Notes
-
[1]
Balzac, Correspondances, V, 556-557.
-
[2]
P. Muray, Essais, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 1265 s.
-
[3]
Ibid., p. 730.
-
[4]
M. Benasayag et A. Del Rey, Éloge du conflit, Paris, La Découverte, 2007, p. 81.
-
[5]
Le terme est issu du latin rebellare, qui signifie reprendre les hostilités, se révolter, se soulever, s’insurger, résister, s’opposer, lui-même composé du préfixe re, préfixe de retour en arrière, à nouveau, et de bellare, faire la guerre, combattre, A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert.
-
[6]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, Cabris, Sulliver, 2009.
-
[7]
Héraclite, Fragments, Paris, Flammarion, 2004, n° 51.
-
[8]
Aristote, Métaphysique, Paris, Flammarion, 2008, p. 4 ; J. Lukasiewicz, Du principe de contradiction chez Aristote (1910), Cahors, L’Eclat, 2000.
-
[9]
A. Koestler, Janus, Paris, Calmann-Lévy, 1979.
-
[10]
M. Granet, La pensée chinoise, Paris, Albin Michel, 1968 ; F. Jullien, L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Paris, Gallimard, 2017.
-
[11]
Y. Barel, Le paradoxe et le système, Presses universitaires de Grenoble, 2008 ; J.J. Wunenburger, La raison contradictoire, Paris, Albin Michel, 1990.
-
[12]
J.J. Wunenburger, Le combat est le père de toutes choses, Héraclite, Nantes, Pleins Feux, 2005, p. 9.
-
[13]
J. Baudrillard, La transparence du mal, Essai sur les phénomènes extrêmes, Paris, Galilée 1990, p. 88.
-
[14]
F. Jullien, Du mal/du négatif, Paris, Seuil, 2004.
-
[15]
Le « plus » est le leitmotiv central du transhumanisme : « H+ » est son signe de reconnaissance ; sur cette question, cf. Le transhumanisme, Approche pluridisciplinaire d’une nouvelle utopie (sous la dir. de P. Pédrot et P. Larrieu), Journal international de bioéthique, 2018.
-
[16]
P. Sloterdijk, Règles pour le parc humain, La domestication de l’Être, Paris, Mille et une nuits, 2010, p. 86.
-
[17]
D. Lecourt, La transparence mène à une tyrannie souriante, Figarovox, 10 fév. 2017.
-
[18]
A. Garapon et D. Salas, Le « salaud » de la démocratie, in La justice et le mal, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 9.
-
[19]
P. Ricœur, Éthique et morale, Lectures 1, Paris, Seuil, 1991, p. 256 s..
-
[20]
J. Florence, Le désir de la loi, in Ouvertures psychanalytiques, Bruxelles, PU Saint Louis, 1985, p. 243.
-
[21]
F. Nietzsche, Par-delà bien et mal (1885), Paris, Flammarion, 2000 ; P. Valadier, Nietzsche, Cruauté et noblesse du droit, Paris, Michalon, 1998.
-
[22]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, Paris, CNRS Editions, 2009, p. XV.
-
[23]
F. Ost, Le droit, objet de passions ?, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2018, p. 12.
-
[24]
P. Watzlawick, L’invention de la réalité, Paris, Seuil, 1988, p. 258.
-
[25]
S. Lupasco, Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie (1951), Monaco, Ed. Le Rocher, 1987, p. 9.
-
[26]
H.C. Puech, En quête de la gnose, Paris, Gallimard, 1978.
-
[27]
E. Morin, La méthode, Ethique, tome 6, Paris, Seuil, 2004, p. 262.
-
[28]
G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit (1807), Paris, Vrin, 2006, p. 240 ; comp. T.W. Adorno, Dialectique négative (1966), Paris, Payot, 2016, p. 192 suiv.
-
[29]
M. Foucault, Naissance de la biopolitique (1978-1979), Paris, Gallimard, 2004, p. 44.
-
[30]
L. Gernet, Droit et institutions en Grèce antique (1982), Paris, Flammarion, 1999, p. 20.
-
[31]
J.P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1974, p. 206.
-
[32]
F. Ost, Le droit, objet de passions ?, op. cit.
-
[33]
H. Fischer, CyberProméthée, Montréal, VLB Editeur, 2003.
-
[34]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 27.
-
[35]
L. Gernet, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce (1917), Paris, Albin Michel, 2001, p. 18, note 1.
-
[36]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 27.
-
[37]
Platon, Les Lois, Livre IV, 717 d.
-
[38]
C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, D’Homère à Héraclite (1982-1983), tome 1, Paris, Seuil, 2004, p. 289.
-
[39]
J.P. Dumont, Les écoles présocratiques, Paris, Gallimard, 1991, p. 579.
-
[40]
J.F. Mattéi, Platon, Paris, PUF, 2010, p. 85.
-
[41]
M.C. Nussbaum, La fragilité du bien, Fortune et éthique dans la tragédie et la philosophie grecques, Paris, L’Eclat, 2016, p. 61 et suiv.
-
[42]
Sophocle, Antigone, in Tragédies complètes, Préf. P. Vidal-Naquet, Paris, Gallimard, 1973, v. 908-915.
-
[43]
C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, La cité et les lois (1983-1984), tome 2, Paris, Seuil, 2008, p. 143.
-
[44]
J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie dans la Grèce ancienne (1972), Paris, La Découverte, 2001, p. 34.
-
[45]
J. Lacan, Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), livre VII, Paris, Seuil, 1986.
-
[46]
Sophocle, Antigone, in Tragédies complètes, op. cit., v. 662.
-
[47]
M.C. Nussbaum, La fragilité du bien, op. cit., p. 75.
-
[48]
P. Chiappini, Le droit et le sacré, Paris, Dalloz, 2006, p. 90.
-
[49]
Contrairement au mythe, l’utopie vise une conjonction du différend ; sur cette distinction cf. G. Sorel, Introduction à l’économie moderne (1903), Paris, Librairie Marcel Rivière, 1922.
-
[50]
A. Supiot, Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris, Seuil, 2005, p. 202.
-
[51]
M. Weber, Essai sur la théorie de la science (1917), Paris, Plon, 1965.
-
[52]
J. Burckhardt, Histoire de la civilisation grecque, tome 2 (1900), Vevey, Editions de l’Aire, 2002, p. 120.
-
[53]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. 157.
-
[54]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. 194.
-
[55]
M. Benasayag et A. Del Rey, Éloge du conflit, op. cit., p. 55.
-
[56]
G. Simmel, Le conflit (1908), Belval, Circé, 2003, p. 35.
-
[57]
G. Agamben, Homo sacer, Le Pouvoir souverain et la vie nue, vol. I, Paris, Seuil, 1997, p. 9.
-
[58]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 63.
-
[59]
F. Nietzsche, La naissance de la tragédie, (1886), Paris, Gallimard, 1986.
-
[60]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 113.
-
[61]
F. Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit., p. 69.
-
[62]
C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, La cité et les lois, op. cit., p. 127.
-
[63]
M. Détienne, Apollon, le couteau à la main (1998), Paris, Gallimard, 2009.
-
[64]
M. Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, De l’âge de pierre aux mystères d’Eleusis, tome 1, Paris, Payot, 1976, p. 284.
-
[65]
P. Legendre, La fabrique de l’homme occidental, Paris, Fayard, 1996.
-
[66]
J.J. Wunenburger, Le combat est le père de toutes choses, Héraclite, op. cit., p. 18.
-
[67]
P. Larrieu, Mythes grecs et droit, Québec, Presses universitaires de Laval, 2017.
-
[68]
G. Lhuilier, Le corps assassiné, Banalité du mal, banalité du droit, in Le corps et ses représentations, (sous la dir. de E. Dockès et G. Lhuilier), Paris, Litec, 2001, p. 189.
-
[69]
R. Girard, La violence et le sacré, op. cit., p. 438.
-
[70]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 113.
-
[71]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. XV.
-
[72]
M. Maffesoli, La part du diable, Paris, Flammarion, 2002, p. 65.
-
[73]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. 141.
-
[74]
Euripide, Les Bacchantes, Paris, Ed. de Minuit, 2005.
-
[75]
J.P. Vernant, L’univers, les dieux, les hommes, Paris, Seuil, 1999, p. 182.
-
[76]
S. Freud, Le malaise dans la civilisation (1930), Paris, Points, 2010.
-
[77]
J.P. Vernant et P. Vidal-Naquet, La Grèce ancienne, Rites de passage et transgressions (1992), tome 3, Paris, Points, 2009.
-
[78]
G. Bataille, La part maudite, (1949), Paris, Ed. de Minuit, 2011, p. 63.
-
[79]
C.G. Jung, Présent et avenir (1962), Paris, Buchet/Chastel, 1995, p. 91.
-
[80]
A. Garapon et D. Salas, Le « salaud » de la démocratie, in La justice et le mal, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 9.
-
[81]
M. Benasayag et A. Del Rey, Eloge du conflit, op. cit., p. 63.
-
[82]
F. Jullien, Du mal/du négatif, Paris, Seuil, 2004.
-
[83]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. XV.
-
[84]
C.G. Jung, Aspects du drame contemporain, Genève, Georg & Cie, 1948, p. 205.
-
[85]
H. Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal (1963), Paris, Gallimard, 1991.
-
[86]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. IX.
Dans un monde sans limite, la rébellion tend à devenir impuissante faute d’opposition. Une régression nous menace : c’est le règne du consensus mou, du tout positif. Assumer la rébellion c’est assumer l’opposition ; c’est faire l’éloge de la contradiction. Car loin d’être pacifiées, les sociétés contemporaines qui nient ou refoulent la contradiction sont lourdes d’une extrême violence.
Je fais partie de l’opposition qui s’appelle la vie.
1Si l’on en croit Philippe Muray, la rébellion est « une idée veuve... Elle a perdu son partenaire, son antique complice maudit, son autre maléfique, son grand Autre noir, malfaisant... Tout ce qui pouvait subsister d’opposition, d’antagonisme, de contradiction s’est évanoui, car elle n’a plus en face d’elle aucune autorité à laquelle il lui serait agréable de désobéir » [2]. Dans L’Empire du bien tel que le dénonce l’auteur, la rébellion s’est transformée en pure routine. Ses potentiels semblent s’épuiser par lassitude, par conformisme, par désir de reconnaissance aussi. Une régression nous menace. C’est le règne du consensus mou : « On a la haine de la haine. On fait la guerre à la guerre » [3]. On refoule le conflit au nom des soi-disant valeurs universelles, d’où toutes les fables relatives au contrat social, aux droits de l’homme, à la bienveillance mutuelle... On tente de pousser les contradictions au point où toutes les ambiguïtés, les oppositions, font place à des significations univoques. Et on pêche ainsi par excès d’unilatéralisme. Toute rébellion devient alors impuissante parce qu’il n’est plus de place pour l’opposition ni pour l’écart. Assumer l’opposition, l’écart, c’est assumer la multiplicité ; c’est faire l’éloge du conflit. Car loin d’être pacifiées, les sociétés contemporaines qui nient ou refoulent le conflit sont lourdes d’une violence extrême et sans limites [4].
2Dans L’Homme révolté, Albert Camus affirme que la révolte, qu’on assimilera à la rébellion [5], loin d’être une négation sans limites, se définit précisément par l’affirmation d’une limite. Franchir cette limite, c’est rétrograder vers l’indifférence ou vers la servitude. Et il considère que la seule philosophie qui soit capable de maintenir ensemble cette combinaison de négation et d’affirmation est une pensée de la mesure, une « pensée de midi ». La « pensée de midi » est une expression empruntée à Nietzsche, qui se fonde sur l’amour grec de la vie. La pensée grecque, nous dit Camus, n’a jamais rien poussé à bout parce qu’elle n’a rien nié, rien exclu, rien rejeté. Elle a fait la part de tout, équilibrant l’ombre par la lumière, tandis que notre Europe, lancée à la conquête de la totalité, est fille de la démesure. S’il en est ainsi, c’est que notre monde occidental, en un mouvement incessant de fuite en avant, a abandonné toute référence à une idée de limite [6]. La critique de Camus se présente dès lors sous la forme d’un dualisme essentiel exprimé par des couples de contraires : l’envers et l’endroit, le midi et le minuit, l’exil et le royaume, le jour et la nuit, sans jamais privilégier l’un des deux termes, mais en équilibrant toujours le jeu des contrastes. À le suivre, il nous faut réapprendre à vivre et penser dans la contradiction, accepter ce double visage, que nous ne discernons plus dans la figure de Janus, envoûtés pour les uns par sa face nocturne, éblouis pour les autres par sa face lumineuse.
3À l’aube de la pensée grecque, Héraclite imaginait déjà que « ce qui s’oppose coopère, de ce qui diverge procède la plus belle harmonie, et la lutte engendre toutes choses » [7]. Pour le philosophe présocratique, le combat est universel, et c’est précisément à partir de ce combat que peut naître la justice. Ce faisant, Héraclite avait, deux siècles avant Aristote, rejeté à l’avance le principe de non-contradiction au profit de l’opposition des contraires. C’est pourtant la rationalité aristotélicienne, qui repose sur les principes de non-contradiction, d’identité et du tiers exclu [8], qui a conquis le monde occidental et qui innerve tout notre droit positif. Sans doute, cette rationalité, qu’Arthur Koestler appelle la « logique du commissaire » [9], a-t-elle une fonction morale, pacificatrice et donc utilitariste. Elle vise à découper le réel selon des formes unitaires, ce qui permet d’évacuer toute ambivalence et d’exorciser tout différend. Ce qui explique d’ailleurs sa fortune dans la sphère juridico-morale. Mais n’est-ce pas précisément dans le fait de vouloir en finir avec l’ambivalence au moyen de stipulations qui tendent à l’univocité que réside l’arbitraire ?
4Il est vrai que la rationalité aristotélicienne n’est pas le seul mode de pensée possible. En d’autres points du temps, en d’autres lieux du monde, des modes de pensée font place à la raison contradictoire. Ainsi, dans la philosophie orientale, par exemple le taoïsme, c’est de la polarité des opposés (yin et yang) que peut naître l’harmonie [10]. De même, en Occident, des voix se sont élevées qui ont ouvertement croisé le fer avec la logique orthodoxe pour promouvoir des modes de pensée contradictoires et paradoxaux [11]. Nombre de philosophes, comme Hegel ou Marx, se sont appuyés sur les fragments d’Héraclite, pour soutenir la créativité de la lutte, de l’entrechoc du positif et du négatif, du bienfait des violences engendrant du nouveau, de la mort comme accoucheuse de la vie [12]. Certains furent maudits, mais seulement en leur temps, car si l’on se souvient de Schopenhauer, de Nietzsche, de Simmel, de Weber ou encore de Bataille, qui a en mémoire le nom de leurs détracteurs ? Tous avaient pour point commun d’accepter le conflit, l’opposition des contraires, l’hétérogénéité comme source de vie. Tous avaient en commun d’accepter le négatif, la part d’ombre, la part maudite, la part du diable, comme principe génésique.
5Or, à l’heure actuelle, le discours ambiant ne cesse de scander à nos oreilles son aspiration au tout positif. En effet, on assiste de toutes parts à une montée en puissance de l’utopie prophylactique, qui vise à blanchir la société, à exterminer la part maudite, à pourchasser le négatif sous ses différentes formes, à ne laisser rayonner que les valeurs positives dans l’espoir de voir triompher le bien [13]. Comme si l’élimination du mal, du négatif était enfin à notre portée. Ce faisant, notre société se trouve en état de déficience immunitaire et devient extrêmement vulnérable et particulièrement intolérante à tout ce qui, de près ou de loin, apparaît comme étant négatif. Le corps social, comme le corps biologique, perd ses défenses naturelles, ce qui entraîne l’apparition de nouvelles maladies nées de l’entreprise de désinfection et rend nécessaire la mise en place de nouvelles prothèses. Une telle approche repose sur une pensée aseptisée de la société, réduite à un univers pacifié, débarrassé de ces encombrements que sont la violence, le conflit, le mal et la transgression. Seulement, en occultant le pôle négatif, en détournant l’attention de l’horrible réalité, elle ne fait que grossir le courant qu’elle rejette et ramener la violence au cœur de la cité. Le négatif est un invariant, et vouloir en faire l’économie expose nos sociétés à un énorme manque, qui entraîne un sursaut de violence et de barbarie. Lorsqu’il est dénié, refoulé, réduit, il ne peut que ressurgir autrement, incontrôlé, de manière sournoise et perverse. L’actualité en atteste de façon tragique.
6Au demeurant, le négatif dont il est question n’est pas seulement un principe moral. Certes, il peut parfois prendre la forme du mal, de la transgression ou de la violence. Mais indépendamment de toute forme morale, il représente tout ce qui apparaît « comme une ombre dans le tableau de la vie » [14] : la mort, la maladie, la souffrance, l’injustice, bref tout ce qui constitue la cible actuelle des utopies transhumanistes [15], dont l’objectif assumé est l’éradication de la part maudite. À travers ces « ratés », ce sont toutes les opacités propres à l’existence qui sont visées, ce qui rejoint l’engouement contemporain pour la transparence. Or, sans ombre, il n’est plus de vie possible. C’est ainsi qu’apparaît sournoisement une société de contrôle dans laquelle rien n’échappe à la visée orthopédique qui, sous couvert de bonnes intentions, conduit inexorablement à la domestication de l’homme comme l’a bien vu le philosophe Peter Sloterdijk [16]. Nous sommes soumis à une pensée de la radicalité et de la totalisation [17].
7Le droit lui-même ne sait plus où donner de la tête et se laisse absorber par cette entreprise de blanchiment consistant à refouler le négatif, à faire comme s’il n’existait pas [18]. Et tout cela se paie par une prolifération législative, censée combler tous les vides juridiques, pour assurer notre confort, notre bien-être, pour veiller sur notre santé et notre sommeil. Mais c’est un sommeil sans nuit. Dans le monde de l’uniformisation disciplinaire et de la peur de tout ce qui bouge, c’est-à-dire de tout ce qui est vivant, la loi se présente sous la forme des interdits les plus sévères. L’univers juridique actuel est celui d’une « morale sans éthique » [19], c’est-à-dire d’un monde où la loi, faute d’être intériorisée par la réciprocité des reconnaissances mutuelles, faute donc de faire sens commun, n’est « plus qu’une lettre cruelle, bête et meurtrière » [20]. Et c’est précisément de là que naît le soupçon : et si notre droit, qui tente d’assurer harmonie sociale, sécurité et convenance, tuait la vie et répandait chaos, violence et mort [21] ? Et si notre justice, au lieu d’être réellement juste, s’avérait un subtil système de ressentiment et de vengeance ? Et si la société occidentale, qui se croit supérieure à toute autre, était le fruit de notre décadence ? Et si c’était précisément la coexistence des opposés qui, de par leur tension même, donnait du sens à l’existence humaine en la dynamisant ?
8Plus que jamais aujourd’hui, nous avons besoin de « la pensée de midi », une pensée qui assume la contradiction et qui ne renonce à rien. Pour sortir la rébellion de sa léthargie, la contradiction de la relégation dont elle est l’objet et par suite, refuser de succomber à l’aplatissement du positif uniforme et à l’excès d’unilatéralisme susceptibles de déboucher sur une irruption du mal radical, il est intéressant de revenir au mythe grec, qui a la capacité de tolérer le négatif sans le dissoudre ni l’aseptiser, de le rendre productif au lieu de le désamorcer. Le mythe exprime en effet une forme de sagesse enracinée selon laquelle il vaut mieux accorder une place au mal irrépressible, sous peine d’être submergé par son irruption incontrôlée [22]. C’est qu’il reconnaît et accepte pleinement la logique contradictoire, suivant laquelle l’antagonisme, le conflit et autres oppositions ne se peuvent dépasser en une illusoire synthèse.
9Le propre du mythe est lié au fait qu’entre deux pôles opposés, deux termes contraires, il ne procède jamais par exclusion de l’un au profit de l’autre, et ne propose pas davantage un règlement de l’opposition. L’univers mythique est dans son ensemble contradictoire, mais les opposés coexistent. Les puissances qui le composent apparaissent regroupées en catégories fortement contrastées, entre lesquelles tout accord semble impossible. Les anciennes divinités chtoniennes appartiennent à un autre monde que les dieux de l’Olympe. Les puissances souterraines vivent en marge des autres, etc. Et pourtant, tous ces univers cohabitent. Dans le mythe, il y a l’ordre aussi bien que le désordre, la paix aussi bien que la guerre, la création aussi bien que la destruction, la pureté aussi bien que la souillure. C’est dire que le mythe réunit en lui tous les contraires, et que c’est précisément la coexistence des opposés qui, par leur tension même, donne des limites à l’arbitraire. À l’inverse, en l’absence d’opposition, tout intérêt, tout principe, qui se prend lui-même pour fin ultime, finit par s’aliéner et se détruire par renversement en son contraire [23]. Au-delà d’un certain point, toute posture trop unilatérale est menacée de retournement. Il s’agit là d’une véritable loi de réversion, dite d’énantiodromie [24], qui expose à un retour du refoulé : en actualisant exagérément l’un des pôles, on potentialise inévitablement le pôle opposé ce qui, au-delà d’un certain seuil, va entraîner sa résurgence [25].
10Il nous faut donc réapprendre à vivre en supportant l’ambivalence inexorable de toutes choses, car sans opposition, il n’est pas de vie possible. Néanmoins, deux écueils doivent être évités. Le premier est de tomber dans un dualisme manichéen, poussé à l’extrême par la pensée gnostique [26], qui conçoit les deux pôles (le bien et le mal) comme purement extérieurs l’un à l’autre. Or, pour qu’un pôle puisse s’inverser en son contraire, il faut qu’il le contienne déjà d’une certaine façon et l’implique en lui. Il convient de dépasser l’analyse en termes antinomiques afin de penser la complexité [27]. Le second écueil, non moins redoutable, est de viser une réconciliation des principes opposés pour aboutir à une synthèse [28]. Loin d’être indistincts et confondus, les contraires doivent cohabiter, selon une « logique de la connexion de l’hétérogène et non de l’homogénéisation » [29]. Ils interagissent sous la forme d’un enchevêtrement, où chacun devient la condition de l’autre en même temps que sa limite. Et l’on peut alors parler de coopération.
11Par conséquent, l’opposition des contraires ne peut être appréhendée ni par la dialectique, ni par un consensus mou, ni par la neutralité axiologique, ni par la fusion, mais plutôt par une approche « vitaliste » qui, à la fois confirme la nécessité d’une opposition, et la place dans un devenir d’allers-retours incessants entre les opposés, sans les dissoudre ni les affaiblir. Car, entre les pôles opposés, existe un mouvement incessant de va-et-vient, qui assure un équilibre, jamais figé, toujours renouvelé. Ce qu’il faut apprendre à penser, c’est la coexistence des contraires et la tension des opposés, ce qui permet non pas de les dépasser mais de les accepter dans leur affrontement et leur complémentarité. Il s’agit donc de ne pas choisir entre les contraires et de se maintenir sur la ligne de crête : « Au sommet de la plus haute tension, va jaillir l’élan d’une droite flèche ; du trait le plus dur et le plus libre », tels sont les derniers mots de L’Homme révolté.
I – La rébellion, entre mesure et démesure
12À en croire Camus, le temps du sacré est incompatible avec la révolte, qui ne peut donc se situer qu’avant ou après. Car, si le monde est entièrement régi par la volonté divine, il ne peut y avoir de conflit tragique. Et si le monde est, à l’inverse, réduit à la seule matière et dominé par la raison, il n’y a plus de dieu contre qui se révolter, et plus de tragédie non plus. En d’autres termes, la rébellion serait tragique ou ne serait pas. Toutefois, au sein de la pensée grecque, il est très difficile de distinguer la pensée tragique de la pensée mythique [30]. Si la tragédie grecque (iv° siècle av. JC), dont les principaux auteurs sont Eschyle, Euripide et Sophocle, est postérieure aux grands récits mythiques (ceux d’Homère et d’Hésiode notamment), elle reprend les mythes et les utilise pour poser, à travers eux, des problèmes relevant de la condition humaine [31]. Et si l’on se réfère à l’ensemble de ces sources, on ne peut que constater que la rébellion y occupe une place centrale. Qu’elle prenne la forme de la révolte, de la résistance, de la désobéissance, de l’indocilité, de l’indiscipline, du combat ou de la transgression…, elle est l’une des forces principales de la pensée mythique. Toutes les figures du mythe sont rebelles précisément parce qu’elles symbolisent les passions humaines. Or la passion est toujours divergente [32]. Elle est rebelle ou elle n’est pas.
13L’une des figures emblématiques de la rébellion face au pouvoir établi est évidemment celle de Prométhée. Prométhée qui, bravant la volonté de Zeus, apporta le feu aux hommes, opérant ainsi la révolution du temps des dieux et inaugurant celui des progrès de la raison humaine, n’est pourtant pas dépourvu d’ambivalence. Freud et tant d’autres ont montré comment il symbolise le fils qui prétend rivaliser avec le père et qui en prend les moyens. Plus largement, Prométhée représente l’homme révolutionnaire, le citoyen-fils qui a fait guillotiner le Roi-père, symbole du pouvoir religieux et politique. Mais il est aussi le symbole de notre humanité contemporaine, « qui prétend reprendre les pouvoirs qu’elle avait aliénés en les attribuant à un Créateur de l’univers, pour poursuivre et achever cette création selon ses propres attentes et y régner grâce à la science et à la technologie » [33]. Cependant, lorsque la technoscience ne s’étaye plus ni sur l’éthique, ni sur le politique, c’est la catastrophe qui menace. Prométhée évoque ainsi l’hybris, la folle tentation de l’homme de se mesurer aux dieux et de s’élever au-dessus de sa condition.
14D’après Jean-François Mattéi, le couple de catégories le plus fécond dans le champ de la pensée grecque est le couple hybris/diké [34], c’est-à-dire démesure/mesure. Il permet de traduire en termes éthiques le conflit entre les différentes lignées de dieux, qui renvoie à l’opposition chaos/cosmos. La pensée antique a su opposer l’hybris, la démesure forcenée qui s’apparente à la rébellion, à la diké, symbole de la loi et de l’équilibre. L’hybris est une notion que l’on peut traduire par démesure. C’est un sentiment violent inspiré par les passions, et plus particulièrement par l’orgueil. Le terme, que l’on trouve à plusieurs reprises chez Homère, signifie la violence injuste, l’insolence et l’outrage. Étymologiquement, il se rattache à huper, qui signifie « au-delà » [35]. Il s’agit, en effet, d’un dépassement, d’un empiètement sur un terrain interdit.
15À l’origine, l’hybris se réduisait à la transgression des seules lois sacrées. Sous cette première acception, le terme désigne un comportement caractéristique, une forme d’arrogance ou d’insolence, par laquelle l’homme oublie sa condition mortelle dans l’espoir de se rapprocher des dieux. Une telle offense provoque une sanction inexorable permettant le rétablissement de l’équilibre rompu. Cette démesure, frappée d’emblée du sceau de l’injustice, attire tôt ou tard, un châtiment aussi démesuré : la déesse Némésis, personnification de l’indignation et de la vengeance, vient punir le coupable [36]. Le mythe montre que tous ceux qui ont cherché à s’élever au-dessus de leur condition, à devenir l’égal des dieux, ont été punis par Némésis, déesse de la juste colère divine : Tantale, Niobé, Icare ou encore Phaéton, pour avoir voulu pactiser et/ou rivaliser avec les dieux, s’en sont amèrement repentis.
16Cela étant, la notion d’hybris ne concerne pas seulement les relations entre les hommes et les dieux, et s’étend également aux relations entre humains, mais elle exprime toujours une transgression des limites raisonnables qui doivent présider à leurs actions. Pour Platon, Némésis est en fait la messagère de la justice humaine, la dikes angelos [37]. L’étymologie de némésis, dont la racine nem a donné le nomos, montre qu’à travers la sanction du coupable, c’est le rétablissement de la loi de la mesure qui est accompli. Le terme nomos vient du verbe nemein, qui signifie : partager, répartir. Il exprime l’idée d’une mise en ordre supérieure, par l’attribution à chacun de ses droits et devoirs. En veillant à ce que la mesure soit respectée, la diké participe de l’instauration des limites [38]. Le mot grec peras, que l’on peut traduire par « terme », « limite » ou « borne », s’oppose à l’apeiron, c’est-à-dire l’illimité, conçu par le philosophe présocratique Anaximandre, comme le principe de toutes choses [39], mais qui représente au fond le chaos. L’établissement d’un ordre conforme à la diké suppose donc la mise en place d’une loi, susceptible de contenir les éléments chaotiques et hubristiques du monde. On comprend dès lors le rapprochement que la langue grecque instaure entre nomos, la « loi », némésis, le « partage légal », et Némésis, la « déesse du partage » qui « s’indigne » devant ceux qui défient la loi de répartition [40].
17Celui qui, à travers ses actes ou ses paroles, est atteint par l’hybris sort de la communauté politique des hommes, se place en dehors de celle-ci et le résultat concret ne peut être que la mort, la fuite ou l’exil. Il devient sans foi ni loi, il devient apolis. Ainsi, l’Antigone de Sophocle peut être analysée comme une tragédie de l’hybris [41]. Dans cette pièce, Antigone incarne, dit-on, la révolte de la conscience face au pouvoir et à la raison d’État en refusant d’obéir aux ordres du roi Créon. Il y a de l’excès chez celle qui se sacrifie à la toute-puissance de la mort dont elle nie la réalité. Face à Créon, elle occupe la position de la rebelle. Antigone est une femme qui dit « non » et qui, ce faisant, affirme l’existence d’une frontière, d’une limite que Créon n’aurait pas dû franchir. Mais là où le bât blesse c’est que sa rébellion reste fondamentalement stérile. Elle ne crée rien, n’affirme rien et se contente de disparaître dans la tombe. Son action ne modifie en aucun cas les rapports vis-à-vis de l’ordre établi. In fine elle reste assez impuissante.
18Antigone explique en effet à la fin de la pièce, que si elle a fait tout cela, c’est parce qu’il s’agissait de son frère car, dit-elle, si son mari était mort, elle aurait pu en épouser un autre, et si l’un de ses enfants était mort, elle aurait pu en faire d’autres [42] ! Il apparaît que la passion d’Antigone pour son frère Polynice n’est que très éloignée de l’idée de justice, même si elle se déguise sous de sublimes motivations [43]. Antigone n’a pas su dépasser son attachement familial (philia) à l’égard de son père Œdipe et de son frère Polynice. Elle s’est cantonnée dans son rôle privé de fille et de sœur, sous-estimant ses devoirs civiques [44]. Elle n’a pas su effectuer le passage d’un monde privé (kosmos idios) à un monde public (kosmos koinos). Elle a manqué la séparation, la rupture, la différenciation. Produit d’un inceste, d’un déni de la génération, Antigone, dont le prénom évoque la « rebelle », est demeurée une enfant [45]. L’étymologie en atteste, puisqu’il se compose du grec anti qui signifie « contre », et de gennaô qui signifie « engendrer ». Emmurée vivante dans son orgueil, elle s’est enfermée dans le rôle d’une idiotès, terme qui désigne un comportement consistant à refuser toute participation à la vie publique.
19Quant à Créon, il s’est bâti une rationalité extrêmement réductrice. À ses yeux, la hiérarchie des valeurs est très simple : aucune revendication n’est tenue pour juste à moins d’être favorable à la cité, et aucun agent n’est juste sauf s’il est à son service. Il y a chez Créon cet entêtement à s’en tenir à un seul principe, un seul intérêt, tenu pour supérieur à tous les autres : l’intérêt supérieur de la cité est pour lui le bien suprême. Celui dont le prénom signifie « le maître » a une vision purement disciplinaire de son rôle de chef. Il exige une obéissance docile de la part des citoyens aussi bien dans ce qui est juste que dans ce qui ne l’est pas [46]. Ses deux mots favoris pour décrire le monde sont : orthos (droit) et orthoô (redresser). Sa conception est tout au plus orthopédique. Mais elle n’est pas conforme à l’idée de justice au sens large de ce terme [47]. Par son attitude intransigeante, Créon va pourtant provoquer les suicides consécutifs de son fils Hamon et de son épouse Eurydice. Il n’est pas anodin que le prénom de celle-ci signifie « vaste justice », et que son sort soit similaire à celui de l’épouse d’Orphée, son homonyme. Dans les deux cas, « vaste justice » est condamnée en raison du comportement d’un époux frappé par l’hybris : la volonté de pouvoir chez Créon, la volonté de savoir chez Orphée.
20Le ressort de l’action, le sens de la pièce, s’enlèvent donc sur le registre de l’hybris, une tentative de dépassement, qui transcende les limites de l’humain et la place qui lui est assignée. Ce qui est contestable en l’occurrence c’est qu’aucun des protagonistes n’accepte d’entendre le point de vue de l’autre. Chacun veut l’emporter sans discussion ; chacun veut « être sage tout seul ». Le problème est qu’une telle attitude, qui est une manifestation de l’hybris, péche par excès d’unilatéralisme. Dans ce conflit entre la loi des hommes et une exigence fondamentale de piété filiale, chacun a de très légitimes raisons à faire valoir qui ont chacune leurs forces et leurs faiblesses. Qui aurait l’audace de trancher entre le respect des lois familiales et la préservation de la cité ? Le dénouement de la tragédie met en évidence les conséquences funestes de postures trop unilatérales et nous montre qu’il n’est pas de justice sans affrontement.
21Ainsi donc, si la justice est mesure, cette mesure n’est pas la pensée unique et ne se résume pas à une orthodoxie rigide. Bien au contraire, la mesure passe par l’opposition, le conflit, l’antagonisme. Sans affrontement, il ne saurait y avoir de limite à l’excès, à la démesure, à l’unilatéralisme. La sagesse grecque a su reconnaître qu’un monde sans inimitié est un monde sans alliance, et que construire un modèle social réduit au consensus c’est renoncer au politique, « risquer l’anémie et l’entropie historique » [48]. À l’inverse, la rationalité contemporaine, utopique à cet égard [49], se donne pour objectif l’abolition des conflits. Elle espère purger le monde de toutes les querelles, les discordes, les différends. Or, son point faible est qu’elle se voue à un certain type d’aveuglement, ou de déni qui, au nom d’une finalité pacificatrice, finit par se traduire dans la platitude des valeurs culturelles et les mortes eaux du consensus. Cette vision utopique a pris en droit le visage du contractualisme, idéologie d’après laquelle l’être humain ne doit pas être soumis à d’autres limites que celles qu’il se fixe librement à lui-même [50]. Mais comme le montre le mythe, par exemple celui d’Œdipe, c’est précisément lorsqu’il se croit le plus autonome que l’homme est le plus docile jouet du destin. Le message qu’il délivre est l’impossibilité d’une radicale autonomie. Les Grecs ne connaissaient pas notre conception de la volonté libre et autonome. Pourtant ce sont eux qui ont inventé la démocratie, condition de la liberté politique…
22La « guerre » des dieux, qui traduit un « polythéisme des valeurs » selon l’expression de Max Wéber [51], est totalement assumée par le mythe. L’antagonisme des puissances divines a pour fonction essentielle de neutraliser ou de relativiser les unes par les autres. Le « pouvoir arrête le pouvoir », comme le disait Montesquieu de la démocratie. Le triomphe d’un dieu est toujours précaire, et par un équilibre dynamique, celui qui a été vaincu ou diminué, finit toujours par resurgir pour triompher à son tour. Il ne saurait être question de toute puissance dans le polythéisme [52]. Elle est éliminée par la rivalité des dieux entre eux, et de plus, ils sont tous dominés par le destin, aux arrêts duquel ils sont de toute façon assujettis. Même la souveraineté que l’un d’entre eux possède dans son domaine de compétence n’est qu’une puissance relative. Cette sagesse antique peut faire office de modèle : on est en présence d’une structure pluraliste où chacun a sa place [53]. Et c’est précisément cette tension entre des forces opposées, cette logique polyphonique qui, lorsqu’elle est reconnue, permet d’assurer le pluralisme des valeurs. La logique polyphonique, qui tient compte simultanément de valeurs non concordantes, introduit de l’indétermination et de la variabilité, et fait naître du nouveau : l’aspect bouillonnant, bariolé, baroque du mythe est en corrélation avec le caractère dynamique d’un devenir. Ce « vitalisme » repose sur l’antinomie des valeurs, le polythéisme du Panthéon, où chaque entité ne peut exister qu’en fonction de son opposé.
23Le mythe, loin de préconiser l’abolition des contradictions par une solution harmonieuse, assume le pluralisme des valeurs et la nécessité de prendre en compte l’hétérogénéité de toutes les situations. Assurément, l’hétérogénéité peut engendrer de la violence, tout au moins du conflit, mais la violence et le conflit peuvent aussi être source de vie. Alors que l’homogénéité, si elle semble plus pacifique, peut s’avérer mortifère [54]. Sans doute, une telle conception peut-elle masquer une vision du monde purement guerrière qui n’est pas conforme à l’air du temps. Tant il est vrai que pour l’idéologie contemporaine dominante, seule la paix apparaît comme désirable. La guerre et le conflit sont considérés comme des anomalies qu’il faut éradiquer. Pourtant, au même titre que le chaos, la guerre est un invariant qui fait retour, périodiquement, dans la vie des sociétés [55]. Et tant que nous refusons de reconnaître cette réalité, tant que nous la refoulons, nous laissons grossir la guerre dans le lit de l’impensé, de sorte qu’elle peut se transformer en « guerre totale », c’est-à-dire en extermination pure et simple [56]. Ce qui est dangereux c’est de le nier. Car, à trop occulter cette réalité, on tombe dans une vision utopiste qui péche par excès d’angélisme et se révèle dangereuse.
II – La fécondité de la rébellion
24On pourrait craindre que le rebelle ne soit un « faiseur de guerre » ; bien au contraire, c’est le refoulement des conflits, en tant que multiplicités en devenir, qui nous condamne au retour sinistre du pur affrontement. Du reste, si les mythes décrivent les conséquences funestes de la démesure, de l’hybris, leur approche est ambivalente. La perception grecque de l’hybris n’est pas seulement négative. En effet, le terme peut être mis en rapport avec le mot bia, c’est-à-dire la force violente, qui reste proche de bios, la vie [57]. Ce qui signifie que la démesure porte en elle un principe dynamique et créateur. Par sa violence, elle vient à chaque instant rappeler la mesure à l’ordre et lui interdire de se complaire dans une modération sans limites [58]. Car, la mesure elle-même peut se transformer en démesure.
25Ainsi, lorsqu’il est fait mention de l’opposition Apollon-Dionysos, c’est pour signaler que Dionysos équilibre Apollon et inversement [59]. Apollon, dieu de l’ordre, de la mesure et de l’harmonie des formes, a pour complément Dionysos, qui symbolise la démesure, l’outrance et la débauche. Or la mesure apollinienne est sans cesse menacée par la rigidification, la pétrification, l’immobilisme, et donc la mort. C’est dire que la démesure peut s’avérer nécessaire pour transférer son énergie vitale à la mesure des lois humaines. En tant que dieu de la fête, Dionysos, éternel rebelle, ouvre une brèche dans la représentation solaire et seulement apollinienne du monde grec. Il nous rappelle que le monde, le cosmos, est de tout temps un chaos, et que le masque de la mesure sur la démesure est notre première et dernière violence [60]. Au fond, la diké n’est que l’autre face de cet orgueil proprement humain qu’est l’hybris, au même titre que le pharmakon au sens de remède n’est que l’autre face du poison.
26Il faut cependant aller plus loin. Seule la démesure permet à l’humanité de reconnaître sa mesure. C’est en effet à partir de la transgression des limites que peut s’instituer la diké, la justice, comprise alors comme le produit de l’hybris. La destruction des limites et des frontières conditionne l’instauration des bornes [61]. C’est toujours l’hybris qui appelle par son excès, au même titre que le châtiment de Némésis, la mesure de la diké. En d’autres termes, l’hybris fait partie du mécanisme de restauration de l’ordre, parce qu’à l’excès, la démesure provoque la catastrophe, qui nécessite ensuite un rétablissement des limites, d’un ordre qui a été troublé. L’hybris permet donc de poser des limites [62].
27De fait, la sérénité apollinienne, emblème de la mesure et de l’ordre, apparaît comme le résultat d’une longue série de conflits et de transgressions. Apollon n’est nullement dépourvu d’ambiguïté puisqu’à côté de sa dimension solaire, il comporte une dimension obscure qui en fait le protecteur des meurtriers [63]. En réalité, si Apollon symbolise la loi et l’ordre, c’est parce qu’il a dû lui-même s’écarter du désordre et du mal. Car, s’il est devenu le dieu qui écarte le mal (apotropaios) et le purificateur par excellence (katharsios), c’est que lui-même a dû être purifié après le meurtre du Python [64]. C’est la raison pour laquelle les meurtriers et ceux qui ont transgressé les interdits les plus sacrés, finissent généralement, à la suite d’une longue errance, par s’adresser au dieu de Delphes, qui les oriente vers tel ou tel territoire pour y fonder une cité.
28Au demeurant, tous les grands récits fondateurs nous montrent que la civilisation est née dans la violence, et que l’histoire n’est que la répétition infinie du crime de Caïn. Ils sonnent tous comme autant d’histoires criminelles. Mais ils nous montrent aussi que si un ordre, c’est-à-dire un cosmos, a pu se mettre en place, c’est justement par une série de divergences, de ruptures violentes, de rébellions et de crimes. Car c’est en luttant pour se délivrer des puissances du chaos et des terribles effrois qu’elles suscitent, que l’homme a pu devenir un héros fondateur. Il n’est donc d’histoire que rebelle. Ainsi, la Théogonie d’Hésiode évoque la mise en ordre progressive d’un chaos primordial par des dieux qui se succèdent les uns aux autres, toujours dans la violence. Et cet ordre est issu d’une suite de rébellions contre le père : Kronos émasculant Ouranos avec la complicité de sa mère, par la suite lui-même détrôné par Zeus, son fils, qui sera à son tour menacé par ses propres enfants….
29C’est parce qu’à l’origine, l’univers était plongé dans le chaos, l’indifférenciation de toutes choses, qu’est apparue la nécessité de créer le droit. C’est parce qu’ils ont fait l’expérience de l’abîme, du chaos, du non-sens, que les hommes ont inventé le nomos. Tout se passe donc comme si le désordre, la confusion et la violence originelle avaient contribué à la mise en place d’un ordre juridique. Car, si la violence s’apparente au chaos, à la barbarie, le droit, en revanche, apparaît comme le fondateur et le garant d’un ordre par le soulagement qu’il apporte [65]. Le crime originel marque le début de l’histoire des sociétés par l’irruption du mal, puisqu’il constitue le premier mobile de dresser des interdits, pour ériger une loi et corollairement pour imposer une sanction en cas de transgression [66]. Le crime est la raison d’être de l’invention du droit, qui répartit les mérites et les torts, qui distingue les victimes de leurs bourreaux [67]. Et c’est en découvrant la possibilité de faire le mal que le sujet accède à la conscience, dans une horreur absolue vis-à-vis de lui-même, et peut ainsi se poser en sujet de droit.
30Cela dit, les juristes sont demeurés peu sensibles à cette histoire de la violence fondatrice. La pensée du meurtre est absente de la doctrine juridique [68]. Celle-ci s’en tient aux catégories traditionnelles, telles que le contrat social, l’intérêt général, le bien commun… mais elle répugne à penser le plus révoltant, c’est-à-dire l’injustice et le mal. Pourtant, c’est par le plus révoltant que la société est passée de l’état de chaos à un état de droit. En ce sens, la doctrine s’en tient à une posture trop unilatérale, qui ne tolère pas l’hétérogénéité que constitue la violence. Or, la fondation de la société, ce qu’on appelle le collectif, est toujours précaire et toujours menacée de disparaître. Ce qui a présidé à la fondation d’un ordre finit toujours par s’user, par perdre de son intensité primordiale. La justice elle-même ne peut échapper à l’entropie inexorable de toute chose. Et dans ces moments inévitables de saturation, force est de reconnaître à la violence une fonction de renouvellement. C’est dire que la violence est non seulement fondatrice mais qu’elle est aussi régénératrice. René Girard a raison d’affirmer que si les hommes ne peuvent vivre dans la violence, ils ne peuvent pas vivre trop longtemps, non plus, dans l’oubli de cette violence, ou dans l’illusion qu’il est possible d’en écarter tous les éléments maléfiques [69]. La société est née du crime et elle perdure grâce au crime.
31Le rêve de la mesure, de l’ordre, ne mettra jamais un terme, ne bornera de sa limite, ou n’imposera de mesure à la démesure qui est constitutive de la vie [70]. En tout état de cause, les forces de la violence et de la démesure sont impossibles à maîtriser. La seule chose à faire consiste à les reconnaître, à les accepter, à leur accorder une place dans l’univers ordonné par la diké. Seule une telle stratégie de type vaccinatoire, ou homéopathique [71], peut permettre à la violence de s’exprimer d’une manière cathartique. La mise en scène ritualisée de la violence permet de l’extérioriser, en même temps qu’elle reconnaît la part inévitable de l’altérité en toutes choses. La théâtralisation de l’hybris, de l’excès, du désordre est le seul moyen d’amadouer la part du diable [72]. Lorsqu’elle est canalisée, la violence participe de manière fonctionnelle à la restauration du collectif, à la régénération sociale, à la pérennité de la société [73]. À l’inverse, lorsqu’elle est occultée et refoulée, cette même violence devient destructrice du social, selon des formes sanguinaires dont l’histoire et l’actualité nous montrent le paroxysme et les ravages.
32Les mythes et les tragédies antiques ne parlent que de cela. Avec Les Bacchantes, Euripide a consacré à Dionysos sa dernière tragédie produite en 405 avant J.C. [74]. Après plusieurs années d’errance, Dionysos revient chez lui à Thèbes. Il arrive au moment où Penthée, fils d’Agavé, elle-même sœur de Sémélé, est roi de Thèbes. Il se présente masqué, déguisé en prêtre ambulant, portant les cheveux longs. Entouré de femmes, les ménades, il souhaite introduire dans la cité un ferment qui ouvre sur une dimension nouvelle de l’existence quotidienne [75] : la luxure, le dérèglement, la transgression, l’excès sous toutes ses formes. Il est, rappelons-le, le dieu de la débauche, de l’orgie. Seulement le roi Penthée, qui incarne l’archétype de l’homme grec, convaincu de la supériorité de la raison et du contrôle de soi, refuse de reconnaître la divinité de Dionysos. Et c’est justement pour cette raison qu’il finira décapité par sa propre mère, elle-même sous l’emprise du délire et de la mania. En refusant d’accorder une place à la licence, en rejetant l’élément étranger, le barbare et le sauvage, le roi Penthée court directement à sa perte. L’interprétation psychanalytique peut y voir un retour du refoulé [76]. Mais sur le plan politique, il se pourrait bien que cette attitude intransigeante montre les conséquences néfastes d’un repli de la cité sur ses propres frontières.
33Dès lors que la cité refuse d’intégrer cet élément d’altérité, elle s’expose à un retour de l’autre dans sa figure la plus hideuse [77]. En excluant l’élément étranger, le sauvage et le barbare, en refusant de l’associer, la cité elle-même finit par basculer dans le chaos et s’effondre. La tragédie des Bacchantes exprime donc la nécessité de reconnaître l’élément d’altérité, cette part maudite [78], et de lui accorder une place. De la même façon, le mythe rapporte que lorsqu’on refusait au dieu Pan l’entrée dans la cité, il semait le désordre et la panique (mot dérivé de son nom). Alors que son acceptation ritualisée permettait d’en limiter les méfaits, à tout le moins les circonscrire. Au même titre que Pan, Dionysos symbolise la résurgence du principe barbare et sauvage, lorsqu’il n’a pas été assimilé. La reconnaissance de la part maudite, de la débauche, de la dépense, et plus largement de l’altérité, est précisément ce qui fait cruellement défaut à l’heure actuelle dans notre société occidentale, si prompte à dénoncer la barbarie qui est en elle. En cela, le mythe peut nous apporter quelque leçon.
34À la différence de la rationalité contemporaine, la pensée mythique consiste à voir dans les contradictions de l’homme avec lui-même, non point le produit d’une aberration ou une étape d’un développement historique, mais quelque chose d’inhérent à l’homme. Pour une telle sensibilité, il s’agit de composer avec la part d’ombre. Ceci rejoint la conception tragique de Pascal : « L’homme n’est ni ange, ni bête, mais le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ». En refusant de reconnaître l’ambivalence fondamentale de l’homme, sa tendance au mal, ses terrifiantes aptitudes meurtrières, on ne fait que recréer les conditions propices à un renversement en un instrument aveugle, précisément asservi au mal. Pourquoi ? Parce que ce déni, au demeurant largement illusoire, risque d’inciter à projeter sur autrui ses propres tendances au mal [79]. Antoine Garapon et Denis Salas l’indiquent clairement : « le mal, il faut le regarder en face… Faute de l’aborder frontalement, faute de l’assumer, l’angélisme démocratique censé nous prémunir de la souillure, nous entraîne dans une spirale infernale » [80].
35Aujourd’hui, la part maudite ne trouve plus à s’exprimer que de manière paroxystique, sous la forme du terrorisme, qui manifeste un retour aux idéologies les plus radicales, là où précisément on croyait pouvoir stériliser toute forme de conflit à coups de discours plus ou moins lénifiants sur la paix et les valeurs universelles [81]. En ne laissant plus de place à l’excès, en constellant toute l’existence de règles précises, rigoureuses et impératives, qui visent à éradiquer tout écart par rapport à une norme, en rejetant toute expression de la négativité [82], notre rationalité occidentale s’est exposée à un retour du refoulé. Toute prohibition, poussée à l’excès, conduit à un retour en force de ce que l’on dénie. Lorsqu’on refuse d’injecter une dose homéopathique de violence, celle-ci revient par des voies détournées, des voies perverses [83]. Ceci est particulièrement flagrant lorsque la violence est monopolisée par une structure dominante, comme l’État ou le Marché, c’est-à-dire une organisation qui ne tolère aucune part d’ombre et se propose, ni plus ni moins, d’éradiquer toute anomalie par rapport à la norme. Dans ce cas, on assiste à une stérilisation de la société, afin que les zones obscures du social s’éclipsent derrière une aseptique normalité. Et quand tout cet édifice explose, personne ne paraît responsable, et personne ne veut reconnaître que cette masse rationnellement organisée, que l’on appelle État ou Marché, est mue par des forces invisibles, qui appartiennent aux puissances de destruction [84].
36Ne pas reconnaître la violence qui se trouve au fondement même de la société, ne pas lui laisser l’occasion de se manifester à dose homéopathique, vouloir tout réguler, normaliser, contrôler, revient en fait à produire des foyers de destruction au sein même de la structure. Nous voyons alors des personnes s’autodétruire au nom de différentes idéologies, plus folles les unes que les autres, au nom de théories puériles relatives à la meilleure façon d’instituer le Paradis sur terre, et de revenir à un hypothétique âge d’or. Nous assistons à une véritable explosion du « mal radical » au sens kantien, dans le prolongement duquel Hannah Arendt a décrit la « banalité du mal » [85]. Il ne faut pas être grand clerc pour voir que les puissances souterraines, refoulées, qui étaient précédemment domestiquées et enchaînées avec plus ou moins de bonheur, n’ont jamais pu être éradiquées. L’irénologie aux fins de paix universelle, tout à fait estimable en théorie, ne doit pas et ne peut pas occulter le polémos qui est le propre de notre humaine (trop humaine) nature [86].
Notes
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[1]
Balzac, Correspondances, V, 556-557.
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[2]
P. Muray, Essais, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 1265 s.
-
[3]
Ibid., p. 730.
-
[4]
M. Benasayag et A. Del Rey, Éloge du conflit, Paris, La Découverte, 2007, p. 81.
-
[5]
Le terme est issu du latin rebellare, qui signifie reprendre les hostilités, se révolter, se soulever, s’insurger, résister, s’opposer, lui-même composé du préfixe re, préfixe de retour en arrière, à nouveau, et de bellare, faire la guerre, combattre, A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert.
-
[6]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, Cabris, Sulliver, 2009.
-
[7]
Héraclite, Fragments, Paris, Flammarion, 2004, n° 51.
-
[8]
Aristote, Métaphysique, Paris, Flammarion, 2008, p. 4 ; J. Lukasiewicz, Du principe de contradiction chez Aristote (1910), Cahors, L’Eclat, 2000.
-
[9]
A. Koestler, Janus, Paris, Calmann-Lévy, 1979.
-
[10]
M. Granet, La pensée chinoise, Paris, Albin Michel, 1968 ; F. Jullien, L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Paris, Gallimard, 2017.
-
[11]
Y. Barel, Le paradoxe et le système, Presses universitaires de Grenoble, 2008 ; J.J. Wunenburger, La raison contradictoire, Paris, Albin Michel, 1990.
-
[12]
J.J. Wunenburger, Le combat est le père de toutes choses, Héraclite, Nantes, Pleins Feux, 2005, p. 9.
-
[13]
J. Baudrillard, La transparence du mal, Essai sur les phénomènes extrêmes, Paris, Galilée 1990, p. 88.
-
[14]
F. Jullien, Du mal/du négatif, Paris, Seuil, 2004.
-
[15]
Le « plus » est le leitmotiv central du transhumanisme : « H+ » est son signe de reconnaissance ; sur cette question, cf. Le transhumanisme, Approche pluridisciplinaire d’une nouvelle utopie (sous la dir. de P. Pédrot et P. Larrieu), Journal international de bioéthique, 2018.
-
[16]
P. Sloterdijk, Règles pour le parc humain, La domestication de l’Être, Paris, Mille et une nuits, 2010, p. 86.
-
[17]
D. Lecourt, La transparence mène à une tyrannie souriante, Figarovox, 10 fév. 2017.
-
[18]
A. Garapon et D. Salas, Le « salaud » de la démocratie, in La justice et le mal, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 9.
-
[19]
P. Ricœur, Éthique et morale, Lectures 1, Paris, Seuil, 1991, p. 256 s..
-
[20]
J. Florence, Le désir de la loi, in Ouvertures psychanalytiques, Bruxelles, PU Saint Louis, 1985, p. 243.
-
[21]
F. Nietzsche, Par-delà bien et mal (1885), Paris, Flammarion, 2000 ; P. Valadier, Nietzsche, Cruauté et noblesse du droit, Paris, Michalon, 1998.
-
[22]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, Paris, CNRS Editions, 2009, p. XV.
-
[23]
F. Ost, Le droit, objet de passions ?, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2018, p. 12.
-
[24]
P. Watzlawick, L’invention de la réalité, Paris, Seuil, 1988, p. 258.
-
[25]
S. Lupasco, Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie (1951), Monaco, Ed. Le Rocher, 1987, p. 9.
-
[26]
H.C. Puech, En quête de la gnose, Paris, Gallimard, 1978.
-
[27]
E. Morin, La méthode, Ethique, tome 6, Paris, Seuil, 2004, p. 262.
-
[28]
G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit (1807), Paris, Vrin, 2006, p. 240 ; comp. T.W. Adorno, Dialectique négative (1966), Paris, Payot, 2016, p. 192 suiv.
-
[29]
M. Foucault, Naissance de la biopolitique (1978-1979), Paris, Gallimard, 2004, p. 44.
-
[30]
L. Gernet, Droit et institutions en Grèce antique (1982), Paris, Flammarion, 1999, p. 20.
-
[31]
J.P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1974, p. 206.
-
[32]
F. Ost, Le droit, objet de passions ?, op. cit.
-
[33]
H. Fischer, CyberProméthée, Montréal, VLB Editeur, 2003.
-
[34]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 27.
-
[35]
L. Gernet, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce (1917), Paris, Albin Michel, 2001, p. 18, note 1.
-
[36]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 27.
-
[37]
Platon, Les Lois, Livre IV, 717 d.
-
[38]
C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, D’Homère à Héraclite (1982-1983), tome 1, Paris, Seuil, 2004, p. 289.
-
[39]
J.P. Dumont, Les écoles présocratiques, Paris, Gallimard, 1991, p. 579.
-
[40]
J.F. Mattéi, Platon, Paris, PUF, 2010, p. 85.
-
[41]
M.C. Nussbaum, La fragilité du bien, Fortune et éthique dans la tragédie et la philosophie grecques, Paris, L’Eclat, 2016, p. 61 et suiv.
-
[42]
Sophocle, Antigone, in Tragédies complètes, Préf. P. Vidal-Naquet, Paris, Gallimard, 1973, v. 908-915.
-
[43]
C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, La cité et les lois (1983-1984), tome 2, Paris, Seuil, 2008, p. 143.
-
[44]
J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie dans la Grèce ancienne (1972), Paris, La Découverte, 2001, p. 34.
-
[45]
J. Lacan, Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), livre VII, Paris, Seuil, 1986.
-
[46]
Sophocle, Antigone, in Tragédies complètes, op. cit., v. 662.
-
[47]
M.C. Nussbaum, La fragilité du bien, op. cit., p. 75.
-
[48]
P. Chiappini, Le droit et le sacré, Paris, Dalloz, 2006, p. 90.
-
[49]
Contrairement au mythe, l’utopie vise une conjonction du différend ; sur cette distinction cf. G. Sorel, Introduction à l’économie moderne (1903), Paris, Librairie Marcel Rivière, 1922.
-
[50]
A. Supiot, Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris, Seuil, 2005, p. 202.
-
[51]
M. Weber, Essai sur la théorie de la science (1917), Paris, Plon, 1965.
-
[52]
J. Burckhardt, Histoire de la civilisation grecque, tome 2 (1900), Vevey, Editions de l’Aire, 2002, p. 120.
-
[53]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. 157.
-
[54]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. 194.
-
[55]
M. Benasayag et A. Del Rey, Éloge du conflit, op. cit., p. 55.
-
[56]
G. Simmel, Le conflit (1908), Belval, Circé, 2003, p. 35.
-
[57]
G. Agamben, Homo sacer, Le Pouvoir souverain et la vie nue, vol. I, Paris, Seuil, 1997, p. 9.
-
[58]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 63.
-
[59]
F. Nietzsche, La naissance de la tragédie, (1886), Paris, Gallimard, 1986.
-
[60]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 113.
-
[61]
F. Nietzsche, La naissance de la tragédie, op. cit., p. 69.
-
[62]
C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, La cité et les lois, op. cit., p. 127.
-
[63]
M. Détienne, Apollon, le couteau à la main (1998), Paris, Gallimard, 2009.
-
[64]
M. Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, De l’âge de pierre aux mystères d’Eleusis, tome 1, Paris, Payot, 1976, p. 284.
-
[65]
P. Legendre, La fabrique de l’homme occidental, Paris, Fayard, 1996.
-
[66]
J.J. Wunenburger, Le combat est le père de toutes choses, Héraclite, op. cit., p. 18.
-
[67]
P. Larrieu, Mythes grecs et droit, Québec, Presses universitaires de Laval, 2017.
-
[68]
G. Lhuilier, Le corps assassiné, Banalité du mal, banalité du droit, in Le corps et ses représentations, (sous la dir. de E. Dockès et G. Lhuilier), Paris, Litec, 2001, p. 189.
-
[69]
R. Girard, La violence et le sacré, op. cit., p. 438.
-
[70]
J.F. Mattéi, Le sens de la démesure, op. cit., p. 113.
-
[71]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. XV.
-
[72]
M. Maffesoli, La part du diable, Paris, Flammarion, 2002, p. 65.
-
[73]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. 141.
-
[74]
Euripide, Les Bacchantes, Paris, Ed. de Minuit, 2005.
-
[75]
J.P. Vernant, L’univers, les dieux, les hommes, Paris, Seuil, 1999, p. 182.
-
[76]
S. Freud, Le malaise dans la civilisation (1930), Paris, Points, 2010.
-
[77]
J.P. Vernant et P. Vidal-Naquet, La Grèce ancienne, Rites de passage et transgressions (1992), tome 3, Paris, Points, 2009.
-
[78]
G. Bataille, La part maudite, (1949), Paris, Ed. de Minuit, 2011, p. 63.
-
[79]
C.G. Jung, Présent et avenir (1962), Paris, Buchet/Chastel, 1995, p. 91.
-
[80]
A. Garapon et D. Salas, Le « salaud » de la démocratie, in La justice et le mal, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 9.
-
[81]
M. Benasayag et A. Del Rey, Eloge du conflit, op. cit., p. 63.
-
[82]
F. Jullien, Du mal/du négatif, Paris, Seuil, 2004.
-
[83]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. XV.
-
[84]
C.G. Jung, Aspects du drame contemporain, Genève, Georg & Cie, 1948, p. 205.
-
[85]
H. Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal (1963), Paris, Gallimard, 1991.
-
[86]
M. Maffesoli, Essais sur la violence, banale et fondatrice, op. cit., p. IX.