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Article de revue

Reconfiguration de l’enseignement de l’informatique à l’école primaire : quelle conscience disciplinaire chez les professeurs des écoles stagiaires ?

Pages 27 à 40

Introduction

1Les travaux présentés ici s’inscrivent dans le programme de recherche ANR DALIE (Didactique et Apprentissage de l’Informatique à l’École). Celui-ci vise à étudier l’appropriation, par des enseignants en situation de classe ordinaire, d’artefacts tels que les robots pédagogiques et les apprentissages visés par les enseignants et observés chez les élèves. L’objet de cet article est le volet de ce programme concernant les représentations de l’informatique chez les professeurs stagiaires.

2Si l’informatique au collège et au lycée en France ne peut pas totalement prétendre au titre de discipline scolaire au sens de Baron (1989), nous considérons, à l’instar de Reuter (2007, p. 64), qu’elle constitue une matière de l’enseignement primaire. Elle s’inscrit depuis la rentrée 2016 dans les programmes scolaires via, entre autres, la production d’algorithmes simples et l’initiation à la programmation. Les repères de progressivité du cycle 2 indiquent :

3

Dès le CE1, les élèves peuvent coder des déplacements à l’aide d’un logiciel de programmation adapté, ce qui les amènera au CE2 à la compréhension et la production d’algorithmes simples.
(MEN, 2015, p. 86)

4Au cycle 3, les références à l’informatique sont plus nombreuses. Les algorithmes et la programmation figurent en sciences et technologies et en mathématiques. Les repères de progressivité précisent :

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Une initiation à la programmation est faite à l’occasion notamment d’activités de repérage ou de déplacement (programmer les déplacements d’un robot ou ceux d’un personnage sur un écran), ou d’activités géométriques (construction de figures simples ou de figures composées de figures simples).
(MEN, 2015, p. 214)

6Les programmes de 2016 présentent un double défi pour l’enseignement de l’informatique à l’école primaire. D’une part, il s’agit de rompre avec la période précédente durant laquelle seules les compétences liées aux usages de l’informatique étaient évaluées par la certification du B2i (Brevet Informatique et Internet). Fluckiger et Reuter (2014) faisaient alors le constat que l’absence d’organisation au sein d’une discipline scolaire amenait les élèves à associer actions et savoir-faire liés à l’ordinateur comme étant de l’informatique, mais pas les savoirs et connaissances.

7D’autre part, il s’agit d’instaurer les conditions dans lesquelles les enseignants vont pouvoir s’approprier cette nouvelle configuration de l’informatique après quasiment 20 ans d’ancrage sur les usages.

8Dans ce contexte, la question que nous nous posons est celle de savoir comment ces prescriptions font sens chez des professeurs stagiaires, à la charnière de ces deux périodes. Cette recherche est une étude exploratoire des formes d’actualisation de la discipline informatique opérées par les professeurs stagiaires, au moment même où celle-ci réapparaît en tant que telle dans l’espace de prescription.

Conscience disciplinaire en informatique

9Le contexte de l’introduction d’un nouvel enseignement nous semble propice à l’analyse de la manière dont les enseignants vont construire la discipline scolaire concernée, en lien avec les différents espaces d’actualisation d’une discipline (pratiques, recommandations, prescriptions) (Reuter, 2014, p. 58).

10Nous nous intéressons aux trois dimensions constitutives de la conscience disciplinaire : les contenus, les finalités et le repérage de l’espace de l’enseignement et des apprentissages dédiés (Reuter, 2007. La conscience disciplinaire est définie par Reuter (2013, p. 39) comme :

11

la manière dont les acteurs sociaux et, en premier lieu, les sujets didactiques – élèves mais aussi enseignants – (re)construisent telle ou telle discipline. Cela nécessite de prendre en compte les formes de ces représentations (des disciplines pouvant être structurées de manière différente par les apprenants et les enseignants) ainsi que la plus ou moins grande clarté dont elles témoignent […].

12Les contenus disciplinaires découlent pour les professeurs des écoles stagiaires de ce qu’est, pour eux, l’informatique, captée ici par la définition qu’ils en donnent, mais aussi par les mots qu’ils associent à la programmation à l’école primaire. Nous avons fait le choix de focaliser une partie de notre étude sur la programmation, car elle est la moins susceptible de confusion avec les compétences nécessaires aux usages de l’ordinateur.

13Pour faire écho à la question de la finalité de tel enseignement posée aux élèves dans les études sur la conscience disciplinaire : « Selon toi, à quoi sert… ? » (Reuter, 2007, p. 60), on peut interroger les enseignants sur l’utilité de l’enseignement de l’informatique. Nous faisons l’hypothèse que les professeurs stagiaires sont plus enclins à estimer que son utilité est du côté de l’apprentissage des usages plutôt que de la pensée informatique (Netto, 2011). La pensée informatique (Csizmadia et al., 2015) est un processus de résolution de problème qui s’appuie sur différentes compétences telles que :

14

  • l’abstraction, qui consiste à repérer les éléments importants d’un problème, à supprimer les détails inutiles, à choisir une représentation d’un système,
  • la pensée algorithmique, qui consiste à penser en termes de séquences et de règles, à créer un algorithme,
  • la décomposition en sous-tâches,
  • l’évaluation, qui consiste à trouver la meilleure solution,
  • la généralisation, qui consiste à résoudre de nouveaux problèmes en utilisant des problèmes déjà résolus, à utiliser une solution générale.

Méthode mise en œuvre

15Une enquête en ligne a été menée auprès des responsables des mentions « premier degré » des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) dans l’ensemble des académies entre mars et juin 2016. Une relance a été faite en mars 2017 auprès de 3 académies engagées dans le projet DALIE. Il s’agit donc d’un échantillon de convenance, qui n’est pas représentatif de la population des professeurs stagiaires. Cependant, des tendances peuvent être dégagées et fournir des pistes de réflexion.

16Pour permettre aux répondants de contextualiser l’objet de l’enquête (l’informatique à l’école primaire), il nous a semblé utile de rappeler en préambule les instructions officielles, concernant les programmes 2016.

17L’enquête comporte des questions qui renvoient aux trois dimensions de la conscience disciplinaire. Une question ouverte demande aux participants d’exprimer dans leurs propres termes ce qu’est pour eux l’informatique, nous éclairant sur les contenus, mais aussi sur le repérage de l’espace d’enseignement et des apprentissages dédiés.

18Pour mesurer l’utilité, nous avons proposé des échelles d’opinion mêlant d’une part des items du B2i (« connaître et maîtriser les fonctions de base d’un ordinateur », « adopter une attitude critique face aux résultats obtenus via l’informatique ou internet », « comprendre le fonctionnement des appareils numériques ») et d’autre part des items relevant de la pensée informatique tels que certains auteurs les proposent (Tchounikine, 2016 ; Wing, 2010 ; Yadav et al., 2011) : « développer l’esprit logique », « organiser ses données », « apprendre à décomposer un problème en tâches simples », « s’initier à la programmation », « appliquer un raisonnement pour chercher des solutions algorithmiques », « être capable de résoudre des problèmes à l’aide d’outils informatiques », « apprendre à tester puis à corriger ses erreurs ». Il n’est cependant pas possible de multiplier les items. Ceux proposés n’épuisent pas donc pas l’idée même de pensée informatique.

19Une question ouverte demandait d’associer de 3 à 5 mots concernant l’expression « programmation à l’école primaire ». Les réponses fournies à ces questions nous permettent également de saisir des éléments de repérage de l’espace d’enseignement et des apprentissages associés.

Résultats

Participants à l’enquête

20Un peu moins de la moitié des réponses reçues se sont avérées cohérentes et valides, soient 211 réponses. L’âge moyen des répondants est de 31 ans. Ce sont des femmes à 84 % (n = 178) et des hommes à 13 % (n = 28). Nous avons reçu des réponses de 13 académies. Le nombre de réponses par académie est très variable : de 2 à 34 (soit un taux de retour d’environ 9 % dans ce dernier cas). Les répondants sont en majorité issus des sciences humaines et sociales (31 %), puis des sciences et technologies (incluant la santé) (24 %), des arts et lettres (23 %), droit, économie, gestion (17 %) et STAPS (3 %).

Quels contenus pour l’enseignement de l’informatique ?

Qu’est-ce que l’informatique pour nos répondants ?

21Nous avons mené une analyse thématique des réponses fournies à la question ouverte sur la définition de l’informatique à l’aide du logiciel NVivo. L’unité d’analyse retenue est la réponse complète. Une même réponse peut donc concerner plusieurs thèmes.

22Trois thèmes se dégagent des définitions proposées. La majorité des répondants définissent l’informatique comme un outil ou un moyen. Ensuite, ils tentent d’en donner une définition extensive. Enfin, les répondants insistent sur les liens entre informatique et apprentissage (cf. Tableau 1).

Tableau 1

Définition de l’informatique

ThèmeSous-thèmesNb. Citations% dans le thème
L’informatique comme moyen (82,5 % des 211 répondants)Utiliser l’ordinateur ou des artefacts
Fonctionnalités de l’informatique
Accéder à l’information
Communiquer
Total
57
57
40
20
174
33 %
33 %
23 %
11 %
100 %
L’informatique, définition extensive (36 % des 211 répondants)Matériel et logiciel
Programmes
Internet
Science
Autres
Total
29
21
8
8
10
76
38 %
28 %
10 %
10 %
14 %
100 %
L’informatique et l’apprentissage (23 % des 211 répondants)Outil d’apprentissage
Objet d’apprentissage
Total
31
18
49
63 %
37 %
100 %

Définition de l’informatique

23Dans les définitions « extensives », peu font référence à la science ou au domaine scientifique. Certains répondants ont une conscience précise de la science informatique :

24

C’est une science du traitement de l’information automatisé [143].

25Pour d’autres, cette science est celle des ordinateurs :

26

L’informatique est un domaine scientifique qui consiste à utiliser un ordinateur, à en connaître les éléments qui le constituent, faire du traitement de texte, utiliser des logiciels et aller sur le web [365].

27De même, peu de définitions reposent sur le lien entre apprentissage et informatique, lien envisagé selon deux approches. La première est celle d’utiliser l’informatique comme outil d’apprentissage au sein d’autres disciplines :

28

C’est un outil formidable d’ouverture sur le monde et d’expérimentation de nouvelles modalités d’apprentissages [266].

29L’informatique est alors un outil pédagogique au service des apprentissages et permet de développer des compétences et des savoir-faire. La seconde est celle de l’informatique comme objet d’apprentissage. Cependant, l’analyse des réponses montre qu’il s’agit principalement d’apprendre à utiliser un ordinateur ou des outils numériques :

30

L’informatique à l’école est l’apprentissage de toutes les fonctions devenues indispensables aujourd’hui dans la vie future des élèves : traitements de texte, recherche internet… [181].

31L’apprentissage du codage n’est présent que dans 3 réponses.

Qu’est-ce que la programmation à l’école primaire selon eux ?

32Nous avons demandé aux répondants de citer de 3 à 5 expressions ou mots qui leur venaient spontanément à l’esprit pour « la programmation à l’école primaire ». 307 mots différents ont été donnés, 8 représentent 25 % des 896 citations totales : algorithme, logique, logiciel, organisation, codage, code, difficile et langage. 195 mots sont des hapax.

33Nous avons catégorisé ces mots selon, d’une part, les éléments constitutifs d’une discipline scolaire : contenus, support, apprentissages et finalités et, d’autre part, sur certaines des catégories repérées par Netto (2011) : dimensions institutionnelle et praxéologique, points de vue positifs et négatifs. La programmation évoque pour certains la progression en séquences pédagogiques, d’où la catégorie supplémentaire dite « hors informatique » (voir Tableau 2).

Tableau 2

Catégorisation des réponses concernant la programmation à l’école primaire

CatégorieOccurrence et nombre de citations
Apprentissages et finalités
(n = 209 ; 23 % des 896 citations)
Logique (36), création (16), mathématiques (16), jeu (13), anticipation (9), raisonnement (6), B2i (2), décomposer (3), …
Contenus
(n = 177 ; 20 %)
Algorithme (42 cit.), codage (24), code (20), langage (20), programme (19), binaire (6), boucle (3), …
Points de vue
(n = 148 ; 17 %)
Ambitieux (4), ludique (15), intéressant (3), motivant (3), compliqué (18), inutile (13), inadapté (7), inapproprié (2), …
Support
(n = 83 ; 9 %)
Logiciel (28), robot (19), Scratch (12), traitement de texte (4), Beebot (2), Excel (2), …
Hors informatique
(n = 40 ; 4 %)
Organisation (27), progression (11), …
Dimension praxéologique
(n = 26 ; 3 %)
Inconnu (5), matériel (5), temps (5), …
Dimension institutionnelle
(n = 18 ; 2 %)
Formation (14), accompagnement par référent (2)…

Catégorisation des réponses concernant la programmation à l’école primaire

34Les mots associés dans la catégorie « apprentissage et finalités » renvoient à des univers différents que nous pouvons catégoriser à leur tour comme suit (les mots sont classés par fréquences décroissantes de citation pour un total de 209 citations) :

35

  • une pensée logique (40 %) : logique, mathématique, raisonnement, décomposer, réfléchir, problème, rigueur, abstrait, analyse et résolution de problème ;
  • une pensée créative (27 %) : création, jeu, projet, créatif, créer, imagination, communiquer, écriture ;
  • une initiation (20 %) : apprentissage, anticipation, initiation, comprendre/compréhension, base, interdisciplinarité, découverte ;
  • une approche pédagogique (13 %) : pédagogie, compétence, autonomie, discipline, outil, B2i, différenciation.

36Les points de vue concernant la programmation à l’école primaire se catégorisent en 3 groupes (les pourcentages sont calculés sur les 148 citations de cette catégorie) :

37

  • jugements dubitatifs (53 %) : difficile, compliqué, utile/utilité, complexe, difficile au premier abord, long, précoce, prématuré,
  • jugements négatifs (26 %) : inutile, inadapté, fastidieux, trop tôt, inapproprié, irréalisable, n’a pas sa place à l’école, nébuleux, non adapté, quel intérêt, superflu,
  • jugements positifs (21 %) : ludique, intéressant, motivant, nécessaire, simplicité, ambitieux.

Quelle utilité de l’enseignement de l’informatique à l’école primaire ?

38Les items relevant du B2i sur l’apprentissage des usages font la quasi-unanimité. Les répondants sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord à plus de 90 % sur les 3 propositions qui leur sont faites.

39Pour les 7 items correspondant à la pensée informatique, nous avons mené une analyse en composantes principales. Deux composantes se dégagent. La première est constituée des propositions : 1) développer l’esprit logique, 2) organiser ses données, 3) apprendre à décomposer un problème en tâches simples ; la seconde de : 1) s’initier à la programmation, 2) appliquer un raisonnement pour chercher des solutions algorithmiques, 3) être capable de résoudre des problèmes à l’aide d’outils informatiques. La première composante relève d’une pensée que l’on qualifiera de logique et la seconde d’algorithmique (voir Tableau 3).

40Cette distinction peut probablement s’expliquer par les termes employés dans la formulation des items : « logique », « organiser », « décomposer un problème » qui peuvent ne pas être considérés comme spécifiques de l’informatique pour la première composante. Pour la seconde, on retrouve des termes probablement plus proches des représentations de l’informatique : « algorithmique », « outils informatiques », « programmation ».

Tableau 3

Finalité de l’enseignement de l’informatique : développer une pensée informatique ?

Pensée logique (nb. réponses = 633)Pensée algorithmique (nb. réponses = 633)
Tout à fait d’accord37 %22 %
Plutôt d’accord40 %34 %
Pas d’accord15 %23 %
Pas du tout d’accord2 %10 %
Sans réponse6 %10 %

Finalité de l’enseignement de l’informatique : développer une pensée informatique ?

41Les répondants considèrent que l’enseignement de l’informatique à l’école primaire est utile dans le sens où elle permettrait de développer une pensée logique (77 %). Mais, ils sont moins nombreux à considérer que cet enseignement est utile pour développer une pensée algorithmique (56 %).

42L’item « apprendre à tester puis à corriger ses erreurs » n’appartient à aucune de ces deux composantes. Sa signification est probablement ambiguë pour nos répondants. Elle fait référence aux corrections de programmes, alors qu’elle a pu être comprise comme l’apprentissage avec l’informatique, qui autorise des essais successifs. 86,7 % des répondants sont d’accord ou plutôt d’accord avec cette proposition. Elle est donc davantage à considérer dans les usages que dans la pensée algorithmique ou logique.

Discussion

Limites de l’étude

43Tout d’abord il convient de commencer par les limites de ce travail. L’absence de contrôle sur les modalités de diffusion des questionnaires impose d’être prudent sur les conclusions à en tirer. L’échantillon de convenance ainsi constitué n’est pas représentatif des professeurs stagiaires. Il respecte néanmoins la proportion homme/femme. Les répondants semblent plus âgés que la population des professeurs stagiaires. Toutes les académies ne sont pas représentées, et quand elles le sont, elles ne le sont pas de manière homogène.

Contenus et repérage de l’espace de l’enseignement et des apprentissages dédiés

44Les définitions de l’informatique proposées par nos répondants montrent une omniprésence de l’informatique outil, une informatique conçue principalement via l’ordinateur. On remarque d’ailleurs dans les réponses sa forte présence par rapport à d’autres artefacts, notamment tactiles, qui sont peu cités. Lorsque le terme science est employé, la définition proposée est assez éloignée de celle généralement admise par les chercheurs en informatique et de celle sous-jacente dans les programmes de 2016.

45L’informatique est perçue majoritairement comme étant une technologie au service des utilisateurs. Elle propose des moyens techniques permettant des apprentissages dans les matières de l’école primaire. Elle est très peu souvent considérée elle-même comme une matière, si ce n’est comme ayant pour objet l’apprentissage des utilisations des matériels et logiciels.

46Lorsqu’il est question de programmation, les réponses sont différentes (cf. Tableau 2). On trouve mention des concepts structurants de l’informatique pour Dowek (2011), à savoir : algorithme, machine, langage et information. Si les mots sont cités par les répondants, cela ne signifie pas pour autant qu’ils aient les connaissances disciplinaires des contenus (Shulman, 2007). La dimension créative est aussi présente dans les réponses. La mise en œuvre matérielle de la programmation est mentionnée : les robots (comme le BeeBot) et le langage Scratch, spécifiques de ces apprentissages.

47La programmation semble constituer un noyau dur de la discipline, tout en faisant l’objet de débats présents dès l’origine de l’enseignement de l’informatique (Drot-Delange, 2014). Cependant la place à lui accorder est ambigüe chez les répondants, oscillant entre enthousiasme et scepticisme. La programmation fait l’objet de doutes, voire de jugements négatifs, sur la pertinence d’un tel enseignement dans le primaire, jugé trop complexe, inutile ou bien trop précoce par rapport à l’âge des élèves. Elle est considérée comme développant une pensée logique et non une pensée algorithmique.

Finalités de l’informatique à l’école primaire

48L’informatique étant majoritairement perçue comme une technologie qu’il faut apprendre à utiliser de manière critique, les finalités plébiscitées sont celles du B2i. L’analyse des propositions relevant de la pensée informatique montre un phénomène intéressant : elles sont scindées en deux groupes par les répondants, d’un côté ce qui relèverait surtout d’une pensée logique et de l’autre d’une pensée algorithmique (Arsac, 1981). Cette dernière n’est pas jugée comme la plus importante pour l’enseignement à l’école primaire par nos répondants, alors qu’elle est centrale dans les nouveaux programmes.

49L’informatique n’est que très rarement définie comme permettant de résoudre des problèmes, au sens de la pensée informatique. On pourrait considérer que les définitions de l’informatique en tant qu’outil ou moyen pour faire quelque chose entre dans cette catégorie, mais la notion de problème à résoudre ou de choix de l’outil numérique n’est pas vraiment présente dans les propositions qui sont faites.

Le rôle de la formation

50Lorsque l’espace de prescription d’une discipline évolue, il existe un temps de latence avant que ne se produise chez les enseignants une restructuration de la discipline concernée. Cette restructuration est rendue d’autant plus difficile qu’un accompagnement par la formation n’est pas toujours proposé en synergie avec les évolutions de l’espace de prescription.

51Les jugements plutôt négatifs et les doutes sur l’adéquation de cet enseignement pour les plus jeunes élèves pourraient être levés par une connaissance des recherches existantes (Komis et Misirli, 2015 ; Misirli et Komis, 2016 ; Portelance et al., 2015 ; Resnick et al., 2013 ; Touloupaki et Baron, 2015).

52Les recherches insistent sur la faisabilité et l’apport de ces formations pour les enseignants, qu’ils soient stagiaires ou titulaires. Yadav et al. (2011, 2014) montrent qu’une formation à la pensée informatique permet aux enseignants stagiaires d’avoir une attitude beaucoup plus favorable à ce type d’enseignement. Baron et Voulgre (2013) ont montré que des étudiants en sciences de l’éducation étaient à même, après une formation, d’une part de réaliser des productions dans un environnement Scratch et d’autre part d’en analyser le potentiel en classe avec des élèves.

53Les recherches menées par Netto et Voulgre (2016) au sein du projet DALIE montrent que même si les enseignants n’ont pas de formation en informatique et que la notion de pensée informatique reste floue pour eux, ils sont « capables d’intégrer de façon pragmatique les robots dans leurs séances d’apprentissages à partir de situations problèmes ». Mais l’analyse des séquences pédagogiques menées par ces enseignants montre aussi les limites d’une telle approche (Béziat, 2017).

Conclusion et perspectives

54Dans le cadre du programme de recherche DALIE, nous avons mené une enquête auprès des professeurs des écoles stagiaires à une période charnière pour la reconfiguration de la discipline informatique à l’école primaire.

55Nous nous sommes intéressés aux dimensions constitutives de la conscience disciplinaire concernant l’informatique chez ces enseignants en formation, à savoir les contenus, les finalités et le repérage de l’espace d’enseignement et des apprentissages dédiés.

56Les résultats obtenus montrent la prégnance, chez les professeurs stagiaires participants à l’enquête, de la configuration de la période antérieure à ces changements introduits dans l’espace de prescription, à savoir la primauté de l’informatique-outil et de l’apprentissage des usages.

57Ces résultats corroborent des résultats de recherches menées dans d’autres pays : la méconnaissance de la notion de pensée informatique, qui est au cœur des nouveaux programmes. Même si les enseignants sont à même, de manière pragmatique, d’introduire des séquences pédagogiques en informatique dans leur classe, les recherches menées par l’équipe du projet DALIE en montrent les limites. Or une formation, même de courte durée, permettrait d’améliorer les attitudes et la compréhension des enjeux d’un enseignement de la pensée informatique.

58Les conditions d’émergence de l’appropriation par les futurs enseignants de la nouvelle configuration de la discipline informatique pourraient déterminer peu ou prou la manière dont ils élaboreront leurs pratiques d’enseignement. Ces pratiques contribueront elles-mêmes à la construction de la conscience disciplinaire en informatique des élèves.

59Les perspectives de recherche concernent le suivi des professeurs stagiaires lors de leurs premières années d’enseignement pour comprendre comment ils s’approprient cette nouvelle matière de l’informatique dans leurs pratiques professionnelles et avec quels effets pour leurs élèves. Il s’agit de comprendre comment l’informatique en tant que matière est reconstruite par les enseignants dans leurs pratiques.

Bibliographie

Bibliographie

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