1Ce numéro non thématique réunit des contributions qui éclairent, par une pluralité d’entrées, la diversité des questions qui traversent les didactiques et la façon dont elles se structurent et évoluent. Il couvre un large spectre de disciplines de référence, de lieux investis et de méthodologies mises en œuvre.
2Il réunit ainsi quatre contributions en lien avec des disciplines d’enseignement et d’apprentissage aussi diverses que les sciences expérimentales, l’histoire, la langue anglaise et le français ; il est complété par une recension qui concerne la philosophie.
3Outre cette large ouverture disciplinaire, ces contributions rendent compte, par ailleurs, de la diversité des lieux et des niveaux d’enseignement et de formation où elles s’élaborent et où elles entrent en jeu. Ainsi ces cinq contributions permettent-elles de questionner une exposition au musée et une visite d’élèves d’école maternelle (article 1), des séances didactiques en histoire dans des classes ordinaires de collège ou de gymnasium (préadolescents de 11-13 ans) en France et en Allemagne (article 2), l’autoformation en anglais dans la formation des enseignants (article 4), la structuration et le rôle des revues de didactique du français dans la constitution de ce champ de recherche (article 4) pour revenir à la didactique de la philosophie dans tous les niveaux de la scolarité (article 5).
4Enfin la spécificité de ce numéro tient également au fait que ces différentes contributions sont construites sur des approches et des méthodologies contrastées : pour le premier article, il s’agit du croisement d’analyses d’un album de littérature de jeunesse, de l’exposition construite à partir de cet album et d’une visite de classe ; pour le deuxième, de didactique comparée entre différents pays ; de l’expérimentation d’un dispositif de formation collaborative à distance dans la formation des enseignants pour le troisième article ; enfin d’une perspective historique concernant la structuration et l’évolution de revues pour la quatrième contribution.
5Ainsi Cora Cohen-Azria, enseignante-chercheure à l’Université de Lille, analyse, du point de vue de la didactique des sciences, une exposition du Musée d’histoire naturelle de Lille (conçue en 2015) qui s’appuie sur l’album De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, album écrit par Werner Holzwarth et illustré par Wolf Erlbruch (1989-2005). Elle étudie l’album, du double point de vue de sa spécificité linguistique, narrative et graphique d’une part et des contenus scientifiques véhiculés, implicites ou absents. Puis c’est l’exploitation muséale de cet album qui est l’objet d’une investigation précise sur les plans scientifique et scénographique, dans ses fidélités à l’album comme dans ce qui l’en éloigne, voire en brouille les lectures. Enfin la visite d’une classe de maternelle est l’objet d’une étude détaillée à partir du verbatim des interactions entre la guide, chargée de cette visite de classe, et les jeunes élèves. L’analyse souligne les recoupements entre ces trois plans, mais elle indique également les déplacements qui s’opérent, les ajouts effectués, les contradictions qui peuvent en résulter. La contribution revient en conclusion sur la place accordée, dans l’histoire de la didactique des sciences, aux différents médias et aux expositions, où se déploie un travail de vulgarisation scientifique.
6Carla Schelle et Christophe Straub, enseignants-chercheurs à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, étudient, en France et en Allemagne, la constitution d’objets d’enseignement dans la discipline de l’histoire et de l’instruction civique. Leurs travaux s’appuient sur les données institutionnelles et culturelles de ces deux pays dans le cadre d’une analyse de type interactionnelle. Issue d’une recherche comparative plus large, dont la méthodologie est soigneusement explicitée dans l’article, ces chercheurs présentent ici une étude sur l’objet de « la fondation de Rome ». Celle-ci s’appuie sur les données de deux heures de cours d’histoire, enregistrées d’une part en région parisienne dans une classe de 6e de collège et d’autre part dans le Land allemand de Rhénanie-Palatinat, dans une classe de 7e de lycée, soit pour des élèves de 11 à 13 ans. Il s’agit d’analyses séquentielles s’appuyant sur les interactions entre enseignant et élèves, pour étudier les influences respectives des contextes scolaires et culturels sur la constitution de l’objet comme pour en dégager des éléments transnationaux. Au-delà des résultats présentés, cet article favorise la confrontation des méthodologies utilisées en France et en Allemagne, dans le traitement des données empiriques des situations d’enseignement, ce qui en constitue également l’un des apports.
7Pascale Catoire, responsable du master MEEF second degré en anglais à l’INSPE du Val de Loire de l’Université d’Orléans, expose la méthodologie et les résultats d’une expérimentation menée en formation initiale des enseignants. Ainsi dans le cadre d’une formation réalisée en classe virtuelle (à travers le logiciel Classilio), par des étudiants en master MEEF second degré anglais et à destination d’étudiants en master MEEF premier degré et préparant le concours du CRPE et rencontrant des difficultés, la chercheure analyse les pratiques de cinq tutrices et l’impact du dispositif sur les savoirs didactiques des enseignants et enseignantes en formation. L’étude des entretiens semi-guidés met en avant des résultats qu’il serait intéressant de croiser avec d’autres travaux. Il apparait ainsi que l’outil de la classe virtuelle conditionne moins les pratiques que les modèles et les représentations qu’ont les tutrices du cours et/ou de la formation « idéal.e ». Le parcours antérieur et l’âge, soit l’expérience des tutrices s’avèrent déterminants pour expliquer les choix effectués. La maitrise de l’outil n’est pour autant pas à minimiser, elles se sentent bien plus efficaces dès lors qu’elles sont en capacité de gérer les imprévus en particulier techniques. Toutefois, la classe virtuelle ne se limite pas à cette compétence. Cela rejoint les résultats du GT Num 10 dirigé par Ana Dias-Chiaruttini (2020) qui montre que pour les enseignants comme pour les formateurs (quelle que soit la discipline) la maitrise des savoirs didactiques et la mise en œuvre de ces savoirs permet de penser la gestion de l’outil numérique et de développer un sentiment d’auto efficacité et des stratégies de contournement ou de résolution des soucis techniques. Si maitriser l’outil est nécessaire, le bon usage de l’outil reste lié à la maitrise didactique des enseignements et des formations.
8L’article suivant rend compte des échanges d’une table ronde qui s’est déroulée à l’Université de Lille et met en discussion des représentants de trois revues fondamentales en didactique du français : Le français aujourd’hui, Pratiques et Repères. « Fondamentales » parce qu’elles ont toutes les trois non seulement émergé au début de la constitution de la didactique du français, mais aussi parce qu’elles ont accompagné la structuration de ce champ de recherche. La confrontation des choix éditoriaux de ces revues, leur évolution, la façon dont elles cohabitent, éclaire l’histoire de la discipline, les espaces régionaux (Paris – Metz) où elle s’est développée en France en lien avec des laboratoires ou des institutions telles que l’IPN (Institut Pédagogique National) l’ancêtre de l’INRP (Institut National de Recherche pédagogique), devenu par la suite l’IFé (Institut Français d’éducation). Cette confrontation met en lumière la façon dont le premier et le second degré se sont pensés dans des espaces différents, Repères, spécialisé dans le premier degré et Pratiques un peu plus tard dans le second degré, même si le lien entre ces deux degrés a été posé au moment de la création de la revue, comme d’ailleurs en ce qui concerne Le français aujourd’hui (De l’école à l’université). Pratiques propose ainsi de généraliser l’enseignement de la littérature dans le premier degré, contre une vision idéalisée de l’enfance et de ses « besoins », de son innocence et de sa créativité naturelle, qui ne prendrait pas en compte ses déterminismes (Pratiques, 1974, p. 2-3). Repères s’est développé autour de la recherche-action, mise en œuvre et soutenue par l’INRP, en particulier autour d’une pionnière de ce format de recherche, Hélène Romian. Pratiques s’est déployé à partir d’un collectif messin d’enseignants-formateurs puis d’enseignants-chercheurs en didactique du français. Le français aujourd’hui, créé autour de l’Association Française des Professeurs de Français qui a évolué et changé de nom par la suite, demeure un lieu de dialogue entre théorie et pratique, entre didacticiens (en tant que chercheurs développant leurs travaux en didactique du français) et formateurs et enseignants « innovants » ou cherchant des pistes pour faire évoluer les pratiques quotidiennes de la classe. Dans cette contribution, Ana Dias-Chiaruttini introduit et regroupe ainsi les propos de Jacques David, Sylvie Plane et Anne Halté. Ensemble, ces auteurs éclairent un lieu de structuration de la recherche en didactique : celui des revues. La lecture diachronique à laquelle invite cet article ne peut aujourd’hui que faire écho à l’action d’Hélène Romian, dont, nous le disions supra, elle fut celle qui a développé la recherche-action à l’IPN et l’INRP (ancêtre des LéA qui se développent aujourd’hui à l’Ifé). Rédactrice en chef de la revue Repères entre 1971 et 1993, elle fut aussi le fer de lance de la rédaction du Plan de Rénovation du Français à la suite du rapport et de la commission présidée par Rouchette. Elle avait accepté en 2014 de revenir pour La Lettre de l’AIRDF sur l’histoire du Plan et d’en présenter la lecture qu’après coup elle en faisait (Romian, 2014).
9Cette figure marquante de la naissance de la didactique du français, de l’une des revues et d’un format de recherche qui ne cesse de se développer (de la recherche-action à la recherche design), nous a quittés cette année et nous ne pouvions pas présenter cet article sur les revues en didactique du français, sans honorer sa mémoire et sans rappeler l’héritage considérable qu’elle nous a légué et dont parfois nous oublions les combats et la détermination dont elle a su faire preuve pour que la recherche en didactique du français, le lien classe-formation-recherche existe, perdure et soit aussi central aujourd’hui dans nos travaux.
10La note de lecture de l’ouvrage de Michel Tozzi, Perspectives didactiques en philosophie. Éclairages théoriques et historiques, pistes didactiques (2019), présentée par Sébastien Charbonnier qui clôt cette livraison, complète ce panorama en invitant à la réflexion didactique dans le champ de la philosophie.
11À l’heure où les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation en France (INSPE), instituts de formation soumis à des restructurations permanentes, connaissent une nouvelle réforme de leurs enseignements, nous espérons que ce numéro apportera une contribution utile à une bonne visibilité du champ des recherches en didactique, une meilleure connaissance/reconnaissance de leur histoire, de la diversité des méthodologies qu’elles mettent en œuvre comme de l’ampleur des questions qu’elles traitent.
Bibliographie
Références
- Dias-Chiaruttini A. (dir.), Tali Fatiha, Brunel Magali et Moussi Dalila (2020) Rapport GTnum 10, Approche systémique des ressources et pratiques numériques dans l’éducation : quels freins et leviers pour un passage à l’échelle ? Remis au ministère de l’Éducation nationale et à AFINEF le 10 mai 2020. En ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02911560v1/document
- Holzwarth Werner & Erlbruch Wolf (1989-2005) De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, Toulouse, Milan.
- Pratiques, n° 1/2 (1974) Éditorial, 1-4.
- Romian Hélène (2014) Un « plan de rénovation » de l’enseignement du français à l’école élémentaire en 1970. La Lettre de l’AIRDF, n° 56, 33-44. En ligne : https://www.persee.fr/doc/airdf_1776-7784_2014_num_56_1_2016