Notes
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[1]
Une relation sociale est qualifiée de multiplexe dès lors qu’elle contient (et que se superposent en elle) différents types de liens, par exemple d’échange d’informations, de conseil, d’amitié, de contrôle social… (Lazega, 2007). Une relation est d’autant plus riche, intense et durable qu’elle est multiplexe. Et plus un système social comporte de relations multiplexes plus la cohésion en son sein est forte.
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[2]
Au nom de l’universalisme à la française et d’une conception restrictive de la neutralité -politique- de l’entreprise, certaines dirigeantes d’associations de cadres-femmes se sont vues reprocher par leur hiérarchie leurs agissements, perçus comme des tentatives de court-circuiter leurs supérieurs hiérarchiques, en développant des relations privilégiées avec les dirigeants ou les top-managers de l’organisation.
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[3]
Bien que le secteur bancaire soit un milieu relativement féminisé, l’égalité hommes-femmes reste encore limitée au niveau des échelons hiérarchiques supérieurs de ces entreprises. L’un des objectifs premiers de la fédération Financi’Elles est donc aussi de promouvoir la diversité de genre au sein des organisations partenaires afin de limiter au maximum le phénomène de plafonds de verre.
Introduction
1Comme mentionné dans la littérature académique (e.g. Laufer et al., 2001 ; Méda, 2008), la persistance du plafond de verre dans les entreprises françaises tient au cumul de résistances sociales et organisationnelles (effets de structure) et de freins relationnels (effets de réseau) qui entravent l’insertion professionnelle et l’avancement des femmes-cadres. Ces barrières créent en effet des distorsions systémiques à caractère sexiste d’autant plus prégnantes qu’elles sont assimilées cognitivement, légitimées culturellement et intégrées dans le patrimoine de croyances et pratiques organisationnelles. Elles nuisent ainsi à l’épanouissement des cadres-femmes, tout autant qu’elles tendent à affecter la performance globale des entreprises, notamment en termes de qualité du recrutement, de niveau d’intégration, de mobilisation et de fidélisation des salariées (Belghiti & Rhodain, 2001). Au final, elles alimentent la reproduction d’inégalités sociales sur base genrée.
2C’est pourquoi il s’avère indispensable de décrypter l’ensemble des processus sociaux et politiques, complexes et interdépendants, qui, se déployant à l’échelle institutionnelle, organisationnelle et/ou individuelle, freinent l’insertion et la réussite professionnelles des femmes-cadres, tout autant qu’ils entravent la mise en place d’un nouveau système social émancipé des conditionnements du genre. La recherche en sciences sociales et de gestion se voit ainsi assignée une double mission.
3Tout d’abord, éclairer ces phénomènes sociaux, en investiguant leur genèse causale, en décrivant leur morphologie, et en analysant leur phénoménologie de déploiement. Puis, identifier des leviers d’action aux échelles macro-politique (initiatives institutionnelles, légales, réglementaires, administratives…), méso-organisationnelle (programmes et process RH, outils managériaux à l’échelle d’une entreprise, d’un secteur ou d’un bassin d’activité…) et individuelle (stratégies relationnelles et dynamiques interactionnelles des acteurs).
4À l’aune d’une revue de la littérature scientifique, cet article se propose d’analyser les freins relationnels (effets de réseau) entravant la progression des cadres-femmes au sein des entreprises françaises. Il esquisse des propositions managériales destinées à favoriser le dépassement du plafond de verre et plaide en faveur du développement de dispositifs organisationnels à substrat relationnel, tels le mentoring et les réseaux affinitaires.
Rappels sur la notion de réseau et l’effet « réseau »
5Complexe et polysémique, la notion de réseau social possède deux significations principales, selon que l’on adopte une focale méso (le réseau d’un collectif reliant ses membres) ou un prisme micro (le réseau d’un individu). D’un point de vue collectif, un réseau social est un ensemble de relations de connaissance, interconnaissance et inter-reconnaissance liant des acteurs dans un espace social donné de manière plus ou moins directe, intense et durable. Il est un tissu de relations sociales de nature différente et parfois multiple, par lesquelles circulent des ressources variées, dans une dynamique d’échange social. Si l’on suit Lazega (2007), un réseau est une réalité sociale informelle (ou peu formalisée) bien que bâtie autour de régularités dans les flux de ressources et d’engagements stables : l’appartenance à un réseau crée ainsi un pacte social entre ses membres qui unit et simultanément contraint, offre des opportunités et crée des obligations.
6Quant au réseau social d’un individu, il peut être défini en première approximation comme un ensemble de relations sociales – plus ou moins fréquentes, intenses, riches et durables – liant l’individu et ses interlocuteurs, dans un cercle social donné (e.g. réseau familial ou professionnel ou associatif d’un acteur) ou, plus globalement, dans la sphère sociale (ex. réseau d’un individu, inclusif de l’ensemble de ses relations sociales à l’échelle privée et publique). Reflet du capital social d’un individu, son réseau personnel est le fruit d’un parcours en socialisation où s’entremêlent portefeuille relationnel hérité et liens acquis au bénéfice d’investissements stratégiques visant à en élargir le périmètre. Comme le souligne Bruna (2013, p.14), « le réseau d’un acteur donne à voir son positionnement dans la structure sociale et le système d’interdépendances dans lequel il évolue. […] Révélateur de statut et de pouvoir, il permet d’apprécier le degré d’autonomie structurale d’un individu au sein d’un champ ». À ce titre, la morphologie d’un réseau personnel, c’est-à-dire son étendue, sa densité, le nombre et le type des liens qu’il contient, leur propension à la réciprocité et/ou à la multiplexité [1], participe à la hiérarchisation sociale (Lazega, 2007). Et cela, car tous les réseaux ne se valent pas au regard de l’accès aux ressources stratégiques qu’ils aménagent.
Les réseaux des femmes : l’effet « réseau » dans la carrière et le genre du capital social
7Le réseau social d’un individu joue un rôle-clé dans son itinéraire professionnel, car il médiatise son accès à des ressources stratégiques (Granovetter, 1973 ; Lazega, 2007).
8Comme le souligne Cerdin (2000, p.58), « avancer dans sa carrière n’est pas un acte solitaire », mais bel et bien le fruit d’un processus social de développement et de valorisation de son potentiel, de ses compétences et de ses savoir-faire. La constitution, l’entretien et mobilisation stratégique d’un réseau constituent ainsi des vecteurs privilégiés d’instrumentation du capital humain. Les managers accédant aux plus hautes fonctions hiérarchiques affichent généralement un patrimoine relationnel élargi, notamment s’agissant des plus investis d’entre eux au sein d’activités sociales et politiques, dites de réseau (Luthans, 1988). Ainsi la socialisation, formelle et informelle, au travail joue un rôle fondamental et indéniable dans l’évolution de carrière des cadres (Ibarra, 1995). De telle sorte que des déficits dans l’utilisation et la construction des réseaux sont souvent pointés comme explication possible des difficultés vécues par les femmes dans leur progression au sein du monde des affaires (Constantinidis, 2010).
9Un détour par la sociologie néo-structurale – dont la plupart des travaux se centrent sur l’exemple américain (e.g Ibarra, 1995) – permet ainsi de mettre en évidence des freins relationnels qui, aux côtés de résistances sociales et organisationnelles (e.g. Laufer, 2004, 2005), entravent l’avancement des cadres-femmes : l’étroitesse de leurs réseaux professionnels, leur (quasi)exclusion des sphères de socialisation informelle à l’échelle organisationnelle, les déséquilibres entre relations privées et professionnelles (reflet de la répartition inégalitaire des tâches ménagères et familiales), l’inadéquation de leurs stratégies relationnelles.
10En outre, d’autres facteurs sociaux (âge, genre, origine, CSP, éducation…) peuvent influer sur la « profitabilité » d’un réseau personnel de type professionnel (Burt, 1998 ; Kay et al., 2009 a,b ; Ibarra, 1993, 1995 ; Sharafizad, 2011). Devant les difficultés rencontrées dans le développement de leurs réseaux professionnels, les femmes se tournent alors plus généralement vers leur entourage proche et familial afin de bénéficier de sources informelles, de soutiens et de conseils (Greve et Salaff, 2003). Ceci affecte l’évaluation de leur performance relativement aux hommes qui peuvent, eux, disposer de conseils avisés provenant de leurs réseaux professionnels (Robinson et Stubberud, 2009 ; Chabaud et Lebegue, 2013)
11Au final, contrairement à l’intuition, la promotion des femmes-cadres serait favorisée, non pas par la reproduction du modèle masculin de l’entrepreneur relationnel (Burt, 1992, 1995), mais par l’adoption de stratégies relationnelles adaptatives, à commencer par le développement d’une socialisation patronnée. Cette dernière profiterait d’autant plus à l’avancement des cadres-femmes (Burt, 1998 ; Ibarra, 1995), que, reposant sur le mécanisme de l’emprunt de capital social, elle permettrait à la femme-cadre (1) d’enrichir son patrimoine relationnel en mobilisant le réseau d’un ou plusieurs parrains puissants et prestigieux, (2) de s’aménager un accès privilégié aux ressources stratégiques, et (3) de s’attribuer une légitimité de transfert reposant sur une acculturation organisationnelle. À l’instar de l’ethnicité ou de l’âge, le genre figure donc parmi ces « facteurs de contingence qui font qu’une même configuration de réseau peut avoir des effets opposés. Si certaines configurations de réseaux sont bénéfiques pour certains acteurs, elles sont néfastes pour d’autres » (Chauvet et Chollet, 2010, p.90).
12C’est pourquoi la stimulation de la socialisation professionnelle des cadres-femmes, par le développement de dispositifs de mentoring pro-femmes et la fréquentation d’affinity groups, tend ainsi à favoriser leur reconnaissance professionnelle et leur avancement.
Le mentoring et les réseaux de femmes, nouveaux outils de l’équité ?
13Dispositifs organisationnels apparus dans les entreprises américaines depuis les années 1980-1990, le mentoring de cooptation et les affinity groups intra-organisationnels facilitent la sédimentation du capital socio-professionnel et l’opérationnalisation du capital humain des femmes-cadres (Bruna, 2013). S’axant vers un mode de socialisation au masculin, le mentoring de cooptation promeut l’assimilation organisationnelle de la cadre-femme, afin d’en favoriser la reconnaissance statutaire. Le mentoring favorise en effet l’« acculturation organisationnelle » et l’apprentissage fonctionnel de la parrainée par le biais d’une transmission, essentiellement informelle, de croyances, normes, savoir-faire techniques et postures comportementales.
14Induite par la relation même de mentoring, la hiérarchisation du capital social de la cadre-femme permet un élargissement « patronné » de son réseau professionnel. Elle en améliore la structure d’opportunités/contraintes ainsi que la position dans le système d’échange social. Ce qui facilite son accès aux ressources informationnelles, techniques, matérielles, financières, dont la maîtrise est nécessaire à la réussite professionnelle. Particulièrement développé pour les femmes-cadres au sein des grandes organisations états-uniennes (Ibarra, 1995 ; Burt, 1998), le mentoring se configure comme une mesure doublement profitable : pour l’individu (en tant que vecteur d’accroissement de capital social et facilitateur de carrière) et pour l’organisation (en tant que levier d’intégration de l’impétrant au sein des équipes).
15Quant à l’affiliation affinitaire, elle repose sur une logique de définition catégorielle selon des critères extra-professionnels, tels le genre, l’ethnicité, l’orientation sexuelle, les conditions de santé ou la religion (Byrne, 1993). Dispositifs organisationnels réunissant des salariés sur base affinitaire importés dans les entreprises hexagonales depuis les États-Unis, les réseaux de femmes se développent de plus en plus dans les organisations françaises. Ils tendent à s’affirmer, successivement ou alternativement, comme :
- des lieux de socialité « entre pairs » (horizontale et verticale), où se fait la rencontre, se créent et s’entretiennent des liens faibles et se développe le capital social des membres (extension du réseau professionnel, des acteurs)
- des espaces de socialisation où se construit un entre-soi, se crée la confiance et se libère la parole, et où peuvent s’établir, sur un principe de volontariat, des liens forts, y compris de mentorat,
- des promoteurs et/ou des incubateurs de politiques de mixité (baromètres internes égalité professionnelle, programmes de mentoring pro-femmes, de démarches d’empowerment pro-femmes et/ou pro-minorités…), participant à inscrire ces démarches dans une double perspective d’égalité et de performance globale de l’entreprise,
- des espaces de réflexion et de réflexivité organisationnelles, favorisant la communication trans-hiérarchique, trans-sectorielle et trans-géographique, l’innovation sociale et sociétale et le développement d’un management responsable (Fray et Minault, 2012 ; Bruna, 2013).
16Si le mentoring et les réseaux de femmes font tous deux recours au mécanisme de l’emprunt de capital social (Burt, 1998) et visent à terme l’élargissement du réseau professionnel des cadres-femmes (leur permettant de tirer profit de la « force des liens faibles », Granovetter, 1973), ils renvoient néanmoins à deux mécanismes distincts (assimilative vs affinitaire) de socialisation professionnelle. Plus fondamentalement, ils reposent sur deux logiques différentes de catégorisation de l’identité des cadres-femmes (statut de cadre vs genre). Ils emploient au final deux stratégies différentes afin de contrer les freins culturels, organisationnels et relationnels faisant offense à l’inclusion socio-professionnelle des cadres-femmes : la création d’une endogamie dans les réseaux de femmes, pour l’un, et la hiérarchisation du capital social dans le cadre du mentoring, pour l’autre.
Les réseaux de femmes en France : l’exemple de Financi’Elles
17Si aux États-Unis les women affinity groups sont présents dans la plupart des firmes moyennes à grandes et y bénéficient souvent d’un adoubement organisationnel, ils tendent à se développer, depuis la fin des années 2000, au sein des entreprises hexagonales (Laugier, 2012). Néanmoins, les cadres-femmes françaises paraissent quelque peu rétives à investir ces dispositifs de networking au féminin [2], les réactions critiques de leurs collègues et supérieurs hommes les dés-incitant à les fréquenter (Bruna, 2013, 2014b). Dans une culture imbibée d’universalisme égalitariste, la création d’affinity groups intra-organisationnels semble de plus freinée par une défiance culturelle à l’égard de dispositifs de socialisation affinitaire accusés d’être exclusivement féminins et d’ enfermer les women managers dans leur identité de genre.
18Or, derrière la querelle opposant les partisans et les pourfendeurs de l’ouverture aux hommes des réseaux féminins, se cache une négociation de frontières et un enjeu de reconnaissance. Renvoyant à un mode de socialisation affinitaire par « catégories d’appartenance », la clôture des réseaux féminins à leurs homologues hommes viserait la création d’un entre-soi, espace informel de confiance et de confidence où la parole se libérerait et où s’établiraient des « liens forts », à la fois riches, intenses, exigeants et durables. Laissant entrevoir un mode de socialisation affinitaire par « causes », l’ouverture des women’s networks aux collègues hommes permettrait a contrario l’élargissement de leurs frontières, ce qui favoriserait les stratégies de réseautage, l’établissement de « liens faibles » en son sein et l’accroissement du patrimoine relationnel des cadres-femmes.
19En miroir, se développent en France des réseaux féminins extérieurs à l’entreprise, œuvrant à l’échelle locale, régionale ou nationale en faveur de la féminisation de l’encadrement et du top-management (de Beaufort et Morali, 2012). En parallèle à la demande sociale croissante pour ce type d’initiatives, le développement des technologies reste un facteur-clé dans l’émergence et la dissémination de ces instances de réseautage au féminin. Chabaud et Lebegue (2013) identifient pas moins de 17 sites internet proposant des conseils sur le thème spécifique de la création d’entreprises au féminin.
20Dans leur « guide des clubs et réseaux au féminin », Gagliardi et Montay (2007) énumèrent une liste non-exhaustive de près de 200 organisations du genre, présentes en France et allant des réseaux d’écoles (on peut par exemple citer HEC au féminin, Harvard Women France, le pôle Femmes du Cercle des Entrepreneurs de l’EDC Paris Business School,…) aux réseaux lobbyistes, politiques (Femmes & Pouvoir…), en passant par les réseaux d’entrepreneures (Action’Elles, Drôles d’entrepreneure, Diversit’Elles…) ou transversaux (Femmes3000…).
21Les réseaux sectoriels tendent, en outre, à se développer à l’échelle française, comme peut l’illustrer la création de Financi’Elles. Fédération de « réseaux de femmes-cadres du domaine de la banque, de la finance et de l’assurance » initiée en 2009 sous l’impulsion de Sophie Verney, Financi’Elles rassemble une quarantaine de réseaux de cadres-femmes, soit environ 100 000 femmes, appartenant à huit grandes entreprises du secteur bancaire, dans une optique de mentoring et de socialisation affinitaire. (Bruna, 2014b).
22L’intérêt principal de Financi’Elles repose sur une dynamique coopérative à l’échelle sectorielle, inédite dans un secteur hautement concurrentiel, par laquelle les entreprises adhérentes s’engagent à mettre à disposition de la Fédération les données quantitatives permettant la réalisation de diagnostics partagés en matière de mixité et d’égalité professionnelle. À ce titre, Financi’Elles constitue un espace d’innovation managériale qui développe une triple activité : réalisation de diagnostics mixité à l’échelle du secteur ; conception et accompagnement de plans d’actions égalité professionnelle, en particulier basés sur le mentoring ; suivi des pratiques et partage de « best practices ». Le mode de collaboration privilégié au sein de la fédération et de ses réseaux-membres allie les interactions présentielles à la coopération à distance (Bruna, 2014b).
23Les modalités d’interaction informelle inhérentes au networking et le système d’échange social (d’informations, de « coups de mains », de conseils, de ressources matérielles et symboliques…) qu’elles dessinent favorisent l’empowerment des cadres-femmes tout autant qu’elles en stimulent « l’acculturation professionnelle ».
24Ainsi Financi’Elles contribue-t-elle au développement du capital socio-professionnel des cadres-femmes en conjuguant trois mécanismes fondamentaux :
- l’emprunt de capital social cher au mentoring pro-femmes,
- la logique de regroupement affinitaire « par catégorie » inhérente aux Employees Resource Groups (rassemblement volontaire sur la base d’un critère extra-professionnel, destiné à permettre la création d’un entre-soi groupal, libérateur de parole, (re)créateur de confiance en soi et dans le collectif et catalyseur d’action),
- le principe de la « force des liens faibles » par le développement d’une socialisation trans-hiérarchique (développement de relations coopératives avec un top-management essentiellement masculin).
25L’exemple de Financi’Elles tend à nuancer les analyses contextuelles selon lesquelles, dans un secteur féminisé, les stratégies de réseautage des femmes tendraient à être plus paritaires et donc à développer des réseaux pro-femmes ouverts aux hommes. Et ce, car les représentations de genre au sein d’un secteur dépendent, non seulement de son niveau de féminisation, mais aussi de la vision dominante du métier et de l’éthos professionnel.
26Dans un secteur mixte mais dominé par une culture individualiste de la performance, le fait de privilégier une socialisation féminine peut se lire comme une tentative de contrer la présomption d’illégitimité affectant les cadres-femmes.
27Tout comme le développement du mentoring pro-femmes tend à être plus performant que l’universalisation des stratégies d’entrepreneur relationnel, de la même manière, la structuration de réseaux composés exclusivement (ou presque) de femmes, relève d’une stratégie adaptative. Cette dernière édifiant un havre d’endogamie, protecteur à l’égard de tentatives d’instrumentalisation des affiinity groups par les insiders (cadres hommes).
28Outre le fait que l’existence de cette fédération participe à promouvoir la prise de responsabilités des femmes dans les entreprises du secteur concerné [3], on peut raisonnablement envisager le développement et le succès de Financi’Elles ainsi que des autres réseaux au féminin présents sur le territoire comme une évolution organisationnelle majeure. D’où une prise en considération de l’importance des liens informels pour la bonne marche des organisations, le développement de la confiance en soi et l’épanouissement professionnel de femmes managers, créatrices d’entreprises ou impliquées dans le développement socio-économique des organisations contemporaines (Gagliardi et Michelon, 2013).
Conclusion
29Après un rapide rappel de la notion de réseau, l’article a esquissé un diagnostic des mécanismes relationnels influant sur la permanence du plafond de verre au sein des entreprises. Deux dispositifs ont ainsi été présentés afin de favoriser l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : le mentoring et les women’s affinity groups.
30Complémentaires des politiques publiques de lutte contre les discriminations tout comme des démarches de diversité dont elles sont des éléments constitutifs (Bruna, 2014a), le mentoring de cooptation et les réseaux de femmes intra-organisationnels tendent à faciliter l’intégration professionnelle des cadres-femmes en densifiant leur réseau professionnel.
31Reposant sur deux processus sociaux fondamentaux, l’emprunt de capital social et la « force des liens faibles », ces outils managériaux – agissant à la jonction des niveaux méso/entreprise et micro/individu – renvoient néanmoins à deux logiques distinctes, assimilative vs affinitaire, de socialisation professionnelle. À l’aune des éléments présentés dans ce document, nous suggérons leur combinaison comme étant l’une des clefs-de-voûte d’une politique de mixité à l’échelle organisationnelle.
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Notes
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[1]
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[2]
Au nom de l’universalisme à la française et d’une conception restrictive de la neutralité -politique- de l’entreprise, certaines dirigeantes d’associations de cadres-femmes se sont vues reprocher par leur hiérarchie leurs agissements, perçus comme des tentatives de court-circuiter leurs supérieurs hiérarchiques, en développant des relations privilégiées avec les dirigeants ou les top-managers de l’organisation.
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[3]
Bien que le secteur bancaire soit un milieu relativement féminisé, l’égalité hommes-femmes reste encore limitée au niveau des échelons hiérarchiques supérieurs de ces entreprises. L’un des objectifs premiers de la fédération Financi’Elles est donc aussi de promouvoir la diversité de genre au sein des organisations partenaires afin de limiter au maximum le phénomène de plafonds de verre.