Couverture de RDLI_057

Article de revue

Responsabilité sociale des entreprises et droit du travail (européen), amis ou ennemis ?

Chassez le juridique, il revient au galop

Pages 55 à 85

Notes

  • [*]
    Traduit de l’anglais par Christiane Dausse.
  • [**]
    Maître de Conférences en Droit du travail, Faculté de Droit d’Utrecht, Université d’Utrecht, et chercheur associé à l’ Institut de Droit du travail, Université de Leuven.
  • [1]
    Voir, au minimum, la déclaration du Président de la Réunion ministérielle en préface à la publication des principes directeurs de l’OCDE (2000) : « Le soutien et l’implication constants des milieux d’affaires, des représentants syndicaux et des organisations non-gouvernementales seront d’une importance cruciale pour faire des principes directeurs un point de référence et un outil de promotion de la responsabilité sociale des entreprises. » http://www.oecd.org/dataoecd/56/36/1922428.pdf ; la notion elle-même n’a pas été inscrite dans le corps des principes directeurs.
  • [2]
    COM (01) 366 final (ci-après appelé le « Livre vert »).
  • [3]
    Pour un aperçu récent de la position de la Commission : Cannart d’Hamale et al. (2006:65-80).
  • [4]
    Livre vert, p. 4.
  • [5]
    Ibid., p. 5. La définition de la RSE dans le Rapport du Forum plurilatéral est plus favorable. Elle ne décrit pas la RSE comme un concept en vertu duquel les entreprises intègrent les préoccupations sociales et écologiques dans leurs activités commerciales et dans leurs relations avec leurs parties prenantes. Elle définit la RSE comme l’intégration de ces considérations dans les activités des entreprises et énonce ainsi qu’elle désigne la qualité de la gestion d’une entreprise.
  • [6]
    Ibid., p. 8,
  • [7]
    Dans le Rapport final du Forum plurilatéral, cette approche est moins « conceptuelle ». La RSE y est en effet décrite comme une qualité de l’exercice des activités d’une entreprise et définie comme « l’intégration volontaire de considérations sociales et écologiques dans les activités de l’entreprise ». Voir Forum européen plurilatéral sur la RSE (2004), Résultats et recommandations finaux, p. 3.
  • [8]
    COM (2002) 347 final, p. 9.
  • [9]
    Ibid., p. 9.
  • [10]
    Livre vert, p. 9.
  • [11]
    Ibid., p, 18.
  • [12]
    Communication de la Commission concernant la Responsabilité sociale des entreprises : une contribution des entreprises au développement durable : COM (2002) 347 final, p. 8.
  • [13]
    COM (2002) 347 final, p. 8.
  • [14]
    Ibid., p. 12-16.
  • [15]
    Ibid., p. 16.
  • [16]
    http://circa.europa.eu/irc/empl/csr_eu_multi_stakeholder_forum/info/data/en/CSR%20Forum%20final%20report.pdf.
  • [17]
    COM (2005) 33 final.
  • [18]
    COM (2006) 136 final.
  • [19]
    COM (2005) 33 final.
  • [20]
  • [21]
    Les experts étaient E. Ales, S. Engblom, T. Jaspers, S. Laulom, S. Sciarra, A. Sobczak et F. Valdés Dal-Ré. Pour un commentaire de l’un des experts, cf. Laulom (2007:623-629).
  • [22]
    Communication de la Commission au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, Programme législatif et de travail de la Commission 2008, COM (2007) 640 final, p. 25.
  • [23]
    Communication de la Commission sur l’Agenda social, COM (2005) 33 final, p. 7.
  • [24]
    COM (2005) 33 final.
  • [25]
    COM (2007) 640 final.
  • [26]
    COM (2006) 136 final.
  • [27]
    Voir Article 5 de la Convention de l’OIT no 135; Recommandations no 94 et 129.
  • [28]
    Voir partie II b) des Dispositions de référence de la directive 2003/72 CE complétant le Statut de la Société coopérative européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs. Cet article dispose que la réunion entre l’instance compétente de la SCE et l’instance représentative portera, entre autres, sur les actions touchant la responsabilité sociale des entreprises.
  • [29]
    Voir la référence à l’Article 3.4) de la directive 94/45 CEE.
  • [30]
    A ce sujet, voir la résolution du CES du 4 décembre 2003 (http://www.etuc.org/a/578).
  • [31]
    COM (2002) 347 final : « Néanmoins, il convient de souligner que ces codes complètent, mais ne remplacent pas les législations nationale, communautaire et internationale, ainsi que les conventions collectives ».
  • [32]
    COM (2006) 690 final : « L’autorégulation va dans le sens de la politique de la Commission visant à encourager la responsabilité sociale des entreprises (RSE). On peut s’attendre à ce que les initiatives volontaires réalisées dans le cadre de l’Alliance européenne sur la RSE se traduisent par de nouveaux accords d’autorégulation. Ces initiatives, décidées par des entreprises de l’Union en coopération étroite avec les parties prenantes, devraient également contribuer à généraliser les pratiques de RSE en Europe et dans le monde. »
  • [33]
    COM (2006) 136 final.
  • [34]
    Voir entre autres A. Sobczak (2004:403) ; Justice (2003) et Meyer (2005:190-191).
  • [35]
    Ce que le droit du travail devrait être, le droit futur (NdT).
  • [36]
    A ce sujet, voir Sciarra (2006:46-48).
  • [37]
    A savoir, l’anglais responsibility et non liability, l’allemand Verantwortung et non Haftung et le néerlandais Verantwoordelijkheid et non aansprakelijkheid.
  • [38]
    Voir aussi les observations de Christine Neau-Leduc : « En effet, il [le terme volontaire] paraît reposer sur une distinction entre norme volontaire ? c’est-à-dire non obligatoire ? et norme légale ? c’est-à-dire obligatoire. Là réside la confusion […] Or ce n’est pas parce qu’une règle est adoptée volontairement dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir de droit privé qu’elle est dénuée d’effet obligatoire. » (Neau-Le Duc, 2006:955).
  • [39]
    COM (2002) 347 final, p. 7-8.
  • [40]
    Livre vert, p. 8.
  • [41]
    Le champ d’application personnel (les personnes visées) (NdT).
  • [42]
    Une intention de s’engager (NdT). Rauws (2007:209).
  • [43]
    A ce sujet : Cannart d’Hamale et al. (2006:186-188).
  • [44]
    Voir Cannart d’Hamale et al. (2006:184-185). La réponse à la question dépendra de la reconnaissance du fait que les causes peuvent être interprétées comme une stipulatio alterius.
  • [45]
    Voir le précédent dans le droit américain Kasky versus Nike auquel A. Sobczak se réfère (voir les références dans la note de bas 4, p.73). Pour de plus amples informations sur cette affaire : de Cannart d’Hamale et al. (2006:175-176).
  • [46]
    Sur l’impact de la loi sur la consommation, voir surtout : Sobczak (2004:411) et Sobczak (2002a:810).
  • [47]
    Livre vert, p. 14.
  • [48]
    Ibid., p. 14.
  • [49]
    Livre vert, p. 27
  • [50]
    Voir, entre autres, Daugareilh (2005:352-355). Pour une étude exhaustive : Jägers (2002).
  • [51]
    Voir l’analyse de Däubler et al. (2007:137-147). Voir aussi Colneric (1985:447-451) et Kissel (2002:603-605).
  • [52]
    Voir Rauws (2007:209).
  • [53]
    Sur ce sujet : voir TGI Versailles 17 juin 2004, CCE Schindler et FTM CGT contre Schindler SA, Droit ouvrier 2004, 473 rapporté par Meyer, 2005 : 194. Voir aussi tribunal de grande instance Nanterre, 6 octobre 2004 et Arbeitsgericht Wuppertal 154 juin 2005 rapporté par Cannart d’Hamale et al. (2006:166-167).
  • [54]
    Voir Cannart d’Hamale et al. (2006:166-167).
  • [55]
    Voir Arbeitsgericht Wuppertal, 15 juin 2005, Arbeit und Recht 2005, 331 confirmé par Landesarbeitsgericht, Düsseldorf, 14 novembre 2005, Arbeit und Recht 2005, 452.
    Voir, concernant la RSE : Cannart d’Hamale et al. (2006:166-167). Pour un examen complet de la question : Deinert et Kolle (2006:177-184). Cet article a donné lieu à la création d’une rubrique particulière dans le journal, intitulée « Liebe und Arbeit » (Amour et travail).
  • [56]
    Voir le passage suivant : « Le dialogue avec les parties prenantes concernées apporte une valeur ajoutée au développement des pratiques et des outils de RSE des entreprises. Les salariés faisant partie intégrante d’une entreprise, il est important d’accorder une attention particulière au rôle que les salariés et leurs représentants jouent, et de dialoguer avec eux. » Forum européen plurilatéral sur la RSE, Résultats et recommandations finaux, p. 3.
  • [57]
    Voir également le rapport du Conseil économique et social néerlandais (Sociaal-economische Raad).
    SER, Corporate Social Responsibility, Assen, Royal Van Gorcum, 2001, 21, 86,
  • [58]
    Voir Le Crom (2004:253-263).
  • [59]
    A ce sujet, voir l’observation de Moreau (2006:181).
  • [60]
    Pour une approche large similaire du problème de l’application, voir Malmberg (2003:330). S’agissant du problème de justiciabilité, voir plus haut.
  • [61]
    Voir en particulier la contribution de Le Crom (2004:253-263).
  • [62]
    Morin (2005:5-30) et Sobczak (2003:225-234). Pour une étude exhaustive : Sobczak (2002b).
  • [63]
    Sur le sujet, lire l’observation de Moreau (2006:183-321).
  • [64]
    Horreur du vide, NdT.
  • [65]
  • [66]
    Rauws (2007:211-213).

I – Introduction

1L’expression « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) a surgi de discours et de déclarations de sociétés anonymes qui réfléchissaient à la valeur ajoutée qu’elles apportaient à la société en général. La question : « faire des affaires entraîne-t-il des obligations morales ? » est aussi vieille que les économies de marché industrialisées. Par le passé, l’identité et la nature des acteurs ainsi que les préoccupations qui ont donné lieu à ce débat ont changé. Au XIXe siècle, certains capitaines d’industrie ont éprouvé le devoir moral d’améliorer les conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre qu’ils employaient. Ce sentiment de responsabilité morale n’était pas anonyme. Il était enraciné dans le cœur et l’esprit d’êtres humains propriétaires d’une entreprise intégrée qui menait ses activités à l’intérieur de frontières nationales. La distinction entre actionnaires et équipe de direction était moins pertinente qu’à l’heure actuelle. Le pluriel même « actionnaires » n’avait pas beaucoup de signification. La préoccupation morale immédiate de ces propriétaires concernait uniquement leurs salariés. Les questions relatives à l’environnement ou à la protection du consommateur n’étaient pas à l’ordre du jour. Les capitaines d’industrie avaient adopté une attitude paternaliste. Ils n’étaient pas favorables à l’implication des syndicats dans leurs efforts. Ils espéraient contrecarrer l’action des syndicats libres et indépendants en mobilisant leurs salariés dans le cadre d’une politique d’entreprise.

2Dans les années 1970, les multinationales anonymes ont commencé à faire l’objet de critiques en raison de leur attitude néo-colonialiste dans les pays en voie de développement qui s’étaient récemment déclarés indépendants. Leur immixtion dans les affaires politiques internes de ces pays éveillait les soupçons. La Déclaration tripartite de principes de l’OIT sur les entreprises multinationales et les Principes directeurs révisés de l’OCDE à l’intention des sociétés multinationales témoignent de la sensibilité des nouveaux états-nations à ces critiques. Ces deux textes appelaient les multinationales à une conduite responsable dans le champ social. Les principes directeurs révisés de l’OCDE mentionnent également d’autres aspects, notamment le développement durable, qui transcendent les domaines de l’emploi et des relations sociales (à savoir, la protection des consommateurs et de l’environnement). Mais ni la Déclaration tripartite de principes de l’OIT sur les entreprises multinationales (1977) ni les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des sociétés multinationales (1976) ne se référait explicitement à la responsabilité sociale en tant que telle. Le libellé « responsabilité sociale des entreprises » n’a été introduit dans un instrument international qu’en 2000, en l’occurrence, dans la révision des principes directeurs de l’OCDE [1].

3La référence à la responsabilité sociale des entreprises dans ces recommandations a été opérée à une époque de protestations grandissantes de la part des ONG des sociétés civiles occidentales à l’encontre des effets indésirables de la mondialisation actuelle de l’économie. Ces protestations ne s’adressent pas exclusivement aux sociétés multinationales mères qui exercent leur influence sur leurs filiales mais aussi aux soi-disant sociétés transnationales appelées hubs qui contrôlent effectivement tout un réseau de sous-traitants et de fournisseurs dépendant d’elles. Ces entreprises ont anticipé sur les obligations morales qu’entraîne leur responsabilité sociale si bien que parfois, le débat sur les intérêts des « parties prenantes » (stakeholders) semble dominé par ceux-là mêmes qui peuvent leur porter préjudice. Pour être crédible, la responsabilité sociale demande des échanges plus dialectiques entre les entreprises et les parties prenantes. De leur côté, les autorités ont intérêt à insister sur la responsabilité sociale des entreprises afin de sauvegarder ou d’élargir la légitimité et l’acceptation par le public d’un modèle économique fondé sur la liberté d’entreprendre. Comme dans les années soixante-dix, le débat sur la manière des multinationales de gérer leurs affaires a débouché sur l’élaboration de codes de conduite. Toutefois, ces codes n’ont pas été rédigés au niveau intergouvernemental. En effet, dans le droit fil de l’attitude d’anticipation des entreprises envers les critiques éventuelles à une époque où les effets perturbateurs de la mondialisation se font sentir, ces codes de conduite ont été mis au point par des sociétés multinationales mères et des sociétés hubs : autant d’exemples d’autorégulation et d’autolimitation.

4En juillet 2001, la Commission européenne a publié un livre vert destiné à « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » [2]. Elaboré par la direction générale de l’emploi et des affaires sociales, il traite principalement des responsabilités des entreprises dans le domaine social.

5Le présent article vise à évaluer dans quelle mesure l’insistance de la Commission européenne sur la RSE se rattache au droit du travail communautaire et à l’agenda social de la Commission. Il n’examine pas l’impact d’autres organisations internationales (ONU, OIT, OCDE et Conseil de l’Europe) sur le débat sur la RSE. De plus, il traite de la responsabilité sociale des entreprises stricto sensu, à savoir, la responsabilité des entreprises en matière d’emploi et de relations entre les partenaires sociaux.

6Nous étudierons, dans une première partie, le contenu et les conséquences du Livre vert de la Commission sur la RSE. Un aperçu sera donné de la façon dont la Commission conçoit la RSE. Ce qui devait être un projet ambitieux de cadre juridique de la RSE s’est mué en un discours creux de promotion de la RSE telle qu’elle existe déjà. L’idée de créer un instrument complet et spécifique qui s’attelle aux questions juridiques relatives à la RSE a ainsi été abandonnée.

7Malgré l’absence de démarche globale de ce type, certaines évolutions qui se sont fait jour dans l’agenda social de la Commission et dans l’approche générale de la Commission vis-à-vis du « mieux légiférer » permettent de s’attaquer à des problèmes juridiques plus actuels soulevés par la RSE, ce qui pourrait revenir à une démarche fragmentée. En outre, le discours sur le mieux légiférer pourrait servir d’alibi pour ne pas élaborer de cadre complet. Il est même possible que ce discours serve à développer la RSE au détriment d’un droit du travail fort, comme nous pourrons le constater dans une deuxième partie.

8Dans une troisième partie, nous tenterons de déterminer si le développement de la RSE remet en cause la perspective traditionnelle des sources du droit du travail ainsi que l’application de ce droit. Ces questions juridiques soulevées par la RSE sont imbriquées dans le rôle historique des acteurs collectifs de l’élaboration des normes du droit du travail. Nous nous demanderons si le développement de la RSE affaiblit les syndicats au profit des représentants élus des salariés. Par ailleurs, le discours sur la RSE laisse voir l’avènement d’un nouvel acteur collectif du côté des employeurs. En effet, tandis que les multinationales mères étaient au cœur de la déclaration multipartite de l’OIT sur les multinationales et des principes directeurs révisés de l’OCDE, des codes de conduite plus récents se concentrent sur la responsabilité des sociétés hubs qui contrôlent un réseau d’entreprises.

9Enfin, et ce n’est pas de moindre importance, un aperçu de ces questions juridiques nous amènera, en conclusion, à nous demander si la RSE peut fonctionner sans cadre juridique. Il est impossible, actuellement, de répondre à cette question primordiale. L’avenir dira si le développement des pratiques de RSE permettra d’améliorer l’application des normes européennes (et internationales) relatives au travail, ou si le discours sur la RSE ne vise qu’à masquer une impasse en matière de réglementation ou de convention.

II – Du Livre vert aux conséquences du Forum européen plurilatéral sur la RSE [3]

II.1 – Sémantique du Livre vert : la RSE en tant que concept

10Selon le Livre vert, l’intérêt que l’Union européenne porte à la RSE tient à la conviction que cette dernière peut permettre d’atteindre le but stratégique qu’elle s’est fixé à Lisbonne « de devenir l’économie du savoir la plus compétitive et dynamique au monde, capable d’une croissance économique durable qui crée davantage d’emplois et de meilleurs emplois ainsi qu’une plus grande cohésion sociale » [4]. Le Conseil européen de Lisbonne, en 2000, en a appelé au sens de la RSE en matière de meilleures pratiques concernant la formation tout au long de la vie, l’organisation du travail, l’égalité des chances, l’insertion sociale et le développement durable.

11Le Livre vert contient deux définitions de la RSE. Son introduction la définit en termes généraux :

12

- « La RSE est essentiellement un concept en vertu duquel les entreprises décident de leur propre initiative de contribuer à améliorer la société et à rendre plus propre l’environnement » [5].

13Sa partie 2 (« Qu’est-ce que la responsabilité sociale des entreprises ? ») décrit ce concept comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes » [6].

14Tandis que les philosophes moraux ont tendance à appréhender la responsabilité comme une qualité du comportement humain, la RSE est une construction intellectuelle issue de la pensée politique de la Direction générale qui la décrit comme un concept [7]. Ce concept peut s’entendre comme une tentative de réconcilier la liberté d’entreprise avec la recherche du bien-être ou du progrès social, économique et environnemental. La réconciliation en question est censée contribuer au « développement durable ». Elle renforce la « confiance mutuelle » entre les « milieux d’affaires et la société » [8].

15La communication sur la responsabilité sociale des entreprises fait état d’un « climat de confiance » entre milieux des affaires et parties prenantes. La relation entre eux est qualifiée de « symbiotique » [9]. Ce langage rappelle la préface des Principes directeurs révisés à l’intention des entreprises multinationales de l’OCDE (2000). Ceux-ci insistent sur la nécessité de « renforcer la confiance mutuelle entre les entreprises et les sociétés dans lesquelles elles exercent leurs activités ». Dans la section sur les « Politiques générales », il est recommandé aux entreprises de « contribuer aux progrès économique, social et environnemental en vue de réaliser un développement durable. » Les instruments principaux de l’OIT relatifs à la RSE sont libellés de façon similaire. La Déclaration de principes tripartite concernant les entreprises multinationales et la politique sociale (révisée 2000) vise à « encourager la contribution positive que les entreprises multinationales peuvent apporter aux progrès économique et social ». Le préambule de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT (1998) souligne l’importance de tels principes et droits « dans la recherche du maintien du lien entre progrès social et croissance économique. » En résumé, le discours sur la RSE est lié à l’idée de citoyenneté de l’entreprise. La RSE insiste sur le fait que cette citoyenneté impose des obligations et qu’elle ne peut se résumer à un ensemble de droits. Elle suggère que les entreprises adoptent une attitude civique.

16La vision exprimée par le Livre vert correspond au concept d’économie sociale de marché, l’un les objectifs de l’Union dans le traité établissant une constitution pour l’Union européenne. Le concept d’ « économie sociale de marché » avait été défendu par le comité exécutif de la CES (CONV 433/02 Annexe) ainsi que par le groupe de travail « Europe sociale » (CONV 516/03). L’article 3.3. de la Constitution établit que « l’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. » La formule a été reprise par le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

17La RSE se rapporte aux relations entre une « personne morale » et ses parties prenantes. Ces dernières vont des salariés de l’entreprise aux investisseurs, consommateurs, ONG et pouvoirs publics. En somme, la RSE porte sur la relation entre une personne morale et les citoyens.

18Malheureusement, le Livre vert et la communication concernant la RSE ont tendance à utiliser les termes de « société anonyme ou par actions », « société » et « entreprise » sans distinction. Or, la référence aux parties prenantes et l’accent mis sur le caractère social (au sens d’entreprise) de la responsabilité sociale requièrent une distinction entre personne morale et entreprise. L’entreprise doit être comprise comme cadre d’une coopération entre la direction et les salariés. Elle établit un lien entre la personne morale et l’une de ses parties prenantes principales. Or, si les salariés sont des parties prenantes de la personne morale, ils font aussi partie intégrante de l’entreprise. La signification du terme « société » est ambiguë. La RSE se définit comme une relation entre l’entreprise et ses parties prenantes, dont ses salariés. Par ailleurs, la relation avec les salariés est interprétée comme étant la dimension interne de la RSE, c’est-à-dire, « au sein de la société » [10]. Le mot « société » est donc utilisé dans deux acceptions différentes. Dans la définition, il désigne la personne morale. Dans la description des deux dimensions de la RSE, il est synonyme d’ « entreprise ».

II.2 – Programme du Livre vert : un cadre européen pour la RSE

19Le Livre vert ne cherchait pas seulement à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises en tant que telle. Il s’efforçait de promouvoir un cadre européen de responsabilité sociale des entreprises. Bien que ses conclusions indiquent qu’une clarification du « niveau et du contenu » d’un tel cadre était nécessaire et pouvait s’effectuer à la faveur de la période de consultation, le corps du Livre, lui, développait la question des rapports (reporting) et de l’audit de la RSE. Il indiquait ainsi que « pour éviter que ces rapports ne soient critiqués comme des instruments de relations publiques sans substance, il est aussi nécessaire que leurs informations fassent l’objet d’une vérification par des organismes tiers indépendants » [11].

20En réponse aux résultats de la procédure de consultation, la Commission a défendu la nécessité de mettre au point un cadre d’action en vue de promouvoir la transparence et donc, la crédibilité des pratiques de RSE [12]. Elle a indiqué que la prolifération d’instruments d’évaluation de la RSE, étant donné l’absence de critères et d’étalonnage clairs et vérifiables, était source de confusion pour les entreprises, les consommateurs, les investisseurs, les autres parties prenantes et le public en général. L’appréciation de la Commission selon laquelle ceci pourrait entraîner une distorsion des marchés semblait suggérer que l’élaboration d’un instrument juridique permettant une intervention réglementaire était imminente [13]. D’un point de vue juridique, la reconnaissance de la crédibilité et de la transparence en tant que principes d’action communautaire rendait possible une intervention législative. Dans une section relative à la convergence et à la transparence des pratiques et des outils de RSE, la Commission a avancé des propositions concrètes [14]. Elle a suggéré d’impliquer les partenaires sociaux et les autres parties prenantes concernées dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des codes de conduite. Elle a réitéré son invitation à toutes les sociétés cotées en bourse employant plus de 500 personnes à publier leurs résultats sociaux, économiques et environnementaux en conformité avec des principes directeurs et critères de mesure, de réalisation de rapports et de fiabilité acceptés par tous. S’agissant des labels pour les biens et les services, la Commission a suggéré de renforcer la transparence, au moyen de principes directeurs négociés, des programmes de labels qui respectent le socle minimal des conventions fondamentales et les normes écologiques de l’OIT. Dans sa communication, la Commission a également invité les « fonds de pension et d’investissement à indiquer comment ils tiennent éventuellement compte des facteurs sociaux, environnementaux et éthiques dans leurs décisions d’investissement. » Elle a encouragé les « initiatives visant à assurer un suivi et un étalonnage des pratiques des fonds de pension et d’investissement concernant ou favorisant la RSE », et a invité le Forum européen plurilatéral sur la RSE à « envisager la possibilité d’une approche commune au niveau de l’Union » [15].

21Ces suggestions vont de pair avec les positions exprimées par les syndicats et les organisations de la société civile au cours de la procédure de consultation. Ces dernières ont insisté sans ambiguïté sur la nécessité d’un cadre réglementaire permettant d’établir des normes minimales et d’assurer des conditions égales pour tous. Les milieux d’affaires, eux, ont souligné que les tentatives de réglementer la RSE seraient contreproductives.

II.3 – Impasse au sein du Forum plurilatéral sur la RSE

22La Commission a décidé de mettre sur pied un Forum plurilatéral sur la RSE afin de promouvoir la transparence et la convergence des pratiques et des instruments de RSE. La mission de ce forum consistait à repérer et explorer les domaines nécessitant des interventions supplémentaires au niveau européen. Il lui a été demandé d’examiner le bien-fondé de l’instauration de principes directeurs communs en matière de pratiques et d’instruments de RSE. Le rapport remis et présenté lors de sa dernière réunion, le 28 juin 2004, révèle que les milieux d’affaires et les parties prenantes n’ont pu trouver un consensus sur la nature et le contenu d’une action communautaire en matière de RSE [16].

23Les questions les plus litigieuses étaient liées à la diversité, la convergence et la transparence des pratiques et outils de RSE. Une table ronde leur a été entièrement consacrée. Le Forum a été dans l’impossibilité de produire des recommandations importantes dans ces domaines, qui auraient permis à la Commission de mener une action de réglementation. L’échec du Forum sur ces questions a poussé la Commission à abandonner l’idée de promotion d’un cadre de la RSE. Dans sa communication sur l’agenda social 2005-2010 [17], la Commission a adopté une position ambiguë. D’un côté, elle a souligné le besoin de contribuer à l’efficacité, la crédibilité et la transparence des pratiques de RSE. De l’autre, elle a remplacé l’idée de promouvoir un cadre de la RSE par la promotion de la RSE tout court. Cette dernière promotion, devrait, selon la Commission, entraîner une nouvelle dynamique dans les relations sociales. Toutefois, la promotion des relations sociales ne se ferait pas isolément, mais ferait partie intégrante de la stratégie européenne pour l’emploi.

24Le lien entre la RSE et les relations sociales est pertinent. Il peut en effet être utilisé comme argument pour impliquer les parties prenantes dans la conception des instruments et dans le suivi des pratiques de RSE.

25Dans sa dernière communication, Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises (2006) [18], la Commission reconnaît que le Forum plurilatéral sur la RSE n’a pu trouver de consensus sur le besoin de normes européennes en matière de RSE. Elle abandonne toute idée d’intervention juridique. En ses lieu et place, elle annonce « son soutien à l’alliance européenne pour la RSE ». Ainsi, la Commission adopte un rôle d’auxiliaire dans le soutien à un forum qui est le contraire d’un forum plurilatéral. L’alliance européenne est en effet réservée aux membres des milieux d’affaires. La Commission tend à promouvoir la RSE en tant qu’outil d’augmentation de la croissance durable, du nombre d’emplois et de leur qualité, et du développement durable. Son orientation politique n’a aucun rapport avec l’élaboration de normes ou d’un cadre de la RSE. D’un point de vue politique, il convient de rappeler qu’au moins trois directions générales (DG) de la Commission participent au débat sur la RSE. En plus de la DG de l’Emploi, des Affaires sociales et l’Egalité des chances, la DG des Entreprises et la DG de l’Environnement prennent part au débat (Cannart d’Hamale et al., 2006:75-76). Par conséquent, on peut se demander si le changement d’attitude de la Commission ne provient pas, du moins partiellement, d’un conflit d’opinions entre les DG concernées.

III – Problèmes, débats et perspectives de la politique (sociale) communautaire en matière de RSE

III.1 – Cadre juridique pour les négociations collectives transnationales

26L’agenda social de la Commission 2005-2010 professe la nécessité de fournir « un cadre facultatif aux négociations collectives transnationales » [19]. Accroître la capacité des partenaires sociaux d’agir à un niveau transnational est en effet considéré comme un instrument important de la mise en place d’un marché européen de la main-d’œuvre. Etonnamment, cela ne constitue pas une rubrique au chapitre « Une nouvelle dynamique pour les relations sociales ». La question de la RSE n’est pas non plus explicitement liée à l’élaboration d’un tel cadre juridique. La Commission a indiqué qu’un « cadre optionnel pour la négociation collective transnationale, soit au niveau de l’entreprise, soit à l’échelle d’un secteur, pourrait aider les entreprises et les secteurs à relever les défis se rapportant à des questions telles que l’organisation du travail, l’emploi, les conditions de travail et la formation. »

27Elle a expliqué les raisons d’une telle intervention. Les négociations collectives transnationales sont « un moyen innovant de s’adapter à l’évolution de la situation et d’apporter des réponses transnationales d’un bon rapport coût-efficacité. »

28Il semble que la Commission restreigne l’objet, et donc, l’autonomie des partenaires sociaux participant aux négociations collectives dans un tel cadre. Les négociations collectives transnationales sont un moyen d’anticiper et de gérer les changements tout en sauvegardant la sécurité de l’emploi. A première vue, le rapport avec la RSE est inexistant. Une telle affirmation mérite pourtant d’être nuancée à la lumière de la récente communication sur la Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises. Cette communication relie le développement de la RSE d’une part, et la croissance durable, davantage d’emplois et de meilleurs emplois, d’autre part. Les négociations collectives transnationales peuvent constituer un moyen d’appliquer les politiques de RSE qui touchent les entreprises transnationales et la main-d’œuvre. La Commission a indiqué que de nombreuses questions de droit du travail, telles que le développement des compétences, l’apprentissage et l’employabilité au long de la vie, ainsi qu’un plus grand respect pour les droits de l’Homme et les normes fondamentales du travail peuvent faire l’objet de négociations collectives.

29Dans l’agenda social, la Commission a annoncé qu’elle projetait d’adopter une proposition permettant aux partenaires sociaux de formaliser la nature et les résultats des négociations collectives transnationales. Dès 2005, Meyer signalait l’importance de ce passage de l’agenda pour le débat sur la RSE. Il soutenait qu’un cadre juridique optionnel permettrait aux partenaires sociaux d’agir sur un plan transnational en matière de RSE (Meyer, 2005:191).

30Lors de la préparation d’une telle proposition, la Commission a commandé une étude scientifique sur la question des négociations collectives transnationales. D’après l’appel d’offres, l’étude devait atteindre les objectifs suivants :

  1. offrir une vue d’ensemble complète des évolutions actuelles dans le domaine des négociations collectives transnationales et en cerner les tendances principales ;
  2. cerner les obstacles pratiques et juridiques à un développement plus important des négociations collectives transnationales ;
  3. cerner et proposer toute action permettant de surmonter ces obstacles et de soutenir un développement plus important des négociations collectives transnationales ;
  4. fournir à la Commission un socle de connaissances solide lui permettant d’évaluer la nécessité d’élaborer des règles-cadres qui viennent en complément des négociations collectives nationales, et mettant en lumière les aspects que lesdites règles devraient prendre en compte.
La question de la RSE est omniprésente dans le rapport Négociations collectives transnationales : passé, présent et futur[20], résultat de l’étude menée par le groupe d’experts ayant remporté l’appel d’offres, présidé par le professeur Edoardo Ales [21].

31Ce rapport s’attarde sur la prolifération de codes de conduite en matière de RSE au niveau des sociétés transnationales. D’autres passages de l’analyse des résultats du dialogue social par secteur peuvent également être reliés à la RSE. Ainsi, le rapport mentionne le code de conduite de RSE de l’industrie sucrière qui a été négocié au sein du comité de dialogue social sectoriel. Il reconnaît « le rôle moteur joué par les comités d’entreprise européens mis sur pied dans les entreprises transnationales dans le développement d’outils transnationaux au niveau de ces sociétés. »

32Le rapport Ales est remarquable en ce qu’il relève les problèmes juridiques qui découlent de la prolifération de ces codes de conduite. Ses propositions sur l’adoption d’un cadre optionnel peuvent s’avérer extrêmement utiles à la résolution de ces problèmes. Ces derniers concernent l’identité des partenaires aux négociations ainsi que le caractère contraignant des instruments, ces deux questions étant liées.

III.2 – Révision de la directive CEE

33Dans son récent Programme législatif et de travail 2008, la Commission européenne a confirmé explicitement son intention de réviser la directive 94/45 CE du 22 septembre 1994 (directive CEE) sur l’instauration d’un comité d’entreprise européen (CEE) ou d’une procédure au sein des entreprises ou des groupes d’entreprises de dimension européenne qui permette de procéder à l’information et à la consultation des salariés [22]. L’intervention vise « à renforcer le rôle du Comité d’entreprise européen, en particulier dans l’anticipation et l’accompagnement des restructurations ». A cet égard, la directive CEE sera rendue « plus cohérente et plus efficace ». La communication de la Commission a eu lieu suite à la communication sur l’agenda social (2005-2010) dans laquelle la Commission annonçait la participation des partenaires sociaux à la deuxième phase de consultation sur les restructurations et à la révision de la directive sur les comités d’entreprise européens (94/45) [23].

34La directive CEE de 1994 avait été adoptée au moment de l’élaboration du concept d’accord sur la politique sociale. Elle avait été conçue comme un outil garantissant le droit à l’information et à la consultation contenu dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989).

35Le contexte du débat actuel sur la révision, lui, présente plusieurs aspects. Le paradigme traditionnel des relations sociales n’est plus le cadre conceptuel dominant. Ainsi, dans l’agenda de politique sociale [24], la révision de la directive sur les comités d’entreprise européens n’est pas entreprise dans le cadre du chapitre « Une nouvelle dynamique pour les relations sociales », mais dans celui du « Plein emploi ». La directive CEE est liée au discours sur l’anticipation et la gestion des changements sur fond de concurrence mondiale exacerbée. Dans un Rapport du Groupe de haut niveau sur l’avenir de la politique sociale, le comité d’entreprise européen se voit promu au rang d’acteur important pour la conclusion des modalités de la flexicurité. On dit que ce rapport est une source d’inspiration pour l’agenda social de la Commission. Ce lien inédit entre CEE et stratégie européenne pour l’emploi est primordial également dans le Programme législatif et de travail de la Commission 2008[25].

36Le rôle du CEE en tant qu’acteur institutionnel important a été souligné de façon explicite dans le discours sur la responsabilité sociale des entreprises. De même, son rôle dans la mise au point de meilleures pratiques de RSE a été salué par la Commission européenne [26].

37En somme, il semble que le CEE se trouve promu au rang d’acteur dans le cadre de politiques qui n’ont aucun rapport avec la promotion et la défense des droits fondamentaux des travailleurs. Il se trouve catapulté au rang d’agent d’organisation de la flexicurité ou de représentant d’une partie prenante de premier plan (à savoir, le personnel) participant à la rédaction et/ou au suivi des codes de conduite de la RSE. On est en droit de se demander si un tel rôle ne transcende pas les frontières traditionnelles de l’engagement des travailleurs et n’empiète pas sur les prérogatives des syndicats. Le rôle assigné au CEE de force de pacification sociale dans une période de restructurations est dans le droit fil d’une conception traditionnelle de l’implication des travailleurs au niveau d’un site de production.

38La directive CEE a restreint les compétences du CEE à un rôle d’information et de consultation. Ce type de participation des salariés n’a pas d’impact sur les prérogatives de la direction. Nous sommes loin de la co-décision ou Mitbestimmung. De plus, contrairement au groupe spécial de négociation (GSN), le CEE n’est pas partie prenante à la négociation pas plus qu’il n’est consulté dans le but de trouver un accord.

39Le discours récent sur la RSE tend à impliquer le CEE dans un processus de dialogue ou de négociations sui generis. Ainsi, l’opinion du Comité économique et social européen se réfère explicitement au pouvoir de négociation du CEE :

40

« Un autre élément très important qui se dégage de l’examen des réponses de 409 délégués appartenant à 196 CEE est que 104 délégués font état de documents communs négociés et finalisés au sein de leurs CEE respectifs. Etant donné qu’en 2001, selon une grande étude menée par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, 14 accords avaient été signés directement ou indirectement par les CEE, il apparaît clairement, même si cette vue est partielle, que le rôle du CEE est en constant changement et que ces instances accumulent peu à peu un véritable pouvoir de négociation. »

41En outre, le comité laisse à penser qu’il se produit un élargissement des compétences du CEE lorsqu’il indique que :

42

« De plus, d’après une évaluation des pratiques actuelles des CEE, il semble que la Directive 94/45 devrait faire l’objet d’un réexamen étant donné les perspectives potentielles en matière de responsabilité sociale des entreprises et le rôle que les organisations de la société civile pourraient jouer aux côtés des entreprises de dimension européenne et mondiale, ainsi que les efforts que ces entreprises doivent fournir en matière de respect des droits sociaux et syndicaux fondamentaux dans leur domaine d’activité. »

43Une telle évolution pourrait présenter un grave danger de concurrence entre les syndicats européens et même nationaux en matière de négociations collectives. Un instrument juridique relatif à l’information, à la consultation et à la représentation des travailleurs au niveau de l’entreprise pourrait être utilisé pour saper la position des syndicats. En outre, il n’existe aucune certitude, d’un point de vue juridique, concernant la hiérarchie des préceptes de ce type de dialogue social au niveau d’une entreprise de dimension européenne par rapport à ceux, traditionnels, de la véritable négociation collective.

44Le rapport Ales, Négociations collectives transnationales, passé, présent et avenir, contient des garanties intéressantes visant à rendre impossible la concurrence entre syndicats et CEE. L’essentiel du rapport consiste à faire d’un véritable pouvoir de négociation attribué au CEE une condition sine qua non.

45A notre avis, l’idée d’élargir le rôle d’information et de consultation du CEE à celui de négociation en matière de codes de conduite est discutable. Il serait en effet contraire à l’esprit des instruments préconisés par l’OIT [27]de renforcer le rôle des représentants élus des travailleurs car la position des syndicats se trouverait fragilisée. Le CEE peut intervenir lorsque la direction élabore de façon unilatérale un code de conduite de RSE car il doit être informé et consulté. Le GSN devrait s’efforcer de garantir que le CEE soit informé et consulté en la matière. Une solution de nature plus structurelle serait d’amender la compétence du CEE en accord avec les prescriptions subsidiaires. Un tel amendement peut en effet stipuler que le CEE subsidiaire devra être informé et consulté sur les initiatives concernant la RSE, et qu’il est en parfaite cohérence avec les règles de base de la directive sur la SCE [28]. Cette dernière innove en ce sens qu’elle implique les représentants des travailleurs dans le processus d’adoption des codes de conduite par le biais d’un processus d’information et de consultation. Une telle intervention forcera la direction à négocier avec le GSN aux termes de cette prescription subsidiaire.

46Actuellement, la directive CEE semble fondée sur une approche classique de l’exercice de la domination par une entreprise. Bien qu’elle définisse le concept d’entreprise qui exerce le contrôle en termes très généraux comme une entreprise qui peut exercer une influence dominante, tous les exemples et les présomptions juridiques qu’elle contient sont tirés du droit des sociétés. En outre, les sociétés de holding ne sont pas considérées comme exerçant une influence dominante [29]. A une époque où les fonds de couverture des risques (hedge funds) et les fonds de pension interviennent dans la gestion des entreprises, cela semble discutable. Peut-on considérer que les soi-disant sociétés hubs exercent une influence dominante au sens de la directive sur toutes les entreprises d’une société en réseau, notamment sur les entreprises qui ne sont pas ses filiales, mais des sous-traitants ou des fournisseurs ?

47Les propositions du CES visant à étendre le concept d’« exercice d’une influence dominante » à « exercice d’une influence par le biais de modalités contractuelles » peuvent constituer un apport considérable à la crédibilité du discours sur la RSE. Ce concept garantirait que le CEE puisse réaliser un suivi des attitudes de domination de la direction centrale sur ses sous-traitants [30].

48La Commission européenne, qui a lancé la seconde phase de consultation le 20 février 2008, a indiqué qu’elle souhaitait élaborer une proposition en cas de refus ou d’incapacité des partenaires sociaux de trouver un accord. Sa communication ne contient aucune référence à la RSE. Elle ne mentionne pas non plus un rôle éventuel du CEE dans les négociations des codes de conduite de RSE, parmi les questions faisant l’objet d’une procédure d’information et de consultation. La Commission indique toutefois d’une façon plus ambiguë que le CEE devrait « pouvoir instaurer un dialogue social transnational véritable et trouver une nouvelle dynamique ». De plus, le Commission a annoncé explicitement un élargissement des questions faisant l’objet d’une information et d’une consultation.

49Elle paraît consciente d’une possible tension entre le rôle du CEE et celui des syndicats car elle propose de réduire le rôle du premier en reconnaissant « explicitement le rôle particulier que les organisations syndicales peuvent jouer dans les négociations et le soutien aux CEE, reconnaissance rendue effective par l’inclusion dans les directives 2000/86/CE et 2003/72/CE des organisations syndicales dans la liste des experts qui peuvent assister aux réunions du Groupe spécial de négociation. »

III.3 – Discours sur le « mieux légiférer »

50Dans le discours officiel de l’UE promouvant la RSE [31], celle-ci n’est pas considérée comme se substituant à la législation existante. La RSE est plutôt définie comme un comportement en-dehors et au-dessus des dispositions juridiques. Il convient de la voir comme un complément aux réglementations existantes. On peut se demander si ceci ne risque pas d’inciter la Commission et le Conseil à s’abstenir d’adopter davantage de règlements. Dans ce cas, la RSE équivaudrait à une forme de gestion des défis qui se posent à la société, ce qui exclurait toute véritable intervention de l’Etat. Si l’on entend par RSE des préceptes juridiquement contraignants, ce type de gestion reviendrait à une autorégulation.

51Actuellement, la question du mieux légiférer est prioritaire dans l’agenda de la Commission. La communication [32]du premier rapport sur la mise en œuvre de la stratégie de simplification réglementaire laisse à penser que l’autorégulation peut être considérée comme une façon de mieux légiférer. Dans la mesure où les codes de conduite de la RSE peuvent être entendus comme des préceptes ayant des effets juridiques, il ne semble pas impossible qu’ils soient considérés comme des alternatives valables à la réglementation étatique. Une telle évolution paraît discutable. La procédure d’adoption des normes concernant le travail est fondée sur des principes démocratiques qui garantissent la participation de représentants. Une adoption unilatérale des codes de conduite ne jouit pas de ce type de légitimité démocratique. A nos yeux, la prolifération spontanée des codes de conduite pourrait être utilisée comme argument justifiant l’inclusion de ce type de réglementation dans la véritable réglementation de l’Union. Ainsi, c’est la prolifération de prétendus accords existants relatifs à l’information et à la consultation dans les entreprises et groupes d’entreprises qui avait poussé la Commission et le Conseil à adopter la directive CEE. Actuellement, cette directive impose des procédures contraignantes qui obligent les entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire à se livrer à une sorte d’autorégulation en vertu des prescriptions subsidiaires.

52L’impact du discours sur le mieux légiférer a, semble-t-il, forcé la Commission à abandonner une approche proactive en faveur d’un cadre pour la RSE. Dans sa récente communication, Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises, elle considérait explicitement qu’« une approche imposant à celles-ci de nouvelles obligations et formalités administratives risquerait d’être contre-productive et serait contraire aux principes du mieux légiférer. » [33]

IV – Quelques questions juridiques posées par la RSE

IV.1 – La RSE et les sources du droit du travail

IV.1.1 – Rôle des lois

53La loi constitue une source importante du droit du travail pour deux raisons. La relation employeur-employé est réglementée de façon très détaillée par des décrets. De plus, ces décrets tendent à revêtir un caractère de droit public. Le droit du travail est plutôt conçu comme un moyen de réviser ou de corriger la liberté contractuelle en compensant une inégalité socio-économique originelle rendue plus aiguë par l’inégalité juridique (subordination) entraînée par le statut de salarié. Une véritable protection du salarié implique que la loi soit contraignante. L’avènement des codes de conduite a engendré la suspicion parmi les personnes attachées à la primauté de la loi en tant que source du droit du travail. A cet égard, on insiste sur le fait que les codes de conduite ne peuvent jamais se substituer à une véritable loi [34].

54Le recours traditionnel à la solution législative afin de compenser l’inégalité n’est pas pertinent dans les Etats dépourvus d’un corpus de normes juridiques afférentes au travail ou ceux dans lesquels l’application du droit du travail est une mascarade. Le développement de normes juridiques en matière de travail sous forme de codes de conduite pourrait préfigurer une situation de lex laboris ferenda[35]ou constituer un moyen de mieux appliquer le droit du travail.

55La prolifération de préceptes juridiques concernant la RSE sous forme de codes de conduite émis par des sociétés hubs est troublante également pour une autre raison : si les codes de conduite font l’objet d’un contrat au niveau des entreprises, cette prolifération corrobore l’évolution actuelle vers des négociations décentralisées [36].

IV.1.2 – Ambiguïté des normes volontaires

56Certaines langues européennes, comme l’anglais, font la différence entre responsabilité morale (moral responsibility) et responsabilité juridique (legal liability), contrairement au français (responsabilité) et à l’italien (responsabilità). Les versions du Livre vert dans les langues du premier type ont toutes opté pour la signification morale [37].

57Au premier abord, le concept et l’approche de la RSE semblent donc essentiellement d’ordre moral.

58Les fondements de l’éthique des affaires sont doubles. Les devoirs moraux de l’entreprise en tant que personne morale se fondent sur des arguments utilitaristes (c’est-à-dire son intérêt personnel à long terme), mais aussi sur des arguments plus altruistes ou humanistes. Le Livre vert n’envisage pas l’hypothèse d’un éventuel conflit entre l’intérêt personnel à long terme et les devoirs moraux envers les parties prenantes.

59L’aspect moral de la RSE semble corroboré par l’insistance du Livre vert sur le « caractère volontaire » de la RSE. Cependant, la portée du terme « volontaire » n’est pas claire.

60A notre avis, deux interprétations sont possibles. Tout d’abord, le caractère volontaire peut se définir par opposition à l’obligation légale. Ensuite, la nature volontaire peut se référer au caractère contraignant ou autonome d’un instrument que l’on s’est imposé à soi-même. Cette dernière distinction se rapporte à la différence entre règles hétéronomes, ou imposées par l’Etat, et autorégulation autonome. Le débat ne porte pas sur la déréglementation, mais sur l’identité de l’auteur. Il ne concerne pas la nature d’une règle (morale ou juridique), mais les origines de celle-ci et les procédures y afférentes. On assiste à un déplacement de la législation, plutôt qu’à la fin de la législation. Le choix d’une réglementation autonome n’interdit pas qu’un Etat reconnaisse et applique les textes issus de cette autorégulation à l’encontre de leurs propres créateurs [38].

61A nos yeux, le Livre vert indique nettement que le caractère volontaire de la RSE doit s’interpréter dans le cadre de la signification de l’autorégulation. Bien des passages mettent l’accent sur le fait que les instruments volontaires viennent en complément de la réglementation de l’Etat. Cela ne signifie pas en soi que ces instruments soient contraignants sur le plan moral seulement. Le caractère volontaire peut se concevoir comme l’expression d’une subsidiarité (horizontale). La communication de la Commission réitère le principe selon lequel l’action communautaire doit s’opérer tout en respectant intégralement la subsidiarité. Elle insiste sur le fait qu’il est clair que la RSE est une « décision des entreprises mêmes, qui naît de façon dynamique de leur interaction avec leurs parties prenantes. » [39]

62Une telle façon d’appréhender la RSE s’éloigne du caractère expressément volontaire des Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’OCDE. Ceux-ci, dit-on, sont des « recommandations que les gouvernements adressent aux entreprises multinationales » contenant « des principes et des normes volontaires de comportement responsable des entreprises dans le respect des lois applicables. » Les principes directeurs de l’OCDE ont été mis au point par les Etats-membres. En tant que tels, ils constituent des instruments hétéronomes. L’insistance sur leur caractère volontaire ne peut se rapporter qu’à leur nature non contraignante.

63La nature de l’ancienne Déclaration tripartite de principes de l’OIT concernant les entreprises multinationales et la politique sociale (1977) est différente. Cette déclaration posait des principes que gouvernements, organisations patronales et syndicales et entreprises multinationales s’étaient vus recommander de suivre de façon volontaire. Cet instrument contenait des recommandations. Etant donné le caractère tripartite de sa genèse, on peut difficilement le considérer comme étant absolument hétéronome. Le texte en avait été rédigé par un groupe tripartite et adopté par l’instance dirigeante du Bureau international du Travail. Le caractère volontaire de cet instrument laisse à penser que la déclaration était un ensemble de recommandations non contraignantes. Dans la mesure où le texte émanait d’un organe tripartite, on peut dire qu’il a un caractère semi-volontaire ou semi-auto-imposé.

64La Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) de l’OIT a été adoptée par la conférence internationale de l’OIT sur le travail. Cette déclaration résume les obligations découlant du statut de membre de l’organisation. Contrairement aux principes de l’OCDE et à la déclaration tripartite de l’OIT, cette déclaration ne s’adresse qu’aux Etats-membres. Ces derniers sont dans l’obligation de respecter, promouvoir et appliquer les principes et droits fondamentaux au travail. Quoique cette déclaration soit censée avoir une fonction pédagogique, car elle énonce plutôt qu’elle n’établit des droits fondamentaux, il serait trompeur de dire qu’elle n’est pas juridiquement contraignante. En effet, bien qu’elle ne le soit pas, son texte indique clairement que les droits fondamentaux qu’elle garantit constituent le noyau dur des obligations découlant du statut de membre. Ce texte a beau ne pas être contraignant, il se réfère à des principes qui sont compris comme tels.

65Il convient de distinguer la question du caractère contraignant des instruments de l’OCDE et de l’OIT de celle de leur application. Actuellement, le suivi de ces deux instruments n’autorise pas même à nommer et jeter l’opprobre sur telle ou telle entreprise. Les organes de surveillance ne sont habilités qu’à en réaliser des interprétations générales ou abstraites qui ne sont pas formellement liées au comportement d’entreprises en particulier.

66Le Livre vert fournit un autre indice expliquant la raison du caractère volontaire de la RSE : il encourage les entreprises à aller « plus loin que le respect de la législation » dans leur comportement en matière de responsabilité sociale [40]. La Commission entend que la réglementation étatique ou européenne soit minimale. La RSE cherche à établir un niveau « plus élevé » de comportements responsables que celui des entreprises qui respectent la loi de l’Etat. La nature juridique du niveau « plus élevé » susmentionné peut être inférieure à celle de la loi de l’Etat, mais le contenu concret de la norme est censé lui être supérieur.

67A y regarder de plus près, les codes de conduite tendent à aller au-delà du respect des règles de droit d’un autre point de vue également. Ce point de vue n’est pas en rapport avec le niveau des normes régissant le travail, mais avec le domaine ratione personae de ces normes [41]. Habituellement, les normes régissant le travail s’appliquent aux employeurs, c’est-à-dire aux employeurs qui ont une relation juridique avec le personnel. Les codes de conduite suggèrent que les sociétés hubs devraient être vigilantes quant au respect des normes du travail par leurs sous-traitants.

68On peut se demander dans quelle mesure et par qui les sociétés hubs peuvent être tenues responsables lorsque des sous-traitants ne respectent pas ces normes. La réponse dépend de la nature du code de conduite. Indépendamment du fait qu’il soit unilatéral ou le fruit d’un accord, il est essentiel de déterminer si l’on peut en déduire un animus obligationis[42]. Il est possible qu’un instrument contenant un tel esprit génère des effets juridiques selon la loi de l’Etat-membre applicable à cet instrument [43].

69En outre, le droit commercial et le droit de la consommation peuvent être utilisés pour conférer un caractère juridique à un code de conduite. La question est de savoir si les contrats passés entre les sociétés hubs et leurs sous-traitants stipulent l’obligation de respect des codes de conduite par ces derniers. Dans l’affirmative, la violation de ces codes par un sous-traitant pourrait constituer une rupture de contrat. L’actionnaire, protégé, étant une partie tierce au contrat, on peut se demander s’il peut invoquer ces clauses contractuelles [44]. Souvent, la société hub n’a aucun intérêt immédiat à vérifier que ces codes de conduite sont respectés. De plus, sauf spécifié au contrat, elle n’aura pas les moyens ni l’autorité d’inspecter les installations de son sous-traitant ou de son fournisseur. En outre, il est clair que la société hub elle-même ne risque pas d’être mise en cause en cas de non respect par ses sous-traitants. Elle est créditrice de l’obligation.

70Dans la mesure où les sociétés hubs ont tendance à donner l’impression que leurs produits et services sont fabriqués et livrés conformément à des codes de conduite, le droit de la consommation s’est avéré être un moyen efficace d’application des codes. La jurisprudence actuelle [45]conclut – et cela rend perplexe – que les consommateurs pourraient se trouver en meilleure position de faire respecter les normes régissant le travail que les travailleurs eux-mêmes [46].

IV.1.3 – Poids des codes de conduite

71Le Livre vert constate que la RSE « contient une dimension fortement liée aux droits de l’Homme » [47].

72Le lien entre la RSE et les droits de l’Homme est primordial au sein des principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’OCDE, de la Déclaration tripartite de principes de l’OIT concernant les entreprises multinationales, de la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT ainsi qu’au sein du Pacte mondial de l’ONU. La déclaration de l’OIT a reconnu le caractère fondamental d’un noyau de quatre droits au travail :

  1. liberté d’association et reconnaissance effective du droit à la négociation collective ;
  2. élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ;
  3. abolition effective du travail des enfants ;
  4. élimination de la discrimination à l’emploi et à la profession.
La reconnaissance du droit à la négociation collective est la preuve d’une interprétation progressiste de la liberté d’association. En effet, le droit à la négociation collective ne figure pas en tant que tel dans la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels. Une reconnaissance explicite, inscrite dans la Constitution, de la liberté de négocier collectivement est rare dans les Etats-membres de l’Union.

73L’approche contenue dans le Livre vert concernant les droits fondamentaux des travailleurs est décevante. La question des droits de l’Homme y est traitée en tant que l’un des aspects de la dimension externe de la RSE [48]. Cette dimension couvre les relations hors des murs de l’entreprise, alors que les droits fondamentaux des travailleurs sont les cibles les plus évidentes du comportement irresponsable de l’entreprise. Cette approche est en accord avec la définition des droits de l’Homme annexée au Livre vert. Ce dernier ne renferme aucune référence à la Charte sociale européenne [49]. En résumé, le Livre vert ne relie pas la dimension interne de la RSE à la question des droits fondamentaux des travailleurs. En fait, la section traitant de la dimension interne tend à ravaler cette question au rang d’aspect de la gestion des ressources humaines. Les droits à l’information, à la consultation et même à la participation sont encouragés afin que les entreprises s’en servent pour réussir à s’adapter et à changer. Du point de vue des droits fondamentaux des travailleurs, l’information, la consultation et la participation impliquent un droit de remettre en cause la nécessité de certains changements. Le dialogue social ne peut se réduire à un échange de vues sur les conséquences sociales des restructurations des entreprises.

74Le Pacte mondial de l’ONU est tout aussi décevant. Il a divisé ses neuf principes fondamentaux en trois rubriques, dont une est intitulée « droits de l’Homme ». Les droits fondamentaux des travailleurs de l’OIT sont ramenés à de simples « normes du travail » ; c’est-à-dire disqualifiés en tant que véritables droits de l’Homme.

75Bien que le discours sur la RSE soit censé viser des normes situées au-delà des obligations prévues par la loi, la référence aux droits fondamentaux des travailleurs y est extrêmement minimaliste. Au mieux, elle se réduit au noyau dur établi par la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT. L’un des quatre droits fondamentaux est celui de la « liberté d’association et la reconnaissance effective du droit à la négociation collective ». Dans le passé, les instances de surveillance de l’OIT ont fait preuve de militantisme juridique. Des instruments portant sur la liberté d’association et sur le droit à la négociation collective (conventions no s.87 et 98) ont été interprétés comme défendant le droit de grève. Une compréhension et un suivi adéquats du respect de la déclaration de l’OIT par une entreprise requièrent un examen complet des attitudes de celle-ci envers l’action revendicative.

76Bien que la référence aux droits fondamentaux des travailleurs ne semble pas apporter de valeur ajoutée substantielle, elle n’élargit pas l’application ratione personae de ces instruments internationaux. Dans le cadre d’une démarche classique, les entreprises transnationales ne sont pas considérées comme étant des sujets directs du droit international [50]. Une référence à ces normes dans les codes de conduite reviendrait à les incorporer dans un instrument de nature juridique différente et permettrait d’impliquer ces entreprises dans la sphère ratione personae de ces instruments.

77Les principes directeurs intergouvernementaux de l’OCDE pour les codes de conduite des entreprises multinationales peuvent apporter une valeur ajoutée par rapport à la protection du droit à l’action collective aux termes de la loi nationale. La loi nationale ne protège généralement pas les travailleurs contre l’exercice de la liberté de faire des affaires, de façon à faire échouer l’action collective. Et ce n’est pas parce que les salariés sont en grève que la prérogative de la direction de délocaliser l’entreprise ou du moins, d’en faire planer la menace sur les travailleurs est suspendue. On peut alors se demander si un tel lock-out sui generis ne peut pas être assimilé à l’exercice du droit de recourir à l’action collective par les employeurs.

78Le chapitre « Emploi et relations sociales » des principes directeurs de l’OCDE contient un paragraphe très explicite à ce propos :

79

« Lors de négociations de bonne foi avec des représentants des salariés sur les conditions d’emploi ou lorsque les salariés exercent leur droit de s’organiser, ne pas menacer de transférer hors du pays en cause tout ou partie d’une unité d’exploitation ni de transférer des salariés venant d’entités constitutives situées dans d’autres pays en vue d’exercer une influence déloyale sur ces négociations ou de faire obstacle à l’exercice du droit de s’organiser. »

80Le Bundesarbeitsgericht allemand a reconnu le droit de chaque employé de refuser de faire le travail des grévistes dans un contexte similaire [51]. Le Tribunal fédéral du travail a déclaré que les travailleurs avaient le droit de ne pas effectuer les tâches des salariés en grève. Il n’y a pas de raison de supposer qu’un tel droit ne soit pas invoqué, par analogie, par les salariés allemands, si on leur demandait de travailler à la place de salariés en grève dans un autre pays et de réaliser la production que ceux-ci réalisent habituellement. Mais ceci est différent du cas envisagé par les principes directeurs de l’OCDE, où les travailleurs ne réalisent pas les tâches des grévistes : l’unité de production dans son intégralité réalise le travail de production d’une autre unité d’une façon plus structurelle.

IV.1.4 – Règlements de travail contre codes de conduite

81Les codes de conduite émanant d’entreprises constituent un précepte juridique innovant dans le domaine de la responsabilité des entreprises. Ils ne constituent pas un phénomène si nouveau, en tant que tels. L’innovation réside dans le fait que les plus récents ne découlent pas d’une initiative intergouvernementale, mais de sociétés anonymes. Leur caractère novateur n’est pas non plus dû au simple fait que ce soient les employeurs qui produisent une réglementation. Depuis des temps immémoriaux, les employeurs exercent souvent leur prérogative de directeurs en produisant des règlements de travail. Ceux-ci peuvent être décrits comme des codes fixant la conduite de leurs salariés afin d’organiser l’usine. De prétendus codes de conduite visent à réglementer la conduite des salariés, mais aussi des sous-traitants ou des fournisseurs. Ils encouragent les employeurs à utiliser leur pouvoir économique pour contrôler le comportement de ces derniers. A cet égard, ils constituent un exemple d’autolimitation. Les règlements de travail ont fait l’objet d’interprétations juridiques dans les pays d’Europe occidentale depuis plus d’un siècle. Des juges et des législateurs se sont attelés aux questions de procédure et de fond y afférentes. Les premières concernent les personnes impliquées dans la rédaction du règlement. Les secondes concernent le caractère obligatoire des règlements de travail ainsi que leurs rapports hiérarchiques avec d’autres sources de droit codifiant la relation employeur-employé. C’est sous ces aspects qu’il peut être bénéfique de mener une étude comparative de l’interprétation des règlements de travail si l’on veut s’attaquer aux problèmes similaires relatifs aux codes de conduite.

82Dans la mesure où les codes de conduite réglementent généralement le comportement des salariés, le risque de confusion avec les règlements de travail est à son comble. Il est problématique de voir des employeurs contourner les règles touchant les règlements de travail en adoptant des codes de conduite qui réglementent le comportement de leurs salariés. La littérature juridique ayant trait aux codes de conduite prouve que certains font porter sur les travailleurs le respect de la responsabilité sociale de l’entreprise. Un exemple classique en est la pratique qui consiste à confier aux salariés la tâche de tirer la sonnette d’alarme [52]. Les salariés doivent dénoncer toute infraction aux normes juridiques ou morales que les employeurs prétendent protéger.

83S’abstenir d’agir ne peut engager la responsabilité des salariés car le code de conduite est adopté de façon différente des règlements de travail.

84Par une procédure en référé, le tribunal de grande instance de Versailles a ordonné à la société Schindler le retrait d’un code de conduite qui imposait aux salariés l’obligation de dénoncer tout manquement aux valeurs déontologiques protégées par le code de conduite. Des salariés avaient fait l’objet de sanctions disciplinaires [53]. D’autres exemples de jurisprudence française ont été rapportés qui illustrent que l’adoption unilatérale de codes de conduite sans consultation des comités d’entreprise est considérée comme problématique [54].

85Un autre exemple connu est celui des chapitres des codes de conduite réglementant les relations amoureuses entre les membres du personnel. L’évaluation de ce type de disposition concerne plusieurs aspects. Ces dispositions ont soulevé des questions de fond également. Dans l’affaire Wal-Mart, elles ont été mises à mal car elles violaient les droits constitutionnels à la dignité humaine et à la liberté personnelle [55]. Dans cette affaire, le code interdisait toute relation amoureuse qui pourrait avoir des conséquences sur les conditions de travail des salariés. Les juges allemands ont considéré ces dispositions nulles et non avenues, réaffirmant le droit constitutionnel de flirter. En somme, c’est un autre bel exemple de Drittwirkung, ou citoyenneté dans l’entreprise à l’allemande.

IV. 2 – RSE et acteurs du droit collectif du travail

IV.2.1 – Salariés contre autres parties prenantes

86Les syndicats continuent à jouer un rôle vital dans la promotion et la défense des intérêts des travailleurs. Les salariés constituent l’une des parties prenantes importantes de la personne morale qui prétend agir d’une façon socialement responsable. Historiquement, les syndicats ont forcé les employeurs à exercer leurs prérogatives d’une manière socialement responsable. Leur compréhension de la divergence entre le niveau de protection sociale offert par la législation de l’Etat et les exigences de justice sociale leur a permis de s’engager dans des conflits d’intérêt (sociaux) par opposition aux conflits juridiques. Ils ont encouragé les employeurs et leurs organisations à conclure des conventions collectives. La protection sociale procurée par la législation hétéronome de l’Etat a ainsi été complétée par des préceptes d’ordre autonome. De plus, les prérogatives unilatérales de la direction se sont trouvées réduites en faveur d’une sphère d’accords mutuels. En résumé, le discours sur la RSE en matière strictement sociale s’est avéré être un dialogue social entre partenaires. Le discours actuel sur la RSE apparaît comme un monologue des grandes entreprises réfléchissant à leurs responsabilités sociales. Une expression classique de cette attitude d’introspection est constituée par les codes de conduite mis au point par les multinationales.

87Le débat actuel sur la RSE porte sur le fait que soit considéré comme allant de soi l’ensemble unilatéral de prérogatives que la direction exerce de manière exclusive, en matière de gestion.

88Le Livre vert n’apporte aucune solution au conflit d’intérêts des différentes parties prenantes. Il traite de la relation entre la réglementation étatique et la RSE, mais ne donne aucune indication quant au conflit entre les accords conclus avec les syndicats et ceux passés avec les ONG. Il aborde les citoyens de façon fragmentée. Ceux-ci sont tour à tour des travailleurs, des consommateurs, des membres d’une collectivité et des créatures vivantes nécessitant un environnement sain. La qualité de travailleur n’est plus une capacité dominante et écrasante. Dans le Forum plurilatéral, l’idée a été soulevée que la main-d’œuvre constitue une partie prenante distincte [56]. Parmi les différentes parties prenantes concernées, les salariés et les actionnaires sont directement impliqués dans la vie de l’entreprise. Ils sont les principales parties prenantes qui se trouvent au cœur de la dimension interne de la RSE [57].

89La législation italienne contient un exemple rare d’un processus de négociation qui implique les organisations de consommateurs et les syndicats. La loi italienne régissant les grèves dans les entreprises fournissant des services de première nécessité est un bel exemple du rôle légitime que peuvent jouer consommateurs et syndicats dans un processus de négociation avec un employeur. La loi permet aux partenaires sociaux de déterminer les tâches indispensables au fonctionnement des services essentiels en cas de grève. Les organisations de consommateurs ne participent pas à la négociation. Elles sont habilitées à se faire entendre par la Commissione di guaranzia qui est tenue de réaliser le suivi de ces accords (cf. Art. 13 de la loi du 12 juin 1990).

90Le Livre vert disqualifie une RSE qui se substituerait à la réglementation par l’Etat. Il aurait été approprié d’ajouter qu’elle ne peut pas non plus se substituer à la négociation collective.

91De plus, il n’éclaircit pas le rôle des syndicats dans le suivi, la responsabilité de l’application de la RSE et la production de rapports la concernant. Au tournant du XXe siècle, les syndicats des Etats-Unis et de France n’ont pas hésité à attribuer des marques syndicales indiquant qu’un produit avait été fabriqué dans une usine employant uniquement des travailleurs syndiqués ou dont l’employeur respectait les conditions de travail stipulées dans une convention collective [58].

IV.2.2 – Syndicats et / ou représentants élus

92De plus en plus, la conscience se développe que la crédibilité des codes de conduite présuppose qu’en sa qualité de partie prenante, la main-d’œuvre doive participer à leur élaboration. La question de cette participation mène à deux problèmes liés l’un à l’autre. Tout d’abord, celui de la mesure de l’impact de cette participation sur la rédaction des codes de conduite. C’est dans le cadre d’un processus d’information et de consultation que la main-d’œuvre participera à la rédaction. Mais la décision d’émettre un code de conduite sera, finalement, prise unilatéralement par la direction et les représentants des travailleurs ne seront pas partie au code. Dans un autre scénario, un code de conduite cesse d’être un acte de gestion unilatéral et le personnel devient partie à ce code. Dans un scénario intermédiaire, la main-d’œuvre approuve l’émission, par la direction, d’un code de conduite unilatéral sans y être partie. Dans ce cas, la participation des salariés revient à une procédure de codécision.

93Un autre point problématique est celui de la nature de l’acteur représentant le personnel dans les négociations collectives qui doit participer à la rédaction. La pratique révèle que ce sont souvent les instances de représentants élus et les syndicats. A présent, le choix dépendra de la direction. Un choix à la discrétion de la direction entre les représentants élus et les syndicats pose forcément quelques problèmes. Bien des instruments de l’OIT soulignent qu’un processus d’information et de consultation impliquant les instances représentantes du personnel élues ne devrait pas affaiblir les syndicats. Dans la mesure où la négociation collective est une prérogative naturelle et historique des syndicats, des questions peuvent se poser quant à la pratique qui consiste à associer les comités d’entreprise européens à la signature des codes de conduite [59]. En effet, la directive CEE n’attribue pas la qualité de négociateur au CEE. Le rapport Ales évoqué plus haut avance des solutions valables permettant de surmonter la menace que constitue, pour les syndicats, l’utilisation de la participation des CEE.

IV.3 – Question de l’application de la RSE

94Un problème délicat posé par les codes de conduite réside dans la possibilité de les appliquer et cette question ne se limite pas à la justiciabilité. Cette dernière présuppose que les codes de conduite entraînent des obligations légales aux termes de la loi nationale [60].

95L’abondante littérature traitant de la RSE met souvent l’accent sur trois phénomènes que l’on peut interpréter comme des préceptes juridiques régissant la RSE. Aux côtés des codes de conduite, elle souligne l’obligation d’information (porter les rapports à la connaissance du public) des entreprises concernant leur conduite en matière de responsabilité sociale, et la question des labels. Ce catalogue hétéroclite ne reflète pas suffisamment le fait que les codes de conduite ont une dimension de fond, tandis que la production de rapports (reporting) et la labellisation ont une dimension essentiellement procédurale. Ces derniers sont un moyen de surveiller le comportement responsable des entreprises.

96La technique de production des rapports ou d’information des représentants des parties prenantes ainsi que la technique de labellisation sont toutes deux profondément enracinées dans l’histoire des relations sociales. La première rappelle l’implication des travailleurs dont les représentants doivent se voir présenter des informations qui leur permettent de « se faire une idée claire et juste des résultats de l’entreprise ».

97Cette technique est maintenant enchâssée dans un corpus croissant de directives communautaires.

98Un précepte juridique particulier permettant le suivi de la RSE est constitué des labels de qualité. Alors que les codes de conduite sont directement liés au comportement des employeurs, les labels de qualité, eux, sont directement rattachés aux produits et services. Dans la mesure où leur octroi présuppose que le fabricant ou le fournisseur de services respecte certaines normes morales et juridiques, on peut dire que ces labels sont directement liés à leur conduite. Leur attribution est un moyen d’appliquer les codes de conduite existants ou d’en réaliser le suivi. Dans la pratique, les normes afférentes aux labels de qualité seront différentes de celles des codes de conduite car si les labels peuvent être délivrés aux niveaux national, européen et même international, les codes de conduite sont généralement valables uniquement au sein d’une entreprise en réseau ou d’un secteur professionnel. Comme on l’a dit, de tels labels de qualité ne sont pas nouveaux. Dès la fin du XIXe siècle, les syndicats ont introduit la marque syndicale aux Etats-Unis et en Europe [61].

IV.4 – Entreprises en réseau contre groupes d’entreprises

99Le discours sur la RSE et l’avènement des codes de conduite semblent liés au développement des soi-disant entreprises en réseau [62]. Les sociétés hubs, qui ne sont pas au cœur d’un réseau d’entreprises ne sont pas liées par des contrats de travail passés directement avec les salariés des sous-traitants ou des fournisseurs du réseau. A cet égard, il n’existe pas de grosse différence entre ces salariés et ceux des filiales. Ces derniers ne sont en effet pas liés directement, par des contrats de travail, à la société mère. En matière d’implication des salariés, la directive CEE crée des obligations qui incombent à la société mère. Si la relation entre la société-mère et ses filiales est réglementée par le droit des sociétés, les liens entre les sous-traitants et l’entreprise hub sont régis par le droit commercial. Actuellement, le droit communautaire n’impose pas d’obligation en matière de participation des travailleurs au bénéfice des salariés des sous-traitants des grandes entreprises. Les codes de conduite peuvent constituer une source d’autorégulation qui atténue l’absence globale de toute responsabilité envers la main-d’œuvre employée par les sous-traitants [63].

V – Conclusion : cela peut-il fonctionner sans cadre ?

100La RSE peut-elle fonctionner correctement sans cadre juridique ? A l’évidence, l’idée que la RSE soit dépourvue de tout cadre juridique est erronée. Comme nous l’avons indiqué, le discours encouragé par les grands groupes s’agissant de la responsabilité sociale qu’ils ont eux-mêmes claironnée entraîne inévitablement des problèmes juridiques qui devront en fin de compte être tranchés par des juges. L’horror vacui[64] de ceux-ci débouchera sur des solutions à propos de cas concrets. Le débat sur le cadre pose la question de la nécessité de compléter certains préceptes juridiques de la RSE au moyen d’un cadre juridique spécifique qui devra posséder une valeur ajoutée par rapport aux solutions de droit ordinaires.

101Actuellement, la RSE risque d’être perçue comme un concept mis en avant par les entreprises à des fins de relations publiques. Mais dans le domaine de la responsabilité sociale, les actions pèsent plus que les mots.

102Le manque de crédibilité est dû à plusieurs raisons. Un cadre juridique qui corrobore la crédibilité de la RSE est nécessaire. Si celle-ci est censée réconcilier les entreprises avec la société, il est important de réconcilier tout d’abord la promotion de la RSE avec l’élaboration d’un droit du travail (fort). Il convient que la RSE vienne en complément du développement de ce droit.

103Les soupçons à l’égard de la RSE sont dus au fait que les discours à son propos ont souvent un caractère unilatéral. La structure de la responsabilité morale est essentiellement dialectique. Elle présuppose une interaction entre une personne tenue responsable de son comportement envers une autre affectée par le comportement de la première. Les entreprises tentent donc de combiner des qualités qui sont incompatibles. En effet, elles sont les auteurs potentiels d’infractions aux normes morales, et ce sont elles qui mettent au point ces normes et en réalisent le suivi. Il est nécessaire de mettre en place des garde-fous qui mettent fin à l’impression que les entreprises sont tout à la fois délinquantes, législatrices, inspectrices et juges.

104Un autre problème particulier est le manque de transparence des préceptes de la RSE. Lorsque la transparence est instaurée, il y a un manque global de convergence entre les préceptes transparents.

105S’agissant des codes de conduite, un consensus grandissant s’installe parmi les spécialistes quant à la nécessité d’impliquer les représentants des parties prenantes dans le processus d’élaboration (et de suivi) des codes de conduite. Cela soulève le problème de la réconciliation des prérogatives des représentants élus du personnel et de celles des syndicats. Etant donné que ces deux types d’acteurs coexistent dans les entreprises transnationales, il paraît adéquat d’informer et de consulter les représentants élus concernant les initiatives et les pratiques en matière de RSE. Si la direction opte pour un code de conduite de nature contractuelle, il est essentiel de ne pas empiéter sur les prérogatives des syndicats s’agissant des négociations collectives. Une solution intermédiaire pourrait consister à permettre aux comités d’entreprise européens de mener un dialogue sur les codes de conduite au terme d’une convention collective conclue par les syndicats.

106L’obligation faite aux entreprises de produire des rapports sur leur comportement en matière de responsabilité sociale peut être utile à deux fins. Tout d’abord, elle est un moyen d’opérer le suivi du comportement des entreprises. En effet, ces rapports ne serviraient à rien si les parties prenantes organisées ne pouvaient les commenter. Ensuite, une série de questions concrètes peut constituer un outil efficace pour définir un noyau dur de valeurs et de principes relatifs à la RSE. Elle peut servir de marche-pied à l’instauration de la transparence et de la convergence.

107L’Organisation Internationale de Normalisation (OIN) a annoncé avoir l’intention de produire une norme internationale qui contienne des principes directeurs sur la RSE [65]. La publication en est prévue en 2010. L’OIN a explicitement signalé que cette norme ne renfermerait pas de prescriptions et ne constituerait donc pas une norme de certification. Au mieux, un tel document peut être une source d’inspiration qui renforce une convergence des modalités de préparation des codes de conduite et des rapports sur la RSE. Actuellement, les documents préparatoires de cette organisation qui n’a aucun caractère de droit public en tant que tel ne présentent aucune indication claire quant au résultat final.

108S’agissant des labels, la loi belge du 27 févier 2002 « visant à promouvoir la production socialement responsable » [66]constitue un cadre juridique intéressant. Elle permet aux entreprises d’acquérir un label social pour leurs produits ou services auprès du secrétariat d’Etat au développement durable et à l’économie sociale. La procédure d’octroi de ces labels garantit un examen indépendant et impartial des dossiers de demande qui vérifie que l’intégralité de la chaîne de production est conforme à huit conventions fondamentales de l’OIT. Ainsi, la loi crée implicitement une norme relative à un aspect important de la RSE qui bénéficie également d’un suivi approprié. Il s’agit là d’une étape vers la transparence et la convergence.

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    • Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises, COM (2006)136 final.
    • Communication de la Commission au Conseil, au Comité économique et social et au comité des régions, Programme législatif et de travail de la Commission 2008, COM (2007) 640 final.
    • Comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats, CONV 433/02 Annexe.
    • Groupe de travail « Europe sociale », CONV 516/03.
    • Forum européen plurilatéral sur la RSE, Résultats et recommandations finaux, (2004).
    • Rapport du Conseil économique et social néerlandais (Sociaal-economische Raad).
    • SER, Corporate Social Responsibility, Assen, Royal Van Gorcum (2001) 21, 86.

Notes

  • [*]
    Traduit de l’anglais par Christiane Dausse.
  • [**]
    Maître de Conférences en Droit du travail, Faculté de Droit d’Utrecht, Université d’Utrecht, et chercheur associé à l’ Institut de Droit du travail, Université de Leuven.
  • [1]
    Voir, au minimum, la déclaration du Président de la Réunion ministérielle en préface à la publication des principes directeurs de l’OCDE (2000) : « Le soutien et l’implication constants des milieux d’affaires, des représentants syndicaux et des organisations non-gouvernementales seront d’une importance cruciale pour faire des principes directeurs un point de référence et un outil de promotion de la responsabilité sociale des entreprises. » http://www.oecd.org/dataoecd/56/36/1922428.pdf ; la notion elle-même n’a pas été inscrite dans le corps des principes directeurs.
  • [2]
    COM (01) 366 final (ci-après appelé le « Livre vert »).
  • [3]
    Pour un aperçu récent de la position de la Commission : Cannart d’Hamale et al. (2006:65-80).
  • [4]
    Livre vert, p. 4.
  • [5]
    Ibid., p. 5. La définition de la RSE dans le Rapport du Forum plurilatéral est plus favorable. Elle ne décrit pas la RSE comme un concept en vertu duquel les entreprises intègrent les préoccupations sociales et écologiques dans leurs activités commerciales et dans leurs relations avec leurs parties prenantes. Elle définit la RSE comme l’intégration de ces considérations dans les activités des entreprises et énonce ainsi qu’elle désigne la qualité de la gestion d’une entreprise.
  • [6]
    Ibid., p. 8,
  • [7]
    Dans le Rapport final du Forum plurilatéral, cette approche est moins « conceptuelle ». La RSE y est en effet décrite comme une qualité de l’exercice des activités d’une entreprise et définie comme « l’intégration volontaire de considérations sociales et écologiques dans les activités de l’entreprise ». Voir Forum européen plurilatéral sur la RSE (2004), Résultats et recommandations finaux, p. 3.
  • [8]
    COM (2002) 347 final, p. 9.
  • [9]
    Ibid., p. 9.
  • [10]
    Livre vert, p. 9.
  • [11]
    Ibid., p, 18.
  • [12]
    Communication de la Commission concernant la Responsabilité sociale des entreprises : une contribution des entreprises au développement durable : COM (2002) 347 final, p. 8.
  • [13]
    COM (2002) 347 final, p. 8.
  • [14]
    Ibid., p. 12-16.
  • [15]
    Ibid., p. 16.
  • [16]
    http://circa.europa.eu/irc/empl/csr_eu_multi_stakeholder_forum/info/data/en/CSR%20Forum%20final%20report.pdf.
  • [17]
    COM (2005) 33 final.
  • [18]
    COM (2006) 136 final.
  • [19]
    COM (2005) 33 final.
  • [20]
  • [21]
    Les experts étaient E. Ales, S. Engblom, T. Jaspers, S. Laulom, S. Sciarra, A. Sobczak et F. Valdés Dal-Ré. Pour un commentaire de l’un des experts, cf. Laulom (2007:623-629).
  • [22]
    Communication de la Commission au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, Programme législatif et de travail de la Commission 2008, COM (2007) 640 final, p. 25.
  • [23]
    Communication de la Commission sur l’Agenda social, COM (2005) 33 final, p. 7.
  • [24]
    COM (2005) 33 final.
  • [25]
    COM (2007) 640 final.
  • [26]
    COM (2006) 136 final.
  • [27]
    Voir Article 5 de la Convention de l’OIT no 135; Recommandations no 94 et 129.
  • [28]
    Voir partie II b) des Dispositions de référence de la directive 2003/72 CE complétant le Statut de la Société coopérative européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs. Cet article dispose que la réunion entre l’instance compétente de la SCE et l’instance représentative portera, entre autres, sur les actions touchant la responsabilité sociale des entreprises.
  • [29]
    Voir la référence à l’Article 3.4) de la directive 94/45 CEE.
  • [30]
    A ce sujet, voir la résolution du CES du 4 décembre 2003 (http://www.etuc.org/a/578).
  • [31]
    COM (2002) 347 final : « Néanmoins, il convient de souligner que ces codes complètent, mais ne remplacent pas les législations nationale, communautaire et internationale, ainsi que les conventions collectives ».
  • [32]
    COM (2006) 690 final : « L’autorégulation va dans le sens de la politique de la Commission visant à encourager la responsabilité sociale des entreprises (RSE). On peut s’attendre à ce que les initiatives volontaires réalisées dans le cadre de l’Alliance européenne sur la RSE se traduisent par de nouveaux accords d’autorégulation. Ces initiatives, décidées par des entreprises de l’Union en coopération étroite avec les parties prenantes, devraient également contribuer à généraliser les pratiques de RSE en Europe et dans le monde. »
  • [33]
    COM (2006) 136 final.
  • [34]
    Voir entre autres A. Sobczak (2004:403) ; Justice (2003) et Meyer (2005:190-191).
  • [35]
    Ce que le droit du travail devrait être, le droit futur (NdT).
  • [36]
    A ce sujet, voir Sciarra (2006:46-48).
  • [37]
    A savoir, l’anglais responsibility et non liability, l’allemand Verantwortung et non Haftung et le néerlandais Verantwoordelijkheid et non aansprakelijkheid.
  • [38]
    Voir aussi les observations de Christine Neau-Leduc : « En effet, il [le terme volontaire] paraît reposer sur une distinction entre norme volontaire ? c’est-à-dire non obligatoire ? et norme légale ? c’est-à-dire obligatoire. Là réside la confusion […] Or ce n’est pas parce qu’une règle est adoptée volontairement dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir de droit privé qu’elle est dénuée d’effet obligatoire. » (Neau-Le Duc, 2006:955).
  • [39]
    COM (2002) 347 final, p. 7-8.
  • [40]
    Livre vert, p. 8.
  • [41]
    Le champ d’application personnel (les personnes visées) (NdT).
  • [42]
    Une intention de s’engager (NdT). Rauws (2007:209).
  • [43]
    A ce sujet : Cannart d’Hamale et al. (2006:186-188).
  • [44]
    Voir Cannart d’Hamale et al. (2006:184-185). La réponse à la question dépendra de la reconnaissance du fait que les causes peuvent être interprétées comme une stipulatio alterius.
  • [45]
    Voir le précédent dans le droit américain Kasky versus Nike auquel A. Sobczak se réfère (voir les références dans la note de bas 4, p.73). Pour de plus amples informations sur cette affaire : de Cannart d’Hamale et al. (2006:175-176).
  • [46]
    Sur l’impact de la loi sur la consommation, voir surtout : Sobczak (2004:411) et Sobczak (2002a:810).
  • [47]
    Livre vert, p. 14.
  • [48]
    Ibid., p. 14.
  • [49]
    Livre vert, p. 27
  • [50]
    Voir, entre autres, Daugareilh (2005:352-355). Pour une étude exhaustive : Jägers (2002).
  • [51]
    Voir l’analyse de Däubler et al. (2007:137-147). Voir aussi Colneric (1985:447-451) et Kissel (2002:603-605).
  • [52]
    Voir Rauws (2007:209).
  • [53]
    Sur ce sujet : voir TGI Versailles 17 juin 2004, CCE Schindler et FTM CGT contre Schindler SA, Droit ouvrier 2004, 473 rapporté par Meyer, 2005 : 194. Voir aussi tribunal de grande instance Nanterre, 6 octobre 2004 et Arbeitsgericht Wuppertal 154 juin 2005 rapporté par Cannart d’Hamale et al. (2006:166-167).
  • [54]
    Voir Cannart d’Hamale et al. (2006:166-167).
  • [55]
    Voir Arbeitsgericht Wuppertal, 15 juin 2005, Arbeit und Recht 2005, 331 confirmé par Landesarbeitsgericht, Düsseldorf, 14 novembre 2005, Arbeit und Recht 2005, 452.
    Voir, concernant la RSE : Cannart d’Hamale et al. (2006:166-167). Pour un examen complet de la question : Deinert et Kolle (2006:177-184). Cet article a donné lieu à la création d’une rubrique particulière dans le journal, intitulée « Liebe und Arbeit » (Amour et travail).
  • [56]
    Voir le passage suivant : « Le dialogue avec les parties prenantes concernées apporte une valeur ajoutée au développement des pratiques et des outils de RSE des entreprises. Les salariés faisant partie intégrante d’une entreprise, il est important d’accorder une attention particulière au rôle que les salariés et leurs représentants jouent, et de dialoguer avec eux. » Forum européen plurilatéral sur la RSE, Résultats et recommandations finaux, p. 3.
  • [57]
    Voir également le rapport du Conseil économique et social néerlandais (Sociaal-economische Raad).
    SER, Corporate Social Responsibility, Assen, Royal Van Gorcum, 2001, 21, 86,
  • [58]
    Voir Le Crom (2004:253-263).
  • [59]
    A ce sujet, voir l’observation de Moreau (2006:181).
  • [60]
    Pour une approche large similaire du problème de l’application, voir Malmberg (2003:330). S’agissant du problème de justiciabilité, voir plus haut.
  • [61]
    Voir en particulier la contribution de Le Crom (2004:253-263).
  • [62]
    Morin (2005:5-30) et Sobczak (2003:225-234). Pour une étude exhaustive : Sobczak (2002b).
  • [63]
    Sur le sujet, lire l’observation de Moreau (2006:183-321).
  • [64]
    Horreur du vide, NdT.
  • [65]
  • [66]
    Rauws (2007:211-213).
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