Notes
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[1]
Olivier Blanchard, « Réaction rapide à la proposition d’étendre les cotisations sociales », CAE, juillet 2006.
Pourquoi fiscaliser la protection sociale ?
1Avant l’introduction de la Cotisation sociale généralisée (CSG) en 1991, le financement des prestations sociales ne se faisait que par les cotisations sociales, prélevées sur les salaires « super-bruts* », dans une logique assurancielle : une partie du salaire du travailleur était mise de côté pour financer quatre risques (maladie, vieillesse, famille, chômage). La protection sociale était donc exclusivement financée par une ponction sur la masse salariale. Bâtie en un temps où le facteur rare était le travail, elle incitait les entreprises à arbitrer favorablement en faveur du capital.
2Aujourd’hui, seulement 63 % des recettes des régimes d’assurances sociales sont financées par les cotisations. 30 % sont prises en charge par l’impôt [? interview de Bruno Palier, « Du salaire différé aux charges sociales : les avatars du mode de financement de la protection sociale »]. Deux arguments ont été avancés pour changer le mode de financement de la protection sociale. Premièrement, les prestations « famille » et « santé », depuis la CMU, sont devenues universelles : tous les résidents profitent des allocations familiales et du remboursement des frais de santé. Pourquoi dès lors ne faire contribuer à leur financement que les seuls salaires ? Ne doit-il pas relever de la solidarité nationale, donc de l’impôt ? Deuxièmement, en ne touchant que la masse salariale, le financement de la protection sociale pèse fortement sur le coût du travail. Le travail est surtaxé, ce qui contribue à maintenir le chômage à un niveau élevé. Pour faire baisser le chômage, il faut réduire le coût du travail en allégeant les prélèvements qui pèsent sur les salaires, notamment au niveau du SMIC. En un mot : il faut arrêter de défavoriser le facteur travail [? Yannick L’Horty, « Fiscalité des bas salaires : la révolution silencieuse].
3La fiscalisation de la protection sociale désigne le passage de la cotisation sociale à l’impôt pour alimenter les caisses de la sécurité sociale, avec l’espoir de faire diminuer corollairement le chômage. Quel impôt utiliser pour remplir cet objectif ? Ici débute la quête frénétique de l’assiette* miraculeuse du nouvel impôt se substituant aux cotisations sociales.
4Processus déjà amorcé avec la création de la CSG*, la fiscalisation de la protection sociale est revenue récemment au cœur des débats avec les propositions d’une « TVA* sociale », ou d’une Cotisation sur la Valeur Ajoutée (CVA). Nous examinons ci-dessous les différents modes de financement de la protection sociale envisageables, avec leurs avantages et leurs inconvénients respectifs. Nous commençons par analyser les propositions de modification ou d’extension d’impôts déjà existant (CSG, « TVA sociale », impôt sur le bénéfice des sociétés*). Dans un second temps, nous considérons les propositions de création d’une nouvelle assiette (cotisation sur la valeur ajoutée, coefficient emploi-activité, cotisation patronale généralisée).
Réformer les prélèvements existants
5Le premier objectif des partisans d’une poursuite de la fiscalisation de la protection sociale est de supprimer les cotisations maladie patronales (représentant 12,8 % du salaire brut actuellement), en finançant le manque à gagner (environ 50 milliards d’euros) par l’impôt. Le candidat le plus naturel pour opérer ce transfert est la CSG, qui a constitué historiquement la première étape de la fiscalisation de la protection sociale. Mais cette piste, peu justifiée économiquement à l’heure actuelle, et délicate à mettre en œuvre politiquement, a été délaissée au profit d’une hausse de la TVA (TVA dite « sociale »). Si, à terme, il s’agit de transférer l’ensemble des cotisations sociales vers l’impôt, il peut sembler légitime de faire contribuer d’une façon ou d’une autre le capital, par exemple en affectant une partie de l’impôt sur les sociétés au financement de la sécurité sociale. Nous explorons successivement ces trois pistes.
Renforcer la CSG
6Mise en place en 1991 par le gouvernement de Michel Rocard (loi du 29 décembre 1990), la CSG est prélevée à la source sur la plupart des revenus. Son assiette inclut les revenus d’activité (taxés à un taux de 7,5 %), les revenus du patrimoine et de placement (taxés à 8,2 %), et les revenus de remplacement (par exemple les pensions de retraite ou d’invalidité), taxés à 6,6%. Le produit de la CSG s’élève à 78,3 milliards d’euros en 2006. Il est destiné au financement d’une partie des dépenses de sécurité sociale, en remplaçant notamment l’ancienne part salarié des cotisations maladies.
7Financer la suppression de la part patronale des cotisations maladies par une hausse des taux de la CSG est la mesure la plus simple à mettre en œuvre. Une telle réforme aurait un effet bénéfique sur l’emploi : grâce à la baisse des cotisations sociales, le coût du travail serait diminué, ce qui permettrait une substitution* du travail au capital. Elle aurait aussi le mérite de rapprocher la fiscalité française de celles des autres pays de l’Union européenne.
8Mais pesant sur les ménages, l’augmentation de la CSG pénaliserait la consommation : il est certain que les entreprises, au moins à court terme, n’abaisseraient pas leurs prix de vente à mesure de la réduction de cotisations qui leur aurait été consentie. Les salariés subiraient donc une perte de pouvoir d’achat, d’où une diminution de la demande. Une augmentation de la CSG pour financer des allègements de charges constituerait donc un transfert du revenu des ménages vers les entreprises, économiquement absurde compte tenu de la faible progression des salaires.
9Alors que les Français devraient en plus être mis à contribution pour renflouer le déficit de la sécurité sociale, la hausse uniforme de la CSG représente un risque politique et ne se justifie pas en termes macroéconomiques.
10Reste une hausse sélective du taux de la CSG sur les seuls revenus du patrimoine et de placement : cette mesure aurait l’avantage de moins déprimer la consommation, et de faire participer davantage le capital au financement de la protection sociale. Mais elle est risquée dans un monde où la mobilité des capitaux est très forte.
La TVA sociale
11L’idée de la « TVA sociale » est de financer la suppression des cotisations patronales par une hausse de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), impôt directement facturé aux consommateurs sur les biens qu’ils consomment ou les services qu’ils utilisent en France. Cette mesure a été défendue en 2006 par deux sénateurs UMP, M. Marini et M. Arthuis.
12Son principe est simple : la suppression des cotisations patronales permettrait une baisse du coût du travail, donc une diminution des coûts de production, se traduisant par une baisse des prix hors taxe des biens et des services. La nouvelle TVA s’appliquant à ces prix hors taxe serait plus élevée qu’auparavant, mais en moyenne les prix toutes taxes comprises resteraient inchangés pour les consommateurs.
13Les partisans de la « TVA sociale » lui trouvent deux avantages principaux. En premier lieu, la baisse des cotisations sociales permettrait une diminution du coût relatif du travail pour l’employeur, d’où une substitution du travail au capital, et des effets bénéfiques sur l’emploi. En second lieu, la « TVA sociale » renforcerait la compétitivité des entreprises françaises, exactement de la même façon qu’une dévaluation :
- Les biens exportés, n’étant pas soumis à la TVA, se vendraient moins cher à l’étranger du fait de la diminution des coûts de production, d’où une amélioration de la compétitivité des entreprises françaises ;
- Les biens importés étant soumis à la TVA, les producteurs étrangers participeraient au financement de la protection sociale française.
14Or, premier problème, la réglementation européenne – qui vise l’harmonisation des taux de TVA au sein de l’Union – interdit des taux de TVA supérieurs à 25 %. Une des premières décisions d’Angela Merkel a été la hausse du taux de TVA allemand de 16 % à 19 % en 2007. La France n’a pas la même marge de manœuvre, car elle a déjà un des taux de TVA les plus élevés de l’Union (19,6 %). À moins de ne relever que le taux de TVA dérogatoire, actuellement de 5,5 %, mais les prix de l’alimentation s’envoleraient. [? Clément Carbonnier, « A qui profiterait une baisse de la TVA dans la restauration ? »]
15Deuxième problème de la « TVA sociale » : les mécanismes d’indexation conduiraient à moyen terme à une augmentation des salaires, qui annulerait les gains de compétitivité des entreprises. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), estime qu’« au bout de cinq ans, les effets (positifs) sur la croissance et sur l’emploi (de la « TVA sociale ») seraient négligeables, en raison d’une augmentation des salaires, tendant à rattraper les prix, ce qui réduirait l’avantage compétitif dont auraient disposé les entreprises grâce à la baisse des coûts salariaux ». La « TVA sociale » engendrerait donc de l’inflation. Voilà pourquoi Jacques Chirac l’a écartée début 2006, au motif « qu’un tel système suppose, en toute hypothèse, un consensus national sur l’évolution des prix et des salaires ». En outre, la Banque centrale européenne serait amenée à réagir à la hausse des prix en montant ses taux directeurs, ce qui viendrait contrebalancer les effets bénéfiques attendus.
16En outre, l’effet sur la compétitivité des entreprises françaises serait extrêmement faible. Une baisse des coûts salariaux, donc des coûts de production, ne représenterait que peu de choses par rapport aux fluctuations des devises (le taux de change euro/dollar peut varier de 20 % d’une année sur l’autre).
17Last but not least, la hausse de la TVA nous mettrait en porte-à-faux avec nos partenaires européens, puisqu’elle aurait les mêmes conséquences qu’une dévaluation. C’est une mesure non-coopérative susceptible d’inciter nos partenaires européens à faire de même. Avec tous les risques que cela comporte pour la construction européenne.
Augmenter l’Impôt sur les Sociétés (IS)
18En augmentant l’impôt sur les sociétés pour alléger les cotisations, les profits des entreprises seraient directement mis à contribution pour financer la sécurité sociale, et le coût du capital augmenterait. L’effet de substitution entre le capital et le travail, au profit du travail, jouerait deux fois :
- Une première fois du fait des allègements de charges pesant sur les salaires, provoquant une baisse du coût du travail ;
- Une seconde fois du fait du renchérissement du coût du capital à cause de l’augmentation de l’IS. On peut donc s’attendre a priori à des effets positifs forts sur l’emploi.
19Cependant, ce résultat est extrêmement dépendant de l’élasticité de substitution du capital et du travail. Il est obtenu pour une élasticité* de 0,7 (une baisse de 1 % du prix relatif du travail se traduirait par une augmentation de 0,7 % de la demande de travail relativement à la demande de capital). Or cette élasticité est très difficile à estimer macroéconomiquement. Plus elle est forte, plus l’impact positif sur l’emploi d’un transfert des cotisations sociales sur l’IS est fort. Si l’on considère en revanche que le travail et le capital ne sont pas substituables mais complémentaires, la taxation du capital réduit le travail autant que la taxation du travail.
20Le financement de la protection sociale par l’IS aurait aussi l’inconvénient de pénaliser les entreprises les plus créatrices de richesse, d’où une diminution des incitations à innover. Il faudrait au moins accompagner sa hausse d’un abattement pour les entreprises qui réinvestissent leurs profits, de façon à soutenir l’investissement. En tout état de cause, miser sur une hausse de l’IS, c’est faire le pari que les entrepreneurs les plus innovants n’y verront pas une raison pour abandonner certains projets ou pour partir à l’étranger. Or l’IS est au cœur de la concurrence fiscale* en Europe [? Agnès Bénassy-Quéré : « Fiscalité des entreprises en Europe : concurrence ou harmonisation ? »].
21Après augmentation de l’IS, les entreprises seraient incitées à déplacer leurs profits vers des pays où la fiscalité leur est plus favorable, par le jeu des relations commerciales ou financières entre filiales. L’assiette du prélèvement serait ainsi fragilisée, sans compter qu’elle est très sensible à la conjoncture. Les ressources de la sécurité sociale seraient donc encore plus instables.
22Augmenter l’IS pour financer la protection sociale, sans mesure d’accompagnement, ne semble pas être une très bonne idée. Un IS élevé peut être économiquement profitable s’il est destiné à financer des infrastructures (ce qui permet d’accroître la productivité des entreprises), mais est dissuasif si son produit est reversé aux ménages [? Jacques Le Cacheux, « Pourquoi et comment imposer l’entreprise ? »].
Nouveaux prélèvements, nouvelles assiettes
23La quête de l’assiette miraculeuse est allée bien au-delà du réaménagement des assiettes déjà existantes : 2006 a vu fleurir ou resurgir toutes sortes de propositions. Cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), coefficient emploi-activité (CEA), cotisation patronale généralisée (CGP)… De quoi s’agit-il ?
La cotisation sur la valeur ajoutée (CVA)
24Le principe de la CVA est simple sur le papier. Il s’agit de remplacer une fraction des cotisations sociales patronales par un prélèvement assis sur la valeur ajoutée*. Ce prélèvement aurait le caractère d’une recette fiscale, au même titre que la CSG.
25Cette idée vieille de 40 ans, un temps envisagée par Lionel Jospin, a été relancée par la parti socialiste dans son « projet pour la France » de 2005, puis par M. Chirac en janvier 2006 lors de ses vœux aux forces vives de la nation. Elle part de l’idée que la généralisation de la sécurité sociale exige une participation de tous les facteurs de production à son financement : non seulement du travail comme c’est le cas actuellement avec le financement par les cotisations sociales, mais aussi du capital.
26Puisque la valeur ajoutée est la somme des salaires et du bénéfice brut des entreprises, le passage d’une cotisation patronale assise sur les seuls salaires à une cotisation assise sur l’ensemble de la valeur ajoutée se traduirait par une hausse des prélèvements pesant sur les bénéfices. Elle permettrait une progression des recettes de la sécurité sociale proportionnelle à celle du PIB. Elle pourrait avoir un impact favorable sur l’emploi s’il y a substitution du travail au capital, puisque :
- Le coût du travail serait allégé par la baisse des cotisations ;
- Le nouvel impôt finançant cet allègement toucherait et le travail et le capital.
27Fort bien. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? C’est que cette mesure avait été enterrée suite au rapport d’Edmond Malinvaud en 1998. Dans son rapport au Conseil d’analyse économique, Malinvaud désignait quatre problèmes principaux :
- La CVA jouerait à long terme contre l’emploi : le capital étant plus mobile que le travail, c’est in fine le travail qui supporterait le coût de cette taxe ;
- La CVA créerait des distorsions entre les entreprises : les gagnantes seraient les plus intensives en main d’œuvre (entreprises de bâtiment et travaux publics, industries de main d’œuvre, services aux entreprises…), et les perdantes celles appartenant aux secteurs les plus capitalistiques (énergie, agro-alimentaire…), qui souffrent déjà de la taxe professionnelle, depuis la réforme de 1999 qui a supprimé la masse salariale de son assiette ;
- La CVA découragerait l’investissement productif, un des moteurs essentiels de la croissance ;
- Enfin, la CVA inciterait à l’évasion fiscale : les entreprises seraient tentées de procéder à des délocalisations d’assiettes, ce qui fragiliserait le financement de la protection sociale, et conduirait en outre à réduire les recettes de l’IS.
Variations sur le thème de la CVA
28La CVA a été décliné en plusieurs variantes.
29La première d’entre elles est la Cotisation patronale généralisée (CPG). Comme pour la CVA, il s’agit d’étendre l’assiette des cotisations sociales. Seraient intégrés dans l’assiette de la CPG : les salaires bruts, certains compléments de rémunération, et le résultat courant avant impôt. En fait, la CPG n’est rien d’autre qu’une taxe sur la VA nette. En ce sens c’est un progrès par rapport à la CVA, car taxer l’amortissement est un non-sens économique.
30Deuxième variation sur le thème de la CVA : le Coefficient emploi-activité (CEA). Il s’agit de modifier l’assiette des cotisations sociales en l’élargissant au chiffre d’affaires de l’entreprise (production vendue en France), diminué des rémunérations versées. Cette mesure favoriserait les entreprises qui utilisent intensément le facteur travail.
31Enfin il a été proposé de moduler les cotisations de sécurité sociale en fonction du ratio masse salariale sur valeur ajoutée. L’assiette des cotisations resterait la masse salariale comme aujourd’hui, mais les entreprises dont le ratio masse salariale/VA est supérieur à un ratio de référence, ou celles dont le ratio augmente, seraient moins taxées (et réciproquement). Il s’agirait donc de taxer les entreprises qui réduisent la part de la masse salariale dans la VA, ainsi que les entreprises hautement capitalistiques. De nombreuses dérives sont possibles. Imaginons une entreprise qui embauche, mais dont la VA croît moins vite que la masse salariale. Avec la modulation des cotisations, cette entreprise serait quand même surtaxée ! Pour éviter ces effets pervers, il faudrait définir une multitude de ratios, de façon à prendre en compte les entreprises au cas par cas.
32Ces variantes ont toutes l’inconvénient de compliquer encore, au mépris de la lisibilité du système fiscal, une réforme (la CVA) qui serait déjà complexe à mettre en œuvre. Leurs objectifs peuvent souvent être atteints par une modulation d’impôts déjà existants. La mise en place de la CPG serait ainsi équivalente à une variation du taux de l’IS et à la suppression des niches sociales [? encadré « Les niches fiscales : entre lobbying réussi et instrument de politique économique »]. Pourquoi créer un nouvel impôt, alors qu’on peut obtenir les mêmes résultats en modifiant un prélèvement existant ? Pourquoi s’échiner à créer de nouvelles assiettes complexes, si ce n’est pour donner du travail à tous les experts en optimisation fiscale ?
« Beaucoup de bruit pour rien ? »
33Les propositions actuelles de fiscalisation de la protection sociale cherchent à atteindre deux objectifs simultanément : pérenniser le financement de la protection sociale et favoriser l’emploi. Après avoir examiné toutes les possibilités jusqu’ici avancées, force est de constater qu’aucune ne semble être en mesure d’atteindre seule ces deux buts. Ce résultat était prévisible : il est bien connu, depuis les années 1950, qu’en matière de politique économique il faut utiliser autant d’instruments qu’il y a d’objectifs : c’est la règle de Tinbergen. Il est illusoire d’espérer remplir deux objectifs avec un seul impôt. Pointe alors la tentation du fatalisme. Élargir l’assiette des cotisations sociales serait « beaucoup d’effort pour peu de chose [1] ».
34D’où la proposition que faisait déjà Edmond Malinvaud en 1998 : si l’on veut lutter contre le chômage, il faut « reprofiler » les cotisations sociales en mettant en place un barème de taux progressif. La réduction des cotisations sur les bas salaires serait financée par une hausse des cotisations sur les salaires supérieurs à 2 fois le SMIC. Séduisante sur le papier, cette proposition recueille l’aval d’un grand nombre d’économistes. Pourtant, le « reprofilage » des cotisations aurait des conséquences négatives sur les secteurs innovants qui emploient beaucoup de main d’œuvre qualifiée. Surtout, il est permis de se demander en quoi il est plus légitime de faire payer les cotisations des salariés peu qualifiés par les cadres plutôt que par le capital.
35Alors que les inégalités de patrimoine sont fortes (10 % des ménages possèdent 44 % du patrimoine en 2000) et que la part des salaires dans la valeur ajoutée est à un niveau bas (58 % aujourd’hui en France, 58 % en 1991, 67,5 % en 1981, 68 % aux USA aujourd’hui), il est légitime de poser la question d’un rééquilibrage entre la taxation du travail et la taxation du capital.
36C’est là tout le mérite de la discussion sur le financement de la protection sociale : elle permet de remettre au premier plan des questions que la discussion pointilleuse de tels avantages ou tels inconvénients supputés des réformes envisagées ont pu laisser – et c’est un tort – au second plan.
- Faut-il rééquilibrer le partage de la valeur ajouté ? Pour ce faire, comment faut-il taxer le capital, dans un monde où sa mobilité est presque parfaite ?
- Les réformes de l’assiette des cotisations présupposent toutes qu’il est nécessaire de réduire les charges sociales pour faire diminuer le chômage. Mais ce présupposé pose un problème d’efficacité et un problème d’équité :
- Pour favoriser le retour à l’emploi, les baisses de charge ne sont efficaces que si elles sont ciblées au niveau du SMIC, ce qui est la politique qui a été suivie ces quinze dernières années, mais ce qui n’est pas le cas dans la proposition de « TVA sociale » ;
- Compte tenu de tous les allègements de charges déjà consentis sur les bas salaires (25 milliards d’euros en 2007, soit plus d’un point de PIB), baisser uniformément les charges sur tous les salaires reviendrait à baisser le coût du travail des cadres, sans modifier substantiellement le coût du travail des ouvriers au niveau du SMIC.
- Quand bien même on ne continuerait à baisser les charges que sur les bas salaires, dans quelle mesure ces baisses de quelques centaines d’euros rendraient-elles la France véritablement plus compétitive par rapport aux pays émergents, empêchant ainsi des délocalisations d’emploi ? Est-il bien sérieux de miser sur la compétitivité prix ? Deux questions qui se posent avec force aux partisans de la « TVA sociale », censée restaurer la compétitivité de la France.
- Plus généralement, en poursuivant la politique de baisse des charges, le risque est de créer des trappes à bas salaires, et de ne développer que les emplois peu qualifiés ? Ne vaut-il pas mieux investir dans la R&D et la formation continue pour créer des emplois qualifiés ? L’avancée des USA est très importante dans les secteurs de la nouvelle économie. Pourquoi la France ne s’engage-t-elle pas dans le développement de secteurs hautement intensifs en travail qualifié, dans lesquels nous avons un avantage comparatif fort, et qui sont les plus créateurs de richesse ? Ce ne sont pourtant rien d’autres que les objectifs que s’est assignée l’Union européenne à Lisbonne en 2000.
Bibliographie
Bibliographie
- Guélaud C, (8 novembre 2006 ) « Du bon usage des baisses de charges », Le Monde
- De Boissieu C. et Guesnerie R. (juillet 2006), « Avis du CAE sur le projet d’élargissement de l’assiette des cotisations sociales employeurs », www.cae.gouv.fr/avis_cotsoc.htm
- « Rapport du groupe de travail sur l’élargissement de l’assiette des cotisations employeurs de sécurité sociale », 30 mai 2006, http://www.securite-sociale.fr/communications/rapports/2006/cotisvalajoute/cva.htm
- Waquet C, (2006) « Financement de la Sécurité sociale : quel avenir ? », Ecoflash, n°211
- « La réforme du financement de la protection sociale » (2006), Avis de synthèse du centre d’analyse stratégique septembre
- Sterdyniak H, Villa P, (1998) « Pour une réforme du financement de la Sécurité sociale », Revue de l’OFCE n°67, http://www.ofce.sciences-po.fr/viewfiche.php?type=revue&id=73&lang=fr
- France J., Gauron A., Malinvaud E., Pisani Ferry J., (1998) « Les cotisations sociales à la charge des employeurs : analyse économique », CAE, http://www.cae.gouv.fr/rapports/009.htm
- Delberghe M. (29 décembre 2006), « Hausse de la CSG, TVA sociale… des alternatives controversées », Le Monde
- Sterdyniak H. (29 septembre 2006), « La TVA sociale peut elle combler le trou de la Sécu ? » Le Monde
Notes
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[1]
Olivier Blanchard, « Réaction rapide à la proposition d’étendre les cotisations sociales », CAE, juillet 2006.