Notes
-
[1]
Freud, OC XII, p. 289-290. Les références freudiennes sont tirées des Œuvres complètes publiées aux PUF. On indiquera OC suivi du numéro du volume cité en chiffres romains.
-
[2]
« Le moi et le ça », p. 255-301, OC XVI, p. 258.
-
[3]
OC XIII, p. 213.
-
[4]
« Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 247-315, OC XII, p. 258.
-
[5]
Ainsi André Green peut affirmer que « la psychanalyse ne débute réellement qu’avec la découverte du refoulement » [Green, 1995, p. 201].
-
[6]
« Sur la psychanalyse », p. 27-39, OC XI, p. 29.
-
[7]
« Au-delà du principe de plaisir », p. 273-338, OC XV, p. 326.
-
[8]
« Pour qu’apparaisse la névrose, il faut un conflit entre les souhaits libidinaux d’un être humain et cette part de son être que nous appelons son moi, qui est l’expression de ses pulsions d’autoconservation et inclut ses idéaux quant à son être propre », « Quelques types de caractères dégagés par le travail psychanalytique », p. 13-40, OC XV, p. 20-21.
-
[9]
« Interprétation des rêves », OC IV, p. 16.
-
[10]
Il dit ouvertement qu’il a « toujours ressenti comme une injustice grossière qu’on ne voulût pas traiter la psychanalyse comme toute autre science de la nature », OC XVII, p. 106.
-
[11]
OC XIV, p. 183.
-
[12]
OC XVIII, p. 177-178 : « En réalité, la psychanalyse est une méthode de recherche, un instrument impartial, un peu comme le calcul infinitésimal. »
-
[13]
« Sur la psychanalyse », p. 27-39, OC XI, p. 29.
-
[14]
« On n’a pas voulu considérer que la recherche psychanalytique ne pouvait pas faire son apparition comme un système philosophique, avec un édifice doctrinal complet et achevé, mais devait se frayer la voie pas à pas vers la compréhension des complications animiques… », OC XVI, p. 279.
-
[15]
OC XII, p. 299.
-
[16]
« Elle n’a jamais prétendu donner une théorie complète de la vie d’âme humaine en général, mais réclamait seulement que ses découvertes soient utilisées pour compléter et corriger nos connaissances acquises autrement », OC XII, p. 297.
-
[17]
« J’ai d’ailleurs déjà laissé deviner que la technique analytique fait obligation au médecin de refuser à la patiente, qui a besoin d’amour, la satisfaction demandée. Il faut que la cure soit pratiquée dans l’abstinence ; je ne pense pas seulement ici à la privation corporelle, ni non plus à la privation de tout ce que l’on désire, car cela, aucun malade peut-être ne le supporterait. Je veux au contraire poser ce principe qu’on doit laisser subsister chez le malade besoin et désir, en tant que forces poussant au travail et au changement, et se garder de les apaiser par des succédanés », « Remarques sur l’amour de transfert », p. 197-211, OC XII, p. 205-206.
-
[18]
« Le besoin de guérir et d’aider était devenu chez lui surpuissant. Sans doute s’était-il assigné des buts qu’on ne peut aujourd’hui absolument pas atteindre par nos moyens thérapeutiques. De sources affectives jamais taries jaillissait sa conviction que l’on pourrait obtenir bien plus avec les malades si on leur dispensait suffisamment de cet amour dont, enfants, ils avaient eu la désirance. Comment cela était réalisable dans le cadre de la situation psychanalytique, c’est ce qu’il voulait arriver à trouver, et tant qu’il n’avait pas connu le succès sur ce point, il se tenait à l’écart, d’autant qu’il n’était plus sûr d’être en accord avec ses amis », « Sándor Ferenczi », p. 309- 314, OC XIX, p. 313.
-
[19]
[Alain, 1990, p. 146-148]. Déjà Alain, dans ses Éléments de philosophie, accusait Freud de réinventer le destin, disant que l’inconscient est un abrégé du mécanisme. La psychanalyse reviendrait à affirmer qu’un autre moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. Elle lierait l’homme à un déterminisme analogue à celui de l’hérédité.
-
[20]
Bien plus, Damasio va faire de l’inconscient psychique un fragment d’un inconscient plus étendu [idem, p. 229].
-
[21]
La question a été posée et traitée dans un collectif, Violence d’État et psychanalyse, qui se proposait de parler depuis le champ psychanalytique de la violence d’État qu’inflige la dictature militaire, en analysant plus particulièrement la « catastrophe sociale » qu’ont représenté en Argentine les années de dictature entre 1976 et 1983. Dans la préface de l’ouvrage, René Kaës écrit : « L’événement sur lequel achoppe la formation de la réalité psychique est […] souvent circonscrit dans la limite de l’intersubjectivité familiale, ou du groupe des familiers. Mais nous sommes confrontés à des achoppements d’une autre ampleur et d’une autre détermination, lorsque dans l’histoire d’un sujet, fait irruption et effraction la violence de l’Histoire, celle de l’État Politique, celle de l’ordre économique. Aussi bien les recherches contemporaines sur la psychose et ses effets dans la transmission et l’héritage des génocides et des camps d’extermination, sur les excès et en défaut laissées dans le psychisme par la Shoah, commencent à rendre possible de penser avec la psychanalyse, et dans la psychanalyse, les effets profonds et à long terme de ces irruptions, d’une nature et d’une origine irréductibles à celles que génère l’intersubjectivité. Ces recherches nous apprennent que les effets de ces violences ne peuvent se métaboliser dans la psyché, se symboliser et y être construits, dans l’après-coup et par les fictions élaboratives qui peuvent les faire accéder à un sens, que pour autant que le psychanalyste en reconnaît la nature et l’origine hors du champ intrapsychique. » [Kaës, 1989, p. XII-XIII]
-
[22]
[Ehrenberg, 2000, p. 270]. Alain Ehrenberg dépeint Freud comme le penseur du conflit. À l’opposé, Pierre Janet aurait mis l’accent sur le déficit ou l’insuffisance psychiques, pathologies sans agents ou sujets clairement assignables. Or, la modernité viendrait cent ans après donner raison à Janet. Ehrenberg voit en effet dans la dépression la maladie psychique dominante de notre époque et comprend celle-ci comme une pathologie non du conflit mais de l’insuffisance : l’individu ne serait plus divisé par des conflits et donc névrosé, mais déchiré par un partage entre le possible et l’impossible, vidé, agité, traumatisé et donc dépendant. Il serait confronté non au problème de l’interdit mais à celui de l’incapacité. « Si la dépression est bien la double manifestation pathologique de la libération psychique et de l’initiative individuelle, s’y jouent d’autres déchirures internes que celles du conflit » [idem, p. 242] et « nous semblons moins divisés par des conflits que vidés ou agités ».
-
[23]
Or, si Freud peut conclure de la bisexualité constitutionnelle à des prédispositions féminines et masculines hétérosexuellement orientées, c’est qu’il ne tient pas cette bisexualité pour une indétermination de la nature du choix de l’objet sexuel. Il conçoit une bisexualité sans homosexualité : c’est la coexistence dans le psychisme de deux potentialités sexuelles, l’une masculine et l’autre féminine toutes deux hétérosexuellement orientées. Ce n’est pas la coexistence de deux orientations sexuelles mais la coexistence de deux sexes.
-
[24]
La schizo-analyse promeut au contraire les mouvements de déterritorialisation et substitue aux dualités psychanalytiques la multiplicité fonctionnelle. Elle valorise les pannes, les intermittences, les disjonctions, les objets partiels, car « la production désirante est multiplicité pure, c’est-à-dire affirmation irréductible à l’unité. » [Deleuze, Guattari, 1972-1973, p. 50]
-
[25]
« Nous avons vu comme la tâche négative de la schizo-analyse devait être violente, brutale : défamiliariser, désœdipianiser, décastrer, déphalliciser, défaire théâtre, rêve et fantasme, décoder, déterritorialiser – un affreux curetage, une activité malveillante. » [Deleuze, Guattari, op. cit., p. 458]
-
[26]
Cf. Politzer [1969, p. 273]. Cela suffit, pour Politzer, à démentir le caractère dialectique ou matérialiste de la psychanalyse et ce, en raison de la théorie énergétique de la libido : « C’est un énergétisme et, comme tout énergétisme idéaliste, en dernière analyse, antimatérialiste et antidialectique. » [ibid., p. 274] Il affirme que cet énergétisme est d’essence réactionnaire, parce qu’il constitue un point de vue individualiste et anhistorique. La théorie des pulsions conduirait inéluctablement à la psychologie individuelle ignorante des rapports entre les individus et l’histoire. De ce fait, la psychanalyse resterait en dehors de l’histoire.
-
[27]
Le modèle qui envisage le psychisme comme lieu du conflit entre pulsions et défenses ne permettrait pas de comprendre le développement individuel, d’après Jessica Benjamin, comme théâtre intime du moi et de ses objets, comme dialectique entre affirmation de soi et reconnaissance de l’autre. Les maladies et souffrances psychiques d’autre part ne seraient pas explicables grâce aux conflits pulsionnels intrasystémiques, entre Moi et Ça, mais nécessiteraient de considérer les perturbations interpersonnelles. Cf. Benjamin [1992, p. 17].
-
[28]
[Honneth, 2007, p. 118] : « La psychanalyse ne s’est pas toujours concentrée sur les aspects interpersonnels de l’action humaine : il a fallu pour cela une série de chocs théoriques qui remirent en question la vision orthodoxe du développement de la vie pulsionnelle de l’enfant. »
-
[29]
Surtout, cette perspective libidinale indissociable de l’inconscient freudien constitue un faux-semblant d’altérité : l’autre est d’une altérité autre que « la scène de l’inconscient – autre simplement – repli de l’altérité provisoire et que la psychanalyse sait déplier dans le monde. » [Levinas, 1992, p. 199]
-
[30]
Dans le cadre de la théorie classique des pulsions, celles-ci ayant un ancrage dans chaque cellule dans le cadre du second dualisme, et faisant dériver les pulsions sexuelles d’un processus chimique interne, on se rendrait incapable de comprendre le développement, et en particulier les stades de la sexualité infantile, comme la résultante non d’excitations mais d’une relation au monde. Karen Horney accuse directement la théorie freudienne des pulsions d’être responsable du peu d’intérêt, selon elle, pour les conditions culturelles à la faveur desquelles les névroses procèdent des conflits décrits.
-
[31]
Même si Freud a travaillé sur l’intrication de la psychologie individuelle et de la psychologie collective, il aurait, affirme Fromm, néanmoins « cherché à expliquer la structure de la société par les besoins instinctuels, plus qu’il n’a insisté sur les interactions sociales entre individus » [Fromm, 2000, p. 67]. Cf. Fromm [1971, p. 61].
-
[32]
« La notion de relation d’objet est héritière, dirions-nous, de la psychologie atomiste. Le lien est quelque chose de différent, qui englobe la conduite. Nous pouvons définir le lien comme une relation particulière avec un objet ; de cette relation particulière résulte une conduite plus ou moins stable avec cet objet, laquelle constitue un pattern, un modèle de conduite qui a tendance à se répéter automatiquement, tant dans la relation interne que dans la relation externe avec l’objet. » [Pichon-Rivière, 2004, p. 39]
-
[33]
« L’inconscient est cette partie du discours concret en tant que transindividuel, qui fait défaut à la disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient » [Lacan, 1999, p. 257].
-
[34]
La psychanalyse lacanienne exploitera cette différence-là, faisant fi de l’ancrage biologique cher à Freud, de l’économique et de la dynamique pulsionnelles, pour saisir l’originalité de la loi du symbolique. Cf. Lacan [1966, p. 803].
1 On aurait tort de croire que la pensée psychanalytique est simple et unifiée et se résume aux grandes lignes définies par Freud. Une constellation de pratiques et de théories se disputent plutôt le champ psychanalytique. Se pose alors la question de ce qui singularise chaque école mais aussi celle de l’unité de la psychanalyse. À quelle condition une doctrine est-elle psychanalytique ? Ces différents mouvements partagent-ils une trame commune ? Peut-on définir alors ce qui serait le « noyau rationnel » de la psychanalyse et qui serait commun aux différents courants ? La question est délicate, d’un point de vue épistémologique, car la psychanalyse est d’abord une clinique singulière. La recherche d’un « noyau rationnel » impose d’aborder la psychanalyse à partir de sa théorie et d’accorder à celle-ci une place et un rôle considérables qu’elle ne possède peut-être pas dans les pratiques. Freud néanmoins semble avoir désiré trouver une telle définition pour la psychanalyse et il proposa même comme but à la création d’une association psychanalytique officielle de travailler à discréditer toutes les fausses représentations de la psychanalyse : « Il fallait qu’il y eût alors un lieu habilité à déclarer : La psychanalyse n’a rien à voir avec toute cette absurdité, ce n’est pas ça la psychanalyse » [1].
2 Passons d’abord en revue les « fondamentaux » de la psychanalyse, qu’on peut formuler à partir des écrits de Freud. Nous verrons ensuite comment ces différents piliers ont été chacun ébranlés, si bien qu’il n’est pas facile de formuler quel peut être le « noyau » à la fois rationnel et commun de la psychanalyse. En effet, l’idée d’un noyau rationnel de la psychanalyse implique deux choses : d’une part, la légitimité et l’intérêt de ce noyau aujourd’hui et, d’autre part, le fait que les différents courants partagent un même noyau justifiant qu’on parle de psychanalyse au singulier. Enfin, et cela n’est encore ici qu’esquissé, nous chercherons ce qui peut résister dans le discours psychanalytique malgré la contestation des différents principes. Le noyau dur de la psychanalyse pourrait alors être situé là, dans ce qui résiste et doit résister à toutes les crises et critiques de la psychanalyse.
Les six piliers de la psychanalyse freudienne
3 Si l’on cherche à tirer des écrits freudiens ce qui pourrait être les principes de la psychanalyse, autrement dit ce qui la structure en tant que théorie et sur quoi Freud n’a jamais transigé, on pourrait formuler quatre propositions doctrinales assorties d’une position épistémologique et d’une position « pratique-clinique ». J’insisterai à chaque fois sur ce dont Freud cherche à distinguer la psychanalyse avec la formulation de ces principes.
L’inconscient comme réalité psychique
4 Freud dit de la différenciation du psychique en conscient et inconscient qu’il s’agit du « premier schibboleth de la psychanalyse » [2], c’est-à-dire de son « épreuve décisive » qui la fait aussi reconnaître. Il déduit l’existence de l’inconscient, soit d’un savoir que, précisément, on n’a pas mais qui pourtant est actif et produit des effets puissants. L’inconscient constitue la réalité psychique, ce qui causalement a autant de poids sinon bien plus que la réalité physique. La réalité psychique partage avec la réalité physique de n’être pas comme elle nous apparaît [3], puisque ce qui nous est donné dans la représentation, c’est la perception de la conscience à laquelle la psychanalyse freudienne dit qu’il faut adjoindre le processus inconscient.
La doctrine du refoulement
5 Le refoulement fait l’objet d’un traitement singulier, en dépit du fait qu’il est également présenté comme un destin de pulsion parmi d’autres : « La doctrine du refoulement est maintenant le pilier sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse, à la vérité la partie essentielle de celle-ci… » [4]. La plupart des psychanalystes s’accordent pour reconnaître dans la notion de refoulement la pièce maîtresse de la psychanalyse [5]. Freud lui-même, lorsqu’il cherche à dégager l’originalité de sa doctrine et l’irréductibilité de ses thèses à celles de Janet, invoque le refoulement [6]. Il joue ainsi le refoulement contre le modèle janetien de l’épuisement. Il tient en effet celui-ci pour le propre de l’inconscient. Or l’inconscient, compris de la sorte, est bien la dimension dont la psychanalyse a dévoilé l’existence, la singularité, les lois de fonctionnement, démontrant l’impossibilité de le réduire aux autres dimensions, somatique, réflexive, sociale. C’est ce que suggère aussi André Green : « Toute l’histoire de la pensée de Freud le montre : le refoulement est un prototype » [Green, 1995, p. 201] (d’abord pour l’ensemble des mécanismes de défense).
Le complexe d’Œdipe (et la sexualité infantile)
6 Freud a également posé, pour la vie psychique, la centralité du complexe d’Œdipe qui est solidaire de l’idée de sexualité infantile. Bien qu’au départ autoérotique, la sexualité de l’enfant n’est pas pour autant sans objets et ceux-ci vont être définis par le complexe d’Œdipe. Ce complexe est chez Freud fondateur, c’est l’axe de la psychopathologie, car il est décisif dans la formation de la personnalité/du caractère et l’orientation du désir. Il est pour Freud universel : « Tout être humain se voit imposer la tâche de maîtriser le complexe d’Œdipe… ». Green réaffirmera le caractère central du complexe d’Œdipe : « L’Œdipe reste, à mes yeux au moins, la valeur centrale de la psychanalyse… » [Green, id., p. 49]. C’est souvent de lui, en montrant qu’il ne se résout pas dans le triangle familial réel, qu’on tire le caractère structural de la théorie psychanalytique. C’est là que la psychanalyse peut rejoindre l’anthropologie structurale (Œdipe comme structure d’un côté, interdiction de l’inceste comme loi universelle de la culture, de l’autre).
Le dualisme pulsionnel et la théorie des pulsions
7 Freud a fait reposer l’ensemble de sa doctrine sur une théorie des pulsions. L’inconscient est en effet composé d’un ensemble de pulsions. La vie psychique est une vie pulsionnelle. Celle-ci fait l’objet d’une théorie qui toujours chez Freud pose une dualité de nature des pulsions. Il lui semble impossible qu’existe seulement une forme unique de pulsions, si bien que toute théorie moniste du pulsionnel lui paraît erronée. Ainsi, lorsqu’il abandonnera la première théorie des pulsions, ce sera pour un autre dualisme : « Notre conception était dès le début dualiste et elle l’est aujourd’hui de façon plus tranchée qu’auparavant, depuis que nous dénommons les opposés, non plus pulsions du moi et pulsions sexuelles, mais pulsions de vie et pulsions de mort. La théorie de la libido de Jung est au contraire moniste [7]… » La libido originaire de Jung qui coïncide avec l’énergie psychique est critiquée parce qu’elle abolit la dualité entre pulsion sexuelle et non sexuelle. Pour le comprendre, il faut revenir au caractère conflictuel du fonctionnement psychique [8]. Ce conflit quasi définitoire de la réalité psychique paraît indissociable d’une dualité et même d’un dualisme, dont l’un des termes est toujours la sexualité, et dont l’autre est déterminé différemment au gré des évolutions de la doctrine. Jean Laplanche résume ainsi l’argumentaire de Freud réfutant et peut-être instrumentalisant l’accusation de pansexualisme portée contre lui : « En rappelant que toute sa théorie est fondée sur le conflit et que conflit implique dualité ; il faut donc bien que quelque chose s’oppose à la sexualité, même si ce terme opposé est défini différemment à tel ou tel moment de la pensée freudienne… » [Laplanche, 1970, p. 46].
Épistémologie : exigence de scientificité et non-systématicité
8 Freud considère la psychanalyse comme une science. Dans sa « Remarque préliminaire » à l’Interprétation des rêves, il déclare qu’il n’est pas poète mais bien « chercheur dans les sciences de la nature » [9], et il s’agace toujours de voir certains refuser à la psychanalyse le statut de science [10]. Il s’agit bien d’une science et d’une science nouvelle : « Psychanalyse est le nom […] d’une série de vues psychologiques, acquises par cette voie, qui croissent progressivement pour se rejoindre en une discipline scientifique nouvelle. » [11] Aussi possède-t-elle pour lui les attributs principaux de la science : l’objectivité, le caractère certain de ses résultats, le caractère inachevé, toujours en devenir et animé par de nouveaux progrès, l’empirisme [12]. Si on peut faire une lecture stricte de cette affirmation et y voir la prétention à la vérité objective, on peut lire aussi dans cette exigence de scientificité d’abord un principe de distinction à l’égard de la spéculation et de la philosophie : « Je commencerai en disant que la psychanalyse n’est pas un enfant de la spéculation, mais le résultat de l’expérience ; et pour cette raison, comme chaque nouvelle production de la science, elle est inachevée. » [13] Freud invoque en particulier le fait que le caractère systématique de la philosophie est incompatible avec l’esprit scientifique de la psychanalyse, qui en fait un corps de savoir en devenir [14]. C’est pourquoi il s’opposera fermement à toutes les aspirations à former des systèmes qu’il rencontrera chez ses confrères psychanalystes. Il se brouillera ainsi avec Alfred Adler, auquel il reprochera de trahir l’esprit même de la science : « La théorie adlérienne fut dès le tout début un “système”, ce que la psychanalyse évita soigneusement d’être [15] ». Il réclame qu’on prenne acte du caractère non systématique de la psychanalyse et qu’on cesse d’attendre d’elle qu’elle rende raison de l’ensemble des aspects de la vie humaine [16]. Le différend avec James Putnam viendra aussi illustrer cette opposition freudienne au système.
Théorie « abstinente » de la cure : une thérapie non empathique
9 La pratique ou la cure (fondée sur les associations libres, le transfert, etc.) reste toujours une relation non empathique. L’analyste est tenu à une règle d’abstinence et de neutralité, et il doit se garder d’influencer directement ses patients physiquement (en les touchant par exemple) ou psychiquement (en exerçant sur eux des pressions, en leur adressant des injonctions, en étant directif voire dirigiste) [17]. Cette prescription semble structurante et Freud désapprouvera chez Ferenczi la technique dite « active », et la technique d’« analyse mutuelle », recherche de symétrie analyste-patient, visant à épargner à des patients traumatisés certaines difficultés de l’analyse grâce à un encouragement du contre-transfert censé faire naître chez le patient une confiance propice à l’analyse. Il est sans appel sur ces ruptures du cadre patentes dans de telles démarches interventionnistes [18]. L’écoute associative doit être la plus « neutre » et « objective » possible.
Le destin et la contestation de ces six piliers
10 Ce qui rend difficile la formulation d’un noyau rationnel de la psychanalyse que partageraient les différents courants de la psychanalyse, et qui justifierait la désignation d’une doctrine comme « psychanalytique », c’est que la rationalité et la légitimité de ces six piliers ont été mises en cause à la fois de l’extérieur, depuis d’autres champs théoriques, et de l’intérieur, par d’autres mouvements psychanalytiques qui contestaient la définition qu’avait fixée Freud de la psychanalyse. Je ne prends à chaque fois qu’un ou deux exemples des remises en causes externes et internes de chacune de ces lois, en mettant en avant les objections venues des sciences sociales et de l’anthropologie.
L’inconscient et la réalité psychique
11 1.1-. Le premier pilier a été contesté de l’extérieur de différentes façons. D’abord, on a nié radicalement son existence, sa réalité et son pouvoir causal. Il y a là pour Alain à la fois une erreur et une faute : toute pensée est volontaire ; c’est le principe du scrupule, la condition du remords [19]. Ensuite, on peut défendre l’existence d’un inconscient mais nier que celui-ci soit psychique. Si tout est neuronal, si notre culture, nos comportements, nos œuvres trouvent dans le fonctionnement du cerveau leur explication, si, comme le soutient J.-P. Changeux dans L’homme neuronal, il y a tout lieu de penser que petit à petit le fossé entre systèmes neuronaux et fonctions cognitives pourra être comblé, il reste peu de place pour une causalité proprement psychique. On peut bien alors défendre l’existence d’un inconscient. Ainsi, A. Damasio insiste sur le fait que « nous n’avons pas besoin de choisir entre les vues de Jung et celles de Freud pour reconnaître l’existence de processus inconscients » [1999, p. 294] dans la mesure où on accorde que les contenus de pensée qui sont présents à notre esprit ainsi que nos souvenirs sont le terme d’un long processus dont nous n’avons pas conscience. On peut constater l’existence de compétences inconscientes qui restent hors du champ de la conscience, telles la régulation des fonctions vitales ou les aptitudes acquises automatisées ou dispositions, les préférences qui s’expriment sans passer par le moi connaissant, les images qui se forment et dont on ne se préoccupe pas, les configurations neuronales qui ne deviennent jamais images, etc. [20]. La difficulté, c’est qu’il ne reste que la façade du concept d’inconscient. On ne peut pas entendre Damasio parler de l’inconscient comme « tout le savoir caché que la nature a consigné dans des dispositions homéostatiques innées… » [idem, p. 230] ou affirmer l’existence de l’inconscient pour cette raison que « la liste de ce que nous ne connaissons pas est stupéfiante » [ibidem], sans penser que cet inconscient ne peut pas être l’inconscient défini par Freud. En effet, sont ici appelés inconscients à la fois des processus que Freud rattacherait au préconscient et des processus organiques qui, selon lui, n’ont rien à voir avec la topique psychique.
12 Enfin, troisième objection portée contre la réalité psychique inconsciente, on a formulé le reproche selon lequel la psychanalyse était conduite de ce fait à ignorer l’existence d’accidents [Malabou, 2007], soit l’importance d’une causalité extérieure et objective et pas seulement d’une causalité immanente fantasmatique. La notion même de principe de réalité a été dénoncée comme prenant faussement acte de l’incidence de la réalité. Depuis longtemps, on a dit de Freud, pour reprendre une formule de Foucault, qu’il avait fait de l’individu « son propre Dieu » [Foucault, 1994, p. 675] parce qu’il lui revenait maintenant de résoudre ses conflits par la compréhension de ses actes. Cette mutation fut reçue comme sa raison et son tort. Ce modèle monologique avait en particulier le défaut de minorer considérablement l’incidence du contexte social, politique et historique dans lequel l’individu se trouve placé.
13 1.2-. Des objections internes au milieu psychanalytique ont également été portées contre l’absolutisation de ce premier pilier. Certains psychanalystes ont insisté sur l’absence de prise en compte des situations spécifiques dans lesquelles le sociopolitique influe de façon négative voire traumatique sur l’individu. Ainsi, un nombre important d’intellectuels et de psychanalystes argentins ont pu dire de la psychanalyse freudienne ou orthodoxe qu’elle était en partie une psychologie des apparences, par son absence de prise en compte de l’incidence des catastrophes sociopolitiques et l’incompréhension des tensions propres au milieu, et que, de ce fait, elle se vouait à constituer une libération partielle et précaire. Le reproche principal était de traiter d’un milieu imaginaire en ne conférant de réalité qu’au psychique. Pour être à même de comprendre les catastrophes sociales, il fallait donc reconsidérer les rapports de l’individu à la société : « En Amérique latine il devient de plus en plus difficile de concevoir une psychanalyse qui ne tienne pas compte de la réalité sociale et ne perçoive pas les incidences des tensions politiques et économiques sur le travail analytique [21]… » [Kizer, 1976, p. 261].
Le refoulement
14 2.1-. La légitimité du deuxième pilier a également été contestée. Je mentionne ici trois critiques « externes ». D’abord, on a souligné la contradiction du modèle. Sartre, même s’il partage avec Freud l’idée qu’un acte ne saurait se borner à lui-même, s’interpréter au moyen du moment qui le précède mais qu’il renvoie à des structures plus profondes, pose le caractère contradictoire de la censure [Sartre, 1943, p. 88]. Ensuite, on a pu faire valoir le caractère historiquement daté du principe du refoulement. Alain Ehrenberg a ainsi développé l’idée d’un nouvel âge de la personne, dominé par la responsabilité et l’initiative. La société sollicite intensément l’individu qui doit être plus que jamais capable d’action et de socialisation et qui se trouve confronté à une pathologie de l’insuffisance et à une précarisation du soi qui engendrent des souffrances psychiques singulières. Notre contexte social serait un contexte qui fatigue, épuise, bouscule, agite, vide et rend incapable d’agir. L’individu en sortirait déprimé et non névrosé : « La personne contemporaine est prise dans un processus de “déconflictualisation” dans le psychiatrique et le sociopolitique [22] ». Ce n’est plus le refoulement qui rend malade mais l’épuisement causé par la sur-sollicitation de l’individu. Enfin, on a pu opposer à la généralité du principe du refoulement l’existence de sociétés sans refoulement, dominées par d’autres types de processus psychiques. Nous y revenons dans le point suivant.
15 2.2-. De l’intérieur de la psychanalyse, l’idée de refoulement a été moins contestée, mais elle a fait l’objet néanmoins de remaniements conséquents, soit qu’on la secondarise, soit qu’on lui préfère l’idée de clivage.
L’Œdipe
16 3.1-. Le troisième pilier, le complexe d’Œdipe adossé à la sexualité infantile, a lui aussi été attaqué depuis des champs extrapsychanalytiques. On a contesté sa rationalité principalement de quatre façons. D’abord, a été mise en cause son universalité. C’est ce que fait déjà Fanon dans Peau noire, masques blancs : « On oublie trop souvent que la névrose n’est pas constitutive de la réalité humaine. Qu’on le veuille ou non, le complexe d’Œdipe n’est pas près de voir le jour chez les nègres » [Fanon, 1952, p. 143]. L’objection formulée par Malinowski et reprise par l’école « culturaliste » est que, dans certaines civilisations où le père n’a en charge aucune fonction répressive, il n’y a pas de complexe d’Œdipe mais un complexe nucléaire spécifique à cette structure sociale. Ensuite, on a dénoncé le naturalisme qu’il recouvrait. Par exemple, dans Trouble dans le genre, J. Butler a montré qu’il ne fallait pas se hâter de voir dans cette innovation conceptuelle qu’est le complexe d’Œdipe négatif le signe d’une ouverture freudienne à l’idée d’une positivité du choix d’objet homosexuel. Elle a dégagé le fait que l’argument freudien de la bisexualité originaire fonctionne comme une couverture. Son apparence progressiste masque un préjugé, celui que le désir est initialement hétérosexuel [23]. Est principalement en cause la différence sexuelle, comprise comme fondement des identités de genre, en particulier comme déterminant des refoulements liés aux « prédispositions », présupposé naturaliste massif. En effet, des prédispositions président au destin du complexe d’Œdipe.
17 Encore, on pointe le caractère normatif et la fonction de normalisation et d’encadrement du désir de cette structure qu’est l’Œdipe. On sait comment Foucault a montré que la psychanalyse, sans en avoir l’air, reconduit l’épinglage du dispositif de la sexualité sur le système de l’alliance. Cette logique de l’épinglage et de la réinscription (du sexuel dans la loi) qui se traduit dans l’exigence de connaissance et de mise en discours du sexuel fonctionne de fait comme réduction du foisonnement des logiques du désir. Il est clair qu’un effet de lisibilité et une capacité de résistance moindre résultent de l’imposition à tous d’un même code ou d’un même secret (la sexualité avec ses schèmes, en particulier l’Œdipe). Deleuze et Guattari ont également, dans l’Anti-Œdipe, présenté le projet freudien comme la tentative de domestication dans une forme familiale d’un désir qui pourtant lui échappe, ce qui les conduit à refuser tout ce qui dans la psychanalyse tend à la composition ou recomposition d’une unité, comme la détermination d’objets propres aux pulsions définis en particulier par le « familiarisme » de l’Œdipe [24].
18 Enfin, on a pu défendre le caractère dépassé de ce schème psychique. Marcuse, en particulier, dans Culture et société, a montré que la structure sociale a changé et a fait reculer singulièrement le rôle du père et de l’entreprise privée et familiale : « Cette situation dans laquelle se forment le moi et le sur-moi à l’occasion de la lutte avec le père comme représentant paradigmatique du principe de réalité, est une situation historique : elle cessa d’exister avec les transformations de la société industrielle qui se produisirent pendant l’entre-deux-guerres » [Marcuse, 1970, p. 252].
19 3.2-. Des mises en causes du complexe d’Œdipe, troisième pilier freudien de la psychanalyse, ont émané également de l’intérieur du champ psychanalytique. On a évoqué déjà la critique de Félix Guattari. La schizo-analyse est ainsi résolument non œdipienne [25]. On pourrait parler aussi de la valorisation de la relation duelle (sans tiers rival) au détriment du triadisme de l’Œdipe, dans l’école kleinienne par exemple.
La théorie des pulsions et le dualisme
20 4.1-. La rationalité de la théorie des pulsions et du dualisme pulsionnel freudien a été également discutée. On proposera deux exemples de critiques émises depuis des disciplines autres que la psychanalyse. D’abord, la théorie pulsionnelle de Freud est critiquée pour son caractère biologisant. Lui est alors imputée l’impossibilité de prendre la mesure de l’importance des relations objectales et interpersonnelles. D’autre part, il est reproché à la psychanalyse classique une erreur d’analyse qui lui fait prendre les productions et phénomènes culturels pour des phénomènes biologiques et instinctuels. De ce fait, ne serait pas reconnue la manière dont des facteurs culturels déterminent et influencent au premier chef le comportement. Politzer, dans la Critique des fondements de la psychologie, avait déjà attaqué le biologisme freudien comme point de vue impersonnel et analyse en troisième personne qui ruinait tout rattachement de la psychanalyse à la psychologie concrète [26].
21 Ensuite, on a objecté que la théorie des pulsions fait du destin psychique un monologue ou un soliloque. N. Elias, dans Les logiques de l’exclusion, parle d’« Homo clausus » pour l’homme freudien. La théorie des pulsions imposerait un modèle monologique. La théorie classique des pulsions est alors tenue pour un obstacle à la saisie des relations primaires de reconnaissance [27]. C’est pourquoi, pour penser les relations affectives primaires en termes de reconnaissance, J. Benjamin comme A. Honneth ont recours, plutôt qu’à la psychanalyse classique, aux théories des relations d’objet [28]. Dans La société du mépris, Honneth expliquera alors que, relativement à cette perspective intrapsychique qui est celle de Freud, l’accusation de vieillissement portée contre la psychanalyse se justifie [2006, p. 332]. Des arguments éthiques ont aussi été formulés contre la théorie des pulsions. On trouve en particulier chez Levinas une critique générale des implications des principes fondamentaux de la psychanalyse [1991, p. 44-45]. La théorie des pulsions est appréhendée comme renforçant le point de vue de l’impersonnalité et faisant alors manquer la singularité qui compte : « La passion libidineuse par elle-même ne contiendrait pas le mystère de la psyché humaine. C’est l’humain qui expliquerait l’acuité des conflits noués en complexes freudiens. Ce n’est pas l’acuité du désir libidineux qui, par elle-même, expliquerait l’âme. » [Levinas, 1977] [29] Surtout, pour Levinas, les principes freudiens, le principe de plaisir, l’idée de narcissisme originaire, la théorie des pulsions conduisent à une forme d’égocentrisme originaire impropre. La perspective de l’investissement libidinal fait de l’autre une fonction et un neutre, alors que « le drame interhumain du subjectif est plus profond que le drame érotique et que celui-là porte celui-ci. L’éros suppose le visage » [Levinas, 1972, p. 122, note 8].
22 4.2-. Les contestations émanant de l’intérieur du champ psychanalytique contre ce pilier de la théorie freudienne qu’est la théorie dualiste des pulsions n’ont pas manqué. D’abord, des théories monistes du pulsionnel ont été défendues, comme celle de Jung.Ensuite, on a attaqué le biologisme de la théorie des pulsions. La psychanalyse lacanienne en particulier se séparera de l’ancrage biologique cher à Freud, de l’économique et de la dynamique pulsionnelles, pour saisir l’originalité de la loi du symbolique. C’est pourquoi dans Subversion du sujet et dialectique du désir [1966], Lacan estime nulle la contribution de la psychanalyse à la physiologie. Il faut discréditer la psychanalyse biologisante, psychologisante et développementale, celle de « l’officine psychanalytique ». L’école psychanalytique dite « révisionniste » prend elle aussi clairement pour cible le biologisme de la théorie des pulsions dans la psychanalyse « orthodoxe ». Ainsi, Erich Fromm reproche à la théorie freudienne de confondre les pulsions enracinées dans la physiologie et communes aux hommes et aux animaux et les passions et pulsions proprement humaines, qui seraient les plus puissantes et qui sont engendrées par ce qu’il nomme « la dichotomie existentielle humaine », en leur donnant à toutes un même fondement biologique et physiologique [Fromm, 2000, p. 39] [30].
23 Encore, tout un courant psychanalytique s’est constitué en opposition à ce qui était compris comme l’internalisme de la théorie freudienne des pulsions. C’est le reproche le plus fréquent. Il est porté d’abord par la psychanalyse dite « révisionniste » [31]. Mais le projet théorique et clinique d’Enrique Pichon-Rivière repose lui aussi sur la volonté de compléter l’investigation psychanalytique par une investigation sociale, qui appréhende la personne comme une totalité. Sa « théorie du lien » est ainsi conçue pour pallier les défauts de l’approche psychanalytique intrapsychique qui tient l’individu pour le produit du jeu de ses pulsions et des objets internalisés [32]. Les analyses critiques de la théorie des pulsions comme pente solipsiste sont plus spécifiquement déployées concernant les premiers stades du développement de l’enfant et de la personnalité. On retrouve la mise en cause du caractère monologique de la conception freudienne des premiers temps de la vie dans presque toutes les écoles psychanalytiques postfreudiennes. Beaucoup aboutissent à refuser l’idée de narcissisme originaire. Ainsi, José Bleger, dans Symbiose et ambiguïté, s’attaque à l’idée classique que les premiers stades de la vie de l’être humain seraient marqués par l’isolement, isolement à partir duquel le sujet entrerait ensuite et progressivement en relation avec les autres [Bleger, 1981, p. 7]. Mais il revient à Michael et Alice Balint d’avoir dégagé les travers du concept de narcissisme primaire en défendant le rôle prédominant que jouent les relations d’objet dans les toutes premières phases de la vie. Les Balint objectent que les différents types de relations d’objet ne se succèdent pas en fonction de conditions biologiques mais qu’« il faut les concevoir comme des réactions à l’influence réelle du monde des objets – en premier lieu aux méthodes éducatives » [Balint M., Balint A., 2001, p. 84].
24 Enfin, de nombreux psychanalystes contestent le second dualisme pulsionnel. Ainsi, Franz Alexander objecte au dualisme pulsion de vie-pulsion de mort que ce n’est plus un point de vue descriptif mais une position métaphysique, qui se prononce sur la nature profonde des tendances psychologiques. À la conception métaphysique des pulsions, il faut préférer une perspective simple en termes d’économie et d’énergie psychiques [Alexander, 1942, p. 210-211]. D’autres contestent le caractère primaire de Thanatos. C’est le cas de M. Balint qui, dans son article « L’amour et la haine », rejette l’idée d’une haine fondée sur une pulsion fondamentale et défend la thèse que l’amour est une forme de relation d’objet plus générale et primitive. La haine serait secondaire [Balint M., 2001, p. 175].
25 Certains psychanalystes comme Ronald Fairbairn soutiennent quant à eux que la théorie des relations d’objet permet de faire l’économie du second dualisme pulsionnel. Mais la plus grande partie des critiques de ce second dualisme porte en réalité sur le traitement de l’agressivité. D’une façon générale, on manifeste une réticence importante à l’égard des conséquences problématiques de l’affirmation d’une propension primaire chez l’homme à l’agressivité, qui irait de pair avec l’hypothèse de la pulsion de mort. De la supposition d’un instinct de mort résultent à la fois un pessimisme prononcé, puisque l’autodestruction est érigée en principe psychique et vital, et la définition de l’homme par la tâche de lutter contre ses instincts. Tout cela infirme, pour Guntrip, ce second dualisme freudien, en particulier le fait que l’agressivité dépend de relations interpersonnelles et d’une situation historique [1961, p. 86]. Pour Erich Fromm, l’hypothèse de la pulsion de mort conduit à une vision tragique inacceptable [Fromm, 1971b, p. 83-84 ; 1980].
La scientificité et le refus du système
26 5.1-. La prétention freudienne à l’exigence de scientificité a également été contestée par plusieurs types d’arguments extérieurs. D’abord, K. Popper, dans La logique de la découverte scientifique, a pu dire que la psychanalyse n’est pas une science car elle ne se prête pas à la réfutation. Ensuite, A. Grünbaum, dans Les fondements de la psychanalyse et La psychanalyse à l’épreuve, a affirmé que la psychanalyse est bien une théorie scientifique mais que celle-ci a été réfutée. Enfin, on a proposé de faire de la psychanalyse une science humaine, lui déniant de ce fait son statut de science de la nature. Pourtant, à l’inverse, la psychanalyse a été également contestée pour son systématisme, ou pour le systématisme de ses explications (Œdipe, castration, refoulement…). Autrement dit, on a pu douter de l’application par la psychanalyse dans sa pratique du principe antisystématique.
27 5.2-. L’ancrage empirique-clinique n’a pas été contesté, on s’en doute, à l’intérieur du champ psychanalytique. Mais différents mouvements psychanalytiques ont remis en cause l’exigence de scientificité définie par Freud. On a ainsi avancé l’idée que la psychanalyse serait « hors champ », pour défendre la singularité épistémologique de la psychanalyse, en montrant son irréductibilité à un discours scientifique. Cette position à nos yeux s’inspire de l’enseignement de Lacan. Elle consiste à affirmer que la psychanalyse est un savoir et non une science. D’une façon générale, de nombreux psychanalystes ont pu faire valoir le poids trop fort de la théorie dans la perspective freudienne et défendre des approches analytiques beaucoup plus empiriques.
La cure non empathique
28 6.1-. Enfin, l’idée que la cure doit reposer sur une relation « abstinente » ou non empathique a également été débattue. D’autres types de psychothérapies, de soutien par exemple, ont fait valoir la nécessité du face à face, de la discussion ouverte avec le thérapeute, voire d’une dimension de conseil, de prescription, d’incitation. Ainsi, les thérapies comportementales donnent lieu à des exercices que le patient doit réaliser en particulier dans le traitement des phobies et des troubles obsessionnels compulsifs (TOCs). Les psychothérapies de groupe et les groupes de parole induisent également un redéploiement moins « abstinent » de la thérapie. Enfin, l’intervention auprès des victimes de la grande précarité conduit à élaborer des dispositifs thérapeutiques inédits à l’égard d’un « cadre » orthodoxe se révélant peu à même d’accueillir ces souffrances [cf. Furtos, 2008].
29 6.2-. Mais il est intéressant que l’impératif freudien d’absence d’empathie et de non-intervention de l’analyste ait été contesté à l’intérieur de la psychanalyse par certains mouvements qui ont proposé d’autres façons d’envisager la cure. On pense bien sûr aux pratiques inspirées des travaux de Ferenczi. Si Lacan ou Lagache ont poursuivi la ligne freudienne en mettant en avant l’impératif de ne pas se laisser envahir par le contre-transfert – en faisant valoir une éthique non empathique –, à partir des années 1950, a été remise en cause l’idée que le psychanalyste devrait se garder de tout mouvement d’empathie, car il est touché par le transfert. On a pu défendre alors l’intérêt d’une écoute analytique contre-transférentielle. Ralph Greenson élabore l’idée de négenpathie ; Daniel Widlocher a défendu celle de « co-pensé » dans la cure.
30 La contestation de l’ensemble de ces principes, si elle peut signifier une contestation de la rationalité et de la légitimité de la psychanalyse, si aujourd’hui elle est le signe d’une « crise » de la psychanalyse, induit aussi le caractère problématique du discours sur la psychanalyse. Si de l’intérieur même de la psychanalyse tous ces principes ont été contestés, quelle unité peut-on conférer en effet au discours psychanalytique ? Ne serait-il pas préférable de dire qu’il n’y a que des discours psychanalytiques voire des pratiques psychanalytiques ? Mais qu’est-ce qui justifie alors encore l’emploi du même qualificatif ?
Un noyau rationnel de la psychanalyse ?
31 Formuler toutes ces objections n’implique pas d’y adhérer. On peut répondre à plusieurs d’entre elles et contester la légitimité et la rationalité de certaines remises en causes des six grands principes énoncés. D’autre part, à l’intérieur du champ psychanalytique, ces principes sont inégalement contestés. En particulier, les idées d’inconscient comme réalité psychique et de refoulement paraissent constitutives d’une théorie psychanalytique. S’il n’y a pas d’inconscient ni de résistances à lever, on ne voit pas ce que la cure conserve comme sens. L’abandon de certains principes invaliderait alors purement et simplement le sens de cette pratique qu’est d’abord la psychanalyse.
32 Mais on peut se tourner aussi vers ceux qui ont interrogé ce qui, dans la psychanalyse, résiste aujourd’hui aux attaques, contradictions, etc. Le contenu de cette résistance pourrait constituer ce noyau rationnel de la psychanalyse, susceptible de définir ce qui la spécifie. Je me référai ici à deux analyses.
33 D’abord, dans « Résistances », repris dans Résistances de la psychanalyse, Derrida [1996], à partir de cette résistance à la psychanalyse qui fait de celle-ci comme « une sorte de médicament périmé au fond d’une pharmacie », s’intéresse à la possibilité d’une résistance de la psychanalyse si celle-ci se résiste à elle-même. Sous un certain rapport, la psychanalyse participe du règne du logos et de la métaphysique quand elle analyse la résistance comme résistance à l’interprétation, au sens, à la vérité, quand elle cherche à avoir le dernier mot de l’interprétation, quand elle cherche à résoudre. Mais elle est aussi parente de la déconstruction, point par laquelle elle résiste, car elle ouvre aussi un autre concept de l’analyse que celui qui a eu cours dans l’histoire de la philosophie, la science et la logique, une analyse qui délie, une analyse infinie, qui doit analyser sans fin, qui bute sur de l’inanalysable aussi, sur une restance. Par là, quand l’analyse n’est pas la solution mais la dissolution, la déliaison, la psychanalyse résiste et se résiste à elle-même, car elle déplace les concepts de sens et de vérité par rapport à la tradition et commence leur déconstruction.
34 Ensuite, dans À quoi résiste la psychanalyse ?, Pierre-Henri Castel [2006] repart également de la crise majeure et peut-être terminale, dit-il, que marque pour la psychanalyse le tournant des années 1980. Les attaques portées contre la psychanalyse se doublent de la disparition de la présence subversive de la psychanalyse à notre vie sociale quand on assiste à un devenir et à un usage conformistes des propos psychanalytiques et à l’entrée de la psychanalyse « sur le marché des valeurs ». S’ajoute à cela le déchirement interne de la psychanalyse entre deux tendances inconciliables. D’un côté, une tendance néo-positiviste qui tente une réhabilitation scientifique de la discipline, par exemple via la neuro-psychanalyse. En quoi n’a-t-on pas affaire alors à une psychologie parmi d’autres qui liquide la subjectivité ? De l’autre, le désir d’une psychanalyse intersubjectiviste qui fait valoir une relation thérapeutique plus empathique. Mais n’a-t-on pas alors liquidé l’inconscient ?
35 À quoi peut alors résister la psychanalyse ? Il y a trois lignes de résistance, détaille P.-H. Castel. La psychanalyse peut d’abord résister aux tentatives d’invalidation épistémologico-historique. Elle peut ensuite résister à elle-même. Enfin, elle peut résister à l’exaltation de valeurs dont la civilisation a fait des idéaux fondateurs de la vie en commun. On s’aperçoit que ce qui résiste, c’est la résistance elle-même, le motif de la résistance qui vient de l’inconscient. C’est la résistance solidaire de l’inconscient qui résiste, pour P.-H Castel, et qui forme le noyau et l’avenir de la psychanalyse. C’est, écrit-il, l’espace légitime de ses futures transformations, le lieu où elle peut retrouver une fécondité et une radicalité.
36 Comme noyau rationnel, on pourrait faire valoir les motifs de l’analyse mais surtout de la résistance ou de la réalité psychique inconsciente qui définissent à la fois ce qui résiste dans la psychanalyse et ce dont elle ne peut se passer pour être ce qu’elle est et porter ce nom. Si l’inconscient et sa résistance – noyau dur de la psychanalyse – était ce qui résiste et donne son nom à la psychanalyse, quelle pourrait être la contribution de cette position en matière d’anthropologie et sa convergence en ce domaine avec certaines directions de la philosophie et de la sociologie ? La réponse nous semble ambivalente.
37 En effet, d’un côté, l’inconscient psychique fait signe vers un sujet dessaisi ou destitué. On n’insiste jamais assez sur le poids d’étrangeté et la radicalité de l’inconscient, qui n’est jamais le simple négatif de la conscience [33]. L’inconscient n’est pas un horizon ou un implicite. Aussi G. Rosolato peut-il s’autoriser du texte freudien pour thématiser « la relation d’inconnu » qu’il oppose à la tendance technologique de la psychanalyse qui prétend tout justifier, tout expliquer, et accéder ainsi sans reste à l’inconscient. Celle-ci signifie un rapport à l’inconnaissable qui interdit la possibilité d’une emprise totale [Rosolato, 1977]. Il renvoie donc à l’attachement de Bion dans sa clinique à l’inconnu. Bion, en effet, a défendu la thèse que l’investigation analytique, même approfondie, est toujours balbutiante et la proportion du connu à l’inconnu infime au terme de la cure et a fortiori au cours de celle-ci, si bien que « les adjectifs tels que “complet” ou “plein” n’ont pas leur place pour qualifier l’“analyse” » [Bion, 1974, p. 123]. Seul le « point obscur » doit occuper l’attention de l’analyste et non les découvertes, mais dans l’idée que cet inconnu est pour partie un inconnaissable. Cette attention à l’étrangeté de l’inconscient est généralement soutenue par des réflexions sur l’altérité du ça, lieu d’expression des intensités. A. Green parle ainsi du ça qui fait le fond de l’inconscient dans la seconde topique comme une machine infernale : « L’inconscient se dresse alors comme une dimension foncièrement hétérogène aux formes vécues de la conscience comme s’il fallait se défaire à ses sources de tout aspect représentatif. L’inconcevable – ce qui n’est pas l’ineffable – l’autre de mon discours n’est pas de ma nature. L’aliénation n’est pas seulement une division, c’est un enveloppement » [Green, 1966, p. 21]. Il s’agit là d’une aliénation dont on ne se remet pas, une « aliénation en nous ». L’inconscient définit alors pour le sujet une situation irréductible d’aliénation dans laquelle il diffère irrémédiablement de lui-même. Il y a peut-être là une anthropologie commune avec des discours philosophiques et sociologiques qui affirment l’aliénation constitutive d’un sujet qui ne s’appartient pas tout à fait à lui-même.
38 Pourtant, prendre acte de l’altérité de l’inconscient, c’est aussi formuler ce qui fait obstacle à cette anthropologie partagée. En effet, quoique ancré dans la nature, l’inconscient se présente d’abord comme une « autre scène ». La question de la nature humaine semble suspendue par l’hypothèse d’une vie psychique inconsciente en ce que celle-ci se détache de toute nature. L’inconscient n’a résolument aucune nature [34]. Paul-Laurent Assoun l’a formulé ainsi : « Freud s’appuie d’autant plus sur une rationalité évolutionniste qu’elle permet de cerner, par une logique continuiste, le “trou” que l’objet-sujet inconscient atteste, au cœur même du processus – la psychanalyse, “science de la nature”, faisant elle-même “trou” dans le savoir de l’Homme » [Assoun, 1996, p. 1763]. La radicale étrangeté de l’inconscient est donc aussi ce qui désamorce le discours anthropologique d’un point de vue psychanalytique.
Bibliographie
Références bibliographiques
- ALAIN, 1990, Éléments de philosophie, Livre II, Chapitre XVI, Gallimard, « Folio essais », Paris.
- ALEXANDER F., 1942, Our Age of Unreason, a study of the irrational forces in social life, J.B. Lippinincott company, Philadephia/New York.
- ASSOUN P.-L., 1996, « Freudisme et darwinisme », in TORT P. (dir.), Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, t. II, PUF, Paris, p. 1741-1763.
- BALINT M., BALINT A., 2001 (1951), « Remarques critiques concernant la théorie des organisations prégénitales de la libido », in BALINT M., Amour primaire et technique psychanalytique, Payot, « Science de l’homme », Paris, p. 59-85.
- BALINT M., 2001 (1951), « L’amour et la haine », in Amour primaire et technique psychanalytique, Payot, « Science de l’homme », Paris, p. 167-184.
- BENJAMIN J., 1992, Les liens de l’amour, Métailié, Paris.
- BION W.R., 1974, L’attention et l’interprétation, Payot, « Science de l’homme », Paris.
- BLEGER J., 1981, Symbiose et ambiguïté, Étude psychanalytique, PUF, « Le fil rouge », Paris.
- CASTEL P.-H., 2006, À quoi résiste la psychanalyse ?, PUF, « Science, histoire et société », Paris.
- DAMASIO A.R., 1999, Le sentiment même de soi, corps, émotion, conscience, Odile Jacob, « Sciences », Paris.
- DELEUZE G., GUATTARI F., 1972-1973, Anti-Œdipe, Minuit, « Critique », Paris.
- DERRIDA J., 1996, « Résistances », in Résistances de la psychanalyse, Galilée, « La philosophie en effet », Paris, p. 11-53.
- EHRENBERG A., 2000, La fatigue d’être soi, Dépression et société, Odile Jacob, « Poches », Paris.
- FAIRBAIRN W.R.D., 1998, « La structure endopsychique en fonction des relations d’objet », in Études psychanalytiques de la personnalité, Éditions du Monde Interne, Paris, p. 87-145.
- FANON F., 1952, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris.
- FOUCAULT M., 1994 (1978), Dits et écrits. 1976-1979, tome III, Gallimard/NRF, « Bibliothèque des Sciences humaines », Paris.
- FROMM E., 2000, « Renouveaux en psychanalyse », in Revoir Freud, Pour une autre approche en psychanalyse, Armand Colin, Paris.
- — 1971a, « Le modèle de l’homme chez Freud et ses déterminantes sociologiques », in La crise de la psychanalyse, essai sur Freud, Marx et la psychologie sociale, Anthropos, « Sociologie et connaissance », Paris.
- — 1971b, La crise de la psychanalyse, essai sur Freud, Marx et la psychologie sociale, Anthropos, « Sociologie et connaissance », Paris.
- — 1980, « Critique de la théorie freudienne de la pulsion », in Grandeur et limites de la pensée freudienne, Robert Laffont, « Réponses », Paris.
- FURTOS J. (dir.), 2008, Les cliniques de la précarité, Masson, Paris.
- GREEN A., 1995, in GREEN A., FAVAREL-GUARRIGUES B., GUILLAUMIN J., FEDIDA P. et alii, Le négatif, travail et pensée, L’Esprit du temps, « Perspectives psychanalytiques », Bordeaux-Le-Bouscat.
- — 1966, « Les portes de l’inconscient », in EY H. (dir.), L’inconscient, VIe colloque de Bonneval, Desclée de Brouwer, « Bibliothèque neuro-psychiatrique de langue française », Paris, p. 17-44.
- GUNTRIP H., 1961, « Criticisms of Freud’s Instinct-Theory by the “Culture Pattern” School. (a) Libido, (b) Aggression », in Personality, structure and human interaction, The developping synthesis of psycho-dynamic theory, The Hogarth press and the institute of psycho-analysis, London.
- HONNETH A., 2007, La lutte pour la reconnaissance, Le Cerf, « Passages », Paris.
- — 2006, « Théorie de la relation objet et identité postmoderne. À propos d’un prétendu vieillissement de la psychanalyse », in La société du mépris, Vers une nouvelle Théorie critique, La Découverte/Armillaire, Paris, p. 325- 348.
- KAËS R., 1989, « Préface », in Collectif, Violence d’État et psychanalyse, Dunod, « Inconscient et culture », Paris.
- KIZER C., 1976, « La psychanalyse en argentine », Critique, « La psychanalyse vue du dehors (II) », n° 346, mars, p. 253-262.
- LACAN J., 1999, « Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits I, Seuil, « Points essais », Paris, p. 235-321.
- — 1986 (1959-1960), L’éthique de la psychanalyse, Séminaire VII, Seuil, Paris.
- — 1966, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », in Écrits, Seuil, « Champ freudien », Paris, p. 793-827.
- LAPLANCHE J., 1970, Vie et mort en psychanalyse, Flammarion, « Champs », Paris.
- LEVINAS E., 1992, De dieu qui vient à l’idée, Vrin, « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris.
- — 1991, Entre nous, Essais sur le penser-à-l’autre, Grasset, « Figures », Paris.
- — 1977, Du sacré au saint, cinq nouvelles lectures talmudiques, Minuit, « Critique », Paris.
- — 1972, L’humanisme de l’autre homme, Fata Morgana/Le Livre de poche, « Biblio essais », Paris.
- MALABOU C., 2007, Les nouveaux blessés. De Freud à la neurologie, penser les traumatismes contemporains, Bayard, Paris.
- MARCUSE H., 1970, « Le vieillissement de la psychanalyse », Culture et société, Minuit, « Le sens commun », Paris, p. 249-269.
- PICHON-RIVIÈRE E., 2004, Théorie du lien suivi de Le processus de création, Érès, « La maison jaune », Paris.
- POLITZER G., 1969 (1933), « Psychanalyse et marxisme. Un faux contre-révolutionnaire. Le “freudo-marxisme” », in Écrits II, Les fondements de la psychologie, Éditions Sociales, Paris, p. 252-281.
- ROSOLATO G., 1977, « La psychanalyse au négatif », Topique, revue freudienne, « Trajets analytiques », n° 18, janvier, p. 11-29.
- SARTRE J.-P., 1943, L’être et le Néant, essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard, « Tel », Paris.
Notes
-
[1]
Freud, OC XII, p. 289-290. Les références freudiennes sont tirées des Œuvres complètes publiées aux PUF. On indiquera OC suivi du numéro du volume cité en chiffres romains.
-
[2]
« Le moi et le ça », p. 255-301, OC XVI, p. 258.
-
[3]
OC XIII, p. 213.
-
[4]
« Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 247-315, OC XII, p. 258.
-
[5]
Ainsi André Green peut affirmer que « la psychanalyse ne débute réellement qu’avec la découverte du refoulement » [Green, 1995, p. 201].
-
[6]
« Sur la psychanalyse », p. 27-39, OC XI, p. 29.
-
[7]
« Au-delà du principe de plaisir », p. 273-338, OC XV, p. 326.
-
[8]
« Pour qu’apparaisse la névrose, il faut un conflit entre les souhaits libidinaux d’un être humain et cette part de son être que nous appelons son moi, qui est l’expression de ses pulsions d’autoconservation et inclut ses idéaux quant à son être propre », « Quelques types de caractères dégagés par le travail psychanalytique », p. 13-40, OC XV, p. 20-21.
-
[9]
« Interprétation des rêves », OC IV, p. 16.
-
[10]
Il dit ouvertement qu’il a « toujours ressenti comme une injustice grossière qu’on ne voulût pas traiter la psychanalyse comme toute autre science de la nature », OC XVII, p. 106.
-
[11]
OC XIV, p. 183.
-
[12]
OC XVIII, p. 177-178 : « En réalité, la psychanalyse est une méthode de recherche, un instrument impartial, un peu comme le calcul infinitésimal. »
-
[13]
« Sur la psychanalyse », p. 27-39, OC XI, p. 29.
-
[14]
« On n’a pas voulu considérer que la recherche psychanalytique ne pouvait pas faire son apparition comme un système philosophique, avec un édifice doctrinal complet et achevé, mais devait se frayer la voie pas à pas vers la compréhension des complications animiques… », OC XVI, p. 279.
-
[15]
OC XII, p. 299.
-
[16]
« Elle n’a jamais prétendu donner une théorie complète de la vie d’âme humaine en général, mais réclamait seulement que ses découvertes soient utilisées pour compléter et corriger nos connaissances acquises autrement », OC XII, p. 297.
-
[17]
« J’ai d’ailleurs déjà laissé deviner que la technique analytique fait obligation au médecin de refuser à la patiente, qui a besoin d’amour, la satisfaction demandée. Il faut que la cure soit pratiquée dans l’abstinence ; je ne pense pas seulement ici à la privation corporelle, ni non plus à la privation de tout ce que l’on désire, car cela, aucun malade peut-être ne le supporterait. Je veux au contraire poser ce principe qu’on doit laisser subsister chez le malade besoin et désir, en tant que forces poussant au travail et au changement, et se garder de les apaiser par des succédanés », « Remarques sur l’amour de transfert », p. 197-211, OC XII, p. 205-206.
-
[18]
« Le besoin de guérir et d’aider était devenu chez lui surpuissant. Sans doute s’était-il assigné des buts qu’on ne peut aujourd’hui absolument pas atteindre par nos moyens thérapeutiques. De sources affectives jamais taries jaillissait sa conviction que l’on pourrait obtenir bien plus avec les malades si on leur dispensait suffisamment de cet amour dont, enfants, ils avaient eu la désirance. Comment cela était réalisable dans le cadre de la situation psychanalytique, c’est ce qu’il voulait arriver à trouver, et tant qu’il n’avait pas connu le succès sur ce point, il se tenait à l’écart, d’autant qu’il n’était plus sûr d’être en accord avec ses amis », « Sándor Ferenczi », p. 309- 314, OC XIX, p. 313.
-
[19]
[Alain, 1990, p. 146-148]. Déjà Alain, dans ses Éléments de philosophie, accusait Freud de réinventer le destin, disant que l’inconscient est un abrégé du mécanisme. La psychanalyse reviendrait à affirmer qu’un autre moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. Elle lierait l’homme à un déterminisme analogue à celui de l’hérédité.
-
[20]
Bien plus, Damasio va faire de l’inconscient psychique un fragment d’un inconscient plus étendu [idem, p. 229].
-
[21]
La question a été posée et traitée dans un collectif, Violence d’État et psychanalyse, qui se proposait de parler depuis le champ psychanalytique de la violence d’État qu’inflige la dictature militaire, en analysant plus particulièrement la « catastrophe sociale » qu’ont représenté en Argentine les années de dictature entre 1976 et 1983. Dans la préface de l’ouvrage, René Kaës écrit : « L’événement sur lequel achoppe la formation de la réalité psychique est […] souvent circonscrit dans la limite de l’intersubjectivité familiale, ou du groupe des familiers. Mais nous sommes confrontés à des achoppements d’une autre ampleur et d’une autre détermination, lorsque dans l’histoire d’un sujet, fait irruption et effraction la violence de l’Histoire, celle de l’État Politique, celle de l’ordre économique. Aussi bien les recherches contemporaines sur la psychose et ses effets dans la transmission et l’héritage des génocides et des camps d’extermination, sur les excès et en défaut laissées dans le psychisme par la Shoah, commencent à rendre possible de penser avec la psychanalyse, et dans la psychanalyse, les effets profonds et à long terme de ces irruptions, d’une nature et d’une origine irréductibles à celles que génère l’intersubjectivité. Ces recherches nous apprennent que les effets de ces violences ne peuvent se métaboliser dans la psyché, se symboliser et y être construits, dans l’après-coup et par les fictions élaboratives qui peuvent les faire accéder à un sens, que pour autant que le psychanalyste en reconnaît la nature et l’origine hors du champ intrapsychique. » [Kaës, 1989, p. XII-XIII]
-
[22]
[Ehrenberg, 2000, p. 270]. Alain Ehrenberg dépeint Freud comme le penseur du conflit. À l’opposé, Pierre Janet aurait mis l’accent sur le déficit ou l’insuffisance psychiques, pathologies sans agents ou sujets clairement assignables. Or, la modernité viendrait cent ans après donner raison à Janet. Ehrenberg voit en effet dans la dépression la maladie psychique dominante de notre époque et comprend celle-ci comme une pathologie non du conflit mais de l’insuffisance : l’individu ne serait plus divisé par des conflits et donc névrosé, mais déchiré par un partage entre le possible et l’impossible, vidé, agité, traumatisé et donc dépendant. Il serait confronté non au problème de l’interdit mais à celui de l’incapacité. « Si la dépression est bien la double manifestation pathologique de la libération psychique et de l’initiative individuelle, s’y jouent d’autres déchirures internes que celles du conflit » [idem, p. 242] et « nous semblons moins divisés par des conflits que vidés ou agités ».
-
[23]
Or, si Freud peut conclure de la bisexualité constitutionnelle à des prédispositions féminines et masculines hétérosexuellement orientées, c’est qu’il ne tient pas cette bisexualité pour une indétermination de la nature du choix de l’objet sexuel. Il conçoit une bisexualité sans homosexualité : c’est la coexistence dans le psychisme de deux potentialités sexuelles, l’une masculine et l’autre féminine toutes deux hétérosexuellement orientées. Ce n’est pas la coexistence de deux orientations sexuelles mais la coexistence de deux sexes.
-
[24]
La schizo-analyse promeut au contraire les mouvements de déterritorialisation et substitue aux dualités psychanalytiques la multiplicité fonctionnelle. Elle valorise les pannes, les intermittences, les disjonctions, les objets partiels, car « la production désirante est multiplicité pure, c’est-à-dire affirmation irréductible à l’unité. » [Deleuze, Guattari, 1972-1973, p. 50]
-
[25]
« Nous avons vu comme la tâche négative de la schizo-analyse devait être violente, brutale : défamiliariser, désœdipianiser, décastrer, déphalliciser, défaire théâtre, rêve et fantasme, décoder, déterritorialiser – un affreux curetage, une activité malveillante. » [Deleuze, Guattari, op. cit., p. 458]
-
[26]
Cf. Politzer [1969, p. 273]. Cela suffit, pour Politzer, à démentir le caractère dialectique ou matérialiste de la psychanalyse et ce, en raison de la théorie énergétique de la libido : « C’est un énergétisme et, comme tout énergétisme idéaliste, en dernière analyse, antimatérialiste et antidialectique. » [ibid., p. 274] Il affirme que cet énergétisme est d’essence réactionnaire, parce qu’il constitue un point de vue individualiste et anhistorique. La théorie des pulsions conduirait inéluctablement à la psychologie individuelle ignorante des rapports entre les individus et l’histoire. De ce fait, la psychanalyse resterait en dehors de l’histoire.
-
[27]
Le modèle qui envisage le psychisme comme lieu du conflit entre pulsions et défenses ne permettrait pas de comprendre le développement individuel, d’après Jessica Benjamin, comme théâtre intime du moi et de ses objets, comme dialectique entre affirmation de soi et reconnaissance de l’autre. Les maladies et souffrances psychiques d’autre part ne seraient pas explicables grâce aux conflits pulsionnels intrasystémiques, entre Moi et Ça, mais nécessiteraient de considérer les perturbations interpersonnelles. Cf. Benjamin [1992, p. 17].
-
[28]
[Honneth, 2007, p. 118] : « La psychanalyse ne s’est pas toujours concentrée sur les aspects interpersonnels de l’action humaine : il a fallu pour cela une série de chocs théoriques qui remirent en question la vision orthodoxe du développement de la vie pulsionnelle de l’enfant. »
-
[29]
Surtout, cette perspective libidinale indissociable de l’inconscient freudien constitue un faux-semblant d’altérité : l’autre est d’une altérité autre que « la scène de l’inconscient – autre simplement – repli de l’altérité provisoire et que la psychanalyse sait déplier dans le monde. » [Levinas, 1992, p. 199]
-
[30]
Dans le cadre de la théorie classique des pulsions, celles-ci ayant un ancrage dans chaque cellule dans le cadre du second dualisme, et faisant dériver les pulsions sexuelles d’un processus chimique interne, on se rendrait incapable de comprendre le développement, et en particulier les stades de la sexualité infantile, comme la résultante non d’excitations mais d’une relation au monde. Karen Horney accuse directement la théorie freudienne des pulsions d’être responsable du peu d’intérêt, selon elle, pour les conditions culturelles à la faveur desquelles les névroses procèdent des conflits décrits.
-
[31]
Même si Freud a travaillé sur l’intrication de la psychologie individuelle et de la psychologie collective, il aurait, affirme Fromm, néanmoins « cherché à expliquer la structure de la société par les besoins instinctuels, plus qu’il n’a insisté sur les interactions sociales entre individus » [Fromm, 2000, p. 67]. Cf. Fromm [1971, p. 61].
-
[32]
« La notion de relation d’objet est héritière, dirions-nous, de la psychologie atomiste. Le lien est quelque chose de différent, qui englobe la conduite. Nous pouvons définir le lien comme une relation particulière avec un objet ; de cette relation particulière résulte une conduite plus ou moins stable avec cet objet, laquelle constitue un pattern, un modèle de conduite qui a tendance à se répéter automatiquement, tant dans la relation interne que dans la relation externe avec l’objet. » [Pichon-Rivière, 2004, p. 39]
-
[33]
« L’inconscient est cette partie du discours concret en tant que transindividuel, qui fait défaut à la disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient » [Lacan, 1999, p. 257].
-
[34]
La psychanalyse lacanienne exploitera cette différence-là, faisant fi de l’ancrage biologique cher à Freud, de l’économique et de la dynamique pulsionnelles, pour saisir l’originalité de la loi du symbolique. Cf. Lacan [1966, p. 803].