Le livre érudit et subtil d’Alain Sandrier sur le miracle au siècle des Lumières déconcertera, sans doute, aussi bien l’historien-sociologue que l’historien classique des idées. Inutile d’y chercher une comptabilité des miracles, présentée sous la forme de camemberts ou de courbes, ni même une prosographie des miraculés et de leurs parentèles. Vous n’y trouverez pas non plus une généalogie linéaire des croyances qui, selon le stéréotype de la sécularisation, s’épuiseraient progressivement et parallèlement à la disparition du surnaturel, jusqu’à la Révolution française.
Le titre énigmatique fait sans doute allusion aussi bien au contexte éclairé dans lequel la reconnaissance du miracle est prise qu’à l’entrée des Lumières dans l’argumentaire miraculeux. Dans tous les cas, le choix du prisme organisateur que constitue le miracle est excellent. Il permet de traverser tout le dix-huitième siècle et d’apprécier la place qu’y tient le surnaturel ainsi que ses enjeux, à une époque où l’esprit critique se fortifie. Avec beaucoup de perspicacité, Alain Sandrier a remarqué que le dix-huitième siècle est un laboratoire exceptionnel de l’archive du miracle : « La profusion règne : jamais on n’a consigné autant de phénomènes extraordinaires, sous toutes les formes, manuscrites ou imprimées, hétérodoxes ou orthodoxes, rassemblant des légions de témoins, assermentés ou sollicités, de toutes conditions. » Il a été également frappé par l’énergie qui a été dépensée à sauver ou à discréditer les témoignages, par « ce mouvement contradictoire de défiance ou de défense » qui s’est opéré en même temps…