de Tyler inquiète peut-être parce qu’il énonce au fond ce que tout le monde sait dans le métier mais se dissimule à soi-même : les limites de la description et de la représentation, le biais induit par les conditions matérielles de production de la science, le rapport de pouvoir que représentent la relation ethnographique et la part d’intraduisible qui reste dans toute entreprise de traduction d’une vision du monde dans une autre [da Col et Graeber, 2011]. À cela s’ajoute la question du relativisme culturel qui, poussé dans ses excès, peut effectivement amener à penser qu’il n’existe entre les cultures qu’une relation d’évocation imparfaite. La réception d’un texte décrivant une culture n’en dirait-elle ainsi pas plus de la société du lecteur que de celle de l’indigène ? Tyler l’énonce lui-même, toutes les ethnographies, même modernes, ont déjà les effets d’une ethnographie postmoderne [Tyler et Marcus, 1987]. Étant donné la trombe de critiques vives, à la frontière de l’angoisse existentielle, qui s’est abattue sur son texte et continue aujourd’hui de nourrir son aura aux confins du discours scientifique – on le refoule presque dans le registre du mysticisme –, on est tenté de voir dans les réactions au texte de Tyler le résultat d’une blessure narcissique pour la discipline. Il possède en effet un charisme étrange, comme s’il poussait les anthropologues à regarder dans le vide. Il est devenu, à l’instar de son auteur, le lieu d’une « inquiétante étrangeté », ou de ce que la psychanalyse freudienne dénomme Das Unheimliche : « tout ce qui devait rester un secret, dans l’ombre, et qui est sorti » mais aussi « le chez-soi, l’antiquement familier autrefois » d’autant plus inquiétant qu’il fut un jour familier [10] [Freud, 1985]. Tyler ne pousse-t-il pas simplement jusqu’au bout le raisonnement relativiste, si familier de l’anthropologie ? Ne met-il pas à nu les « secrets de famille » de la discipline en brisant le tabou de nos incertitudes quant à notre appréhension du réel sur le terrain ?

Quel est l’héritage de Tyler ?

18Ainsi Tyler se trouve-t-il refoulé aux confins de l’anthropologie, accusé d’avoir voulu faire traverser le Styx aux ethnographes pour les mener vers l’Enfer de la poésie, où les sociétés et le langage n’ont plus de loi. Si Tyler a des héritiers, son héritage reste discret puisque peu s’en réclament explicitement. Ce que d’aucuns pourraient nommer sa « prophétie » sur le devenir du document ethnographique ne s’est pas réalisée par un effet d’école. La crise symbolisée par Writing Culture est considérée comme largement dépassée et beaucoup de chemin a été parcouru depuis. Les critiques sur l’autorité autoriale ont été entendues et ont laissé émerger des formes d’écritures conscientes d’elles-mêmes, qui ont dépassé le moment de l’enchantement littéraire qui avait donné à l’anthropologie ses monographies classiques [Debaene, 2010]. La dimension éthico-politique du pouvoir de représentation fait désormais partie intégrante des réflexions des anthropologues, dans une forme de pragmatisme qui prend acte de l’effet de vérité que crée l’ethnographie sur son public. Certains anthropologues tentent ainsi parfois de l’utiliser pour son potentiel politique dans une démarche qui se voudrait militante. Pour ne mentionner qu’un exemple, Didier Fassin a proposé, au lieu de chercher à remettre en question cette autorité pour s’en défaire et de nier le caractère créatif ou imparfait de l’ethnographie, d’assumer simplement l’ambiguïté éthique et la responsabilité politique qui en résultent. Il défend ainsi la pratique ethnographique contre le pessimisme du tournant textualiste. Il considère l’ethnographie comme un discours apte à produire des textes à l’articulation entre la description du « réel » – l’existant et l’advenu – et le dire « vrai » – conquête morale contre la tromperie ou la convention. Elle peut ainsi servir les desseins d’une anthropologie publique ayant vocation à accompagner les débats de société [Fassin, 2014]. On est là dans un usage politique de l’ethnographie (bien différent de l’usage méditatif de Tyler). Fassin invite les anthropologues à réfléchir aux différences, aux avantages et inconvénients que porte chaque format de restitution en interaction avec son public – ouvrage, film, tribune de presse, article scientifique, etc. [Fassin, 2015]

19L’ethnographie prend par ailleurs aujourd’hui des formes largement plurielles, articulant parfois extraits de notes de terrain, archives, fragments poétiques, extraits de littérature, articles de journaux, récits de vie, juxtaposition de différents récits d’un même événement, etc. L’ethnographe y apparaît à la première personne dans un exercice de réflexivité parfois aiguë sur son propre projet d’écriture [par exemple Biehl, 2005 ; Carton de Grammont, 2015], certains anthropologues appelant même à voir la vie sociale comme une littérature orale [Carton de Grammont, 2014]. On lit ainsi sans sourciller des anthropologues revendiquant la parenté entre littérature et sciences sociales – le caractère partiellement fictif de l’ethnographie et le caractère partiellement réaliste de la littérature –, la frontière ténue entre les deux cultures se posant comme le lieu d’une exploration féconde, la littérature ayant l’air parfois plus fine que l’ethnographie sur les terrains de l’enquête, plus habile à décrire le réel ou à dire le vrai [Bensa et Pouillon, 2012 ; Fassin 2014, op.cit.].

20Soulignons aussi que le rôle de l’intellectuel a changé depuis les années 1980. Peu auraient aujourd’hui la prétention de se penser comme des voix originales qui expliqueraient le monde social aux acteurs en leur offrant un paradigme totalisant depuis un point de vue transcendant – même si la discipline compte encore son contingent de poststructuralistes, de cognitivistes et de sociobiologistes prêts à appliquer partout les mêmes grilles de lectures. Il n’est peut-être pas étonnant que les années 2010 aient été marquées par un retour en force de la théorie ethnographique, signe d’un autre rapport à la production du savoir, qui inverse la relation de la théorie au terrain [da Col et Greaber 2011, op.cit. ; Mahieddin, 2020]. Beaucoup de chercheurs se conçoivent tout au plus comme un maillon de la société, producteurs d’un point de vue situé et très spécialisé sur un secteur restreint du monde social, parfois simples relais de savoirs indigènes. L’« intellectuel universel » a définitivement laissé la place à ce que Michel Foucault [2001] appelait « l’intellectuel spécifique ».

21Au-delà du monde académique lui-même, les transformations des conditions de production de la recherche et la démocratisation des technologies filmiques ou numériques, de même que la circulation de la méthode ethnographique vers d’autres secteurs (recherche infirmière, travail social, etc.) ont ouvert un espace de transformation radicale de l’ethnographie qui n’est pas sans évoquer sa version postmoderne. Les ethnographies voient ainsi se multiplier leurs supports : à l’écrit qui ne perd rien de son prestige académique, on adjoint des hétéro-ethnographies, d’autres manières d’écrire, ou des manières d’écrire avec d’autres : bande-dessinée [Nocerino, 2016], ethnothéâtre [Kontos et Naglie, 2006, Saldaña, 2016 ; Bourbonnais, 2015], écriture de chansons ethnographiques [Jacobsen, 2018], écriture chorégraphique et dispositifs d’immersion [Buisson, 2009], ou encore billets de blog basés sur l’intertextualité pour toucher un public plus large que celui des anthropologues en offrant un « regard décalé » sur le monde [11]. Ce sont autant d’exemples, parmi une myriade, du chemin parcouru quant à l’exploration de nouveaux supports permettant à la fois la polyphonie et l’investissement de l’ethnographie comme pratique réflexive sur sa propre condition.

22Ajoutons qu’à travers le monde, suite aux transformations combinées du marché culturel et de la démocratisation de l’accès à l’université, de nombreuses associations d’anthropologues ont émergé hors des murs de l’académie, visant à répandre la pratique de l’ethnographie (dans les écoles, les associations de quartiers défavorisés, etc.) en multipliant les supports (arts visuels, poésie, bande dessinée, etc.). Pour ne citer qu’un exemple, à Marseille en France, le collectif Le Tamis se décrit comme une association « d’anthropologies coopératives » promouvant « la circulation des savoirs entre le monde académique et le grand public au travers d’activités pédagogiques, événements de médiation scientifique et de publications multiformes », visant la production d’œuvres ethnographiques polyphoniques à mi-chemin entre anthropologie publique, performances artistiques et interventions sociales. Ces anthropologues militants ont vocation à intervenir dans leur société en offrant des brèches de réflexivité à leurs interlocuteurs sur leurs propres pratiques sociales [Le Tamis, 2018]. Ces anthropologies hors les murs, qui ne cachent rien de leur visée poétique et cathartique, ne seraient-elles pas bel et bien tyleriennes ?

23Tout cela se passe et s’écrit sans que semble frémir la moindre controverse. Cela relève de l’évidence : Tyler n’aurait donc peut-être pas eu l’air aussi radical s’il avait écrit aujourd’hui. Peut-être était-il, après tout, un visionnaire. La traduction de son fameux texte n’a de toute façon pas vocation à l’extirper de son sommeil pour lui chercher querelle une nouvelle fois, mais plutôt à l’accompagner dans le panthéon des anthropologues. Qu’il repose donc en paix !

Bibliographie

Références bibliographiques

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Notes

  • [1]
    L’ouvrage a subi des assauts de différents bords et pour différentes raisons, qui dépassaient la question du réalisme scientifique. Les marxistes le critiquaient pour sa naïveté vis-à-vis des réalités objectives de l’économie politique en se concentrant sur le pouvoir de la représentation et du discours ; les féministes soulignaient à raison son échec à reconnaître la généalogie féministe de l’expérimentation textuelle en anthropologie. Pour les réévaluations critiques récentes de l’ouvrage et les retours sur la polémique qu’il a suscitée, je renvoie entre autres à Clifford [2011 ; 2012], Mahieddin [2011], Naepels [2012] et Starn [2015].
  • [2]
    À l’heure actuelle, seule son introduction a été traduite en 2011, à l’occasion des 25 ans de sa parution, dans le Journal des anthropologues [Clifford, 2011b].
  • [3]
    Il ne s’agit pas simplement de faire adopter au texte une forme dialogique. En effet, pour Tyler, le dialogue mis en texte n’est plus le dialogue lui-même mais simplement un texte imitant un dialogue réel produit par un seul auteur, soit un monologue déguisé en dialogue.
  • [4]
    Son texte a en fait été placé au milieu pour être caché parmi des critiques plus raisonnées afin que le ton millénariste de son propos n’imprègne pas l’ensemble du livre en étant placé en début ou en fin.
  • [5]
    Notons que ce commentaire critique de Clifford s’adressait à toute la profession et non à Tyler en particulier. Il questionnait ainsi ce qui se passe concrètement sur le terrain, lieu producteur de l’effet de réel de l’ethnographie, dont les anthropologues parlaient finalement bien peu à l’époque. Que dirait-on de physiciens qui ne décriraient pas leur protocole expérimental ? Que se passe-t-il autour de l’anthropologue pendant qu’il est plongé dans ses notes ? Décrit-il adéquatement la réalité qui l’entoure ? C’est justement ce passage sous silence de l’activité d’écriture que Tyler reproche lui-même aux ethnographes.
  • [6]
    Tout en reconnaissant son génie théorique, on pourrait par exemple soupçonner l’anthropologue Leonardo Piasere [2010] d’avoir cédé à cette tentation.
  • [7]
    Le caractère ludique est un des aspects fondamentaux du style postmoderne dans son rapport au savoir et au langage. Les anglophones parlent en ce sens de « playfulness ». Jeux de mots, néologismes, jeux sur les sens, recherche délibérée de révéler l’absurdité d’un raisonnement sont autant de traits que l’on peut retrouver dans les textes postmodernes.
  • [8]
    Notons au passage que cette sociologie de la génération postmoderne, Pierre Bourdieu l’applique aux institutions françaises où il avait étudié lui-même, lesquelles, en termes d’élitisme et d’enfermement scolastique, n’avaient rien à envier aux institutions américaines. C’est en effet au lycée Louis-Le-Grand qu’il s’était lié d’amitié avec Jacques Derrida, grand postmoderne s’il en est, avant de le retrouver à l’École normale supérieure dans les années 1950. Bourdieu, lui, soucieux de souligner son élection, pense avoir été sauvé des effets pervers de l’« intellectualocentrisme » des philosophes par son expérience en Algérie.
  • [9]
    Cependant, Mahmut Mutman interroge cette tentation postmoderne du pluralisme et de la polyphonie, cherchant à capturer mieux encore la voix de l’indigène dans le texte : ne serait-elle pas finalement une intensification de la volonté de pouvoir sur l’information, un simple désir de maximiser la « récupération de données », cédant par ailleurs à l’illusion que l’indigène, lui, serait l’authentique dépositaire de l’ensemble de sa « culture » ? [Mutman, op.cit.]. C’est peut-être la différence entre Clifford et Tyler : là où le premier, défenseur d’un réalisme situé, cherche à améliorer l’adéquation entre le réel et l’ethnographie dans le but d’accroître le savoir, le second, voyant l’ethnographie comme une forme d’imaginaire, a renoncé à cette quête, qu’il considère vaine, en cherchant seulement à restructurer l’expérience du monde.
  • [10]
    Pour une analyse détaillée et une discussion approfondie du concept de Unheimlich, je renvoie au travail de Jean-Baptiste Brenet. Ce dernier envisage par ailleurs un autre intellectuel comme une figure de l’Unheimliche dans l’histoire de la philosophie : Ibn Rushd (ou Averroès). Le titre de cet article est d’ailleurs inspiré du titre de l’un de ses ouvrages : Averroès l’inquiétant [Brenet, 2015].
  • [11]
    Après avoir été déclarée morte, la renaissance de la grande revue française d’anthropologie Terrain en 2016 est notamment passée par l’adaptation à ce support numérique avec le développement de l’écriture numérique sur son site et son blog Carnets de Terrain (https://blogterrain.hypotheses.org/). C’est probablement l’illustration d’un tournant quant au statut de l’écriture numérique et le croisement sur un même support de différents modes d’« écritures » ethnographiques faisant appel à différents médiums : dessins, films, photographies, captures d’écran sur les réseaux sociaux, critiques littéraires du point de vue de l’anthropologie, etc. La multiplication des fameux carnets hypothèses dans le monde de la recherche en sciences sociales n’est pas anodine à cet égard.
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