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Article de revue

« Je donne ton nom au jour ». Le don du poème à l’épreuve de la modernité

Pages 103 à 118

Notes

  • [1]
    « La lettre cachetée dans la bouteille est adressée à celui qui la trouve. Je l’ai trouvée. J’en suis donc le destinataire secret » [Mandelstam, 1990, p. 61].
  • [2]
    En particulier les poètes ayant gravité autour de la revue L’Éphémère (André du Bouchet, Jacques Dupin, Yves Bonnefoy).
  • [3]
    Verlaine [2012, p. 79].
  • [4]
    En latin, le poète devin, prophète, inspiré.
  • [5]
    Ces petits quatrains en forme d’énigmes adressés au cercle des amis proches ; « Les Loisirs de la Poste » et « Récréations postales » [Mallarmé, 1996, p. 55-81].
  • [6]
    L’influence de Pétrarque est sensible dans les premiers recueils de sonnets en France au xvie siècle. Le « pétrarquisme » se caractérise par une esthétique du raffinement, qui confine à la préciosité, une recherche de la densité expressive et une grande abondance de métaphores qui concourent à magnifier la femme désirée.
  • [7]
    « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, / Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous » [Verlaine, 2012, p. 79].
  • [8]
    L’Euripe est un détroit de la Grèce caractérisé par un étrange phénomène : ses eaux changent de cours sept fois par jour. Ce mouvement de flux et reflux est évoqué par Strabon, Pline l’Ancien, Aristote.
  • [9]
    Du Bouchet [1991, p. 23].
  • [10]
    « Portrait des Meidosems » est une section de La Vie dans les plis, recueil de 1949. Elle présente, sous la forme d’une série d’aphorismes, un peuple imaginaire aux caractéristiques physiques incertaines. Cette section constitue, selon la critique, une caisse de résonance de la Seconde Guerre : « Trente-quatre lances enchevêtrées peuvent-elles composer un être ? Oui, un Meidosem souffrant, un Meidosem qui ne sait plus où se mettre, qui ne sait plus comment se tenir, comment faire face, qui ne sait plus être qu’un Meidosem » [Michaux, 2001, p. 202].
  • [11]
    La phénoménologie en énoncera la loi en ses propres termes : il n’y a pas de « je » sans relation constitutive au monde et à l’altérité.
  • [12]
    Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandrose), première publication chez Fischer en 1963. Le recueil, constitué des poèmes écrits entre 1959 et 1963 est dédié à la mémoire d’Ossip Mandelstam. Voir sur ce point Broda [2002].
  • [13]
    Paul Celan, « Allocution de Brême », traduction de John E. Jackson dans le numéro d’hommage à Celan de La Revue des Belles lettres, Genève, 1972.
  • [14]
    René Char rend hommage au dissident Mandelstam persécuté à la suite de L’Épigramme contre Staline composée en 1933. Son propre engagement dans la Résistance française lui semble s’inscrire dans le prolongement de celui du poète russe.
  • [15]
    Lettre de René Char à Tina Jolas citée par Laurent Greilsamer [2004, p. 418].
  • [16]
    Le vocatif est le cas de l’interpellation en latin. Bonnefoy recourt souvent à l’invocation, à l’apostrophe, à l’adresse.

1 Deux figures ont fortement marqué la poétique du don au xxe siècle, mettant au jour ses enjeux à une époque où les fondements mêmes du lyrisme sont ébranlés et où le geste de l’offrande est soupçonné d’imposture. Ossip Mandelstam publie en 1913 De l’Interlocuteur, essai dans lequel apparaît pour la première fois l’image du poème comme « bouteille à la mer [1] ». Paul Celan, poète ayant exercé une influence majeure sur tout un courant de la poésie française de la seconde moitié du siècle [2] et traducteur de Mandelstam, reprend l’image en 1958 :

2

« Le poème peut être une bouteille jetée à la mer, abandonnée à l’espoir – certes, souvent fragile – qu’elle pourra un jour quelque part être recueillie sur une plage, sur la plage du cœur peut-être » [Celan, 2002, p. 58].

3 Le poème est désormais jeté en direction de l’inconnu, le don se confond avec l’appel, celui qui s’en saisit choisit lui-même de se constituer en destinataire, incertain et contingent, et la communauté pourrait bien ne plus être qu’une chimère. Sans doute la destinée de l’un et l’autre poètes éclaire-t-elle pour une bonne part la métamorphose apportée au geste de l’offrande lyrique : Mandelstam, victime des purges staliniennes, s’éteint d’épuisement en 1938 dans un camp de transit en Sibérie orientale, les conditions de cette disparition restant en grande partie inconnues lorsque Celan recueille en 1958 sa bouteille à la mer ; Celan voit sa famille décimée en Allemagne en 1942 et se jette depuis le pont Mirabeau en 1970. La tradition du « don du poème » a été conduite à son exténuation tragique.

4 La réflexion sur la nature des liens entre genre poétique et geste du don s’en trouve impérieusement relancée : relation constitutive ou conditionnelle ? Les caractéristiques propres au discours poétique le portent-elles vers une altérité en laquelle il se remettrait corps et biens ? De quelle nature relèverait alors le don poétique ? Quelles conditions le rendraient possible ? Ces questions gagnent en complexité à l’ère moderne. Car il s’agit d’éclairer ce qu’il advient du geste d’offrande quand le sujet poétique perd son assise, quand le discours poétique tente de subsister sur les cendres du sacré, quand la parole poétique cherche à maintenir sa voie/x dans les marais d’une communication triomphante, quand l’hypothèse d’une communauté prend les contours d’une utopie. Subsistance précaire de l’offrande lyrique ? ou relève suprême, geste ultime qui en quintessencie le sens et la portée ?

5 C’est à travers un parcours librement composé autour de quelques poètes dont la parole « offerte » a marqué l’histoire du genre que nous tenterons une réponse. Certes, ils ne sont pas tous présents, certes, le cheminement assume son caractère délibérément partial et subjectif. Mais il est guidé par le souci de prêter attention aux « voyants, i. e. aux lumières qui s’allument pour nous alerter » [Deguy, 2009, p. 46].

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, / Et puis voici mon cœur [3] »

6 Sans doute la spécificité du discours lyrique demande-t-elle d’abord à être précisée, et l’inscription dans un héritage par ailleurs rappelée. Parole adressée, tutoyante, vocative davantage qu’objet verbal offert à la contemplation, le poème lyrique est généralement défini à partir de son type d’énonciation. On sait que la classification des genres offerte par les romantiques allemands (Schlegel en particulier) reposait sur le critère de la personne : au genre lyrique reviendrait l’expression du « je ». Relevant d’une énonciation assumée par un sujet personnel, le poème lyrique se constitue alors en espace privilégié d’une effusion, d’une confession, d’une confidence, souvent émue, parfois douloureuse. Les contours de ce discours demandent toutefois à être précisés, la distinction qu’opère l’œuvre d’Yves Bonnefoy entre « présence » poétique et « concept » est sur ce point éclairante :

7

« Voici ce qui, je crois, commence la poésie. Que je dise “le feu” […] et, poétiquement, ce que ce mot évoque pour moi ce n’est pas seulement sa nature de feu – ce que, du feu, peut présenter le concept : c’est la présence du feu, dans l’horizon de ma vie » [Bonnefoy, 1967, p. 94-95].

8

« Le vrai commencement de la poésie, c’est quand ce n’est plus une langue qui décide de l’écriture, une langue arrêtée, dogmatisée, et qui laisse agir ses structures propres ; mais quand s’affirme au travers de celles-ci une force en nous plus ancienne que toute langue ; une force, notre origine, que j’aime appeler la parole » [Bonnefoy, 1981, p. 84].

9 Quand le « concept » – ou la langue – se clôt sur un jeu de signes qui conduit à l’écueil de ce que Bonnefoy nomme l’« excarnation », la parole poétique opère la ressaisie subjective et existentielle de cette langue, inscrite dans l’horizon d’une finitude. Toute la tâche poétique consistera alors à retracer dans sa propre démarche cette extraction hors de la langue – excarnée, atemporelle – vers la parole, incarnée, vive, suspendue à la disparition. Une ligne de partage se dessine ainsi, qui vient recouper l’opposition entre langage et discours mise au jour par la linguistique de l’énonciation, dans les années mêmes où Bonnefoy développe sa pensée du poème. Or on sait que les travaux d’Émile Benveniste ont dégagé l’interdépendance décisive, dans le discours, des deux pronoms de la personne. Tout sujet employant la première personne, montre Benveniste, s’adresse à un allocutaire ; la parole s’enracine donc constitutivement dans le dialogue, car la relation se pose inévitablement en miroir : « Je devient tu dans l’allocution de celui qui à son tour devient je » [Benveniste, 1976, p. 260]. Ainsi les conditions mêmes de l’adresse lyrique semblent-elles posées. On retrouverait, du reste, dans les caractéristiques intrinsèques au lyrisme un même entrelacement des deux personnes : le poème lyrique trouve son origine dans l’expérience de la perte et du manque. On sait depuis Jaufré Rudel, Guillaume d’Aquitaine, Raimbaud d’Orange, les tout premiers poètes lyriques de langue française au xiie siècle, que la poésie est parole désirante – « amour réalisé du désir demeuré désir » reprendra Char [1983, p. 162]. Qu’il s’élance vers un être aimé inaccessible, un être défunt ou Dieu, le poème lyrique puise l’énergie de ses vers dans une tension vers l’altérité – altérité transcendante et radicale – par laquelle le sujet lyrique atteint, en retour, son propre manque à être. Le poème lyrique se fait ainsi architecture ajourée, entamée par l’absence – la fin’amor se déploie sur fond d’amor de lonh, l’amour de loin (Jaufré Rudel), absence qui trace les contours constitutifs du genre.

10 Si le regard se porte non sur les caractéristiques du discours lyrique mais sur l’évolution incarnée du genre, toute une histoire des dons, offrandes, bouquets offerts ou mains tendues en direction de l’aimé(e) vient confirmer la disposition dialogique du poème, et met en lumière les relations entre l’objet du don et la parole qui le porte. Cette histoire s’inscrit d’abord dans une tradition qui lui offre une assise sacrée. Car le poète – vates[4] est – on le sait depuis Platon auquel toute la poésie de la Renaissance rend hommage – celui qui reçoit l’inspiration divine, le poème lui est donné, ainsi que Ronsard en fait le récit dans l’« Hymne de l’automne » :

11

Il me haussa le cœur, haussa la fantaisie,M’inspirant dedans l’âme un don de Poésie [Ronsard, 1994, p. 559].

12 Le geste reçoit une caution transcendante par laquelle le poème est doté d’une aura sacrée. « Inspiré de quelque divine afflation » (Thomas Sébillet), le poète devient alors passeur, figure d’Hermès, lui qui convertit le poème reçu en poème offert. Mais aussitôt le poète inspiré apparaît comme tiraillé, écartelé, lui qui est pris dans l’étau entre pure réception passive et travail de mise en forme. Car le don reçu est « émondé » (Du Bellay), ressaisi dans un ensemble de formes consacrées, et bientôt capté dans une suite de rituels poétiques et sociaux. La parole louangeuse se choisit ainsi peu à peu des formes récurrentes, privilégiées et bientôt quasi imposées – l’ode, l’hymne ; le don se ritualise dans des pratiques sociales, lancées par la tradition du don du poète de cour au Prince, pratiques qui mènent bientôt leurs propres trajets tout au fil de l’histoire du lyrisme. Quand Mallarmé reçoit cette tradition par-delà toute l’histoire du romantisme, il choisit d’offrir l’hommage sous forme de « toast » – mince écume où ne subsiste bientôt qu’un geste ténu, réduit au frémissement. La solennité s’est effacée dans le jeu des « loisirs de la poste [5] », et l’adresse lyrique finalement ne se déploie plus que sur l’étoffe légère de l’éventail ajouré. Le don divin s’est replié sur les salons feutrés du xixe siècle, la communauté des élus s’est resserrée sur le cercle mondain des « mardis » mallarméens. La forme a ainsi imposé sa contrainte, elle a modelé le geste du don, l’a esthétisé, raffiné, ciselé, en accompagnant la laïcisation du geste de l’offrande. Le don, jadis divin, se réduit peu à peu à l’entrelacs des mots et des images.

13 Cette histoire du don pourrait alors être suivie à travers un même imaginaire qui, traversant les siècles de poésie, permet d’en mesurer les métamorphoses. Le poète offre des fleurs, le poème offre ses fleurs, le poème s’offre en fleurs – toute la tradition du don amoureux, et toute son allégorisation, est ici contenue dans ce geste, ses élans, ses espoirs et ses doutes. Les Amours de Ronsard, de Cassandre à Hélène, sont, on le sait, traversés de motifs de ce type. C’est d’abord toute la tension entre la tradition précieuse du pétrarquisme [6] et la recherche d’une sincérité immédiate qui affleure dans cet ensemble de variations florales. Lorsque Ronsard offre ainsi, en direction de Marie, son célèbre « Je vous envoie un bouquet que ma main / Vient de trier de ces fleurs épanouies », il met à distance l’artifice de la rose, comme celui de la forme ciselée, pour ne préserver que la simplicité du geste, et sa franchise dépouillée. Des Amours de Cassandre aux Sonnets pour Hélène, le don des fleurs livre non seulement le cœur ouvert, mais aussi toutes les tensions d’une finitude inquiète, partagée entre la conscience lucide de l’éphémère et l’espoir insensé d’une éternité :

14

Afin qu’à tout jamais de siècle en siècle viveLa parfaite amitié que Ronsard vous portait […] Je vous fais un présent de cette Sempervive [Ronsard, 1950, p. 243].

15 C’est pourquoi, lorsque le don des fleurs poursuit sa destinée dans l’histoire de la poésie, il se fait le témoin privilégié d’une solitude en deuil et la trace recueillie d’un exil intérieur : « J’ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline » [Hugo, 1973, p. 282] murmure Hugo, qui dépose un « bouquet de houx vert et de bruyères en fleurs » [ibid., p. 226] sur la pierre tombale de Léopoldine, la chère disparue. Du bouquet verlainien, où pointe alors une légère ironie, tant l’héritage se fait à présent sentir [7], l’histoire du don des fleurs se poursuit jusqu’au geste ténu de celui qui, sur fond de naufrage amoureux, ne garde plus de la fleur qu’un souvenir amer et lointain. Ainsi de la petite algue offerte « à la mystérieuse » par Robert Desnos : « Je t’apporte une petite algue qui se mêlait à l’écume de la mer et ce peigne » [Desnos, 1968, p. 130]. La rose s’est fait bouquet de bruyère, puis petite algue : le motif a sans doute perdu sa superbe, mais cette évolution éclaire aussi certains aspects de l’offrande lyrique.

16 Car cette variation mezza voce met d’abord significativement en lumière le dédoublement dont le geste du don est l’objet en poésie. De Ronsard à Hugo, de Verlaine à Desnos, le don des fleurs s’hérite et se transmet, de sorte que donner à l’être aimé c’est aussi et avant tout offrir aux poèmes écrits jadis, offrir à ce Ronsard qui « par les ombres Myrtheux » prend « son repos » [Ronsard, 1950, p. 260]. Mais le poème offert ouvre aussi toute une chaîne de reprises et de transmissions, qui conjure le battement du temps et enfreint les lois de la chronologie. Puisque l’énonciation poétique est personnelle, chaque réénonciation du poème est réappropriation, ressaisie existentielle du geste qui en a été l’origine. « Je vous fais un présent de cette Sempervive » : comment comprendre autrement le vers de Ronsard, sinon que la Sempervive, fleur de l’éternité, réside précisément dans ce vers dont le sens ne s’épuise jamais, porté par toutes les voix qui le réincarnent et le reconduisent ainsi vers la vie ? Pronom sans référent, forme vide et libre se dégageant des circonstances, le « je » devient ce pronom errant, à l’image du Voyageur d’Apollinaire [1966, p. 52] frappant éperdument à la porte d’une vie « aussi variable que l’Euripe [8] ». Le « je » poétique est donc, en lui-même, don à toute la postérité de ceux qui choisiront de s’en saisir, pour, ensuite, le céder de nouveau. C’est pourquoi tout poème entre dans cet espace d’incertitude où le destinataire précis, connu, auquel il était d’abord ostensiblement voué, s’efface progressivement dans les visages multiples de ceux qui se le réapproprient et en prolongent le geste d’offrande. Dès le moment où le poème adressé est publié, toute l’ambiguïté est mise au jour : lancé en direction non plus de Cassandre, Marie ou Hélène mais vers la postérité, il fait un pari sur l’avenir. Et les termes mêmes de l’échange s’en trouvent fondamentalement redéfinis : le poème offre sans doute encore ce qu’il portait en lui (hommage ému, don du cœur, baiser promis), mais on dira aussi qu’il s’offre lui-même. Il se livre à celui qui s’en saisira : s’offrant au passé de la poésie, s’offrant à une postérité sur laquelle il parie, il est le don qui abolit l’irréversibilité temporelle.

17 Pour autant, le geste du don peut-il se maintenir quand rien ne le fonde plus ? quand rien ne le justifie ? quand il se jette au désert ou à la mer sans espoir de retour ?

« il y a une main / tendue / dans l’air [9] »

18 La particularité de l’énonciation poétique, parole d’adresse que chacun peut se réapproprier, éclaire certainement pourquoi la poésie est le genre le plus marqué par la crise du sujet. Qui peut encore dire « je » après les coups de boutoir que les fondateurs de la modernité ont enfoncés dans les portes du romantisme ? Qui peut s’épancher après Baudelaire proclamant l’« impersonnalité » de ses poèmes, Lautréamont criant que la « poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes » [Lautréamont, 1969, p. 278], Mallarmé annonçant la « disparition élocutoire du poète » [Mallarmé, 1945, p. 266] et ajoutant que l’« ancien souffle lyrique n’est plus » ? Il y a là sans doute un effet d’époque, et presque une querelle d’écoles, mais pas seulement. Ce sont les fondements même de la subjectivité lyrique qui voient leurs contours se redéfinir : le soupçon porté sur la première personne entre dans un mouvement d’obscurcissement du sujet né des dernières années du romantisme, que révèlent bien, sur ce point, les figures de projection du moi chez Baudelaire, exilées de leur transparence intérieure [voir Jackson, 1998]. En risquant une généralisation, on dira que, au seuil de la modernité, le sujet lyrique, autonome, maître de son intériorité, est doublement fragilisé. Il est porté à la fois en deçà de lui-même et au-delà : d’une part, il perd le pouvoir même de dire « je », sujet conduit au bord de l’effacement ; de l’autre, il se démultiplie en figures de fiction. Michaux est au croisement des deux mouvements, lui qui dit être « né troué », lui dont toute l’œuvre crie cette déperdition de l’être et dont les « propriétés » [Michaux, 1998, p. 465], oscillant entre l’être et l’avoir, se réduisent à une terre désolée, vacante, stérile. Lui que la puissance de fabulation porte dans le même temps vers de multiples figures de projection, grimaçantes et douloureuses, à l’image des fragiles « Meidosems [10] » nés de l’imagination du poète sur les ruines de la Seconde Guerre, filiformes jusqu’à l’épuisement, et pourtant résolument invincibles.

19 L’effacement du sujet lyrique semble bien être la nouvelle condition à partir de laquelle le don poétique doit donc être repensé. C’est depuis un creux, une « bouche d’ombre » – disait déjà Hugo –, une absence à soi répondraient les surréalistes traversés par l’écriture automatique, un éloignement à l’égard de soi-même ajouteraient Michaux (« Je vous écris d’un pays lointain » [Michaux, 1998, p. 590]) ou André du Bouchet (« J’écris aussi loin que possible de moi » [Du Bouchet, 1991, p. 38]), que le poème serait désormais adressé. Qu’est-ce à dire ? Si le sujet s’efface, si le point d’ancrage du discours lyrique s’estompe, alors l’intention de l’adresse poétique pourrait bien s’en trouver abolie, et la responsabilité de ce geste tout autant. Dans ce cas, l’assimilation de la parole poétique au geste de don peut-elle encore se justifier ?

20 C’est dans le paradoxe des poèmes « À la mystérieuse » de Desnos qu’un premier élément de réponse peut être dégagé. Cœur battant et diamant noir de Corps et Biens, recueil de 1930, les sept poèmes constituant la section « À la mystérieuse », adressés à celle qui resta pour Desnos une voix sans corps, un visage sans regard, emportent dans un monde d’ombres errantes tout l’héritage du don amoureux et de l’offrande lyrique. Envoyés en pure perte à celle dont le nom même s’efface, ces sept textes sont autant de pas conduisant le poète vers la dépersonnalisation, vers un monde de spectres dans lequel le sujet lyrique perd la possibilité même de dire « je ». Là se situe pourtant la condition étrange d’une rencontre ; en devenant ombre parmi les ombres, Desnos rétablit la possibilité d’un échange ténu au moyen duquel, retournant le mythe d’Orphée et Eurydice, il reconduit à l’existence celle qui l’avait mené au royaume des morts :

21

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie [Desnos, 1968, p. 113].

22 Architecture d’absences, les poèmes « à la mystérieuse » portent ainsi tout l’héritage de la tradition élégiaque jusqu’à l’exténuation, mais dans le même temps ils dégagent la quintessence du don poétique. Adressé par une ombre à une autre ombre, le poème de Desnos, né du naufrage amoureux, est sans doute l’un de ceux qui concentrent avec le plus d’évidence, vive et douloureuse, les leçons de l’offrande lyrique dans la modernité poétique : si le sujet s’efface ou s’il se vide, alors il se réduit à n’être plus que mouvement en direction de l’altérité. L’effacement, l’impersonnalité subie, devient en cela la condition même d’une ouverture. Ainsi André du Bouchet, qui signe L’Effacement du muet, dit n’être plus qu’un « seuil » du monde sensible [11]. C’est donc en rendant le geste désespéré, en portant l’offrande lyrique jusqu’aux bords de l’abolition, que le sens du don poétique s’en trouve paradoxalement renforcé. Telle est la leçon de l’effacement du sujet lyrique.

23 Si, par un effet de miroir, le poème n’est plus lancé qu’en direction de l’absence, alors le don pourrait bien gagner, là aussi, toute la plénitude de sa valeur. Il importe ici de revenir vers le texte fondateur de Mandelstam, De l’Interlocuteur, et vers l’interprétation qu’en propose Celan quarante années plus tard. Soucieux de prendre ses distances avec le symbolisme russe de la fin du xixe siècle, comme avec toute la poésie de circonstance, le premier affirme :

24

« S’adresser à un interlocuteur concret coupe les ailes du poème, le prive d’air, d’élan. L’air du poème c’est l’imprévu » [Mandelstam, 1990, p. 34].

25 En particularisant et en spécifiant l’identité du destinataire, le poème perd donc le sens du don. Le poème traverse l’air, abolit le temps, s’élance en direction d’un interlocuteur indéfini ; celui-là, en s’appropriant le poème, en le faisant sien, devient l’interlocuteur providentiel. Dès lors, le trajet a pour ainsi dire changé de direction : le poème donné est constitué comme don par le lecteur inconnu, récepteur incertain de la bouteille à la mer. Le coup de force de Paul Celan, qui relit Mandelstam à l’aune de sa propre poétique, ravagée par la Seconde Guerre, se situe dans la réinterprétation de cet « inconnu » vers lequel vole le poème. Non seulement le poème ne s’adresse pas à une certaine personne, mais il se donne à personne. Il est la « rose de personne [12] ». La place est vide : c’est celle du tout Autre sans doute, de son absence aussi bien, celle du silence de Dieu quand Celan murmure, en hommage au peuple juif, sa « fugue des morts » en direction d’un ciel de cendre. Et Celan poursuit : la place de l’interlocuteur est vide, mais le poème demeure orienté en sa direction ; bien plus, cette absence est la chance même de son avènement, elle est le nom de l’espoir qui subsiste, elle relance toute la force d’un geste et toute l’intensité d’un don pur. Don absolu du poème lancé à la mer, geste sublime dans lequel le sujet s’abolit lui-même, se donnant alors en pure perte :

26

« Les poèmes, en ce sens également, sont en chemin : ils font route vers quelque chose. Vers quoi ? Vers quelque lieu ouvert, à occuper vers un Toi invocable, vers une réalité à invoquer [13]. »

27 Là où l’on pouvait redouter la mise en péril du geste lyrique et l’abolition de l’offrande poétique, c’est au contraire vers son accomplissement que la poésie moderne s’achemine. On comprend que le fondement métaphysique du genre poétique est directement concerné ; quand la poésie a perdu sa caution transcendante, quand le sujet lyrique n’est plus étayé par un fondement sacré, alors le poème « s’interpose » et le don se donne lui-même, ainsi que le soutient Michel Deguy :

28

« Si tu savais le don-de-Dieu, murmurait la dévotion larmoyante. Mais justement nous ne savons pas […]. Le donataire a perdu contenance. Le donataire recèle sa recrudescence […].
La quête, de son côté, enquête sur la dette et sur la cause – en connaissance. Comme un avoué dépositaire sans légataire, ni héritier. Il invente la provenance et l’adresse. Le poème s’interpose.
[…] Sa mesure ne devra pas tarir le don : donné sans donateur, donnant sans donataire » [Deguy, 2006, p. 92].

29 Sujet effacé, destinataire incertain, geste du don rendu à lui-même : dans les conditions de la « modernité » lyrique, la valeur performative du poème regagne toute sa puissance. Le poème ne donne pas quelque chose, il donne, et cette parole est acte, un acte qui laisse loin derrière lui les sirènes de la communication. Car le poème ne peut, on l’a vu, être associé à un contenu transmis par un destinateur vers un destinataire, il est ce geste, geste gratuit et pur, par lequel les contours mêmes du visible sont redessinés, et la possibilité même d’une existence relancée. Walter Benjamin jetait déjà le soupçon :

30

« Mais que dit l’œuvre littéraire ? Que communique-t-elle ? Très peu à qui la comprend. Ce qu’elle a d’essentiel n’est pas communication » [Benjamin, 1971, p. 260].

31 Rimbaud ironisait quant à lui en « soldant » dans Les Illuminations ce qui échappe au calcul marchand, et en cela à la communication qui la porte :

32

À vendre les Corps, les voix, l’immense opulence inquestionnable, ce que l’on ne vendra jamais [Rimbaud, 1984, p. 192].

Pour conclure : ce que donne le poème

33 Si le poème ne transmet rien de quantifiable, s’il se dérobe a priori au monde marchand, que peut-il alors donner ? Les contours du don peuvent-ils être précisés ? Celan répond : les poèmes sont « des présents porteurs de destins ». Lancé depuis un passé qui n’est plus mais qui revit dans le poème, le poème se fait don de survivance : donnant à entendre ce qui a disparu, il rend possible une mise en présence, il joint un passé qui n’est plus et un avenir qui n’est pas encore. Rien ne le rend plus sensible que le poème énoncé par la bouche de ceux qui ne sont plus. L’« épitaphe de Villon en forme de ballade » lance déjà, au xve siècle, son vibrant appel d’outre-tombe ; par un coup de force énonciatif, Villon choisit de céder la parole à ceux qui, peu à peu au fil du poème, se dévoilent pendus au gibet :

34

Frères humains qui après nous vivez / N’ayez les cœurs contre nous endurcis.

35 Le texte superpose alors parfaitement la supplique implorante (l’appel à la survie par la mémoire des vivants) et le don suprême (l’énonciation faisant littéralement revivre les suppliciés). Le don et le contre-don ne font donc plus qu’un : l’énonciation lyrique conduit à la fusion de la requête et du don. Les enjeux en sont décisifs. Car un partage se fonde dans cette circulation de la parole, qui bâtit l’espace d’une « confrérie » étendue à la condition humaine entière.

36 Que donne alors le poème, sinon les contours d’une destinée commune et d’un présent partageable ? La poétique des pierres écrites d’Yves Bonnefoy reprend le geste de Villon, ose elle aussi un appel au lecteur depuis le seuil de la mort. Elle fait sourdre sa voix de la pierre funéraire, une voix qui traverse la surface minérale et la frontière de la finitude humaine :

37

Ô dite à demie-voix parmi les branches,
Ô murmurée, ô tue,
Porteuse d’éternel, lune, entrouvre les grilles
Et penche-toi pour nous qui n’avons plus de jour [Bonnefoy, 1982, p. 216].

38 Par le partage qu’elle rend possible, l’énonciation lyrique conduit ainsi la poétique à se faire éthique et politique. Le poème devient cette « planche de vivre » recueillant le « naufragé ». René Char construit son anthologie de poètes étrangers, La Planche de vivre, autour de la figure du dissident Mandelstam, la « joue appuyée sur l’épouvante et la merveille ». En traduisant et publiant quelques-uns des poèmes des années d’exil à Voronej, en choisissant d’ouvrir la série de textes sur :

39

Ce qui a résisté – inalliable, inoxydable,
Brûle comme argent féminin.
Et le sobre travail argente
Le fer de la charrue, la voix du poète [Char, 1995, p. 52].

40 Char reprend et fait sien le geste du don autour duquel Mandelstam avait composé son essai de 1913, De L’Interlocuteur. Il va même jusqu’à inscrire dans l’un des textes traduits et publiés le sens même de sa démarche, livré par la voix de Mandelstam :

41

Garde à jamais sauve ma parole pour son arrière-goût de malheur et de fumée [ibid., p. 61].

42 La résistance [14], passant entre Mandelstam et Char, s’énonce donc moins par un contenu sémantique et par la clarté d’un message politique que par un acte de transmission, une chaîne de relais au travers de laquelle se propage cet « arrière-goût de malheur et de fumée ». On remarquera alors l’importance toute significative accordée, dans ces poèmes traduits, à la matière brute, à l’élémentaire, à une nature sauvage et primitive, vecteurs par lesquels transite la résistance à la terreur. Il s’agit bien, par le poème, de rendre sensible et perceptible ce « frisson de l’écorce terrestre [15] », ainsi que le confie Char. C’est à cette aune que le don du poème peut finalement être éclairé dans toute son extension.

43 Que donne le poème sinon une certaine qualité d’existence, une expérience renouvelée du monde ? Qu’on le définisse comme une invitation à l’« habitation poétique du monde », comme une puissance d’émerveillement, une qualité d’écoute, une faculté de s’émouvoir ou une intensification de l’existence, le don poétique met en présence. Il met en présence les vivants et les disparus, mais aussi l’homme et les choses muettes, l’existence incarnée et le monde sensible. Là où l’habitude érode les contours du sensible, que vise le poème sinon à lever les choses de l’indifférencié, à les donner à voir, à être, et en cela à leur rendre justice ? Car le poème appelle les choses à la survivance par la parole ; celle-ci re-nomme, ré-énonce, offre une voix à cela qui sombre dans l’oubli. Francis Ponge, « ambassadeur du monde muet » [Ponge, 1999, p. 631], en faisait sa mission poétique. Yves Bonnefoy offre aux choses muettes non seulement la parole, mais la présence, tant lui importe l’impératif d’une ressaisie du monde sensible dans les mailles d’une existence : la poétique de la présence refonde le lien entre une finitude et un séjour terrestre. C’est pourquoi, portée sur les formes vocatives [16], la poétique de Bonnefoy choisit d’énoncer les termes de sa démarche par le biais d’une étrange prière. Dans Dévotion, Bonnefoy détourne tout à la fois le poème des Illuminations de Rimbaud qui en portait le même titre, et la forme même de la prière religieuse. Il engage une célébration murmurée en appelant à ce que, une à une, survivent les composantes du monde sensible, les plus humbles comme les plus ouvrées, les oubliées et les incertaines. La litanie, aux franges du silence, déroule ces réalités du monde qu’elle réintensifie par la parole d’offrande :

44

Aux orties et aux pierres. […]
À l’hiver oltr’Arno. À la neige et à tant de pas. À la chapelle Brancacci, quand il fait nuit. […]
À cette voix consumée par une fièvre essentielle. Au tronc gris de l’érable. À une danse. À ces deux salles quelconques, pour le maintien des dieux parmi nous [Bonnefoy, 1982, p. 179-181].

45 Appelant à ce que l’unité se refonde autour d’un sacré immanent – en référence à la philosophie de Plotin qui l’inspire –, et autour d’une démarche vocative qui lie et relie tous ceux qui choisissent de reprendre la voix/e du poème, Dévotion donne à voir, donne à exister, donne à s’émerveiller.

46 Telle est, peut-être, la suprême tâche que s’assigne le poème. En dessinant l’espace d’une habitation poétique du monde, le poème laisse loin derrière lui les théories sur sa péremption, son caractère obsolète ou sa légèreté mièvre et frivole. Jamais, au contraire, il n’a été plus impérieux qu’aujourd’hui, où la menace pesant sur le vivant n’est plus une fiction. Le poème, par l’exigence qu’il porte en lui d’un regard attentif, dessillé, averti, par son appel à retracer les contours d’un présent commun, d’un monde où vivre et d’un échange où survit ce qui a disparu, est une invitation à ce que la communauté se fonde et se refonde autour du monde sensible. La circulation vive d’un échange se maintient alors dans le poème adressé, « main / tendue / dans l’air » et cœur battant du vivant :

47

ton visage
m’invente
je donne
ton nom au jour
[Meschonnic, 1999, p. 30].

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Apollinaire Guillaume, 1966, Alcools, Poésie/Gallimard, Paris.
  • Benjamin Walter, 1971, Mythe et Violence, traduction Maurice de Gandillac, Denoël, Paris.
  • Benveniste Émile, 1976, Problèmes de linguistique générale, t. I, Gallimard, « Tel », Paris.
  • Bonnefoy Yves, 1982, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, Hier régnant désert, Pierre écrite, Dans le leurre du seuiL, Poèmes, Poésie/Gallimard, Paris.
  • – 1981, Entretiens sur la poésie, La Baconnière, Neuchâtel.
  • – 1967, Un rêve fait à Mantoue, Le Mercure de France, Paris.
  • Broda Martine, 2002, Dans la main de personne. Essai sur Paul Celan et autres essais, Le Cerf, « La Nuit surveillée », Paris.
  • Celan Paul, 2002, Le Méridien et autres proses, Librairie du xxe et du xxie siècles, Seuil, Paris.
  • Char René, 1983, Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • Char René, Jolas Tina, 1995, La Planche de vivre, Poésie/Gallimard, Paris.
  • Deguy Michel, 2009, La Fin dans le monde, Hermann, « Le Bel aujourd’hui », Paris.
  • – 2006, Le Sens de la visite, Stock, Paris.
  • Desnos Robert, 1968, Corps et Biens, Poésie/Gallimard, Paris.
  • Du Bouchet André, 1991, Dans la chaleur vacante suivi de Ou le soleil, Poésie/Gallimard, Paris.
  • Greilsamer Laurent, 2004, L’Éclair au front. La vie de René Char, Fayard, Paris.
  • Hugo Victor, 1973, Les Contemplations, Poésie/Gallimard, Paris.
  • Jackson John E., 1998, La Poésie et son autre. Essai sur la modernité, José Corti, Paris.
  • Lautréamont (Isidore Lucien Ducasse, dit Comte de), 1969, Œuvres complètes, Flammarion, « GF », Paris.
  • Mallarmé Stéphane, 1996, Vers de circonstances, Poésie/Gallimard, Paris.
  • – 1945, Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • Mandelstam Ossip, 1990, De la poésie, traduit du russe, présenté et annoté par Mayelasveta, Gallimard, « Arcades », Paris.
  • Meschonnic Henri, 1999, Combien de noms, « L’Improviste », Paris.
  • Michaux Henri, 2002, Œuvres complètes II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • – 1998, Œuvres complètes I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • Ponge Francis, 1999, Œuvres complètes I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • Rimbaud Arthur, 1972, Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • Ronsard Pierre de, 1950, Œuvres complètes I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • – 1994, Œuvres complètes II, édition de Jean Céard et Michel Simonin, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris.
  • Verlaine Paul, 2012, Romances sans parole, Flammarion, « GF », Paris.

Notes

  • [1]
    « La lettre cachetée dans la bouteille est adressée à celui qui la trouve. Je l’ai trouvée. J’en suis donc le destinataire secret » [Mandelstam, 1990, p. 61].
  • [2]
    En particulier les poètes ayant gravité autour de la revue L’Éphémère (André du Bouchet, Jacques Dupin, Yves Bonnefoy).
  • [3]
    Verlaine [2012, p. 79].
  • [4]
    En latin, le poète devin, prophète, inspiré.
  • [5]
    Ces petits quatrains en forme d’énigmes adressés au cercle des amis proches ; « Les Loisirs de la Poste » et « Récréations postales » [Mallarmé, 1996, p. 55-81].
  • [6]
    L’influence de Pétrarque est sensible dans les premiers recueils de sonnets en France au xvie siècle. Le « pétrarquisme » se caractérise par une esthétique du raffinement, qui confine à la préciosité, une recherche de la densité expressive et une grande abondance de métaphores qui concourent à magnifier la femme désirée.
  • [7]
    « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, / Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous » [Verlaine, 2012, p. 79].
  • [8]
    L’Euripe est un détroit de la Grèce caractérisé par un étrange phénomène : ses eaux changent de cours sept fois par jour. Ce mouvement de flux et reflux est évoqué par Strabon, Pline l’Ancien, Aristote.
  • [9]
    Du Bouchet [1991, p. 23].
  • [10]
    « Portrait des Meidosems » est une section de La Vie dans les plis, recueil de 1949. Elle présente, sous la forme d’une série d’aphorismes, un peuple imaginaire aux caractéristiques physiques incertaines. Cette section constitue, selon la critique, une caisse de résonance de la Seconde Guerre : « Trente-quatre lances enchevêtrées peuvent-elles composer un être ? Oui, un Meidosem souffrant, un Meidosem qui ne sait plus où se mettre, qui ne sait plus comment se tenir, comment faire face, qui ne sait plus être qu’un Meidosem » [Michaux, 2001, p. 202].
  • [11]
    La phénoménologie en énoncera la loi en ses propres termes : il n’y a pas de « je » sans relation constitutive au monde et à l’altérité.
  • [12]
    Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandrose), première publication chez Fischer en 1963. Le recueil, constitué des poèmes écrits entre 1959 et 1963 est dédié à la mémoire d’Ossip Mandelstam. Voir sur ce point Broda [2002].
  • [13]
    Paul Celan, « Allocution de Brême », traduction de John E. Jackson dans le numéro d’hommage à Celan de La Revue des Belles lettres, Genève, 1972.
  • [14]
    René Char rend hommage au dissident Mandelstam persécuté à la suite de L’Épigramme contre Staline composée en 1933. Son propre engagement dans la Résistance française lui semble s’inscrire dans le prolongement de celui du poète russe.
  • [15]
    Lettre de René Char à Tina Jolas citée par Laurent Greilsamer [2004, p. 418].
  • [16]
    Le vocatif est le cas de l’interpellation en latin. Bonnefoy recourt souvent à l’invocation, à l’apostrophe, à l’adresse.
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