1En 2008, l’espérance de vie était en France de 81 ans, quatre ans de plus que ce que Jean Bourgeois-Pichat [1952] estimait, il y a plus d’un demi-siècle, être la limite biologique infranchissable sauf découverte scientifique extraordinaire permettant de retarder le processus de vieillissement biologique de l’espèce humaine. C’est dire l’importance imprévue des gains réalisés au cours des dernières décennies. De fait, en 1950, l’espérance de vie n’était encore en France que de 66 ans. D’un côté, c’était peu par rapport aux 81 ans de 2008, mais de l’autre, beaucoup par rapport aux 25 ans qui prévalaient deux siècles auparavant. Comment sommes-nous parvenus à ce niveau élevé ? Faisons-nous figure d’exception en Europe ? Que dire des inégalités face à la mort ? Quelles sont les conséquences d’une telle longévité ? Voici quelques questions auxquelles nous nous attachons à répondre dans cet article.
Deux siècles et demi de progrès de l’espérance de vie à la naissance
2L’espérance de vie a progressé d’environ 3 années tous les dix ans en France au cours des dernières décennies : en 2008, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 77,6 ans et celle des femmes atteint 84,4 ans. Les travaux des démographes permettent de replacer les gains récents dans une perspective de long terme. Grâce à l’enquête de démographie historique de Louis Henry et à la reconstitution des tables de mortalité françaises aux xixe et xxe siècles effectuée à l’INED [Vallin et Meslé, 2001], on peut remonter jusqu’au milieu du xviiie siècle. Si l’on fait exception des crises de mortalité provoquées majoritairement pas les conflits (guerres napoléoniennes, guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945), l’espérance de vie a progressé continûment au cours des 250 dernières années (graphique 1).
Évolution de l’espérance de vie à la naissance en France de 1740 à 2008
Évolution de l’espérance de vie à la naissance en France de 1740 à 2008
3Cependant, le rythme des progrès varie tout au long de la période : il s’accélère à la fin des xviiie et xixe siècles, alors qu’il ralentit entre 1850 et 1870. Les variations suivent celles de la mortalité infantile qui, encore très élevée à ces époques, pesait lourdement sur la durée de vie moyenne. Au milieu du xviiie siècle, la moitié des enfants mouraient avant l’âge de 10 ans, d’où le très faible niveau de l’espérance de vie (25 ans). Au cours des xixe et xxe siècles, la mortalité infantile a fortement diminué, passant sous la barre des 100 ‰ au début du xxe siècle et des 50 ‰ en 1950. Elle atteint aujourd’hui un niveau extrêmement bas de 3,6 ‰ et ne pèse quasiment plus sur l’espérance de vie. Dorénavant, celle-ci progresse grâce aux succès rencontrés dans la lutte contre la mortalité adulte, en particulier aux âges élevés où se concentrent la plupart des décès.
4L’espérance de vie à 65 ans a commencé à augmenter chez les femmes au début du xxe siècle, mais seulement après la deuxième guerre mondiale chez les hommes (graphique 2), les progrès s’accélérant depuis 1970.
Évolution de l’espérance de vie à 65 ans en France de 1806 à 2008
Évolution de l’espérance de vie à 65 ans en France de 1806 à 2008
5Aujourd’hui, l’espérance de vie à 65 ans en France est l’une des plus élevées du monde, tant pour les hommes (16,9 ans) que pour les femmes (21,4 ans). Seul le Japon fait mieux (17,8 ans et 22,7 ans), et la Suisse pour les hommes (17,2 ans). Les Françaises étaient déjà en tête avec le Japon, les Pays-Bas et la Suisse en 1980, mais la situation est plus nouvelle pour les Français qui, il y a 20 ans, étaient encore distancés par les Suédois, les Norvégiens, les Grecs et les Espagnols.
6Le point noir pour la France reste la mortalité des hommes d’âge actif, souvent qualifiée de mortalité prématurée. Alors que la mortalité des femmes de 20 à 60 ans baisse sans discontinuer depuis la deuxième guerre mondiale à tous les âges, celle des hommes a évolué de manière beaucoup plus hésitante et très différemment d’un groupe d’âges à l’autre. Les risques des 20-50 ans montrent une forte résistance à la baisse ; la mortalité de cette classe d’âges a même remonté jusqu’au début des années 1990. Entre 20 et 25 ans, le risque, en augmentation depuis 1960, est revenu à la baisse à partir des années 1980. Entre 25 et 40 ans, les risques ont augmenté du milieu des années 1970 au début des années 1990, tandis qu’entre 40 et 50 ans ils ont longtemps stagné. Dans la dernière décennie, cependant, les risques de décès masculins sont à nouveau tous orientés à la baisse, mais les niveaux sont encore assez élevés comparés à d’autres pays.
Comment a-t-on atteint ce niveau d’espérance de vie ?
7Ces gains d’espérance de vie ont été obtenus au fil du temps grâce à l’amélioration des conditions de vie, aux progrès médicaux et aux programmes de santé publique.
8La forte progression de l’espérance de vie autour de 1800 tient essentiellement au recul très important de la mortalité des enfants grâce à la fois à la vaccination contre la variole et aux progrès de l’alimentation. Sa stagnation au milieu du xixe siècle est concomitante d’une remontée de la mortalité infantile liée à l’industrialisation et à l’urbanisation, qui dégradent les conditions de vie des enfants, notamment dans les villes. À l’inverse, la forte augmentation de l’espérance de vie à la fin du xixe siècle vient des progrès de l’hygiène et de la médecine liés à la révolution pastorienne, dont les enfants ont été les premiers bénéficiaires, ainsi que de la mise en place des premières politiques de protection de la petite enfance. Dans les années 1950, la diffusion des antibiotiques et la généralisation des vaccinations permettent de juguler les maladies infectieuses, tandis que 20 ans plus tard le programme de périnatologie (surveillance des grossesses, des accouchements et des nourrissons) a ouvert la voie à une nouvelle phase de recul portant surtout sur la mortalité endogène : en 1979 le taux de mortalité infantile n’est plus que de 10 ‰. Après un essoufflement dans les années 1980, le mouvement s’accélère à nouveau avec la maîtrise de la mort subite du nourrisson qui fait brusquement tomber la mortalité infantile de 7,3 ‰ en 1991 à 4,9 ‰ en 1995.
9Au milieu du xxe siècle, les maladies infectieuses étaient encore la cause d’une part importante des décès d’adultes et de personnes âgées. Leur recul a entraîné une augmentation sensible de l’espérance de vie à 60 ans. Mais la part de ces maladies dans la mortalité totale ayant beaucoup régressé dès les années 1960, il a fallu, pour poursuivre l’amélioration de l’espérance de vie, lutter sur de nouveaux terrains épidémiologiques : les maladies cardio-vasculaires et les cancers. C’est réellement une nouvelle étape du progrès sanitaire qui s’est ainsi amorcée au début des années 1970 dans la plupart des pays industriels.
10La position privilégiée des Français tient en partie à l’évolution particulièrement favorable de la mortalité cardio-vasculaire depuis une trentaine d’années [Meslé et Vallin, 2002]. Traditionnellement, la France est le pays d’Europe où cette mortalité est la plus faible. Cette dernière a baissé partout après les années 1970, mais plus vite en France qu’ailleurs, notamment chez les plus âgés. En 30 ans, grâce à cette baisse, l’espérance de vie a progressé de près de 2,5 ans chez les hommes et de 3,2 ans chez les femmes [Meslé et Vallin, 2004]. Cependant, le maintien de la France aux premières places n’aurait pas été possible sans une évolution également favorable de la plupart des autres causes et notamment des cancers qui, aujourd’hui, pèsent autant que les maladies cardio-vasculaires dans la mortalité.
11Au tournant des années 1960, la progression de l’espérance de vie à la naissance a ralenti en raison notamment d’une hausse de la mortalité liée à l’alcoolisme, au tabagisme, aux accidents de la circulation et au suicide. Mais depuis, comme pour la mortalité infantile, les politiques mises en œuvre ont joué un rôle important, dont les résultats se font de plus en plus sentir : la mortalité due aux maladies de société et aux accidents est depuis plusieurs décennies orientée à la baisse, ce qui contribue à l’accroissement régulier de l’espérance de vie.
12La mortalité liée à l’alcool a été la première à reculer, dès le milieu des années 1960, grâce aux différentes mesures mises en place ; leur renforcement depuis a continué de la faire diminuer même si elle reste plus forte en France que dans la plupart des pays occidentaux [Nizard et Munoz-Perez, 1993]. La mortalité par accidents de la route s’est infléchie au milieu des années 1970 à la suite de mesures strictes de prévention routière. À la fin du xxe siècle, la position relative de la France restait toutefois assez mauvaise, mais la reprise de la baisse à partir de 2003, à la suite du renforcement des mesures de prévention et de sécurité, pourrait permettre à la France de se rapprocher de ses voisins [Got, Delhomme, et al., 2007].
13La mortalité par cancer, depuis longtemps en baisse chez les femmes, a aussi commencé à reculer chez les hommes depuis une quinzaine d’années, ce qui contribue désormais à l’amélioration de leur espérance de vie. La mortalité par cancer du poumon, étroitement liée au tabagisme, a connu une montée fulgurante jusqu’à la fin des années 1970 avant de connaître une nette décélération dans les années 1980 et de commencer à reculer au milieu des années 1990, sous l’effet des mesures de lutte contre le tagabisme. Entre 1990 et 1999, la baisse de la mortalité masculine par tumeurs a permis un gain d’espérance de vie de 0,4 an, essentiellement grâce au recul des cancers broncho-pulmonaires entre 45 et 75 ans. La France reste cependant plutôt en retard dans ce domaine, surtout par rapport au Royaume-Uni où la baisse est très nette depuis la fin des années 1970. De plus, si la tendance récente observée chez les hommes est porteuse d’espoir, il en va très différemment des femmes chez lesquelles cette cause de mortalité est en expansion et constitue un sujet d’inquiétude pour l’avenir.
14Au total, la France se situe à un très bon niveau international, mais des gains sont encore possibles si l’on compare les niveaux de mortalité des adultes des pays voisins. Par ailleurs, l’espérance de vie élevée des Français cache d’importantes inégalités, notamment entre hommes et femmes et selon les catégories sociales.
Les inégalités face à la mort ont-elles tendance à se réduire ou à augmenter ?
Les femmes vivent plus longtemps que les hommes
15Femmes et hommes ne sont pas égaux devant la mort et la surmortalité masculine est très élevée en France. Globalement, en terme d’espérance de vie à la naissance, l’écart est de près de 7 ans (77,6 ans chez les hommes contre 84,4 chez les femmes en 2008), c’est le plus élevé de tous les pays occidentaux. Après s’être largement creusé tout au long du xxe siècle, l’écart a cessé de s’accroître au début des années 1980 avant de se réduire au cours des toutes dernières années [Meslé, 2006].
16En France comme ailleurs, l’aggravation de la surmortalité masculine s’expliquait par l’approche différente que les femmes ont de la santé, qui leur a permis de tirer plus tôt et plus largement profit des progrès accomplis dans le domaine des maladies cardio-vasculaires et des cancers. C’est ainsi qu’en France la mortalité par maladies cardio-vasculaires a baissé rapidement chez les femmes depuis la fin des années 1940, alors qu’il a fallu attendre les années 1970 pour les hommes. Ce succès repose sur une prise de conscience et une participation individuelle : les femmes entretiennent un rapport différent au corps car elles portent leurs enfants ; elles ont aussi un recours au système de soins plus assidu que les hommes de par le rôle de « soignante » qui leur est assigné pour leurs enfants, leurs parents et leur conjoint. Elles ont ainsi plus de facilité que les hommes à repérer et à soigner leurs problèmes de santé.
17La réduction récente de l’écart entre hommes et femmes est essentiellement due à la baisse de la mortalité masculine par tumeurs liée à la diminution de la consommation de tabac. Par ailleurs, les hommes ont semble-t-il commencé à adopter des comportements plus favorables à la santé qui devraient leur permettre de refaire une partie de leur retard sur les femmes. C’est ce qui s’est produit depuis une vingtaine d’années dans les pays anglo-saxons [Meslé, 2006 ; Vallin, 2002] : aux États-Unis, par exemple, l’écart est tombé de 7,8 ans en 1979 à 5,1 en 2004.
Les inégalités sociales face à la mort ne régressent pas
18Si l’espoir est de mise pour une réduction des inégalités hommes-femmes en matière d’espérance de vie, il n’en va pas de même pour les inégalités sociales. En France, au début des années 2000, les écarts d’espérance de vie entre cadres et ouvriers sont encore très importants : une récente estimation indique qu’à 35 ans, les hommes et les femmes cadres supérieurs peuvent espérer vivre encore respectivement 46,5 et 51 ans et les ouvriers 41 et 48,5 ans [Cambois, Laborde et al., 2008]. Cette inégalité s’exprime plus largement chez les hommes que chez les femmes, car les comportements favorables à la santé des femmes sont probablement moins socialement différenciés que ceux des hommes.
19La prise en charge collective des soins de santé n’est nullement une garantie d’égal recours aux soins à état de santé équivalent [Leclerc, Fassin et al., 2000]. Tout comme entre les hommes et les femmes, il y a entre le bas et le haut de l’échelle sociale une différence fondamentale de rapport au corps, de recours aux soins et d’adaptation des comportements. Il y a également une inégalité dans les expositions aux risques de maladies ou d’accidents, sur le lieu de travail ou de résidence. Les inégalités entre groupes sociaux se construisent tout au long de la vie et depuis le plus jeune âge. Les risques de santé se cumulent au fil des expériences et des situations. Les principales causes de ces inégalités sont là encore les maladies de société.
20Si, globalement, les comportements tendent à se rapprocher entre les hommes et les femmes, la montée des phénomènes d’exclusion et de précarisation économique et sociale sont à même de renforcer, dans le même temps, les inégalités sociales. Les études dans le domaine confirment à quel point les situations de précarité, quelle que soit la manière de les appréhender, sont source de mauvaise santé.
Et après ?
21Différents facteurs comme la montée de l’obésité, l’accroissement de certaines pratiques à risque, la dégradation de la situation économique et ses conséquences sur les conditions de vie pourraient freiner à l’avenir les tendances positives du siècle dernier. Mais à l’inverse, l’élévation générale du niveau d’instruction et la meilleure prise en charge de la santé qui lui est associée, ainsi que l’amélioration de la prise en charge médicale de certaines maladies et accidents pourraient favoriser la poursuite des progrès.
22L’allongement de la vie est ainsi l’un des principaux enjeux du progrès sanitaire à venir [Vallin, 1993]. C’est aussi le point focal de grandes questions sociales pour demain : allonger la vie, pour qui ? Dans quelles conditions de santé ? Avec quelles conséquences ?
Quelles sont les conséquences de l’allongement de la vie ?
23La baisse de la mortalité conduit-elle obligatoirement à une augmentation de la part des personnes malades ou fragiles ? Cette question a suscité de nombreux débats en santé publique. On a vu se développer simultanément les théories prévoyant une « pandémie des maladies chroniques, des troubles mentaux et des incapacités » et celles pariant sur une compression de la durée de vie en mauvaise santé. Ces dernières estiment que les risques d’incapacités seront diminués par la combinaison de facteurs protecteurs (prévention, prise en charge, rééducation, aides techniques, etc.), qui vont de pair avec la baisse de la mortalité elle-même.
24En réponse à ces débats, des études sur l’évolution de l’état de santé de la population ont été entreprises depuis les années 1980. Elles ont permis d’apprécier dans quelle mesure les années de vie gagnées au fil du temps ont été des années de vie en bonne santé, avec ou sans incapacité [Cambois, Clavel et al., 2008].
25L’incapacité ou le handicap sont des termes généraux qui décrivent les répercussions des maladies ou accidents sur le fonctionnement des personnes. On étudie de manière distincte leurs différentes facettes pour comprendre plus précisément les situations liées au vieillissement, notamment les limitations fonctionnelles et les gênes dans les activités. Les premières correspondent à l’altération des fonctions physiques, sensorielles ou cognitives, conséquences des maladies ou accidents sur l’organisme (troubles de la vision, de l’audition, de la locomotion, de la mémoire, etc.). Les gênes dans les activités (travail, domicile, loisirs, etc.) reflètent les répercussions de ces problèmes de santé dans la vie quotidienne. Ces gênes peuvent à terme limiter la participation sociale des personnes, et parfois les conduire à une situation de dépendance lorsqu’elles touchent des activités élémentaires comme les soins personnels, nécessitant l’assistance d’un tiers.
26Pour limiter les risques de limitations fonctionnelles, et limiter les risques qu’elles se traduisent en gênes dans les activités, des moyens peuvent être mobilisés pour compenser des altérations et maintenir un niveau d’activité satisfaisant (aides techniques, rééducation, aménagement du domicile ou du poste de travail, etc.). On dispose aujourd’hui d’éléments d’information pour mieux identifier les besoins auxquels la société devra faire face avec le vieillissement à travers les calculs d’espérances de vie sans limitation fonctionnelle et d’espérances de vie sans gêne dans les activités.
27En 2003, l’espérance de vie à 65 ans atteignait 17,1 ans pour les hommes et 21,5 ans pour les femmes [Cambois, Clavel et al., 2008], l’espérance de vie sans limitation fonctionnelle physique ou sensorielle 6,8 ans pour les hommes et plus de 6,9 ans pour les femmes (soit respectivement 40 % et 32 % de leur espérance de vie totale). Les troubles fonctionnels ne s’accompagnent pas nécessairement de gênes dans les activités en général, et moins encore de gênes dans les activités de soins personnels : l’espérance de vie sans limitation d’activité durable atteint presque 11,7 ans pour les hommes et 13,1 ans pour les femmes (soit respectivement 69 % et 61 % de leur espérance de vie totale) et l’espérance de vie sans restrictions pour les activités de soins personnels dépasse 80 % de l’espérance de vie totale.
28Au cours du temps, l’allongement de l’espérance de vie s’est accompagné en France d’une légère augmentation du nombre d’années avec des incapacités courantes, mais sans accroissement du nombre d’années avec gênes dans les activités de soins personnels. Une prise en charge mieux adaptée des problèmes fonctionnels courants a probablement permis de maîtriser les risques d’incapacités lourdes qui y sont associés. Au regard des théories présentées plus haut, on peut ainsi rejeter l’hypothèse d’une pandémie de la dépendance en France, même si l’on observe une augmentation des problèmes fonctionnels.
29Les études internationales publiées depuis plus de vingt ans révèlent des tendances similaires dans la plupart des pays. À l’échelle européenne, une étude récente souligne toutefois des différences entre pays dans les niveaux d’espérance de vie sans incapacité [Jagger, Gillies et al., 2008]. Si la moyenne d’espérance de vie sans limitations d’activité à 50 ans pour les 25 pays de l’Union européenne considérés est d’un peu plus de 17 ans, la variabilité est importante ; certains se situent encore autour de 10 ans. L’étude montre que les différences peuvent s’expliquer par des facteurs socio-économiques : richesse des pays, investissement en dépenses de santé auprès des plus âgés, inégalités de salaires, etc. La qualité et les moyens financiers des politiques sanitaires jouent clairement sur les chances de survie en bonne santé.
Conclusion
30Les niveaux d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé sont liés aux expositions à toutes sortes de risques (maladies ou accidents), mais elles tiennent aussi à des différences dans les ressources individuelles, environnementales ou sociales dont chacun dispose pour se protéger, repérer puis soigner les problèmes de santé et conserver une bonne qualité de vie. Tant les progrès médicaux que les campagnes de protection et de sensibilisation ont des répercussions sur la mortalité. De même, des progrès en matière de prévention et de gestion des troubles fonctionnels peuvent contribuer à retarder la perte d’autonomie et à limiter les années de vie marquées par des incapacités lourdes ou de la dépendance.
31Les évolutions sanitaires rappelées ici posent les bases nécessaires aux politiques de santé publique et d’organisation sociale. D’une part, elles mettent en lumière les besoins futurs en matière de soins et prise en charge des problèmes de santé. D’autre part, elles soulignent que ces efforts sont indispensables si l’on mise sur une plus grande participation économique et sociale des plus âgés, bon nombre d’entre eux arrivant à 60 ans avec des troubles fonctionnels susceptibles d’entraver leurs activités. L’implication des plus âgés nécessite de prendre en considération leur état de santé et l’existence de fortes inégalités.
32En matière de santé publique, la société française est confrontée, et elle le sera de plus en plus, à la difficile conciliation d’intérêts contraires. Deux exemples seulement. D’une part, l’expérience montre que le développement économique et le progrès scientifique à la base du progrès sanitaire sont source d’inégalités que les politiques sociales ont jusqu’à présent échoué à réduire. D’autre part, il y a un décalage croissant entre l’exigence de sécurité sanitaire adressée à l’État et plus généralement aux collectivités, et le fait que la santé exige, de plus en plus, prise de conscience et participation individuelles. Il convient ainsi d’être attentif à la gestion par les pouvoirs publics de la protection sanitaire des populations, et de faire évoluer les comportements individuels ainsi que les déterminants sociaux de la santé pour accroître l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé.
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- Une version longue de cet article est disponible sur http:// www. rce-revue. com