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Article de revue

Rythmes archaïques ( 1re partie)

Pages 452 à 483

Notes

  • [1]
    Ce texte est extrait du livre de P. Michon, Éléments d’une histoire du sujet, paru aux éditions Kimé en 1999. Nous remercions ces dernières de leur aimable autorisation. Pour des raisons de place, nous publions ce texte en deux parties (suite et fin dans le n°26 de la revue, 2e semestre 2005).
  • [2]
    Une recension presque complète des travaux de Mauss a été publiée sous le titre : Œuvres, Paris, Minuit, 1968-1969. Tome I : Les fonctions sociales du sacré. Tome II : Représentations collectives et diversité des civilisations. TomeIII : Cohésion sociale et divisions de la sociologie. Le reste de ses travaux scientifiques a été publié, avec une introduction de C. Lévi-Strauss, dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950. Nota bene. Quand il existe des divergences de date entre celles indiquées par cette édition, celles fournies par Victor Karady dans le titre du texte, ou encore, dans la chronologie que celui-ci a dressée à la fin du vol. III, j’adopte cette dernière.
  • [3]
    E. Durkheim et M. Mauss, « De quelques formes primitives de classification; contribution à l’étude des représentations collectives » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 29.
  • [4]
    M. Mauss, « Parentés à plaisanteries » ( 1926), Œuvres, t. III, p. 109, note 1. En 1932, il écrit de même : « Nous sommes tous partis d’une idée un peu romantique de la souche originaire des sociétés : l’amorphisme complet de la horde, puis du clan ; les communismes qui en découlent. Nous avons mis peut-être plusieurs décades à nous défaire, je ne dis pas de toute l’idée, mais d’une partie notable de ces idées [...]. Déjà dans les formes les plus élémentaires que nous puissions concevoir d’une division du travail social [...] l’amorphisme est la caractéristique du fonctionnement intérieur du clan, non pas de la tribu » – « La cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires » ( 1932), Œuvres, t. III, p. 13.; mêmes remarques sur les sociétés australiennes, p. 14; sur les sociétés à parentés à plaisanteries, p. 20; sur les sociétés africaines, p. 22 et 24. En 1938 : « Ici aussi, le clan n’est nullement figuré comme tout à fait réduit à un être impersonnel, collectif, le totem, représenté par l’espèce animale, et non pas par les individus – hommes d’une part, et animaux d’autre part. Sous son aspect homme, il est le fruit des réincarnations des esprits essaimés et perpétuellement renaissant dans le clan » – « Une catégorie de l’esprit humain ; la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 346.
  • [5]
    M. Mauss, « Fragment d’un plan de sociologie générale descriptive. Classification et méthode d’observation des phénomènes généraux de la vie sociale dans les sociétés de type archaïque (phénomènes spécifiques de la vie intérieure de la société)» ( 1934), Œuvres, t. III, p. 319. Plus loin, il écrit également : « On a beaucoup exagéré l’anarchie, la décentralisation, l’indifférence des segments, etc., des sociétés qui s’étagent entre celles qui méritent le nom de primitives et celles qui ont précédé les nôtres » [p. 324].
  • [6]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 335.
  • [7]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 274.
  • [8]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 335.
  • [9]
    H. Hubert et M. Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » ( 1904), Sociologie et anthropologie, p. 1-141 ; É. Durkheim et M. Mauss, « De quelques formes primitives de classification. Contribution à l’étude des représentations collectives » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 13-89 ; H. Hubert, « Étude sommaire de la représentation du temps dans la religion et dans la magie » ( 1905), rééd. dans H. Hubert et M. Mauss, « Introduction à l’analyse? ? de quelques phénomènes religieux » ( 1909), Œuvres, t. I; Czarnowski, s.d.; É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse ( 1912), Paris, PUF, 1960, chap. VIII, livre II et p. 629 sq.
  • [10]
    H. Hubert et M. Mauss, « Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux » ( 1909), Œuvres, t. I, p. 29-30. Voir également la liste qu’il propose en 1927 dans « Divisions et proportions des divisions de la sociologie », Œuvres, t. III, p. 185.
  • [11]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 348.
  • [12]
    M. Mauss, « La notion de l’âme en Chine. Compte rendu du livre de J.J.M. deGroot, The Religious System of China, book IV » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 618. Voir également la discussion approfondie de ces deux notions dans « La démonologie en Chine. Compte rendu du livre de J. J. M. deGroot, The Religious System of China, bookII » ( 1913), Œuvres, t. II, p. 625 sq.
  • [13]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’E. Van Ossenbruggen, La Notion de propriété terrienne chez les primitifs » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 142.
  • [14]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 349.
  • [15]
    Déjà en 1923, Mauss faisait remarquer : « Quand le mot “personne” a-t-il été prononcé pour la première fois ? Qui l’a prononcé ? Remontons du présent au passé : persona =masque. Voilà le sens originel du mot. Ce sont les Romains qui ont transformé la notion de masque, personnalité mythique, en notion de personnalité morale [...]. Le fait était grand et nouveau » – « Mentalité primitive et participation » ( 1923), Œuvres, t. II, p. 132.
  • [16]
    Même remarque dans « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 353.
  • [17]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’E. Van Ossenbruggen, La Notion de propriété terrienne chez les primitifs » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 142.
  • [18]
    M. Mauss, « Catégories collectives de pensée et de liberté » ( 1921), Œuvres, t. II, p. 123.
  • [19]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 354.
  • [20]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 132. Cf. aussi « Catégories collectives de pensée et liberté » ( 1921), Œuvres, t. II, p. 123. Toutefois, il note en 1938 que le mot persona, d’après Benveniste, est probablement d’origine étrusque et a peut-être été emprunté au grec pros? pon [p. 351].
  • [21]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 355.
  • [22]
    Il semble, comme me l’a indiqué Alain Boureau que je remercie au passage, que Mauss fasse ici une erreur. Cette définition de la personne appartient à Boèce, qui la définit comme une « rationalis naturae individua substantia », c’est-à-dire une substance individuée de nature rationnelle – Contra Eutychen et NestoriusDe duabus naturis et una persona, PL, 64,1337-1354).
  • [23]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 335.
  • [24]
    L’Église, les théologiens et la scolastique médiévale, ainsi que les philosophes de la Renaissance et les Réformateurs sont particulièrement négligés par Mauss, qui pense que ceux-ci mirent « quelque retard, des obstacles à créer l’idée que cette fois nous croyons claire » – « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 359. Jusqu’au XVIIe siècle, voire chez certains auteurs jusqu’au siècle suivant, « on ne dépasse guère le résultat acquis dès le IVe siècle de notre ère » [ ibid.]. Ce parti pris est d’autant plus étonnant et significatif d’une réelle difficulté que différents textes antérieurs soutiennent une opinion moins radicale sur cette période et annoncent bien des travaux historiques récents. En 1903, il relève l’importance de l’histoire de la confession et, déjà, du concile du Latran de1215. Il est vrai qu’il insiste d’un côté sur l’aspect autoritaire et plutôt désindividualisant de la pénitence : « L’abandon de conscience individuelle aux mains des directeurs de cette conscience est, avant tout, un signe de la force de l’Église » – M.Mauss, « L’histoire de la confession » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 641. Mais il note également l’importance anthropologico-historique de la diffusion de la confession : « Le système de la confession est intimement lié à celui de la pénitence et de l’absolution, et par là, à toute l’organisation morale de nos sociétés occidentales : les vertus morales, expiatoires, de l’aveu, de la confession, du repentir, sont des phénomènes trop importants pour que nous ne signalions pas l’intérêt qu’il y a à les étudier dans leurs relations avec le mécanisme de la confession » [p. 641]. Il retrace les grandes lignes de son évolution. La confession consiste au départ en un aveu public et une absolution par l’assemblée ecclésiastique. Vers le IIIe siècle, elle prend le caractère d’une pénitence. Les prêtres commencent à jouer un rôle prépondérant. Au siècle suivant, trois types de confession se côtoient : l’une est faite à Dieu, l’autre au corps des fidèles assemblés, la dernière à un prêtre ou à quelque saint homme. Au VIIIe siècle, la confession privée au prêtre reçoit un développement considérable. En 1215, elle devient finalement la condition nécessaire de l’absolution et est imposée périodiquement aux chrétiens. Mauss aborde encore la question dans un texte de 1921, où il accorde une importance certaine à l’évolution médiévale de la personne. Citant l’ouvrage de P. Fauconnet sur la Responsabilité (en particulier le chapitre sur le sentiment de liberté), il note l’importance de l’élaboration chrétienne, antique et médiévale, de la notion de liberté : « C’est décidément à une date toute récente que la notion s’élabore, dans la patristique, la dogmatique, le christianisme essentiellement, après l’apparition du prédestinationnisme et de la notion de péché originel et surtout après l’apparition de la conscience individuelle de la personne métaphysique » – M. Mauss, « Catégories collectives de pensée et liberté » ( 1921), Œuvres, t. II, p. 123. Il inclut explicitement la scolastique dans cette histoire : « Déjà les Pères de l’Église, mais surtout les grands scolastiques, parlent un langage tout différent et plein de tout autres valeurs, à peu près les mêmes que les nôtres. C’est au développement de la notion de l’individu, comme sujet du droit, de la morale et de la religion, que se rattache la notion de liberté proprement dite » [p. 123].
  • [25]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 362.
  • [26]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’E. Van Ossenbruggen, La Notion de propriété terrienne chez les primitifs » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 142.
  • [27]
    M. Mauss, « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimo : étude de morphologie sociale » ( 1905), Sociologie et anthropologie, p. 463.
  • [28]
    M. Mauss, « Noms propres et classifications chez les Hopi » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 95.
  • [29]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 81.
  • [30]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’A. Dieterich, Mutter Erde. Ein Versuch über Volksreligion » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 138.
  • [31]
    M. Mauss, « Divisions sociales et classifications chez les Omaha » ( 1913), Œuvres, t. II, p. 102.
  • [32]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’A. Dieterich, Mutter Erde. Ein Versuch über Volksreligion » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 137.
  • [33]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 81.
  • [34]
    M. Mauss, « Mythologie et symbolisme indiens » ( 1903), Œuvres, t. III, p. 63.
  • [35]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 82.
  • [36]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’A. Dieterich, Mutter Erde. Ein Versuch über Volksreligion » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 38.
  • [37]
    M. Mauss, « Cours de 1905-1906 », Œuvres, t. III, p. 58.
  • [38]
    La plupart des lectures de l’essai de 1938 soulignent ainsi la dimension théâtrale de la personne archaïque qu’il serait possible de ramener à un rôle que l’individu endosse, mais qui lui serait toujours extérieur. Grâce à plusieurs exemples ethnographiques, écrit J. Cazeneuve dans cet esprit, Mauss montre « comment, à partir des classes et des clans s’agencent les “personnes humaines” désignées par des noms qui peuvent, notamment chez les Kwakiutl, changer, pour un même individu, selon les différents moments sociaux de son existence ». Et plus loin : « Même en Australie [...] on est déjà parvenu à la notion de personnage, celui-ci étant défini par un rôle sacré et social » (J. Cazeneuve, Sociologie de Marcel Mauss, Paris, PUF, 1968, p. 33-34).
  • [39]
    M. Mauss, « Noms propres et classifications chez les Hopi » ( 1907), Œuvres, t. II, p. 95.
  • [40]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 81.
  • [41]
    Mauss et Durkheim disaient exactement le contraire en 1903. Quand un informateur d’A.W.Howitt disait qu’il « empruntait » son nom au soleil (son totem), mais qu’il « possédait » pour deuxième nom l’une des étoiles fixes (son sous-totem), ils corrigeaient : « À parler exactement, ce n’est pas l’individu qui possède lui-même le sous-totem : c’est au totem principal qu’appartiennent ceux qui lui sont subordonnés. L’individu n’est là qu’un intermédiaire. C’est parce qu’il a en lui le totem (lequel se retrouve également chez tous les membres du clan) qu’il a une sorte de droit de propriété sur les choses attribuées à ce totem » – M. Mauss et É. Durkheim, « De quelques formes primitives de classification ; contribution à l’étude des représentations collectives » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 33.
  • [42]
    M. Mauss, « Cours de 1905-1906 », Œuvres, t. III, p. 59.
  • [43]
    Son intérêt pour le potlatch et les échanges qui s’y déroulent commence apparemment au cours des premières années du siècle et s’étend sur toute la période suivante. Dès 1905, lorsqu’il entreprend pour la première fois, à travers les textes de Boas, l’étude de l’institution du potlatch, Mauss est frappé par l’aspect total des prestations qui y ont lieu. Dans le résumé du cours qu’il professe à cette époque, nous lisons : « Cette institution a été soumise à une étude comparative et approfondie, car elle affecte et domine tous les phénomènes sociaux » – « Cours de 1905-1906 », Œuvres, t. III, p. 58. Quelques années plus tard, il conclut une discussion sur le potlatch haïda et tlingit d’une manière analogue : « Un pareil syncrétisme de faits sociaux est, à notre avis, unique dans l’histoire des sociétés humaines » – « Compte rendu de lecture d’un livre de J. R. Swanton » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 32. En 1910-1911, Mauss consacre entièrement ses cours « aux prestations religieuses, juridiques et économiques, entre les clans dans les tribus indiennes du nord-ouest américain. En 1912, il annonce qu’il a mis « au point une théorie de la remarquable institution du potlatch » – « Cours de 1911-1912 », Œuvres, t. III, p. 60. L’année suivante Mauss s’aperçoit qu’il est possible d’étendre la notion de potlatch chez les populations papoues et mélanésiennes de Nouvelle-Guinée – « Cours de 1912-1913 », Œuvres, t. III, p. 60. Il note : « Il n’est plus possible d’y voir une curiosité ethnographique du nord-ouest américain : il est manifeste qu’elle tient à des causes générales et profondes. C’est une forme du contrat primitif dont on constatera de plus en plus la fréquence à mesure qu’on étudiera davantage le système des échanges dans les sociétés inférieures » – « Compte rendu d’un livre de C. G. Seligmann » ( 1913), Œuvres, t. III, p. 34. Dès la fin de la guerre ( 1920), et non pas en 1925 comme le dit Lévi-Strauss ( 1950, p. XXIV), Mauss poursuit sa recherche sur le potlatch mélanésien et introduit le terme de « système de prestations totales » – cf. « L’extension du potlatch en Mélanésie » ( 1920), Œuvres, t. III, p. 29 et « Cours de 1920-1921,1922-1923 », Œuvres, t. III, p. 60. En 1921, il fait une incursion dans le monde antique thrace en y montrant l’existence du potlatch dans « Une forme ancienne de contrat chez les Thraces », Œuvres, t. III, p. 35-43. Mais c’est dans le cours de 1923-24 qu’il prend connaissance des documents rapportés par B. Malinowski des îles Trobriand : « On a consacré une étude particulière à la notion de don et de désintéressement et à celle de gages. Le fond de ces institutions est la notion que le circulus des richesses suit exclusivement les rapports non seulement économiques, mais surtout religieux et juridiques, entre les membres de la tribu » – « Cours de 1923-24 », Œuvres, t. III, p. 61. Il publie finalement l’Essai sur le don en 1925.
  • [44]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 134.
  • [45]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 338.
  • [46]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 133-134 (c’est moi qui souligne, P. M.).
  • [47]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 345.
  • [48]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 134; même idée dans « Une catégorie de l’esprit humain ; la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 347.
  • [49]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 347.
  • [50]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 134.
  • [51]
    M. Mauss, « Parentés à plaisanteries » ( 1926), Œuvres, t. III, p. 121.
  • [52]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 345.
  • [53]
    M. Mauss, « Parentés à plaisanteries » ( 1926), Œuvres, t. III, p. 121.
  • [54]
    M. Mauss, « L’organisation des Haïda et des Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 33.
  • [55]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 167.
  • [56]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain; la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 343.
  • [57]
    Mauss nous a laissé dans une note de 1923 la description d’un de ces masques : « On peut voir, au musée du Trocadéro, des masques du nord-ouest américain sur lesquels des totems sont sculptés. Quelques-uns sont à double volet. Le premier s’ouvre, et derrière le totem public du “chamane-chef” apparaît un autre masque plus petit qui représente son totem privé, puis au dernier volet révèle aux initiés des plus hauts rangs sa vraie nature, sa face, l’esprit humain et divin et totémique, l’esprit qu’il incarne. Car, qu’on le note bien, à ce moment-là le chef est supposé en état de possession, d’???????, d’extase, et pas seulement de ?µ?????. Il y a transport et confusion à la fois » – « Mentalité primitive et participation » ( 1923), Œuvres, t. II, p. 30.
  • [58]
    Cette division de genre est moderne et n’est utilisée ici que pour la nécessité de la compréhension, mais ne correspond précisément pas à la réalité que Mauss essaie de saisir.
  • [59]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 152, note 4.
  • [60]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 342.
  • [61]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 133.
  • [62]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 206.
  • [63]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain; la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 342.
  • [64]
    Notons que le statut des femmes est, en revanche, très peu étudié par Mauss. Il le remarque pour le regretter en 1932 : « Nous n’avons fait que la sociologie des hommes et non pas la sociologie des femmes, ou des deux sexes » – « La cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires » ( 1932), Œuvres, t. III, p. 15. Dans l’essai de 1938, il précise bien que ne sont considérés comme personnes que les hommes libres. Chez les Pueblo, les hommes sont « les seuls héritiers des porteurs de leurs prénoms (la réincarnation des femmes est une tout autre affaire)» – « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 340.
  • [65]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 344.
  • [66]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 218-220.
  • [67]
    Plus généralement, chez les Indiens du nord-ouest américain, tous les biens de la famille portent des noms : « [Chez les Haïda] les choses de la famille sont individuellement nommées; portent des noms : les maisons, les portes, les plats, les cuillères sculptées, les canots, les pièges à saumon [...]. – Nous avons la liste des choses qui sont nommées par les Kwakiutl, par clans, en plus des titres variables des nobles, hommes et femmes, et de leurs privilèges : danses, potlatch, etc., qui sont également des propriétés. Les choses que nous appellerions meubles, et qui sont nommées, personnifiées dans les mêmes conditions sont : les plats, la maison, le chien et le canot. Dans cette liste, Hunt [l’informateur indien de Boas]? ? a négligé de mentionner le nom des cuivres, des grandes coquilles d’abalone, des portes. – [...] Chez les Tsimshian sont nommés : les canots, les cuivres, les cuillères, les pots de pierre; les couteaux de pierre, les plats de cheffesses. Les esclaves et les chiens sont toujours des biens de valeur et des êtres adoptés par les familles » [p. 218, note 3]. En 1938, Mauss souligne à nouveau ce fait : « Sont aussi nommés : la maison du chef (avec ses toits, poteaux, portes, décors, poutres, ouvertures, serpent à double tête et face), le canot d’apparat, les chiens. [...] Les plats, les fourchettes, les cuivres, tout est blasonné, animé, fait partie de la persona du propriétaire et de la familia, des res de son clan » – « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 344.
  • [68]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 218.
  • [69]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 342-343.
English version

1Après la période de ce que nous pourrions appeler les grandes « épopées » du sujet (Durkheim, Weber, Dilthey, Husserl, Freud) – larges synthèses reconstituées en partie de manière spéculative à partir d’une documentation hétérogène – commence avec Mauss une période marquée par des recherches plus anthropologiques et plus historiques que les précédentes. Alors que Durkheim envisageait la personnalisation à partir d’une reconstitution de l’évolution des types de solidarité fondée sur une logique de la différenciation, l’approche élaborée par Mauss s’appuie sur une très fine description de la forme archaïque de la « personne » et une étude en profondeur de la littérature ethnographique. Mauss s’impose ainsi, avec Simmel, à la veille de la Grande Guerre, comme l’un des principaux précurseurs d’une nouvelle anthropologie historique [2].

DE LA SOCIOLOGIE À L’ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE

2Dans De la Division du travail social ( 1893), dans les Règles de la pensée sociologique ( 1895) et dans le Suicide ( 1897), Durkheim avait envisagé l’histoire de l’humanité d’un point de vue socio-morphologique. L’accent était mis sur l’opposition de deux types sociaux universels constituant les extrémités de l’évolution humaine. Le but était moins de reconstituer une histoire, que d’abstraire, à partir de l’histoire déjà connue, une typologie des sociétés. D’emblée, Durkheim plaçait ainsi l’histoire de l’homme moderne dans le cadre d’une évolution plusieurs fois millénaire des formes de solidarité sociale. L’apparition de la personne moderne était considérée par rapport à l’indistinction originelle de la horde, à la disparition de la solidarité mécanique primitive et à la progression de la division du travail social.

3Quand Durkheim s’intéressait – dans ses travaux sur « les classifications primitives » et dans les Formes élémentaires de la vie religieuse ( 1912) – aux catégories de la pensée collective pour elles-mêmes, il étudiait l’évolution de catégories formelles : soit des a priori de la perception comme l’espace et le temps, soit des a priori intellectuels comme le tout, le genre, etc. La catégorie de la personne n’était pas absente des préoccupations durkheimiennes, mais elle était considérée comme une élaboration savante, tardive et donc sociologiquement peu significative, de la notion d’âme qui constituait en l’homme la marque indélébile de la conscience collective et formait pour cette raison une catégorie anthropologique universelle. Enfin, ces catégories étaient rapportées à des types d’organisation socio-morphologique.

4Au cours des années1900, Mauss partage encore l’essentiel de la position durkheimienne, c’est pourquoi il reprend à son compte l’idée d’une inexistence de la personne primitive. Dans l’essai qu’ils écrivent en commun, Durkheim et Mauss soulignent ainsi la « confusion » qui règne à l’intérieur des clans, alors même que commence à s’affirmer une organisation différenciée au niveau supérieur de la tribu : « Sur [ sic] cette organisation plus différenciée, l’état de confusion initiale d’où est parti l’esprit humain est toujours sensible. Si les groupes distincts se sont multipliés, à l’intérieur de chaque groupe élémentaire règne la même indistinction. Les choses attribuées à une phratrie sont nettement séparées de celles qui sont attribuées à l’autre, celles attribuées aux différents clans d’une même phratrie ne sont pas moins distinguées. Mais toutes celles qui sont comprises dans un seul et même clan sont dans une large mesure indifférenciées. Elles sont de même nature [...]. Les individus du clan, les êtres de l’espèce totémique, ceux des espèces qui y sont rattachées, tous ne sont que des aspects divers d’une seule et même réalité [3]. » Cette « confusion mentale », à l’intérieur comme à l’extérieur, entraîne chez l’individu une absence absolue de personnalité : « Si nous descendons jusqu’aux sociétés les moins évoluées que nous connaissions [...], nous trouverons une confusion mentale encore plus absolue. Ici, l’individu lui-même perd sa personnalité. Entre lui et son âme extérieure, entre lui et son totem, l’indistinction est complète » [p. 16]. La personnalité de l’individu se réduit à un rôle, celui d’incarner le totem, dupliqué de la même manière chez tous les membres du groupe : « Sa personnalité et celle de son fellow animal ne font qu’un.

5L’identification est telle que l’homme prend les caractères de la chose ou de l’animal dont il est ainsi rapproché » [ ibid.].

6Progressivement et de manière plus nette après1918, Mauss s’éloigne de son oncle et maître. Tout d’abord, il prend des positions beaucoup moins réalistes et logicistes que celui-ci. Alors qu’il insistait, pour les besoins de la polémique anti-dualiste durkheimienne, sur le très long filum historique reliant les formes de pensée les unes aux autres par complexification croissante, Mauss, tout en restant opposé aux conceptions séparant primitifs et civilisés, met désormais en avant les différences qui rendent celles-ci à chaque fois particulières. En somme, après avoir écarté le danger d’une division abrupte et scientifiquement stérile de l’humanité et de l’histoire en deux, il se propose d’étudier chaque monade sociale pour elle-même. À ses yeux, le schéma évolutionniste durkheimien n’est qu’un modèle intellectuel qu’il est nécessaire d’adapter aux leçons des faits ethnographiques.

7Une première originalité de la conception maussienne de l’histoire de la personne tient à ce changement de point de vue. Mauss s’aperçoit que les descriptions ethnographiques ne montrent jamais de sociétés où n’existerait aucune personnalité. Même chez les tribus aborigènes d’Australie, contrairement à ce que pensaient Durkheim et lui-même, certains membres du clan ne sont pas complètement absorbés par le collectif. Ils possèdent une personnalité spécifique liée à leur situation dans la parenté, situation qui apparaît notamment dans les cycles d’échange : « Généralement, ces prestations se font à l’intérieur de ces groupes et de groupe à groupe, suivant les rangs des individus : rangs physiques, juridiques et moraux, fort exactement déterminés, par exemple, par la date de la naissance, et fort bien manifestés, par exemple par la place dans le camp, par les dettes de nourriture [4], etc. » Dans cette mesure, au moins une bonne partie de la doctrine durkheimienne de l’évolution des rapports individu-société, qui était fondée sur le postulat de l’existence d’un stade primitif d’indifférenciation, est remise en question.

8Mauss, il est vrai, ne le reconnaît pas immédiatement et présente tout d’abord ses découvertes comme de simples raffinements de la doctrine durkheimienne : « On s’étonnera peut-être de ces dernières remarques. On croira que nous abandonnons définitivement les théories de L. H. Morgan ( Systems of Consanguinity and Affinity; Ancient Society, etc.) et celles que l’on prête à Durkheim sur le communisme primitif, sur la confusion des individus dans la communauté. Il n’y a rien là qui soit contradictoire. Les sociétés, même celles qui sont supposées dépourvues du sens des droits et des devoirs de l’individu, lui affectent une place tout à fait précise; à gauche, à droite, etc., dans le camp; de premier, de second dans les cérémonies, au repas, etc. Ceci est une preuve que l’individu compte, mais c’est une preuve aussi qu’il compte exclusivement en tant qu’être socialement déterminé.

9Cependant, il reste que Morgan et Durkheim, à la suite, ont exagéré l’amorphisme du clan, et, comme M. Malinowski me le fait remarquer, ont fait une part insuffisante à l’idée de réciprocité » [p. 109-110, note 1].

10Mais les conséquences historiques de cette découverte – et pas seulement pour les sociétés archaïques – ne peuvent pas être évitées. Mauss les évoque quelques années plus tard explicitement. En 1934, il élargit ses conclusions en remettant en question, cette fois, la conception durkheimienne du processus de modernisation lui-même : « On se souvient que parti d’une idée, qui reste partiellement vraie, de l’amorphisme du clan et des divers moments de la vie sociale, il qualifiait la solidarité de ces sociétés du titre un peu sommaire de “solidarité mécanique”. C’est entendu : ni l’adhésion à la société, ni l’adhésion à ses sous-groupes n’a complètement le caractère de la “solidarité organique” que définissait Durkheim comme caractérisant nos sociétés à nous. Mais il faut compliquer le problème.

11D’abord, sur certains points, l’individualisme a conduit nos propres sociétés à de véritables amorphismes [...]. Durkheim a souvent parlé de ce vide presque pathologique qui existe dans notre morale et dans notre droit entre l’État et la famille, entre l’État et l’individu. Il y a du mécanique chez nous, même dans l’idée d’égalité. Inversement, il y avait de l’organique en quantité, sinon dans les sociétés suffisamment primitives (Australie, etc.), du moins dans toutes les archaïques [5]. » Ainsi l’habile intrication des aspects chronologiques et logiques réalisée par Durkheim se défait-elle et l’histoire de l’homme moderne ne peut-elle plus se réduire à un simple processus de dissociation d’une unité sociale originelle.

12Une deuxième orientation différencie le travail de Mauss de celui de Durkheim, de celui de ses amis comme Hubert, et même du sien propre tel qu’il le concevait encore avant le premier conflit mondial. Mauss choisit d’étudier des catégories comme le don ou la personne, qui, si elles sont toujours comprises à l’instar de Durkheim comme des formes de pensée inconscientes, impératives et communes à tous les membres d’un groupe social, débordent largement du cadre formel de la pensée cognitive. Ainsi l’enquête anthropologico-historique dépasse-t-elle les considérations encore tout empreintes du kantisme de Durkheim sur l’Homo duplex.

13D’une part, l’âme et le dualisme anthropologique universel ne forment plus pour Mauss le centre de la réflexion. Le but n’est plus d’expliquer la formation de la catégorie religieuse d’âme, mais d’observer les notions juridiques et morales de la personne, spécifiques des différentes sociétés au cours de l’histoire : « Ma recherche sera entièrement une recherche de droit et de morale [...]. C’est un sujet d’histoire sociale » déclare-t-il au début de sa conférence [6] de 1938. Ces catégories, d’autre part, ne sont pas expliquées par un déterminisme simple de la morphologie sociale (comme la notion de classe ou de genre), ou encore de l’activité religieuse (comme les notions de force ou de cause, de temps, d’âme, de tout). Pour se limiter à un exemple central dans la pensée de Mauss, la notion de don spécifique aux sociétés archaïques traverse toute l’épaisseur de ces sociétés : « Tous ces phénomènes, conclut Mauss à la fin de l’essai, sont à la fois juridiques, économiques, religieux, et même esthétiques, morphologiques [7], etc. » De même, la notion de personne est impliquée dans tous les aspects de la vie sociale à la fois : « Ce que je veux vous montrer, c’est la série des formes que ce concept a revêtues dans la vie des hommes des sociétés, d’après leurs droits, leurs religions, leurs coutumes, leurs structures sociales et leurs mentalités [8] ».

14Par son attrait pour les études de cas et par l’élargissement de la définition des catégories de la conscience collective, Mauss met ainsi en place les conditions d’un glissement de l’histoire de la personne d’un point de vue purement sociologique à un point de vue anthropologico-historique.

15Toutefois, cette évolution ne se fait pas d’un seul coup. Le sens que prend, grâce à Mauss, le concept d’anthropologie historique doit donc être reconstruit à travers les vicissitudes de sa recherche.

LA PERSONNE COMME CATÉGORIE

16Vers la fin de sa vie, en 1938, Mauss fait une conférence intitulée « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”». Son objectif y est d’expliquer « comment une des catégories de l’esprit humain – une de ces idées que nous croyons innées – est bien lentement née et grandie au cours de longs siècles et à travers de nombreuses vicissitudes, tellement qu’elle est encore, aujourd’hui même, flottante, délicate, précieuse, et à élaborer davantage » [p. 333]. À cette fin, Mauss se livre à un exposé en deux parties. La première décrit le fond archaïque universel à partir duquel est apparue la notion de personne : ce qu’il appelle le « personnage ». L’analyse est anthropologique et se déploie à partir d’exemples pris chez les Pueblo, les tribus du nord-ouest américain et de la Prairie, et en Australie. La seconde partie s’attache à repérer, cette fois d’une manière purement historique, les principales étapes de la construction de la notion de personne elle-même. L’histoire de la personne est alors décrite comme une élaboration cumulative engagée presque simultanément dans plusieurs sociétés antiques, en particulier en Inde, en Chine et à Rome, mais qui ne s’est véritablement développée qu’en Occident, à travers le droit romain, la religion chrétienne et la culture psychologisante moderne.

17La date de cette conférence pourrait nous faire penser à une sorte de testament. Nous aurions là l’ultime opinion de Mauss concernant l’objet même de l’anthropologie et de son alliance éventuelle avec l’histoire.

18Or, il n’en est rien. Un examen plus attentif nous montre que deux strates bien différentes de la pensée maussienne sont venues se superposer dans cet essai sans être bien ajointées. Alors que sa partie anthropologique reprend les acquis principaux des études menées au cours des trente dernières années, sa partie historique réactualise le projet, déjà désuet, d’une histoire des catégories de l’esprit humain. Cette recherche vient simplement ajouter, explique Mauss, une analyse supplémentaire à « l’histoire sociale des catégories de l’esprit humain » [p. 333]. Faire l’histoire de la personne consisterait à reprendre une méthode déjà abondamment illustrée par ses propres travaux sur les notions primitives de cause (avec Hubert) et de genre (avec Durkheim) ainsi que par ceux de Hubert sur la notion de temps, de Czarnowski sur la notion d’espace et de Durkheim lui-même, dans les Formes élémentaires…, sur les notions d’âme et de tout [9].

19Et Mauss de citer telle quelle la liste des catégories à étudier qu’il proposait [10] déjà en 1909.

20En commençant notre lecture par la seconde partie de la conférence de 1938, nous allons donc plonger dans l’une des zones les plus anciennes de la pensée de Mauss, l’une de celles par lesquelles, jusque tard dans sa vie, il est resté lié au programme durkheimien d’une histoire des catégories.

21Aux yeux de Mauss, la culture indienne a probablement été la première à remplacer la notion de « personnage » par celle « d’individu, de sa conscience, que dis-je, du “moi [11]” ». Cette transformation s’est effectuée dans certaines écoles philosophico-religieuses, comme celles du brahmanisme des Upanishad, le samkhya, et le premier bouddhisme. Mais ces discussions ont tendu le plus souvent à montrer son caractère illusoire ou la nécessité de son anéantissement et le développement s’est alors figé à ce stade.

22La Chine antique a également connu dans les derniers siècles av. J.-C.

23une élaboration de la personne à travers le développement de la notion de ming, c’est-à-dire de nom. Mais ici aussi cette réflexion « a enlevé à l’individualité tout caractère d’être perpétuel et indécomposable » [p. 349].

24Le nom est resté un collectif représentant de manière archaïque le porteur, son ancêtre et son descendant. Quand il a été théorisé par les docteurs qui ont enseigné le T’ao, c’est-à-dire la nature des choses, « on a dit de l’individu qu’il est un composé, de shen et de kwei » [ ibid.]. En 1903, Mauss notait déjà à ce propos : « Toutes choses sont le produit des deux pouvoirs physico-spirituels, du yang (lumière, mâle, ciel) et du yin (femelle, obscurité, terre). L’âme humaine n’échappe pas à cette règle : elle est double.

25Elle est shen ou spirituelle et kwei et matérielle. De plus, elle se dédouble en un certain nombre de formes suivant ses relations, elle se divise en parties suivant ses fonctions. Mais ces reduplications sont directement en rapport avec les différents moments de la vie et de la création du monde par ces deux pouvoirs fondamentaux [12]. » La Chine, par ailleurs, a connu relativement tôt une transformation du régime juridique de la propriété foncière qui a fait passer celle-ci du clan à la famille. Mais là encore l’évolution n’est pas allée plus loin. Dans un compte rendu de 1906 portant sur la question, Mauss remarquait ainsi : « La propriété individuelle n’a pas été possible avant que des familles communautaires, indivises, plus restreintes, aient réussi à se substituer au clan devenu trop vaste. Mais si le droit de propriété de la famille, qui est encore un groupe, s’est fait jour relativement tôt en Chine et ailleurs, tous ces droits ne connaissent pas encore la propriété foncière individuelle entendue au sens occidental du mot [13]. »

26Selon Mauss, d’autres nations antiques ont encore « connu ou adapté des idées du même genre [14] ». Mais en fait, seule la société romaine a « fait de la personne humaine une entité complète » [p. 349]. Comme en Inde et en Chine, nous pouvons suivre à Rome le passage de la notion de personnage à celle de personne : « Tout au début, nous sommes transportés dans les mêmes systèmes de faits que ceux qui précèdent » [p. 350]. Mauss rappelle les institutions latines qui reflètent encore la forme archaïque de la personne : « On trouve chez eux des traces définies d’institutions du genre des cérémonies des clans, des masques, des peintures dont les acteurs s’ornent suivant les noms qu’ils portent » [p. 351]. Et il conclut : « Au fond, Samnites, Étrusques, Latins ont encore vécu dans l’atmosphère que nous venons de quitter : des personae, masques et noms, des droits individuels à des rites, des privilèges. De là à la notion de personne, il n’y a qu’un pas » [p. 352].

27Chez les Latins, la personne, qui n’était jusque-là qu’un personnage, c’est-à-dire un privilège propre à certains membres du clan, fixé par la tradition et le système de représentations mythiques, devient pour la première fois dans l’histoire de l’humanité un fait fondamental et universel du droit des citoyens. La transition historique est attestée par le mot persona lui-même, et Mauss en souligne la filiation avec la notion de personnage masqué : « Il semble bien que le sens originel du mot soit exclusivement “masque [15]”» [p. 350]. Cette transformation a lieu sous la forme d’une extension progressive du droit de cité, tout d’abord aux fils des familles sénatoriales [p. 352], puis au cours des révoltes de la plèbe, à tous les membres plébéiens des gentes [p. 352]. Ainsi la notion de personne acquiert-elle à Rome son premier caractère moderne. Avoir une personne signifie désormais en premier lieu posséder une personnalité juridique : « Furent citoyens romains tous les hommes libres de Rome, tous eurent la persona civile » [p. 352].

28Parallèlement à ce processus de nature juridico-politique, Mauss note une extension progressive – en droit sinon en fait, car il semble qu’il ne se soit pas étendu très loin dans la plèbe – du droit juridico-religieux aux images. Ces images sont des masques de cire moulés sur la face de l’ancêtre mort qui sont gardés dans les ailes du hall de la maison familiale [p. 352], et que l’on promène aux enterrements [p. 133]. Elles représentent aussi les personnes à réincarner qui sont porteuses du nom [ ibid.]. L’usage de ces masques et statues, réservé aux familles patriciennes (qui promènent en particulier ceux des ancêtres qui ont eu des charges consulaires, édilitaires, etc.), semble se développer, tout d’abord par usurpation, puis par sénatus-consulte. Mauss cite l’intervention de Cicéron à un procès où celui-ci évoque une affaire de détournement des images qui revient à un détournement du nom et donc de la personne : « Cicéron parle de ce brigand “qui cognomen ex Aeliorum imaginibus delegerat, qui avait choisi son surnom parmi les images (les masques) des Aelii”. Masque, image, a ici, en même temps, le sens de prénom ou surnom [16] » [p. 133].

29Ces remarques rejoignent deux analyses antérieures qui éclairent un peu cette esquisse tracée à grands traits. Dans ces deux textes, il relève l’individualisation du droit de propriété romain qui s’autonomise du droit du clan et le début du développement de la catégorie de liberté. En 1906, il note : « Ce fonds n’est autre encore que la terre incorporée au clan [...].

30La distinction du droit romain entre le fundus et la superficies, voilà la forme primitive grâce à laquelle le droit individuel, réservé à la superficie, à l’usage, apparaît [17]. » Et en 1921 : « La notion de liberté – possibilité de choix – n’apparaît pas tout d’abord dans l’histoire. Elle ne se clarifie que lors du développement du droit et de la notion de la responsabilité civile et criminelle; elle est même étrangère aux premières phases du droit romain [18]. »

31Ainsi, dès le Ve siècle av. J.-C., le droit romain a acquis un caractère personnel et perdu une grande part de sa nature clanique. À l’époque de Cicéron, la persona devient synonyme de la vraie nature de l’individu [19]. Il ne reste que les esclaves qui ne possèdent pas de personne, suivant la règle juridique : servus non habet personam. En effet, ceux-ci ne possèdent pas leur corps et n’ont pas d’ancêtres, de nom, de cognomen, ni de biens propres.

32Les Grecs, du point de vue du développement de la notion de personne, sont, pour une fois, en retard sur les Romains. Mauss apporte ici un argument lexicographique : « Pour désigner la notion de personne humaine, personne juridique, les Grecs, tardivement, traduisirent le mot latin – car ils ne furent pas, eux, les inventeurs de la notion de personne – ils traduisirent même encore à l’époque justinienne persona par ????????, masque.

33On le voit, ce ne sont pas les Latins qui ont traduit le grec; ce sont les Grecs qui ont traduit servilement le latin [20]. » En Grèce, la notion de personne reste d’ailleurs, jusqu’au IIe siècle av. J.-C., marquée par une ambiguïté. Le mot ???????? par lequel les Grecs traduisent la notion juridique latine a bien le sens de persona, de droit puis de sens intime de l’individu, mais il reste aussi marqué par l’idée de masque, d’image superposée et désigne parfois le personnage que chacun se compose [21].

34À partir du IIe siècle, les cultures grecque et latine sont en symbiose.

35L’ambiguïté grecque entre l’être et le paraître disparaît et l’évolution se fait alors par une accumulation d’aspects nouveaux. À la dimension juridique, le courant de pensée stoïcien ajoute une dimension « morale » que Mauss identifie aussi à une dimension « psychologique » [p. 356] : « Chez les Classiques latins et grecs de la Morale (IIe s. av. J.-C. à IVe s. après J.-C.) [...] on ajoute [...] un sens moral au sens juridique, un sens d’être conscient, indépendant, autonome, libre, responsable. La conscience morale introduit la conscience dans la conception juridique du droit. Aux fonctions, aux honneurs, aux charges, aux droits, s’ajoute la personne morale consciente » [p. 355-356]. La personne, qui n’était au fond qu’un personnage étendu à tous les membres mâles du groupe, inclut désormais une dimension psychologique, une profondeur intérieure dont Mauss donne une idée en glosant le changement de sens, entre l’ancien et le nouveau stoïcisme, des mots qui, en grec, désignent la conscience, ?????????? ? ?? ????????: « Du sens primitif de complice, “qui a vu avec” – ??????? – de témoin, on est passé au sens de la “conscience du bien et du mal” » [p. 356].

36À ces dimensions juridiques et morales, le christianisme ajoute alors une dimension métaphysique. Au cours des querelles théologiques des premiers siècles, le Dieu unique est en effet pour la première fois identifié à une (et à trois) personne(s), et cette définition a pour effet de raffermir en retour, en la reliant à l’Être, la notion de personne humaine : « Ce sont les chrétiens qui ont fait de la personne morale une entité métaphysique » [p. 357]. La modernité véritable commencerait ainsi avec le christianisme : « Notre notion à nous de personne humaine est encore fondamentalement la notion chrétienne » [ ibid.]. Depuis cette époque, l’individu n’a pas une personne, mais il est une personne, qui est une. La personne, selon Cassiodore, est ainsi définie comme substantia rationalis individua, c’est-à-dire une substance rationnelle indivisible et individuelle [22].

37Le dernier chapitre de l’essai de 1938 veut montrer finalement l’aspect superficiel de l’impact de la réflexion philosophique des XVIe et XVIIe siècles sur la notion de personne. Chez Descartes et Spinoza, seule « une partie de la conscience » [p. 360], la pensée discursive, claire et déductive, est prise en compte. Pour ce qui concerne sa part métaphysique, celle sur laquelle s’appuie la notion de personne, Spinoza « répète au fond Maïmonide, qui répétait Aristote » [ ibid.]. C’est donc, dit Mauss, ailleurs que chez les cartésiens, dans d’autres milieux sociaux, que la personne a reçu sa dimension psychologique, en devenant non seulement un principe de droit et une entité morale et métaphysique, mais « une connaissance de soi » [p. 359].

38Rendant hommage à Troeltsch et Weber sans les citer, Mauss rappelle le rôle des mouvements sectaires des XVIIe et XVIIIe siècles : « C’est là que se posèrent la question de la liberté individuelle, [celles] de la conscience individuelle, du droit de communiquer directement avec Dieu, d’être son prêtre à soi, d’avoir un Dieu intérieur. Les notions des Frères moraves, des puritains, des wesleyens, des piétistes, sont celles qui forment la base sur laquelle s’établit la notion : la personne = le moi; le moi = la conscience – et en est la catégorie primordiale » [p. 360]. À partir de cette époque la personne qui possède des aspects juridiques, moraux, métaphysiques, devient ainsi la « forme fondamentale de la pensée et de l’action » [p. 362] et prend le statut de valeur ultime pour l’Occident. Elle constitue désormais un a priori de notre culture. Ces idées sont théorisées par Hume (après Berkeley) qui rompt avec les questionnements médiévaux sur l’âme comme substance : « Il fallut Hume révolutionnant tout [...] pour dire que dans l’âme, il n’y avait que des états de conscience, des “perceptions” » [p. 360].

39Mais ce n’est qu’avec Fichte que l’on affirme finalement « le moi » comme catégorie fondamentale de la conscience : « Celui qui répondit enfin que tout fait de conscience est un fait du “moi”, c’est Fichte » [ ibid.].

40On le voit, la seconde partie de la conférence de 1938 ressuscite le projet durkheimien d’une histoire des catégories de pensée. Certes, il ne faut pas oublier qu’avec d’autres attaques comme celles des pragmatistes américains ou de Simmel en Allemagne, ce projet a permis de remettre radicalement en question les croyances réalistes occidentales à l’existence d’idées anhistoriques et éternelles. Mais les succès descriptifs n’ont pas été à la mesure de sa fécondité critique et ce programme est déjà en grande partie épuisé quand Mauss le reprend à nouveau à son compte.

41Les principaux défauts du néokantisme sociologique sont d’ailleurs grossis à la loupe par leur confrontation même avec les résultats de la nouvelle anthropologie historique maussienne. Ainsi, dans la première partie de l’essai, Mauss aborde la notion de personnage en la référant aux différents systèmes socio-culturels dans lesquels elle est présente. La notion se confond ici avec le fonctionnement de l’ensemble social. Mais lorsqu’il passe à la partie historique, son analyse ne porte plus que sur la notion de personne elle-même vue à travers son évolution sémantique. Il sépare à nouveau société et représentations et fait passer au second plan son point de vue totalisant de départ. Dès lors, la description anthropologique des différentes formes d’individuation dans leurs spécificités tend à disparaître au profit de l’idée que la succession de ces formes constituerait une ligne amenant progressivement au jour la notion pure de la personne. Mauss cherche à montrer comment cette notion qui « n’est formée que pour nous, chez nous » [p. 361] s’est « lentement élaborée » [p. 335], « comment elle a fini par prendre corps, matière, forme, arêtes, et ceci jusque dans nos temps, quand elle est enfin devenue claire, nette » [p. 334]. Comme si la notion de personne avait existé en soi depuis toujours et qu’il ne restait plus qu’à la découvrir. La Chine et l’Inde, explique-t-il, « prirent conscience les premières » de « cette catégorie de l’esprit » [p. 348]. Dans cette optique, la notion de personne existerait par elle-même, comme une idée platonicienne, et n’aurait été découverte, dans toute sa plénitude, que par l’Occident moderne. Ce finalisme explique qu’au lieu de voir chaque définition de la personne comme une forme d’humanité particulière qui a pu éventuellement se combiner à d’autres par la suite en formant un composé nouveau, Mauss n’y voit souvent qu’une étape dans un processus d’enrichissement sémantique qui semble définitif. Rien dans la seconde partie de la conférence ne fait en effet allusion à de possibles culs-de-sac de l’histoire de la personne et tout s’y passe comme si, une fois que cette notion avait reçu une certaine dimension – juridique, morale, plus tard métaphysique et psychologique –, elle ne pouvait plus ultérieurement que se réincarner avec cette forme nouvelle.

42Cette conception dualiste du concept de « catégorie » et le recouvrement du point de vue spécifiant par un point de vue finaliste se prolongent par un retour à un principe abstrait d’évolution. La manière dont il rend compte de la transition elle-même du personnage à la personne, tout en étant assez allusive, s’appuie encore sur le type d’explication morphologique mis au point par Durkheim. Cette transition se serait ainsi opérée essentiellement au gré d’un élargissement du nombre d’individus possédant un personnage. Réservée à quelques membres du clan, la personnalité aurait été étendue par les Romains à tous les citoyens, puis par le christianisme à tous les hommes et, malgré quelques hésitations, à toutes les femmes. Les changements de la notion seraient donc liés à un changement radical de la forme de solidarité dans la société romaine où, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tous les membres du groupe social auraient été munis d’un droit à posséder un personnage. Toutefois, dans la suite de son récit, Mauss ne fait plus aucune allusion à un quelconque changement morphologique. Il se limite à prendre note de l’évolution de la notion sans chercher à expliquer celle-ci d’une manière socio-anthropologique, et le rapport entre morphologie sociale et physiologie, pour reprendre les termes de Mauss lui-même, devient de moins en moins clair au fur et à mesure qu’il avance dans l’histoire. À l’origine, nous dit Mauss, la personne, sous la forme du personnage, représente des droits, des honneurs, un rang, une propriété et la possibilité d’avoir une descendance. Elle consiste ainsi essentiellement en un statut social qui situe l’individu par rapport aux autres membres du clan, c’est-à-dire aux vivants, aux morts et aux choses. À Rome, son contenu au départ change peu et l’essentiel s’en retrouve dans la notion de persona juridique qui consiste en une simple extension quantitative. Mais c’est désormais l’évolution de ce contenu qui va devenir fondamentale. La philosophie gréco-romaine superpose à cette définition encore tout extérieure et objective, une signification nouvelle. Entre le IIe siècle avant et le IVe siècle après J.-C., « chose capitale, on ajoute de plus un sens moral au sens juridique, un sens d’être conscient, indépendant, autonome, libre, responsable [23] ». À l’objectivité du juridisme et du formalisme romain s’ajoute ainsi une dimension sémantique qui ne va pas arrêter de s’enrichir. Le christianisme va réinterpréter à son tour cette notion en lui attribuant une consistance métaphysique. Enfin, le protestantisme et la philosophie moderne parachèveront l’évolution en identifiant la personne au sujet psychologique.

43Ainsi Mauss est-il poussé à reprendre la conception de la créativité typique du paradigme dualiste historiciste. Si le passage du personnage à la personne se fait à Rome de manière collective, les principales innovations semblent, par la suite, être provoquées par des individus. Mauss cite des théologiens (concile de Nicée, Cassiodore, concile de Trente) ou des philosophes (les stoïciens, Descartes, Spinoza, Berkeley, Hume, Kant et Fichte). La diffusion des modèles se fait de manière assez traditionnelle du haut vers le bas (par exemple à Rome, du père patricien au fils patricien, puis des familles sénatoriales à la plèbe, puis des citoyens aux esclaves).

44Ce qui entraîne une absence du Moyen Âge et même de la Renaissance dans son récit. Dans la mesure, en effet, où les élites de l’époque, les clercs, ne font plus que raffiner des contenus notionnels déjà introduits par le christianisme à la fin de l’Empire romain [24], Mauss voit une discontinuité majeure entre l’Antiquité et le XVIIe siècle, et néglige le travail plus spontané de la subjectivation apportée par la féodalité à partir duXe siècle (dont Huizinga a pourtant décrit dès1919 l’ultime flambée) et le développement de la bourgeoisie urbaine depuis les XIIe et XIIIe siècles (bien connu grâce, entre autres, aux travaux de Pirenne).

45Enfin, Mauss se rallie – à l’encontre de toutes ses prises de position précédentes – à un découpage binaire de l’humanité en une sphère traditionnelle où la personne ne se serait pas développée (« sa force morale – le caractère sacré de la personne humaine – est mise en question [...] partout dans un Orient qui n’est pas parvenu à nos sciences [25] ») et une sphère moderne occidentale, « chez nous » [p. 362], héritière de Rome, de la Grèce et du christianisme grécisé, où la personne est en péril : « Nous avons de grands biens à défendre, avec nous peut disparaître l’Idée » [p. 362]. Notons à ce sujet, que de manière analogue à sa méconnaissance du Moyen Âge sur le plan historique, ce point de vue l’amène à négliger, sur le plan spatial, les cultures sémitiques, auxquelles il attribue pourtant par ailleurs l’invention anthropologiquement déterminante de l’économie monétaire.

46Ainsi l’essai de 1938 est-il un texte problématique qui, malgré sa célébrité, représente assez mal l’apport le plus original de Mauss à l’histoire du sujet. Le manque d’analyse anthropologique qui caractérise sa seconde partie, son développement sur un plan purement notionnel, le recouvrement des spécificités par la linéarité, le retour aux schèmes dualistes les plus traditionnels, tous ces traits montrent en fait une involution du récit maussien par rapport aux pratiques anti-dualistes de recherche de l’historicité déjà engagées durant l’entre-deux-guerres. Le projet d’historicisation des catégories auquel il revient en 1938, avec son arrière-plan néokantien, constitue une régression vers l’apriorisme évolutionniste et le vaste comparatisme du début du siècle, que Mauss avait petit à petit abandonnés au profit d’analyses systémiques menées à partir de l’observation de terrains particuliers.

47Paradoxalement, la contribution maussienne à l’histoire du sujet n’est peut-être pas à chercher dans l’une de ses descriptions les plus historiographiques et les plus récentes, mais dans des études antérieures purement anthropologiques visant à restituer la spécificité des sociétés archaïques.

LA PERSONNE ARCHAÏQUE COMME ÉLÉMENT DE CLASSIFICATION

48Après les années 1902,1903,1904, consacrées pour l’essentiel à l’étude de la magie, Mauss s’intéresse de plus en plus à la vie des sociétés eskimo et indiennes de l’Amérique du Nord, sur lesquelles les enquêtes ethnographiques de première qualité s’accumulent rapidement. Ainsi pouvons-nous voir émerger à partir de 1903 les premiers éléments de réflexion de ce qui constituera dans l’entre-deux-guerres l’anthropologie maussienne de la personne archaïque. La notion de personne spécifique à ces sociétés peu évoluées y apparaît encore de manière extrêmement éclatée, à travers des descriptions que Mauss ne pense pas encore à rassembler. Mais si nous faisons l’effort, un peu artificiel il est vrai mais néanmoins révélateur, d’en reconstituer le portrait type, nous observons quelque chose qui, déjà, n’a plus grand-chose à voir avec le portrait absolument négatif qu’en faisaient Durkheim et lui-même jusque-là.

49Quelques remarques concernent le statut de la propriété. Dans les droits primitifs, c’est le clan qui est le seul propriétaire de la terre; les individus n’y ont pas par eux-mêmes de droits de propriété : « Le droit communal, le droit du clan ne sont pas seulement des droits éminents; ils sont le droit de propriété lui-même, et ce n’est qu’en tant que membre de la communauté que l’individu a sa part. Il y a, par suite de l’existence des dieux locaux et nationaux auxquels est consacrée la terre une incapacité radicale de l’individu à devenir propriétaire [26]. » Néanmoins, remarque Mauss, cette incapacité de l’individu à être propriétaire foncier ne l’empêche pas de posséder des propriétés individuelles. Chez les Eskimo, si l’hiver est marqué par un large collectivisme qui fait du territoire de la station, de la longue maison, du terrain et des objets de consommation eux-mêmes, des propriétés collectives, la période d’été connaît, pour sa part, un régime des biens assez fortement individualisé : « La chasse ne se fait pas en commun, sauf pour la chasse à la baleine, et chaque hardi pêcheur ou aventureux chasseur ramène son butin à sa tente, ou l’enfouit dans sa “cache” sans avoir de comptes à rendre à personne. L’individu se distingue donc fortement ainsi que la petite famille [27]. » Mauss note également avec précision quels sont les biens personnels : « Les habits et les amulettes; puis, le kayak et les armes qui naturellement sont exclusivement possédés par les hommes.

50Les femmes possèdent généralement en propre la lampe de famille, les marmites de stéatite et l’ensemble des instruments. Tous ces objets de ménage sont attachés d’une façon magico-religieuse à la personne. On répugne tout à fait à les prêter, à les donner ou à les échanger, dès qu’ils ont été usagés.

51On les enterre avec le mort. Quelques-uns, les armes notamment, portent en Alaska, peut-être même partout, des marques de propriété » [p. 463].

52Même pendant l’hiver, toute propriété individuelle ne disparaît pas complètement : « À l’intérieur de la longue maison, chaque famille reste propriétaire de sa lampe, de ses couvertures; chaque individu de ses armes et de son vêtement. De plus, l’ordre selon lequel se répartissent les fruits de la chasse entre les habitants de la maison porte parfois la marque du droit individualiste de l’été » [p. 469].

53C’est la question de la répartition des noms dans les classes qui cependant va faire basculer la pensée de Mauss, en le poussant parallèlement à substituer à la formulation de la question de la personne clanique en termes binaire d’individualité ou d’absence d’individualité une formulation en termes de place statutaire dans un système social hiérarchisé. Là aussi, les études de détail viennent en effet, sinon infirmer, du moins compliquer la doctrine de l’amorphisme du clan. Le nom totémique, dont Durkheim et lui-même faisaient encore, il y a peu, le dénominateur commun des membres d’un clan, apparaît sous un autre jour dès lors que l’on étudie le processus par lequel il est reçu. Il ne constitue plus le simple instrument de distinction de deux groupes, mais représente la marque de la place particulière d’un individu dans son groupe.

54À de très nombreuses reprises, Mauss note que, dans les sociétés archaïques, il existe un stock de prénoms, propriété du groupe, qui sont sans cesse réutilisés par les générations successives. Or, ces prénoms sont souvent des sous-totems du clan. Chez les Hopi, « les choses sont en effet non seulement réparties entre les clans mais encore entre les individus de ces clans, car nombre de noms propres d’individus sont simplement ceux des espèces sous-totems de ces clans, ou même ceux des choses subsumées à ces sous-totems [28] ». Chez les Haïda et les Tlingit, alors que les noms totémiques, à la suite d’influences extérieures et perturbatrices, se sont affranchis du clan, les prénoms gardent leurs liens avec celui-ci, où ils se transmettent en ligne utérine : « Les prénoms [...] restent toujours dans la même phratrie et le même clan, tout en ne reparaissant que toutes les deux générations. D’une manière générale, on peut dire que contrairement aux totems, ils sont attachés à des groupements familiaux nettement déterminés [29]. » Chez les Haïda, chaque clan possède ainsi un lot de prénoms qui sont autant de personnes : « Le clan du Tonnerre, qui appartient tout entier à la phratrie du Corbeau, est divisé en un certain nombre de personnes.

55Les prénoms sont, en définitive, de la menue monnaie de totems; c’est dire qu’ils ressemblent aux sous-totems d’Australie et de certaines sociétés nord-américaines » [p. 82].

56Ces phénomènes s’expliquent par une croyance générale à la réincarnation des ancêtres qui portaient originellement les prénoms. Cette croyance est attestée chez tous les Indiens d’Amérique du Nord : « Sur le nom nikie, chez les Dacotah et les Sioux, sur le nom dans les confréries et les clans (Pueblo, Kwakiutl, Haïda), nous disposons dès maintenant d’un ensemble imposant de faits. Le nombre des individus, des noms, des âmes et des rôles est limité dans le clan, et la vie de celui-ci n’est qu’un ensemble de renaissances et de morts d’individus toujours identiques [30]. » De même, chez les Omaha (Nebraska), « chaque clan et chaque sous-clan possède une liste de prénoms héréditaires sur lesquels il a un droit exclusif de propriété. Ces prénoms sont ceux des âmes qui se réincarnent régulièrement par l’intermédiaire des femmes étrangères au clan (car la descendance se fait en ligne masculine). Ainsi le totem comprend sous lui tous les sous-totems, et les sous-totems comprennent à leur tour les noms individuels [...]. Ce sont là autant de faits qui prouvent à nouveau le rapport du totem individuel au totem du clan [31] ». Mauss note encore que cette croyance existait chez les Indo-Européens, les Vikings, les Romains [32], et qu’elle a été connue plus généralement dans toutes les populations archaïques : « Il existe un ensemble énorme de sociétés, sociétés nègres, malayo-polynésiennes, indiennes (groupe sioux, algonquin, iroquois, pueblo, du Nord-Ouest), eskimos, australiennes, où le système de la réincarnation du mort et de l’héritage du prénom dans la famille ou dans le clan est la règle » [p. 138].

57Or, cette réincarnation apporte avec elle toute une série de signes et de droits. Chez les Haïda et les Tlingit, « hériter d’un prénom, c’est hériter de l’esprit de l’ancêtre qui portait ce prénom, du dieu que cet ancêtre incarnait déjà. L’héritier du prénom est ce dieu lui-même, il a le droit d’en porter le masque, de le figurer dans ces cérémonies [33] ». Ce « droit » d’incarner l’ancêtre dans les cérémonies se matérialise par le droit à son masque, mais il s’exprime aussi par la propriété « d’un rôle pendant la “danse d’hiver [34]”» et d’un chant : « Posséder un totem, c’est posséder, du même coup, une lignée d’ancêtres qu’on prie, qui vous assistent; c’est être propriétaire du chant de la phratrie, du chant spécial de la famille et du clan. Ce chant est une chose très précieuse, car il vient de l’ancêtre, du génie que l’individu réincarne, c’est le génie qui est censé parler par la bouche du chanteur [35]. » En réincarnant son ancêtre, l’individu acquiert ainsi son statut : « L’individu naît avec son nom et des fonctions sociales, avec son blason dans les sociétés du nord-ouest américain [36]. » Dans des sociétés hiérarchisées, comme celle des Kwakiutl, ce phénomène est d’importance primordiale dans la mesure où il va en partie déterminer le rang de l’individu dans ou hors de la noblesse, et au sein de la hiérarchie des confréries religieuses [37].

58Ainsi Mauss commence-t-il à percevoir que loin d’entraîner, par osmose avec son clan, la dissolution de la personnalité de l’individu qui le porte, l’attribution d’un prénom a plutôt l’effet de lui en attribuer une. Certes, la personne en question ne se définit pas comme une entité entièrement libre et dont l’autonomie est garantie juridiquement. Elle est au contraire soumise aux traditions et ne possède d’identité qu’en fonction de la place que lui assigne le groupe. Elle peut, par exemple, perdre sa personnalité ou en acquérir une au cours du potlatch, ou même par un meurtre [p. 59]. Elle est un « rôle [38] ». Mais ce rôle n’est pas sans être strictement défini par des emblèmes, des masques, des danses, des chants, et sans impliquer de droits véritablement personnels.

59Dès1907, Mauss tire les premières conclusions de ces analyses en revenant sur sa vision de l’amorphisme du clan : « Comme les noms propres sont attachés à des fonctions religieuses, aux masques héréditaires dans le clan, le clan totémique hopi nous apparaît lui-même, non pas comme possédant en bloc un groupe de choses, mais comme les ayant réparties entre les individus à la façon dont, dans la société, se répartissent les rôles [39]. »

60En 1910, il complète à propos des Haïda et des Tlingit cette remarque qui forme, à notre connaissance, la première occurrence explicite du thème du personnage qui sera développé dans l’essai de 1938 : « Par cela seul que le prénom se transmet dans le clan, il y a donc tout un ensemble de choses sacrées, de pouvoirs, de personnalités mythiques qui sont attribuées à ce même groupe, qui sont sa propriété [40]. » Revenant explicitement sur l’indistinction des membres du clan qu’il avait cru, avec Durkheim, pouvoir déduire de son étude des populations aborigènes australiennes, il affirme alors l’existence d’une forme spécifique de personnalisation dans le système clanique des Indiens d’Amérique du Nord. Chez les Haïda, le totem est plus un blason, un emblème, une propriété religieuse qu’une figure mythique : « On y voit beaucoup moins qu’en Australie même, ou sur d’autres points de l’Amérique, une espèce animale dont les hommes du clan font partie. On le possède, plus qu’il ne vous possède [41] » [p. 82].

61Ainsi une transformation importante a-t-elle déjà eu lieu dans la pensée de Mauss entre 1905, date de son essai sur les variations saisonnières eskimo et de ses premiers cours sur le potlatch, et 1912, lorsque la personne archaïque est définitivement reconnue dans sa spécificité et la doctrine de l’amorphisme absolu du clan abandonnée. Toutefois, il est à observer que la problématique de la nomination dans laquelle il se situe encore découle directement de ses travaux, réalisés en commun avec Durkheim, sur les classifications. Elle en représente une application secondaire : après l’étude des classifications des clans, il s’agit d’entreprendre celle des classifications des membres des clans. Le prénom et l’âme sont considérés, nous l’avons vu, comme de la « menue monnaie de totem » [p. 82]. Ils n’expriment en général qu’une spécification du nom du clan souvent représenté sur le modèle des parties du corps de l’animal totem (dans le clan du loup, les individus portent les prénoms : patte droite avant du loup; patte gauche avant du loup, etc.). Dans cette mesure, Mauss peut rejeter l’idée d’un amorphisme intérieur au clan, mais il ne peut guère voir dans les membres du clan autre chose précisément que des membres d’un corps unique, la plus petite classe d’un emboîtement de classes s’englobant successivement l’une dans l’autre.

62Or, cette conception gigogne de la personne va, à son tour, être abandonnée sous la pression des constatations accumulées par Mauss au sujet des cérémonies au cours desquelles le nom de l’ancêtre pouvait être perdu, regagné ou conquis [42]. Mauss s’aperçoit, en effet, en prenant connaissance à partir de 1905 des textes de Boas concernant le potlatch, que la question de la cohésion sociale ne se pose pas seulement en termes d’emboîtement hiérarchisé des parties dans un tout, mais aussi en termes d’échanges réciproques entre les parties de ce tout [43].

63Grâce à l’étude du potlatch, Mauss comprend qu’il est insuffisant de se représenter le statut que reçoit l’individu comme un simple élément ou comme une simple position dans une grille classificatoire, qui serait fixe et couvrirait à elle seule toute l’étendue de la société.

64Tout d’abord, s’il est vrai que la définition de la personne archaïque dépend essentiellement de son statut dans la société et que celui-ci peut être expliqué en grande partie par la croyance à la réincarnation des personnages possédés par le groupe social, il faut préciser que le nombre des noms ou des personnages disponibles dans un groupe est toujours fini : « Chaque clan a une certaine quantité de noms, rangs, titres [44] ». En 1938, il note également cette particularité cruciale : « Existence d’un nombre déterminé de prénoms par clan [45] ». Plus loin : « Le clan est conçu comme constitué par un certain nombre de personnes, en vérité de personnages » [p. 339, c’est Mauss qui souligne]. En Australie comme en AOF et au

65Nigeria, « le nombre de lamantins et de crocodiles de tel et tel marigot correspond au nombre des vivants. Et probablement ailleurs, les individus animaux sont nombrés comme les individus hommes » [p. 345]. Plus loin encore, il avoue devoir négliger, pour des raisons de clarté d’exposition, cet aspect, indiquant indirectement l’importance qu’il lui attache :
« Un autre point de vue dont je continue à faire un peu abstraction, c’est celui de la notion de réincarnation d’un nombre d’esprits nommés dans un nombre déterminé, dans les corps d’un nombre déterminé d’individus. – Et cependant ! » [p. 347].

66Or, cela est assurément fondamental car le nombre limité des âmes implique que la personne n’est pas seulement une place dans le cosmos et une position dans le tout formé par la société des vivants, mais surtout un moment dans le cycle fermé des générations : « Ce fait donne bien la sensation du fait général : que, dans un clan déterminé, il y a un nombre déterminé d’âmes en voie de perpétuelle réincarnation ou de possession qui, définissant la position de l’individu dans son clan, dans sa famille, dans la société, dans l’ensemble de la vie, définissent sa personnalité [46]. » Chez les Indiens de la Prairie, « chacun des noms d’oiseaux tonnerres qui se divisent les différents moments du totem tonnerre, sont ceux des ancêtres qui se sont perpétuellement réincarnés. [...] Les hommes qui les réincarnent sont des Intermédiaires entre l’animal totémique et l’esprit gardien, et les choses blasonnées et les rites du clan ou des grandes “médecines [47]”». Chez les Australiens, « même chez les Arunta et les Loritja, ces esprits se réincarnent avec une grande précision à la troisième génération (grand-père, petit-fils), à la cinquième où l’aïeul et arrière-arrière-petit-fils sont homonymes. Encore ici, c’est un fruit de la descendance utérine croisée avec la masculine. – Et, par exemple, on peut étudier dans la répartition des noms par individu, par clan et classe matrimoniale exacte [...], la relation de ces noms avec les ancêtres éternels, et les ratapa, sous leur forme au moment de la conception, les fœtus et enfants qu’ils poussent vers la lumière de ce jour, et entre les noms de ces ratapa, et les noms d’adultes (qui sont en particulier ceux des fonctions remplies aux cérémonies de clan et tribales). L’art de toutes ces répartitions est non seulement d’aboutir à la religion, mais aussi de définir la position de l’individu dans ses droits, à sa place dans la tribu comme dans ses rites » [p. 346]. Mauss cite également des faits similaires au Bénin : « Le nom de , qui, à Porto-Novo et dans toute une partie de l’Afrique, est donné à la naissance, détermine toute la vie – jusqu’à la personne qu’il est sage d’épouser – d’après son , son nom également [48]. » Il cite sans développer des croyances analogues chez les Ashanti [49]. Il élargit sa comparaison à l’Asie sinisée en rappelant les travaux de Granet sur les « dynasties légendaires de la Chine avec des répétitions de cinq noms par cycle de cinq réincarnations [50]. » Et il conclut par les premiers travaux de Leenhardt en Nouvelle-Calédonie : « Le nom désigne l’ensemble des positions spéciales de l’individu dans son groupe [...].

67M. Leenhardt retrouve aussi les noms rangés par trois et cinq générations » [p. 134].

68La conséquence principale de ce phénomène est que la place qu’il appelle « juridique » (c’est-à-dire familiale, clanique et tribale) d’un individu est en fait déterminée par le moment qu’il représente dans le cycle des réincarnations : « Il faut considérer non seulement la position juridique, mais la position mythique qu’a chaque individu dans le clan [51]. » Ailleurs : « Et tous ces noms et héritages de personnalités sont déterminés par des révélations [52]. » Cette dépendance du juridique par rapport au mythique est particulièrement évident dans les nombreux cas où les positions hiérarchiques ne correspondent pas à l’âge des individus : « Il y a une raison de ce genre à ce que le neveu soit ainsi supérieur à son oncle. Dans toutes ces sociétés, comme au nord-ouest américain, on croit à la réincarnation des ancêtres dans un ordre déterminé; dans ce système, le neveu utérin [...] appartenant, par l’esprit qu’il incarne, à la génération du père de son oncle, en a toute l’autorité [53]. » Et Mauss conclut : « On comprend qu’un enfant ait une autorité sur un parent d’une autre génération juste antérieure à la sienne, mais postérieure à celle des ancêtres qu’il réincarne » [p. 122].

69À cette première réélaboration de la notion de statut, qui au lieu d’être conçue de manière classificatoire est définie en fonction du type de temporalité qui porte les sociétés archaïques, s’ajoute une réflexion sur la manière dont s’exprime concrètement cette temporalité, à savoir le système du don et du contre-don nécessairement différé qui lui succède.

70Mauss fait remarquer, à cet égard, que la générosité dont on fait montre pendant le potlatch est en réalité un sacrifice adressé aux ancêtres du chef ou du clan avec lequel on est en lutte. En 1910, il note déjà que dans le potlatch, « à chaque cadeau fait à un membre de l’autre phratrie, on mentionne le nom des morts. Les cadeaux faits par les vivants et reçus par des vivants s’adressent, en réalité, aux morts qui sont censés les recevoir dans leur séjour [54]. » Et il conclut : « Nous tendrions à croire que les morts qui sont ainsi appelés à en bénéficier, sont ceux-là mêmes que les vivants réincarnent. Le caractère chamanistique des danses et des cultes, l’identité complète de chaque individu avec l’esprit ancestral qu’il réincarne, sont autant de faits favorables à cette interprétation » [p. 33].

71Dans l’Essai sur le don ( 1925), il souligne à nouveau l’importance de ce fait : « La destruction sacrificielle a précisément pour but d’être une donation qui soit nécessairement rendue. Toutes les formes du potlatch du nord-ouest américain et du nord-est asiatique connaissent ce thème de la destruction. Ce n’est pas seulement pour manifester puissance et richesse et désintéressement qu’on met à mort des esclaves, qu’on brûle des huiles précieuses, qu’on jette des cuivres à la mer, qu’on met même le feu à des maisons princières. C’est aussi pour sacrifier aux esprits et aux dieux, en fait confondus avec leurs incarnations vivantes, les porteurs de leurs titres, leurs alliés initiés [55]. » Plus loin : « Ces hommes sont les incarnations masquées, souvent chamanistiques et possédées par l’esprit dont ils portent le nom : ceux-ci n’agissent en réalité qu’en tant que représentants des esprits » [p. 166]. Plus loin encore : « Il [le potlatch] est religieux, mythologique et chamanistique, puisque les chefs qui s’y engagent y représentent, y incarnent les ancêtres et les dieux, dont ils portent le nom, dont ils dansent des danses et dont les esprits les possèdent » [p. 204].

72En 1938 : « Toute cette immense mascarade, tout ce drame et ce ballet compliqué d’extases [c’est-à-dire le potlatch, les prestations et les rites auxquels il donne lieu, P. M.], concerne autant le passé que l’avenir, est une épreuve de l’officiant et une preuve de la présence en lui du naualaku, élément de force impersonnelle, ou de l’ancêtre, ou du dieu personnel, en tout cas du pouvoir surhumain, spirituel, définitif [56]. » Et Mauss fait allusion aux masques « à volets, doubles, et même triples, qui s’ouvrent pour révéler les deux ou trois êtres (totems superposés) que personnifie le porteur du masque [57] » [p. 343]. En Australie, la signification des danses est la même : « J’ai surtout parlé des sociétés à masques permanents (Zuni, Kwakiutl), il ne faut pas oublier que les mascarades temporaires sont en Australie et ailleurs simplement des cérémonies de masques non permanents. L’homme s’y fabrique une personnalité superposée, vraie dans le cas du rituel, feinte dans le cas du jeu. Mais, entre une peinture de tête, et souvent de corps, et une robe et un masque, il n’y a qu’une différence de degré, et aucune différence de fonction. Tout a abouti ici et là à une représentation extatique de l’ancêtre » [p. 346].

73Ainsi est-il nécessaire de compléter la première partie de la définition de la personne archaïque donnée plus haut. Celle-ci est un moment dans le cycle des générations, mais ce cycle n’est pas un simple cercle où se succéderaient des unités sociales qui existeraient par elles-mêmes. Les générations sont concrètement reliées les unes aux autres par des échanges qui les entrecroisent en les « tissant » dans le temps du don et de la dette, dans la mesure où toutes ces prestations sont réalisées entre des partenaires représentant des générations disparues et pourtant toujours présentes. Et il n’est donc pas possible de comprendre le contenu notionnel de la personne archaïque sans référer celle-ci, non seulement à l’organisation de la parenté, mais aussi à toute la vie des échanges où elle est actualisée.

74Cette conception temporelle de la personne, qui la définit non seulement comme un moment d’un cycle de réincarnations ramenant toujours les mêmes « personnages », mais aussi comme un nœud dans un tissage sans cesse en train de se réaliser, a des conséquences sur la définition de la place de la personne parmi les autres membres humains vivants de la société, comme sur celle de sa place au sein du monde des choses [58]. En effet, dans la mesure où elle représente un point d’une œuvre toujours en cours, la personne archaïque ne possède pas une unité constante, mais se caractérise par une variation de son contenu comme de son ampleur.

75Du point de vue de sa relation aux autres personnes, la personne archaïque ne constitue pas une unité statutaire qui persisterait par elle-même. Elle se définit au contraire par et dans l’échange même où elle se met en jeu. Chaque porteur et détenteur d’un personnage est investi d’une responsabilité particulière vis-à-vis du groupe familial ou clanique qu’il dirige. Mauss note à ce propos, chez Boas, le discours d’un chef de clan : « Car ce ne sera pas en mon nom. Ce sera en votre nom et vous deviendrez fameux parmi les tribus quand on dira que vous donnez votre propriété pour un potlatch[59]. »

76Il est également – et peut-être en premier lieu – responsable de la survie des ancêtres qu’il réincarne : « Ce qui est en jeu dans tout ceci, c’est donc plus que le prestige et l’autorité du chef et du clan, c’est l’existence même à la fois de ceux-ci et des ancêtres qui se réincarnent dans leurs ayants droit, qui revivent dans le corps de ceux qui portent leurs noms, dont la perpétuité s’assure par le rituel dans toutes ses phases. La perpétuité des choses et des âmes n’est assurée que par la perpétuité des noms des individus, des personnes. Celles-ci n’agissent qu’ès qualités, et, inversement, elles sont responsables de tout leur clan, de leurs familles, de leurs tribus [60]. »

77Dans la lutte mythique en quoi consiste le potlatch, les personnes sont donc remises en jeu. Pour conserver son autorité sur sa tribu et sur son village, voire sur sa famille, ou encore son rang parmi ses pairs, l’individu investi d’une personne doit faire la preuve qu’il est toujours l’incarnation de l’ancêtre : « Le principe qui domine tout est le suivant : la successive réincarnation des âmes titrées, les successives possessions par les esprits titrés auxquelles les nobles, Kwakiutl en particulier, sont obligés de parvenir pour garder leur rang, jusqu’à ce que, comme nous tous, ils soient mis à la retraite [61]. » Chaque chef doit montrer « qu’il est hanté et favorisé des esprits et de la fortune, qu’il est possédé par elle et qu’il la possède [62] ».

78Mais il n’y a pas d’autre preuve de cette fortune que de la dépenser et de la distribuer « en humiliant les autres, en les mettant “à l’ombre de son nom”» [p. 206]. Mauss détaille de manière pittoresque cette lutte des personnes : « Nulle part le prestige individuel d’un chef et le prestige de son clan ne sont plus liés à la dépense, et à l’exactitude à rendre usurairement les dons acceptés, de façon à transformer en obligés ceux qui vous ont obligés. La consommation et la destruction y sont réellement sans bornes. Dans certains potlatch on doit dépenser tout ce que l’on a et ne rien garder. C’est à qui sera le plus follement dépensier [...]. Le statut politique des individus, dans les confréries et les clans, les rangs de toutes sortes s’obtiennent par la “guerre de propriété”, comme par la guerre, ou par la chance, ou par l’héritage, par l’alliance et le mariage » [p. 200].

79L’échec peut survenir de multiples façons. Par exemple, d’une crainte d’avoir à rendre qui amène à refuser un don : « C’est craindre d’être “aplati” tant qu’on n’a pas rendu. En réalité, c’est être “aplati” déjà. C’est “perdre le poids” de son nom ; c’est s’avouer vaincu d’avance » [p. 210]. Il peut survenir aussi par une dépense trop mesurée. Quoi qu’il en soit, en cas d’échec on perd la « face », c’est-à-dire l’âme de l’ancêtre : « Le noble kwakiutl et haïda a exactement la même notion de la “face” que le lettré ou l’officier chinois. On dit de l’un des grands chefs mythiques qui ne donnait pas de potlatch qu’il avait la “face pourrie”. Même l’expression est ici plus exacte qu’en Chine. Car, au nord-ouest américain, perdre le prestige, c’est bien perdre l’âme : c’est vraiment la “face”, c’est le masque de danse, le droit d’incarner un esprit, de porter un blason, un totem, c’est vraiment la persona, qui sont ainsi mis en jeu, qu’on perd au potlatch, au jeu des dons, comme on peut le perdre à la guerre ou par une faute rituelle » [p. 206-207]. Ailleurs : « Le mariage des enfants, les sièges dans les confréries ne s’obtiennent qu’au cours de potlatch échangés et rendus. On les perd au potlatch comme on les perd à la guerre, au jeu, à la course, à la lutte » [p. 201]. Un mythe haïda raconte comment « un vieux chef ne donne pas assez de potlatch; les autres ne l’invitent plus, il en meurt, ses neveux font sa statue, donnent une fête, dix fêtes en son nom : alors il renaît » [p. 208, note 5]. Un discours haïda dit également : « Vous serez les derniers parmi les chefs parce que vous n’êtes pas capables de jeter dans la mer des cuivres, comme le grand chef l’a fait » [p. 212, note 1]. Mais la sanction n’est pas que morale, elle peut aller jusqu’à l’esclavage pour dette. Au moins chez les Kwakiutl, Haïda et Tsimshian, « l’individu qui n’a pas pu rendre le prêt ou le potlatch perd son rang et même celui d’homme libre » [p. 212]. Un chef perd « sa liberté, ses privilèges, masques et autres, ses esprits auxiliaires, sa famille, ses propriétés » [p. 206, notre 1].

80Cette instabilité fondamentale de la personne est encore renforcée par le fait que l’antagonisme pacifique du potlatch peut céder le pas à un antagonisme violent. Ainsi la personne peut-elle être contestée à tout moment par un autre guerrier, par un meurtre ou par le vol réussi des propriétés magiques du nom : « Un rang, un pouvoir, une fonction religieuse et esthétique, danse et possession, paraphernalia et cuivres en formes de boucliers [...] se conquièrent par la guerre : il suffit de tuer leur possesseur – ou de s’emparer d’un des appareils du rituel, robes, masques – pour hériter de ses noms, de ses biens, de ses charges, de ses ancêtres, de sa personne – au sens plein du mot. Ainsi s’acquièrent les rangs, biens, droits personnels, choses, et en même temps leur esprit individuel [63]. »

81Enfin, on peut perdre la personne dont on était le détenteur simplement par l’avancement de l’âge [64]. L’individu, chez les Kwakiutl, prend alors un nom de la société des phoques « [des retraités] : sans extases, ni possessions, sans responsabilités, sans profits, sauf ceux des souvenirs du passé [65] ». De même, les Arunta australiens relèguent-ils « parmi les gens sans conséquence celui qui ne peut plus danser, “qui a perdu son Kabara”» [p. 347].

82Cette conception temporelle des relations interpersonnelles implique ainsi une personne « à géométrie variable ». L’individu des sociétés archaïques est sans cesse engagé dans des défis où il « joue » sa personne, moins en fait comme un rôle que comme un enjeu, toujours remis « sur le tapis » ou plutôt sur la piste de danse ou le terrain de lutte. Mauss le note en 1938 :
« Nous voyons déjà, chez les Pueblo, en somme une notion de la personne, de l’individu, confondu dans son clan, mais détaché déjà de lui dans le cérémonial, par le masque, par son titre, son rang, son rôle, sa propriété, sa survivance et sa réapparition sur terre dans un de ses descendants doté des mêmes places, prénoms, titres, droits, et fonctions » [p. 340].

83Du point de vue de sa relation aux choses, la personne archaïque connaît également une ampleur variable. Pour des raisons religieuses, il existe en effet un prolongement de la personne dans les choses qui se traduit par le fait que toutes les choses précieuses portent un nom : « Chacune de ces choses précieuses, chacun de ces signes de richesses a – comme aux Trobriand– son individualité, son nom, ses qualités, son pouvoir. Les grandes coquilles d’abalone, les écus qui en sont couverts, les ceintures et les couvertures qui en sont ornées, les couvertures elles-mêmes blasonnées, couvertes de faces, d’yeux et de figures animales et humaines tissées, brodées.

84Les maisons et les poutres, et les parois décorées sont des êtres. Tout parle, le toit, le feu, les sculptures, les peintures; car la maison magique est édifiée non seulement par le chef ou ses gens ou les gens de la phratrie d’en face, mais encore par les dieux et les ancêtres; c’est elle qui reçoit et vomit à la fois les esprits et les jeunes initiés [66]. » Plus loin, Mauss note le même phénomène pour les cuivres : « Chaque cuivre principal des familles de chefs de clans a son nom, son individualité propre, sa valeur propre, au plein sens du mot, magique et économique, permanente [67] » [p. 223].

85Toutefois, cela ne signifie pas non plus que la personne archaïque constitue une unité qui serait simplement plus largement étendue dans le monde des choses que la nôtre et qui persisterait à travers le temps. Au contraire, toutes ces excroissances extérieures (pour nous) de la personne sont sans cesse sujettes à être échangées dans le système de prestations dans lequel viennent s’acquérir, se fortifier ou se perdre les personnalités. Ainsi faut-il entrer en leur possession pour être investi d’une âme et d’une personne.

86Chez les Indiens du nord-ouest américain, l’ensemble des choses précieuses est contenu dans une grande caisse blasonnée « qui est elle-même douée d’une puissante individualité, qui parle, s’attache à son propriétaire, qui contient son âme [68], etc. ». Et Mauss ajoute en note : « C’est son transfert, sa donation qui, à l’origine, comme à chaque nouvelle initiation ou mariage, transforme le récipiendaire en un individu “surnaturel”, en un initié, un chamane, un magicien, un noble, un titulaire de danses et de sièges dans une confrérie » [p. 218, note1]. Les objets les plus précieux, de ce point de vue, sont les cuivres. Ce sont eux qui constituent la « richesse », c’est-à-dire qui apportent la chance, la force magique et le rang social et donc qui manifestent la possession d’une personne. Ou pour le dire autrement, c’est son esprit qui rend l’initié possesseur de cuivres qui sont eux-mêmes moyens d’acquérir d’autres cuivres et donc d’autres rangs et d’autres esprits : « Par elles [les formes de richesse], on obtient les rangs; c’est parce qu’on obtient la richesse qu’on obtient l’esprit; et celui-ci à son tour possède le héros vainqueur des obstacles; et alors encore, ce héros se fait payer ses transes chamanistiques, ses danses rituelles, les services de son gouvernement » [p. 226].

87Du point de vue des relations entre personnes, comme de celui des relations des personnes aux choses, la personne archaïque constitue donc une unité instable dont le contenu et l’ampleur changent presque sans cesse.

88Non seulement cette notion présuppose des réincarnations qui peuvent se substituer les unes aux autres pendant la vie de l’individu, qui peuvent aussi se cumuler ou se perdre (en cas d’initiation, d’alliances nouvelles, d’échec au combat ou au potlatch, de vieillissement, etc.), mais la sphère matérielle qui est en continuité avec elle varie dans la même mesure.

89Cette instabilité se manifeste par les multiples changements et parfois la superposition des noms d’un individu. Ceux-ci se transforment, tout d’abord, tout au long de sa vie en fonction des cycles de réincarnation :
« Le prénom de l’individu, en l’espèce du noble, change avec son âge et les fonctions qu’il remplit par suite de cet âge [...]. Il faudrait exposer toute une série de faits curieux de lieutenance : le fils – mineur – est représenté temporairement par son père, qui recueille provisoirement l’esprit du grand-père défunt, et il nous faudrait placer ici toute une démonstration de la présence chez les Kwakiutl de la double descendance utérine et masculine, et du système des générations alternées et décalées [69]. » Enfin, il faut ajouter à ces changements fondamentaux de multiples changements liés à l’alternance des deux saisons qui découpent l’année, ainsi qu’à celle des périodes de vie quotidienne et de cérémonies : « Tout individu dans chaque clan a un nom – voire deux noms – pour chaque saison, profane (été) ( WiXsa), et sacré (hiver) ( LaXsa). Ces noms sont répartis entre les familles séparées, les “sociétés secrètes” et les clans collaborant aux rites, les temps où les chefs et les familles s’affrontent dans les innombrables et interminables potlatch » [p. 341]. Plus loin : « Chez les Kwakiutl (et leurs parents les plus proches, Heiltsuk, Bellacoola, etc.), chaque moment de la vie [est] nommé, personnifié, par un nouveau nom, un nouveau titre, de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte (mâle et féminin); puis il possède un nom comme guerrier (naturellement pas pour les femmes), comme prince et princesse, comme chef et cheffesse, un nom pour les fêtes qu’ils donnent (hommes et femmes) et pour le cérémonial particulier qui leur appartient, pour leur âge de retraite, leur nom de la société des phoques [… ] » [p. 343-344].

90À suivre)

Prière d’insérer…

91Madame, Monsieur,

92Nous vous informons du décès de M. Pierre Mauss qui a été incinéré au crématorium de Montpellier le jeudi 6 janvier 2005 à l’âge de 94 ans.

93Cet homme était beaucoup trop modeste pour la place qu’il a occupée vraiment pendant toute sa vie. D’une part, il fut haut fonctionnaire au ministère des Finances pendant plus de trenteans, et d’autre part, en tant qu’héritier de ses oncles Émile Durkheim et Marcel Mauss, universitaires de renom, il devait consacrer toutes les années d’après-guerre à l’édition des œuvres complètes de ce dernier, qui sont encore, grâce à lui, l’une des principales sommes d’anthropologie publiées en France. Pierre Mauss connaissait bien Raymond Aron et Jérôme Lindon.

94Pierre Mauss n’était pas croyant, mais il était fier de ses origines juives et de l’œuvre d’intégration des Juifs en France réalisée par la sociologie française au XIXe siècle, qui aurait pu être détruite par l’antisémitisme du XXe siècle. La Seconde Guerre mondiale n’a pas été pour lui une surprise, mais une période qu’on pouvait prévoir, au sein de laquelle il s’est engagé courageusement en partant pour le Maroc, puis en combattant au côté de l’armée américaine. Lui et son frère François répondirent par les armes aux déportations dont furent victimes d’autres personnes de leur famille moins chanceuses.

95Il était un lecteur passionné du Monde depuis la naissance de ce journal. Il était amoureux de l’Ardèche, qui avait si généreusement accueilli son père et sa mère lorsqu’ils étaient menacés. Comme son oncle Marcel, il est mort sans enfant.

96Les lecteurs du MAUSS ont-ils eu le temps de s’apercevoir que dans les dix dernières années du XXe siècle étaient parus coup sur coup trois ouvrages biographiques sur Marcel Mauss ? Il y a eu notamment une biographie parue chez Fayard en 1994 intitulée Marcel Mauss, puis deux volumes, consacré l’un à son œuvre politique, l’autre à une série de lettres d’Émile Durkheim retrouvées par Pierre Mauss.

97Ces trois publications sont signées de Marcel Fournier, un professeur de Montréal qui, vers 1990, était entré en contact avec Pierre Mauss par l’intermédiaire des Presses universitaires. Les lettres de Durkheim ont donné lieu aussi à des études de Philippe Besnard de la Revue d’histoire des sciences humaines.

98En 1990, Pierre Mauss venait d’achever le classement de la correspondance de son oncle Marcel, et il avait prolongé ce tri par un dépôt légal au Collège de France. (Marcel Mauss avait gardé jusqu’à sa mort environ un millier de lettres s’étalant de 1895 à 1940, dont une bonne partie sont des nouvelles échangées avec les membres de sa famille.) Marcel Fournier, en arrivant du Canada, a bénéficié de l’opportunité de cette source documentaire nouvelle pour l’aider à organiser sa biographie. De même, tout autre chercheur qui serait intéressé par cette source peut lui aussi s’adresser au Collège de France.

99Le fonds documentaire des lettres n’est pas merveilleux, car il ne comprend que des lettres reçues et non pas des lettres expédiées. Ainsi j’ai eu l’occasion de rencontrer Germaine Tillon dont la correspondance avec Mauss n’a jamais été publiée. Germaine Tillon est à peu près de la même génération que Pierre Mauss qui vient de mourir. Mon oncle m’avait pourtant dit qu’il ne l’avait jamais rencontrée.

100Avant-guerre, Marcel Mauss habitait le XIVe arrondissement [de Paris], rue Bruller, l’une de ces rues qui longent la Cité universitaire internationale de l’autre côté du boulevard Jourdan. Quelle était l’ambiance de la rue Bruller ? Lorsque Pierre Mauss y est arrivé venant d’Épinal en 1931-32, c’était un appartement qui désemplissait peu, toujours plein de camarades socialistes, d’ethnologues de retour de voyage, d’universitaires étrangers, de gens du peuple dont Mauss avait entrepris l’éducation, ou de membres de sa famille qui n’en sont jamais revenus de l’autorité que l’élection de Mauss au Collège de France lui avait donnée – à un poste que Durkheim, mort prématurément, n’a lui-même jamais occupé.

101Mon oncle a fait son droit et Sciences-Po. Il est entré au ministère des Finances. Le Front populaire est passé. La guerre a tout dispersé.

Étienne Lévy

Notes

  • [1]
    Ce texte est extrait du livre de P. Michon, Éléments d’une histoire du sujet, paru aux éditions Kimé en 1999. Nous remercions ces dernières de leur aimable autorisation. Pour des raisons de place, nous publions ce texte en deux parties (suite et fin dans le n°26 de la revue, 2e semestre 2005).
  • [2]
    Une recension presque complète des travaux de Mauss a été publiée sous le titre : Œuvres, Paris, Minuit, 1968-1969. Tome I : Les fonctions sociales du sacré. Tome II : Représentations collectives et diversité des civilisations. TomeIII : Cohésion sociale et divisions de la sociologie. Le reste de ses travaux scientifiques a été publié, avec une introduction de C. Lévi-Strauss, dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950. Nota bene. Quand il existe des divergences de date entre celles indiquées par cette édition, celles fournies par Victor Karady dans le titre du texte, ou encore, dans la chronologie que celui-ci a dressée à la fin du vol. III, j’adopte cette dernière.
  • [3]
    E. Durkheim et M. Mauss, « De quelques formes primitives de classification; contribution à l’étude des représentations collectives » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 29.
  • [4]
    M. Mauss, « Parentés à plaisanteries » ( 1926), Œuvres, t. III, p. 109, note 1. En 1932, il écrit de même : « Nous sommes tous partis d’une idée un peu romantique de la souche originaire des sociétés : l’amorphisme complet de la horde, puis du clan ; les communismes qui en découlent. Nous avons mis peut-être plusieurs décades à nous défaire, je ne dis pas de toute l’idée, mais d’une partie notable de ces idées [...]. Déjà dans les formes les plus élémentaires que nous puissions concevoir d’une division du travail social [...] l’amorphisme est la caractéristique du fonctionnement intérieur du clan, non pas de la tribu » – « La cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires » ( 1932), Œuvres, t. III, p. 13.; mêmes remarques sur les sociétés australiennes, p. 14; sur les sociétés à parentés à plaisanteries, p. 20; sur les sociétés africaines, p. 22 et 24. En 1938 : « Ici aussi, le clan n’est nullement figuré comme tout à fait réduit à un être impersonnel, collectif, le totem, représenté par l’espèce animale, et non pas par les individus – hommes d’une part, et animaux d’autre part. Sous son aspect homme, il est le fruit des réincarnations des esprits essaimés et perpétuellement renaissant dans le clan » – « Une catégorie de l’esprit humain ; la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 346.
  • [5]
    M. Mauss, « Fragment d’un plan de sociologie générale descriptive. Classification et méthode d’observation des phénomènes généraux de la vie sociale dans les sociétés de type archaïque (phénomènes spécifiques de la vie intérieure de la société)» ( 1934), Œuvres, t. III, p. 319. Plus loin, il écrit également : « On a beaucoup exagéré l’anarchie, la décentralisation, l’indifférence des segments, etc., des sociétés qui s’étagent entre celles qui méritent le nom de primitives et celles qui ont précédé les nôtres » [p. 324].
  • [6]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 335.
  • [7]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 274.
  • [8]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 335.
  • [9]
    H. Hubert et M. Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » ( 1904), Sociologie et anthropologie, p. 1-141 ; É. Durkheim et M. Mauss, « De quelques formes primitives de classification. Contribution à l’étude des représentations collectives » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 13-89 ; H. Hubert, « Étude sommaire de la représentation du temps dans la religion et dans la magie » ( 1905), rééd. dans H. Hubert et M. Mauss, « Introduction à l’analyse? ? de quelques phénomènes religieux » ( 1909), Œuvres, t. I; Czarnowski, s.d.; É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse ( 1912), Paris, PUF, 1960, chap. VIII, livre II et p. 629 sq.
  • [10]
    H. Hubert et M. Mauss, « Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux » ( 1909), Œuvres, t. I, p. 29-30. Voir également la liste qu’il propose en 1927 dans « Divisions et proportions des divisions de la sociologie », Œuvres, t. III, p. 185.
  • [11]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 348.
  • [12]
    M. Mauss, « La notion de l’âme en Chine. Compte rendu du livre de J.J.M. deGroot, The Religious System of China, book IV » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 618. Voir également la discussion approfondie de ces deux notions dans « La démonologie en Chine. Compte rendu du livre de J. J. M. deGroot, The Religious System of China, bookII » ( 1913), Œuvres, t. II, p. 625 sq.
  • [13]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’E. Van Ossenbruggen, La Notion de propriété terrienne chez les primitifs » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 142.
  • [14]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 349.
  • [15]
    Déjà en 1923, Mauss faisait remarquer : « Quand le mot “personne” a-t-il été prononcé pour la première fois ? Qui l’a prononcé ? Remontons du présent au passé : persona =masque. Voilà le sens originel du mot. Ce sont les Romains qui ont transformé la notion de masque, personnalité mythique, en notion de personnalité morale [...]. Le fait était grand et nouveau » – « Mentalité primitive et participation » ( 1923), Œuvres, t. II, p. 132.
  • [16]
    Même remarque dans « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 353.
  • [17]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’E. Van Ossenbruggen, La Notion de propriété terrienne chez les primitifs » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 142.
  • [18]
    M. Mauss, « Catégories collectives de pensée et de liberté » ( 1921), Œuvres, t. II, p. 123.
  • [19]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 354.
  • [20]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 132. Cf. aussi « Catégories collectives de pensée et liberté » ( 1921), Œuvres, t. II, p. 123. Toutefois, il note en 1938 que le mot persona, d’après Benveniste, est probablement d’origine étrusque et a peut-être été emprunté au grec pros? pon [p. 351].
  • [21]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 355.
  • [22]
    Il semble, comme me l’a indiqué Alain Boureau que je remercie au passage, que Mauss fasse ici une erreur. Cette définition de la personne appartient à Boèce, qui la définit comme une « rationalis naturae individua substantia », c’est-à-dire une substance individuée de nature rationnelle – Contra Eutychen et NestoriusDe duabus naturis et una persona, PL, 64,1337-1354).
  • [23]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 335.
  • [24]
    L’Église, les théologiens et la scolastique médiévale, ainsi que les philosophes de la Renaissance et les Réformateurs sont particulièrement négligés par Mauss, qui pense que ceux-ci mirent « quelque retard, des obstacles à créer l’idée que cette fois nous croyons claire » – « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 359. Jusqu’au XVIIe siècle, voire chez certains auteurs jusqu’au siècle suivant, « on ne dépasse guère le résultat acquis dès le IVe siècle de notre ère » [ ibid.]. Ce parti pris est d’autant plus étonnant et significatif d’une réelle difficulté que différents textes antérieurs soutiennent une opinion moins radicale sur cette période et annoncent bien des travaux historiques récents. En 1903, il relève l’importance de l’histoire de la confession et, déjà, du concile du Latran de1215. Il est vrai qu’il insiste d’un côté sur l’aspect autoritaire et plutôt désindividualisant de la pénitence : « L’abandon de conscience individuelle aux mains des directeurs de cette conscience est, avant tout, un signe de la force de l’Église » – M.Mauss, « L’histoire de la confession » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 641. Mais il note également l’importance anthropologico-historique de la diffusion de la confession : « Le système de la confession est intimement lié à celui de la pénitence et de l’absolution, et par là, à toute l’organisation morale de nos sociétés occidentales : les vertus morales, expiatoires, de l’aveu, de la confession, du repentir, sont des phénomènes trop importants pour que nous ne signalions pas l’intérêt qu’il y a à les étudier dans leurs relations avec le mécanisme de la confession » [p. 641]. Il retrace les grandes lignes de son évolution. La confession consiste au départ en un aveu public et une absolution par l’assemblée ecclésiastique. Vers le IIIe siècle, elle prend le caractère d’une pénitence. Les prêtres commencent à jouer un rôle prépondérant. Au siècle suivant, trois types de confession se côtoient : l’une est faite à Dieu, l’autre au corps des fidèles assemblés, la dernière à un prêtre ou à quelque saint homme. Au VIIIe siècle, la confession privée au prêtre reçoit un développement considérable. En 1215, elle devient finalement la condition nécessaire de l’absolution et est imposée périodiquement aux chrétiens. Mauss aborde encore la question dans un texte de 1921, où il accorde une importance certaine à l’évolution médiévale de la personne. Citant l’ouvrage de P. Fauconnet sur la Responsabilité (en particulier le chapitre sur le sentiment de liberté), il note l’importance de l’élaboration chrétienne, antique et médiévale, de la notion de liberté : « C’est décidément à une date toute récente que la notion s’élabore, dans la patristique, la dogmatique, le christianisme essentiellement, après l’apparition du prédestinationnisme et de la notion de péché originel et surtout après l’apparition de la conscience individuelle de la personne métaphysique » – M. Mauss, « Catégories collectives de pensée et liberté » ( 1921), Œuvres, t. II, p. 123. Il inclut explicitement la scolastique dans cette histoire : « Déjà les Pères de l’Église, mais surtout les grands scolastiques, parlent un langage tout différent et plein de tout autres valeurs, à peu près les mêmes que les nôtres. C’est au développement de la notion de l’individu, comme sujet du droit, de la morale et de la religion, que se rattache la notion de liberté proprement dite » [p. 123].
  • [25]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 362.
  • [26]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’E. Van Ossenbruggen, La Notion de propriété terrienne chez les primitifs » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 142.
  • [27]
    M. Mauss, « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimo : étude de morphologie sociale » ( 1905), Sociologie et anthropologie, p. 463.
  • [28]
    M. Mauss, « Noms propres et classifications chez les Hopi » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 95.
  • [29]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 81.
  • [30]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’A. Dieterich, Mutter Erde. Ein Versuch über Volksreligion » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 138.
  • [31]
    M. Mauss, « Divisions sociales et classifications chez les Omaha » ( 1913), Œuvres, t. II, p. 102.
  • [32]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’A. Dieterich, Mutter Erde. Ein Versuch über Volksreligion » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 137.
  • [33]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 81.
  • [34]
    M. Mauss, « Mythologie et symbolisme indiens » ( 1903), Œuvres, t. III, p. 63.
  • [35]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 82.
  • [36]
    M. Mauss, « Compte rendu du livre d’A. Dieterich, Mutter Erde. Ein Versuch über Volksreligion » ( 1906), Œuvres, t. II, p. 38.
  • [37]
    M. Mauss, « Cours de 1905-1906 », Œuvres, t. III, p. 58.
  • [38]
    La plupart des lectures de l’essai de 1938 soulignent ainsi la dimension théâtrale de la personne archaïque qu’il serait possible de ramener à un rôle que l’individu endosse, mais qui lui serait toujours extérieur. Grâce à plusieurs exemples ethnographiques, écrit J. Cazeneuve dans cet esprit, Mauss montre « comment, à partir des classes et des clans s’agencent les “personnes humaines” désignées par des noms qui peuvent, notamment chez les Kwakiutl, changer, pour un même individu, selon les différents moments sociaux de son existence ». Et plus loin : « Même en Australie [...] on est déjà parvenu à la notion de personnage, celui-ci étant défini par un rôle sacré et social » (J. Cazeneuve, Sociologie de Marcel Mauss, Paris, PUF, 1968, p. 33-34).
  • [39]
    M. Mauss, « Noms propres et classifications chez les Hopi » ( 1907), Œuvres, t. II, p. 95.
  • [40]
    M. Mauss, « Les Haïda et les Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 81.
  • [41]
    Mauss et Durkheim disaient exactement le contraire en 1903. Quand un informateur d’A.W.Howitt disait qu’il « empruntait » son nom au soleil (son totem), mais qu’il « possédait » pour deuxième nom l’une des étoiles fixes (son sous-totem), ils corrigeaient : « À parler exactement, ce n’est pas l’individu qui possède lui-même le sous-totem : c’est au totem principal qu’appartiennent ceux qui lui sont subordonnés. L’individu n’est là qu’un intermédiaire. C’est parce qu’il a en lui le totem (lequel se retrouve également chez tous les membres du clan) qu’il a une sorte de droit de propriété sur les choses attribuées à ce totem » – M. Mauss et É. Durkheim, « De quelques formes primitives de classification ; contribution à l’étude des représentations collectives » ( 1903), Œuvres, t. II, p. 33.
  • [42]
    M. Mauss, « Cours de 1905-1906 », Œuvres, t. III, p. 59.
  • [43]
    Son intérêt pour le potlatch et les échanges qui s’y déroulent commence apparemment au cours des premières années du siècle et s’étend sur toute la période suivante. Dès 1905, lorsqu’il entreprend pour la première fois, à travers les textes de Boas, l’étude de l’institution du potlatch, Mauss est frappé par l’aspect total des prestations qui y ont lieu. Dans le résumé du cours qu’il professe à cette époque, nous lisons : « Cette institution a été soumise à une étude comparative et approfondie, car elle affecte et domine tous les phénomènes sociaux » – « Cours de 1905-1906 », Œuvres, t. III, p. 58. Quelques années plus tard, il conclut une discussion sur le potlatch haïda et tlingit d’une manière analogue : « Un pareil syncrétisme de faits sociaux est, à notre avis, unique dans l’histoire des sociétés humaines » – « Compte rendu de lecture d’un livre de J. R. Swanton » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 32. En 1910-1911, Mauss consacre entièrement ses cours « aux prestations religieuses, juridiques et économiques, entre les clans dans les tribus indiennes du nord-ouest américain. En 1912, il annonce qu’il a mis « au point une théorie de la remarquable institution du potlatch » – « Cours de 1911-1912 », Œuvres, t. III, p. 60. L’année suivante Mauss s’aperçoit qu’il est possible d’étendre la notion de potlatch chez les populations papoues et mélanésiennes de Nouvelle-Guinée – « Cours de 1912-1913 », Œuvres, t. III, p. 60. Il note : « Il n’est plus possible d’y voir une curiosité ethnographique du nord-ouest américain : il est manifeste qu’elle tient à des causes générales et profondes. C’est une forme du contrat primitif dont on constatera de plus en plus la fréquence à mesure qu’on étudiera davantage le système des échanges dans les sociétés inférieures » – « Compte rendu d’un livre de C. G. Seligmann » ( 1913), Œuvres, t. III, p. 34. Dès la fin de la guerre ( 1920), et non pas en 1925 comme le dit Lévi-Strauss ( 1950, p. XXIV), Mauss poursuit sa recherche sur le potlatch mélanésien et introduit le terme de « système de prestations totales » – cf. « L’extension du potlatch en Mélanésie » ( 1920), Œuvres, t. III, p. 29 et « Cours de 1920-1921,1922-1923 », Œuvres, t. III, p. 60. En 1921, il fait une incursion dans le monde antique thrace en y montrant l’existence du potlatch dans « Une forme ancienne de contrat chez les Thraces », Œuvres, t. III, p. 35-43. Mais c’est dans le cours de 1923-24 qu’il prend connaissance des documents rapportés par B. Malinowski des îles Trobriand : « On a consacré une étude particulière à la notion de don et de désintéressement et à celle de gages. Le fond de ces institutions est la notion que le circulus des richesses suit exclusivement les rapports non seulement économiques, mais surtout religieux et juridiques, entre les membres de la tribu » – « Cours de 1923-24 », Œuvres, t. III, p. 61. Il publie finalement l’Essai sur le don en 1925.
  • [44]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 134.
  • [45]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 338.
  • [46]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 133-134 (c’est moi qui souligne, P. M.).
  • [47]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 345.
  • [48]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 134; même idée dans « Une catégorie de l’esprit humain ; la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 347.
  • [49]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 347.
  • [50]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 134.
  • [51]
    M. Mauss, « Parentés à plaisanteries » ( 1926), Œuvres, t. III, p. 121.
  • [52]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 345.
  • [53]
    M. Mauss, « Parentés à plaisanteries » ( 1926), Œuvres, t. III, p. 121.
  • [54]
    M. Mauss, « L’organisation des Haïda et des Tlingit » ( 1910), Œuvres, t. III, p. 33.
  • [55]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 167.
  • [56]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain; la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 343.
  • [57]
    Mauss nous a laissé dans une note de 1923 la description d’un de ces masques : « On peut voir, au musée du Trocadéro, des masques du nord-ouest américain sur lesquels des totems sont sculptés. Quelques-uns sont à double volet. Le premier s’ouvre, et derrière le totem public du “chamane-chef” apparaît un autre masque plus petit qui représente son totem privé, puis au dernier volet révèle aux initiés des plus hauts rangs sa vraie nature, sa face, l’esprit humain et divin et totémique, l’esprit qu’il incarne. Car, qu’on le note bien, à ce moment-là le chef est supposé en état de possession, d’???????, d’extase, et pas seulement de ?µ?????. Il y a transport et confusion à la fois » – « Mentalité primitive et participation » ( 1923), Œuvres, t. II, p. 30.
  • [58]
    Cette division de genre est moderne et n’est utilisée ici que pour la nécessité de la compréhension, mais ne correspond précisément pas à la réalité que Mauss essaie de saisir.
  • [59]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 152, note 4.
  • [60]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 342.
  • [61]
    M. Mauss, « L’âme, le nom et la personne » ( 1929), Œuvres, t. II, p. 133.
  • [62]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 206.
  • [63]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain; la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 342.
  • [64]
    Notons que le statut des femmes est, en revanche, très peu étudié par Mauss. Il le remarque pour le regretter en 1932 : « Nous n’avons fait que la sociologie des hommes et non pas la sociologie des femmes, ou des deux sexes » – « La cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires » ( 1932), Œuvres, t. III, p. 15. Dans l’essai de 1938, il précise bien que ne sont considérés comme personnes que les hommes libres. Chez les Pueblo, les hommes sont « les seuls héritiers des porteurs de leurs prénoms (la réincarnation des femmes est une tout autre affaire)» – « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 340.
  • [65]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 344.
  • [66]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 218-220.
  • [67]
    Plus généralement, chez les Indiens du nord-ouest américain, tous les biens de la famille portent des noms : « [Chez les Haïda] les choses de la famille sont individuellement nommées; portent des noms : les maisons, les portes, les plats, les cuillères sculptées, les canots, les pièges à saumon [...]. – Nous avons la liste des choses qui sont nommées par les Kwakiutl, par clans, en plus des titres variables des nobles, hommes et femmes, et de leurs privilèges : danses, potlatch, etc., qui sont également des propriétés. Les choses que nous appellerions meubles, et qui sont nommées, personnifiées dans les mêmes conditions sont : les plats, la maison, le chien et le canot. Dans cette liste, Hunt [l’informateur indien de Boas]? ? a négligé de mentionner le nom des cuivres, des grandes coquilles d’abalone, des portes. – [...] Chez les Tsimshian sont nommés : les canots, les cuivres, les cuillères, les pots de pierre; les couteaux de pierre, les plats de cheffesses. Les esclaves et les chiens sont toujours des biens de valeur et des êtres adoptés par les familles » [p. 218, note 3]. En 1938, Mauss souligne à nouveau ce fait : « Sont aussi nommés : la maison du chef (avec ses toits, poteaux, portes, décors, poutres, ouvertures, serpent à double tête et face), le canot d’apparat, les chiens. [...] Les plats, les fourchettes, les cuivres, tout est blasonné, animé, fait partie de la persona du propriétaire et de la familia, des res de son clan » – « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi” » ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 344.
  • [68]
    M. Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques » ( 1925), Sociologie et anthropologie, p. 218.
  • [69]
    M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi”» ( 1938), Sociologie et anthropologie, p. 342-343.
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