1Après expiration des brevets qui les protègent, les spécialités pharmaceutiques passent dans le domaine public. Les molécules peuvent alors être produites par d’autres entreprises pharmaceutiques. Ces copies conformes sont appelées « médicaments génériques », et sont généralement vendues sous leur dénomination commune internationale (DCI), c’est-à-dire sous le nom chimique de la molécule, par opposition à la spécialité initiale, appelée « médicament princeps ». En France, la volonté politique d’encourager le développement des médicaments génériques date de l’ordonnance du 24 mai 1996, qui établit pour la première fois une définition légale des « médicaments essentiellement similaires » : le Code de la santé publique pose que la spécialité générique a le même principe actif (en quantité et en qualité), la même forme pharmaceutique (à l’exception des formes orales à libération immédiate), et la même diffusion dans l’organisme (bioéquivalence) que la spécialité de référence.
2Les politiques de soutien au développement des génériques
3L’objectif des pouvoirs publics est d’instaurer un marché homogène des médicaments : à partir du moment où les copies sont autorisées, la concurrence ne peut plus se faire que sur le prix, sauf à compter sur un effet de marque. Or, les prix des génériques ont à l’origine été fixés à un niveau inférieur de 30 % à 40 % au prix des princeps. L’action étatique en faveur des génériques s’inscrit donc à la fois dans une optique de limitation des dépenses de santé et d’élargissement de l’accès aux soins. Elle a surtout consisté en des dispositifs incitatifs visant à sensibiliser les professionnels de santé à la prescription et à la délivrance de médicaments génériques.
4L’accord du droit de substitution aux pharmaciens en 1998 a reconfiguré les relations de pouvoir entre médecins et pharmaciens, mais aussi les rapports de force entre laboratoires et officines : ces dernières ont acquis un pouvoir de marché, qui leur a permis de bénéficier – de la part des fabricants de génériques – de remises bien supérieures aux plafonds légaux. Ces remises ont été tolérées par les pouvoirs publics dans la mesure où elles contribuaient à développer le marché des génériques.
5Par ailleurs, lors de l’accord du 5 juin 2002 entre l’assurance maladie et les médecins, et en contrepartie de la revalorisation du tarif de la consultation du médecin généraliste, un engagement collectif a été pris en vertu duquel 25 % des lignes de prescription doivent être écrites en DCI et 12,5 % doivent concerner des médicaments du répertoire des groupes génériques.
6Enfin, le dispositif « tiers payant contre génériques » mis en place à partir de 2006 dans les départements où la substitution était jugée insuffisante a aussi joué un rôle non négligeable dans le « décollage » des génériques.
7En effet, la France, qui a débuté tardivement son programme de soutien aux génériques, a finalement atteint un taux de pénétration des génériques qui la positionne au niveau des standards internationaux. Fin 2007, ce taux, qui correspond à la part des génériques effectivement délivrés par rapport aux médicaments princeps auxquels un générique peut se substituer, dépassait les 80 %. En 2006 comme en 2007, des économies de plus d’un milliard d’euros ont été réalisées grâce au développement des médicaments génériques.
8Toutefois, il convient de signaler que, même si la France a atteint un taux de pénétration élevé pour les molécules génériquées, une large proportion de prescriptions est réalisée en dehors du répertoire des génériques, de façon beaucoup plus importante que dans d’autres pays européens tels que l’Espagne ou l’Allemagne. En outre, d’importantes disparités géographiques persistent du point de vue des taux de pénétration.
9Les interrogations liées aux génériques rappellent l’ambivalence fondamentale du bien qu’est le médicament, à la fois bien de consommation fabriqué industriellement, coût pour l’assureur public, ressource thérapeutique et produit de la recherche scientifique. Comment équilibrer les enjeux économiques et sanitaires ? La restriction des groupes génériques aux médicaments essentiellement similaires permet aux laboratoires pharmaceutiques de contourner la concurrence par les prix au moyen d’une stratégie de différenciation des produits, en produisant des médicaments proches des princeps, mais imparfaitement substituables, les me-too. Une solution pour développer la concurrence par les prix pourrait être d’élargir la définition de spécialité générique à l’ensemble des médicaments d’une classe thérapeutique, mais l’objectif de développement d’une concurrence par les prix entre alors en conflit potentiel avec la qualité et la sécurité sanitaires. Pour l’instant, les mesures décidées par les pouvoirs publics ont davantage visé une homogénéisation des prix au sein d’une même classe thérapeutique plutôt qu’une ouverture des frontières des groupes génériques.
10Une mutation majeure pour l’industrie pharmaceutique
11Cette récente volonté politique de promotion des génériques a induit une profonde remise en question du modèle industriel du secteur pharmaceutique dans les grands pays industrialisés européens. Le contrat tacite entre États et firmes pharmaceutiques impliquait une poursuite des monopoles pour des spécialités anciennes en échange de la conversion d’une partie des gains en investissements de recherche. Or, bien que les firmes pharmaceutiques produisant les princeps aient créé des filiales s’intégrant sur le marché des génériques, la séparation comptable des activités implique que les profits issus des ventes de génériques ne vont pas alimenter la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques.
12Toutefois, notons que les fabricants de génériques sont à l’origine d’innovations de procédés plus importante que les fabricants de princeps, puisque ce type de marché est caractérisé par une compétitivité sur les coûts et sur la qualité, ainsi que par des innovations portant sur la formulation. En contrepartie de la montée en charge des génériques, les fabricants de princeps peuvent négocier des prix de vente plus élevés pour les nouvelles spécialités, ce qui accroît leur incitation à innover. L’ancien système favorisait les innovations du passé en prolongeant leur monopole, et incitait peu à la prise de risques dans la recherche thérapeutique présente. La tentation d’apporter des modifications légères à des molécules du passé afin de prolonger leur protection juridique (phénomène des me-too) est encore forte, mais tend à être corrigée par le législateur.
13Cependant, ce modèle ne peut fonctionner que si les nouvelles molécules mises sur le marché sont vendues à un prix qui compense partiellement les transferts vers le marché des génériques ainsi que la baisse des prix induite sur ce marché par la concurrence. Or ce n’est pas le cas, la priorité étant donné à tout ce qui permet à l’assurance maladie de réaliser des économies. L’érosion relative du marché des spécialités princeps sous l’effet des génériques, faiblement compensée, pénalise l’innovation thérapeutique, qui joue alors le rôle de variable d’ajustement. La solution ne passe-t-elle pas alors par le développement de la recherche publique ?