Notes
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[1]
Françoise Laot (2002) relève que cette expression très large disparaît, après 1980, dans les titres des thèses s'intéressant à la formation des adultes en France.
-
[2]
Sondage mené en 2007, auprès de 93 étudiants (en instance d'insertion et insérés professionnellement) de L3 en psychologie.
-
[3]
Dans la continuité des efforts du front populaire.
-
[4]
Elle entretient avec l'école des relations contradictoires : elle s'y oppose ou la critique, mais cette dernière reste un référent puisqu'il faut pallier ses insuffisances (apprentissage de base, civique, culturel, etc).
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[5]
Les actions du Cueep de Sallaumines et celles du Cuces de Nancy furent, en la matière, exemplaires.
-
[6]
Programme d'enrichissement instrumental, Atelier de raisonnement logique, Atelier pédagogie personnalisé.
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[7]
Pour Véronique Leclercq, cette publication fut décisive dans l'orientation de ses investigations.
-
[8]
Une analyse de l'activité est alors nécessaire pour appréhender ce qui sera objet de formation.
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[9]
Les organisateurs préparent une action ou une suite d'actions pour qu'elles se déroulent dans les conditions les meilleures et les plus efficaces. Ils permettent aussi de comprendre la variabilité et la stabilité des processus d'enseignement-apprentissage autrement qu'a partir de rapports de détermination. (Vinatier, Pastré, 2007).
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[10]
La dynamique des genèses opérative, conceptuelle et identitaire est en didactique professionnelle source de développement (Pastre, 2005). La genèse conceptuelle est une exigence d'adaptation a des situations nouvelles conduisant a la reconstruction de l'invariance de l'action par le sujet, pour élargir ses ressources et agir efficacement en situation ; structurée « autour de l'expérience acquise et sans cesse transformée [...] », la genèse identitaire est un moment de rupture dans l'histoire du sujet agissant/apprenant, exigeant de lui une réorganisation de ses ressources, une distanciation vis-à-vis de son monde et de ses habitus.
1 L'éducation des adultes [1] est une préoccupation qui a parcouru le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, avant d'aboutir à divers lois et décrets. Elle devient, à partir des années cinquante, un des éléments du système éducatif distinct des formations initiales tout en les complémentant (Terrot, 2001). Elle recouvre trois domaines toujours actuels mais de manière plus ou moins importante (Terrot, 2001) : l'éducation populaire, l'éducation ouvrière et la formation professionnelle continue, qui nous intéresse plus précisément.
2 Apprenant, formé, stagiaire, parfois auditeur ou étudiant, les dénominations pour désigner l'adulte en formation varient selon les époques, les lieux, les financeurs et le statut de celui qui se forme. Tout comme les discours sur l'école, ceux sur la formation des adultes construisent des sujets plus ou moins explicitement et plus ou moins différentiellement. Une des spécificités de cette construction est qu'elle se réalise, dans la plupart des cas, en réaction aux discours du champ scolaire.
3 Comme le rappelle Boutinet (1995 ; 2009a ; 2009b), depuis une cinquantaine d'années les sociétés modernes et postmodernes donnent une importance grandissante à la formation tout au long de la vie, relayée par les politiques publiques tant au niveau national qu'européen. Cet intérêt a actualisé le terme adulte et fait émerger des interrogations explicites à son propos (Boutinet, 1999). La formation professionnelle continue s'est ainsi interrogée depuis un certain nombre d'années sur ce qui fait la spécificité de l'adulte qui apprend. Le mot d'andragogie a été introduit afin de le distinguer de l'enfant-élève qu'il fut à un moment donné de sa vie.
4 Tout en interrogeant la question des catégories enfant, élève, apprenant, cet article présentera, sans aucune prétention historique, quelques conceptions du sujet portées depuis le milieu du XXe siècle par ceux qui dispensent et conçoivent la formation ou par ceux qui y réfléchissent. Comme la didactique professionnelle est notre cadre théorique de prédilection, nous exposerons la conception du sujet que cette approche développe.
Le sujet adulte et la formation
5 Parler de sujet dans le discours sur la formation implique que l'on ne parle pas d'acteur, ni d'agent. Cette conception épistémologique relativise tout déterminisme et accorde aux personnes dont on parle, liberté, autonomie et créativité, toutes trois cohabitant au sein de leur propre subjectivité et singularité.
À propos de l'adulte
6 Un adulte peut s'entendre comme une personne majeure devant répondre juridiquement de son statut. Dans cette perspective, l’âge de la majorité marquerait l'entrée dans la condition d'adulte et la sortie des deux âges précédents que sont l'adolescence et l'enfance. À en croire un sondage effectué auprès d'étudiants d’âges divers (Boutinet, 2009a) [2], ce critère n'est pas le plus déterminant pour caractériser un adulte. Ce terme semble d'abord lié au champ représentationnel de la responsabilité, ce qui fait répondre à plus de la moitié des sondés qu'ils ne se sentent pas encore complètement adulte.
7 De la fin de la scolarisation qui n'est plus automatiquement synonyme d'insertion dans la vie sociale et professionnelle, jusqu'au grand âge de plus en plus lointain, la vie d'adulte s'étale sur un longue période affectée par des discontinuités aux répercussions variables. Boutinet (1995 ; 2009a ; 2009b) lui attribue cinq caractéristiques ; l’âge et le genre comme des particularités universalisantes ; les rôles sociaux et professionnels assumés, l'expérience, la réflexivité identitaire comme des déterminants débouchant sur la singularité.
8 Contrairement à l'enfance qui renvoie à des représentations a priori plus unitaires et homogènes voire universalisantes (naïveté, fragilité, etc.), l'adulte se caractérise par la diversité des traits attachés aux classes d’âge propres à un environnement culturel donné : jeunesse, mitan de la vie, accomplissement par l'expérience et retrait annonçant la vieillesse. Le genre, seconde caractéristique de l’âge adulte, concerne la symbolisation culturalisée que fait l'adulte de son appartenance sexuée. Tant au niveau sociologique que psychologique, il détermine avec et/ou contre les normes dominantes : une acceptation, un refus ou une coexistence de certains modèles ; des activités ; des choix de vie ; une expérience de la différence et de l'altérité.
9 La tenue de rôles sociaux et professionnels permet, dans l'espace intergénérationnel de la vie d'adulte, d'assumer deux fonctions essentielles : la production d'actions et d’œuvres ; la transmission culturelle et biologique. Ces deux fonctions définissent la capacité à agir et à se comporter en acteur social. Elles sont liées à l'importance de la responsabilité individuelle et sociale ainsi qu'aux injonctions externes pour y répondre.
10 L'expérience, capital d'acquis, est une des caractéristiques majeures de l’âge adulte. Fragmentée, adossée à des parcours de vie sinueux, constituée d'échecs, de réussites, de scléroses, de routines et d'inhibitions, l'expérience recèle compétences ou significations inattendues. Depuis de nombreuses années, elle est l'objet d'une valorisation aussi bien dans le champ de la formation des adultes que dans le monde du travail.
11 La dernière particularité attachée au sujet adulte est « [...] la quête d'identité par une mise en scène de soi pour parvenir à une reconnaissance de soi » (Boutinet, 2009a, p. 58). Cela nécessite une capacité réflexive de mise à distance de soi et de son expérience pour tenter de comprendre ses actions et les motifs afférents. Cette disposition à une réflexivité identitaire marquerait l'entrée dans la vie adulte par une première distanciation vis-à-vis de son enfance qui pourra ensuite être revisitée sous différents modes allant de la nostalgie à la fascination, voire à l'obsession.
12 Ces cinq particularités de la vie d'adulte de déterministes deviennent des déterminations, un jeu de contraintes et de possibles (Boutinet, 2009a ; 2009b). Elles nous intéressent car certaines sont directement liées à des conceptions du sujet adulte en formation et aux pratiques qu'on lui enjoint de réaliser. Ainsi, âge et genre sont déterminants sur les choix d'une formation ; l'unification et la mise en perspective du capital expérientiel ainsi que la réflexivité identitaire sont au centre de nombreuses pratiques formatives.
L'andragogie : pour une spécificité de l'adulte en formation
13 L'andragogie, considérée par certains comme un concept (Boutinet, 1995), par d'autres comme un nouveau paradigme (Bourgeois, Nizet, 1997), s'est développée durant les années soixante en Amérique du Nord, sous l'impulsion de Malcolm Knowles (1973/1990). Elle prétend, comme son nom l'indique, distinguer l'enfant de l'adulte apprenant. En voulant spécifier la méthode de formation des adultes par rapport à la pédagogie (limitée aux enfants et adolescents), elle avance des principes liés à la démarche d'enseignement pour un public particulier. Ainsi, elle affirme que les adultes ont besoin de connaitre les raisons d'une formation ; ils assimilent mieux ce qu'ils apprennent si le contenu est présenté dans le contexte de leur mise en application ; ils sont plus sensibles aux facteurs de motivation intrinsèque qu'extrinsèque ; par ailleurs, les groupes d'adultes en formation sont plus hétérogènes en termes d'apprentissage, de besoins, de motivation, d'objectifs, etc. De plus, autonomie et capital expérientiel de l'adulte changent l'orientation de l'apprentissage, et les rôles sociaux tenus peuvent être des facilitateurs de cet apprentissage. Contestée (Bourgeois, Nizet, 1997 ; Boutinet, 1995) d'un point de vue épistémologique, éthique et théorique, on reproche à l'andragogie l'opposition jugée factice qu'elle fait entre enfant apprenant et adulte apprenant ainsi que son préjugé négatif vis-à-vis de la pédagogie. Son mérite est d'avoir participé dès la fin des années soixante à la légitimation d'un champ de pratiques et de recherches alors en émergence.
Les sujets en formation des adultes
14 La formation professionnelle continue telle que nous la connaissons actuellement concerne des adultes de différentes classes d’âge dont les interlocuteurs sont aussi des adultes que l'on nomme selon les contextes et les orientations épistémologiques fondant l'action formative : animateur, intervenant, formateur, formateur-consultant, formateur-métier. Dans l'espace de formation, ce face-à-face pédagogique entre adultes présente une apparente symétrie qui n'est pas sans effets sur l'apprentissage et l'appréhension des conceptions du sujet adulte en formation.
Du sujet-élève à l'adulte en formation
15 Du XIXe à la première moitié du XXe siècle la formation professionnelle a heu principalement dans les écoles professionnelles d'entreprises importantes, même s'il y eut de nombreuses tentatives pour instaurer une formation professionnelle initiale et de perfectionnement post-scolarisation obligatoire (Terrot, 2001 ; Tanguy, 2000). Ces écoles entretiennent un rapport didactique solidaire du modèle scolaire et de la transmission des savoirs. Tout en dispensant des savoirs disciplinaires, elles s'intéressent aux habiletés professionnelles et valorisent l'action : ainsi on parle de mathématiques professionnelles, de dessin industriel, etc. L'accent est mis sur de solides contenus dispensés de manière rigoureuse. Le professionnel y est considéré comme un élève : il absorbe, il construit et ensuite il mobilise sur son lieu d'exercice. Après 1945, quatre éléments vont infléchir cette conception du sujet-élève :
- Le besoin de main d’œuvre qualifiée s'accompagne d'une multiplication de centres de formation accélérée ;
- Le plan Langevin-Wallon affirme que la formation des adultes n'est plus un palliatif de l'insuffisance des formations initiales. On doit lui consacrer un texte spécifique et non pas se contenter d'un ajout en annexe d'une loi ;
- Le projet de l'éducation populaire [3], repris dans le plan Langevin-Wallon, affirme que l'éducation ne se traite pas uniquement à l'école [4]. Il préconise la mise en place d'une éducation permanente (civique, politique et sociale) comme alternative à l'institution scolaire ;
- L'aspect intellectuel des missions de modernisation du plan Marshall qui invite aux États-Unis des élites européennes pour qu'elles apprécient le modèle américain et en deviennent les ambassadeurs à leur retour. Ces voyages vont accélérer l'implantation de l'organisation scientifique du travail et introduire la formation de l'encadrement à des tâches qui lui sont spécifiquement dédiées (Palazzeschi, 1999). S'ajoute à cela l'importation de la psychosociologie en particulier, le thème du fonctionnement des groupes.
L'adulte en formation : un sujet membre d'un groupe
17 Durant les années 60 et 70, le modèle pédagogique dominant en formation des adultes se fonde sur le fonctionnement du groupe. Ce dernier devient objet de la formation : on questionne son influence sur le sujet en formation ; on s'interroge sur les phénomènes de leadership, de soumission, de pouvoir ; on réfléchit sur la fonction du groupe sur l'apprentissage des individus. Dans cette perspective, « Le groupe est vu non comme une contingence ou un contexte d'apprentissage mais comme moyen indispensable de cet apprentissage, et parfois, comme l'objet même de l'apprentissage » (Faulx, Petit, 2010, p. 6). Concomitamment, la figure de l'animateur apparaît en rupture avec les pédagogies traditionnelles (Jobert, 2003).
18 La formation est considérée comme un espace dans lequel l'animateur abdique son pouvoir personnel pour le donner au groupe. Ce micromonde est un lieu de prise de conscience et de prise de pouvoir, voire de subversion, dans lequel il faut recréer des règles. Si l'école socialise, la formation transforme et libère. Le sujet membre d'un groupe est un sujet politique et la formation devient un espace de transformation sociale.
19 Dans cet espace, les pédagogies nouvelles sont convoquées dans la mesure où elles incitent au développement des capacités d'innovation, d'autonomie par rapport à la dynamique du groupe. La spécificité de l'adulte en termes d'apprentissage est affirmée.
20 Cela conduit les acteurs de la formation à s'éloigner du modèle scolaire et à proposer celui de l'andragogie. Des nouveautés sont introduites au niveau de l'animation, des méthodes d'enseignement, de la configuration de l'espace, des activités proposées, des relations formés/formateurs et formés entre eux. La question des contenus est présente mais relativisée, avec peu d'innovations didactiques. Ce modèle différencie enfant-élève et adulte en formation que tout sépare. Ce dernier ne doit pas se retrouver en position d'élève au risque d'entraver sa participation au groupe et sa transformation.
L'adulte en formation : un sujet apprenant
21 La loi de 1971, réformée à maintes reprises, marque la naissance officielle de la formation continue obligatoire. Le stage devient la forme canonique de la formation, le mot stagiaire désigne alors l'adulte en formation professionnelle continue. Cette dernière est définitivement ancrée dans le champ du travail et de la gestion des ressources humaines. Sa dépendance vis-à-vis des commanditaires (employeurs, État, régions) est entérinée.
22 Les années 70 voient la fin des trente glorieuses, l'affaiblissement du modèle taylorien et l'entrée dans une crise économique profonde conduisant d'une part, à un taux de chômage en hausse, et d'autre part, à une interrogation sur l'adéquation entre formation et marché du travail. Par ailleurs, la reconversion des salariés ayant perdu leur emploi, notamment dans les mines, questionne l'apport de la formation à ces publics souvent de faible niveau [5]. Les années 80 sont ainsi marquées par la crise des contenus, confirmée par la publication de rapports et d'études soulignant les difficultés cognitives des adultes en reconversion et de bas niveau de qualification (Pailhous, Vergnaud, 1989 ; Ginsbourger et al., 1992).
23 La remédiation cognitive (PEI ; ARL ; APP) [6] est introduite en formation des adultes et se développe notamment, dans les programmes d'insertion. Corrélativement au triomphe du modèle constructiviste en psychologie, la construction des connaissances devient un enjeu pour la formation. Les recherches de Véronique Leclercq (1992) illustrent ces préoccupations didactiques.
24 Dès lors, le sujet en formation est un sujet apprenant. Avec ses caractéristiques sociales et ses handicaps, il doit développer ses capacités cognitives. L'activité centrale de la formation est de faire apprendre et de construire des enseignements d'apprentissage. Cet intérêt didactique (particulièrement en mathématiques et en français) est présenté dans la revue Éducation permanente (1992) traitant des approches didactiques en formation des adultes [7]. Il est à noter que ce numéro introduit la didactique professionnelle, présentée comme un nouvel aspect de la didactique se déplaçant « vers les processus d'enseignement et d'apprentissage des connaissances relatives aux activités professionnelles » (Ginsbourger, 1992, p. 15).
25 Cette conception du sujet apprenant réintroduit, nous semble t-il, la figure de l'élève dans la formation des adultes. Dès lors, il est significatif de noter que les préoccupations didactiques évoquent pour les formateurs une notion propre à l'école, alors qu'elles font partie de leur quotidien (Leclercq, 2000 ; 2003). Il est aussi symptomatique d'observer comment ces formateurs utilisent des méthodes et supports scolaires pour construire leur enseignement (Oudart, 2003).
L'adulte en formation : un sujet historique
26 Si l'adulte apprend tout au long de sa vie, sa spécificité est qu'il tire de sa propre expérience des significations et des capacités pour agir et s'adapter. Parallèlement aux questionnements didactiques en formation des adultes, apparaît le sujet historique. Dans la lignée de Daniel Bertaux qui relégitime les analyses biographiques en sociologie, on note un renouveau des analyses biographiques en formation avec Dominicé (2003), Pineau (1996) et Boutinet (2009a). On considère que le sujet a une longue expérience qui lui pèse et qui le porte. Et, on lui demande une réappropriation et une conceptualisation de cette dernière. Le sens de l'entrée en formation ne peut se comprendre qu’à la lumière de la trajectoire passée, de ce que l'adulte a fait dans les conditions dans lesquelles il a été plongé (événements, famille, milieu socioculturel, etc.). Cette conception s'appuie sur la capacité herméneutique du sujet, souvent sollicitée à l'entrée en formation, à l'occasion d'une rupture avec le travail ou lors d'une reconversion professionnelle. L'analyse biographique permet d'appréhender, entre autres, les obstacles à l'apprentissage, le rapport au savoir, etc. À cette occasion, elle replonge l'adulte dans son passé d'élève qui pourrait expliquer ses difficultés actuelles.
L'adulte en formation : un sujet réflexif
27 Parallèlement apparaît le sujet réflexif à la suite de la publication de l'ouvrage de Donald Schön Le praticien réflexif (1983/1994). Le sujet apprend de son expérience mais ne peut en devenir le maître que par le biais de la prise de conscience (Piaget, 1974 ; Vermersch, 1994). Il n'a pas spontanément accès à la totalité de son expérience et il est nécessaire de mettre en œuvre une activité spécifique pour qu'il y accède. Cette préoccupation réflexive s'accompagne de la construction de techniques d'entretien (l'explicitation), de dispositifs de formation (analyse des pratiques) ou de formalisation (validation des acquis de l'expérience, bilan de compétences, etc.) destinés à produire un discours sur les pratiques. On invite le sujet à mettre en mots ce qu'il fait ou a fait, comment il le fait ou l'a fait, pour produire de la connaissance, des concepts, améliorer son action, « ou mieux saisir et réaliser ses intentions à venir » (Boutinet, 1995, p. 83).
28 Les modèles du sujet en formation, présentés ci-dessus, n'apparaissent pas de manière successive : ils cohabitent ou s'articulent selon la temporalité des actions de formation. Au fil des ans, certaines représentations subissent des inflexions, comme le modèle du sujet membre d'un groupe malgré la persistance du format du stage. Comme nous l'avons noté, dans ces conceptions du sujet adulte en formation le modèle du sujet-élève est présent souvent en filigrane, à travers des rejets, des prescriptions ou des proscriptions.
La conception du sujet en didactique professionnelle
29 La didactique professionnelle revendique, à partir de l'affirmation de Piaget « l'action est un mode de connaissance autonome », une position épistémologique qui tente de réunifier action et connaissance. Cette démarche définit le sujet qu'elle porte par la prise en compte dialectique de deux conceptions. Son originalité réside dans une caractérisation identique du sujet, qu'il soit en situation de formation ou en situation professionnelle.
Une didactique centrée sur l'activité
30 Lors de l'émergence de la didactique professionnelle au milieu des années quatre-vingt, la notion de compétence commençait à envahir le monde du travail et de la formation. Le premier, marqué par la fin du taylorisme, par l'introduction de nouveaux modes d'organisation et de nouvelles technologies, s'interrogeait sur l'expérience qui ne suffît pas toujours à être efficace. Il questionnait, par ailleurs, l'articulation entre qualification et compétence dans un environnement changeant. Le monde de la formation, en adoptant la pédagogie par objectifs et en construisant des référentiels, cherchait a produire des contenus reposant sur les compétences requises pour un métier donné et non pas sur des connaissances disciplinaires.
31 Dans ce contexte, la didactique professionnelle s'est définie comme « une analyse du travail en vue du développement des compétences et de la formation ». Son objet est l'activité et son projet la formation des adultes. Comme toute didactique, elle s'intéresse aux « processus de transmission et d'appropriation des connaissances [...]. Simplement, elle se centre beaucoup plus sur l'activité que sur les savoirs » (Mayen et al., 2006, p. 146). Cependant, ces derniers sont des éléments parmi d'autres dans l'organisation de l'activité. Que les savoirs soient appris en dehors de la situation (formation) ou dans l'action (situation professionnelle), leur validité s'apprécie dans la relation « action-situation » et la performance l'accompagnant [8].
32 Dans cette approche, l'apprentissage est appréhende aussi bien du point de vue de l'activité que de celui du sujet et du développement de ses compétences (Pastre, 2004). Il est observe « a l'état naturel, sans qu'il soit inscrit dans une intention et une institution qui la porte » car il « accompagne l'activité comme un de ces éléments constitutifs » (Pastré, 2008, p. 54).
Les deux sujets en didactique professionnelle
33 Dans la construction des démarches en didactique professionnelle, on postule que l'adulte est avant tout un sujet capable (qui dit « je peux ou ne peux pas »). Il possède un pouvoir d'agir lui permettant de porter et d'assumer l'activité (Pastré, 2009), ce qui en fait un sujet agissant (qui fait, ne fait pas ou ne sait pas faire) et un sujet épistémique (qui sait ou ne sait pas). Par le fait d'agir, le sujet construit de la connaissance : il est, successivement ou simultanément agissant et apprenant, qu'il soit en situation de formation ou en situation professionnelle. Dès lors, cela permet à cet adulte capable de posséder « une dimension de réflexivité, qui ne se réduit pas à une simple prise de conscience, et qui constitue une reprise et une transformation de soi par soi, même si elles sont toujours incertaines et fragiles » (Pastré, 2009, p. 165).
34 Ces deux conceptions du sujet (agissant/apprenant), en tension et solidaires l'une de l'autre, structurent la didactique professionnelle qui articule une théorie des situations et deux types d'adulte. Elle s'intéresse d'une part, au professionnel agissant pour définir « quoi apprendre ? » (ce que l'on va proposer lors de la formation d'un novice par exemple) d'autre part, elle s'intéresse à l'adulte apprenant lorsqu'elle se penche sur le « comment apprendre ? » (ce que le sujet va apprendre à faire en situation de travail ou en situation de formation). Professionnel agissant et adulte apprenant peuvent être la même personne.
35 Dès lors, il existe deux types de situation pour la formation : la première est professionnelle, pouvant être simultanément lieu de production et lieu d'apprentissage, faite de répétitions, de variations, d'artefacts multiples, de prescriptions polyphoniques, d'interactions diverses. La seconde est la situation de formation, découplée de celle de la production (tout en s'y référant) pour favoriser l'activité d'apprentissage. Ce qui nous renvoie à la distinction faite par Samurçay et Rabardel (2004) entre activité productive (transformation du monde) et activité constructive (transformation de soi à l'occasion d'une activité productive). L'activité d'apprentissage étant un des aspects de la dynamique constructive.
36 Dans le cas de la didactique professionnelle, il s'agit bien d'une dialectique entre ces deux types d'activité avec, selon la situation (de travail ou de formation), la subordination de l'une à de l'autre, couplée à une dialectique entre deux types de sujet (sujet apprenant qui construit de la connaissance pour la conduite de l'action du sujet agissant, le premier étant subordonné au second). Le couplage situation-sujet organisant l'activité va fournir ressources et contraintes pour agir et apprendre. Il nous semble que les deux sujets dans leur rapport dialectique se présentent comme organisateurs [9] de l'action didactique.
37 Le sujet adulte en formation construit par la didactique Professionnelle intègre les deux conceptions du sujet, agissant et apprenant, tout en articulant une théorie de l'apprentissage (concept de genèses conceptuelles) à une dimension réflexive et historique. Ici, le primat est donné aux connaissances agies. Si ce sujet est bien situé dans un contexte socio-historique, une double dynamique d'apprentissage le caractérise : engagement dans l'action et dégagement de l'action par une activité réflexive à travers le débriefing, mais aussi à l'occasion d'une genèse identitaire [10] lors de la confrontation à une situation d'apprentissage en rupture avec son monde de référence.
38 Dans cette approche, l'adulte en formation demeure un sujet apprenant et réflexif. Cependant, apprentissage et réflexivité n'existent que parce qu'il est, d'abord, un sujet agissant. Dès lors, la figure du sujet-élève semble absente. Toutefois, nous pouvons nous demander s'il ne se manifeste pas à l'occasion d'une genèse identitaire.
En guise de conclusion
39 Comme nous l'avons indiqué dans ce rapide survol, les conceptions du sujet adulte en formation se sont construites en réaction aux discours du champ scolaire et de la formation initiale. La démarche d'enseignement en formation des adultes a essayé de différencier le plus possible l'adulte de l'enfant, même si ce dernier peut être convoqué lors de certaines pratiques interpellant le sujet adulte historique ou se fondant sur la capacité à une réflexivité identitaire. L'enfant-élève est un contre-modèle de l'adulte se formant, lorsqu'il n'est pas explicitement rejeté. Cependant, les catégories de l'élève voire de l'enfant nous semblent présentes implicitement en formation des adultes. A priori, cela n'est pas étonnant dans la mesure où, historiquement, cette dimension est première dans la vie d'un sujet apprenant.
40 Dans de nombreux dispositifs, l'adulte apprenant est quasisystématiquement mis en position de ne plus être élève, alors que parfois il aimerait le redevenir. Nous pouvons alors nous demander si, dans l'adulte en formation, il ne resterait pas quelque chose de l'élève qu'il serait intéressant d'explorer.
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- PINEAU Gaston, LE GRAND Jean-Louis (1996) Les histoires de vie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».
- SAMURÇAY Renan, RABARDEL Pierre (2004) « Modèles pour l'analyse de l'activité et des compétences, propositions », dans SAMURÇAY Renan, PASTRÉ Pierre dir., Recherches en didactique professionnelle, Toulouse, Octarès, p. 163-180.
- SCHÖN Donald (1983/1994) Le praticien réflexif À la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel, Montréal, Éditions Logiques.
- TANGUY Lucie (2000) « Histoire et sociologie de l'enseignement technique et professionnel en France : un siècle en perspective », Revue française de pédagogie n° 131, Paris, INRP, p. 97-127.
- TERROT Noël (2001) Histoire de l'éducation des adultes en France, Paris, L'Harmattan.
- VERMERSCH Pierre (1994) L'entretien d'explicitation en formation continue et initiale, Paris, ESF.
- VINATIER Isabelle, PASTRÉ Pierre (2007) « Autour des mots : organisateurs de la pratiques et/ou de l'activité enseignante », Recherche et formation n° 56, Lyon, INRP, p. 95-106.
Notes
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[1]
Françoise Laot (2002) relève que cette expression très large disparaît, après 1980, dans les titres des thèses s'intéressant à la formation des adultes en France.
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[2]
Sondage mené en 2007, auprès de 93 étudiants (en instance d'insertion et insérés professionnellement) de L3 en psychologie.
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[3]
Dans la continuité des efforts du front populaire.
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[4]
Elle entretient avec l'école des relations contradictoires : elle s'y oppose ou la critique, mais cette dernière reste un référent puisqu'il faut pallier ses insuffisances (apprentissage de base, civique, culturel, etc).
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[5]
Les actions du Cueep de Sallaumines et celles du Cuces de Nancy furent, en la matière, exemplaires.
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[6]
Programme d'enrichissement instrumental, Atelier de raisonnement logique, Atelier pédagogie personnalisé.
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[7]
Pour Véronique Leclercq, cette publication fut décisive dans l'orientation de ses investigations.
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[8]
Une analyse de l'activité est alors nécessaire pour appréhender ce qui sera objet de formation.
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[9]
Les organisateurs préparent une action ou une suite d'actions pour qu'elles se déroulent dans les conditions les meilleures et les plus efficaces. Ils permettent aussi de comprendre la variabilité et la stabilité des processus d'enseignement-apprentissage autrement qu'a partir de rapports de détermination. (Vinatier, Pastré, 2007).
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[10]
La dynamique des genèses opérative, conceptuelle et identitaire est en didactique professionnelle source de développement (Pastre, 2005). La genèse conceptuelle est une exigence d'adaptation a des situations nouvelles conduisant a la reconstruction de l'invariance de l'action par le sujet, pour élargir ses ressources et agir efficacement en situation ; structurée « autour de l'expérience acquise et sans cesse transformée [...] », la genèse identitaire est un moment de rupture dans l'histoire du sujet agissant/apprenant, exigeant de lui une réorganisation de ses ressources, une distanciation vis-à-vis de son monde et de ses habitus.