Couverture de RDM_022

Article de revue

Présentation

Pages 5 à 30

Notes

  • [1]
    Qu’est-ce que la religion ? Qu’est-ce que le religieux ? Il n’y a pas lieu à ce stade de distinguer entre ces deux questions. Nous avons dû adopter le terme de « religieux » à la demande des éditions Flammarion, pour éviter toute confusion possible des libraires avec le livre de Shmuel Trigano, Qu’est-ce que la religion ? Cet ouvrage est en partie à l’origine de ce numéro du MAUSS. Posant des questions fortes à la sociologie des religions, il a donné lieu à une journée de débat organisée par le GÉODE (Groupe d’étude et d’observation de la démocratie, ParisX-CNRS) dont sont issus plus ou moins directement un certain nombre des textes ici réunis.
  • [2]
    « Il n’y a pas d’exemple de groupe humain sans religion », écrit ainsi Jean-PierreVernant [cité par Debray, 2003, p. 222].
  • [3]
    Nous ne dirons donc rien des travaux des biologistes qui nous annoncent tous les jours la découverte de Dieu dans telle ou telle partie du cerveau sans nous expliquer pourquoi, avec le même cerveau, certains croient en lui, d’autres pas et pourquoi d’autres enfin n’en ont jamais entendu parler. De même, ce numéro ne discute pas les approches dites cognitivistes, facilement portées à la tautologie. C’est ainsi que Pascal Boyer [ 2001, p. 324] par exemple, au terme d’un argumentaire cognitiviste très systématique, conclut : « Si les concepts et comportements religieux persistent depuis des millénaires – et même plus sans doute –, s’ils représentent les mêmes thèmes dans le monde entier, c’est simplement parce qu’ils sont optimaux au sens où ils activent divers systèmes d’une façon qui active leur transmission. » Sont conservés en somme, selon cette théorie, les thèmes religieux qui se prêtent à être conservés… La vertu dormitive de l’opium n’est pas loin.
  • [4]
    L’analyse de cette corrélation étrange entre mondialisation (occidentalisation) et explosion des intégrismes était au cœur du n° 13 de la Revue du MAUSS semestrielle, « Le retour de l’ethnocentrisme. Purification ethnique versus universalisme cannibale ».
  • [5]
    Extrait du « questionnaire » adressé aux auteurs de ce numéro : « 1°L’élaboration d’un concept général du religieux (et/ou de la religion) est-elle possible ? souhaitable ? Ne suppose-t-elle pas la croyance en une essence pérenne et substantielle du religieux qu’on puisse (re)trouver identique à elle-même par-delà ses variations phénoménales ou formelles ? Peut-on tenir ferme sur une telle hypothèse ? Et en quoi consisterait cette essence ? Ne vaut-il pas mieux, à l’inverse, plutôt qu’une essence du religieux, tenter de fixer “l’air de famille”existant entre des types de croyances, de pratiques ou de passions survenant dans des sociétés ou des temps fort divers, mais dont l’identité présumée s’évanouirait dès lors qu’on tenterait de la subsumer sous le concept d’une commune essence ? 2°L’idée même de religion n’est-elle pas étroitement liée à l’émergence de ce qu’on appelle communément les religions mondiales (ou universelles), instituant un écart entre le rite et la croyance, entre la croyance et sa rationalisation intellectuelle, entre le monde et l’arrière-monde, entre immanence et transcendance ? Un écart qu’on ne retrouverait ni dans les religions dites primitives ou traditionnelles ni dans les religions dites séculières du XXe siècle ? Convient-il dès lors de réserver le terme de religion aux seules religions à transcendance ? Comment, alors, sous quel concept, repérer ce qu’elles sont susceptibles d’avoir de commun avec les “religions” primitives ou laïques ? Et ont-elles d’ailleurs quoi que ce soit de commun ? 3° Peut-il se produire une “sortie du religieux” (et est-elle identifiable à sa “sécularisation”)? Assurément, si l’on réserve le concept de religion aux religions universelles ou a fortiori si l’on pose que la société première est de part en part religieuse et que la naissance des grandes religions (et plus particulièrement du christianisme) marque un déclin toujours croissant de la religiosité. Non, si l’on pose que la religion est inséparable de l’existence individuelle comme collective et que nul, individu ou collectif, ne saurait vivre sans un stock minimal de croyances sacralisées (organisées par ce qu’on pourrait appeler un code inviolable du savoir et du croire). 4° Dans cette optique, largement “fonctionnelle”, il est parfaitement légitime de parler d’une religion du progrès, des droits de l’homme, de la démocratie, du communisme, voire d’une religion de l’économie ou de la Bourse. Cet usage vous paraît-il acceptable ?»
  • [6]
    Concept introduit pour la première fois en 1944 par Raymond Aron, qui subsume sous ce terme nazisme, fascisme et communisme, ces doctrines qui « prennent dans les âmes? ? de nos contemporains la place de la foi évanouie », qui « fixent le but dernier, quasiment sacré, par rapport auquel se définissent le bien et le mal » et qui expliquent les malheurs présents des hommes en laissant espérer leur dépassement définitif. C’est ce type de position que développe J.Monnerot. (Lequel terminera malencontreusement comme membre du conseil scientifique du Front national. On avait déjà vu avec Maurras comment une pensée réactionnaire de droite peut faire usage de certains thèmes du durkheimisme socialiste ou socialisant.) Sur ce thème des « religions séculières » et sur le rapport entre l’idéologie communiste et la religion, on lira avec profit l’excellente mise au point de Marc Lazar, « Communisme et religion » [ 1994] auquel nous empruntons ces citations de RaymondAron.
  • [7]
    C’est également le cas des analyses de notre ami Jacques Dewitte dont l’article, malheureusement, est arrivé trop tard pour que je puisse en insérer la discussion dans le cadre de cette présentation. C’est d’autant plus regrettable que c’est J. Dewitte qui nous a suggéré de reprendre ici les textes d’Arendt, Monnerot et Kolakowski et que son article, très inspiré de ce dernier, mérite une ample discussion. Lu en un certain sens, il semble représenter une radicalisation du propos d’Arendt ou de Trigano, aboutissant à frapper d’invalidité tout discours sociologique sur la religion car voué par nature à dénaturer l’expérience religieuse en laissant entendre que les croyants ne croient pas réellement ce qu’ils croient. De chaque ordre de la réalité humaine, on ne saurait parler valablement que dans le langage intrinsèquement adapté à cet ordre – et il ne fait nul doute que la religion est plus intrinsèquement liée à l’ordre du religieux que la sociologie –, quand bien même ce langage ne se découvrirait à lui-même que progressivement et à travers une lente élaboration historique. Ce point de vue, qui soulève de forts intéressants problèmes d’épistémologie des sciences sociales et qui devrait éveiller de profondes résonances chez les croyants, semble quelque peu extrémiste. Toutes les croyances ne croient pas la même chose. Et, croyance pour croyance, la croyance en la sociologie et en la science doit-elle s’incliner a priori devant la croyance proprement religieuse ? Et au nom de quoi ? De la religion (laquelle ?), de la philosophie (laquelle ?) ou de la sociologie (laquelle ?)? On notera que tout ce que J. Dewitte écrit ici à propos de la religion pourrait être dit en des termes fort proches quant au fond, et tout aussi discutables, de la science. En la matière, ne faut-il pas se garder en fait de deux réductionnismes ? Se garder du réductionnisme? ? sociologiste en effet (mais on trouvera peu de sociologues aussi méprisants de la croyance religieuse que ne semble le croire J. Dewitte – Durkheim n’est pas Voltaire), mais aussi, et tout autant, du réductionnisme religieux, qui réduit la religion à elle-même. Or, tous ses commentaires le montrent par ailleurs, c’est justement pour échapper à ce double réductionnisme que J. Dewitte se rallie à la définition (une des définitions) par L. Kolakowski de la religion : « Le culte socialement établi de la réalité éternelle ».
  • [8]
    Il manque ici, plus que tout, une présentation de l’extraordinaire sociologie des religions de Max Weber. Outre le célèbre l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, le lecteur français peut maintenant se faire une idée de sa puissance et de sa fécondité en lisant la traduction enfin parue de Hindouisme et Bouddhisme (Champs, Flammarion). On ne peut que lui conseiller également la lecture du livre de Stephen Kalberg, la Sociologie historique comparative de Max Weber [ 2002] et notamment du dernier chapitre qui rassemble l’essentiel
  • [9]
    Pour ma part, je soutiens l’idée que tant la notion de symbolisme que celle de religion ne deviennent compréhensibles qu’interprétées dans le langage de la triple obligation de donner, recevoir et rendre dégagée par Mauss dans l’Essai sur le don. Le chaînon manquant dans la tradition sociologique française est celui qui permettrait de relier ce qui dans l’Essai sur le don se présente sous les auspices apparents de la sociologie économique à ce qui, dans l’Essai sur le sacrifice ou dans d’autres textes, semble relever de la sociologie de la religion. des thèmes wébériens en la matière.
  • [10]
    « La conception aristotélicienne de la science sociale implique que les sociologues de la religion prennent toute leur part dans le développement critique d’une théologie laïque ( public theology) dans un esprit œcuménique de dialogue entre les croyances. L’Association for the Sociology of Religion est aux côtés des chefs religieux et des sociologues citoyens désireux de voir des sociologues prendre quelque part au développement d’une théologie laïque qui assume sans illusion mais avec fermeté de faire revivre les espoirs ancestraux et immarcescibles de solidarité, de justice, d’égalité et de non-violence » ( traduit par la rédaction).
  • [11]
    Ce qu’il est possible d’interpréter, en termes plus clastriens que girardiens ( cf. Clastres, La société contre l’État) en disant que la société sauvage se refuse à l’accumulation de la puissance – dont elle a pourtant besoin par ailleurs – et qu’elle met donc à mort systématiquement les hommes de pouvoir dès qu’ils se l’approprient, sauf si ces derniers parviennent à détourner la violence sur d’autres qu’eux-mêmes. Sur cette mise à mort des puissants, protecteurs du clan, cf. l’article de RaymondJamous, « Honneur et baraka » [ 1993].
  • [12]
    De même, JacquesDerrida, dans la Religion, écrit : « [La religion] croise en elle deux expériences qu’on tient en général pour également religieuses : 1°l’expérience de la croyance d’une part (le croire ou le crédit, le fiduciaire ou le fiable dans l’acte de foi, la fidélité, l’appel à la confiance aveugle, le testimonial toujours au-delà de la preuve, de la raison démonstrative, de l’intuition), et 2°l’expérience de l’indemne, de la sacralité ou de la sainteté d’autre part » [ 1996, p. 46]. Il synthétise son propos en insistant sur « le privilège quasiment transcendantal que nous croyons devoir accorder à la distinction entre [… ] l’expérience de la croyance [… ] et l’expérience de la sacralité ». Ce sont là deux sources ou deux foyers distincts [p. 49]. Il serait intéressant de mettre cette dualité du religieux en rapport avec les deux étymologies possibles du mot religion entre lesquelles les spécialistes ne parviennent pas à trancher. Vient-il, comme le veut la tradition cicéronienne qui se poursuit jusqu’à W. Otto, J. B. Hoffmann et É. Benveniste, de relegere (de legere, cueillir, rassembler) ou, comme le veut la tradition qui remonte à Lactance et Tertullien, de religare (de ligare, lier, relier)? Cf. sur ce point la discussion d’É. Benveniste dans le Vocabulaire des institutions indo-européennes.
  • [13]
    J. Derrida relève avec une insistance légitime « le fait souligné par Benveniste » que « presque partout, à la notion de sacré correspondent non pas un seul terme mais deux termes distincts. En germanique, le gothique wihs, “consacré”, et le runique hailagn (all. Heilig), en latin sacer et sanctus, en grec hagios et hieros ». Les premiers renvoient à l’idée de bonne santé, les autres à celle de sainteté. Le rapport entre le sacré et le sacrifice est plein d’énigmes. GiorgioAgamben fonde un long chapitre de son livre Homo sacer [ 1997] sur une figure du droit romain archaïque rapportée par Festus dans son Sur la signification des mots : « L’homme sacré est, toutefois, celui que le peuple a jugé pour un crime; il n’est pas permis de le sacrifier, mais celui qui le tue ne sera pas condamné pour homicide; la première loi du tribunal affirme en effet que “si quelqu’un tue un homme qui a été déclaré sacré par plébiscite, il ne sera pas considéré comme homicide”. De là l’habitude de qualifier de sacré un homme mauvais ou impur » [p. 81]. Cette situation pas très claire paraissait étrange aux Romains eux-mêmes, comme le note Macrobe qui écrit : « Certains trouvent étrange, je ne l’ignore pas, qu’il soit interdit de violer une chose sacrée et qu’il soit permis en revanche de tuer l’homme sacré. » Il serait intéressant de mettre ces rappels en rapport avec les faits siciliens relatés par MariaPiadiBella.
  • [14]
    Ce texte, rédigé pour le colloque organisé par le GÉODE en juin 2001 sur le thème La déshumanisation du monde, a été reproduit dans le n° 195 de la revue Diogène [ 2001]. Nous remercions Diogène de nous en avoir autorisé la reproduction.
  • [15]
    En tout état de cause, l’écriture lapidaire de « thèses » ou de « propositions » – comme leur lecture – a quelque chose d’intrinsèquement frustrant. Il faut de la place pour retrouver l’épaisseur de l’histoire et la chair des concepts. Le lecteur qui jugerait trop sèches et elliptiques les propositions de Marcel Gauchet trouvera toute matière à réflexion dans son tout dernier livre, La Condition historique [ 2003], qui retrace de façon à la fois très claire, vivante et rigoureuse sa trajectoire de pensée.
  • [16]
    Débats savants, trop savants et trop abstraits, assurément. Ceux qui s’intéressent au contenu du message religieux, à la spiritualité, n’y auront trouvé que bien peu de choses qui les concernent. Aussi bien l’objectif n’était-il pas d’entrer dans le contenu de la foi chrétienne, judaïque, musulmane, hindouiste, bouddhiste, animiste ou autre, mais de savoir s’il est possible de leur trouver un « air de famille » par-delà toutes leurs dissemblances. Nous sommes bien conscient qu’il n’a été procédé ici qu’à une sorte de relevé cartographique. Ce n’est pas très
  • [17]
    Nous ne nommons pas l’auteur ici puisque l’article critiqué portait la mention « version provisoire : ne pas diffuser, ne pas citer ». Mais cette version provisoire est quand même mise en circulation sur le Net, ce qui justifie qu’on y réponde. Son auteur est membre du conseil scientifique d’ATTAC. La réponse de P. Dumesnil peut être lue comme un encouragement au pluralisme d’ATTAC contre les risques d’une dérive gauchiste sectaire toujours possible…
English version

1La question posée par ce numéro de la Revue du MAUSS – qu’est-ce que la religion [1] ? – est excessivement ambitieuse et complexe, mais la perspective dans laquelle on l’aborde, en revanche, peut être assez aisément située. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour observer que le fait religieux, qu’il était tentant il y a quelques années encore, au moins en France, d’assigner au registre des survivances plus ou moins archaïques, fait désormais retour en force de toutes parts. Pour le meilleur, ou pour le pire ? Pour certains, c’est à ce retour de la passion religieuse qu’il faut imputer la flambée des violences qui ravagent la planète (et notamment au Moyen-Orient, berceau des grands monothéismes). « Extirpez le religieux et vous en aurez fini avec la violence. » Pour d’autres au contraire, ce n’est pas la religion en tant que telle, mais justement son retrait ou sa perversion qui la rendraient inapte à faire entendre son message qui est d’abord un message de paix. D’autres encore feront remarquer qu’en tout état de cause, cette discussion est stérile, car il n’y a pas de sociétés ou de cultures, même les plus laïques en apparence, qui soient effectivement et totalement non religieuses [2]. On ne sortirait jamais du religieux. L’intervention américaine en Irak au nom de la démocratie, outre de bien palpables et trop visibles intérêts matériels, est manifestement inspirée aussi par un puissant fondamentalisme protestant. Et même si tel n’était pas le cas, la foi en la démocratie (comme en d’autres temps la foi dans le communisme ou dans le Reich) ne relève-t-elle pas du registre du religieux ou du quasi-religieux ? Toute croyance en quelque chose, toute foi ne relève-t-elle pas du religieux ?

2Question de définition, dira-t-on. Encore faut-il s’entendre justement sur une définition. Or c’est là que le bât blesse. Les définitions de la religion (ou les refus de la définir) sont légion, mais aucune n’emporte la conviction. On tente ici d’apporter sur ce point des éléments de discussion un peu organisés en explorant les réponses proposées par les sciences sociales [3].

3Situons dans quel esprit. Il est possible de montrer que la découverte centrale de toutes les grandes sociologies classiques, c’est celle du « rôle décisif de la religion », pour reprendre la formule de Durkheim. Sur quoi repose au bout du compte la fabrique du lien de société, de quels fils est-il tressé ? Qu’est-ce qui fait naître et tenir une société ? Là où les économistes répondent en invoquant la nécessaire satisfaction des besoins (ou de l’utilité, ou des préférences individuelles), Saint-Simon, Tocqueville, Weber, Durkheim et même Marx, paradoxalement, tous les fondateurs de la tradition sociologique en sont venus tôt ou tard à la conclusion que le ciment premier, ou ultime, des sociétés était à chercher dans la croyance religieuse. Voilà qui devrait puissamment nous aider à comprendre la résurgence, voire l’explosion contemporaine du religieux. Explosion d’autant plus surprenante et énigmatique qu’elle s’accompagne, avec la constitution d’un capitalisme financier mondial, d’une libération explosive des intérêts matériels et d’une spéculation financière débridée qui ne semblent pas empreintes de la plus haute spiritualité. Comme si les réponses, pourtant contradictoires, des économistes et des sociologues (classiques) devenaient chaque jour plus vraies l’une et l’autre. Plus l’intérêt financier mène le monde et plus le religieux s’exacerbe. Et réciproquement [4].

4Le problème à bien des égards dramatique auquel nous nous heurtons, c’est que la tradition sociologique n’a jamais réussi à produire une conceptualisation à peu près admise et partagée de la religion. Sur ce qui lui apparaissait pourtant comme l’essentiel, malgré les analyses somptueuses de Durkheim (mal vues généralement) et de Weber (encensées mais guère lues), elle n’est jamais parvenue à stabiliser les fondamentaux de son discours. Dans le rapport social, le facteur non pas unique – tant s’en faut– mais décisif, c’est, selon les sociologues d’hier, la religion. Oui, mais qu’est-ce que la religion ? En définitive, nous ne le savons guère. Et encore moins peut-être aujourd’hui qu’hier.

5C’est à partir du constat de cet échec relatif – relatif, car il est possible de montrer bien des choses sans en avoir le concept – que s’est bâti ce numéro qui se demande : où en sont sur cette question la sociologie et l’anthropologie ? Nous disent-elles en quoi la religion consiste ? Nous per-mettent-elles aujourd’hui d’y voir plus clair que les grands ancêtres ?

6Nous fournissent-elles des éléments de réflexion qui nous aident à mieux comprendre les soubresauts contemporains ? Telles sont les questions que nous avons posées à tout un ensemble d’auteurs qui incontestablement comptent parmi les plus autorisés en France aujourd’hui sur ce thème [5]. Il serait difficile de prétendre qu’ils nous livrent des réponses simples, communes et univoques. Mais au moins, grâce à leurs contributions, les termes du débat apparaissent plus clairement. Tentons d’indiquer comment ils se structurent en présentant du même coup l’économie de ce numéro.

INTROÏT. LA RELIGION COMME ESSENCE OU COMME FONCTION ?

7Notre enquête démarre, en guise de prologue, avec un beau texte de Maria Pia di Bella qui ne prétend en rien éclairer le concept de religion, mais qui a le mérite de nous plonger d’entrée de jeu au cœur de tout un ensemble de questions théoriques centrales. MariaPia di Bella nous décrit l’activité d’une confrérie chrétienne de Sicile, les Bianchi, chargée du XVIe au XIXe siècle d’amener les condamnés à mort non seulement à récipiscence ou à confesser la vraie foi, mais, bien plus profondément, à accepter « volontairement » de se transformer de coupable en une victime chargée de jouer jusqu’au terme ultime, et à travers des souffrances inouïes, le rôle d’équivalent du Christ. Tout se mêle ici, tout s’imbrique et s’inverse. Le coupable devient victime, le réconfort apporté par les Bianchi se mue en terreur, la sollicitude se manifeste par la multiplication des tortures, c’est par la manipulation et la perte de tout espoir que s’obtient un consentement toujours plus qu’ambigu. Mais en échange de l’acceptation plus ou moins forcée du rôle imparti et pour prix de ses souffrances, le condamné se voit offert la possibilité de mourir dans la dignité de la souffrance surmontée et de conquérir une identité et une image de lui transcendées. Gardons en tête quelques-unes des questions que cet exemple fait jaillir aussitôt et que nous retrouverons tout au long de ce numéro, plus ou moins explicitement. La religion est-elle liée de manière intrinsèque à la pratique sacrificielle, au don de soi consenti ou imposé ? Mêle-t-elle étroitement croyance, espérance, amour et terreur ? Est-ce ce mélange étrange qui est à la racine de la foi ? Etc.

8Le paysage d’ensemble ainsi campé, il est maintenant possible d’amorcer la discussion proprement théorique en entrant d’emblée dans le vif de trois dilemmes cruciaux. Nous reproduisons ici, pour commencer, le rude échange qui a opposé dans les années cinquante un des bons héritiers critiques de l’école sociologique française, Jules Monnerot, à Hannah Arendt.

9Pour J. Monnerot, auteur d’une Sociologie du communisme (Gallimard, 1949) qui raisonne dans une optique fonctionnaliste, puisque les grandes idéologies contemporaines jouent un rôle comparable aux religions traditionnelles – elles assurent une certaine cohésion sociale en mariant la croyance et l’espérance –, elles doivent être pensées comme relevant du religieux. Le communisme apparaît ainsi pour lui comme un islam du XXe siècle en raison de « la confusion [qu’il entretient] entre le politique et le séculier ». Confusion des confusions, c’est Monnerot qui confond tout, rétorque H.Arendt, qui met en cause toute approche fonctionnaliste, toute pensée qui croit définir une entité en montrant à quoi elle sert. Ce n’est pas, écrit-elle de manière imagée, parce qu’il peut arriver que des femmes se servent du talon de leur chaussure pour enfoncer un clou, qu’il faut prendre les chaussures pour des marteaux. Est ici répudiée d’avance par elle toute approche des idéologies totalitaires en termes de religion séculière [6]. Il ne faut pas confondre idéologie et religion. L’essence de la religion ne se confond pas avec son rôle social. La sociologie se retrouve donc impuissante à l’appréhender.

10C’est une position somme toute assez voisine que défend Shmuel Trigano, auteur d’un Qu’est-ce que la religion ? paru il y a deux ans – et dont il fixe ici en quelques mots le propos central – qui, au terme d’un examen fin et éclairant des principales théories sociologiques de la religion, conclut qu’elles échouent à saisir leur objet pour une raison profonde et difficilement surmontable. La religion, nous explique-t-il, se caractérise avant tout par son rapport à une transcendance extra-sociale. La sociologie, elle, se présente constitutivement comme une tentative d’expliquer les phénomènes humains à partir de l’immanence du rapport social à lui-même. La socio-logie ne peut donc pas, ou, plus exactement, elle n’a pas su jusqu’à présent surmonter cette antinomie. Aussitôt qu’elle a prétendu non seulement constater l’existence du fait religieux mais l’expliquer, elle l’a dissous, pour en faire une pure illusion ou une simple projection plus ou moins irréelle de la société pensée, elle, comme seule réelle. La charge est vigoureuse, mais peut-être pas imparable. On ne sait pas trop, tout d’abord, si la sociologie est réellement incapable d’admettre l’ouverture des systèmes sociaux sur une altérité fondatrice. Et si oui, l’est-elle par nature ou s’est-elle seulement montrée mal à l’aise en pratique dans cet exercice ? Par ailleurs, on a le sentiment que S. Trigano met en scène dans sa caractérisation de la religion une transcendance tellement transcendante, tellement hypostasiée, toute monothéiste radicale, qu’en effet rien ni personne ne saurait s’y égaler. Mais nous ne sommes pas obligés de le suivre jusque-là, sauf à réduire a priori la religion au monothéisme et à faire du christianisme ou du judaïsme le modèle de toute vraie religion.

11Mais la religion se caractérise-t-elle au plus profond par le rapport à une transcendance ou par le respect d’une sphère sacrée ? C’est dans cette seconde optique – qui privilégie le rapport au sacré – que raisonne Leszek Kolakowski, le célèbre philosophe polonais, ancien communiste, sans doute avec Arendt le penseur le plus aigu du totalitarisme, qui pointe fortement ses rapports au religieux en dessinant ici la possibilité d’une voie moyenne entre le sociologisme intrépide de Monnerot et l’anti-sociologisme radical d’Arendt. « Que le sacré ait ainsi joué un rôle conservateur, nul doute.

12L’ordre sacré, qui englobait les réalités profanes, n’avait cessé de produire, implicitement ou explicitement, le message qui déclarait : “Il en est ainsi, et il ne peut en être autrement.”Il affirmait et stabilisait tout simplement la structure de la société, ses articulations, son système de formes, donc nécessairement aussi ses injustices, ses privilèges, ses instruments institutionnalisés d’oppression. Il est vain de se demander comment l’ordre sacré imposé à la vie profane peut être maintenu sans que soit maintenue sa force conservatrice. Cette force ne lui sera jamais ôtée. La question est plutôt de savoir comment la société humaine peut survivre sans la présence de forces conservatrices, c’est-à-dire sans la tension perpétuelle entre la structure et le développement », écrit-il. Et il poursuit : même dans une optique progressiste, celle qui accepte la nécessité du changement, il est nécessaire de laisser place à la nécessité aussi de la conservation. « S’il est vrai que pour rendre la société plus tolérable, il faut croire qu’elle se laisse améliorer, il est vrai aussi qu’il faut qu’il y ait toujours des gens qui pensent au prix payé pour chaque pas accompli dans ce qu’on appelle le progrès. L’ordre du sacré, c’est aussi la sensibilité au mal – seul système de référence qui permette de révéler ce prix à payer, et qui oblige à se demander s’il n’est pas exorbitant. » Et il conclut : « La religion, c’est la façon dont l’homme accepte sa vie comme défaite inévitable [… ] Accepter la vie, et en même temps l’accepter comme une défaite, cela n’est possible qu’à la condition d’admettre un sens qui ne soit pas totalement immanent à l’histoire humaine, c’est-à-dire à la condition d’admettre l’ordre du sacré. »

13Belles analyses à méditer, qui iraient dans le sens des réflexions de notre ami Jean-ClaudeMichéa ou d’un Jean-ClaudeGuillebaud [7].

14Quoi qu’il en soit, voilà trois questions clairement posées : l’essence (la définition) de la religion peut-elle se déduire de sa fonction ? La religion est-elle intrinsèquement liée à la transcendance ? La sociologie (et notamment la sociologie fonctionnaliste) ou l’anthropologie, immanentistes par construction, sont-elles pour cette raison condamnées à échouer en dernière instance devant elle ? Il faut leur adjoindre celle que soulevait l’article de MariaPiadiBella : la religion est-elle intrinsèquement liée au sacrifice ? Avant de donner la parole aux sociologues contemporains de la religion, tentons de fixer au moins partiellement l’héritage que nous a laissé la tradition anthropologique et sociologique. Il n’est pas mince [8].

CREDO (AD MAJOREM GLORIAM DURKHEIM)

15Le lecteur qui ignorerait tout, ou presque, de l’histoire des réflexions sociologiques sur la religion suivra une rapide et plaisante formation accélérée avec la remarquable et synthétique mise au point proposée par Lucien Scubla, qui ne laissera pas d’intéresser tout autant les spécialistes. Elle débouche, à l’encontre de Hannah Arendt ou de Shmuel Trigano, sur une puissante défense de la légitimité du point de vue anthropologique et socio-logique sur la religion et sur la mise en évidence de la grandeur de la théorie durkheimienne qui lie indissolublement la religion à la constitution de la société. « Le religieux peut entrer en crise et nulle de ses formes n’est assurée de persister, mais la crise du religieux est aussi celle de la société dont il assure la cohésion. Cette loi est aussi impérieuse que toutes les autres lois de la nature. Extérieure à toutes les volontés, elle constitue sans doute la justification ultime de l’attitude religieuse et la garantie de sa pérennité », conclut L. Scubla au terme de cet examen. Ici rejoint – au moins en partie – par Philippe de Lara qui, comme lui, voit dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim le point de passage obligé pour toute réflexion sérieuse sur la religion. P. de Lara défend ici Durkheim contre les ambivalences et les réticences de son célèbre disciple anglais Evans-Pritchard, qui reproche au maître de ne pas assez rendre compte du sentiment religieux tel qu’il se vit et d’hypostasier la société en faisant de la religion le moyen par lequel cette dernière se pense. Or, écrit P. de Lara, « la société “ne peut pas se constituer sans créer de l’idéal”. Ceci n’est pas une hypostase métaphysique de la société, qu’elle soit le fait de Durkheim ou des aborigènes australiens, mais la tentative de formuler une conception réflexive de la société. Bien entendu, ces remarques n’annulent pas l’obscurité et l’ambiguïté des Formes élémentaires. Mais la vision impressionnante de la société se symbolisant et se créant elle-même ne peut pas être confondue avec une théorie prosaïque de l’intégration sociale et fait signe vers une autre direction ». Quelle autre direction ? C’est ici que L. Scubla et P. deLara divergent. Pour l’un comme l’autre, on l’a dit, la théorie durkheimienne constitue un point de passage obligé. Mais si ce passage est absolument nécessaire, il n’est pas pour autant suffisant. C’est le sacré qui constitue la marque du religieux ? Oui, mais d’où vient le sacré ? demandera plus loin, dans un autre texte, L. Scubla, en cherchant la réponse du côté des thèses de René Girard sur le rôle central et fondateur – « morphogénétique » – du sacrifice dans les sociétés humaines. Comment, par ailleurs, éviter de rabattre Durkheim sur une lecture platement fonctionnaliste, demande P. de Lara ? Réponse : en le relisant avec les lunettes de MarcelGauchet qui propose une théorie politique de l’engendrement de la société. Durkheim doit-il être lu avec les lunettes de Girard ou bien celles de Gauchet ? Ce n’est pas tout à fait la même chose…

16Ce lien du politique et de la religion, nous le verrons plus loin, n’est pas sans faire problème. Probablement parce qu’il lui manque la médiation du don, dégagée plus tard par le neveu et l’héritier spirituel de Durkheim, MarcelMauss. Nous y reviendrons. Mais il convient de noter tout de suite que nous touchons là à un autre enjeu central de la théorie durkheimienne, trop négligé par L. Scubla comme par P. deLara. Si Durkheim s’intéresse tant à la religion, ce n’est pas seulement pour des raisons proprement spéculatives (la sociologie, alors, « ne vaudrait pas une heure de peine »), mais bien parce qu’il croit pouvoir y trouver le noyau de toutes les valeurs et de toute morale possible (or c’est bien cela au premier chef qui importe aux croyants). C’est ce dont le lecteur se convaincra aisément avec l’article de Fabien Robertson qui lui permettra par ailleurs de se faire une idée très complète et systématique de la théorie durkheimienne de la religion.

17Autant pour Durkheim. Mais quid de Marcel Mauss ? Si quelqu’un était destiné à tirer au clair et à parachever la réflexion puissante de Durkheim sur la religion, n’était-ce pas son neveu, son héritier spirituel et théorique ?

18celui qui rédigeait dans l’Année sociologique les comptes rendus des ouvrages traitant de sociologie et d’ethnologie de la religion, celui qui avait été élu à l’École des Hautes Études en 1901 sur la chaire d’« histoire des religions des peuples non civilisés » (même s’il récuse par ailleurs l’idée qu’il y aurait des peuples non civilisés)? l’auteur, enfin, d’un Essai sur le sacrifice, d’une thèse (inachevée) sur la prière et de tant d’autres textes qui traitent au plus près des faits habituellement tenus pour relever du religieux ? Pourtant, si Mauss continue à faire usage de la notion de sacré, on ne trouvera chez lui aucune tentative de prolonger les Formes élémentaires de la vie religieuse de son oncle et de délimiter une essence ou une origine de la religion. Comme l’a brillamment suggéré Camille Tarot [ 1999], l’apport spécifique de Mauss aura en fait consisté dans la substitution progressive à l’idée de religion de la notion de symbolisme. On sait, de C. Lévi-Strauss à Lacan et à tant d’autres, quelle fortune cette notion va connaître dans la pensée française après la Seconde Guerre mondiale sous les traits du structuralisme. La French Theory, celle qui tenait le haut du pavé dans les universités anglo-saxonnes il y a encore une quinzaine d’années, a d’abord été une théorie du symbolique. C’est cette notion de symbolique qui a pris la place que Durkheim impartissait à la religion. Mais est-elle vraiment plus claire qu’elle ? N’y a-t-il pas une « équivoque du symbolique » comme le soutient Vincent Descombes ? Après avoir mis de côté et forclos la question de la religion, ne convient-il pas désormais de constater que le religieux ne se dissout pas dans le symbolique et ne s’y résume pas [9] ? qu’il y a un reste ? C’est cette certitude qu’il subsiste une énigme du religieux qui nous a conduit à rouvrir le débat en proposant la présente livraison du MAUSS.

CONFITEOR. NON CREDO. VADE RETRO RELIGIO (AU DIABLE LES ESSENCES ET LA RELIGION )

19Tout cela est bien beau, mais ne nous rajeunit pas, pensera plus d’un lecteur. Inutile de se dissimuler que cette réhabilitation de Durkheim par Scubla et de Lara (Robertson étant moins militant) laissera de marbre la plupart des sociologues spécialisés dans le champ religieux, qui y verront un passe-temps pour philosophes et rappelleront qu’après bientôt unsiècle de discussion autour des thèses de Durkheim, on ne sait toujours pas trop quoi en faire concrètement (ces histoires de sauvages, tous ces aborigènes australiens ne nous avancent pas à grand-chose… ) et qu’après des milliers de discussions, le concept de sacré, si central chez Durkheim, reste toujours aussi indéterminé.

20Comme le suggère clairement Danièle Hervieu-Léger, qui a tant œuvré au renouvellement de la sociologie de la religion française, à partir du moment où la sociologie cesse de se penser science universelle pour s’accepter comme discipline spécialisée, elle ne saurait prétendre dire le tout de la religion et doit se borner à l’aborder sous un angle particulier – sans nier la légitimité des autres points de vue –, celui de l’observation opératoire. L’absence d’un concept universellement admis de la religion n’a guère été gênante pour la sociologie de la chose jusqu’au début des années soixante-dix, puisqu’on pouvait penser à la fois que la religion s’expliquait par autre chose qu’elle-même, quelque chose de plus important en conséquence, et qu’en tout état de cause, sécularisation aidant, il n’en resterait de toute façon bientôt quasiment rien. Inutile donc d’arbitrer le débat indécidable entre tenants d’une définition substantielle (ou essentialiste) et champions d’une approche fonctionnaliste. La situation allait changer du tout au tout avec la vague de retour du religieux et la prolifération de nouvelles croyances amorcées aux alentours de 1970. Avec La Religion pour mémoire, D. Hervieu-Léger proposait un concept suffisamment souple et opératoire pour englober les nouvelles modalités du croire en définissant la religion par la référence à une tradition et l’inscription dans une lignée croyante. Était-ce vraiment une définition ? L’auteur nous explique ici qu’elle regrette de l’avoir laissé entendre alors qu’il ne s’agit de « rien d’autre qu’un point de vue raisonné, pris pour ordonner un ensemble de phénomènes possiblement associés aux expressions contemporaines du croire », point de vue opératoire qui renvoie à la philosophie la spéculation sur le concept. Non qu’il n’y ait pas lieu de reconnaître un certain bien-fondé à la critique du sociologisme effectuée par S. Trigano. Mais elle « confondrait mieux les socio-logues [… ] si elle débouchait sur un programme de recherche empirique véritablement consistant ». La seule vraie question sociologique qu’il y ait lieu de poser à partir de cette non-définition de la religion, radicalement « désubstantivée » en principe, « porte, en fait, sur le point de savoir s’il est possible de repérer des configurations du croire qui entretiennent une affinité manifeste avec le type de légitimation offert par le mode religieux du croire ». Il s’agit, en somme, par une inversion méthodologique, de passer de l’observation d’une modalité du croire – l’inscription dans la lignée croyante – à la déduction de contenus privilégiés qu’elle est « susceptible de susciter » au lieu de partir de contenus affirmés dogmatiquement religieux. En manière de conclusion provisoire, D. Hervieu-Léger suggère que « l’organisation religieuse du croire cristallise en effet, de façon privilégiée, les représentations et pratiques dans lesquelles les groupes humains – aussi bien que les individus – s’emploient à inscrire leur existence présente dans une continuité imaginaire qui puisse lui donner sens ».

21Mais, à en croire Patrick Michel, ce repérage opératoire antidéfinitionnel est encore trop substantialiste. Il ne se déprend pas suffisamment du fantasme qu’il existerait comme une essence de la religion, fût-elle empiriquement incernable et introuvable. Or c’est de cette illusion qu’il faut se débarrasser définitivement, encouragés en cela par le constat de la séparation irrémédiable entre la société et la religion, elles-mêmes et respectivement fragmentées à l’infini. « L’évolution de nos sociétés contemporaines a conduit à une radicale individualisation du mode de croire, dont la principale conséquence est que l’individu n’accepte plus qu’une réponse normative soit apportée à la demande de sens qu’il exprime. Cette déliaison entre sens et norme atteste l’entrée dans un univers pluriel, où l’universel ne fait donc plus problème. Régi par la subjectivité, cet univers contemporain du croire est tout entier de circulation fluide, immédiatement rétif à toute référence structurante à quelque stabilité que ce soit, sauf à poser cette stabilité comme purement opératoire, pour ne pas dire transitoire. L’objectif du croire contemporain n’est pas d’aboutir à une “identité religieuse”(pensée comme “stable”), mais de s’éprouver comme croire dans un mouvement. Dès lors, ce qui est en cause, c’est le rapport à l’expérience, et le primat de celle-ci sur le contenu de croyance; à l’authenticité, et au primat de celle-ci sur la vérité; au refus de la violence, et à un rapport au croire qui constitue celui-ci en un espace “confortable”, loin de toute contrainte et de toute norme. » On ne peut pas être insensible à cette formulation qui décrit parfaitement cette société hyperindividualiste en réseaux dans laquelle nous sommes de toute évidence entrés.

22Ce que P. Michel écrit ici à propos de la religion, on pourrait tout autant le dire du rapport au politique (et au nouvel esprit du capitalisme). Il faut, selon Patrick Michel, en tirer toutes les conséquences. Et, pour commencer, cesser d’annexer la croyance dans la religion. « Dans le système universel de la croyance, ce n’est pas la religion qui est au centre, le croire gravitant autour, mais bien la planète “religion” qui se trouve en orbite autour du soleil “croire”, dont elle n’est jamais que le satellite. » « En fait, poursuit-il, le concept de “religion”, comme d’ailleurs ceux de “sécularisation”et de “laïcité”qui lui sont associés, deviennent, en situation de pleine légitimité sociale de l’individualisation radicale de la construction d’un rapport au sens, des concepts de plus en plus obscurs et donc largement inutilisables, au moins tant que l’on persiste à leur reconnaître une pertinence qui leur serait propre. »

23Trois attitudes sont alors envisageables. 1°On peut s’en réjouir, 2°le regretter – mais est-ce bien utile ? –, ou bien encore, 3° « tout en reconnaissant le caractère effectif de cette évolution, sur la base donc du constat de la perte de stabilité, et sans nécessairement présenter la période actuelle comme une transition entre une stabilité perdue et une stabilité à reconstruire, forger des instruments d’analyse référant apparemment au mouvement, mais issus en fait d’une référence déguisée à la stabilité :
des instruments d’analyse partant d’une centralité implicite du religieux, et visant, consciemment ou non, à tenter de la perpétuer. Cela peut évidemment conduire à l’idée que stabilité serait synonyme de solidité et que mobilité équivaudrait à précarité, qu’il ne serait donc pas possible d’être en même temps solide et mobile. ». C’est ici D. Hervieu-Léger qui est visée. Ses thèses, explique P. Michel, avaient « pour mérite de souligner comment les recompositions propres à un champ religieux pouvaient faire sens pour pointer des recompositions plus larges : tout particulièrement, dans la conscience contemporaine, la disqualification du futur – et l’appel parallèle au passé – en matière d’articulation des registres du temps.

24Le futur ne faisant plus immédiatement sens, c’est vers le passé que se retournaient les sociétés. Bien sûr le risque existait, en reconduisant la religion à la mémoire (à une mémoire authentifiée par une tradition légitimante), de donner à tous les appels à la mémoire une signification religieuse. Un autre risque est de constituer le fait religieux en entité pertinente par elle-même. [… ] De qui parle de fait cette sociologie ? L’individu qui se définit aujourd’hui comme sans religion ( 58% des 18-29 ans en France, 72% en Grande-Bretagne, 71% aux Pays-Bas) en participe-t-il ? Ces “sansreligion”ont évidemment leur “croyance”propre, hors des traditions existantes, qu’ils utilisent éventuellement, en les combinant et sans nécessairement se soucier de se situer dans une “lignée croyante”, ou en refusant l’idée de le faire, au nom même du croire dans lequel ils se reconnaissent. »

25« En fait, poursuit encore P. Michel, le refus, formulé dès 1987, de DanièleHervieu-Léger de “consentir à l’effacement de la sociologie de la religion à l’intérieur d’une vaste socio-anthropologie du croire, qui en saisirait d’une manière globale les enjeux et les fonctionnements” va sans doute au-delà de la simple réitération de la pertinence d’un champ disciplinaire, indépendamment en un sens d’une réflexion sur la pertinence de l’objet supposé en fonder l’existence. Ce qui est en fait réitéré, c’est bien la présence d’un référent – la religion – à l’aune duquel évaluer et réévaluer les recompositions contemporaines du croire. Et son appel à la création d’un “Haut Conseil de la laïcité”, en conclusion de La Religion en miettes ou la question des sectes, n’est pas sans faire écho à une certaine conception du rôle de la sociologie de la religion dont rend bien compte le discours prononcé en 1998 par JamesR.Kelly, président de l’Association for the Sociology of Religion (États-Unis) : “A neo-Aristotelian understanding of social science invites sociologists of religion to appropriately participate in the development, testing, and critiquing of the public theologies sought within ecumenical/interfaith traditions. The Association for the Sociology of Religion is where religious leaders and citizen sociologists especially might expect some sociologists to share some responsability for the development of a public theology that pursues, without illusion but with commited hope, those most ancient, most elusive human hopes of solidarity, justice, equality, and non-violence [10].” »

26La solution théorique qu’explore pour sa part P. Michel consiste à sauter définitivement le pas hors du terrain miné des querelles de définition et de la recherche d’une essence de la religion. « Dire, en guise de conclusion, qu’il n’y a plus de “religion”mais “des”religions relève du truisme.

27“La”religion n’existait que dans le rapport particulier d’une société vis-à-vis de la vérité, le statut de cette dernière n’étant rendu possible que par l’insularité fictive de cette société par rapport à toutes les autres, c’est-à-dire par la possibilité de faire croire à cette insularité. Or cette possibilité n’existe plus. [… ] Et si tant est que l’on souhaite continuer à dire “la religion”pour désigner en fait “les religions”, cette religion n’est jamais aujourd’hui, en situation d’individualisation radicale de la construction du rapport au sens, et de pleine légitimité reconnue à cette individualisation, qu’un indicateur de recompositions plus larges, dont elle participe, par ailleurs, essentiellement en tant qu’instrument de gestion. Elle ne fait donc sens qu’en tant qu’objet intermédiaire, analyseur qui, utilisé contextuellement, peut d’ailleurs s’avérer fort précieux. »

28Plus modéré, peut-être, le diagnostic de Françoise Champion est au fond proche, qui, dans le sillage revendiqué des analyses de MarcelGauchet, ne voit plus subsister aujourd’hui que ce qu’elle appelle joliment des « éclats de religion ». Mais elle se refuse néanmoins à réduire ces éclats à une « affaire de goût personnel », ce qui « reviendrait à nier toute objectivité aux “choses”crues. La façon de croire d’aujourd’hui est à cet égard particulièrement significative : on croit de façon incertaine, floue, relative (l’idée d’une “religion plus vraie”que les autres n’est plus guère de mise), sur le mode d’un “pourquoi pas ?” (à quoi peut être ajouté “si ça m’aide”, “me donne de l’énergie, des repères”, “m’inscrit dans une communauté, une lignée”, etc.) ». Mais, ajoute-t-elle, « les éclats de religion qui apparaissent constituer le roc des croyances ayant “résisté”à tout le travail de sape de la modernité me semblent être :

  • il y a de l’invisible (de l’obscur, du mystère, de l’irréductible) derrière le visible : des êtres ou des forces qui dépassent l’ordinaire de l’homme, êtres ou forces transcendantes ou immanentes – cet invisible s’expérimente et est source de sentiments et d’états d’être non ordinaires;
  • l’humain peut agir grâce à des moyens autres que ceux de la rationalité ordinaire, pouvant alors faire preuve d’une puissance tout autre que celle qu’il connaît ordinairement;
  • il y a du lien collectif, reliant les humains, produit autrement que par les raisons ordinaires;
  • il doit y avoir du sens au mal et au malheur, à la finitude humaine. »
    Voilà en effet un ensemble de croyances – on apprécie que F.Champion utilise la formule de M. Mauss et comme lui cherche le roc humain – qui présentent un minimum de cohérence entre elles, dont il n’est par conséquent pas illégitime de chercher à fixer au minimum « l’air de famille », à défaut d’une essence unique.

29Un moyen de surmonter le scepticisme de l’anthropologue Michaël Singleton, spécialiste de l’Afrique, qui nous montre de manière savoureuse, par de multiples anecdotes, combien les supposées religions africaines sont éloignées de ce que nous plaçons sous le registre de la religion ? Au point qu’il semble vain d’en chercher une quelconque définition et de se demander ce qu’elle est. Et d’ailleurs, « what is what ?» demande-t-il.

30Ce scepticisme radical, proche de celui de P. Michel, n’est-il pas cependant excessif ? Car même si Patrick Michel avait raison, n’avons-nous pas besoin d’un concept de religion qui permette d’appréhender ce qui existait encore hier et depuis des temps immémoriaux pour mieux saisir la nouveauté radicale dans laquelle nous sommes emportés aujourd’hui, cette infinie dispersion de la croyance contemporaine et l’érosion consommée de la religion ? Pour comprendre, en reprenant l’expression heureuse de MarcelGauchet, « ce que nous avons perdu avec la religion ». N’est-il pas urgent de clarifier ce concept de religion si central pour la sociologie classique si nous voulons effectivement aller de l’avant… en nous inscrivant dans une lignée de croyants en la sociologie et dans les sciences sociales ?

COMMUNIO. AGNUS DEI QUI TOLLIS PECCATA MUNDI LA QUESTION DU SACRIFICE

31À faire retour à la tradition des sciences sociales, dans la quête d’une intelligibilité au moins rétrospective du fait religieux, et à interroger les rites centraux des religions, on est immanquablement frappé par la place qu’y a occupée la question du sacrifice au point qu’elle a pu faire croire à une identité pure et simple du religieux et du sacrificiel. La religion, est-ce autre chose que l’ensemble des pratiques rituelles qui consacrent, qui fabriquent du sacré en sacrifiant ? Et le sacrifice n’est-il pas, n’a-t-il pas, n’aura-t-il pas toujours été sacrifice sanglant, mise à mort d’une victime humaine avant de s’euphémiser en sacrifices animaux et en offrandes végétales ? Voilà la question qui occupe la place centrale dans l’anthropologie du tournant des années 1900 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et qui rebondit aujourd’hui, longtemps après l’écho que lui a donné Freud, dans l’œuvre de René Girard et des anthropologues qui s’en inspirent – notamment nos amis MarkAnspach et Lucien Scubla.

32Ici encore, nous invitons chaleureusement et fortement le lecteur à suivre, pour commencer cette partie, la reconstitution par Lucien Scubla, exemplaire de clarté, de ce long débat anthropologique sur le statut de l’institution sacrificielle qui représente aussi la défense et illustration la plus systématique et la plus synthétique d’une anthropologie girardienne raisonnée et présentée comme l’aboutissement, l’énigme enfin révélée, des travaux de Frazer, Freud et Hocart. Où l’on voit la société s’engendrer comme telle en se subordonnant à la figure d’un roi. Mais loin d’être le sujet d’une domination honnie, un despote comme nous l’imaginons spontanément aujourd’hui, le roi archaïque et traditionnel, voué à la mise à mort, est une victime sacrificielle en puissance. Et rétrospective tout autant car le roi archaïque, nous dit L. Scubla à la suite de Hocart, est d’abord un roi mort. Religion et politique, engendrement de la société apparaissent ainsi liés, étroitement intriqués par le biais du sacrifice.

33Ce que nous confirme l’article éblouissant de Mark Anspach qui nous montre, dans le sillage de Durkheim, de R. Girard et du concept d’autotranscendance de Jean-PierreDupuy comment s’engendrent les dieux hindous. Lisons sa conclusion :
« En suivant le cours sinueux des événements racontés par les mythes védiques, nous avons vu naître trois figures diverses de l’autotranscendance du collectif. Revenons une dernière fois sur leurs identités respectives.

34Qui est Indra ? Indra, le roi des dieux, incarne la puissance et la prospérité qui naissent de l’unité du groupe, une fois que les divisions internes sont surmontées et que les énergies de tous fusionnent harmonieusement et brillent comme le soleil. Indra, c’est le visage rayonnant et célébré de l’autotranscendance.

35Qui est Rudra ? Rudra, le meurtrier divin, incarne la violence de tous réunis contre un seul, cette violence unanime qui met fin à la violence des divisions internes et rend possible le règne d’Indra. Rudra, c’est le visage terrifiant et caché de l’autotranscendance.

36Qui est Prajapati ? Père de tous, au-delà des divinités du panthéon, il est paradoxalement le moins bien défini. Seigneur “quelque peu abstrait”, on l’appelle aussi “le dieu inconnu”, et on le désigne par le simple pronom interrogatif Ka : “Qui ?”.

37Qui est Prajapati ? Prajapati est Qui ? – comme le Soldat inconnu, c’est une victime anonyme, celle dont on honore la mémoire sans savoir son nom, celle que l’on commémore au nom de toutes les victimes mortes comme elles.

38Prajapati n’a pas de visage, il n’a que des larmes.

39Qu’est-ce que la religion ? Un souvenir qui nous réunit, celui des larmes de Prajapati.

40Qu’est-ce que la religion ? Une entreprise qui nous réunit, celle d’oublier les larmes de Prajapati. »

41Où la religion est pensée comme la solution sacrificielle au problème du contrat social de Hobbes. Inversons la lecture : on pourrait dire que le souverain hobbésien est à la fois Indra et Rudra, constitué en sa puissance par le renoncement de Prajapati, et de tous dieux, à exercer la sienne en échange de la garantie qu’il ne sera pas sacrifié et mis à mort. Mais comment faire respecter le contrat social, en dehors de la foi religieuse ? Et inversement, « comment le souverain politique peut-il se faire obéir si ses sujets croient que “tout pouvoir vient de Dieu” »? Tel est le problème de Hobbes examiné par PaulDumouchel, à la lumière là encore de la problématique girardienne. « L’image d’ensemble des rapports entre religion et politique que nous livre Hobbes, conclut-il, est celle de la primauté du religieux sur le politique. » Peut-on alors dire que Hobbes réalise la sortie du religieux ? « Selon Hobbes, écrit-il, nous avons plutôt affaire à une autre de ses transformations, à une nouvelle forme du religieux qui permet l’existence d’une politique séculière [… ] Cette ambiguïté suggère non pas que la sortie du religieux est impossible, mais qu’à l’époque où Hobbes écrit, celle-ci n’est pas encore faite. »

42Nous retrouverons plus loin cette question de savoir si le religieux est dissociable du politique ou non. Mais il convient ici, tout d’abord, de nous interroger sur la portée de ces analyses d’inspiration girardienne. Étroitement liée à la question de la place réelle de l’institution sacrificielle dans l’histoire humaine (et de celle, complémentaire, de savoir si elle s’ordonne tout entière autour du sacrifice humain). Vaste débat ! Disons-en simplement qu’on ne peut qu’être impressionné par la puissance des arguments présentés par nos trois auteurs. Ils attestent, et notamment avec les multiples exemples africains, que le lien entre religion et sacrifice est extraordinairement profond et ancien, et qu’il excède de beaucoup le seul champ des « grandes religions », des « religions historiques ». Il s’en faut pourtant aussi de beaucoup qu’il recouvre le tout de l’histoire humaine. Les sociétés chamaniques mongoles et sibériennes ne pratiquent pas le sacrifice. En fait, ce dernier semble se développer parallèlement à la révolution néolithique, avec l’apparition de surplus alimentaires, des greniers nécessaires à leur stockage et des rois pratiquant la redistribution. De même, il ne fait aucun doute que le sacrifice opère comme un régulateur de la violence au sein du groupe, et que tel soit le rôle également aussi bien de la religion et de la politique. Ou, si l’on préfère, du pouvoir. Mais il s’en faut là encore de beaucoup que toute la violence en dehors et au sein du groupe se réduise à la violence engendrée par l’indétermination du désir mimétique, et à la crise sacrificielle dans laquelle tous se retournent contre une victime plus ou moins arbitrairement choisie, meurtre dont la commémoration et la conjuration constitueraient la vérité du sacrifice. Religion et politique (ou pouvoir) ont aussi à gérer la guerre, les meurtres d’individu à individu ou de groupe à groupe, les vengeances, etc. Par ailleurs, l’idée de l’arbitraire de la victime est en tout cas contredite par la thèse qui présente les premiers rois comme des rois morts. Le roi, par définition, n’est pas précisément n’importe qui. Et si ce n’est pas lui qui est mis à mort, ce sera pendant longtemps, au moins à Babylone, en Palestine ou en Phénicie comme à l’île de Pâques, ses enfants. De préférence le fils aîné. Ou Iphigénie, la fille d’Agamemnon. Pas n’importe qui, là encore. Ce n’est pas au sacrifice en général, mais au sacrifice du fils d’un puissant que met un terme le refus par Yahvé du sacrifice d’Isaac et que parachève, bien plus tard, la décision du fils d’aller de lui-même au sacrifice en s’identifiant au père et en se substituant à toutes les autres victimes possibles [11]. Mais surtout, si la thèse girardienne apporte certains éléments de réponse à la question durkheimienne de l’engendrement du sacré et de la religion, elle a au bout du compte fort peu à dire sur ce qu’ils sont en eux-mêmes et sur le contenu de l’expérience religieuse qu’il est bien difficile de réduire à la seule évocation – masquée et euphémisée de surcroît selon nos auteurs – de la mise à mort des victimes sacrificielles. Même si la thèse girardienne nous éclairait pleinement sur la genèse des rituels religieux, rendant compte du même coup de sa fonction, encore resterait-il à dire en quoi consiste la religion et comment elle fait sens pour ceux qui en participent.

OFFERTOIRE. RETOUR VERS LE DON VIA LE SACRÉ ET LE SYMBOLIQUE

43C’est cette insatisfaction relative qu’exprime ici Camille Tarot, pourtant en large accord par ailleurs avec les analyses de LucienScubla et extrêmement sensible à l’acuité des thèses girardiennes sur le sacrifice. Elles savent penser le sacré, nous suggère-t-il, mais au prix d’un oubli tendanciel et regrettable du symbolique. Cette remarque vaut d’ailleurs pour toutes les théories de la religion proposées depuis Durkheim et Mauss. Soit, comme les phénoménologues (Éliade ou Otto), elles confondent sacré et symbolique, soit, comme le structuralisme lévi-straussien, elles prétendent se débarrasser du sacré et du religieux dissous dans le symbolique, soit enfin, avec M. Gauchet, elles croient pouvoir développer une interprétation purement politique de la religion – définie comme « le régime d’hétéronomie par quoi la société se dépossède de tout pouvoir sur son origine et par conséquent renonce à son historicité et à la créativité propre de son action » –, qui évite de parler autant du sacré que du symbolique. Tout se passe, écrit C. Tarot, comme s’il y avait « une sorte d’impossibilité de tenir les deux termes sous le même regard ». On ne sera donc pas surpris de voir C. Tarot tirer les leçons de cet examen en proposant de s’acheminer vers « une définition à double foyer » et écrire : « La religion est un système symbolique du sacré [12]. »

44Mais quel sacré, serait-on tenté de demander ? Le sacré du sacrifice et de la mise à mort, ou le sacré des valeurs intangibles, par exemple ? Et d’un sacré à l’autre, quel rapport [13] ? C. Tarot écrit qu’il se ralliera donc à « un girardisme modéré, qui précisera que si la violence mimétique et le mécanisme émissaire sont fondamentaux comme tels, ils sont encore préreligieux ou extra-religieux ». Voilà qui rejoint notre observation que rendre compte de la genèse du fait religieux, même si on y parvient, ne nous dit pas ce qu’est le religieux en tant que tel. Mais ce girardisme modéré ne redevient-il pas rapidement trop radical avec l’affirmation que « le religieux, c’est primairement du sacré symbolisé et secondairement du symbolique sacralisé »?

45D’abord du sacré, et ensuite du symbolique ? Or, comment la notion même de sacralité pourrait-elle se déployer hors du champ symbolique ? Ne faut-il pas au contraire que le domaine du sens soit constitué pour que l’événement sacrificiel puisse y faire irruption et signifier ?

46Gardons ces interrogations pour mémoire et discussion ultérieure et retenons seulement que la réduction girardienne du religieux au sacré et du sacré au sacrifice ne permet pas par elle-même de rendre compte du sens du religieux. C’est celui-ci que François Fourquet s’emploie à cerner à travers septthèses « non savantes » mais dont on verra qu’elles touchent à beaucoup de choses. N’y a-t-il pas deux sacrés (au moins), demandions-nous à l’instant ? Et deux religions aussi, pourrait-on ajouter avec F.Fourquet qui écrit : « La double nature de la religion correspond donc à notre double nature : d’une part, en tant qu’identifiés à notre corps propre, notre état civil, notre sexe, notre lignée, notre fonction sociale, notre religion ou notre athéisme, notre personnalité, l’opinion que nous avons de nous-même, bref, en tant que Moi aveuglé par ses croyances et ses émotions individuelles ou collectives; d’autre part, en tant que pure conscience, en tant qu’existe en nous un cœur qui nous permet de voir le monde comme sacré, en tant que nous participons d’une nature non personnelle qui ne nous appartient pas, mais qui nous traverse et fait que nous sommes conscience. Le drame de l’homme, c’est que Moi-je s’approprie cette conscience. »

47Cette thématique de la dualité du religieux – institution sociale et rapport personnel empreint de religiosité au monde – est assurément parlante.

48Est-il possible de la fixer dans le discours des sciences sociales et sur un mode théorique ? On notera qu’elle rappelle très directement la thèse de Durkheim sur l’Homo duplex, à la fois individu et homme social. Mais, curieusement, Durkheim ne relie guère cette thématique à sa théorie de la religion. Nous voilà donc ramenés toujours à la même question. Dans le sillage des thèses de Durkheim, puissantes mais encore un peu trop « carrées » sans doute, manquant de souplesse, est-il possible d’aller plus loin et de gagner en clarté ?

49C’est cet espoir que nous rend Jean-PaulWillaime sur un mode qui a tout pour plaire aux lecteurs du MAUSS. Au terme d’un exposé très précis et parlant des débats menés depuis unsiècle par la sociologie sur la définition de la religion – exposé qui aurait aussi bien pu servir d’introduction à ce numéro –, il rappelle la définition (le repérage de « l’air de famille » qui unit les diverses religions, plutôt) à laquelle il était parvenu antérieurement et qui concevait la religion comme « une communication symbolique régulière par rites et croyances se rapportant à un charisme fondateur (ou refondateur) et générant une filiation ». Malgré ses avantages, cette conception lui paraît maintenant trop restrictive, indiquant « plus deux grandes directions de l’investigation sociologique – l’une sur les questions de légitimation et d’autorité, l’autre sur les formes de sociabilité religieuses – qu’elle ne constitue une perspective plus globale utile à l’intelligibilité du monde social dans son ensemble ». Il croit désormais nécessaire d’aller plus loin en s’inspirant d’une proposition de Camille Tarot : « Tous les grands systèmes du religieux semblent bien articuler, plus ou moins étroitement, trois systèmes du don. Un système du don et de la circulation vertical, entre le monde-autre ou l’autre-monde et celui-ci, qui va de l’inquiétante étrangeté des altérités immanentes au Sapiens, aux recherches de transcendance pure. Un système du don horizontal, entre pairs, frères, cotribules ou coreligionnaires, oscillant du clan à l’humanité, car le religieux joue dans la création de l’identité du groupe; un système de don longitudinal enfin – ou d’abord – selon le principe de transmission aux descendants ou de dette aux ancêtres du groupe ou de la foi, bref d’échanges entre les vivants et les morts. C’est dans la manière dont chaque système religieux déploie ou limite tel axe et surtout les entretisse, dans les dimensions et dans l’importance relative qu’il attribue à chacun, que les systèmes religieux se distinguent sans doute le plus les uns des autres. » « Dans notre précédente approche, écrit J.-P. Willaime, nous prenions certes en compte ces trois dimensions :
la verticale avec la référence au fondement et à l’autorité charismatique, la longitudinale avec la filiation et la transmission, l’horizontale avec la sociabilité religieuse. Mais nous ne reliions pas ces dimensions au don. » J.-P.Willaime suggère donc de reformuler la question de la définition dans le cadre de ce que j’appelle le « paradigme du don ». Il écrit, en me citant (A.C.) : « Le pari sur lequel repose le paradigme du don est que le don constitue le moteur et le performateur par excellence des alliances. » « Cette thèse forte, ajoute-t-il, est éminemment intéressante pour aborder les faits religieux. En effet, avec ces derniers, il y a bien du don, nous dirions même que toute religion en tant qu’activité symbolique traditionnelle postule une donation originaire et que c’est cette référence à une donation originaire (dimension verticale) qui engendre d’autres dons, à la fois dans la filiation et la transmission (dimension longitudinale) et dans la solidarité qui se tisse entre celles et ceux qui se reconnaissent dans une même filiation (dimension horizontale) [… ] Si le don est “le moteur et le performateur des alliances”, on peut mieux comprendre aussi bien la sauvagerie des conflits religieux ou impliquant des dimensions religieuses que le caractère exceptionnel, audelà de toute raison utilitaire, des engagements solidaires et des militances qu’engendre le religieux [… ] Il nous apparaît plus clairement aujourd’hui que si la religion engendre du don, pour le meilleur et pour le pire, c’est que fondamentalement sa logique relève du don [… ] Rendre compte de l’irréductible spécificité du lien social en religion, c’est se donner les moyens d’analyser le religieux à l’intersection des trois liens qui le tissent : le lien longitudinal de la lignée avec les ascendants et les descendants, le lien horizontal entre les frères en religion, ces deux liens s’articulant au lien vertical faisant référence à l’altérité. »

50L’auteur de ces lignes (A.C.) ne peut évidemment que souscrire à cette conception qui donne au paradigme du don tout son poids et se réjouir de trouver en J.-P. Willaime un allié de ce poids et de cette qualité… Et s’étonner aussi, d’ailleurs, que C. Tarot, qui a aidé à l’évolution de J.-P. Willaime, n’ait pas davantage suivi son inspiration initiale, ici rappelée avec force. Fasciné par la puissance des analyses girardiennes sur le sacrifice, il en a comme oublié (un temps ?) la place du don dans les systèmes religieux. Un précédent numéro de la Revue du MAUSS semestrielle (« À quoi bon se sacrifier ? Don, intérêt et sacrifice ») interrogeait la part de l’intérêt dans le sacrifice, et, dans une sorte de match rituel entre girardiens et MAUSSiens, se demandait, entre autres, s’il fallait concevoir le don comme un sous-produit du sacrifice, thèse girardienne, ou, au contraire, le sacrifice comme une modalité particulière du don, plus précisément de la triple obligation de donner, recevoir et rendre dégagée par Marcel Mauss dans l’Essai sur le don. N’y revenons pas ici, sauf pour suggérer peut-être, dans le sillage des formulations actuelles de C. Tarot, que s’il faut penser le religieux à la fois en clé de sacré et en clé de symbolisme, le commun interprétant de ces deux clés, de ces deux foyers de l’ellipse religieuse, est bien le don. Car avant même – logiquement et chronologiquement – d’être la mise à mort sanglante d’une victime, le sacrifice est un don aux entités supérieures. Et le symbolisme, ce qui fait sens, est ce qui renvoie à l’ensemble des dons reçus et à faire. C’est en cela qu’il est non seulement le système formel analysé par le structuralisme mais, plus profondément, la source de toutes les valeurs.

51De qui reçoit-on ? À qui donne-t-on ou se doit-on de donner ? Qui donne ?

52Une formulation due à Jean-MarieGuyau, très ignoré en France mais longtemps et souvent tenu à l’étranger, en Allemagne notamment, pour le plus important philosophe français de la fin du XIXe siècle, suggère une réponse simple. « L’idée d’un lien de société entre l’homme et les puissances supérieures, plus ou moins semblables à lui, est précisément ce qui fait l’unité de toutes les conceptions religieuses », écrit-il dans l’Irréligion de l’avenir.

53« L’homme devient vraiment religieux, selon nous, quand il superpose à la société humaine où il vit une société plus puissante et plus élevée, une société universelle et pour ainsi dire cosmique. La sociabilité, dont on fait un des traits du caractère humain, s’élargit alors et va jusqu’aux étoiles. Cette sociabilité est le fond durable du sentiment religieux, et l’on peut définir l’être religieux un être sociable non seulement avec tous les vivants que nous fait connaître l’expérience, mais avec les êtres de pensée dont il peuple le monde. »

54Jean-Paul Lambert explique ici dans quel esprit, nominaliste en l’occurrence, presqu’anarchiste, J.-M. Guyau développe cette perspective. Il est également possible d’insister sur son importance sociologique, en rappelant que Durkheim a consacré un article d’une quinzaine de pages au « très beau livre » de J.-M. Guyau [ cf. Durkheim, 1975, p. 149], qu’il résume soigneusement parce qu’il y voit « un important progrès dans l’étude scientifique des religions » [p. 159]. Il lui reproche seulement un biais intellectualiste qui ne voit pas assez le poids de l’obligation en matière religieuse et qui accorde trop le privilège au besoin de comprendre sur la sociabilité. « Nous demanderions [… ] qu’on intervertît l’ordre des facteurs, écrit Durkheim, et qu’on fît de la sociabilité la cause déterminante du sentiment religieux » [p. 162]. Reproche en partie injuste ? Nous venons de voir que Guyau ne lésine pas sur la sociabilité, puisqu’il l’étend « jusqu’aux étoiles ». Reste à ajouter que cette sociabilité, qu’elle se limite aux hommes ou qu’elle s’étende à tous les vivants et aux êtres de pensée, est nécessairement structurée par les relations de don et de contre-don, pour déboucher sur une conception politique de la religion. Mais comment l’entendre ?

ITE MISSA EST. POLIS ET RELIGIO. QUELLE CONCEPTION POLITIQUE DE LA RELIGION ?

55Nous reproduisons tout d’abord ici un très beau texte de Marcel Gauchet, qui répondait de manière étonnamment concise et élégante à une question clé pour la présente discussion : « Qu’avons-nous perdu avec la religion [14] ?» Réponse : la possibilité d’agir collectivement. Ou, plus précisément : « Ce quelque chose qui se dérobe en nous, et que nous devions, à mon sens, à l’héritage des religions, c’est ni plus ni moins ce qui nous permettait d’appréhender nos sociétés comme des ensembles cohérents et d’envisager d’agir globalement sur elles [… ]. » La religion ainsi pensée semble coextensive au politique. C’est en ce sens qu’allait AlainCaillé dans ses « Dix-sept thèses sur la religion » publiées dans le n°19 de la Revue du MAUSS semestrielle et qui s’essayaient à tisser ensemble des thèmes durkheimomaussiens d’une part, et, dans le sillage de Merleau-Ponty, lefortogauchétiens de l’autre. Il écrivait alors : « Distinguons le religieux et la religion.

56Le religieux est à la religion ce que le politique est à la politique », et développait ce thème en le croisant avec le paradigme du don. Dans le présent numéro, sans renier cette distinction, au contraire, il s’essaie à des formulations plus générales qui, d’une manière ou d’une autre, tentent de faire droit aux divers thèmes évoqués ici et dont cette présentation, espérons-le, donne une idée. Voilà qui débouche, dans le sillage direct de J.-M. Guyau, sur la définition suivante : « Entendons par religieux l’ensemble des relations créées et entretenues par la société des humains vivants et visibles avec l’ensemble des entités invisibles (défunts, non-nés, esprits des animaux, des minéraux ou des corps célestes, esprits flottants et non affectés). Ou encore la relation de la société des humains avec la société universelle des invisibles étendue jusqu’à l’infini et à l’éternité. Encore faut-il ajouter que cette relation s’instaurant notamment par les mots et dans la langue (ou à travers les rites maniés comme l’équivalent pratique et performatif des paroles), se déployant dans et par le symbolisme, elle est immédiatement et indissociablement relation à l’infinité du symbolisable et du sens possible. Le religieux est donc aussi ce qui a rapport à l’infinité du symbolisable. Et du pensable. Ajoutons encore que le religieux est conjointement, mais dans des proportions infiniment variables, le fait des sociétés et des individus dont elles se composent [… ] Il est à la fois ce qu’il y a de plus collectif et ce qu’il y a de plus individuel, produisant l’identité des sujets humains, pris séparément ou ensemble; en les mettant en rapport avec l’infinité du symbolisable, le religieux énonce qu’ils n’ont d’identité que rapportée à ce qui l’excède infiniment. Il ouvre ainsi le champ de l’insatisfaction et du sens. »

57Est-ce parce que la conception de Marcel Gauchet est plus intégralement et radicalement politique et qu’il ne fait guère de place au rapport des individus à l’infinité, qu’il récuse, dans un article écrit pour le présent numéro en réaction aux thèses d’A.Caillé publiées dans le n°19 du MAUSS, la distinction entre le religieux et la religion tout autant que la pertinence du concept de politico-religieux ? Puisque la démocratie s’est édifiée à travers la lutte pour séparer la politique et la religion, c’est bien qu’il s’agit de deux réalités distinctes. Le point fondamental pour M. Gauchet – qui synthétise ici les concepts et les idées centrales qui ont animé depuis vingtans sa théorisation de la religion, très généralement reconnue comme la plus importante qui ait été présentée depuis Durkheim et Weber – est que, même si leurs destins ont été intimement liés jusqu’à aujourd’hui, religion et politique ne sont pas de même niveau. « Le politique peut exister sans le religieux et hors des religions. » Ce qu’il y a lieu de penser au premier chef, c’est la raison pour laquelle la liberté créatrice en quoi consiste le politique ne s’est jamais manifestée qu’en se niant comme liberté. « La religion, en son institution primordiale, écrit Gauchet, est une prise de position par rapport à l’autonomie processuelle qui s’instaure au travers du politique. Elle est une expression de cette autonomie, en même temps qu’un choix vis-à-vis d’elle, un choix qui consiste à la refuser et à la conjurer.

58Elle est un parti pris de l’hétéronomie. Elle constitue les humains en dépendants : nous devons tout ce que nous sommes à des êtres d’une autre nature que nous. C’est ce paradoxe qu’il faut méditer sous le nom de religion. Il représente l’énigme par excellence de l’histoire humaine. Religion désigne une relation de l’humanité avec elle-même, à laquelle rien ne l’obligeait (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas de sens), au travers de laquelle elle se dit en conscience le contraire de ce qu’elle fait en pratique.

59Tout se passe comme si l’humanité n’avait pu manifester sa possession définitionnelle d’elle-même que par l’affirmation de sa dépossession métaphysique. » Et de fait, explique Gauchet, nous assistons bien aujourd’hui à cette déliaison profonde de la religion et du politique, à la décomposition apparemment inexorable du politico-religieux.

60À quoi je suis tenté de répondre que le fait de cette déliaison, plus complexe qu’il n’y semble, n’est pleinement compréhensible que si l’on maintient ferme la distinction entre le religieux et la religion, comme entre le politique et la politique. Nous assistons, au moins en Europe, au déclin irréversible des religions héritées. Mais, contrairement à tous les pronostics d’il y a une trentaine d’années, ce déclin se double d’une forte résurgence du religieux. Mais d’un religieux désormais privatisé et individualisé.

61D’un religieux qui prétend ne toucher à la vérité que pour autant qu’il s’édifie sur les décombres de la religion. La même chose est vraie au fond pour la politique. La désaffection radicale envers les partis et les hommes politiques – perçus comme l’équivalent des prêtres – n’implique nullement un renoncement au politique, bien au contraire. C’est dans la suite de cette observation qu’il faudra poursuivre la discussion sur le concept de politicoreligieux [15].

62La question qui demeure, aiguë et qui constitue le véritable enjeu profond de tous ces débats savants [16], est celle de savoir jusqu’où peut et doit se poursuivre cette privatisation-individualisation du religieux et du politique qui prétend faire l’économie absolue de la religion et de la politique, i.e. des appareils à produire du sens institué et du pouvoir légitime, sans conduire, pour reprendre le titre de l’avant-dernier livre de M. Gauchet, au retournement de « la démocratie contre elle-même ». La démocratie peut-elle vivre hors valeurs (comme il y a des cultures hors sol) et où les chercher si les religions qui en étaient les pourvoyeuses disparaissent, sauf à faire vivre une quasi-religion de la démocratie ?

LIBRE REVUE

63C’est au fond cette question – comment redonner vie à l’exigence démocratique aujourd’hui ? – qui anime nombre des textes de la partie « libre », hors thème principal, de ce numéro (une partie plus exiguë que d’habitude, malgré l’obésité de cette livraison) tant la discussion du religieux aura pris de place. Elle commence par une lettre de Pierre Dumesnil, collaborateur occasionnel du MAUSS, à l’auteur d’un article très critique sur le MAUSS [17] et dont l’intérêt est de reprendre tout un ensemble de stéréotypes plus ou moins généreusement répandus sur notre compte. P. Dumesnil en fait litière avec une sobriété et une clarté réconfortantes. Une seule règle doit prévaloir : ne pas interdire les débats et la réflexion en préférant l’anathème à la libre pensée. Dans un esprit voisin, Bertrand Liatard nous donne une chronique très vivante et critique du rassemblement du Larzac de l’été dernier qui situe bien le problème posé par les nouvelles militances. Plus mobilisées par la perspective de la fête et de la visibilité médiatique que par l’engagement de longue haleine dans la construction d’espaces démocratiques et de citoyenneté effective, sont-elles effectivement en mesure de faire advenir l’autre monde (non marchand et non spectaculaire) qu’elles croient appeler de leurs vœux ? Ici se pose la question, centrale, des médias.

64Comment, se demandent Pierre Bitoun et Raphaël Serrail, desserrer l’emprise du « faire-croire télévisuel » et reconstruire une télévision qui œuvre à la reconstruction d’une citoyenneté sans pour autant tomber dans un prêchiprêcha d’avance voué à l’échec ? Ils avancent sept propositions en ce sens. L’autre grand problème posé aujourd’hui à la démocratie est celui du multiculturalisme et de la coexistence de traditions et d’habitus différents.

65Comment bâtir une citoyenneté cohérente à partir d’une pluralité d’appartenances ? En amont de cette question, on retrouve la querelle récurrente et toujours irrésolue de l’universalisme et du relativisme, ici abordée sous le prisme de la deuxième partie de l’ego-histoire (qui en aura trois) d’un jeune intellectuel, Joël Roucloux, retraçant son oscillation entre les deux pôles à travers l’examen des thèses (elles-mêmes oscillantes) de Pierre-André Taguieff et de ses références au relativisme argumentatif d’un Chaïm Perelman. Dans le même ordre d’idées, mais sur un tout autre mode, on trouvera dans l’article de Louis Maitrier, une foule d’informations historiques fascinantes et passionnantes sur la manière dont la France d’Ancien Régime réglait la question de la coexistence de « nations » différentes sur un même espace. Un élément décisif à verser au dossier de la réflexion sur le multiculturalisme.

66Deux textes enfin cloturent ce numéro, sans entretenir de rapport clair avec le reste – deux textes vraiment « libres » donc –, celui de Sylvain Pasquier, qui restitue les idées profondes au cœur de la sociologie d’Erving Goffman – si populaire aujourd’hui, mais pas toujours très bien comprise–, et l’article de François Vatin qui, à partir de l’examen de trois ouvrages récents, remet profondément en cause la vision reçue de la nature du taylorisme et, au-delà, la manière habituelle d’écrire l’histoire du travail.

67L’histoire… de la religion des Temps modernes.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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Date de mise en ligne : 01/09/2005.

https://doi.org/10.3917/rdm.022.0005

Notes

  • [1]
    Qu’est-ce que la religion ? Qu’est-ce que le religieux ? Il n’y a pas lieu à ce stade de distinguer entre ces deux questions. Nous avons dû adopter le terme de « religieux » à la demande des éditions Flammarion, pour éviter toute confusion possible des libraires avec le livre de Shmuel Trigano, Qu’est-ce que la religion ? Cet ouvrage est en partie à l’origine de ce numéro du MAUSS. Posant des questions fortes à la sociologie des religions, il a donné lieu à une journée de débat organisée par le GÉODE (Groupe d’étude et d’observation de la démocratie, ParisX-CNRS) dont sont issus plus ou moins directement un certain nombre des textes ici réunis.
  • [2]
    « Il n’y a pas d’exemple de groupe humain sans religion », écrit ainsi Jean-PierreVernant [cité par Debray, 2003, p. 222].
  • [3]
    Nous ne dirons donc rien des travaux des biologistes qui nous annoncent tous les jours la découverte de Dieu dans telle ou telle partie du cerveau sans nous expliquer pourquoi, avec le même cerveau, certains croient en lui, d’autres pas et pourquoi d’autres enfin n’en ont jamais entendu parler. De même, ce numéro ne discute pas les approches dites cognitivistes, facilement portées à la tautologie. C’est ainsi que Pascal Boyer [ 2001, p. 324] par exemple, au terme d’un argumentaire cognitiviste très systématique, conclut : « Si les concepts et comportements religieux persistent depuis des millénaires – et même plus sans doute –, s’ils représentent les mêmes thèmes dans le monde entier, c’est simplement parce qu’ils sont optimaux au sens où ils activent divers systèmes d’une façon qui active leur transmission. » Sont conservés en somme, selon cette théorie, les thèmes religieux qui se prêtent à être conservés… La vertu dormitive de l’opium n’est pas loin.
  • [4]
    L’analyse de cette corrélation étrange entre mondialisation (occidentalisation) et explosion des intégrismes était au cœur du n° 13 de la Revue du MAUSS semestrielle, « Le retour de l’ethnocentrisme. Purification ethnique versus universalisme cannibale ».
  • [5]
    Extrait du « questionnaire » adressé aux auteurs de ce numéro : « 1°L’élaboration d’un concept général du religieux (et/ou de la religion) est-elle possible ? souhaitable ? Ne suppose-t-elle pas la croyance en une essence pérenne et substantielle du religieux qu’on puisse (re)trouver identique à elle-même par-delà ses variations phénoménales ou formelles ? Peut-on tenir ferme sur une telle hypothèse ? Et en quoi consisterait cette essence ? Ne vaut-il pas mieux, à l’inverse, plutôt qu’une essence du religieux, tenter de fixer “l’air de famille”existant entre des types de croyances, de pratiques ou de passions survenant dans des sociétés ou des temps fort divers, mais dont l’identité présumée s’évanouirait dès lors qu’on tenterait de la subsumer sous le concept d’une commune essence ? 2°L’idée même de religion n’est-elle pas étroitement liée à l’émergence de ce qu’on appelle communément les religions mondiales (ou universelles), instituant un écart entre le rite et la croyance, entre la croyance et sa rationalisation intellectuelle, entre le monde et l’arrière-monde, entre immanence et transcendance ? Un écart qu’on ne retrouverait ni dans les religions dites primitives ou traditionnelles ni dans les religions dites séculières du XXe siècle ? Convient-il dès lors de réserver le terme de religion aux seules religions à transcendance ? Comment, alors, sous quel concept, repérer ce qu’elles sont susceptibles d’avoir de commun avec les “religions” primitives ou laïques ? Et ont-elles d’ailleurs quoi que ce soit de commun ? 3° Peut-il se produire une “sortie du religieux” (et est-elle identifiable à sa “sécularisation”)? Assurément, si l’on réserve le concept de religion aux religions universelles ou a fortiori si l’on pose que la société première est de part en part religieuse et que la naissance des grandes religions (et plus particulièrement du christianisme) marque un déclin toujours croissant de la religiosité. Non, si l’on pose que la religion est inséparable de l’existence individuelle comme collective et que nul, individu ou collectif, ne saurait vivre sans un stock minimal de croyances sacralisées (organisées par ce qu’on pourrait appeler un code inviolable du savoir et du croire). 4° Dans cette optique, largement “fonctionnelle”, il est parfaitement légitime de parler d’une religion du progrès, des droits de l’homme, de la démocratie, du communisme, voire d’une religion de l’économie ou de la Bourse. Cet usage vous paraît-il acceptable ?»
  • [6]
    Concept introduit pour la première fois en 1944 par Raymond Aron, qui subsume sous ce terme nazisme, fascisme et communisme, ces doctrines qui « prennent dans les âmes? ? de nos contemporains la place de la foi évanouie », qui « fixent le but dernier, quasiment sacré, par rapport auquel se définissent le bien et le mal » et qui expliquent les malheurs présents des hommes en laissant espérer leur dépassement définitif. C’est ce type de position que développe J.Monnerot. (Lequel terminera malencontreusement comme membre du conseil scientifique du Front national. On avait déjà vu avec Maurras comment une pensée réactionnaire de droite peut faire usage de certains thèmes du durkheimisme socialiste ou socialisant.) Sur ce thème des « religions séculières » et sur le rapport entre l’idéologie communiste et la religion, on lira avec profit l’excellente mise au point de Marc Lazar, « Communisme et religion » [ 1994] auquel nous empruntons ces citations de RaymondAron.
  • [7]
    C’est également le cas des analyses de notre ami Jacques Dewitte dont l’article, malheureusement, est arrivé trop tard pour que je puisse en insérer la discussion dans le cadre de cette présentation. C’est d’autant plus regrettable que c’est J. Dewitte qui nous a suggéré de reprendre ici les textes d’Arendt, Monnerot et Kolakowski et que son article, très inspiré de ce dernier, mérite une ample discussion. Lu en un certain sens, il semble représenter une radicalisation du propos d’Arendt ou de Trigano, aboutissant à frapper d’invalidité tout discours sociologique sur la religion car voué par nature à dénaturer l’expérience religieuse en laissant entendre que les croyants ne croient pas réellement ce qu’ils croient. De chaque ordre de la réalité humaine, on ne saurait parler valablement que dans le langage intrinsèquement adapté à cet ordre – et il ne fait nul doute que la religion est plus intrinsèquement liée à l’ordre du religieux que la sociologie –, quand bien même ce langage ne se découvrirait à lui-même que progressivement et à travers une lente élaboration historique. Ce point de vue, qui soulève de forts intéressants problèmes d’épistémologie des sciences sociales et qui devrait éveiller de profondes résonances chez les croyants, semble quelque peu extrémiste. Toutes les croyances ne croient pas la même chose. Et, croyance pour croyance, la croyance en la sociologie et en la science doit-elle s’incliner a priori devant la croyance proprement religieuse ? Et au nom de quoi ? De la religion (laquelle ?), de la philosophie (laquelle ?) ou de la sociologie (laquelle ?)? On notera que tout ce que J. Dewitte écrit ici à propos de la religion pourrait être dit en des termes fort proches quant au fond, et tout aussi discutables, de la science. En la matière, ne faut-il pas se garder en fait de deux réductionnismes ? Se garder du réductionnisme? ? sociologiste en effet (mais on trouvera peu de sociologues aussi méprisants de la croyance religieuse que ne semble le croire J. Dewitte – Durkheim n’est pas Voltaire), mais aussi, et tout autant, du réductionnisme religieux, qui réduit la religion à elle-même. Or, tous ses commentaires le montrent par ailleurs, c’est justement pour échapper à ce double réductionnisme que J. Dewitte se rallie à la définition (une des définitions) par L. Kolakowski de la religion : « Le culte socialement établi de la réalité éternelle ».
  • [8]
    Il manque ici, plus que tout, une présentation de l’extraordinaire sociologie des religions de Max Weber. Outre le célèbre l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, le lecteur français peut maintenant se faire une idée de sa puissance et de sa fécondité en lisant la traduction enfin parue de Hindouisme et Bouddhisme (Champs, Flammarion). On ne peut que lui conseiller également la lecture du livre de Stephen Kalberg, la Sociologie historique comparative de Max Weber [ 2002] et notamment du dernier chapitre qui rassemble l’essentiel
  • [9]
    Pour ma part, je soutiens l’idée que tant la notion de symbolisme que celle de religion ne deviennent compréhensibles qu’interprétées dans le langage de la triple obligation de donner, recevoir et rendre dégagée par Mauss dans l’Essai sur le don. Le chaînon manquant dans la tradition sociologique française est celui qui permettrait de relier ce qui dans l’Essai sur le don se présente sous les auspices apparents de la sociologie économique à ce qui, dans l’Essai sur le sacrifice ou dans d’autres textes, semble relever de la sociologie de la religion. des thèmes wébériens en la matière.
  • [10]
    « La conception aristotélicienne de la science sociale implique que les sociologues de la religion prennent toute leur part dans le développement critique d’une théologie laïque ( public theology) dans un esprit œcuménique de dialogue entre les croyances. L’Association for the Sociology of Religion est aux côtés des chefs religieux et des sociologues citoyens désireux de voir des sociologues prendre quelque part au développement d’une théologie laïque qui assume sans illusion mais avec fermeté de faire revivre les espoirs ancestraux et immarcescibles de solidarité, de justice, d’égalité et de non-violence » ( traduit par la rédaction).
  • [11]
    Ce qu’il est possible d’interpréter, en termes plus clastriens que girardiens ( cf. Clastres, La société contre l’État) en disant que la société sauvage se refuse à l’accumulation de la puissance – dont elle a pourtant besoin par ailleurs – et qu’elle met donc à mort systématiquement les hommes de pouvoir dès qu’ils se l’approprient, sauf si ces derniers parviennent à détourner la violence sur d’autres qu’eux-mêmes. Sur cette mise à mort des puissants, protecteurs du clan, cf. l’article de RaymondJamous, « Honneur et baraka » [ 1993].
  • [12]
    De même, JacquesDerrida, dans la Religion, écrit : « [La religion] croise en elle deux expériences qu’on tient en général pour également religieuses : 1°l’expérience de la croyance d’une part (le croire ou le crédit, le fiduciaire ou le fiable dans l’acte de foi, la fidélité, l’appel à la confiance aveugle, le testimonial toujours au-delà de la preuve, de la raison démonstrative, de l’intuition), et 2°l’expérience de l’indemne, de la sacralité ou de la sainteté d’autre part » [ 1996, p. 46]. Il synthétise son propos en insistant sur « le privilège quasiment transcendantal que nous croyons devoir accorder à la distinction entre [… ] l’expérience de la croyance [… ] et l’expérience de la sacralité ». Ce sont là deux sources ou deux foyers distincts [p. 49]. Il serait intéressant de mettre cette dualité du religieux en rapport avec les deux étymologies possibles du mot religion entre lesquelles les spécialistes ne parviennent pas à trancher. Vient-il, comme le veut la tradition cicéronienne qui se poursuit jusqu’à W. Otto, J. B. Hoffmann et É. Benveniste, de relegere (de legere, cueillir, rassembler) ou, comme le veut la tradition qui remonte à Lactance et Tertullien, de religare (de ligare, lier, relier)? Cf. sur ce point la discussion d’É. Benveniste dans le Vocabulaire des institutions indo-européennes.
  • [13]
    J. Derrida relève avec une insistance légitime « le fait souligné par Benveniste » que « presque partout, à la notion de sacré correspondent non pas un seul terme mais deux termes distincts. En germanique, le gothique wihs, “consacré”, et le runique hailagn (all. Heilig), en latin sacer et sanctus, en grec hagios et hieros ». Les premiers renvoient à l’idée de bonne santé, les autres à celle de sainteté. Le rapport entre le sacré et le sacrifice est plein d’énigmes. GiorgioAgamben fonde un long chapitre de son livre Homo sacer [ 1997] sur une figure du droit romain archaïque rapportée par Festus dans son Sur la signification des mots : « L’homme sacré est, toutefois, celui que le peuple a jugé pour un crime; il n’est pas permis de le sacrifier, mais celui qui le tue ne sera pas condamné pour homicide; la première loi du tribunal affirme en effet que “si quelqu’un tue un homme qui a été déclaré sacré par plébiscite, il ne sera pas considéré comme homicide”. De là l’habitude de qualifier de sacré un homme mauvais ou impur » [p. 81]. Cette situation pas très claire paraissait étrange aux Romains eux-mêmes, comme le note Macrobe qui écrit : « Certains trouvent étrange, je ne l’ignore pas, qu’il soit interdit de violer une chose sacrée et qu’il soit permis en revanche de tuer l’homme sacré. » Il serait intéressant de mettre ces rappels en rapport avec les faits siciliens relatés par MariaPiadiBella.
  • [14]
    Ce texte, rédigé pour le colloque organisé par le GÉODE en juin 2001 sur le thème La déshumanisation du monde, a été reproduit dans le n° 195 de la revue Diogène [ 2001]. Nous remercions Diogène de nous en avoir autorisé la reproduction.
  • [15]
    En tout état de cause, l’écriture lapidaire de « thèses » ou de « propositions » – comme leur lecture – a quelque chose d’intrinsèquement frustrant. Il faut de la place pour retrouver l’épaisseur de l’histoire et la chair des concepts. Le lecteur qui jugerait trop sèches et elliptiques les propositions de Marcel Gauchet trouvera toute matière à réflexion dans son tout dernier livre, La Condition historique [ 2003], qui retrace de façon à la fois très claire, vivante et rigoureuse sa trajectoire de pensée.
  • [16]
    Débats savants, trop savants et trop abstraits, assurément. Ceux qui s’intéressent au contenu du message religieux, à la spiritualité, n’y auront trouvé que bien peu de choses qui les concernent. Aussi bien l’objectif n’était-il pas d’entrer dans le contenu de la foi chrétienne, judaïque, musulmane, hindouiste, bouddhiste, animiste ou autre, mais de savoir s’il est possible de leur trouver un « air de famille » par-delà toutes leurs dissemblances. Nous sommes bien conscient qu’il n’a été procédé ici qu’à une sorte de relevé cartographique. Ce n’est pas très
  • [17]
    Nous ne nommons pas l’auteur ici puisque l’article critiqué portait la mention « version provisoire : ne pas diffuser, ne pas citer ». Mais cette version provisoire est quand même mise en circulation sur le Net, ce qui justifie qu’on y réponde. Son auteur est membre du conseil scientifique d’ATTAC. La réponse de P. Dumesnil peut être lue comme un encouragement au pluralisme d’ATTAC contre les risques d’une dérive gauchiste sectaire toujours possible…
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