Couverture de RDM_027

Article de revue

L'endettement excessif aux États-Unis et ses raisons historiques

Pages 322 à 342

Notes

  • [1]
    david Malpass, « running on empty ? », The Wall Street Journal du 29 mars 2005.
  • [2]
    Jon Hilsenrath, « a look behind the u.s. savings rate », The Wall Street Journal du 6 décembre 2004.
  • [3]
    Jon Hilsenrath et Michelle Higgins, « debt problems are haunting even well-heeled consumers », The Wall Street Journal du 9 octobre 2002.
  • [4]
    anne Hayes Peterson, « Credit scoring : Predictive models should make recommendations – not decisions – about loan approvals », Credit Union Magazine, janvier 1998.
  • [5]
    Fair, isaac & Company, « Credit Bureau risk scores : Celebrating 10 years », http :// www. fairisaac. com/ servlet/ sitedriver/ Content/ 1056,1999.
  • [6]
    Le chiffre intègre non seulement la valeur de ses biens meubles et immeubles, le montant de ses revenus, le montant de ses dettes donnant lieu à des paiements récurrents tels que le mortgage (le prêt hypothécaire portant sur le logement), le coût du leasing d’une automobile, son découvert sur les diverses cartes de crédit qu’il détient, mais aussi les données relatives à la stabilité de ses revenus telles que le temps passé auprès de ses employeurs successifs ou les années qu’il a passées à diverses adresses.
  • [7]
    L’explication de cette bévue était qu’une firme de démarchage avait contacté la mairie de la localité où cette petite fille habitait en vue d’obtenir, contre argent sonnant et trébuchant, la liste des utilisateurs de la piscine municipale. La justification des autorités locales, quand on leur demanda ce qui leur était passé par la tête, était une rengaine bien connue : que les temps étaient durs et que la rémunération de ce « service » représentait x ouvrages en plus sur les rayons des bibliothèques scolaires.
  • [8]
    un appât classique consiste à proposer au consommateur sollicité qu’il transfère les découverts qui existent sur ses comptes auprès de la concurrence et soit exempté de payer des intérêts sur ces sommes durant une période standard, généralement de six mois ou d’un an.
  • [9]
    Les organes de surveillance s’étaient émus de cette situation, et en mars 2005 un certain nombre de sociétés émettrices de cartes de crédit promirent d’y remédier en situant le paiement minimum à un niveau tel que soit mis fin à l’amortissement négatif. un tel changement de politique constituait pour elles une perte financière, puisqu’il est à leur avantage que la somme due, à partir de laquelle les intérêts sont calculés, soit la plus élevée possible. Les banques estimaient que le nouveau mode de calcul déboucherait sur des paiements minimum de 35 % à 45 % plus élevés pour certains consommateurs ; elles envisageaient qu’une partie d’entre eux se révèlent incapables de s’acquitter de telles sommes ; elles gonflaient leurs propres réserves financières en conséquence [ cf. Jane J. Kim, « Minimums due on credit cards are on the increase », The Wall Street Journal du 24 mars 2005].
  • [10]
    Peter G. Gosselin, « the new deal. How just a handful of setbacks sent the ryans tumbling out of prosperity. the family’s plight mirrors a trend in which common events like layoff and illness increasingly prove devastating, the times finds », Los Angeles Times du 30 décembre 2004.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    song Han & Wenli Li, « Fresh start or head start ? the effect of filing for personal bankruptcy on the labor supply », The Federal Reserve Board, le 28 avril 2004.
  • [13]
    un trait que j’avais noté à propos des pêcheurs de l’île de Houat dans le Morbihan – et qui est peut-être caractéristique des populations rurales européennes dans leur ensemble – était qu’à celui qui gère bien ses affaires, on reconnaît du talent, alors qu’à celui qui les gère mal, on se contente d’attribuer de la malchance [Jorion, 1976].
  • [14]
    Peter G. Gosselin, « Judges say overhaul would weaken bankruptcy system », Los Angeles Times, le 29 mars 2005.
  • [15]
    Peter G. Gosselin, « Judges say overhaul would weaken bankruptcy system », Los Angeles Times, le 29 mars 2005.
  • [16]
    La nécessité d’une évaluation « dynamique » avait tout d’abord été ressentie dans le domaine de la Loan to Value (LtV), le montant de l’hypothèque par rapport à la valeur de la maison. Le remboursement d’une part de principal à l’occasion de chaque paiement mensuel signifie que dès le premier mois d’un prêt hypothécaire avec amortissement (la formule de mortgage la plus commune), la LtV baisse, la valeur du montant dû se réduisant, alors même que la valeur de la maison reste constante. de plus, dans le contexte américain où le prix de l’immobilier résidentiel s’est renchéri de manière quasi constante depuis les années cinquante, le prêteur disposant d’un gage sur le logement doit intégrer cette appréciation comme un facteur additionnel susceptible de faire baisser la LtV.
  • [17]
    À ma connaissance, la notion de « falaise de crédit » a été introduite par solomon B. samson dans un article intitulé « Playing out the credit cliff dynamics », publié le 12 décembre 200 dans RatingsDirect, une publication internet de l’agence de rating standard & Poor’s.
  • [18]
    un endettement excessif avait joué un tour similaire à Long-term Capital Management, un fonds d’investissement pour individus fortunés (un hedge fund), qui s’était effondré en 1998. Les autorités bancaires avaient craint un effet de dominos sur les marchés financiers et avaient fait pression sur les banques d’investissement liées au hedge fund pour qu’elles le tirent du pétrin au moins provisoirement. un mémorandum qui analysait a posteriori la crise qui avait secoué le fonds expliquait que « [… ] le résultat avait été une spirale descendante qui s’alimentait d’elle-même, entraînant les positions prises sur les marchés de manière imprévue vers des valeurs extrêmes qui dépassaient de beaucoup les niveaux que la discipline en place en matière de gestion du risque et de pertes exceptionnelles était capable de maîtriser » [Loewenstein, 2000, p. 219].
  • [19]
    Kalberg rapporte que « richard Baxter, un pasteur anglais influent au xViie siècle qui commenta l’éthique puritaine, considérait que l’activité mondaine – le travail acharné, la concurrence, la recherche du profit, etc. – pouvait procurer au croyant la richesse dispensée par la main bienveillante d’un dieu omnipotent et omniscient – ou pouvait en tout cas le convaincre que tel était bien le cas » [Kalberg, 1997, p. 206].
  • [20]
    ainsi de l’intervention du président Bush et de la majorité républicaine au Congrès en mars 2005 à propos de terri schiavo, une jeune femme dans un état végétatif depuis quinze ans et qu’une douzaine de décisions judiciaires avaient enjoint qu’on la laisse s’éteindre ; la dernière spécifiait dans ses attendus que les interventions intempestives du Président et des parlementaires de la majorité étaient en désaccord ( at odds) avec la constitution des États-unis.
  • [21]
    À propos de ces derniers, un commentateur constatait, amusé, que le héros américain anglo-saxon prototypique, le cow-boy du Far West, avait été inventé de toutes pièces par les scénaristes de Hollywood, pratiquement tous Juifs ; de même pour la quasi-totalité des chants de noël américains « protestants », du « White Christmas » d’irving Berlin au « silver Bells » de ray evans et Jay Livingston (des noms de plume).
  • [22]
    J’ai rendu par « liberté » l’anglais freedom ainsi que l’anglais liberty.
English version

L’épargne des ménages

1avec un taux d’épargne des ménages proche de zéro ( 0,2 % en décembre 2004 ; 0,1 % en août 2005), les États-unis se distinguent des autres nations du monde occidental où un taux de plus de 10 % est loin d’être exceptionnel. d’un point de vue historique, les États-unis ont connu autrefois des niveaux d’un ordre comparable puisque le taux d’épargne des ménages américains était d’environ de 9 % par an au cours de la période qui s’étend de 1950 à 1980. on ne peut donc pas simplement incriminer le caractère national. alors que s’est-il passé entre-temps ? J’entends montrer ici qu’à l’arrièreplan des contraintes économiques jouent des schémas idéologiques, et en particulier l’éthique protestante que Max Weber avait isolée bien avant moi comme un facteur déterminant.

2Certains commentateurs attribuent le très bas taux d’épargne des ménages à l’optimisme : l’avenir apparaîtrait à ce point radieux aux américains du début du xxie siècle qu’il leur semblerait ridicule de faire des économies. Les divers indices de satisfaction des consommateurs dans la période qui va de 2002 à 2005 ne confirment pas cette opinion, puisqu’ils ont fluctué entre le médiocre et le modérément optimiste. L’optimisme constitue effectivement un facteur ; mais, comme on le verra, il s’agit davantage là d’une constante, liée au mode de sélection bien particulier qui préside au recrutement des émigrants qui choisissent d’aller peupler une colonie.

3d’autres commentateurs incriminent le mode de calcul du taux d’épargne, tel david Malpass [1] , économiste en chef à la banque d’affaires Bear stearns, qui considère que le taux résulte du caractère grossier d’un calcul qui déduit la « consommation » des ménages de leur « revenu disponible ». allant dans le même sens, un expert [2] examinait l’évolution de l’investissement dans l’immobilier résidentiel et constatait que les particuliers y avaient consacré 400 milliards de dollars à la mi-2004, à comparer avec le chiffre de 275 milliards pour la même période en 2001. si cet argent investi dans l’immobilier était considéré comme de l’épargne, assurait-il, le taux serait proche de 6 %. Le taux d’épargne nul des américains ne constituerait alors que l’un des symptômes de la bulle financière constatée à l’heure actuelle dans le secteur de l’immobilier résidentiel. Celui-ci se révélerait à ce point payant aux États-unis qu’il drainerait les ressources qui iraient sinon languir sur des comptes-épargnes moins rentables.

Le déficit de la balance commerciale américaine

4Les États-unis importent aujourd’hui bien davantage qu’ils n’exportent : le déficit de la balance commerciale américaine se chiffrait pour l’année 2004 à 617,7 milliards de dollars, un chiffre en progression de 25 % par rapport à l’année précédente, soit aussi l’équivalent de 6 % du PnB (produit national brut) des États-unis. Le public américain absorbe du coup une part disproportionnée de la production mondiale de biens de consommation et constitue à ce titre la locomotive de l’économie à l’échelle planétaire.

5Les biens de consommation dont les américains sont aujourd’hui friands sont essentiellement des biens d’importation : ordinateurs, télévisions à écran large, vêtements, etc. La raison n’en réside pas dans une évolution du goût du public pour de nouveaux types de biens, mais dans une spécialisation croissante de l’économie domestique des États-unis dans les secteurs de la prestation de services et le retrait parallèle de l’industrie américaine des secteurs producteurs de ce type de marchandises en raison de la mondialisation et du déplacement des complexes industriels vers les zones de moindre coût. ainsi, le goût des ménages américains pour l’automobile n’a pas changé, mais en 2004, désormais au coude à coude avec ses concurrents du marché domestique, toyota est en passe de devenir le principal vendeur d’automobiles aux États-unis, à une demi-longueur de General Motors, Honda suivant de près. dans le contexte actuel donc, plus les ménages dépensent, plus la balance commerciale américaine devient déficitaire. Le mouvement ne peut s’inverser que dans deux cas de figure : soit le parc industriel se respécialise dans les secteurs producteurs de biens de consommation dont les américains raffolent (c’est ce que prône de manière irréaliste l’économiste anglais Wynne Godley), soit les consommateurs limitent leurs dépenses (leur capacité à y parvenir ou non se mesurant par le taux d’épargne des ménages). or, tant qu’ils divertissent l’argent qu’ils pourraient épargner pour l’investir dans la bulle de l’immobilier, l’épargne ne pourra pas progresser. La Chine – en achetant des quantités considérables de mortgage-backed securities (titres adossés à un portefeuille de plusieurs milliers de prêts hypothécaires consentis à des ménages américains) et des quantités énormes de bons du trésor (en 2005, la réserve en dollars du Japon s’élevait à 800 milliards de dollars, et celle de la Chine à 600 milliards de dollars) – contribue à maintenir à un niveau très bas les taux à long terme américains, alimentant ainsi la bulle de l’immobilier résidentiel aux États-unis.

Le taux d’endettement des ménages

6en 2002, le niveau d’endettement du ménage américain moyen était de 100 % de son revenu annuel après taxes. Jamais un niveau aussi élevé n’avait été atteint. Parmi les 20 % de ménages les plus riches, la dette était de 120 % de son revenu annuel disponible, en hausse de 20 % par rapport à 1995. Pour les 80 % restants, la dette s’était accrue à un rythme légèrement plus faible : de 70 % en 1995 à 80 % en 2002. L’expression « service de la dette » mesure la part du revenu des ménages consacrée à payer les intérêts et à rembourser le principal sur les emprunts qu’ils ont contractés ; en raison des faibles taux d’intérêt durant ces huit années, il était de 14 % (calculé comme un pourcentage du revenu disponible [3]). en 2004, l’endettement moyen des ménages atteignait 120 % ; le service de la dette était stable avec 13 % [Greenspan, 2004]. La part des prêts avec amortissement – c’est-à-dire accompagnés d’un remboursement progressif du principal – baissait, renversant la tendance observée sur la période de cinquante ans qui s’étend de 1930 à 1980.

7Comment en était-on arrivé là ? La réponse a deux composantes, apparemment contradictoires : « rien de nouveau sous le soleil » d’une part, et « en raison d’une nouvelle donne » d’autre part.

une tradition d’endettement

8« rien de nouveau sous le soleil », parce que l’endettement des américains est une histoire ancienne. on s’étonnera sans doute des 120 % d’endettement en 2004, mais l’on sera alors encore davantage surpris d’apprendre que le recensement de 1890 révélait que l’endettement moyen des ménages se montait à 880 dollars, un chiffre à rapprocher du salaire moyen de 475 dollars des salariés appartenant aux secteurs autres que l’agriculture ce qui correspondrait à un taux d’endettement de 186 % [Calder, 1999, p. 40]. Le processus de colonisation attire une population entreprenante et industrieuse mais pauvre, porteuse d’une culture de l’endettement. elle conserve, tout au long du processus de son ascension sociale, l’habitude de se maintenir au bord de la catastrophe financière. À l’époque où la presse s’intéressait aux faits et gestes de sa fille, le père de Monica Lewinsky, interrogé par la presse, se plaignait amèrement que sa famille en soit réduite à tirer le diable par la queue avec un revenu annuel de 420 000 dollars – qui en faisait un représentant typique de la middle class américaine !

Le nouveau contexte de l’endettement

9La nouvelle donne, ce sont deux innovations dans la technologie des instruments financiers, et de l’endettement en particulier. C’est, premièrement, la mesure et la personnalisation de la capacité à emprunter : la cote de crédit qui accompagne et précède désormais chaque consommateur dans ses achats à tempérament ; et, deuxièmement, l’utilisation optimale de la maison d’habitation comme gage de nouveaux emprunts : la home equity, l’utilisation optimale des fonds propres, ou capitaux captifs de la propriété.

10Le rating des consommateurs innovation majeure : à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, le système du crédit personnel s’est considérablement modernisé aux États-unis. Jusque-là, une perspective statistique prévalait, où le risque de défaillance de chaque individu dans le remboursement de ses emprunts était envisagé comme également distribué statistiquement sur l’ensemble de la population. dans la nouvelle donne, le calcul du risque est désormais évalué à titre individuel, en fonction de l’histoire personnelle de chaque emprunteur. Chaque consommateur possède désormais une « cote de crédit », calculée « scientifiquement » à partir de son histoire passée et réévaluée au soir de chaque jour ouvrable, exprimant le risque de défaillance qu’il constitue pour un prêteur éventuel : la cote FiCo – des initiales de la compagnie Fair & isaacs Co qui mit au point cet indice individuel.

11Cette cote constitue en fait une simple transposition aux consommateurs du rating des sociétés et des institutions financières opéré par les rating agencies, une demi-douzaine de compagnies certifiées qui, en leur assignant des grades du type « aaa », « aa », etc., évaluent les firmes et les organismes financiers quant au risque de défaillance qu’ils présentent pour leurs bailleurs de fonds. La note qu’une société obtient permet à ses contreparties éventuelles de calculer une prime de risque que celles-ci intégreront au taux d’intérêt attaché aux prêts qu’elles lui consentiront, dictant du coup ce qu’il lui en coûtera d’emprunter sur les marchés financiers.

12La cote FiCo est désormais la norme aux États-unis pour tout ce qui touche au crédit à la consommation. À la fin des années cinquante, Bill Fair, un ingénieur, et earl isaac, un mathématicien, s’associèrent pour fonder la Fair, isaac & Company (FiCo [4]). en 1989, ils mirent à la disposition des Credit Bureau, des « bureaux de crédit », la « cote FiCo » ( FICO Score), qui situe chaque consommateur sur une échelle qui va de 375 (la cote la plus médiocre) à 900, représentant le risque de défaillance qu’il constitue pour tout prêteur, risque calculé à partir de sa fortune actuelle et de son passé d’emprunteur [5] . Les Credit Bureau sont des agences privées collectant pour l’ensemble des consommateurs la totalité des données relatives à leur endettement telles que le montant actuel de leurs dettes, leurs retards dans le paiement, les saisies dont ils ont été l’objet, leurs condamnations pour non-paiement et leurs faillites personnelles. Le niveau de la « cote FiCo » de chaque consommateur [6] est recalculé quotidiennement en fonction des opérations passées dans la journée écoulée.

13La cote FiCo a, dans l’esprit de ses auteurs, deux finalités essentielles :
permettre à un bailleur de fonds d’écarter les brebis galeuses dont il est prévisible qu’elles ne s’astreindront pas à respecter leurs engagements financiers ; lui permettre également, s’il décide de consentir le prêt, de chiffrer le risque qu’il court et de l’intégrer à son prix, à titre de prime de risque.

14ne sont pas pris en considération dans la cote FiCo – et sont même explicitement exclus de son calcul par la loi – les renseignements relatifs au sexe, à la race, à l’âge, à la religion, à l’origine nationale ou au statut marital.

L’utilisation du capital propre captif dans le logement

15deuxième dimension de la nouvelle donne : au cours des années récentes, et avec la complicité des organismes de prêt (bancaires et autres), les consommateurs américains se sont de plus en plus tournés vers les formules d’emprunt sans amortissement initial, qui diffèrent le remboursement du principal de plusieurs années, permettant ainsi à l’emprunteur de ne se confronter durant la période initiale qu’au versement des intérêts. Cela n’a pas empêché, comme on l’a vu, le taux d’épargne des ménages de tomber à zéro, ce qui souligne que même des paiements limités aux intérêts mettent leurs finances à rude épreuve. dans ces conditions, les seules réserves dont les foyers disposent sont constituées par le capital qu’ils ont investi dans leur logement. Cette somme ne représente en général qu’une fraction de la valeur de la propriété, le reste servant de gage au prêt hypothécaire qui a permis son achat. de telles réserves dépendent donc, pour leur existence, du maintien du prix de l’immobilier. or celui-ci est loin d’être garanti sur le moyen ou le long terme.

La récente surchauffe du crédit personnel américain

Tout le monde, il est riche : la carte de crédit

16trois ménages américains sur quatre (de manière générale, ceux qui disposent d’une cote de crédit) reçoivent chaque année entre trente-cinq et soixante-quinze offres de carte de crédit. on compte qu’au total 3,5 milliards de ces propositions sont distribuées par la poste chaque année aux Étatsunis. La manière dont les récipiendaires sont choisis n’est cependant pas toujours très sélective et un article de presse récent rapportait qu’une enfant de huit ans avait reçu un tel courrier [7].

17Le prêt consenti par une carte de crédit n’est pas garanti : comme chacun le sait, aucun bien personnel ne doit être mis en gage pour son obtention. il est aussi automatiquement renouvelé à chaque échéance mensuelle. Cette reconduction tacite, sans renégociation du contrat, constitue la raison historique pour laquelle la carte de crédit a été exemptée aux États-unis des lois fédérales sur l’usure. La justification en était que dans le cas de prêts automatiquement renouvelés, les niveaux plafond traditionnellement fixés pour l’usure ne pouvaient pas garantir la rentabilité des transactions pour les organismes financiers qui les délivrent. trois raisons à cela. La première est que le taux de défaillance est plus élevé pour les cartes que pour les autres types de prêt. deuxièmement, comme on vient de le voir, il y a un coût de prospection : on comptait en 2000 qu’il en coûtait à une banque un peu plus de cent dollars en sollicitations diverses pour qu’un client ouvre un compte. La troisième raison en est qu’afin de bénéficier d’une vaste clientèle susceptible d’emprunter des sommes importantes sur de longues périodes, les émetteurs de cartes sont obligés d’enrôler également des consommateurs qui constitueront pour elles un poids mort, du fait qu’ils rembourseront les sommes dues à chaque échéance mensuelle. tous, quel que soit leur comportement ultérieur, doivent également bénéficier d’avantages coûteux afin d’être fidélisés à un bailleur de fonds plutôt qu’à un autre [8].

18Les trois quarts des ménages américains détiennent des cartes de crédit et parmi eux, les trois quarts – soit au total un peu plus de la moitié de tous les ménages – ont en permanence un découvert sur leur compte dont le montant moyen était de 7 500 dollars en 2004. Ces utilisateurs sont ceux que les banques désignent du terme de revolvers, ceux qui « roulent » leur découvert de mois en mois. Les 20 % de ménages restant (le dernier quart des trois quarts qui détiennent des cartes) règlent chaque mois l’intégralité du solde ; ceux-là sont appelés les convenience users, les « utilisateurs de commodité », ou encore les transactors, terme qui fait référence au fait qu’ils n’ont souscrit à la carte que pour bénéficier du règlement différé de la « transaction ». Pour ces derniers, la carte de crédit se limite à cela : une manière de retarder d’environ six semaines le paiement de leurs dépenses. Cette activité-là est coûteuse pour les organismes financiers qui émettent des cartes de crédit et ce sont donc les revolvers qui compensent – par le taux d’intérêt élevé qu’ils acquittent – l’usage de commodité qu’en font les transactors [evans & schmalensee, 1999, p. 140].

19La carte de crédit est essentiellement utilisée par les ménages qui font partie de la « classe moyenne » proprement dite. un ouvrage consacré au crédit personnel aux États-unis observe que « la proportion des ménages [recourant à ce type de crédit] augmente avec les revenus, atteignant un sommet dans l’intervalle annuel des 50 000 à 100 000 dollars, puis commence à décliner à mesure que le revenu continue de croître [… ] Moins de la moitié des ménages dont le revenu est inférieur à 10 000 dollars encourent de telles dettes [… ] Le crédit à court terme et à taux d’intérêt élevé que représentent les cartes de crédit est concentré sur les familles à revenus moyens » [sullivan, Warren & Westbrook, 2000, p. 110-111].

20une remarque communément faite est qu’aux États-unis, la carte de crédit supplée à l’absence d’un authentique système d’assurancechômage et aux défauts de l’assurance-maladie. on comptait, en septembre 2004,8 millions de chômeurs aux États-unis, dont seulement 2,9 millions touchaient une allocation. L’auteur d’un ouvrage intitulé Credit Card Nation. The Consequences of America’s Addiction to Credit, robert d. Manning, décrit sur un ton pince-sans-rire le rôle joué par la carte de crédit : « La monnaie-plastique autorise la résistance de nombreux américains au système de maintien de l’ordre constitué par le travail “de neuf à dix-sept heures” parce qu’elle leur offre du crédit relativement bon marché qui leur permet de recourir à diverses combines, comme investir dans l’immobilier résidentiel ou jouer en Bourse, ou encore jongler entre diverses occupations en travailleur indépendant. elle sape même le contrôle qu’exerce le monde du travail en permettant aux citoyens, en vivant aux crochets de leurs semblables, de laisser tomber des boulots intolérables ou d’échapper à des arrangements sociaux insupportables (comme habiter chez ses parents ou endurer un mariage raté). Cette stratégie est glorifiée par le fameux autocollant “Je règle Visa avec ma MasterCard” » [Manning, 2000, p. 4-5].

21Les données chiffrées relatives aux faillites personnelles mettent à jour la manière dont les consommateurs gèrent leurs cartes de crédit. il s’agit avant tout, comme le note encore Manning, d’un instrument qui permet à l’individu de séparer sur le plan psychologique ses revenus – ponctuels et d’un montant donné – de ses dépenses, étalées dans le temps et au montant plus insaisissable. de plus, en raison de l’extension que procure la ligne de crédit, le montant potentiel des dépenses devient beaucoup plus considérable que celui des rentrées (le total des offres reçues annuellement par les ménages représente quatre à six fois leurs revenus moyens). autre aspect, la manière dont chacun gère ses cartes de crédit est secrète : la relation exacte entre le volant de ses revenus et celui de ses dépenses n’est connue que du particulier lui-même.

22Le montant des dettes qu’un consommateur peut accumuler sur ses cartes de crédit sans que les compagnies émettrices y mettent le holà est surprenant : l’équivalent souvent de plusieurs années de revenus. Les associations de consommateurs reprochent aux banques, citant des cas individuels chiffrés à l’appui, d’autoriser des découverts qui, s’ils devaient être un jour remboursés, absorberaient la totalité ou la quasi-totalité des gains futurs des endettés. La raison pour laquelle les banques ne s’en formalisent pas est bien connue : les multiples pénalités qu’elles imposent au consommateur en difficulté (pour dépassement du plafond de la ligne de crédit et pour tout retard dans son paiement mensuel) font qu’au moment où celui-ci jette l’éponge en se déclarant en faillite personnelle, il a le plus souvent déjà réglé l’équivalent de la somme due en pénalités diverses.

23autre fait surprenant, le nombre considérable de petites entreprises ( 47 % en 1998) qui se financent par la carte de crédit. Comme le taux d’intérêt que réclament les compagnies financières qui émettent ces cartes était en moyenne de 18,9 % en 2005, les chefs de ces petites entreprises doivent forcément obtenir de leur affaire un rendement supérieur à ce taux, une prouesse bien entendu hors d’atteinte. on vante souvent le fait qu’il est extrêmement aisé de créer une petite entreprise aux États-unis ; ces chiffres relatifs aux cartes de crédit soulignent cependant que près de la moitié d’entre elles sont d’emblée en survie assistée et condamnées à terme.

24alors que dans la plupart des pays, le paiement minimal du découvert sur une carte de crédit se montait jusqu’à récemment aux intérêts dus augmentés d’une somme forfaitaire (constituant une partie du principal), aux États-unis, la somme minimum réclamée est, elle, forfaitaire, le plus souvent inférieure aux intérêts accrus sur le mois écoulé. en conséquence, la dette augmente de mois en mois de la portion des intérêts qui n’ont pas été apurés lors du versement minimum. Le consommateur qui considère alors avec optimisme que ses affaires ne se portent pas trop mal puisqu’il parvient à régler chaque mois les versements minimaux qui lui sont réclamés, se trouve en réalité piégé dans une situation où sa dette s’aggrave de jour en jour, ce que le jargon de la finance qualifie d’« amortissement négatif [9] ».

25« Chapitre 7 » : la faillite qui efface toutes les fautes

26Le régime de la faillite personnelle aux États-unis distingue plusieurs statuts. La formule dite de « chapitre 13 » – dite encore d’« ajustement des dettes d’un individu aux revenus réguliers » – permet à son bénéficiaire de conserver la propriété de son logement. À condition que le particulier propose un réaménagement de ses dettes sur trois à cinq ans, la cour lui assigne un administrateur qui veille à l’application du plan. Cela lui permet d’éviter la saisie de certains de ses biens et plus spécialement de son logement ; il lui faudra pour cela apurer l’ensemble des arriérés des cinq dernières années et n’être défaillant dans aucun de ses paiements futurs. La faillite de « chapitre 13 » représentait environ 30 % des faillites personnelles aux États-unis sur la période qui s’étend de 1990 à 2004.

27L’autre formule qui s’applique aux particuliers, et qui est la plus courante, est celle de « chapitre 7 », dite de « liquidation » : les actifs de l’individu en faillite y sont partagés entre ses créanciers au prorata de leur créance. ses dettes sont effacées et il se voit offrir ainsi la possibilité de « repartir à zéro ». La formule de « chapitre 7 » a représenté, bon an mal an, 70 % des faillites personnelles aux États-unis pour la période qui va de 1990 à 2004.

28en 1980,287 570 américains s’étaient déclarés en faillite personnelle. en 2004, leur nombre était passé à 1,57 million, soit une multiplication du chiffre par cinq et demi  [10]. en progression régulière, le nombre des faillites personnelles de « chapitre 7 » a plus que doublé depuis 1990, passant de 506 940 à 1,15 million en 2004. Celui des faillites personnelles de « chapitre 13 » a suivi le même mouvement, passant de 208 666 en 1990 à 444 128 en 2004.

29La philosophie propre au statut de la faillite personnelle aux États-unis, à l’époque où celui-ci fut mis au point, était d’offrir une seconde chance à quiconque est prêt à participer au « rêve américain ». au xixe siècle, un juge à la cour suprême du texas faisait l’éloge de l’institution et déclarait que « pareils à antée, il leur est donné de repartir avec une énergie, une force et une capacité aux affaires redoublée [11] ». en 1934, la Cour suprême affirmait que la faillite personnelle « offre au débiteur honnête mais malchanceux [… ] une opportunité renouvelée et offre à ses efforts futurs le champ libre, sans qu’il demeure embarrassé par la pression et le découragement que génère sa dette préexistante  [12] ».

30Le régime de la faillite personnelle repose sur deux principes : que le remboursement des dettes soit limité dans le temps, sans quoi la faillite s’assimile à un asservissement du débiteur au créancier, et qu’elle réunisse les conditions qui permettront de repartir d’un bon pied  [13]. Keith Ludin, juge au tribunal des faillites, déclarait récemment à un journaliste : « des tas de gens se sont déclarés en faillite, Mark twain, Buster Keaton, Walt disney. La faillite est un filet de rattrapage très américain. C’est une partie intégrale du “rêve américain [14]”. » Le fait que parmi ceux qui se déclarent en faillite aux États-unis, on trouve trois fois plus de travailleurs indépendants que de salariés confirme cette observation [sullivan, Warren & Westbrook, 2000, p. 115-116].

31Le vent s’est cependant mis à tourner sous l’influence du milieu des affaires et de son porte-parole, la chambre de commerce. un projet de loi qui modifiait le statut de la faillite personnelle fut voté par le Congrès américain en février 2005 et confirmé par le sénat deux mois plus tard.

32au vu de la progression constante du nombre de faillites personnelles, le sentiment s’était imposé au fil des années qu’une proportion trop importante des faillites de « chapitre 7 », qui remettent les compteurs à zéro, sont en réalité « de convenance », c’est-à-dire déclarées par des individus qui auraient en réalité les moyens d’éponger tout ou partie de leurs dettes.

33Ceux-ci sont perçus comme des resquilleurs dont il serait préférable qu’ils soient aiguillés vers la formule du « chapitre 13 » où leurs dettes ne seront pas tout simplement effacées, mais seulement rééchelonnées.

34dans le texte de la loi révisée, le statut de « chapitre 7 » n’a pas été supprimé, mais interdit à la moitié de la population dont les revenus sont supérieurs à la médiane au sein de l’État où l’individu réside d’en bénéficier. Les 50 % de la population américaine les moins fortunés se partagent 2,8 % du patrimoine national seulement (contre 9 % en France en 2000) et ne disposent donc pas de « moyens financiers » dignes de ce nom. La chose n’a pas échappé au législateur qui a maintenu l’accès au régime du « chapitre 7 » pour la partie de la population dont les revenus sont inférieurs à la médiane de leur État. Pour éviter que certains ménages en difficulté n’aient à souffrir du fait que l’État dans lequel ils vivent se caractérise par de faibles revenus, des montants de revenus forfaitaires ont également été introduits dans la loi révisée où ils constituent des seuils absolus.

35Parmi les organismes qui ont travaillé à la promotion de la nouvelle loi, on trouve donc la chambre de commerce, des associations de détaillants, la branche financière de la compagnie automobile Ford et les organismes financiers émetteurs de cartes de crédit. Parmi les opposants, les associations de consommateurs, les syndicats, diverses organisations représentant les minorités ethniques ainsi que l’association nationale des avocats spécialisés dans les faillites personnelles. L’un de ces derniers déclarait à un journaliste : « ils ne visent pas à raccommoder les lois relatives à la faillite personnelle, ils tentent d’amocher le statut à tel point que plus personne ne puisse en bénéficier [15] . »

36Les législateurs ont profité de la révision de la loi dont l’accent est mis sur le filtrage des candidats au statut de « chapitre 7 » pour durcir également les termes du « chapitre 13 ». ainsi, pour ce qui touche aux prêts portant sur l’achat d’une automobile, c’était la valeur actuelle du véhicule qui était considérée ; ce sera désormais le montant du prêt restant dû. Vu les pratiques en cours dans le secteur du prêt automobile, la différence peut être substantielle. Les promoteurs, les marchands de meubles ou d’équipement ménager, les médecins et les organismes financiers émetteurs de cartes de crédit ont également réussi à faire désigner leurs produits ou services comme prioritaires en matière de remboursement.

37La loi laisse en place les dispositions existant dans certains États qui exemptent le domicile de la sphère des biens que les créanciers peuvent saisir. une combine classique pour les candidats à la faillite qui sont fortunés consiste alors à revendre tous leurs biens et à s’acheter un palais à l’aide du capital ainsi réalisé. seule modification apportée par la nouvelle loi : l’individu en faillite devra avoir été propriétaire de son logement depuis quarante mois au moins pour que celui-ci puisse être exempté de la saisie. dernier élément : la loi révisée élève à un million de dollars le montant de sa pension qu’un particulier peut mettre à l’abri de ses créanciers quand il se déclare en faillite.

38L’un des rédacteurs de la loi de 1978 sur les faillites personnelles observait, à propos des récents changements, que « si vous êtes confronté à une montagne de dettes et n’avez aucun espoir d’en venir à bout, soit vous vous évanouirez dans la nature, soit vous vous tournerez vers le crime » [ ibid.].

39Le système juridique extrêmement libéral qui présidait à la faillite personnelle aux États-unis jouait un rôle essentiel dans la gestion globale du crédit individuel. sans l’existence de ce filet de rattrapage, il est douteux qu’un taux d’endettement des ménages dépassant leurs revenus nets d’une année soit viable à long terme. en fait, la législation relative à la faillite personnelle, en rattrapant de justesse ceux qui échouent au jeu dangereux de l’endettement, constituait le pilier qui permettait au système du crédit personnel à deux vitesses – celui de bonne foi qui s’adresse à la vraie « classe moyenne » et celui de mauvaise foi qui vise les pauvres – de subsister et de se reproduire. en l’éliminant, ou « en l’amochant au point que plus personne ne puisse en bénéficier », les élus américains ont supprimé l’un des remparts existants contre le déclenchement d’une crise économique et sociale majeure.

Les falaises du risque

40Le système récent d’évaluation du crédit personnel, fondé sur la cote FiCo, offre au bon payeur des occasions sans cesse renouvelées d’emprunter davantage, soit en mettant en gage les biens qu’il a acquis antérieurement, soit sans même qu’une garantie ne soit exigée de lui – comme dans le cas de la carte de crédit. sa capacité à emprunter est mesurée par sa cote de crédit, et tant que celle-ci grimpe ou reste stationnaire, le moyen lui est offert d’augmenter toujours davantage l’effet de levier de l’endettement. au contraire, le consommateur à la cote médiocre ou inexistante se voit repousser dans les marges et doit payer comptant les dettes qu’il contracte. Voudrait-il jouer au même jeu que le riche que des prêteurs peu scrupuleux tenteront de le convaincre que rien n’est plus simple ; mais ils l’attendront néanmoins au tournant. il devra verser non seulement une prime reflétant le risque qu’il fait réellement courir à ceux qui traitent avec lui sur le plan commercial, mais aussi une prime d’arrogance qu’ils lui imposeront pour avoir voulu jouer dans la cour des grands. dans ce contexte figé, le bon fonctionnement du système dépend uniquement de la scientificité effective de la cote FiCo, c’est-à-dire de sa capacité à mesurer exactement le risque de non-remboursement couru objectivement par le bailleur de fonds.

41une innovation récente, dangereuse par ses implications, est que le coût du crédit qu’un consommateur a déjà obtenu, ou des assurances auxquelles il a souscrit, peut être réévalué à la hausse du jour au lendemain si sa cote de crédit se dégrade pour une raison quelconque. La notion qui sous-tend cette nouvelle évolution est celle d’une cote de crédit « dynamique ». Jusqu’ici en effet, la solvabilité du consommateur était évaluée au moment où il sollicitait l’emprunt, et les mêmes conditions prévalaient jusqu’à sa maturité. L’inconvénient, du point de vue du bailleur de fonds, était que les dettes contractées par le consommateur par la suite étaient ignorées bien que leur impact sur sa solvabilité soit incontestable [16].

42Cette réévaluation dynamique de la cote de crédit des consommateurs signifie que le montant des versements mensuels auxquels ils doivent faire face peut s’emballer, leurs difficultés à respecter leurs engagements dans un domaine engendrant de nouveaux problèmes dans un autre. de nombreux consommateurs découvrirent dans la douleur cette nouvelle subtilité de la cote de crédit quand, tentant de limiter les dégâts en faisant défaillance sur l’une seulement de leurs cartes de crédit, ils virent leur dette sur les autres brutalement réévaluée à la hausse. un consommateur peut ainsi se voir pris dans un tourbillon qui le force à se déclarer en faillite personnelle à brève échéance.

43Cela signifie que les particuliers sont désormais exposés aux mêmes « falaises de crédit  [17] » qui engendrèrent la chute de firmes comme enron ou WorldCom en 2001 et 2002. La dégradation rapide de la cote de crédit de ces entreprises dans les évaluations qu’en font les principales rating agencies, les agences de cotation du risque de défaillance que sont standard & Poor’s, Moody’s, Fitch et quelques autres, les avait précipitées dans un gouffre du fait que de jour en jour, leur dette à court terme devenait plus onéreuse. Leur difficulté à rembourser les sommes dues faisait boule de neige en raison des taux de plus en plus élevés des emprunts nouveaux qu’elles devaient souscrire pour faire face au jour le jour à leurs obligations financières  [18].

44Le risque rencontré par les individus se transforme alors, selon un terme à la mode, en risque « systémique » : inhérent au système. C’est-à-dire, aussi, « collectif » : la mesure du risque par la cote FiCo peut être parfaitement exacte, et le système se retrouver néanmoins en danger mortel du fait qu’un trop grand nombre de participants se trouvent soudain confrontés simultanément aux mêmes contraintes. autrement dit, la cote FiCo des consommateurs individuels peut demeurer un excellent baromètre de leur solvabilité et le système du crédit individuel néanmoins s’effondrer dans son ensemble. il suffit pour cela que leur cote baisse trop rapidement, qu’en conséquence, leurs paiements mensuels soient considérablement révisés à la hausse et qu’ils ne puissent soudain plus faire face à leurs engagements. C’est alors leur nombre même à se retrouver simultanément dans la même situation de délinquance qui génère le danger systémique.

Les racines du surendettement

Le « budgétisme »

45alexis de tocqueville avait commenté le rapport de l’américain à l’argent dans De la démocratie en Amérique. dans le chapitre intitulé « Comment l’aspect de la société, aux États-unis, est tout à la fois agité et monotone », tocqueville faisait le commentaire suivant :

46

« Les hommes qui vivent dans les temps démocratiques ont beaucoup de passions ; mais la plupart de leurs passions aboutissent à l’amour des richesses ou en sortent. Cela ne vient pas de ce que leurs âmes sont plus petites, mais de ce que l’importance de l’argent est alors réellement plus grande. quand les concitoyens sont tous indépendants et indifférents, ce n’est qu’en payant qu’on peut obtenir le concours de chacun d’eux ; ce qui multiplie à l’infini l’usage de la richesse et en accroît le prix. Le prestige qui s’attachait aux choses anciennes ayant disparu, la naissance, l’état, la profession ne distinguent plus les hommes, ou les distinguent à peine ; il ne reste plus guère que l’argent qui crée des différences très visibles entre eux et qui puisse en mettre quelques-uns hors de pair. La distinction qui naît de la richesse s’augmente de la disparition et de la diminution de toutes les autres. Chez les peuples aristocratiques, l’argent ne mène qu’à quelques points seulement de la vaste circonférence des désirs ; dans les démocraties, il semble qu’il conduise à tous.
on retrouve donc d’ordinaire l’amour des richesses, comme principal ou accessoire, au fond des actions des américains ; ce qui donne à toutes leurs passions un air de famille, et ne tarde point à en rendre fatigant le tableau. Ce retour perpétuel de la même passion est monotone ; les procédés particuliers que cette passion emploie pour se satisfaire le sont également.
dans une démocratie constituée et paisible, comme celle des États-unis, où l’on ne peut s’enrichir ni par la guerre, ni par les emplois publics, ni par les confiscations politiques, l’amour des richesses dirige principalement les hommes vers l’industrie. or, l’industrie, qui amène souvent de si grands désordres et de si grands désastres, ne saurait cependant prospérer qu’à l’aide d’habitudes très régulières et par une longue succession de petits actes très uniformes. Les habitudes sont d’autant plus régulières et les actes plus uniformes que la passion est plus vive. on peut dire que c’est la violence même de leurs désirs qui rend les américains si méthodiques. elle trouble leur âme, mais elle range leur vie. »

47un auteur américain du milieu du xxe siècle, William H. Whyte Jr., a ressuscité sous le nom de « budgétisme » cette idée chez tocqueville que c’est « la violence même de leurs désirs qui rend les américains si méthodiques ». Le surendettement serait le moyen découvert par les ménages pour maîtriser leur avidité en construisant autour d’eux un cadre rigide constitué des contraintes qu’impose le devoir de rembourser des emprunts d’un montant excessif. Whyte définissait le « budgétisme » comme « le désir d’une personne de régulariser ses revenus en les soustrayant à son propre contrôle pour les discipliner par des forces extérieures » [cité par Calder, 1999, p. 297]. Cette délégation de la discipline financière à des forces extérieures épargne en effet au ménage la nécessité de s’organiser selon ses propres principes. « La beauté du budgétisme, ajoutait Whyte, est qu’il n’est nullement nécessaire de tenir un budget. tout se passe automatiquement » [ ibid., p. 298]. sa conclusion était elle aussi imparable : « Le budgétisme est l’opium de la classe moyenne » [ ibid., p. 299].

48Ces observations sont excellentes, celle de Whyte comme celle de tocqueville ; elles ignorent cependant que des démocraties aussi avancées que celle que l’on trouve aux États-unis – sinon plus avancées que celle-ci – sont apparues depuis, sans qu’un rôle aussi central de l’argent s’y observe ou que soit fait appel au « budgétisme » pour régler la consommation des ménages par le surendettement. Le « budgétisme » nous met cependant sur la voie : on y lit en filigrane une éthique familière, celle du protestantisme, sous l’une de ses formes particulières.

L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme

49Les citoyens américains dans leur quasi-totalité considèrent le système économique qui est le leur comme idéal, n’envisageant sa réforme possible que sur des aspects mineurs. suggérer à un américain que certaines des institutions de son pays pourraient être améliorées si l’on s’inspirait de l’expérience d’autres nations, produit toujours chez lui la même consternation : s’il lui paraît admissible que certains détails soient révisables, l’idée que d’autres nations auraient pu faire mieux à ce sujet est pour lui inacceptable. et c’est pourquoi on pourrait être tenté de qualifier le capitalisme tel qu’on le trouve aux États-unis non pas de « sauvage », mot qui suggère un certain archaïsme, mais de « fondamentaliste ».

50il n’est donc pas superflu de réexaminer la thèse de Max Weber relative à la consubstantialité du capitalisme « fondamentaliste » et du protestantisme et pour ce qui touche à ce dernier, à sa forme spécifique aux États-unis, le puritanisme, et à la source de celui-ci qu’est l’enseignement de Jean Calvin. Le calvinisme suppose la prédestination : dieu réalise son dessein du triomphe historique du bien sur le mal et chaque individu a son rôle à jouer dans le déroulement du drame, positif pour l’élu et négatif pour celui qui est exclu de ce nombre. La place de chacun dans la réalisation du plan divin a été déterminée antérieurement à son déploiement dans l’histoire. en conséquence, le libre arbitre est une illusion : l’individu est seul, prisonnier d’un destin qui s’effectue malgré lui, apte seulement à constater quel est celui-ci au sein du projet de la divinité.

51selon Weber, le capitalisme moderne fut fondé en nouvelle-angleterre au xViie siècle par les Pèlerins, un groupe de colons puritains. Cela paraît incontestable. Je résume brièvement sa thèse qui fait émerger du calvinisme l’individu possédé par l’esprit d’entreprise.

52tout sujet ignore s’il appartient ou non au cercle des élus. Cette incertitude est source d’anxiété et il guette les signes éventuels de son élection. sa capacité à se préserver du péché ainsi que sa réussite personnelle dans les entreprises séculières – telle l’obtention du confort matériel, voire même de la fortune [19] – constituent le test de son élection. L’apparition de signes encourageants le motive davantage. L’enthousiasme ne tarde pas à engendrer le succès qui confirme le sujet dans le sentiment qu’il appartient bien au nombre des élus. on assiste à un renforcement progressif, une amplification, où chaque succès contribue à assurer la réussite de nouvelles entreprises. Le processus est celui d’une « rétroaction positive », où le succès engendre le succès. Convaincu désormais d’appartenir au camp des « bons » au sein du drame cosmique, le sujet s’enhardit : sa confiance en soi devient infinie. La preuve est faite à ses propres yeux, mais aussi à ceux du reste des hommes, que dieu compte sur lui dans la réalisation de son dessein.

53Plusieurs auteurs se sont interrogés sur l’époque à laquelle cette domination idéologique du puritanisme aux États-unis a pris fin ; certains considèrent qu’elle entre en déclin au début du xViiie siècle, d’autres pensent qu’elle ne s’éclipsera qu’au début du siècle suivant. Pour ma part, je considère que cette influence n’a probablement pas connu d’interruption puisque je l’observe encore comme dominante à l’heure actuelle. ses formes sont sans doute sécularisées aujourd’hui à des degrés divers, mais elle demeure intangible : les tentatives demeurent constantes d’instaurer en institutions des règles morales dont le respect est laissé dans des contextes moins répressifs à la délibération de chacun. ainsi les prohibitions anciennes ou actuelles de l’alcool, du tabac, de la marijuana, de l’euthanasie [20] – ainsi les infractions de la Federal drug administration à ses propres règlements dans l’interdiction à la vente libre de la pilule dite « du lendemain ». Bien entendu, aucune société moderne n’est réellement unanimiste et il existe sur toute question un éventail d’opinions ; il n’en demeure pas moins que les vagues migratoires successives qui ont suivi la fondation de la colonie de Plymouth par un groupe de puritains anglais appelés « les Pèlerins » n’ont jamais réussi à modifier le moule : elles se sont toutes assimilées sur le plan idéologique au courant à dominante puritaine après en avoir adopté, bon gré mal gré, l’éthique. il en est allé ainsi de populations que l’on n’imagine pas facilement assimilables au modèle calviniste telles que les irlandais et les italiens, chacun catholique à sa manière, les russes et les arméniens, ou encore les Juifs [21] .

54Les États-unis se vantent à juste titre d’être une société plurielle sur le plan religieux et qui n’a jamais connu de guerre civile sur ces questions. il s’agit en effet d’une gageure. steve Fraser suggère dans son Every Man a Speculator, consacré à l’influence de Wall street sur la vie américaine au fil du temps, que l’unification s’est faite autour de Mammon. Évoquant l’état d’esprit dans lequel baignait l’opinion publique en 2005, alors que de nouveaux scandales étaient découverts journellement dans le fonctionnement du monde financier, il écrivait : « Même au sein de la tourmente causée par les fraudes les plus choquantes depuis le krach de 1929, le public demeure enamouré. Les retombées politiques sont mineures. Les sources de la contestation semblent taries. non seulement – et la chose est essentielle – dans le monde politique, mais plus intimement dans la manière dont le public se représente la relation qui existe entre dieu et Mammon, par exemple. Cela bien entendu au cas où l’idée les effleurerait. [… ] ou dans la manière dont nos fictions littéraires et cinématographiques, voire notre dose quotidienne de journalisme, présentent le règne du marché libre, chez nous comme à l’étranger, comme étant d’une inéluctabilité fatidique » [Fraser, 2005, p. xxiii].

55Certains immigrants italiens auxquels Lendol Calder fait allusion dans son Financing the American Dream évoquent en riant l’unanimité qui s’est faite autour des « dolci dollari ». sentiment partagé qu’il définit de la manière suivante : « L’éthique de la gestion pécuniaire victorienne devint prévalente dans la culture américaine non parce qu’elle transforma les salariés misérables en millionnaires ou fit passer les employés de la classe moyenne de la vie duraille à la vie de pacha, mais parce que ses doctrines servaient les intérêts, tels qu’ils les percevaient, des misérables autant que des puissants » [Calder, 1999, p. 86]. J’avais observé, à ma grande surprise, parmi les pêcheurs bretons, le même assentiment à un système économique dont ils pouvaient apparaître a priori comme les perdants.

56Le gouvernement de George W. Bush se distingue de ses prédécesseurs en ce qu’il constitue le retour à une forme peu sécularisée du puritanisme. un journaliste allemand faisait à la radio, à l’occasion de sa visite en europe en février 2005, le commentaire suivant que je cite de mémoire : « nous avons aussi connu des dirigeants qui parlaient en termes de certitudes dans leurs discours. nous ne pouvons plus faire confiance à quiconque affirme “dieu nous enjoint de faire ceci ou cela”. nous avons déjà donné ! ».

57dans son adresse à la nation, à l’occasion de sa seconde inauguration en janvier 2005, le Président annonçait : « nous allons de l’avant avec une confiance absolue dans le triomphe ultime de la liberté. non pas parce que l’histoire progresse du train de l’inévitabilité : ce sont les choix humains qui animent les événements. non pas parce que nous nous considérons comme une nation élue ; dieu meut et choisit comme il l’entend. nous avons confiance parce que la liberté est l’espoir permanent de l’humanité, la faim dans les ténèbres, l’aspiration de l’âme [… ] L’histoire voit la justice fluer et refluer mais elle possède aussi une direction visible, définie par la liberté et par l’auteur de la liberté [22]. »

58Le message créa la consternation, y compris aux États-unis. si bien que le Président se vit obligé d’en clarifier la signification quelques jours plus tard. il précisa alors qu’il s’agirait pour la réalisation de son programme du « travail de plusieurs générations ». Certains commentateurs évoquèrent le ton « messianique » du message. Ce qui le caractérisait en fait n’était pas le « messianisme », mais le recours à la rhétorique calviniste : l’évocation d’une théocratie mondaine construite selon un plan divin, une Cité de dieu préfigurant par sa forme le royaume des Cieux. La tombe de Phoebe Gorham décédée à Cap Cod dans le Massachusetts en 1775 a pour épitaphe : « dès à présent mon Âme, dans l’unité la plus douce, rassemble les deux supports du bonheur humain dont certains affirment à tort qu’ils ne peuvent se rejoindre : le Vrai Goût pour la Vie, et la pensée constante de la Mort ». Les puritains ne se détournent en effet pas du monde matériel d’ici-bas, qui ne se limite pas à être une antichambre de la vie future : le bonheur s’acquiert d’abord dans ce bas monde – du moins pour l’élu.

59Je me suis livré à un petit exercice : j’ai légèrement retouché le discours de Bush, en remplaçant le renvoi à la notion de liberté par un renvoi à la volonté divine. Mes retouches sont en italique, et voici ce que ses paroles deviennent à la suite de ce petit traitement :

60

« nous allons de l’avant avec une confiance absolue dans le triomphe ultime de la volonté divine. non pas parce que l’histoire progresse du train de l’inévitabilité : ce sont les choix humains qui animent les événements. non pas parce que nous nous considérons comme une nation élue ( parce que ce sont les hommes qui sont élus à titre individuel par la prédestination et non les nations) ; dieu meut et choisit comme il l’entend. nous avons confiance parce que la volonté divine est l’espoir permanent de l’humanité, la faim dans les ténèbres, l’aspiration de l’âme [… ] L’histoire voit la justice fluer et refluer mais l’histoire possède aussi une direction visible, définie par la volonté divine et par l’auteur du dessein divin ».

61il peut bien entendu sembler que la teneur du message a changé de manière radicale : la notion de libre arbitre à laquelle le mot de liberté est attaché a été entièrement éliminée, comme c’est le cas en effet pour le calvinisme. La substitution a, au passage, éliminé la contradiction, sinon flagrante, entre deux passages : « ce sont les choix humains qui animent les événements » et « dieu meut et choisit comme il l’entend ».

62Le sentiment que la majorité, dans une nation dont le succès révèle qu’elle bénéficie incontestablement de la sollicitude divine, comprend nécessairement l’ensemble des élus de dieu dans la population, conduit à l’absence de sollicitude envers les autres, les losers. C’est à cette dureté du « Vae victis ! », du « Malheur aux vaincus ! » d’un État vis-à-vis de ses propres citoyens que pensait alexis de tocqueville [ 1835] quand il évoquait la « tyrannie de la majorité » :

63

« Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux États-unis, ce n’est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. et ce qui me répugne le plus en amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie. Lorsqu’un homme ou un parti souffre d’une injustice aux États-unis, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? À l’opinion publique ? C’est elle qui forme la majorité ; au corps législatif ? il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au pouvoir exécutif ? il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif ; à la force publique ? La force publique n’est autre chose que la majorité sous les armes ; au jury ? Le jury, c’est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre. »

64Mais il s’agit en même temps, avec les États-unis, d’une société qui avait découvert, avec le New Deal de Franklin roosevelt, une voie moyenne, respectueuse des libertés, ni fasciste ni communiste. Ce qui avait permis ce développement, c’est la perplexité du puritanisme lorsque la nation tout entière se retrouve en difficulté, quand la majorité se retrouve elle aussi dans la dèche ; dans ce cas-là, la distinction entre élus et exclus du dessein divin se brouille. il faut alors provisoirement retrousser ses manches tous ensemble jusqu’à ce que des temps plus cléments permettent à nouveau de s’y retrouver entre les bons et les méchants.

65Le rejet spontané des « paresseux » par les américains est dans la droite ligne du calvinisme : celui qui n’aime pas le travail produit de ce fait même la preuve qu’il se situe en dehors de la sphère des élus. Le reproche le plus généralement adressé aux noirs américains est celui de leur paresse : c’est là une manière pratique de signifier leur exclusion du cercle des élus. À l’inverse, bien entendu, des fermiers, dont le caractère industrieux les situe aux antipodes. La conséquence, c’est l’acceptation de principe de la ségrégation par la fortune – plus insidieuse que la ségrégation par des lois discriminatoires puisqu’il est dans sa logique de se reproduire, sans nécessité pour cela de mesures oppressives – et qui remonte à la surface à l’occasion d’une catastrophe comme celle de la nouvelle-orléans, quand l’amérique blanche découvre avec stupeur sur ses écrans de télévision que ces événements calamiteux n’ont pas lieu en Haïti mais sur le territoire national.

66Pourquoi alors ce rappel de Weber ? Parce qu’à mon sens, c’est cette confiance dans la Providence qu’exprime le In God we trust qui conduit le citoyen américain à outrepasser en permanence les limites de la prudence financière. Le fait de se savoir, sur un plan religieux, au rang des élus plutôt que de constater simplement, sur un plan profane, que l’on a de la chance, vient renforcer l’optimisme qui caractérise déjà a priori celui ou celle qui a choisi le pari de l’émigration et ses aléas plutôt que de se satisfaire de la médiocrité qui constituait son lot au pays natal.

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Date de mise en ligne : 01/06/2006

https://doi.org/10.3917/rdm.027.0322

Notes

  • [1]
    david Malpass, « running on empty ? », The Wall Street Journal du 29 mars 2005.
  • [2]
    Jon Hilsenrath, « a look behind the u.s. savings rate », The Wall Street Journal du 6 décembre 2004.
  • [3]
    Jon Hilsenrath et Michelle Higgins, « debt problems are haunting even well-heeled consumers », The Wall Street Journal du 9 octobre 2002.
  • [4]
    anne Hayes Peterson, « Credit scoring : Predictive models should make recommendations – not decisions – about loan approvals », Credit Union Magazine, janvier 1998.
  • [5]
    Fair, isaac & Company, « Credit Bureau risk scores : Celebrating 10 years », http :// www. fairisaac. com/ servlet/ sitedriver/ Content/ 1056,1999.
  • [6]
    Le chiffre intègre non seulement la valeur de ses biens meubles et immeubles, le montant de ses revenus, le montant de ses dettes donnant lieu à des paiements récurrents tels que le mortgage (le prêt hypothécaire portant sur le logement), le coût du leasing d’une automobile, son découvert sur les diverses cartes de crédit qu’il détient, mais aussi les données relatives à la stabilité de ses revenus telles que le temps passé auprès de ses employeurs successifs ou les années qu’il a passées à diverses adresses.
  • [7]
    L’explication de cette bévue était qu’une firme de démarchage avait contacté la mairie de la localité où cette petite fille habitait en vue d’obtenir, contre argent sonnant et trébuchant, la liste des utilisateurs de la piscine municipale. La justification des autorités locales, quand on leur demanda ce qui leur était passé par la tête, était une rengaine bien connue : que les temps étaient durs et que la rémunération de ce « service » représentait x ouvrages en plus sur les rayons des bibliothèques scolaires.
  • [8]
    un appât classique consiste à proposer au consommateur sollicité qu’il transfère les découverts qui existent sur ses comptes auprès de la concurrence et soit exempté de payer des intérêts sur ces sommes durant une période standard, généralement de six mois ou d’un an.
  • [9]
    Les organes de surveillance s’étaient émus de cette situation, et en mars 2005 un certain nombre de sociétés émettrices de cartes de crédit promirent d’y remédier en situant le paiement minimum à un niveau tel que soit mis fin à l’amortissement négatif. un tel changement de politique constituait pour elles une perte financière, puisqu’il est à leur avantage que la somme due, à partir de laquelle les intérêts sont calculés, soit la plus élevée possible. Les banques estimaient que le nouveau mode de calcul déboucherait sur des paiements minimum de 35 % à 45 % plus élevés pour certains consommateurs ; elles envisageaient qu’une partie d’entre eux se révèlent incapables de s’acquitter de telles sommes ; elles gonflaient leurs propres réserves financières en conséquence [ cf. Jane J. Kim, « Minimums due on credit cards are on the increase », The Wall Street Journal du 24 mars 2005].
  • [10]
    Peter G. Gosselin, « the new deal. How just a handful of setbacks sent the ryans tumbling out of prosperity. the family’s plight mirrors a trend in which common events like layoff and illness increasingly prove devastating, the times finds », Los Angeles Times du 30 décembre 2004.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    song Han & Wenli Li, « Fresh start or head start ? the effect of filing for personal bankruptcy on the labor supply », The Federal Reserve Board, le 28 avril 2004.
  • [13]
    un trait que j’avais noté à propos des pêcheurs de l’île de Houat dans le Morbihan – et qui est peut-être caractéristique des populations rurales européennes dans leur ensemble – était qu’à celui qui gère bien ses affaires, on reconnaît du talent, alors qu’à celui qui les gère mal, on se contente d’attribuer de la malchance [Jorion, 1976].
  • [14]
    Peter G. Gosselin, « Judges say overhaul would weaken bankruptcy system », Los Angeles Times, le 29 mars 2005.
  • [15]
    Peter G. Gosselin, « Judges say overhaul would weaken bankruptcy system », Los Angeles Times, le 29 mars 2005.
  • [16]
    La nécessité d’une évaluation « dynamique » avait tout d’abord été ressentie dans le domaine de la Loan to Value (LtV), le montant de l’hypothèque par rapport à la valeur de la maison. Le remboursement d’une part de principal à l’occasion de chaque paiement mensuel signifie que dès le premier mois d’un prêt hypothécaire avec amortissement (la formule de mortgage la plus commune), la LtV baisse, la valeur du montant dû se réduisant, alors même que la valeur de la maison reste constante. de plus, dans le contexte américain où le prix de l’immobilier résidentiel s’est renchéri de manière quasi constante depuis les années cinquante, le prêteur disposant d’un gage sur le logement doit intégrer cette appréciation comme un facteur additionnel susceptible de faire baisser la LtV.
  • [17]
    À ma connaissance, la notion de « falaise de crédit » a été introduite par solomon B. samson dans un article intitulé « Playing out the credit cliff dynamics », publié le 12 décembre 200 dans RatingsDirect, une publication internet de l’agence de rating standard & Poor’s.
  • [18]
    un endettement excessif avait joué un tour similaire à Long-term Capital Management, un fonds d’investissement pour individus fortunés (un hedge fund), qui s’était effondré en 1998. Les autorités bancaires avaient craint un effet de dominos sur les marchés financiers et avaient fait pression sur les banques d’investissement liées au hedge fund pour qu’elles le tirent du pétrin au moins provisoirement. un mémorandum qui analysait a posteriori la crise qui avait secoué le fonds expliquait que « [… ] le résultat avait été une spirale descendante qui s’alimentait d’elle-même, entraînant les positions prises sur les marchés de manière imprévue vers des valeurs extrêmes qui dépassaient de beaucoup les niveaux que la discipline en place en matière de gestion du risque et de pertes exceptionnelles était capable de maîtriser » [Loewenstein, 2000, p. 219].
  • [19]
    Kalberg rapporte que « richard Baxter, un pasteur anglais influent au xViie siècle qui commenta l’éthique puritaine, considérait que l’activité mondaine – le travail acharné, la concurrence, la recherche du profit, etc. – pouvait procurer au croyant la richesse dispensée par la main bienveillante d’un dieu omnipotent et omniscient – ou pouvait en tout cas le convaincre que tel était bien le cas » [Kalberg, 1997, p. 206].
  • [20]
    ainsi de l’intervention du président Bush et de la majorité républicaine au Congrès en mars 2005 à propos de terri schiavo, une jeune femme dans un état végétatif depuis quinze ans et qu’une douzaine de décisions judiciaires avaient enjoint qu’on la laisse s’éteindre ; la dernière spécifiait dans ses attendus que les interventions intempestives du Président et des parlementaires de la majorité étaient en désaccord ( at odds) avec la constitution des États-unis.
  • [21]
    À propos de ces derniers, un commentateur constatait, amusé, que le héros américain anglo-saxon prototypique, le cow-boy du Far West, avait été inventé de toutes pièces par les scénaristes de Hollywood, pratiquement tous Juifs ; de même pour la quasi-totalité des chants de noël américains « protestants », du « White Christmas » d’irving Berlin au « silver Bells » de ray evans et Jay Livingston (des noms de plume).
  • [22]
    J’ai rendu par « liberté » l’anglais freedom ainsi que l’anglais liberty.

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