Notes
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[1]
Et remplacée par la contribution économique territoriale qui inclut une cotisation foncière et une cotisation sur la valeur ajoutée.
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[2]
Le rendement de cet impôt n’est de fait pas considérable, autour de 600 Millions d’€.
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[3]
Accountability est un mot qui n’a pas d’équivalence directe en français. Ce concept allie celui de responsabilité et de transparence dans la gouvernance (d’entreprise, publique). Il met en avant l’importance de rendre visible et d’expliquer les enjeux, les moyens et les résultats des politiques publiques. Cela implique qu’une information fiable soit collectée et transmise, permettant ainsi à l’électeur contribuable de faire un bilan en termes d’une analyse coût-bénéfice.
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[4]
Pour partie seulement, car des dépenses redistributives telles qu’une subvention à des cantines scolaires ne seront pas forcément capitalisées dans les valeurs foncières bien qu’elles soient utiles.
1La taxation du foncier et de l’immobilier est-elle récente en France ?
2L’impôt foncier est sans doute l’un des plus vieux impôts qui ait existé en France. Sans remonter à l’Ancien régime, les « quatre vieilles », instituées entre 1790 et 1798, étaient essentiellement des taxes sur l’immobilier et le foncier : l’impôt sur les portes et fenêtres, la patente (assise pour partie sur la valeur locative des locaux servant à l’exercice de chaque profession), la contribution foncière (qui porte sur les terrains) et la contribution personnelle mobilière (assise principalement sur la valeur du loyer de l’habitation). De ces impôts ont découlé la taxe foncière, la taxe d’habitation et la taxe professionnelle que nous connaissons actuellement, cette dernière ayant été abolie en 2009 [1].
3L’impôt sur le revenu est lui beaucoup plus récent (1914). Il faut garder à l’esprit qu’un impôt ne peut exister que si la base sur laquelle il est assis peut être enregistrée correctement. Sous l’Ancien régime, les salaires n’étaient pas enregistrés, il était donc impossible de les taxer. Ce n’est qu’avec l’émergence des sociétés par actions et le développement de la comptabilité des entreprises que des comptes d’exploitation ont été établis dans lesquels sont retracées toutes les charges, dont les charges de salaires. L’État a pu utiliser ce besoin d’enregistrement privé, initialement instauré pour protéger les actionnaires, afin de passer d’un impôt foncier à un impôt sur le revenu.
4Du fait de sa longue histoire, l’impôt foncier a, dans la mythologie populaire et chez les hommes politiques, une connotation d’impôt vétuste et obsolète. Pourtant, pour l’économiste, c’est un impôt qui conserve des propriétés intéressantes et complémentaires par rapport à d’autres impôts comme l’impôt sur le revenu. Il ne mérite pas le dédain dans lequel il est tenu.
5Quels sont les impôts qui pèsent aujourd’hui en France sur le patrimoine immobilier ?
6Il existe six types de taxes qui touchent le patrimoine immobilier : les taxes foncières sur le bâti et sur le non bâti, les droits de mutation à titre onéreux (payés au moment de l’achat ou de la vente d’une propriété) et à titre gratuit (payés au moment d’une succession), la taxation sur les plus-values immobilières et l’impôt de solidarité sur la fortune (l’ISF).
7La taxe foncière sur le bâti et sur le non bâti est un impôt local. Elle est assise sur la valeur locative cadastrale, c’est-à-dire la valeur du loyer qu’on pourrait tirer de la location du bien. Cette valeur a été estimée par l’administration en 1970 et la base est toujours estimée en fonction des paramètres de 1970 pour les nouvelles constructions. Les valeurs cadastrales ont été réévaluées au cours du temps, en fonction notamment de l’inflation immobilière, mais les critères restent ceux de 1970 et sont donc largement obsolètes aujourd’hui. La valeur locative cadastrale des biens immeubles diffère ainsi sensiblement de leur valeur marchande (valeur vénale). Les taux de la taxe foncière sont choisis par les collectivités locales. Ils peuvent varier d’une collectivité locale à une autre. Les taux s’appliquant à des bases administratives, il est difficile d’établir une mesure économique de la différence des taux par rapport à la valeur réelle des biens. Les différences de taux entre communes sont aussi à apprécier en fonction des biens et services locaux offerts par les municipalités. Par exemple, s’agissant des services aux personnes dépendantes, certains départements attribuent plus généreusement l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
8Les droits de mutation à titre onéreux ou à titre gratuit sont quant à eux des impôts nationaux, même si leur produit est réparti entre les départements et les communes. Les droits de mutation à titre onéreux sont de 5,081 % du montant du bien, à compter du 1er janvier 2011. Les droits de mutation à titre gratuit correspondent aux droits de succession. Les taux sont très faibles pour les patrimoines faibles ou moyens en ligne directe. Le taux marginal peut atteindre 40 % pour les gros patrimoines. La loi TEPA a augmenté le seuil d’exonération des donations en ligne directe. Les parents peuvent ainsi transmettre à chacun de leurs enfants tous les 6 ans 300 000 € en franchise de droits (150 000 € par parent).
9Les plus-values immobilières sont imposées au prélèvement forfaitaire libératoire (19 % au titre de l’impôt sur le revenu et 12,3 % au titre des prélèvements sociaux). La résidence principale est exemptée. Le jeu des abattements aboutit à exempter également les résidences vendues au delà de 15 ans [2].
10L’impôt de solidarité sur la fortune n’est pas en soi un impôt immobilier car il pèse sur l’ensemble des éléments du patrimoine (à certaines exceptions près comme les œuvres d’art par exemple). 40 % des recettes de l’ISF proviennent néanmoins de l’immobilier. Une des caractéristiques du patrimoine immobilier, à la différence des autres formes de patrimoine, est qu’il est impossible de le dissimuler car les transactions immobilières sont toutes enregistrées par l’administration du cadastre. Nous voyons là encore le lien fort entre l’établissement du droit de propriété et la possibilité de taxer. Là où le droit de propriété est moins bien protégé (par exemple sur Internet), l’État a davantage de mal à lever les impôts. La seule possibilité pour échapper à l’impôt sur le patrimoine immobilier est de sous-estimer sa valeur.
11Par rapport aux autres formes de patrimoine, le patrimoine immobilier est-il plus ou moins taxé ?
12Le patrimoine immobilier est globalement plus taxé. En comparaison, l’assurance vie, par exemple, est très largement détaxée. Grossièrement, la richesse des Français se décompose en 2/3 d’actifs immobiliers, 1/9 d’actifs bancaires liquides (livret A, plans épargne logement, etc.), 1/9 d’assurance vie, et 1/9 de titres (actions et obligations, SICAV). La plupart des actifs financiers sont taxés de la même façon que les actifs immobiliers aux titres des impôts nationaux. Mais les actifs immobiliers doivent en plus supporter la taxe foncière et les droits de mutation (en revanche, les plus-values réalisées sur la vente des résidences principales sont exonérées, ainsi que celles sur les biens possédés depuis 15 ans).
13Par rapport aux autres pays industrialisés, le patrimoine immobilier est-il plus fortement taxé en France ?
14Les comparaisons internationales sont extrêmement difficiles à réaliser et portent rarement sur le seul patrimoine immobilier. Eurostat effectue des comparaisons mais considère la taxation de l’ensemble du patrimoine. Ces études semblent montrer que le patrimoine est relativement plus taxé en France qu’ailleurs, mais ces résultats sont fragiles sur le plan méthodologique. Eurostat effectue des comparaisons macroéconomiques alors qu’il faudrait établir des comparaisons microéconomiques, c’est-à-dire comparer les sommes payées par deux individus dont le patrimoine serait exactement le même dans deux pays différents. Ce type de comparaisons est bien plus difficile à établir, car elles supposent de tenir compte de l’ensemble des dispositifs existants dans chaque pays. D’une manière générale, on peut dire que les taux faciaux sur le patrimoine ne sont pas négligeables en France et peuvent altérer sa rentabilité. Toutefois, les possibilités d’optimisation fiscale sont nombreuses, ce qui explique l’existence de très nombreux cabinets de gestion du patrimoine en France et en premier lieu à Paris, qui réduisent l’impôt de leurs clients fortunés.
15Comment sont taxés les revenus issus du patrimoine immobilier ?
16Les loyers effectivement perçus sont taxés au titre de l’impôt sur le revenu. La plus-value immobilière est taxée à trois titres : d’une manière directe au titre de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux s’il ne s’agit pas d’une résidence principale et d’un bien détenu depuis plus de 15 ans ; d’une manière indirecte au titre des droits de mutation à titre onéreux ; enfin, au titre des droits de succession. Il existe également en France un impôt qui porte sur l’occupation d’un logement (en tant que locataire ou propriétaire) : la taxe d’habitation. Comme la taxe foncière, c’est un impôt local assis sur la valeur locative cadastrale du logement. Du fait de l’obsolescence de cette base, des logements identiques peuvent être taxés de manière très différente. Ceci contredit le principe d’équité horizontale qui veut que, dans une même commune, des habitats identiques soient taxés de manière identique. Dans le domaine de l’immobilier, le principe d’équité horizontale devant l’impôt est très largement violé en France, et cela ne semble pas choquer plus que cela. Les débats sur la justice fiscale restent trop cantonnés au principe d’équité verticale (c’est-à-dire entre les riches et les pauvres).
17La fiscalité foncière et immobilière est-elle progressive ?
18Les taxes foncières et d’habitation n’ont aucune progressivité puisque les taux sont proportionnels. Il existe cependant certaines exemptions de taxe d’habitation pour des personnes ayant de très faibles revenus (et également dans une moindre mesure pour la taxe foncière). Les droits de mutation à titre onéreux sont modulés en fonction de l’âge de l’immeuble (0,7 % pour la cession des immeubles neufs). Les droits de succession et l’ISF sont quant à eux progressifs. Mais, globalement, les taxes pesant sur l’immobilier ne sont pas un modèle d’équité verticale.
19Quel regard l’économiste porte-il sur l’imposition de l’immobilier en France aujourd’hui ? La multiplicité des taxes est-elle pertinente ?
20La fiscalité pesant sur l’immobilier nécessiterait une grande rénovation. Au niveau des taxes foncières et d’habitation, l’obsolescence des bases conduit à des situations absurdes : il faut refonder totalement le calcul des bases. Quant aux droits de mutation à titre onéreux, ils n’ont aucune justification économique et ne sont qu’un frein à la mobilité. Cet impôt pose de gros problèmes du point de vue de l’efficacité économique. Il décourage par exemple la mobilité des propriétaires qui cherchent un emploi dans un bassin plus dynamique, alors qu’il faudrait plutôt les encourager à partir. Quand les prix immobiliers augmentent rapidement, cet impôt est relativement indolore, mais dès que les prix stagnent ou baissent un peu, il se fait énormément sentir : il représente 5,081 % de la valeur du bien à payer à la vente et 5,081 % à l’achat, soit 10,18 % au total à partager entre acheteurs et vendeurs. Au-delà du problème d’efficacité économique, on ne voit pas bien non plus où est la justice fiscale. Pourquoi taxer l’échange plutôt que la détention ?
21La multiplicité des taxes pesant sur le patrimoine immobilier contribue à diminuer psychologiquement leur poids. Les individus ont ainsi du mal à réaliser ce qu’ils payent exactement tout au long de leur vie, entre la taxe foncière, les droits de mutation, et l’ISF pour les plus riches. D’une façon générale, l’économiste souhaite que les distorsions engendrées par l’impôt soient les plus faibles possibles. Diluer l’effet psychologique de l’impôt peut contribuer à ce qu’il soit moins distorsif. Mais l’impôt foncier est moins distorsif que les impôts pesant sur le travail ou l’investissement. L’offre de terre est fixe et l’impôt ne va pas faire diminuer son niveau. L’impôt peut éventuellement jouer sur l’offre de logement, mais globalement nous sommes loin d’une situation où les taxes sur l’immobilier découragent la construction de logements. Une forte taxe sur l’immobilier incite plutôt les individus à vivre dans des logements plus petits, ce qui n’a aucun effet sur la croissance. Économiquement, il n’y a donc pas vraiment de raison de vouloir diluer ce type d’impôt dans une multitude de taxes pour en diminuer l’effet psychologique, car les distorsions théoriques ne sont pas problématiques. Sur le plan démocratique, cette situation pose en revanche un réel problème d’accountability [3]. Il est important que les individus réalisent ce qu’ils paient et qu’ils fassent le lien avec la façon dont est utilisée la somme prélevée : ils doivent pouvoir constater si son usage est productif ou non.
22Comment la fiscalité foncière pourrait-elle être réformée ?
23Il me semble bon de garder un impôt local sur le foncier pour financer les dépenses locales. En économie, le théorème d’Henry George stipule que les équipements publics locaux tels que routes, écoles, espaces verts, plateau piétonnier, équipements culturels, etc. engendrent une rente additionnelle pour les propriétaires qui doit être taxée pour financer la production des biens publics. Une utilisation productive de l’impôt renchérit la valeur des biens immeubles. Il est normal que la collectivité locale cherche à récupérer la rente qu’elle a créée. Cela permet aussi aux citoyens d’établir un lien clair entre ce qu’ils paient et la façon dont leur argent est utilisé : si les terrains ne prennent pas de valeur, c’est que l’impôt local est utilisé pour partie à « mauvais escient » [4], et ils pourront faire pression soit pour abaisser les impôts soit pour veiller à ce qu’ils soient mieux utilisés. Le principe de la taxe foncière est donc bon. Le problème est lié à la façon dont la base est définie. La révision générale entreprise en 1990 n’a pas été traduite dans les bases d’imposition car le parlement s’y est opposé. La nouvelle révision entreprise cette année ne sera achevée qu’en 2014. C’est donc le moment de réfléchir à un nouveau mode de calcul de l’assiette.
24Asseoir la taxe foncière sur les propriétés bâties sur la valeur vénale des biens immeubles, c’est-à-dire leur valeur marchande, est possible dans la France de 2011 et comporte beaucoup d’avantages. Ce changement de base permettrait de faire payer l’impôt en fonction de la qualité réelle du logement. Le verrou vient du fait que l’administration fiscale considère qu’il est impossible de connaître la valeur vénale de tous les biens existants, car ces derniers sont sur le marché en moyenne une fois tous les 20 ans. Mais cet argument a ses limites : au cours des dernières années, les notaires ont réalisé un travail important de collecte d’informations sur les logements existants en France. Ces données sont enregistrées de manière homogène dans des bases. En utilisant ce qu’on appelle la méthode hédonique, ces informations permettent de calculer la valeur vénale en continu de tous les biens, même s’ils n’ont pas fait l’objet d’une vente. L’approche hédonique repose sur l’idée qu’un bien est un agrégat de différentes caractéristiques. Un appartement a un certain nombre de mètres carrés, un certain nombre de pièces, une baignoire, un balcon, un ascenseur, un parking, etc. On peut donc utiliser les données concernant le bien dans l’acte de vente pour attribuer une valeur implicite à chacun de ces éléments, et s’en servir pour reconstituer la valeur d’un bien qui n’a pas été coté sur le marché. Cette méthode intègre les différences régionales (un logement identique est plus cher à Paris qu’en province). Les travaux menés dans tous les pays du monde (depuis une quarantaine d’années, par exemple, aux États-Unis) indiquent que cette méthode permet d’approcher de près la valeur réelle des biens immobiliers. Bien entendu, une fois que le bien fait l’objet d’une nouvelle transaction, sa valeur effective remplace la valeur estimée, et seuls sont appliqués des coefficients correcteurs qui captent l’évolution des prix immobiliers dans la zone où est située le bien. Il n’y a donc aucun obstacle technique au changement de base, le verrou est cognitif et politique. L’administration doit apprendre à faire confiance à cette technique et gérer habilement la transition avec l’ancien système. Il faudrait passer de la base cadastrale à la nouvelle base sur une période de 10 à 15 ans pour que le changement soit accepté.
25Une taxe foncière bien assise permettrait de supprimer les droits de mutation à titre onéreux et l’ISF pesant sur l’immobilier. Les pertes de recettes fiscales pour les collectivités locales seraient compensées par le renforcement de la taxe foncière, dont on pourrait augmenter le taux. On pourrait, en outre, instaurer une taxe foncière à deux taux afin de la rendre progressive. L’imposition de l’immobilier serait mieux comprise et acceptée car dans ce nouveau système, la taxation se justifie par le fait qu’on profite des biens publics locaux qui augmentent la valeur du patrimoine immobilier. Reste à déterminer comment seraient taxés les actifs financiers qui étaient taxés au titre de l’ISF et qui ne le seraient plus avec sa suppression. C’est une question indépendante de la réforme que je propose, qui est centrée sur l’immobilier.
26Pensez-vous qu’il soit également nécessaire de réformer la taxe d’habitation ?
27Il faut revoir sa base. Je suis favorable à l’abandon de toute référence à la valeur du logement, contrairement à la taxe foncière. Je pense qu’il serait bien mieux d’asseoir la taxe d’habitation sur le revenu des individus, de l’intégrer complètement à l’impôt sur le revenu, comme devrait l’être à mon avis la CSG. On aurait donc un unique impôt sur le revenu dont le barème serait à revoir. Les recettes seraient ensuite affectées aux trois postes qui correspondent aux trois étages de la dépense publique : la sécurité sociale, les collectivités territoriales et l’État. Avoir trois impôts différents n’a aucun intérêt.
28Le seul risque serait que les niches fiscales mitent ce nouvel impôt, ce qui mettrait en péril le financement de tous les étages du service public en même temps. La réforme que je propose doit donc absolument être couplée avec la suppression des niches fiscales existantes. Il faut imposer pour l’avenir une règle plus stricte lors de l’adoption de niches, par exemple l’accord des 2/3 des députés et non la simple majorité, et s’assurer que les niches instaurées aient bien un sens économique, par exemple en demandant un avis préalable à la Cour des comptes et/ou au Conseil d’analyse économique. La latitude à laisser aux collectivités locales quant au choix de leur taux dépend du degré d’autonomie que l’on souhaite leur donner.
29Pour résumer, je propose donc de supprimer l’ISF et les droits de mutations à titre onéreux, de refonder la taxe foncière en l’asseyant sur la valeur vénale des biens et en définissant deux taux afin de la rendre progressive, et d’intégrer la taxe d’habitation à l’impôt sur le revenu, ce qui la rendrait également progressive. Cette réforme ne résoudra évidemment pas tous les problèmes du logement et notamment celui de la ségrégation urbaine. Mais il ne faut pas mélanger tous les débats et un seul instrument ne peut pas résoudre plusieurs problèmes de natures différentes.
30Qui fixerait les taux de ces nouvelles taxes ?
31L’impôt sur le revenu resterait bien sûr un impôt national. Je suis favorable, en revanche, à ce que la taxe foncière soit fixée au niveau des départements. Chaque département peut avoir une politique d’investissement public différente, reflétant des choix politiques différents ; les taux doivent refléter ces choix. Il faut prendre acte de la décentralisation de la France. De nombreuses et coûteuses dépenses ont lieu au niveau du département (RSA, dépendance, entretien des routes et des collèges, notamment) ; il est logique que les départements puissent décider des taux à appliquer.
32Les ressources des départements ne risqueraient-elles pas d’être trop disparates ? Cela ne renforcerait-il pas les inégalités entre départements ?
33Il faut bien sûr renforcer le mécanisme de péréquation pour compenser les différences de richesses entre les départements, et tenir compte du fait que ces derniers fournissent des prestations nationales comme le RSA, pour lesquels ils doivent recevoir un financement approprié. L’établissement de bases d’imposition claires et transparentes (valeur vénale des propriétés et revenu imposable) permettra d’identifier de manière incontestable les collectivités territoriales pauvres et riches !
34N’y a-t-il pas un risque de décourager l’investissement dans l’immobilier si l’on impose une taxe foncière trop lourde ?
35Il faut tenir compte de ce risque, mais il faut aussi se demander si l’investissement dans l’immobilier est vraiment celui qui est le plus porteur de croissance à long terme. Les exemples espagnols et irlandais montrent où peut mener l’investissement massif et non contrôlé dans l’immobilier. D’un point de vue économique, il vaut bien mieux qu’un individu investisse son épargne dans des entreprises, plutôt qu’il réalise une extension de sa maison. L’économiste n’a pas à juger les préférences des individus, mais s’offrir une pièce de plus est en fait une forme de consommation, au même titre que partir en voyage : cela procure du bien-être, sur une période longue dans le premier cas, courte dans le second encore qu’avec les souvenirs… Mais aucun de ces achats n’est porteur de croissance à long terme comme peut l’être l’investissement dans la recherche. L’immobilier ne va pas générer la croissance de demain.
36La valeur vénale des biens étant plus volatile que la valeur locative cadastrale, le choix de cette nouvelle base ne va-t-il pas rendre les recettes fiscales trop volatiles et poser ainsi des problèmes aux collectivités locales pour financer leurs dépenses ?
37Les recettes de la taxe foncière seraient certes plus variables, mais c’est une bonne chose d’avoir des prélèvements procycliques : cela freine la machine quand c’est nécessaire, et évite de trop prélever en période de crise. Il est envisageable d’effectuer un lissage pour éviter de trop fortes amplitudes. Par ailleurs, les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) ou des droits de mutation actuels sont aussi très variables. L’IS a rapporté à l’État 49 milliards en 2008 contre 19 milliards l’année suivante. Toutes les bases fluctuent. Du point de vue de la justice fiscale, il me semble normal de prendre en compte les baisses des prix immobiliers. Pourquoi continuer à imposer lourdement un propriétaire quand son bien vaut deux fois moins ?
Faut-il imposer le « loyer fictif » des propriétaires ?
Imputer aux propriétaires les « loyers fictifs » de leur logement, c’est-à-dire les loyers qu’ils percevraient s’ils louaient leur bien, et imposer ces loyers au titre de l’impôt sur le revenu est une proposition qui apparaît de façon récurrente dans le débat public.
En France, cette disposition fiscale existait jusqu’en 1965. Cette taxation incite à mettre en location les logements qui restent vacants. Mais cette mesure se justifie aussi pour les propriétaires qui occupent leur logement, notamment leur résidence principale. Taxer les loyers fictifs revient à intégrer une mesure du revenu permanent dans la base de l’impôt sur le revenu. C’est une bonne chose en termes d’équité. Cela favoriserait de plus l’adaptation de la taille des logements aux besoins des individus. Actuellement, en tenant compte du revenu, de la composition du ménage et de l’âge, on constate que les propriétaires habitent des logements 34 % plus grands que ceux des locataires. Les propriétaires dont les enfants ont quitté le domicile n’ont, en effet, aucune incitation à déménager dans un logement plus petit et plus adapté, en raison notamment des droits de mutation et des autres coûts de la mobilité. En outre, ces propriétaires n’ont aucun intérêt à mettre en location leur logement et à louer pour eux-mêmes un logement plus petit, puisqu’ils devraient alors payer des impôts sur le loyer tiré de la location de leur logement, alors qu’ils n’en payaient pas auparavant. Propriété et location font actuellement l’objet de dispositifs fiscaux différents, ce qui a pour effet de stériliser une partie du parc du logement. En se plaçant sur le terrain de la justice fiscale horizontale, un locataire qui investit son épargne dans des actions est taxé au titre de l’impôt sur le revenu, alors que s’il fait le choix de devenir primo-accédant, il ne paie rien sur le loyer fictif de sa résidence principale. Il n’est pas très étonnant dans ce contexte que les Français investissent tellement dans l’immobilier et si peu en actions, en comparaison avec les autres pays du G7.
J’ajoute que si on réforme l’assiette de l’impôt foncier en s’appuyant sur la valeur vénale du bien, il devient facile d’imputer un loyer en appliquant un taux de rendement moyen observé, par exemple en mobilisant l’enquête logement. Les réformes s’enchaînent les unes aux autres et donc la mère de toutes les réformes qui permet toutes les autres est bien celle qui réforme l’assiette de l’impôt foncier.
Mais ne risque-t-on pas en taxant les loyers fictifs de renchérir le coût de l’achat d’un logement et de rendre encore plus inégalitaire l’accès à la propriété ? Faut-il renoncer à l’objectif d’une « France de propriétaires » que défend le gouvernement Fillon ?
Si l’on inclut les loyers fictifs dans le revenu imposable, il faut déduire la totalité des intérêts d’emprunt de la base de l’impôt sur le revenu. Pour les emprunteurs, ce nouveau mode d’imposition ne rendra probablement pas plus difficile la primo-accession. Ensuite, il faut tenir compte des effets que la taxation des loyers fictifs aura sur le prix des logements : si les jeunes générations investissent moins dans la pierre, les prix immobiliers baisseront, car les biens qui se libéreront par suite de décès, divorce ou mobilité trouveront moins facilement preneurs. Aujourd’hui, les prix sont élevés parce que la pierre est considérée comme une valeur refuge, et que l’investissement dans l’immobilier est encouragé par des exonérations de toutes sortes. Moins les ménages auront envie d’investir dans l’immobilier, plus ils reporteront leur épargne sur d’autres actifs, moins les prix seront élevés. Quand l’État décide de distordre les prix relatifs, il faut qu’il le fasse pour de bonnes raisons. Devenir propriétaire est-il générateur d’effets externes positifs ?
Un argument classique consiste à dire que la primo-accession encourage la frugalité et ainsi la constitution d’un patrimoine que les ménages n’accumuleraient pas s’ils restaient locataires. Cet argument est-il recevable dans un pays où le taux d’épargne est de 16,2 % ? Les primo-accédants seraient par ailleurs plus désireux de travailler pour rembourser leurs emprunts hypothécaires. Les données empiriques ne sont pas décisives sur cette question et sont potentiellement biaisées par un effet de sélection (les primo-accédants peuvent avoir des caractéristiques différentes des autres ménages). En revanche, l’acquisition d’un logement peut « fixer » un ménage dans un bassin d’emploi peu porteur. Il n’y a donc pas de justification économique à vouloir une France de propriétaires. Examinons les raisons sociales. Les propriétaires auraient une vie plus stable, s’occuperaient plus de leurs enfants. C’est possible, mais en même temps, le désir de propriété peut se coupler avec un désir de vivre entre soi et peut casser toute envie de mixité sociale. Enfin, on entend parfois que les propriétaires seraient plus conservateurs. On conçoit aisément qu’un économiste ne puisse retenir ce type d’argument.
Ainsi, à la question de savoir si une fiscalité qui encourage la propriété a un fondement économique, je suis obligé de répondre par la négative.
Propos recueillis par Sarra Ben Yahmed et Marion Navarro.
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Et remplacée par la contribution économique territoriale qui inclut une cotisation foncière et une cotisation sur la valeur ajoutée.
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Le rendement de cet impôt n’est de fait pas considérable, autour de 600 Millions d’€.
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Accountability est un mot qui n’a pas d’équivalence directe en français. Ce concept allie celui de responsabilité et de transparence dans la gouvernance (d’entreprise, publique). Il met en avant l’importance de rendre visible et d’expliquer les enjeux, les moyens et les résultats des politiques publiques. Cela implique qu’une information fiable soit collectée et transmise, permettant ainsi à l’électeur contribuable de faire un bilan en termes d’une analyse coût-bénéfice.
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Pour partie seulement, car des dépenses redistributives telles qu’une subvention à des cantines scolaires ne seront pas forcément capitalisées dans les valeurs foncières bien qu’elles soient utiles.