Notes
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[1]
Doctorante en sociologie à l’Université de Montréal, rattachée au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) ; carole.yerochewski@umontreal.ca.
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[2]
Selon le ministère de l’Emploi cité par le journal Folha de São Paulo (avril 2009), le taux de syndicalisation des travailleurs formels est de 25 %. Il s’agit toutefois plutôt d’un taux de couverture syndicale. Si on rapporte le nombre de syndiqués (4,838 millions) au nombre de travailleurs formels, le taux de syndicalisation est de 12,54 %.
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[3]
L’intérêt d’appuyer des coopératives de Catadores (ramasseurs et trieurs de déchets) a aussi cheminé du fait de la mobilisation de ces derniers, qui créeront en 1999 le MNCR (le Mouvement national des Catadores de matériaux recyclables), et du fait des incitations, sous forme d’appels d’offres et de décrets, du gouvernement Lula à développer des chaînes de valeur dans le recyclage, à la demande du MNCR.
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[4]
Ces fausses coopératives ont proliféré à partir de 1994, date à laquelle la loi a été modifiée pour considérer les coopératives comme « autonomes », c’est-à-dire indépendantes a priori de leurs donneurs d’ordre. Or, au Brésil, le statut de coopérateur est comparable à celui du travailleur indépendant. Contrairement à la législation française par exemple, la loi brésilienne sur le coopérativisme (1971) prévoit en effet que les coopérateurs ne peuvent avoir le statut de salariés (et vice-versa). En conséquence, si le chiffre d’affaires est faible, le niveau de revenu du coopérateur peut, comme celui d’un travailleur indépendant, être inférieur à ce qu’un travailleur formel devrait percevoir en termes de salaires direct et indirect. Par ailleurs, une coopérative peut embaucher des salariés ; ceux-ci ne participent donc pas aux décisions mais doivent bénéficier d’un livret de travail et des droits collectifs afférents.
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[5]
Au Brésil, près des trois quarts des inégalités sont créés ou révélés par le marché du travail (Banque mondiale, 2002, cité par Problèmes économiques, n° 2871, du 16 mars 2005). Au sein de ces trois quarts, 40 % des inégalités proviennent de la segmentation entre marché formel et informel et des discriminations, 51 % des différences de formation initiale, la possession d’un diplôme étant bien plus récompensée au Brésil que, par exemple, aux Etats-Unis.
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[6]
Voir à ce sujet les travaux sur la démocratie participative et délibérative de Baiocchi (2003) et Blondiaux (2005) concernant les conditions d’une participation effective de populations socialement dominées.
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[7]
Ces résultats font partie d’un travail de recherche en vue de l’obtention d’un doctorat en sociologie à l’Université de Montréal (Québec).
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[8]
A l’origine, ces organisations regroupaient ce qu’on pourrait appeler les notables locaux, associations de commerçants et d’affaires, professions libérales, qui considéraient que l’ABC n’était pas suffisamment représentée dans les organes de décision politico-institutionnels du pays. Ce sont elles qui ont sollicité les syndicats, alors désignés comme les responsables de la désindustrialisation de la région, et des ONG, notamment dans l’environnement.
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[9]
Pour un aperçu plus exhaustif des positions en présence, voir notamment Sarria Icaza (2008).
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[10]
Ce projet de loi a finalement été adopté après moult pérégrinations et amendements. La mouture finale a assoupli la façon dont les coopératives devaient se conformer à la loi en redonnant aux coopérateurs un pouvoir sur leur façon de gérer.
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[11]
Alors la principale ville de l’ABC, où se déroulait l’un des budgets participatifs exemplaires au Brésil avec celui de Porto Alegre. Les deux villes ont été longtemps dirigées par le Parti des Travailleurs.
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[12]
Un des dirigeants de ce syndicalisme rural a été pour plusieurs mandats secrétaire de formation de la CUT.
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[13]
Pour une présentation exhaustive de l’économie solidaire et des politiques publiques dans le RS, voir Sarria Icaza (2008).
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[14]
Programme de lutte contre la pauvreté créé par le gouvernement Lula, qui consiste notamment à verser une allocation aux familles qui scolarisent leurs enfants.
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[15]
Les syndicats de l’ABC ont choisi de leur côté d’aider la construction de citernes dans le Nordeste.
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[16]
Implicitement, cette personne fait référence à la difficulté à mener des débats dans la CUT du fait des incessantes batailles de pouvoir entre les divers courants idéologiques (Rodrigues, 1997, entretiens 2008).
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[17]
Ceci au nom d’une « bataille pour conquérir l’hégémonie ». Pour une présentation plus exhaustive, voir Sarria Icaza (2008).
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[18]
Ce que sont les syndicats dans une société capitaliste.
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[19]
On ne discute pas ici le fait de considérer la Californie – dans laquelle se déroule l’étude de cas de Ganz – comme « homogène ». On discutera ultérieurement la notion de contexte ou espace local, qui, en toute rigueur, ne peut être assimilée à un espace géographique (Latour, 2007).
-
[20]
La municipalité de Santo André a d’ailleurs fait évoluer ses critères de sélection pour favoriser la création de coopératives populaires à partir des groupes d’habitants et a accepté de développer un accompagnement sur le long terme, misant sur la qualité de la démarche (soit la possibilité que les coopérateurs prennent vraiment en main la gestion solidaire de la coopérative) plutôt que sur les résultats quantitatifs de court terme (créer le plus de structures possible).
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[21]
Différentes raisons peuvent être invoquées, mais on peut supposer que la stratégie suivie par le SMABC, au tournant des années 1990, pour asseoir la légitimité de la CUT face à ses rivales (Rodrigues, 1997) a pu contribuer à briser des liens individuels ou collectifs avec la société civile.
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[22]
Les éléments sur la politique d’incubateur de coopératives de Santo André et l’attitude d’Unisol SP proviennent de la recherche documentaire.
Introduction
1De manière plus ou moins prononcée selon les pays, les syndicats peinent à défendre et à représenter des travailleurs (femmes, immigrés, chômeurs, précaires, pauvres, etc.) qui ne font pas partie de leur membership traditionnel. Ces catégories se retrouvent ainsi plus souvent sur les emplois atypiques et leurs aspirations se traduisent rarement en termes de revendications. Face à cette situation, peu de syndicats ont cherché à élargir ou rehausser leur représentativité en développant des stratégies qui répondent aussi aux besoins et aspirations de ces catégories de travailleurs. Plus troublant, quand des syndicats le mettent à leur agenda, ils n’arrivent pas toujours dans les faits à organiser ces travailleurs et peuvent même adopter des politiques qui vont à l’encontre de leur mobilisation collective. C’est notamment le cas au Brésil, comme le montre l’examen des pratiques de deux syndicats de métallurgistes de la CUT (Centrale unique des travailleurs) en direction des travailleurs dits informels (voir encadré 1).
Encadré 1. Travailleurs formels et informels
Cette situation a été tolérée tant que le marché du travail formel semblait régulièrement absorber des travailleurs informels (qui sont le plus souvent des femmes, des minorités ethniques, etc.). Après la crise des années 1980 (la « décennie perdue ») et surtout celle des années 1990, qui a violemment secoué le Brésil, avec son cortège de faillites et d’explosion du chômage, le taux de travailleurs informels est remonté pour atteindre au début des années 2000 plus de la moitié de la population économiquement active. Avec le retour de la croissance sous les gouvernements Lula (2002-2010) et ses politiques plus systématiques de contrôle des entreprises, ce taux est redescendu mais reste tout de même supérieur à 30 % [2]. Il témoigne de la persistance des inégalités sur le marché du travail envers toute une frange de travailleurs qui ont été exclus de la représentation syndicale et qui le restent de facto, malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1988. Celle-ci a en effet formellement introduit l’universalisation des droits du travail et supprimé la tutelle de l’Etat sur les syndicats, leur laissant le choix de leur membership.
2Historiquement, les syndicats brésiliens représentent les travailleurs dits formels [2]. Mais en 1999, la CUT, qui est la principale centrale syndicale au Brésil, a adopté une politique pour représenter les travailleurs informels via l’économie solidaire. L’économie solidaire est en effet devenue le lieu de mobilisation et d’organisation de ces travailleurs informels ou pauvres (voir encadré 2). La CUT est la seule centrale syndicale à avoir fait ce pas en direction de ces travailleurs exclus des droits et de la syndicalisation. Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Encadré 2. L’économie solidaire brésilienne et ses principaux acteurs
Les activités de production peuvent être classées en trois groupes (Guimarães et al., 2006). Il y a d’une part les « entreprises récupérées », qui sont d’anciennes entreprises industrielles transformées en coopératives autogérées. Ces entreprises récupérées rassemblent essentiellement d’anciens travailleurs formels. Elles ont connu un développement à partir des années 1990, à l’initiative le plus souvent de syndicats de la CUT qui y ont vu un moyen de répondre aux pertes d’emplois massives liées aux faillites des entreprises.
On trouve, d’autre part, des coopératives d’artisans, de couturières, de Catadores (les ramasseurs et trieurs des déchets de la rue), etc. Ce type d’initiatives, qui organise typiquement des travailleurs informels ou des pauvres, a commencé à être soutenu dans les années 1980 par divers réseaux d’Eglise (dont le principal est Caritas), et par des mouvements sociaux (d’habitants, de chômeurs, etc.) ou, en ce qui concerne les coopératives d’agriculteurs familiaux, par le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et des syndicalistes ruraux qui ont rejoint la CUT. A partir des années 1990, dans la foulée des luttes contre la dictature puis pour « la démocratisation de la démocratie », ces initiatives ont connu un fort développement et certains secteurs syndicaux de la CUT ont pu collaborer à leur création – mais les pratiques de la CUT dans ce domaine ne sont pas du tout unifiées, comme l’illustrent les pratiques comparées des deux syndicats de métallurgistes étudiés (SMABC et SMGPA).
Enfin, principalement à partir des années 2000, le montage de coopératives a aussi été initié par des associations soutenues financièrement par des politiques publiques locales ou même créées directement par les services publics locaux, avec parfois des dérives prononcées en termes de dérégulation du marché du travail (certains Etats ou municipalités sont intervenus dans ces montages pour favoriser l’externalisation d’activités et des délocalisations entre Sudeste et Nordeste).
Lors du premier Forum social mondial, à Porto Alegre en 2001, toutes les organisations impliquées se sont retrouvées à l’occasion d’un atelier et ont créé le Groupe de travail sur l’économie solidaire, qui a présenté à Lula une série de revendications lors de la campagne présidentielle de 2002. Ce groupe de travail a débouché en 2003 sur la création du FBES. En 2004, celui-ci a organisé, avec l’appui financier du Secrétariat national de l’économie solidaire, la première rencontre nationale des Empreendimentos de Economia Solidaria (EES, terme générique qui désigne les personnes morales que sont les entreprises récupérées, les coopératives et les associations solidaires, n’ayant pas la vingtaine de membres nécessaires à la création d’une coopérative). La rencontre a réuni plus de 2 300 participants représentant ces EES. Le FBES est donc à la fois un lieu de débats, souvent conflictuels, entre les diverses organisations qui appuient ou représentent les EES et un lieu de participation directe de ces EES.
En 2007, selon l’état des lieux remis au Secrétariat national de l’économie solidaire, on recensait 22 000 EES où travaillent 1 700 000 personnes. Ce chiffre est à mettre en rapport avec le nombre de travailleurs informels dans la population active (95 millions en 2010). Il peut paraître faible. Mais l’économie solidaire revêt un caractère exemplaire car elle mobilise et organise des travailleurs habituellement exclus de la représentation institutionnalisée et cette expérience, « qui s’appuie sur des principes démocratiques, peut (...) laisser des traces (...) dans toute la société » (Leite, 2009).
3Ainsi, l’un des syndicats étudiés (le SMABC), qui se situe dans la région ABC, en bordure de São Paulo, et qui est d’ailleurs l’un des principaux initiateurs de la politique de la CUT, n’a réussi à mobiliser et organiser que des travailleurs issus de son membership traditionnel, tout en alimentant les contradictions entre les intérêts immédiats des travailleurs formels et informels. Ses pratiques sont pourtant innovantes à bien des égards : pour lutter contre le chômage, le SMABC a soutenu la transformation des entreprises en faillite en coopératives autogérées par leurs travailleurs ; il a aussi appuyé la création de coopératives dans des niches d’activité, comme le tri et le recyclage, qui ont été initiés par les pauvres parmi les pauvres, les ramasseurs de déchets dans les rues (aussi appelés Catadores) [3]. Le SMABC est en outre à l’initiative de la création, en 1999, d’une structure autonome de représentation des coopératives (baptisée Unisol São Paulo à sa création). Cependant, lorsqu’on examine qui participe à ces coopératives soutenues par le SMABC dans la région ABC, on constate qu’elles ne rassemblent pratiquement que d’anciens travailleurs formels, y compris lorsqu’il s’agit de coopératives de récupération et recyclage de déchets, comme c’est le cas de L., coopérative qui est présidée par un syndicaliste et dont les membres sont à 90 % d’anciens métallos qui ont perdu leur emploi. Ceci peut paraître logique eu égard aux segmentations des initiatives dans l’économie solidaire qui reproduisent en partie les segmentations sur le marché du travail (cf. encadré 2). Cependant, loin de les atténuer, la politique du SMABC contribue à les accroître. Ainsi, pour lutter contre les fausses coopératives, c’est-à-dire les coopératives suscitées par des entreprises pour externaliser à moindre coût leurs activités [4], le SMABC défend comme critères de reconnaissance des vraies coopératives le fait qu’elles assurent les mêmes droits collectifs de base, notamment en termes de rémunération, que ceux dont bénéficient les travailleurs formels. Or, une petite coopérative n’a pas nécessairement le niveau d’activité permettant d’assurer ces niveaux de revenus tout au long de l’année (quand bien même elle vendrait sa production aux prix du marché). Ces indicateurs assimilent ainsi à de fausses coopératives des initiatives qui peuvent être très innovantes en termes d’autogestion et satisfaire des besoins sociaux, mais qui ne répondent pas aux critères de compétitivité du marché. Au nom d’une défense des droits acquis, le SMABC s’oppose ainsi au développement de coopératives qui mobilisent les travailleurs informels.
4L’autre syndicat (SMGPA), qui se situe dans la métropole de Porto Alegre (ou Grand Porto Alegre), est parvenu à développer des projets collectifs avec les travailleurs informels mobilisés dans l’économie solidaire. Mais il l’a fait en s’écartant de la vision traditionnelle de la représentation des travailleurs. Le SMGPA ne se restreint pas à la défense des intérêts institutionnalisés (en terme de salaires minimaux, de durée du travail, etc.) mais prend en compte les besoins et aspirations qui s’expriment dans l’économie solidaire, considérant qu’elle trace des pistes pour repenser les relations de travail et l’organisation de la société. Ses critères d’appréciation des initiatives donnent la priorité, non à leur compétitivité, mais au fait qu’elles adoptent des pratiques démocratiques et qu’elles contribuent au développement personnel et à un rapport non prédateur avec le milieu ambiant. Le SMGPA met ainsi l’accent sur les pratiques réelles d’autogestion, sachant que des coopératives peuvent formellement tenir des assemblées générales mais maintenir des relations hiérarchiques et inégalitaires de travail [5]. En résumé, on peut dire que le SMGPA a adopté une autre vision de la transformation sociale et a élargi du même coup sa conception du « Nous les travailleurs », y intégrant tous ceux qui contribuent par leur mobilisation collective à dessiner un autre monde souhaitable. Ce qui l’a amené à repositionner le rôle du syndicat en promouvant des revendications (consommer équitable, de façon durable et produire solidairement, en respectant les égalités de genre, etc.) susceptibles de recréer des solidarités entre travailleurs formels et informels.
I – Représentation des travailleurs et évolution des identités collectives : une étude de cas
5L’examen comparé des pratiques de ces deux syndicats montre que ce qui les différencie est le fait que celui de Porto Alegre s’est engagé dans des interactions répétées avec ces travailleurs informels et de l’économie solidaire. Des travaux comme ceux de Ganz (2000) ont déjà montré que ces interactions avec les outsiders (versus le membership traditionnel) étaient une condition nécessaire à l’adoption de stratégies pertinentes. L’existence de telles interactions renvoie à la construction d’actions collectives produisant de nouvelles identités collectives. On retrouve ainsi qu’une condition du changement de stratégie syndicale est l’évolution des identités collectives de référence des syndicats. Ce résultat peut paraître trivial eu égard aux multiples travaux concernant le renouveau du syndicalisme, qui ont pointé déjà ce facteur. Mais le débat porte ici sur ce qu’on définit comme une identité collective et sur la façon dont les identités collectives de référence des syndicats peuvent évoluer et se transformer. Si l’on part de la définition proposée par Melucci (1996:70-71), l’identité collective n’est plus seulement un « stock » de valeurs et normes mais intègre des interprétations cognitives des enjeux, ou des contraintes et opportunités, liées au contexte de l’action collective. L’identité collective est alors susceptible d’évoluer ou de se reproduire en fonction des interprétations cognitives – portant sur les raisons de la montée du chômage et du travail informel, sur les potentialités de l’économie solidaire, etc. – produites par les participants à l’action collective.
6Le propos de cet article est, d’une part, de confirmer le rôle des modalités d’interactions dans la construction des identités collectives, selon notamment le type de participants et la possibilité ou pas d’échanger sur un pied d’égalité [6]. Une des principales hypothèses qui a guidé cette recherche est que la participation démocratique des outsiders à la définition et à la mise en œuvre des stratégies syndicales est une variable essentielle de l’évolution des identités collectives.
7D’autre part, il s’agit aussi de saisir comment se construisent des trajectoires faisant intervenir des modalités d’interaction différentes pour les deux syndicats étudiés, qui aboutissent au maintien ou à l’évolution des identités collectives de référence. L’étude de cas part de l’hypothèse que l’existence de contextes locaux différents ne suffit pas à expliquer les différences entre trajectoires. Celles-ci sont conditionnées par les relations sociales (Somers, 1992). En l’occurrence, l’étude de cas montre que ces relations entre les militants syndicaux et d’autres acteurs de la société civile ou certaines politiques publiques ont contribué (ou pas) à rendre visible l’existence de ces outsiders et à légitimer (ou pas) leurs identités collectives émergentes. Ces relations sociales s’enracinent dans les évènements que les acteurs sociaux ont traversés et avec lesquels ils ont interagi. Elles peuvent prendre appui sur la participation à des organes consultatifs, sur des solidarités nationales et internationales apportées aux luttes syndicales, sur des relations de type néo-corporatiste, ou, plus trivialement, sur les relations familiales et de voisinage qui mettent en contact les représentants syndicaux avec des acteurs de mouvements sociaux et d’organisations communautaires.
Plan de la présentation
8Pour illustrer ces résultats préliminaires [7], l’article présentera dans la partie suivante (partie II) une reconstitution des trajectoires des syndicats qui fera ressortir leurs relations sociales ainsi que leurs conceptions et stratégies dans l’économie solidaire, et les modalités d’interaction associées. En troisième partie, l’article proposera une analyse de la façon dont les identités collectives respectives du SMABC et du SMGPA ont pu se maintenir ou évoluer en faisant ressortir les logiques cognitives sur lesquelles reposent leurs choix stratégiques et comment ces logiques cognitives peuvent se rattacher à certaines modalités d’interaction. Après avoir examiné s’il existe des différences objectives dans le contexte local (i.e. qui agiraient comme des variables indépendantes) pouvant expliquer les modalités différentes d’interaction dans lesquelles s’engagent les deux syndicats, on examinera le rôle des relations sociales ainsi que le moment dans lequel elles sont activées et enfin le rôle des pratiques démocratiques.
Précisions méthodologiques
9Les données ont été récoltées lors d’un séjour de recherche entre mars et juin 2008 principalement à São Paulo et Porto Alegre. L’analyse inductive a porté sur les observations et entrevues effectuées lors de ce séjour en s’aidant de documents, documentation des organisations, thèses et articles scientifiques publiés au Brésil, disponibles sur place ou sur les sites universitaires. Ce sont les données d’observation et d’entrevues qui ont conduit à analyser ce cas en procédant à une comparaison des trajectoires des deux syndicats de métallurgistes de la région ABC (São Paulo) et de la région métropolitaine de Porto Alegre. En effet, une première analyse faisait ressortir que ces deux syndicats qui appartiennent pourtant au même secteur d’activité et au même courant majoritaire de la CUT se différenciaient toutefois nettement quant à leurs prises de position et leurs stratégies dans l’économie solidaire et, finalement, quant aux types d’interaction dans lesquelles ils étaient partie prenante.
II – Les trajectoires des deux syndicats
II.1 – Le syndicat des métallos de l’ABC (SMABC)
Des relations sociales de type néo-corporatiste
10L’ABC désigne la région de grande concentration industrielle (automobile et pétrochimie) jouxtant São Paulo et composée de sept villes (dont Santo André et São Bernardo do Campo). C’est là qu’ont éclaté à la fin des années 1970 les grèves signalant le retour d’un mouvement de travailleurs après le coup d’Etat militaire des années 1964 et la terrible répression qui l’a suivi. Ces grèves conduites par un certain Lula, alors dirigeant du syndicat des métallos de São Bernardo do Campo (leader des syndicats des métallos de l’ABC), se sont vite transformées en luttes contre la dictature et pour la démocratisation du pays, avec l’appui massif de la société civile.
11Avec quelques autres syndicats moins connus, comme celui des banques de São Paulo, le novo sindicalismo incarné par le SMABC est à l’origine de la création de la CUT et du Parti des Travailleurs (PT) au début des années 1980. Il anime au sein de la CUT le courant majoritaire, Articulação sindical. Ce syndicat bénéficie d’une grande aura nationale et internationale, et de ressources importantes pour déployer les orientations adoptées lors de ses congrès. Ces ressources proviennent de son implantation réelle dans les entreprises de la région – alors que le syndicalisme brésilien, du fait de ses formes d’institutionnalisation, se caractérise par son faible potentiel d’action, étant interdit de présence dans les entreprises de moins de 200 salariés. Elles résultent aussi des multiples appuis syndicaux et politiques nationaux et internationaux apportés lors des grèves de la fin des années 1970 et début des années 1980 et de la mobilisation des milieux universitaires à partir des années 1990.
12De par sa position et capacité à fournir les moyens de mettre en pratique les politiques syndicales, le SMABC est celui qui donne le la dans la CUT (entretiens 2008). Ses politiques locales ont une dimension nationale et il a servi de laboratoire d’alternatives pour Lula et le PT (ibid.). Il a ainsi inauguré au début des années 1990 une stratégie syndicale proactive en s’impliquant dans des négociations sectorielles locales et nationales pour tenter d’obtenir une convention collective et l’établissement de relations professionnelles (vidées de leur substance par l’institution corporatiste issue des lois de 1943). Il participe depuis 1997 à la gouvernance du développement régional, aux côtés des municipalités, des représentants du patronat et d’organisations de la société civile [8], dans le but de préserver la compétitivité de la région ABC et d’y maintenir l’emploi menacé par les restructurations et les délocalisations.
Des orientations et stratégies dirigées vers le développement de coopératives compétitives
13Le SMABC a commencé à appuyer la reprise d’entreprises en faillite lorsque le fleuron des Forges de l’Amérique latine a commencé à battre de l’aile (1995-1997), menaçant de mettre sur le carreau 1 500 salariés, et qu’il a été fait appel à son appui pour organiser la cogestion de l’entreprise puis sa transformation en quatre coopératives autogérées. En outre, le développement de coopératives a été encouragé par Lula, alors président du Parti des Travailleurs, après un voyage effectué en Italie en 1997 à l’invitation de d’Alema, alors Premier ministre. Impressionné par les puissantes coopératives italiennes, Lula demande au président du SMABC de l’époque (Luiz Marinho, qui allait devenir un de ses ministres du Travail) d’organiser un voyage d’études et d’échange d’expériences avec les syndicats italiens et les représentants de ces coopératives. A l’issue de ce voyage et de débats avec des milieux universitaires, le SMABC va considérer que le développement d’institutions d’économie sociale, sous la forme de grandes coopératives compétitives capables ainsi de rivaliser avec les entreprises classiques « pour dicter d’autres règles au marché » (entretien 2008), offre une alternative aux politiques néolibérales. Car cela permet de lutter contre le chômage et les inégalités en incluant des travailleurs « exclus du processus productif pour des raisons d’âge, de scolarité, de problèmes de santé ou de séquelles liées aux accidents du travail » (congrès du SMABC, 1999).
14Le SMABC n’a pas adopté parallèlement une stratégie particulière pour lutter contre les segmentations du marché du travail entre formels et informels. Les autres volets de l’intervention dans l’économie solidaire, en particulier la structuration de la multitude d’initiatives qui sont en train d’éclore dans tout le Brésil, sont renvoyés à l’Agence de développement solidaire (ADS-CUT) créée en 1999 par la CUT (et dont les orientations proviennent essentiellement du SMABC et du syndicat des banques de São Paulo). L’ADS-CUT a notamment pour mission de susciter des projets de coopératives complexes (i.e. articuler le développement de coopératives au niveau territorial ou par chaîne de valeur) et de mettre en œuvre des projets d’inclusion sociale. Le contenu de ces projets d’inclusion peut varier, et être restreint à une action traditionnelle d’éducation, car les avis sont partagés au sein de la CUT quant à la pertinence de soutenir le développement de petits regroupements d’artisans, de couturières, etc., à la viabilité fragile, mais ces coopératives dites populaires (car sans capital à leur création) se trouvent être typiquement les coopératives montées avec des jeunes, des femmes et tous ceux qui gravitent autour du travail informel.
15De son côté, le SMABC a surtout repéré que cette population de travailleurs informels et de pauvres manque d’employabilité, selon les critères des entreprises. Dans le cadre de sa participation à la gouvernance du développement régional de l’ABC, il a proposé (seconde moitié des années 1990) une grande campagne régionale d’alphabétisation (qui a été mise en œuvre par une association). Pour le SMABC, les coopératives populaires n’ont pas d’avenir car elles participent, comme l’économie informelle, au maintien de formes précapitalistes de développement. Soutenir l’économie solidaire consiste dès lors non pas à appuyer la diversité des initiatives mais les structures qui permettent d’inclure dans un marché du travail par définition compétitif et excluant. Cette distinction opérée entre, d’une part, les grandes coopératives compétitives, susceptibles d’assurer l’équivalent des droits acquis par les travailleurs formels et, d’autre part, les coopératives dites populaires est à rattacher aux analyses d’une partie du monde universitaire avec lesquels le SMABC est en relation [9].
16C’est dans le cadre régional que le SMABC a commencé à structurer le développement de coopératives compétitives. En 1999, il a créé Unisol São Paulo (SP), en collaboration avec d’autres syndicats de la région impliqués aussi dans le soutien à la reprise d’entreprises en faillite et avec l’appui des syndicats et représentants des coopératives italiens et catalans. Il s’agit ainsi de former un acteur économique ayant du poids, à l’instar de la CUT dans le monde syndical et du PT dans le monde politique. Le triptyque Unisol/CUT/PT est censé favoriser le développement d’une économie sociale au Brésil susceptible de faire fonctionner les mécanismes du marché en faveur de la réduction des inégalités (entretiens 2008).
17L’existence d’une structure comme Unisol doit aussi permettre qu’un tel projet soit défendu par les coopératives elles-mêmes (Unisol SP rassemblait une douzaine d’entreprises récupérées à sa naissance). La présidence d’honneur d’Unisol est toutefois assurée par le SMABC, qui y détache des conseillers techniques. Les moyens financiers proviennent essentiellement des appuis internationaux et des subventions publiques accordées pour développer des projets – les coopératives ayant rarement les moyens de fournir d’importantes cotisations. Enfin, quoique la création d’Unisol repose sur l’objectif que les « coopérateurs soient les sujets de leur propre histoire » (entretien 2008), le SMABC estime que c’est au syndicat que revient la représentation des coopérateurs en tant que travailleurs, ceci pour garantir le respect du socle de droits acquis depuis 1943 : « S’il y a un problème de travail dans la coopérative, le syndicat va intervenir pour le résoudre parce que c’est lui qui a conscience des intérêts des travailleurs. » (entretien 2008)
18Dans cet esprit, le SMABC a poussé à l’adoption d’une législation pour lutter contre les fausses coopératives et la précarisation du travail. Le projet de loi qu’il soutenait en 2008, qui a été élaboré par un groupe organisé vers 2004 par le ministère du Travail alors dirigé par Luiz Marinho, prévoyait notamment que les coopératives paient le salaire de la convention collective, ou du moins le salaire minimum aux coopérateurs, et obéissent à un certain nombre de règles formelles – comme la tenue d’une assemblée générale par mois – pour être considérées comme des coopératives authentiques. Le SMABC savait que ce projet de loi pouvait étouffer nombre de petites coopératives, dont des membres d’Unisol, dont le niveau d’activité ne permet pas de fournir sur toute l’année un salaire minimum. Mais il a estimé, après un débat en son sein, qu’une telle législation valait mieux que de laisser ces travailleurs « s’auto-exploiter » tandis que d’autres s’enrichissent sur leur dos (entretien 2008) [10].
Des interactions d’abord restreintes aux entreprises récupérées mais qui évoluent de façon imprévue
19En pratique, on peut dire que le SMABC n’intervient directement que dans l’appui aux entreprises récupérées. Et dans ses premières années, Unisol SP est aussi intervenue essentiellement auprès des entreprises récupérées. Ainsi, lorsque Unisol SP met en œuvre, à partir de 2000, la politique d’incubateur de coopératives de Santo André [11], cette façon d’établir une distinction implicite entre les coopératives industrielles (ou entreprises récupérées) et les coopératives dites populaires se traduira « dans les relations établies avec le public du programme de l’incubateur de coopératives » (Cunha, 2002). Autrement dit, Unisol SP soutient quasi exclusivement les entreprises récupérées, en mettant l’accent sur leur compétitivité : « [Unisol] reproduit beaucoup le modèle de gestion adopté dans les entreprises classiques, rendant difficile la transformation des travailleurs de la condition d’employés à celle de [auto]gestionnaires » (ibid.). La reproduction des relations hiérarchiques de travail, qui peuvent être très autoritaires au Brésil, ou, en tout cas, la reproduction des divisions traditionnelles entre « manuel » et « intellectuel », « concepteur » et « exécutant », explique qu’une partie non négligeable des travailleurs des entreprises récupérées, en général ceux peu qualifiés, ne s’investissent guère dans la gestion (Rosenfield, 2007). Et si les travailleurs participent peu ou pas à l’(auto)gestion, la distinction entre « vraies » et « fausses » coopératives devient ténue (Lima, 2008 et entretien).
20Le tournant de 2002, symbolisé par l’élection de Lula, n’a guère modifié ces orientations. Les années qui suivent sont pourtant marquées par la reconnaissance de la place de la société civile dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités – lutte qui a permis à toute une frange de la population laissée longtemps dans l’ombre d’accéder à la citoyenneté par la création de formes alternatives de travail et revenu. A partir de 2003, le gouvernement Lula adopte une politique d’appui à l’économie solidaire, à la demande du « groupe de travail de l’économie solidaire » qui s’est créé lors du premier Forum social mondial à Porto Alegre (cf. encadré 2).
21Mais Unisol SP n’a pas participé à ces mobilisations alors que, directement ou via l’ADS-CUT, nombre de militants de la CUT et de coopératives qu’ils ont soutenues s’y sont impliqués. Ceci explique que le Forum brésilien de l’économie solidaire (FBES) n’ait découvert l’existence d’Unisol qu’en 2004. Cette année-là, au cours d’un congrès qui se déroule dans l’ABC, Unisol SP devient Unisol Brasil et adhère au FBES. La transformation s’est faite à la demande dans tout le Brésil de militants de la CUT, et surtout de divers types de coopératives et associations (et pas seulement d’entreprises récupérées), dont plusieurs participent directement au développement du FBES. Ces petites coopératives et associations ont été soutenues par l’ADS-CUT en collaboration, souvent, avec d’autres organisations de la société civile et notamment avec le réseau des incubateurs universitaires, avec lequel la Confédération nationale de la métallurgie (CNM-CUT, la fédération sectorielle des métallos au sein de la CUT) a établi des relations. Or, les cadres du secteur formation de la CNM-CUT ont épaulé le secteur formation de la CUT, auquel a été confié le développement de l’ADS. La mise en œuvre des actions de l’ADS, qui est l’un des principaux pourvoyeurs de nouveaux membres à Unisol, a échappé en quelque sorte aux orientations officielles (inspirées par le SMABC et le syndicat des banques de São Paulo) pour suivre celles des militants des secteurs de la formation, en général plus sensibles au potentiel de transformation sociale de l’économie solidaire.
Et des réorientations qui se dessinent
22Cette évolution imprévue du membership d’Unisol va conduire à une situation conflictuelle en son sein. En 2008, la plus grande partie de ses membres, qui ne sont plus en majorité des entreprises récupérées mais des petites ou moyennes coopératives ou même des associations, contestent le projet de loi destiné à lutter contre les fausses coopératives et la précarisation du travail – comme d’ailleurs le contestent la plupart des organisations du FBES qui ont été de toute façon peu associées à son élaboration. Pour eux, on va ainsi surtout briser les capacités d’action collective de personnes dont les initiatives économiques, même si elles ont du mal parfois à atteindre une viabilité, favorisent le développement soutenable et solidaire de communautés et de territoires et non l’exploitation de la main-d’œuvre par des entreprises prédatrices.
« Comment peut-il exister des personnes dans l’économie solidaire qui défendent un tel projet de loi mettant sous tutelle de l’Etat les règles d’autogestion ? La question est de savoir si nous croyons ou pas dans la capacité du travailleur. Si nous y croyons, alors c’est aux coopérateurs d’écrire les lois et de définir leurs droits et devoirs. Pourquoi le partage des surplus de la coopérative s’arrêterait-il à fournir un 13e mois ? Tous les coopérateurs aimeraient travailler 30 heures et non 40 par semaine, et quand nous arriverons à viabiliser de la sorte [notre] coopérative, nous aurons certainement le plaisir de le faire. »
24En fait, comme le confirme cet entretien effectué avec une personne du Rio Grande do Sul membre de l’exécutif d’Unisol, deux représentations de la réalité s’opposent à travers ces controverses. Alors que le SMABC et une partie de l’exécutif d’Unisol croient que, sans syndicat ni législation ad hoc, les travailleurs vont jusqu’à s’auto-exploiter pour gagner en compétitivité et qu’ils se tuent à la tâche en travaillant des 18 heures par jour dans les petites coopératives tandis que d’autres gagnent ainsi beaucoup d’argent sur leur dos (entretiens 2008), les autres – soit une grande partie d’Unisol et des militants syndicaux impliqués dans l’économie solidaire – voient dans les petites coopératives (ou coopératives dites populaires) des personnes ingénieuses qui, malgré les difficultés rencontrées, développent leurs compétences à travers les pratiques solidaires et tracent de nouvelles pistes d’organisation et de relations de travail.
25La présentation de la trajectoire du syndicat des métallos du grand Porto Alegre, et, en fait, d’autres syndicats de métallos et de la fédération du Rio Grande do Sul de la CNM va indiquer comment une autre version de la réalité – et une nouvelle identité collective – ont pu se construire au sein d’un syndicat du courant majoritaire Articulação sindical de la CUT.
II.2 – Le syndicat des métallos du Grand Porto Alegre (SMGPA)
Des engagements et des relations sociales multiples et qui s’entrecroisent
26Le Rio Grande do Sul (RS) est une des régions les plus industrialisées du Brésil, qui comptait encore au début des années 1990 quelques fleurons internationaux, notamment dans la chaussure. Là aussi le mouvement des travailleurs s’est reconstitué au cours des années 1970, souvent abrité par les réseaux d’Eglise et les associations. Mais le Rio Grande do Sul (RS) se caractérise aussi par l’intensité et la diversité des initiatives dans l’économie solidaire, dans le milieu rural et urbain. Dès les années 1980, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et les réseaux d’Eglise vont appuyer la création de coopératives regroupant des agriculteurs familiaux. Ces initiatives vont aussi nourrir le développement d’un syndicalisme rural dans la CUT, qui portera une réflexion sur les formes alternatives de développement territorial [12]. Dans le milieu urbain, le développement d’initiatives collectives de survie va se déployer avec la création de fonds de soutien financier à des mini-projets, portés par les mouvements sociaux et toujours des réseaux d’Eglise, et avec l’appui d’ONG internationales [13].
27Différents responsables des syndicats de métallos vont participer très tôt à cette aventure, à titre individuel. Une dirigeante du syndicat des métallos de Canoas (proche de Porto Alegre), amenée par une association qui appuie le développement du syndicalisme rural, va ainsi collaborer bénévolement à l’examen des demandes présentées à un Fundo de miniprojetos, auquel elle participe dès 1985-1986. Elle deviendra par la suite responsable du secrétariat de formation de la CUT-RS dans les années 1990 et sera très impliquée dans la CNM-CUT et la mise en œuvre dans le RS de son programme phare (Integrar) en direction des chômeurs. Elle sera aussi la coordinatrice nationale de l’ADS-CUT entre 2003 et 2006. Un autre noyau de militants syndicalistes de la CUT-RS va favoriser le développement de pratiques autogestionnaires parce que, en relation avec les utopies des années 1970 en Europe et en Amérique latine, ils croient au caractère émancipateur de l’autogestion quand celle-ci rime avec la réappropriation de son rapport au travail et la construction d’une autonomie. Un des anciens présidents du SMGPA anime ce réseau, à partir de ses propres relations établies, avant d’être militant syndical, dès 1972, avec la Fédération catalane des coopératives puis avec d’autres mouvements autogestionnaires.
28A partir du milieu des années 1990 vont se tenir les premières rencontres des participants aux fonds de mini-projets et à l’économie populaire solidaire, annonciatrices des rencontres locales et nationales du FBES dans les années 2000. Toutefois, si nombre de forums locaux se structureront dans les autres Etats du Brésil à l’initiative de politiques publiques, en RS, ce sont les acteurs mentionnés ci-dessus qui s’organisent et se croisent en outre, à travers divers évènements, comme le regroupement d’associations et de petites coopératives d’agriculteurs familiaux et de Catadores dans la région de Santa Maria – une initiative qui va devenir une référence au Brésil en matière de développement territorial soutenable et solidaire et à laquelle participent des membres de ce réseau de syndicalistes autogestionnaires (entretien 2008).
29Au cours de ces années 1990, la crise qui a frappé dans les années 1980 plus particulièrement le marché informel du travail rattrape le marché formel. Comme en ABC, les syndicalistes du Rio Grande do Sul vont être confrontés aux faillites et aux restructurations massives et vont soutenir la récupération autogérée des entreprises en faillite. Cependant, et quoi qu’ils partagent les stratégies proactives du SMABC, les syndicats de métallos ne sont pas arrivés, pour diverses raisons, à impulser des relations professionnelles et à négocier les réorganisations du travail. Signe de représentativité toutefois, le SMGPA a obtenu que les salariés atteints par les maladies professionnelles résultant de l’intensification du travail soient réintégrés dans l’entreprise.
30A partir de cette deuxième moitié des années 1990, ce ne sont plus seulement les individus mais le SMGPA en tant que tel qui va s’impliquer de différentes façons dans l’économie solidaire, en partie du fait des politiques de la municipalité dirigées par le Parti des Travailleurs (PT). Un de ceux qui a été président du SMGPA va ainsi diriger le service de l’économie populaire de Porto Alegre quand la municipalité – sollicitée notamment via les assemblées de quartier du budget participatif – va commencer en 1996 à apporter un appui structuré à ces initiatives en créant une « supervision » au sein du secrétariat municipal à l’industrie et au commerce – signalant ainsi qu’elle place l’économie solidaire populaire dans la recherche d’alternatives, non dans les politiques sociales. Parallèlement, l’école de formation professionnelle dont dispose le SMGPA va mener, en partenariat avec la municipalité et à l’initiative de cette dernière, des actions d’inclusion auprès des jeunes et des sans domicile (« habitants de la rue »), et fortement développer, à partir des années 2000, des formations à l’économie solidaire (elle est devenue en 2008 l’un des centres régionaux de référence pour la formation de formateurs en économie solidaire).
Des interactions sur un pied d’égalité avec les chômeurs et les pauvres
31Avec la CNM, qui est un des lieux animant (avec le secteur formation de la CUT) des réflexions et débats, les syndicats de métallurgistes du Rio Grande do Sul ont mis en œuvre, à partir de 1996-97, Integrar, un programme de formation professionnelle qui vise surtout à maintenir un lien syndical avec les métallos qui ont perdu leur emploi, et à explorer des alternatives de travail et de revenus. Integrar a été élaboré à partir d’une enquête effectuée dans l’Etat de São Paulo par des chercheurs auprès des chômeurs :
« Ces chômeurs ont questionné [dans cette enquête] le rôle du syndicat, qui était limité à la représentation des travailleurs avec un emploi. Et donc c’était une question à laquelle il nous fallait répondre (…). Et la troisième question était de savoir pourquoi continuer à se former s’il n’existait pas d’emplois. »
33Bien qu’élaboré dans l’Etat de São Paulo, c’est surtout dans le Rio Grande do Sul que les métallos vont développer le volet économie solidaire du programme Integrar – volet destiné à répondre à ce que la CNM analyse comme une crise structurelle de l’emploi. En outre, alors que dans l’Etat de São Paulo, Integrar est mis en œuvre à cette époque comme un programme classique d’éducation professionnelle, les salles de cours en RS vont se transformer en forums de débats publics où les chômeurs présentent leur diagnostic de la crise et leurs besoins aux syndicats, aux entreprises, à la communauté, aux élus locaux. Il y aura ainsi des mobilisations de milliers de chômeurs, qui ont contribué à l’élection d’un gouvernement PT à la tête de l’Etat (1998-2002) et à l’adoption de politiques publiques en leur direction (entretiens 2008). Les syndicalistes du Rio Grande do Sul soutiennent que c’est de cette effervescence, de cette mobilisation à la base, qu’est née, à la fin des années 1990, l’idée de créer une agence de développement de l’économie solidaire ; ils ont aussi discuté avec le SMABC de l’élargissement d’Unisol à tout le Brésil.
34A la même période, les syndicats de métallos renforcent leurs liens avec les habitants et cette population de pauvres et de travailleurs informels qu’ils ne fréquentent habituellement pas. L’un d’eux va ainsi solliciter une association pour intervenir dans les quartiers où vivent d’anciens métallos au chômage connus des syndicalistes. Appuyée par des subventions municipales, cette association va favoriser le développement de l’économie solidaire dans ces communautés.
35De son côté, le SMGPA passe commande de centaines de chemises à une coopérative de couturières qu’il connaît, l’aidant ainsi à passer un seuil de développement. Cette coopérative, montée par un groupe de femmes qui se sont rencontrées lors des assemblées de quartier du budget participatif de Porto Alegre, est devenue une success story au Brésil car sa leader a contribué à monter une chaîne de valeur de coopératives (allant de la production de coton bio à la vente de T-shirts en passant par le tissage) grâce aux rencontres effectuées lors des Forums sociaux mondiaux (entretien 2008).
36Par ailleurs, la participation d’un des anciens présidents du SMGPA à l’organe consultatif local de gestion du programme Bolsa Familia [14], où siègent les différents représentants de la société civile, lui fait découvrir, par des échanges avec le MST et les Indiens Guaranis, qu’il existe plein d’initiatives à caractère économique de la population, qui sont méconnues parce qu’elles ne rentrent pas dans la catégorie « coopérative » (entretien 2008). En réponse à l’appel de Lula pour que les différents acteurs sociaux et économiques se mobilisent en soutien au programme Bolsa Familia, une assemblée générale des travailleurs du SMGPA décide de verser un pourcentage de l’augmentation de leur salaire annuel à un fonds de soutien aux initiatives solidaires (2003-2004) [15]. Des groupes de Catadores vont alors frapper à leur porte et, depuis, le SMGPA cherche à développer une « chaîne de valeur » allant du ramassage des déchets à leur recyclage, en partenariat avec ces groupes, avec les associations locales qui ont accumulé un savoir-faire dans leur accompagnement, et avec la fédération locale des Catadores, qui a adhéré à Unisol.
Et des prises de position dans l’économie solidaire qui dépassent la stricte défense des intérêts institutionnalisés
37Avec ce fonds de soutien, le SMGPA veut favoriser des dynamiques de mobilisation même si les résultats à court terme sont économiquement insignifiants. Mais, comme le souligne cet ancien président du SMGPA :
« Ces initiatives qui n’ont parfois aucune chance de survivre sont un formidable levier pédagogique. Et le syndicat doit appuyer non seulement les initiatives qui correspondent à son orientation mais aussi celles que les gens trouvent importantes de mener, et où ils font leur propre expérience. »
39S’ils sont partagés sur la pertinence de syndiquer les coopérateurs, les responsables du SMGPA sont en revanche d’accord pour estimer que le syndicat doit avoir une relation de solidarité sur un pied d’égalité avec les coopérateurs. Pour eux, le rôle du syndicat n’est pas de veiller à la santé des coopérateurs à leur place mais de les inciter à oser s’auto-organiser. Un des responsables syndicaux raconte ainsi qu’il est allé rencontrer les travailleuses d’une fausse coopérative pour discuter avec elles de comment réagir, en leur disant que, selon la loi, les assemblées générales étaient un lieu de décision à leur disposition. Lors de l’AG suivante, elles ont démis les cadres qui dirigeaient à leur place pour adopter une gestion collective (entretien 2008). Il va sans dire que ce responsable syndical et le SMGPA sont totalement opposés au projet de loi contre les fausses coopératives défendu par le SMABC, estimant qu’en effet, cela va à l’encontre de l’esprit autogestionnaire et qu’une telle démarche n’a pu être adoptée que par des gens « qui ne voient qu’un seul segment de l’économie solidaire [i.e. les entreprises récupérées] ». (entretiens 2008)
« Ce n’est pas pareil de travailler pour soi ou pour un patron. Il y aurait vraiment un problème si, en cas de surplus, les coopérateurs ouvriers ne recevaient que le salaire de base tandis que les coopérateurs cadres seraient beaucoup mieux payés. »
41Le commentaire n’est pas fait au hasard : la plupart des vraies coopératives issues des entreprises en faillite récupérées redistribuent les surplus avec des écarts de revenus importants entre les exécutants et les cadres (qui restent toutefois bien inférieurs à l’écart habituel au Brésil, soit entre 1 et 6 à 20, au lieu de 1 à 50 dans certains cas !).
42Par ailleurs, le SMGPA et Unisol RS portent un regard pragmatique sur ce qu’est l’autogestion. Ils prennent aussi en compte l’apport à la construction d’autres relations au travail, au respect de l’égalité de genre, à la contribution à un développement écologique, etc. Autour de Porto Alegre, c’est la coopérative de couturières mentionnée précédemment qui fait figure d’exemple quant à la façon d’organiser le travail et de répartir les responsabilités, pour que tout le monde, y compris les femmes qui travaillent à domicile pour s’occuper d’enfants handicapés, participe effectivement à sa gestion et aux activités qui vont avec, y compris la présence aux forums du FBES. Ce type d’initiatives soulève un questionnement sur ce qu’est développer « une autre économie ». S’agit-il de favoriser de grandes coopératives qui sont capables de rivaliser avec les acteurs économiques actuels, au risque d’écarter celles qui paraissent mineures ? « C’est le débat que nous devrions avoir au sein de la CUT [16]. » (entretien 2008)
43Ce positionnement du SMGPA et d’autres leaders syndicaux dans le Rio Grande do Sul va de pair avec une reconnaissance de l’action du FBES et de son intérêt pour mobiliser les différents segments de travailleurs de l’économie solidaire. Unisol RS participe au développement des forums locaux et appuie la création de commerces équitables et d’autres actions structurantes, même si celles-ci ne concernent pas que ses membres.
44C’est en fait aussi une autre conception de la démocratie qui est ainsi à l’œuvre : Unisol RS défend la construction du FBES parce que c’est un espace participatif, et qu’à ce titre, il favorise la plus large implication des différents EES et pas seulement de ceux qui sont représentés par une structure comme Unisol. Cette position interpelle d’autant plus la façon de construire un projet de représentation unifiant les différentes catégories de travailleurs que le fonctionnement d’Unisol, selon une logique représentative, n’a pas évité qu’elle prenne officiellement position en faveur du projet de loi contre les fausses coopératives alors qu’en fait, la plupart de ses membres dans le Brésil le contestent. Un loupé reconnu du côté du SMABC, pour qui la démocratie est effectivement importante, mais qui ne sait expliquer d’où vient ce loupé (entretien 2008).
III – Modalités d’interaction et évolution des identités collectives
III.1 – Des logiques cognitives distinctes
45Les prises de position sur lesquelles se différencient et même s’opposent les syndicats des métallos de la région ABC (SMABC) et de Porto Alegre (SMGPA) concernent des enjeux qui sont loin d’être négligeables pour la lutte syndicale puisqu’il en va des stratégies de lutte contre les fausses coopératives, de ce qui constitue le périmètre de légitimité de la représentation syndicale, et enfin de la place accordée à l’économie solidaire et aux initiatives des travailleurs dans la conception d’un projet de représentation. On peut dire que ces prises de position alimentent des visions différentes des mondes souhaitables (une extension de la société salariale pour le SMABC versus une remise en cause de l’actuel modèle de développement pour le SMGPA) et de ce qui constitue les « Nous » porteurs de ce futur. C’est ainsi que les identités collectives respectives du SMABC et du SMGPA s’organisent autour de deux logiques distinctes d’interprétations cognitives des évènements (en particulier des causes du chômage et des potentialités des initiatives d’économie solidaire) et du rôle du syndicat.
46D’un côté, le SMABC, figure d’un syndicalisme qui continue de facto à se référer au modèle dit fordiste, considère que le chômage résulte principalement de l’inadaptation de la main-d’œuvre aux exigences d’entreprises compétitives et analyse la segmentation du marché du travail entre formel et informel comme le résultat de la persistance de formes précapitalistes de développement appelées à disparaître. Il considère en conséquence les initiatives d’économie solidaire qui ne prennent pas la forme de grandes coopératives compétitives comme une menace potentielle aux droits des travailleurs (formels) car alimentant les fausses coopératives. On est ainsi face à une représentation des travailleurs informels et autres exclus du marché du travail comme de gens qui n’ont pas a priori de conscience de classe et qui sont donc susceptibles de former une sorte de Lumpenproletariat. Cette vision va de pair avec une conception du rôle du syndicat comme une sorte d’avant-garde éclairée, qui serait chargée de défendre des intérêts immédiats et historiques des travailleurs assimilés aux droits acquis et institutionnalisés des travailleurs formels. Le tout aboutit à dénier les capacités des travailleurs à se mobiliser pour de justes causes si ces luttes ne sont pas menées par le syndicat et selon ses perspectives [17].
47De son côté, le SMGPA se sent au contraire prisonnier de l’institution corporatiste de représentation héritée de Vargas (1943), car il considère qu’elle restreint l’activité syndicale au sein des entreprises à la prise en charge de la relation salarié-employeur. Il s’appuie principalement sur les capacités de mobilisation des travailleurs comme levier de changement et défend l’économie solidaire comme outil pédagogique d’empowerment collectif et comme piste pour repenser un projet de société. Pour lui, le chômage est d’abord le produit d’une crise structurelle, une crise d’un modèle de développement dont on pensait qu’il allait absorber le trop-plein de main-d’œuvre. Il faut donc chercher des alternatives, et les chercher avec ces outsiders qui prennent des initiatives pour s’en sortir, et avec les organisations de la société civile qui les mobilisent. Par ailleurs, pour le SMGPA, « se battre pour conquérir l’hégémonie », c’est défendre toutes les couches de travailleurs (versus n’accorder un caractère contre-hégémonique qu’aux luttes syndicales). Comme les marges d’action du syndicat sont limitées par l’institution, il ne considère pas le FBES comme un organe concurrent mais comme un lieu permettant la large participation de travailleurs habituellement exclus de la représentation institutionnalisée.
48Il ressort ainsi de l’étude de ces deux syndicats que leur stratégie dans l’économie solidaire et leur définition du « Nous » sont bien associées à des interprétations cognitives différentes des évènements. La façon dont ils définissent le problème de la crise, du chômage, de la segmentation du marché du travail et les représentations sociales qu’ils ont des travailleurs informels sont même divergentes. Il est frappant de constater que le SMABC reprend ou conserve des explications de la crise et des représentations sociales des travailleurs qui collent aux intérêts institutionnalisés des entreprises, ce que l’on peut résumer par la non-remise en cause des logiques de compétitivité dans le champ de l’économie solidaire et des projets de société. En revanche, le SMGPA adopte ce qui constitue de nouvelles interprétations cognitives, au sens où elles se situent en rupture avec les référentiels d’action dominants.
49Ce qu’il s’agit dès lors d’expliquer pour saisir comment se maintiennent ou évoluent des identités collectives, c’est comment se construisent de nouvelles interprétations cognitives ou se perpétuent celles dominantes chez les acteurs dominés [18]. Cet aspect a en général été peu traité par la littérature. Nombre de travaux se sont penchés sur la façon dont les décideurs réforment les politiques publiques en soulignant le rôle des idées et plus particulièrement de la façon de définir les enjeux ou le problème (Jenson, 1998), et en s’intéressant au rôle des entrepreneurs d’idées (Campbell, 2004) ou des médiateurs (Muller, 2000). Peu s’interrogent sur la façon dont les acteurs socialement dominés produisent de nouvelles explications et identités collectives. Autrement dit, on s’interroge peu sur ce qui fait qu’un syndicat ou un mouvement social va réussir à adopter un positionnement pertinent au sens où il va permettre effectivement de réduire les concurrences et inégalités entre travailleurs et de combattre des formes de domination (ethniques, de genre, etc.), et non de les reproduire.
III.2 – Le rôle des modalités d’interaction dans la définition des identités collectives et des stratégies
50Ce questionnement rejoint celui de Ganz (2000) quand il étudie pourquoi un syndicat a réussi dans les années 1960-1970 à organiser ces outsiders qu’étaient les travailleurs fermiers migrants de Californie. Procédant lui aussi par comparaison avec un autre syndicat (AFL-CIO) qui échoue à les organiser, il montre qu’aucun des éléments du triptyque mis en avant pour expliquer l’émergence ou les formes des mouvements sociaux, soient les opportunités, les ressources et le cadrage (McAdam, McCarthy and Zald, 1996), ne peut expliquer objectivement l’adoption de stratégies pertinentes. Car il reste à expliquer pourquoi les acteurs ont perçu telle opportunité, ont mobilisé telle ressource ou ont choisi de cadrer leur action. Il souligne en revanche à ce titre le rôle des interactions des leaders avec lesdits outsiders, ainsi que le fonctionnement interne (démocratique ou pas) des organisations syndicales.
51Dans le cas traité, on retrouve ces deux facteurs. Dans une CUT paralysée par les batailles de pouvoir, on perçoit notamment que les syndicats de métallos du Rio Grande do Sul et le SMABC ne sont pas connectés aux mêmes lieux de débats au sein de la CUT. Par ailleurs, le SMGPA développe des projets collectifs avec les outsiders alors que le SMABC n’intervient même pas directement dans la mise en œuvre des politiques s’adressant à ces outsiders.
52Il est en outre frappant de constater que, dans le Rio Grande do Sul, les chômeurs et les travailleurs informels ne sont pas seulement des bénéficiaires de projets conçus par le SMGPA ou des organisations de la société civile qui les mobilisent. Via les mobilisations suscitées par la mise en œuvre du programme Integrar, via la création du fonds de soutien des métallos à leur initiative, ils sont considérés comme des acteurs à part entière, qui peuvent apporter leurs propres définitions des problèmes et enjeux et faire prendre en compte leurs aspirations et leur vision du bien commun. C’est en ce sens que l’on peut parler d’interactions sur un pied d’égalité.
53Ainsi, un changement dans les modalités d’interaction non seulement modifie les perceptions des acteurs sociaux (Campbell, 2004), mais la façon dont ces perceptions sont modifiées – ou l’identité collective produite – dépend de qui participe et comment (Melucci, 1996, Fung, 2005) et oriente les choix stratégiques (Melucci, 1996, Ganz, 2000).
III.3 – Des modalités d’interaction qui ne peuvent s’expliquer par des contextes locaux différents
54Mais si l’on ne veut pas que les interactions jouent ce rôle de Deux ex machina que les néo-institutionnalistes ont fait jouer aux idées pour expliquer le changement social (Blyth, 2002), il faut bien expliquer comment les deux syndicats brésiliens étudiés se sont engagés au fil du temps dans des modalités d’interaction différentes. On pourra ainsi en outre vérifier que les trajectoires d’interaction permettent d’expliquer aussi bien la construction de nouvelles identités collectives (nouvelles interprétations cognitives) que le maintien de celles existantes (conformes aux schèmes dominants).
55L’une des réponses consiste à faire appel à la notion d’acteur (versus la structure) : les syndicats étudiés s’engagent dans telle modalité d’interaction à la suite d’un choix rationnel parce qu’ils poursuivent telle valeur ou tel but. Cependant, le SMABC et le SMGPA, qui donc appartiennent tous deux au courant Articulação sindical, ont mis à leur agenda une réorientation de leur politique vers les travailleurs exclus ou marginalisés parce qu’ils défendent un « syndicalisme citoyen » et, par ailleurs, tous deux sont opposés, par exemple, au développement des « fausses coopératives ». Pourtant, leur réponse stratégique n’est pas la même. Et les justifications données font appel à des interprétations cognitives différentes. Par exemple, pour un responsable syndical de Porto Alegre, en demandant la fermeture des fausses coopératives, le syndicat ne sort pas de la relation employé-entreprise et « ne fait pas son boulot » qui consisterait à aller voir les travailleurs des fausses coopératives pour se mobiliser (entretien 2008) ; pour un des représentants du SMABC, aller rencontrer les travailleurs d’une fausse coopérative paraît tout à fait inimaginable : ces travailleurs lui apparaissent trop précaires, trop dispersés, instables, etc., pour imaginer les mobiliser (entretien 2008). Il apparaît ainsi que, contrairement au SMGPA, le SMABC ne voit pas les travailleurs des fausses coopératives comme une ressource. Les études menées au Brésil montrent pourtant que ces (vrais) travailleurs et (faux) coopérateurs sont en réalité les premiers à se mobiliser pour réclamer leurs droits (Lima, 2007). En tout cas, cette lecture différente renvoie aux modalités d’interaction dont le choix reste à expliquer.
56L’autre réponse est le contexte. Cette question paraît d’autant plus nécessaire à examiner que, contrairement à l’étude de cas menée par Ganz, les deux syndicats étudiés n’interviennent pas a priori dans le même contexte local [19].
57Si l’on compare les Etats de São Paulo et de Rio Grande do Sul, deux facteurs ont pu en effet orienter différemment les trajectoires d’interaction :
- d’une part, dans le RS, il existe une forte densité d’associations, mouvements sociaux et réseaux d’Eglise qui se préoccupent d’organiser et soutenir les agriculteurs familiaux et les travailleurs informels, avec lesquels différents représentants syndicaux du SMGPA ont pu entrer en interaction. Or, cette société civile n’apparait a priori pas dans la trajectoire du SMABC ;
- d’autre part, les politiques publiques de la municipalité de Porto Alegre ont favorisé cette densification, selon Sarria Icaza (2008), parce qu’elles ont favorisé la fortification comme sujets politiques de ces organisations et des travailleurs informels en tant que tels, « dont le rôle économique et social a été reconnu ». Ces politiques publiques paraissent ainsi occuper une plus grande place dans la visibilisation du problème des travailleurs informels et la légitimation de leurs initiatives et de leurs identités collectives.
58Quant aux politiques publiques, il s’avère que leur cadrage au fil du temps se rapproche. En tout cas, la municipalité de Santo André sur l’ABC va insister dès la fin des années 1990 sur le fait que les travailleurs de l’économie solidaire soient bien des sujets et non des objets de l’action (Cunha, 2002, Alves, 2006). Si ces politiques n’apparaissent pas avoir eu la même portée qu’à Porto Alegre, c’est aussi parce qu’en 2000, lorsque Unisol SP la met en œuvre, c’est en poursuivant un objectif différent : comme on l’a vu, Unisol SP a privilégié l’appui aux entreprises récupérées alors que la municipalité est prête à soutenir tous les segments de l’économie solidaire (Cunha, 2002) [20]. Cette situation est très différente de celle prévalant à Porto Alegre, où le SMGPA met en œuvre la politique publique dans le sens souhaité par l’équipe municipale.
59Par ailleurs, on peut d’autant plus s’interroger sur le rôle objectif de ces deux facteurs locaux – type de société civile et de politiques publiques – que, dans chacune des deux régions, on peut trouver au moins un responsable syndical qui est sur des positions et des modalités d’interaction inverses de celles de son syndicat. C’est-à-dire qu’en ABC, le représentant syndical des coopérateurs de l’une des entreprises récupérées considère que le projet de loi contre les fausses coopératives est taillé pour les grandes coopératives et ne répond pas aux besoins des petites (entretien 2008). Mais, à la différence des autres responsables du SMABC interviewés, le représentant des coopérateurs dans l’ABC est entré en interaction avec ces travailleurs informels en allant notamment « ramasser les déchets avec les Catadores », comme il dit, et en s’impliquant dans les forums locaux du FBES, où il a pu ainsi être confronté aux divers segments d’initiatives de l’économie solidaire.
60Sur Porto Alegre, un vice-président d’Unisol membre de la CUT pense que les petites coopératives et associations de l’économie solidaire ne comprennent pas les enjeux et que l’organisation et le fonctionnement du FBES ne sont pas adaptés, etc. Mais il dirige une entreprise récupérée ; il a fait toute sa carrière de militant au sein de la CUT et du PT ; il ne participe pas aux forums locaux du FBES et ne se rend aux rencontres du Rio Grande do Sul que pour se faire déléguer aux plénières nationales du FBES et y mener des batailles pour prendre la direction.
III.4 – Les interprétations cognitives créent des liens identitaires qui favorisent l’engagement dans des modalités d’interaction
61Ces deux contre-exemples montrent qu’on ne peut décider a priori des « forces sociales » qui ont conditionné l’action (Somers, 1992, Latour, 2007). Pour proposer une explication, et en l’occurrence comprendre comment les leaders syndicaux ont pu être orientés vers tel ou tel type d’interactions, il vaut mieux faire appel à ce qu’eux-mêmes désignent comme source de sens et d’action (Latour, 2007).
62En présentant les trajectoires des deux syndicats, on a mis l’accent sur les personnes, les organisations ou les institutions que les responsables syndicaux désignaient comme des vecteurs de leur action. Si la société civile ou les politiques publiques ont une telle importance dans la région de Porto Alegre, c’est parce que la plupart des leaders syndicaux du SMGPA y ont fait référence pour expliquer leur action. On peut parler d’ailleurs de l’existence d’un réseau informel de relations entre des membres de ces différentes organisations qui repose sur des significations partagées (et des pratiques d’échange) concernant les potentialités de l’économie solidaire, les méthodologies d’accompagnement, les types de formation (entretiens 2008).
63En revanche, si la société civile n’est pratiquement pas mentionnée lors de la reconstitution de la trajectoire du SMABC, c’est parce que ses interlocuteurs ne s’y réfèrent pas pour expliquer leurs orientations et stratégies dans l’économie solidaire. Certains d’entre eux ont pourtant des biographies similaires à des leaders du SMGPA, au sens où ils ont commencé à militer dans les organisations de l’Eglise (qui ont soutenu le renouveau du syndicalisme puis l’économie solidaire), mais ce passé ne fait plus sens au présent [21].
64En ce qui concerne les politiques publiques, il est marquant de constater qu’au cours des entretiens effectués pour cette recherche, les interlocuteurs du SMABC ne font pas référence à leurs relations avec la municipalité de Santo André pour ce qui concerne l’économie solidaire mais pour son action dans le développement régional [22]. C’est une conception de l’avenir de la région ABC et de la façon de développer des actions pour préserver sa compétitivité et l’emploi qui est ainsi partagée. C’est dans ce cadre que le SMABC participe à la gouvernance régionale néo-corporatiste et s’engage dans des interactions avec le monde des notables locaux et avec les entreprises pour lesquelles la recherche de la compétitivité et du profit est une contrainte posée comme incontournable. Ceci a pu influencer sa façon de décoder les besoins des chômeurs et des travailleurs informels comme de personnes qui manquent d’employabilité.
65Si les relations sociales dans lesquelles sont encastrés les acteurs sociaux peuvent encourager ou décourager certains cours d’actions (Somers, 1992, Diani, 2003) et en particulier conditionner leur choix de modalités d’interaction, c’est donc parce qu’elles sont porteuses de significations qui font lien, soit que les acteurs sociaux les partagent (dans le cas de réseaux de relations informelles), soit qu’ils les ont acceptées pour diverses raisons (parfois sous la contrainte de relations où ils ont une position socialement dominée). Mais tout cela constitue autant de modes d’identification ou d’appartenance à un groupe ou à une institution, qui peuvent être isolément ou conjointement activés lors de certains évènements.
66Ainsi, la demande de Lula de se rendre en Italie voir ces puissantes coopératives active le fait de faire jouer à la région ABC ce rôle d’expérimentation. Cette demande dirige le SMABC vers des interactions avec les syndicats et coopératives italiennes avec lesquels ce qui fait sens est de construire des institutions d’économie sociale pour réguler différemment le marché, non de faire de l’autogestion un levier d’empowerment collectif.
III.5 – L’évolution des interprétations cognitives dépend aussi du timinget des conditions, démocratiques ou pas, des interactions
67Le moment où interviennent les évènements peut aussi jouer un rôle dans la diffusion de certaines définitions de problèmes ou interprétations cognitives. Ainsi, les travailleurs informels (et les agriculteurs familiaux) commencent à devenir visibles dans le Rio Grande do Sul, ou commencent à devenir ce qu’on appelle un « problème public » à partir de la deuxième moitié des années 1980, quand, avec la fin du « miracle économique », il devient clair pour ceux qui ont été toujours délaissés par les gouvernements successifs qu’ils n’ont rien à attendre de ce « développement excluant » qui a caractérisé le développement capitaliste au Brésil. Le travail informel ressort alors comme le révélateur des limites d’un modèle socio-économique et comme une injustice sociale. En revanche, pour les syndicalistes du SMABC, le problème du travail informel surgit au cours des années 1990 comme une résultante des restructurations et mutations du travail, qui touchent cette fois massivement les travailleurs formels, et se traduisent notamment par la remise en cause de leurs droits.
68Autre aspect : le moment différent où se déploient les politiques publiques d’appui à l’économie solidaire dans l’ABC et la région de Porto Alegre. Quand Santo André crée sa politique d’incubateur de coopératives (1998-1999), le SMABC a déjà un projet bien défini dans l’économie solidaire. Il paraît logique qu’en 2000, Unisol SP cherche à mettre en œuvre la politique d’incubateur selon ce projet. A l’inverse, les syndicalistes de Porto Alegre (et du RS) n’ont pas encore d’orientation définie dans l’économie solidaire quand interviennent les premières politiques publiques de la municipalité (à partir de 1996), qui mettent l’accent sur le rôle que doivent y prendre les travailleurs informels comme sujets collectifs, comme le préconisent les organisations de la société civile mobilisées.
69Par ailleurs – résultat que prédisent les travaux sur la démocratie délibérative –, il se confirme que les interactions ont leur propre dynamique, selon le type de participants et leurs règles d’échange, sur un pied d’égalité ou pas. C’est ce que montre l’évolution d’Unisol : ses orientations sont au départ clairement cadrées par le SMABC, mais son positionnement actuel résulte des différentes interactions qui sont intervenues dans sa mise en œuvre. Lors de son extension à tout le Brésil (en 2004), elle accueille massivement des EES dont les travailleurs viennent de l’économie informelle ou ont une autre histoire de vie que celle des travailleurs des entreprises récupérées. Ces nouveaux membres peuvent faire valoir leur avis dans les réunions, congrès et se faire élire dans l’exécutif. Lors de son dernier congrès en 2009, Unisol a d’ailleurs décidé de s’impliquer plus fortement dans le FBES (dont étaient déjà membres une partie non négligeable de ses nouveaux adhérents). Quant au représentant du SMABC à l’exécutif, il ne définit plus Unisol comme une structure ayant l’objectif de rassembler « de grandes coopératives compétitives » mais de développer un « vaste mouvement de coopérateurs » (entretien 2008).
Conclusion
70Les réorientations d’agenda syndical n’aboutissent pas nécessairement à promouvoir des politiques qui répondent aux besoins et aspirations des outsiders (versus membership traditionnel). Car les traductions stratégiques de ces réorientations dépendent des identités collectives syndicales et, en particulier, de leurs interprétations cognitives des enjeux et des opportunités et contraintes dans le champ de l’action collective (soit leur façon d’expliquer le chômage et le travail informel et de percevoir les potentialités de l’économie solidaire). Ces interprétations cognitives constituent l’une des entrées matricielles de l’identité collective, avec les normes et valeurs (ou interprétations normatives), et se construisent dans les interactions auxquelles participent les deux syndicats examinés.
71L’examen comparé des pratiques des deux syndicats étudiés confirme ainsi le résultat (Ganz, 2000) selon lequel l’adoption de stratégies pertinentes à l’égard des outsiders dépend du fait que le syndicat soit ou pas en interaction avec ces outsiders.
72La question qui se pose dès lors est de savoir comment syndicats et outsiders entrent (ou pas) en interaction. L’étude de cas montre que les trajectoires qui mènent les syndicats à entrer ou pas en interaction avec les travailleurs informels (historiquement exclus de la représentation syndicale au Brésil) ne dépendent pas des ressources objectives des syndicats. Ces trajectoires ne sont pas non plus déterminées par le contexte local mais sont conditionnées par les relations sociales dans lesquelles les deux syndicats sont respectivement encastrés par le fait de partager des significations ou interprétations cognitives avec certains réseaux d’acteurs ou d’institutions. Dans les deux régions étudiées, on peut retrouver des réseaux d’acteurs ou institutions comparables, i.e. qui portent des significations comparables. Mais celles-ci peuvent rester latentes et ne pas déboucher, ou pas au même moment selon la région, sur la formalisation d’un problème public. Selon quelles relations sociales ou appartenances identitaires sont activées et selon la séquence des évènements, les deux syndicats étudiés participent à la construction et gestion de problèmes publics similaires ou différents. Ils s’engagent ainsi dans des modalités d’interaction porteuses de significations qui favorisent l’évolution ou le maintien de leur identité collective de référence, ouvrant ou fermant les possibilités d’entrer en interaction avec les outsiders.
73Le fait de s’engager dans telle ou telle modalité d’interaction revêt donc un caractère à la fois de dépendance au sentier parcouru et contingent. Cependant, l’étude de cas montre aussi que les pratiques démocratiques favorisent les rencontres entre syndicats et outsiders, comme en témoigne l’évolution d’Unisol (quand Unisol SP devient Unisol Brasil). En outre, lorsque les interactions s’effectuent sur un pied d’égalité, les outsiders peuvent amener leurs propres définitions des problèmes et désigner ainsi quelles formes de domination à combattre pour lutter contre les discriminations et inégalités qu’ils subissent. C’est ainsi que le SMGPA en vient à adopter des stratégies pertinentes dans l’économie solidaire. A contrario, l’étude de cas montre que le SMABC continue de facto à ne défendre que les intérêts institutionnalisés du membership traditionnel. Il n’est dès lors pas étonnant de constater qu’une réorientation de l’agenda syndical puisse non seulement ne pas atteindre sa cible mais même freiner une mobilisation collective des outsiders, puisque les intérêts institutionnalisés ne sont souvent pas loin des intérêts dominants (Kholi, 2002).
Références bibliographiques
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Notes
-
[1]
Doctorante en sociologie à l’Université de Montréal, rattachée au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) ; carole.yerochewski@umontreal.ca.
-
[2]
Selon le ministère de l’Emploi cité par le journal Folha de São Paulo (avril 2009), le taux de syndicalisation des travailleurs formels est de 25 %. Il s’agit toutefois plutôt d’un taux de couverture syndicale. Si on rapporte le nombre de syndiqués (4,838 millions) au nombre de travailleurs formels, le taux de syndicalisation est de 12,54 %.
-
[3]
L’intérêt d’appuyer des coopératives de Catadores (ramasseurs et trieurs de déchets) a aussi cheminé du fait de la mobilisation de ces derniers, qui créeront en 1999 le MNCR (le Mouvement national des Catadores de matériaux recyclables), et du fait des incitations, sous forme d’appels d’offres et de décrets, du gouvernement Lula à développer des chaînes de valeur dans le recyclage, à la demande du MNCR.
-
[4]
Ces fausses coopératives ont proliféré à partir de 1994, date à laquelle la loi a été modifiée pour considérer les coopératives comme « autonomes », c’est-à-dire indépendantes a priori de leurs donneurs d’ordre. Or, au Brésil, le statut de coopérateur est comparable à celui du travailleur indépendant. Contrairement à la législation française par exemple, la loi brésilienne sur le coopérativisme (1971) prévoit en effet que les coopérateurs ne peuvent avoir le statut de salariés (et vice-versa). En conséquence, si le chiffre d’affaires est faible, le niveau de revenu du coopérateur peut, comme celui d’un travailleur indépendant, être inférieur à ce qu’un travailleur formel devrait percevoir en termes de salaires direct et indirect. Par ailleurs, une coopérative peut embaucher des salariés ; ceux-ci ne participent donc pas aux décisions mais doivent bénéficier d’un livret de travail et des droits collectifs afférents.
-
[5]
Au Brésil, près des trois quarts des inégalités sont créés ou révélés par le marché du travail (Banque mondiale, 2002, cité par Problèmes économiques, n° 2871, du 16 mars 2005). Au sein de ces trois quarts, 40 % des inégalités proviennent de la segmentation entre marché formel et informel et des discriminations, 51 % des différences de formation initiale, la possession d’un diplôme étant bien plus récompensée au Brésil que, par exemple, aux Etats-Unis.
-
[6]
Voir à ce sujet les travaux sur la démocratie participative et délibérative de Baiocchi (2003) et Blondiaux (2005) concernant les conditions d’une participation effective de populations socialement dominées.
-
[7]
Ces résultats font partie d’un travail de recherche en vue de l’obtention d’un doctorat en sociologie à l’Université de Montréal (Québec).
-
[8]
A l’origine, ces organisations regroupaient ce qu’on pourrait appeler les notables locaux, associations de commerçants et d’affaires, professions libérales, qui considéraient que l’ABC n’était pas suffisamment représentée dans les organes de décision politico-institutionnels du pays. Ce sont elles qui ont sollicité les syndicats, alors désignés comme les responsables de la désindustrialisation de la région, et des ONG, notamment dans l’environnement.
-
[9]
Pour un aperçu plus exhaustif des positions en présence, voir notamment Sarria Icaza (2008).
-
[10]
Ce projet de loi a finalement été adopté après moult pérégrinations et amendements. La mouture finale a assoupli la façon dont les coopératives devaient se conformer à la loi en redonnant aux coopérateurs un pouvoir sur leur façon de gérer.
-
[11]
Alors la principale ville de l’ABC, où se déroulait l’un des budgets participatifs exemplaires au Brésil avec celui de Porto Alegre. Les deux villes ont été longtemps dirigées par le Parti des Travailleurs.
-
[12]
Un des dirigeants de ce syndicalisme rural a été pour plusieurs mandats secrétaire de formation de la CUT.
-
[13]
Pour une présentation exhaustive de l’économie solidaire et des politiques publiques dans le RS, voir Sarria Icaza (2008).
-
[14]
Programme de lutte contre la pauvreté créé par le gouvernement Lula, qui consiste notamment à verser une allocation aux familles qui scolarisent leurs enfants.
-
[15]
Les syndicats de l’ABC ont choisi de leur côté d’aider la construction de citernes dans le Nordeste.
-
[16]
Implicitement, cette personne fait référence à la difficulté à mener des débats dans la CUT du fait des incessantes batailles de pouvoir entre les divers courants idéologiques (Rodrigues, 1997, entretiens 2008).
-
[17]
Ceci au nom d’une « bataille pour conquérir l’hégémonie ». Pour une présentation plus exhaustive, voir Sarria Icaza (2008).
-
[18]
Ce que sont les syndicats dans une société capitaliste.
-
[19]
On ne discute pas ici le fait de considérer la Californie – dans laquelle se déroule l’étude de cas de Ganz – comme « homogène ». On discutera ultérieurement la notion de contexte ou espace local, qui, en toute rigueur, ne peut être assimilée à un espace géographique (Latour, 2007).
-
[20]
La municipalité de Santo André a d’ailleurs fait évoluer ses critères de sélection pour favoriser la création de coopératives populaires à partir des groupes d’habitants et a accepté de développer un accompagnement sur le long terme, misant sur la qualité de la démarche (soit la possibilité que les coopérateurs prennent vraiment en main la gestion solidaire de la coopérative) plutôt que sur les résultats quantitatifs de court terme (créer le plus de structures possible).
-
[21]
Différentes raisons peuvent être invoquées, mais on peut supposer que la stratégie suivie par le SMABC, au tournant des années 1990, pour asseoir la légitimité de la CUT face à ses rivales (Rodrigues, 1997) a pu contribuer à briser des liens individuels ou collectifs avec la société civile.
-
[22]
Les éléments sur la politique d’incubateur de coopératives de Santo André et l’attitude d’Unisol SP proviennent de la recherche documentaire.