Notes
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[1]
Quelle peinture magnifique !/Quel étrange tableau !/En vérité, je suis impressionné(e)/Ça me plaît, c’est gai/Ça m’émeut, Ça ne me plaît pas du tout/Quelle sensation angoissante !
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[2]
La formulation complète d’E. Panofsky est la suivante : « une fenêtre imaginaire, transparente, à travers laquelle nous dirigeons notre regard vers une section de l’espace ». Pour notre part, nous laisserons délibérément de côté l’adjectif « transparent » pour nous concentrer sur l’image de la fenêtre. En effet, le concept de transparence est fort contesté par les théories esthétiques plus récentes, qui rappellent son opacité.
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[3]
Quizás/acaso/tal vez + subjonctif : Peut-être que…
Puede que + subjonctif : Il est possible que… -
[4]
Me gusta porque… : Cela me plaît car…
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[5]
« Un titre peut aider à voir et à savoir ; il influe indubitablement sur la vision que l’on a d’un tableau », explique l’écrivain espagnol Julián Ríos, qui a fait d’extraordinaires incursions dans le domaine pictural. Dites dans quelle mesure cette phrase peut s’appliquer à Platón.
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[6]
Quels mots vous suggère cette toile de Ribera ? Citez 5 mots (impressions, lumière, formes, couleurs, détails de composition).
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[7]
a/ Copie en le schématisant le tableau de El Greco. b/ Souligne les adjectifs de couleurs dans le texte. c/ Colorie ton dessin.
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[8]
Les prénoms des étudiants ont été modifiés dans le respect de l’anonymat.
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[9]
Le tableau est austère. Les couleurs sont chaudes et sombres. La composition est sobre. La main gauche de l’homme est bizarre.
-
[10]
Les couleurs sont chaudes et sombres dans la peinture du Musée de Picardie tandis qu’elles sont criardes dans les dessins des enfants de CM2.
« L’œil devient l’allié de la langue et la langue, l’instrument de l’œil ».
1Il est écrit dans le Bulletin officiel spécial n° 4 du 29.04.2010 consacré aux langues vivantes étrangères que « l’histoire des arts éclaire sous un autre angle l’histoire générale, la culture et la pensée des pays concernés ». Or, les images culturelles sont largement prises en compte dans les programmes officiels d’Espagnol LVE, de l’école primaire au lycée. Référence est faite, en effet, aux grands musées, aux repères patrimoniaux et à différents modes d’expression artistique tels que la peinture.
2Notre culture d’enseignants d’Espagnol nous porte à utiliser selon nos compétences l’œuvre picturale comme document authentique représentatif de l’hispanité et comme vecteur d’apprentissage. Ainsi donc, nous nous proposons de réfléchir au rôle et aux fonctions d’un objet de formation en langue – culture : la peinture accrochée aux cimaises d’un musée.
3Comment considérer le tableau de maître découvert in situ comme support d’analyse porteur de parole alors qu’il n’est pas fait en soi de matière linguistique ? Dans quelle mesure peut-on faire émerger affects ou émotions esthétiques chez les apprenants en les amenant au musée et en leur apprenant à toucher du regard les objets artistiques dans toute leur matérialité ? Que peut apporter cette expérience esthétique à la pratique même de la langue-culture ?
4Le fil directeur de notre réflexion consistera à étudier en quoi l’enseignement de la LVE peut contribuer au projet très général d’une éducation artistique et culturelle, en nous appuyant sur des expériences menées hors les murs de la classe au Musée de Picardie à Amiens.
5Le tableau de maître fait partie de ces objets symboliques à apprendre ou pour apprendre, qui « transforment dans le temps la culture des collectifs dans lesquels ils circulent » (Adé, 2010, p. 19). Ajoutons que le chef-d’œuvre artistique envisagé comme marqueur culturel d’hispanité comporte une dimension psychologique et permet à l’apprenant de s’identifier en tant qu’hispanisant à part entière et de s’ouvrir à l’altérité culturelle. A la fois matière et forme sensibles, l’objet pictural permet d’éduquer le regard dans une perspective transdisciplinaire. A l’heure du zapping et du surfing, nous faisons l’hypothèse selon laquelle la singularité de l’œuvre d’art ferait naître impressions ou sentiments susceptibles de marquer durablement les apprenants, ferait surgir la parole ou imposerait le silence. In fine, en se rapprochant de l’univers du sensible, le professeur de LVE pourrait ainsi aider ses élèves à mieux cerner le concept d’hispanité, tout en contribuant à l’enseignement de l’histoire des arts.
Cadre théorique
6« Parce qu’on a des yeux, on croit qu’on sait voir et on juge » (Roland Recht, MEN, L’art à l’école, 2002, p. 18). Or, les élèves doivent apprendre à voir, à aller au-delà des simples apparences, à faire une pause et à regarder avec attention les œuvres d’art. Nous considérons le tableau de maître comme une fenêtre ouverte par laquelle les apprenants peuvent élargir leurs horizons, s’interroger, réfléchir, supposer, en travaillant à la fois une culture étrangère et son expression linguistique. Précisons que l’étude d’une peinture soigneusement sélectionnée peut contribuer à éveiller la curiosité, à se poser des questions, à interagir au sein de la classe, à traduire spontanément des émotions à travers un lexique approprié. L’expression du goût et des sensations en Espagnol LVE fait en effet partie des formulations simples à apprendre dès le palier 1 (B.O. n° 6 du 25.08.2005 horssérie) pour amorcer une première argumentation suivant une initiation à l’analyse méthodique : ¡Qué pintura tan preciosa ! ¡Vaya cuadro tan extraño ! La verdad, me impresiona. A mí me gusta, es muy alegre ou encore Me emociona esta pintura / No me gusta nada. ¡Qué sensación de angustia ! [1].
7Nous partons de la doctrine du théoricien des arts italien Léon Battista Alberti selon laquelle l’œuvre de peinture est à envisager comme « une fenêtre imaginaire […] [2], à travers laquelle nous dirigeons notre regard vers une section de l’espace » (Panofsky, 1969, p. 105). Une fenêtre ouverte sur l’Étranger et sur le monde sensible, dans le cadre actuel du développement de la culture humaniste et des connaissances en histoire des arts, préconisé dans le Socle Commun. De plus, la contemplation d’un tableau de maître se présente comme un voyage de découverte. Et pour reprendre les propos d’Ernest Gombrich, nous devons envisager les œuvres plus attentivement, et « plus nous les examinerons, plus nous aurons de chances d’y découvrir des aspects qui nous avaient échappé tout d’abord » (Gombrich, 2017, p. 33).
8L’analyse d’un tableau de maître en LVE exige une méthode (prise en compte de la structuration de l’espace de composition, de son organisation plastique), un lexique spécialisé de base, des stratégies élaborées permettant d’en faire découvrir par exemple progressivement les éléments constitutifs avant de le montrer dans son entièreté. On peut ainsi considérer que l’étude d’une peinture doit faire l’objet d’une démarche d’investigation avec émission d’hypothèses et une interprétation pertinente. Le rôle de l’objet symbolique s’avère donc organisateur, structurant. Pour comprendre ou explorer l’œuvre, le professeur fournit des outils, « qui prennent sens dans un cadre théorique englobant projet, méthode, connaissance et attitude » (Danvers, 2003). La finalité didactique des activités langagières de réception et d’expression est soit spécifique à la LVE (lexique, formulation du questionnaire, rapport à l’hispanité), soit transversale (genre oral du commentaire d’image, qui engage formes et pratiques discursives). Ces exercices langagiers seront construits selon des objectifs culturels, linguistiques, communicationnels et pragmatiques, qui répondent aux exigences du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. La première activité in situ au musée consistera de préférence en une contemplation de l’objet artistique afin d’apprendre aux adolescents à poser quelques instants leur regard sur un chef-d’œuvre. Face à la passivité intellectuelle et physique qu’engendrent les écrans, le tableau de maître peut être en effet un objet d’éducation à la sensibilité et à l’esprit critique, qui exige un apprentissage ou plus exactement une disposition construite. A l’aune des commentaires de l’IA-IPR M. Chanteux (2001), nous ferons remarquer que deux perspectives se dessinent : d’une part, l’émergence d’amateurs éclairés et la formation de consommateurs d’art au sens le plus noble du terme ; d’autre part, la confrontation de l’apprenant à l’artistique en l’impliquant dans une problématique esthétique plus ou moins complexe.
9Tout comme ses collègues des autres disciplines, le professeur de LVE assure une fonction de médiation. Il se doit de « déconstruire préjugés et stéréotypes, de décoder les implicites, d’ancrer l’image dans un environnement historique… » (Duvin-Parmentier, 2010, p. 157). La fonction d’une création artistique ne peut être exclusivement illustrative. Et de plus en plus d’enseignants de LVE sont demandeurs dans le domaine de la formation continue pour apprendre à décoder des images fixes ou mobiles et accroître leurs connaissances dans ce domaine. Depuis plusieurs années, le nombre de professeurs d’Espagnol du Secondaire inscrits au Plan Académique de Formation pour se perfectionner dans l’analyse plastique et sémiologique en témoigne. La place importante de l’image artistique dans les programmes des CAPES et Agrégation d’Espagnol est aussi révélatrice à ce sujet. Rappelons enfin que les enseignants de LVE peuvent être amenés à intervenir dans la préparation de l’option d’histoire des arts dans la perspective du Brevet et/ou dans les parcours d’éducation artistique ou les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Le but est de mettre les élèves sur un pied d’égalité face à la culture et aux arts, en les sensibilisant à des œuvres qui sont des jalons de l’Humanité et qui seront étudiées de façon transversale. Ajoutons que les manuels d’Espagnol des collèges et des lycées proposent des reproductions de peintures de qualité ainsi que des dossiers sur l’histoire des arts présentés en général sur une double page consacrée par exemple au muralisme mexicain ou aux peintres du Siècle d’Or. Ces documents iconographiques associés à des textes littéraires ou informatifs contribuent à mettre en valeur la culture hispanique et le langage artistique des maîtres de la peinture. Le professeur de LVE dispose ainsi de supports pédagogiques exploitables en classe, sous forme de reproductions en couleurs.
10Mais susciter l’intérêt des jeunes pour l’art hispanique, c’est également les encourager à pousser les portes des musées en France et à l’étranger. Les voyages ou sorties scolaires aideront non seulement les élèves à avoir un rapport authentique et concret à l’œuvre, mais ils participent aussi de la formation d’un amateur éclairé et d’une forme consécutive d’émancipation de l’individu. Si nous nous plaçons du côté des enseignants, la visite au musée constituera un enrichissement pour la didactique de la LVE et de la langue-culture : entraînement à l’épreuve orale de LVE au Baccalauréat à partir d’un document iconographique, aide à l’emploi d’un vocabulaire plus précis dans le domaine des sentiments, du repérage dans l’espace de la composition, de la description spatio-temporelle, de la communication (parler à/parler de) sur la base d’un référent culturel, contribution au développement des compétences de compréhension et d’expression des apprenants, le tout dans le cadre intégrateur d’une initiation à une pratique culturelle (la visite au musée).
Présentation d’expériences
11Nous avons eu l’occasion d’intervenir à plusieurs reprises dans les salles du Musée de Picardie à Amiens, au courant de ces dernières années. Nos auditoires constitués de professeurs stagiaires d’Espagnol ou d’étudiants hispanisants du Master MEEF Premier Degré ont réfléchi aux moyens de sensibiliser les enfants et les adolescents à l’art lors d’un face-à-face avec l’objet artistique, en respectant un temps d’observation, puis en favorisant des attitudes de réceptivité et des échanges en langue étrangère.
Expérience 1
12C’est ainsi qu’en décembre 2003, nous avons organisé avec A.-M. Frantzen (enseignante d’Histoire et Géographie en lycée), professeur-relais chargé de l’action éducative, une journée de formation au Musée de Picardie à destination de 28 professeurs stagiaires d’Espagnol de l’IUFM d’Amiens. Notre but était de leur proposer la création d’un projet pédagogique axé sur le patrimoine muséal. Ce projet était édifié autour des artistes espagnols représentés dans ce grand musée, en particulier Juan Reixach, El Greco, José de Ribera, Pablo Picasso et Joan Miró. De l’analyse des besoins à l’expérimentation, nous souhaitions faire créer un outil susceptible de faciliter la mise en place d’une sortie scolaire au musée et l’acquisition de connaissances culturelles pour des collégiens ou lycéens. Et à la suite de l’historien P. Joutard, nous avons attiré l’attention de notre assistance sur les apports d’une éducation au patrimoine : « une approche sensible des réalités, une initiation au monde symbolique, un bon équilibre entre l’enracinement et l’ouverture, tant il est vrai qu’une grande-œuvre s’inscrit dans une culture spécifique et renvoie à l’universel » (Joutard, 2010, MEN, L’art à l’école, p. 20). Nous avons donc demandé à nos professeurs stagiaires de se répartir en groupes pour réfléchir à la démarche à mettre en œuvre avec une classe, dans le cadre d’un parcours au musée. Des questionnaires et des activités langagières devaient être établis par les élèves-professeurs. Ils disposaient de deux objets pivots : en premier lieu, un corpus documentaire composé d’extraits du catalogue établi par le conservateur du Musée de Picardie, M. Pinette Couleurs d’Italie, couleurs du Nord – Peintures étrangères des musées d’Amiens ; en second lieu, un cahier de ressources pédagogiques intitulé « Le langage de la peinture – Expériences et échanges internationaux » élaboré en collaboration avec des enseignants d’Anglais, d’Italien et d’Allemand. Ce cahier exposait des récits de visites de lycéens amiénois et / ou étrangers et suggérait des activités destinées à servir d’appui à notre formation. Nous avons donc apporté une pierre à l’édifice en mettant en place un projet artistique et culturel axé sur la construction d’un concept de l’hispanité, en réfléchissant au rapport à la religion ou encore à l’austérité des portraits du Siècle d’Or où domine le clair-obscur. Notre regard s’est aussi porté sur des représentations féminines originales et surprenantes voire provocantes et choquantes (peinture de Picasso et sculpture de Miró). Les stagiaires furent ainsi invités à travailler autour d’une ou plusieurs peintures et d’une sculpture hispaniques :
- Groupe 1 : La Sainte Trinité/La Santa Trinidad (v. 1450), Reixach (v. 1431-h. 1484).
- Groupe 2 : Portrait de gentilhomme/Retrato de hombre (v. 1600), El Greco (1561-1614).
- Groupe 3 : Platón (v. 1630) – Saint François de Paule – San Francisco de Paula (v. 1650) et Le miracle de saint Donat d’Arezzo/El milagro de Santo Donat de Arezzo (1652), œuvres de Ribera (1591-1652).
- Groupe 4 : Peintre et modèle/Pintor y modelo (1967) de Picasso (1881-1973) et Femme/Mujer (1968), sculpture de Miró (1893-1983).
- Groupe 5 : Parcours du visiteur actif (découverte des 7 objets muséaux cités ci-dessus).
Expérience 2
13Quelques mois après notre formation, une tempête a endommagé le premier étage de l’édifice consacré à la peinture, par conséquent en travaux depuis plusieurs années. En attendant la réouverture des salles de peintures et avant de regagner les réserves, ont été présentés sous forme de Focus des chefs-d’œuvre des collections. Cela a retenu toute notre attention lorsque nous avons mis en place en collaboration avec J. Guyot (guide conférencière), une sortie culturelle à visée pédagogique destinée aux futurs professeurs des écoles hispanisants de Master 1, en mars 2014.
14Le Musée de Picardie inaugurait depuis quelque temps un format d’exposition trimestriel focalisé sur un seul tableau, en l’occurrence Portrait de gentilhomme du peintre tolédan El Greco. Une majorité des étudiants MEEF nous a avoué ne jamais avoir franchi les portes de ce haut lieu culturel.
15Nous avions préalablement travaillé sur des pages de manuels d’Espagnol LVE destinés au cycle 3 du Primaire. Nous avions constaté le rapport texte/image important propre à ces documents. La présentation des tableaux était souvent réductrice et frustrante. Bien évidemment, les exigences de lecture iconique étaient basiques. Il ne s’agissait en aucun cas d’analyser ces images artistiques, qui étaient simplement exploitées dans une perspective didactique. L’étude de ces supports pédagogiques composés de reproductions de tableaux constituait un contre-exemple et devait faire réagir les étudiants. De fait, ces derniers estimèrent dans leur majorité que ce type de support – fort riche au demeurant, d’un point de vue culturel – ne pouvait présenter un intérêt pour les enfants qu’à la suite de la découverte in situ des œuvres en question au musée. Nous avions ainsi atteint notre objectif, qui consistait à démontrer le bien-fondé d’une sortie dans un lieu patrimonial pour ouvrir la classe sur l’extérieur, dans une perspective heuristique. A travers une leçon d’histoire des arts au musée de Picardie, on pensait donc fournir un contexte et un sens à l’apprentissage de la langue-culture espagnole.
16En cette année 2014 où nous célébrions le quatrième centenaire de la mort du Greco, nous avions ainsi décidé de lire et de commenter un article de presse en langue étrangère concernant l’actualité de ce peintre, d’écouter et d’interroger un guide conférencier du musée, puis de créer des documents ressources pour la classe d’Espagnol. Nous avions examiné le format, l’espace de composition, les contrastes de couleurs, les formes, la texture de cette huile sur toile, l’importance du regard de ce gentilhomme peint, les objets de fonction symbolique. Les futurs maîtres des écoles avaient à imaginer des activités ludiques faciles et stimulantes censées développer la mémoire, la perception visuelle et la coordination motrice de leurs élèves.
Résultats et conclusions
17Nous présentons à la suite l’analyse réflexive partielle de ces deux formations au musée, dont l’objectif premier relevait de la métacognition : apprendre à faire vivre aux élèves l’expérience de l’œuvre en réception.
Expérience 1
18Lors d’une discussion face à l’œuvre, les élèves-professeurs créèrent des activités langagières de repérage de détails de composition qui donnèrent lieu à un « parcours du détective » constitué d’un questionnaire en langue castillane et d’énigmes à résoudre, des exercices d’observation à partir d’un QCM avec justification des réponses, une présentation du tableau lors d’une expression orale en continu grâce à une prise en compte scrupuleuse du cartel, une révision grammaticale de l’idée d’éventualité (adverbes quizás/acaso/tal vez + subjonctif, puede que + subjonctif) [3] pour essayer de déterminer l’identité d’un personnage peint, un schéma à compléter relatif aux différentes parties du corps et à la tenue vestimentaire, un échange oral en interaction concernant les regards et le rôle éventuel du hors champ, l’expression du goût (me gusta porque…) [4], des mots clés à retrouver dans une grille et des phrases à construire en réemployant ces mêmes mots. Autant d’outils permettant à des élèves d’intégrer un lexique et des notions sur la peinture hispanique, tout en enrichissant leur savoir dans le domaine de l’histoire et du patrimoine local. La perspective herméneutique des enseignants face à l’objet artistique devait mettre en avant des signes comme autant d’éléments symboliques de l’hispanité. Au sujet de La Sainte Trinité, de Saint François de Paule et du Miracle de saint Donat d’Arezzo, nous nous référerons à un échange d’idées mené avec A. Panero (philosophe, ESPÉ d’Amiens, 2017), qui précise à juste titre que « selon le principe de neutralité en vigueur à l’école – que l’on appelle aussi le principe de laïcité –, l’enseignant doit plutôt prendre acte, avec toute l’objectivité souhaitable, des deux grandes logiques, finaliste et antifinaliste, qui sous-tendent toute activité artistique et créatrice. En prendre acte, ce n’est donc jamais adhérer à l’une au détriment de l’autre, mais c’est avant tout les présenter aux élèves comme deux faits culturels ». A propos des tableaux Platon et Portrait de gentilhomme, nous ferons ressortir un « troublant sentiment d’humanité » (Pinette, 2001, p. 68) et une capacité à faire « émerger les figures d’atmosphères ténébreuses » (Pinette, 2001). Quant aux représentations féminines de Picasso et Miró, « si le ‘choc’ devant le tableau Peintre et modèle et la sculpture Femme peut certes susciter un moment de silence, il s’agit toujours, en l’occurrence, d’un silence qui fait sens et relève donc encore du langage, et non d’un silence qui rend définitivement inaudible tout langage » (Panero, 2017). Les professeurs stagiaires jugèrent que l’étude de ces deux dernières œuvres exigeait une certaine maturité (cycle terminal du lycée) car la nudité peut mettre mal à l’aise certains adolescents. F. Barbe-Gall (2009, p. 19) juge que « dans tous les cas, mettre en avant le sens de l’œuvre sera le meilleur moyen d’atténuer ou de dépasser le problème », i.e. la nudité.
19Faire comprendre aux élèves la phénoménalité de l’œuvre d’art par le biais de la contemplation, en leur apprenant à porter toute leur attention sur « l’acte de la réceptivité sensible » (Darriulat, 2007) semble essentiel. Voici 2 exercices dont les consignes ont été revues et corrigées par l’enseignant-chercheur, suite à la formation au musée. Ces exercices aident à la mise en mots :
- Exercice 1 [5] : « Un título puede ayudar a ver, y a saber, influye indudablemente en la visión que se tiene de un cuadro », explica el escritor español Julián Ríos, que hizo extraordinarias incursiones en el campo de la pintura.
- Diga en qué medida esta frase se puede aplicar a Platón.
- Exercice 2 [6] : ¿Qué palabras le sugiere este lienzo de Ribera ? Cite 5 palabras (impresiones, luz, formas, colores, detalles compositivos).
Expérience 2
20Les étudiants éprouvaient une appréhension à l’idée de travailler de façon approfondie avec une classe sur une image artistique. Ils ont apprécié de découvrir Portrait de gentilhomme dans une confrontation privilégiée, puis d’envisager une séquence sur le portrait dans le Primaire (cycle 3). Cette séquence devait intégrer plusieurs séances de LVE comprenant des activités plastiques et langagières créées autour de cet objet symbolique : il s’agissait d’établir une première relation sensible avec l’œuvre après un temps de contemplation et de prendre la parole en langue française à partir d’un jeu de questions. Voici ce que propose C. Lemaire, professeur des écoles et enseignant-relais au musée de Picardie, dans un dossier consacré au Portrait de gentilhomme (Service des Publics d’Amiens Métropole, 2014) :
Jeu de questions : Qu’est-ce que vous ressentez ? Qu’est-ce qui vous surprend dans ce personnage ? Qu’est-ce qui vous étonne ? Qu’est-ce qui vous plaît ou vous déplaît ? Quelles impressions vous donne ce personnage (calme, dignité, rigueur, austérité, réserve…) ? Quels sont les éléments qui attirent votre regard ? Pourquoi ?
22Après l’étape de découverte, nous estimions qu’une représentation personnelle du tableau à l’aide d’un crayon de bois aurait permis aux enfants de s’approprier l’œuvre à leur façon, en la schématisant. Cette activité a-verbale devait être pratiquée dans le plus grand silence et le respect des lieux, i.e. le musée. Plus tard, les enfants auraient à parachever en classe l’ébauche de dessin à l’aide de couleurs indiquées en espagnol. Enfin, il était question de redonner vie au personnage pictural en le présentant à la première personne du singulier à l’aide d’un vocabulaire basique en LVE, lors d’une courte théâtralisation.
23Nous proposons ci-dessous l’une des activités créées avec les étudiants de MEEF et destinées à des élèves de CM2 :
Activité plastique et LVE [7] en cycle 3
- Copia esquematizándolo el Retrato de hombre de El Greco.
- Subraya los adjetivos de colores en el texto.
El caballero lleva un traje verde y una gorguera roja.
Su barba es azul y su pelo rubio.
Los libros, símbolos del saber, son marrones.
El fondo de la composición es anaranjado. - Colorea tu dibujo.
Dessin d’Hugo, CM2
Dessin d’Hugo, CM2
25Lors d’un débat avec le groupe d’étudiants, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle le professeur des écoles pouvait lire plusieurs fois lentement les 4 phrases où apparaissent des adjectifs de couleurs pour que les élèves terminent leurs dessins. Le travail d’enfant (cf. fig. ci-dessus) a été réalisé, lors d’un stage en établissement (situation testée en groupe-classe) : le crayonnage est soigneux, la prise en compte de la gravité et du hiératisme de la figure picturale est appréciable. La mise en couleurs a été faite dans la précipitation avec des crayons à mine épaisse, mais dans le respect du chromatisme indiqué. Une étudiante a fait remarquer qu’une exposition des dessins d’enfants composés face à l’œuvre pouvait donner lieu à un débat et « mettre en avant l’austérité du personnage portraituré et la forme étrangement allongée des doigts de la main gauche » (Camille [8], étudiante). Un autre étudiant a suggéré qu’une sélection de quelques dessins d’enfants pouvait être affichée sur le tableau blanc : il a estimé judicieux de comparer le chromatisme des travaux et celui de l’œuvre muséale dont la sobriété et la gamme restreinte de couleurs attirent le regard (Quentin, étudiant). A la suite de cette suggestion, nous avons fait observer que ce n’est pas la ressemblance qui constitue le but de l’activité de réception et de production, mais l’effet heuristique qui est le produit d’une situation-problème. Au niveau linguistique, nous avons mis l’accent sur l’emploi de quelques adjectifs clés dont la transparence facilite le réemploi : El cuadro es austero. Los colores son cálidos y oscuros. La composición es sobria. La mano izquierda del hombre es extraña [9]. Nous sommes passés ensuite à une phrase de comparaison impliquant une recherche au niveau de l’adjectivation : Los colores son cálidos y oscuros en el cuadro del Museo de Picardía mientras que son chillones en los dibujos de los alumnos de CM2 [10].
26Les étudiants ont approuvé la suggestion d’exercice de leur camarade Quentin, qui souhaitait sensibiliser les enfants à l’harmonie des couleurs et à la singularité d’une œuvre hispanique, en employant des mots simples en LVE : « On peut transmettre une petite part de cette œuvre ou plutôt un peu de son esprit, surtout si le dessin a été fait dans l’ambiance du musée ». De façon certes maladroite mais perspicace, ce futur enseignant a souligné « la préoccupation d’ethos […] ou d’atmosphère […] dans la découverte d’une peinture : rencontrer une œuvre, c’est se placer dans une disposition particulière, que les textes officiels désignent explicitement comme visée d’apprentissage, sous le terme de ‘sensibilité’ […] » (Chabanne et Dufays, 2011, p. 12).
27A la lumière de nos expériences et des résultats décrits de façon non exhaustive, l’étude d’un tableau de maître au musée permet de vivifier à la fois la discipline LVE et la culture artistique générale des apprenants. Grâce à des stratégies nouvelles et à des activités langagières adaptées, les élèves apprendront à affiner le lexique et les notions artistiques abordées, transposables au niveau transversal. Cela contribuera à changer leur regard sur le patrimoine culturel et favorisera le déchiffrage du langage des peintures qui est l’art de la première interprétation.
28Selon E. Gombrich (p. 29), « accroché au mur du musée, protégé contre la curiosité trop directe du visiteur, un tableau prend un caractère abstrait et comme lointain ». Face à la résistance ou à l’hésitation des élèves-professeurs de LVE vis-à-vis de grandes œuvres picturales envisagées comme supports de cours in situ, nous proposons l’apprentissage d’attitudes et de codes, selon un enjeu éducatif qui va bien au-delà de l’instruction linguistique.
Bibliographie
Bibliographie
- Adé David et De Saint-Georges Ingrid (2010) Les objets dans la formation – Usages, rôles et significations, Toulouse, Octares.
- Barbe-Gall Françoise (2009) Comment parler d’art aux enfants ?, Paris, Le baron perché.
- Chabanne Jean-Charles et Dufays Jean-Louis (2011) Parler et écrire sur les œuvres littéraires et artistiques : contours et enjeux d’une problématique, Repères n° 43 Parler écrire sur les œuvres : une approche interdidactique des enseignements artistiques et culturels, Lyon, Ecole Normale Supérieure de Lyon.
- Chanteux Magali (2001) https://arts-plastiques.ac-versailles.fr/IMG/pdf/chanteux_-_quelques_reflexions.pdf (09.02.2018).
- Danvers Francis (2003) 500 mots-clefs pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.
- Darriulat Jacques (2007) http://www.jdarriulat.net/Essais/InterpretOeuvre.html (31.05.2015).
- Duvin-Parmentier Bénédicte (coord.), Joutard Philippe (préface) (2010) Pour enseigner l’histoire des arts – regards interdisciplinaires –, Amiens, Scérén, CRDP Amiens.
- Gombrich Ernst Hans (2017) [1950] Histoire de l’Art, Londres, Phaidon.
- Ministère Éducation Nationale (nov. 2002) L’art à l’école – Le patrimoine, numéro spécial, Beaux-Arts Magazine, Paris, Scérén CNDP.
- Ministère Éducation Nationale (2005) BO HS n° 6 du 25 août 2005, Programmes d’Espagnol LVE : Collège Palier 1.
- Ministère Éducation Nationale (2007) BO n° 8 du 30 août 2007, Programmes d’Espagnol LVE : Primaire.
- Ministère Éducation Nationale (2010) BO n° 4 du 29 avril 2010, Programmes d’Espagnol LVE : Seconde.
- Ministère Éducation Nationale (2010) BO spécial n° 9 du 30 septembre 2010, Programmes d’Espagnol LVE : Cycle terminal.
- Panofsky Erwin (1969) L’œuvre d’art et ses significations – Essais sur les arts visuels, Paris, Gallimard.
- Pinette Matthieu (2001) Couleurs d’Italie, couleurs du Nord – Peintures étrangères des musées d’Amiens, Paris-Amiens, Somogy et Musée de Picardie.
- Wajcman Gérard (2004) Fenêtre – Chroniques du regard et de l’intime, Lagrasse, Verdier.
Notes
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[1]
Quelle peinture magnifique !/Quel étrange tableau !/En vérité, je suis impressionné(e)/Ça me plaît, c’est gai/Ça m’émeut, Ça ne me plaît pas du tout/Quelle sensation angoissante !
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[2]
La formulation complète d’E. Panofsky est la suivante : « une fenêtre imaginaire, transparente, à travers laquelle nous dirigeons notre regard vers une section de l’espace ». Pour notre part, nous laisserons délibérément de côté l’adjectif « transparent » pour nous concentrer sur l’image de la fenêtre. En effet, le concept de transparence est fort contesté par les théories esthétiques plus récentes, qui rappellent son opacité.
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[3]
Quizás/acaso/tal vez + subjonctif : Peut-être que…
Puede que + subjonctif : Il est possible que… -
[4]
Me gusta porque… : Cela me plaît car…
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[5]
« Un titre peut aider à voir et à savoir ; il influe indubitablement sur la vision que l’on a d’un tableau », explique l’écrivain espagnol Julián Ríos, qui a fait d’extraordinaires incursions dans le domaine pictural. Dites dans quelle mesure cette phrase peut s’appliquer à Platón.
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[6]
Quels mots vous suggère cette toile de Ribera ? Citez 5 mots (impressions, lumière, formes, couleurs, détails de composition).
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[7]
a/ Copie en le schématisant le tableau de El Greco. b/ Souligne les adjectifs de couleurs dans le texte. c/ Colorie ton dessin.
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[8]
Les prénoms des étudiants ont été modifiés dans le respect de l’anonymat.
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[9]
Le tableau est austère. Les couleurs sont chaudes et sombres. La composition est sobre. La main gauche de l’homme est bizarre.
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[10]
Les couleurs sont chaudes et sombres dans la peinture du Musée de Picardie tandis qu’elles sont criardes dans les dessins des enfants de CM2.