Couverture de RCE_006

Article de revue

Quelle feuille de route pour Copenhague ?

Pages 246 à 257

Notes

  • [1]
    Cet article est directement inspiré de la contribution que nous avons rédigée à la demande de Jean Tirole pour son rapport au Conseil d’analyse économique (2009). Le lecteur trouvera un document plus complet et plus technique, « la place des instruments économiques dans les accords climatiques » parmi les compléments à ce rapport du CAE publié à la Documentation française.
  • [2]
    La révision de la directive EU ETS conclut également que le marché serait reconduit au-delà de 2020.
  • [3]
    L’Australie, le Canada et la Russie se sont ainsi en 2001 octroyés de généreux crédits forestiers en refaisant les calculs des émissions-absorptions de carbone résultant des changements d’usage des terres. La grande difficulté d’établir des inventaires d’émissions non contestables pour la partie agricole et forestière des émissions rend de notre point de vue non souhaitable l’intégration de ce type d’émissions dans un cap-and-trade commun avec les émissions liées à la production ou l’utilisation d’énergie d’origine fossile.
  • [4]
    Pour plus de détails sur ces mécanismes, voir Drouet [2009].
  • [5]
    Voir le chapitre V « À qui profite la rente carbone ? », in De Perthuis [2009].
English version

1À chaque grand rendez-vous international sur le climat, il est tentant d’imaginer une reconstruction radicale, et si possible simplificatrice, des accords climatiques internationaux [1]. Pour ceux qui suivent de plus près la négociation climatique, il est clair que Copenhague ne sera pas « le grand soir » au lendemain duquel chacun se réveille dans un monde métamorphosé. On traitera à Copenhague du mode de coopération entre pays après 2012, date d’expiration du protocole de Kyoto. Dans la feuille de route des négociateurs, l’enjeu le plus important est le type d’amélioration qu’on pourra apporter aux instruments économiques existants. Car la course de vitesse contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) n’a aucune chance d’être gagnée sans de puissantes incitations économiques donnant un coût aux émissions et récompensant leur réduction.

2Le texte fondateur de la négociation climatique internationale, la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992, pose deux principes de base devant guider la communauté internationale face au changement climatique. Le « principe de précaution » vise à empêcher que les multiples incertitudes sur le rythme et les impacts du réchauffement climatique ne soient évoquées pour retarder le lancement d’une action au plan international. Le principe de « responsabilité commune mais différenciée » appelle à une action universelle, puisque chaque pays reconnaît explicitement porter une part de la responsabilité, mais dans le respect de règles d’équité, du fait de l’inégale distribution des responsabilités et des vulnérabilités face aux changements du climat.

3Pour les économistes, le principe de responsabilité commune mais différenciée se traduit par une double exigence : les instruments économiques à mettre en œuvre pour stabiliser la concentration atmosphérique des GES doivent être déployés de façon globale. Mais leur déploiement à grande échelle implique que les accords sur le climat respectent notamment le droit au développement des économies les moins avancées. Le protocole de Kyoto a été la première tentative d’appliquer ces principes, mais ce, de façon binaire, exonérant de fait les pays en développement de tout engagement de réduction d’émission.

4À la veille de la négociation de Copenhague, la volonté de dépasser cette logique binaire fait consensus. La restriction des droits à émettre doit être étendue à la totalité des pays riches et aux pays émergents. Toute la question est de savoir comment y parvenir, en respectant les principes d’équité, et avec quels instruments économiques.

5Cet article se penche sur le fonctionnement des instruments économiques mis en place dans le sillage du protocole de Kyoto. Il cherche à en cerner les limites et à identifier les voies de progrès permettant de cheminer vers plus d’efficacité et plus d’équité. Il passe successivement en revue les marchés de permis de type cap-and-trade, les mécanismes de projets qui y sont associés avant de s’interroger sur leur architecture possible dans le cadre d’un futur accord climatique international rénové.

Les mécanismes de type cap-and-trade

6Les mécanismes de cap-and-trade, dits marchés de permis d’émissions ou marchés carbone, régulent les émissions de GES par les quantités et non par les prix comme dans le cas des taxes. Les réductions d’émissions ont lieu dès lors que leur coût marginal est inférieur au prix du carbone sur le marché : elles se font donc là où elles sont les moins chères. L’efficacité environnementale est atteinte simultanément à l’efficacité économique : une seule information, le prix du carbone, vient s’intégrer au processus décisionnel d’investissement et de gestion.

Le marché international des unités Kyoto

7Signé en 1997, le protocole de Kyoto fixe comme objectif aux 38 pays les plus industrialisés du monde (pays dits de l’annexe B) une réduction de 5 % de leurs émissions globales de 6 GES (CO2, CH4, N2O, HFC, PFC, SF6) par rapport à 1990. Ces réductions doivent intervenir sur la période 2008-2012.

8Le protocole de Kyoto prévoit la création d’un marché international de permis entre pays. Celui-ci s’appuie sur l’allocation d’unités de quantité attribuées (UQA) à chaque pays de l’annexe B, correspondant à ses objectifs d’émissions entre 2008 et 2012. Par exemple, la France s’est engagée à ce que la moyenne de ses émissions annuelles égale ses émissions de 1990, soit 564 Mt d’équivalent CO2, ce qui correspond donc à son allocation annuelle sur la période. Un pays peut acheter ou vendre des UQA aux autres pays de l’annexe B en fonction de ses besoins. Il peut également utiliser d’autres actifs carbone provenant notamment des deux mécanismes de projets introduits par le protocole : mécanisme de développement propre (MDP) et de mise en œuvre conjointe (MOC).

9Les projections actuelles montrent que le nombre total d’UQA distribuées devrait être plus que suffisant pour couvrir les émissions des pays de l’annexe B en raison de la non-ratification du protocole par les États-Unis et de la générosité des allocations distribuées aux pays de l’ex-URSS, appelées « air chaud ». On estime actuellement le surplus global sur le marché entre 7 et 14 milliards d’UQA. Ce surplus cache de fortes disparités : les pays déficitaires devraient manquer de 2 à 5 milliards d’actifs carbone.

10À ce jour, les transactions opérées par des pays de l’annexe B ont surtout pris la forme d’achats de crédits issus de mécanismes de projets, et notamment du MDP. Les transactions d’UQA n’atteignent qu’environ 600 Mt, pour deux raisons principales : la réticence des pays à acheter de l’« air chaud » qui ne correspond pas à des efforts effectifs de réduction d’émission, et la possibilité de mettre en réserve les UQA sans limite pour des phases d’engagement ultérieures.

Le système européen d’échange de quotas de CO2

11Les 15 États membres de l’Union européenne en 1997 se sont collectivement engagés à Kyoto sur un objectif de - 8 %, réparti ensuite entre pays. L’UE étant l’entité légalement responsable du respect des objectifs du protocole de Kyoto, la Commission européenne a proposé en 2001 la création d’un instrument de marché, le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE ou EU ETS pour European Union emissions trading scheme), afin d’aider les pays européens à respecter leurs engagements.

12L’EU ETS a imposé dès 2005 des plafonds d’émissions contraignants pour les émissions de CO2 des principales installations industrielles ayant émis un peu plus de 2 gigatonnes de CO2 en 2008, soit environ la moitié des émissions européennes de CO2. L’EU ETS définit pour chacune un plafond d’émissions sous forme d’allocation annuelle de quotas négociables appelés EUA (European Union allowance), chaque quota donnant le droit d’émettre une tonne de CO2. L’EU ETS a été établi sur deux périodes : 2005-2007, qui peut être considérée comme une phase de tests, et 2008-2012, qui correspond à la période d’engagement de Kyoto. L’adoption du paquet climat-énergie européen, en décembre 2008, définit pour l’Europe des objectifs ambitieux en termes de réductions jusqu’en 2020 et confirme le rôle central du marché d’échange de quotas dans leur réalisation lors de la troisième période (2013-2020) [2]. Le paquet apporte des changements significatifs à l’EU ETS en imposant notamment que le processus d’attribution des quotas comporte une part importante d’enchères, et en limitant l’utilisation des mécanismes de projets du protocole de Kyoto.

Les autres marchés de type cap-and-trade en développement

13Hormis l’EU ETS, plusieurs marchés du carbone, bien plus étroits, ont été déjà été mis en place au Royaume-Uni en 2002, en Norvège entre 2005 et 2007, en Nouvelles Galles du Sud (Australie) depuis 2005 ou encore dans 10 États du nord-est américain (regional greenhouse gas initiative). Ces marchés ne sont pas connectés les uns aux autres et représentent une part symbolique des échanges de carbone dans le monde. Le projet susceptible de changer le plus le paysage est de loin celui en discussion au Congrès américain (Waxman-Markey) : dans sa version actuelle ce projet vise à couvrir 85 % des émissions des Etats-Unis, soit un volume d’émissions trois fois supérieur à celui des émissions plafonnées dans le système européen d’échange des quotas.

Le rôle des États n’est pas d’être opérateur mais régulateur sur le marché international du carbone

14Le marché international des unités Kyoto entre pays, qui devait constituer la clef de voûte du dispositif, n’a pas véritablement démarré. À l’opposé, le système européen d’échange de quotas, malgré de nombreuses imperfections techniques et des compromis politiques qui ont conduit à une grande générosité des allocations initiales, s’est rapidement imposé comme le principal marché dans le monde. Ce qui a permis l’émergence d’un prix du carbone, ce ne sont pas les engagements des États, mais les engagements que les États ont fait porter sur leurs sources d’émissions internes les plus faciles à contrôler : celles provenant des installations industrielles sises sur leurs territoires.

15Dans le cas de l’EU ETS, la réglementation européenne en matière d’émissions résulte d’un accord politique entre le pouvoir exécutif, le Conseil européen, et le pouvoir législatif, le Parlement européen. Les engagements sont contrôlés au niveau communautaire par la Commission qui joue de facto un rôle d’autorité publique centrale, et transfère ses prérogatives de contrôle des émissions de chaque installation industrielle aux États membres au travers de la transposition de la directive EU ETS dans les législations nationales. Lorsqu’un acteur n’est pas en mesure d’assurer sa conformité, il est contraint de régler, sans négociation, une amende dissuasive.

16À l’inverse, le marché carbone international institué par le protocole de Kyoto, tel qu’il existe actuellement, laisse davantage de place à de multiples marchandages entre les gouvernements qui sont à la fois juges et parties. Avant l’entrée en vigueur du protocole, au moment du retrait américain en 2001, de nombreux pays ont renégocié leurs droits en recalculant notamment de façon plus avantageuse une partie de leurs inventaires nationaux [3].

17Même si des sanctions sont formellement prévues en cas de non-conformité, il est clair qu’aucune autorité publique centrale ne jouera un rôle équivalent à celui de la Commission dans le système européen. Sur le marché Kyoto des États, un acteur qui n’est pas en mesure d’assurer sa conformité commence par négocier et peut toujours, in fine, quitter l’accord international.

18Dans l’optique des futurs accords sur le climat, l’élargissement des engagements des États serait bien plus crédible s’il procédait de l’extension des entités industrielles soumises au marché de cap-and-trade. Les nouveaux engagements pris par les États seraient ainsi gagés sur une régulation des sources domestiques d’émissions industrielles. Ce seraient ces sources qui interviendraient sur le marché et non les États qui se centreraient sur leur fonction d’autorité publique. Ceci permettrait de limiter les conflits d’intérêts des États engagés dans les négociations internationales.

Les mécanismes de projets

19Les mécanismes de projets permettent à un acteur économique qui réduit ses émissions au-delà d’un scénario de référence de recevoir en contrepartie des crédits d’émissions. Ceux-ci sont utilisables sur un marché de quotas ou pour réduire l’assiette d’une taxe sur le carbone. L’incitation donnée aux entités participantes est donc un signal-prix exogène de la tonne de CO2, fourni par un marché ou une taxe. Les mécanismes de projets permettent ainsi de compléter des dispositifs contraignants de type cap-and-trade ou taxes.

Le mécanisme de développement propre

20Le protocole de Kyoto a défini le mécanisme de développement propre (MDP), qui permet à un pays en développement (hors annexe B) de bénéficier de crédits appelés unités certifiées de réduction des émissions (URCE), utilisables sur le marché international. Les URCE sont créées ex nihilo, et viennent augmenter le plafond d’émissions autorisé pour les pays de l’annexe B. Il convient donc de s’assurer que l’émission de chaque URCE correspond bien à une réduction d’émissions qui n’aurait pas eu lieu en l’absence du dispositif. Les Nations Unies ont mis en place un processus, piloté par la CCNUCC via le conseil exécutif du MDP, et s’appuyant sur des auditeurs accrédités, pour vérifier le caractère additionnel des projets et la réalité des réductions d’émissions.

21Le mécanisme a été mis en place de façon opérationnelle fin 2001. À peine huit ans plus tard, plus de 4 600 projets sont en cours de développement, avec un potentiel de réductions d’émissions d’environ 2,8 Gt de CO2 d’ici à 2012. Ce potentiel ne sera vraisemblablement pas atteint, du fait de délais dans la mise en œuvre des projets. D’après nos estimations, le MDP devrait plutôt générer, d’ici à fin 2012, des réductions d’émissions d’environ 1,5 Gt de CO2. Avec un prix moyen d’achat de l’URCE auprès des porteurs de projets d’environ 11 €, le MDP devrait ainsi donner lieu au transfert de l’ordre de 20 milliards d’euros depuis les pays développés vers les pays en développement d’ici à 2012.

22Le MDP bénéficie aujourd’hui essentiellement aux pays émergents : Chine, Inde, Brésil, Mexique et Corée du Sud devraient contribuer à près de 85 % des réductions d’émissions générées par le mécanisme. Les pays les moins avancés sont en revanche à peu près exclus : la part de l’Afrique se limite à 5 %, essentiellement au Maghreb et en Afrique du Sud.

La mise en œuvre conjointe et les projets domestiques

23La MOC permet de générer des unités de réduction des émissions (URE), en contrepartie de la « mise en œuvre », « conjointement » par deux pays de l’annexe B, d’un projet réducteur d’émissions dans l’un des deux pays. Les URE sont créées par destruction d’une quantité équivalente d’UQA : elles n’augmentent pas le plafond d’émissions des pays de l’annexe B. L’intégrité environnementale du mécanisme est assurée par construction.

Graphique 1

Attribution de crédits dans le cadre du mécanisme de mise en œuvre conjointe entre deux pays de l’annexe B

Graphique 1

Attribution de crédits dans le cadre du mécanisme de mise en œuvre conjointe entre deux pays de l’annexe B

Source : mission climat de la Caisse des dépôts.

24Le mécanisme a été mis en place de façon opérationnelle fin 2005, après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Quatre ans plus tard, plus de 200 projets sont en cours de développement, soit un potentiel de réduction d’émissions d’environ 330 Mt de CO2 d’ici à 2012. Ces projets sont essentiellement situés en Russie, en Ukraine et en Europe de l’Est.

25La mise en place de projets de MOC en Europe revêt un caractère particulier du fait des interactions avec l’EU ETS. Pour ne pas détériorer l’efficacité économique des deux instruments pris séparément, il faut en effet s’assurer qu’une même réduction d’émissions ne peut donner lieu à la fois à la délivrance d’une URE et à la revente d’un EUA. Cette interaction a réduit de façon drastique en Europe le nombre de projets éligibles à la MOC, notamment dans le secteur de l’énergie, déjà largement couvert par l’EU ETS. L’accueil de projets de MOC a néanmoins été prévu par les pays de l’ex-bloc soviétique dont l’ensemble des nouveaux États membres européens (hors Slovénie), ainsi que par trois pays d’Europe occidentale : l’Espagne, l’Allemagne et la France. En France, ces projets portent l’appellation de « projets domestiques ». Après 2012, la généralisation et l’harmonisation au niveau européen des projets domestiques est une possibilité ouverte par le paquet climat-énergie.

L’avenir est à la mise en œuvre conjointe, pas au mécanisme de développement propre

26En présence d’un signal-prix exogène crédible, les acteurs économiques non directement soumis à des contraintes sur leurs émissions de GES peuvent réduire leurs émissions grâce aux mécanismes de projet. Ceux-ci permettent de compléter un système de cap-and-trade ou une taxe carbone, en diffusant un signal-prix aux secteurs non couverts. Les mécanismes de projet améliorent l’efficacité globale des systèmes de contrainte mis en place, en contribuant à la convergence vers un prix unique. Les prix observés sur le système d’échange entre États du protocole de Kyoto se rapprochent ainsi aujourd’hui de ceux des URCE et donc des EUA. La presque totalité des systèmes de cap-and-trade en cours d’élaboration reconnaissent aujourd’hui les crédits Kyoto qui pourraient ainsi devenir une sorte de devise internationale reconnue sur les différents marchés régionaux.

27Mais pour devenir cette devise, les mécanismes doivent être améliorés. En premier lieu, ils doivent être simplifiés pour être compréhensibles par un plus grand nombre d’acteurs économiques. La clef est ici la standardisation des procédures conduisant à la possibilité de créditer des programmes, voire des politiques sectorielles. Une seconde priorité est de favoriser l’accès des pays les moins avancés aux mécanismes de projets, soit via un mécanisme financier ou d’appui institutionnel dédié, soit en dirigeant de façon préférentielle la demande sur les projets mis en œuvre dans les pays les moins avancés. Ces deux premières voies sont en partie suivies par l’Union européenne, qui souhaite restreindre la demande en crédits émanant de l’EU ETS par des critères qualitatifs sur les projets et sur les pays hôtes.

28La troisième voie – probablement la plus essentielle – est de s’intéresser à la MOC et plus largement aux systèmes de projets sous contrainte globale. Les discussions internationales tournent en effet aujourd’hui très largement autour des voies d’amélioration du MDP. C’est une erreur stratégique. L’objectif des négociations est d’inciter le plus grand nombre de pays à accepter des engagements quantifiés de réductions d’émissions : dès lors, l’importance du MDP ira décroissant, et celle de la MOC ou des mécanismes assimilés grandira. La mise en place d’un système de MOC suffisamment incitatif peut contribuer à inciter les pays émergents à prendre des engagements de réduction d’émissions dans un futur accord international.

Quelques pistes pour une architecture financière

29L’article 11 de la convention-cadre prévoit également d’organiser le transfert de ressources des pays riches vers les pays en développement via un instrument ad hoc : le fonds pour l’environnement mondial (FEM) [4]. Ses actions portent à la fois sur le financement de l’atténuation (promotion de technologies moins intensives en énergie, des énergies renouvelables, de modes de transport plus durables, etc.) et de l’adaptation au changement climatique. Cet instrument financier a drainé des ressources marginales par rapport au MDP et à la MOC (de l’ordre de 200 millions de dollars). Le protocole de Kyoto a également prévu de réserver 2 % des crédits carbone émis au titre du MDP au financement de l’adaptation au changement climatique via un deuxième fonds nommé fonds d’adaptation et qui n’a, à ce jour, financé encore aucun projet sur le terrain.

30L’atrophie des instruments financiers mis en place par les accords climatiques existants contraste avec l’ampleur des transferts que ne manque pas de provoquer la tarification du carbone à l’échelle internationale. Trois voies d’amélioration peuvent ainsi être esquissées pour les futurs accords climatiques :

  • en premier lieu, limiter les instruments reposant sur des contributions volontaires comme le FEM. Dans le meilleur des cas, ils permettent d’expérimenter des pilotes à petite échelle mais jamais d’atteindre une masse à l’échelle des besoins de financement que requiert l’action face au changement climatique ;
  • deuxièmement, prélever une partie des transferts financiers issus de la tarification du carbone à l’échelle internationale. Alors que l’ensemble des fonds lancés depuis 2001 n’ont pas transféré plus de 500 millions de dollars vers les pays en développement (atténuation comprise), le MDP devrait mobiliser des financements de l’ordre de 20 milliards de dollars d’ici 2012 pour des investissements totaux de l’ordre de 100 milliards. Les futurs accords climatiques doivent donc accorder une importance bien plus grande aux transferts économiques et financiers résultant de la tarification du carbone à l’échelle internationale. C’est ce que Christian de Perthuis appelle dans son ouvrage la gestion de la « rente carbone » [5] ;
  • enfin, porter une attention particulière aux possibilités offertes par la mise aux enchères des permis d’émissions. Cette mise aux enchères permet aux gouvernements de capter une part de la rente carbone en créant ainsi une nouvelle ressource publique. En Europe, le passage aux enchères durant la troisième phase devrait ainsi générer une ressource publique additionnelle de l’ordre de 30 à 60 milliards d’euros par an, suivant les scénarios.
Une condition majeure d’obtention d’accords climatiques plus ambitieux est donc de construire une architecture financière bien plus sophistiquée avec une instance régulatrice internationale qui dispose des compétences et des moyens d’organiser à grande échelle les transferts économiques et financiers requis par l’action face au changement climatique. Une telle instance pourrait très difficilement être créée ex nihilo. Le bon sens conduirait probablement à l’adosser au FMI.

Les critères pertinents pour juger les résultats de Copenhague

31Les instruments économiques déployés dans le cadre des accords climatiques sont certes encore éloignés du monde idéal dans lequel l’ensemble des acteurs paieraient un prix unique pour rejeter leurs GES dans l’atmosphère. Mais ils ont le double mérite d’exister et d’être perfectibles. Leur étude a du reste révélé que nombre de leurs défauts de jeunesse avaient déjà été corrigés. Pour aller au-delà, trois priorités nous semblent devoir être inscrites dans la feuille de route du négociateur de Copenhague :

  • l’extension géographique des systèmes type EU ETS dans lesquels les États font peser une contrainte crédible et croissante dans le temps sur les grandes sources industrielles fixes. Un tel système doit rapidement devenir mondial grâce à des engagements crédibles que devraient prendre les États-Unis et les grands pays émergents dès la période commençant en 2013 ;
  • une rénovation des mécanismes de projets par un recentrage des mécanismes actuels du MDP sur les pays moins avancés et le secteur agro-forestier et le développement d’une MOC rénovée, faisant appel à des méthodes standardisées permettant de créditer des programmes ou des politiques sectorielles dans des pays ayant par ailleurs souscrit à des engagements plafonnant leurs émissions ;
  • la mise en place d’une véritable architecture financière avec un pilote disposant, au cœur du dispositif, de puissants moyens d’intervention et d’un soutien politique clair permettrait d’organiser les transferts de ressources nécessaires vers les pays en développement au titre des besoins immédiats de l’adaptation, et en cogérant la « rente carbone » créée grâce à l’émergence d’un prix international du carbone en échange d’engagements de leur part à mettre sous contrainte leurs sources d’émissions domestiques.
C’est à l’aune de ces trois critères qu’il faudra juger du degré de réussite de la conférence de Copenhague, et non à celle de l’emphase des grandes déclarations de principes et de l’ambition des déclarations d’intention.

Bibliographie

Bibliographie

  • Aldy J., Stavins R. et al. (2008), Architectures for agreements : addressing global change in the post-Kyoto world, Cambridge University Press, Cambridge.
  • André, Y., Bodiguel A. et Leguet B. (2008), Projets domestiques : rendre concret le protocole de Kyoto.
  • Bellassen B. et Leguet B. (2008), Comprendre la compensation carbone, Pearson, Paris.
  • Capoor K. et Ambrosi P. (2009), State and trends of the carbon markets 2009, Banque mondiale.
  • Convery F., Ellerman D. et De Perthuis C. (2008), « Le marché européen du carbone en action : enseignements de la première phase », mission climat de la Caisse des dépôts/MIT-CEEPR/University College Dublin.
  • Convery F., Ellerman D. et De Perthuis C. (2009, à paraître), Pricing carbon : the European Union emissions trading scheme, Cambridge University Press, Cambridge.
  • Delbosc A. et De Perthuis C. (2009), « Carbon markets : The simple facts », Document de travail, Climate Care Series, ONU Global Compact Initiative.
  • De Perthuis C. (2009), Et pour quelques degrés de plus Nos choix économiques face au risque climatique, Pearson Education, Paris.
  • Drouet A. (2009), « Financer l’adaptation aux changements climatiques », Étude Climat n° 17, mission climat de la Caisse des dépôts.
  • Ellerman D. (2008), « The EU emission trading scheme : Prototype of a global system ? », Discussion Paper 2008-02, Massachusetts Institute of Technology, Harvard Project on International Climate Agreements.
  • Leguet B. et Elabed G. (2008), « A reformed CDM to increase supply : room for action », Perspectives 2008, UNEP-RISOE.
  • Mansanet-Bataller, M., Pardo, A. et Valor, E. (2007), « CO2 prices, energy and weather », The Energy Journal 28 (3) : 72-92.
  • Tirole J. (2009), Politique climatique : une nouvelle architecture internationale, Conseil d’analyse économique, La Documentation française, Paris.

Notes

  • [1]
    Cet article est directement inspiré de la contribution que nous avons rédigée à la demande de Jean Tirole pour son rapport au Conseil d’analyse économique (2009). Le lecteur trouvera un document plus complet et plus technique, « la place des instruments économiques dans les accords climatiques » parmi les compléments à ce rapport du CAE publié à la Documentation française.
  • [2]
    La révision de la directive EU ETS conclut également que le marché serait reconduit au-delà de 2020.
  • [3]
    L’Australie, le Canada et la Russie se sont ainsi en 2001 octroyés de généreux crédits forestiers en refaisant les calculs des émissions-absorptions de carbone résultant des changements d’usage des terres. La grande difficulté d’établir des inventaires d’émissions non contestables pour la partie agricole et forestière des émissions rend de notre point de vue non souhaitable l’intégration de ce type d’émissions dans un cap-and-trade commun avec les émissions liées à la production ou l’utilisation d’énergie d’origine fossile.
  • [4]
    Pour plus de détails sur ces mécanismes, voir Drouet [2009].
  • [5]
    Voir le chapitre V « À qui profite la rente carbone ? », in De Perthuis [2009].
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.172

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions