1La Conférence de La Haye de droit international privé a publié au début de l'été 2020 un Guide de bonnes pratiques relatif à l'article 13(1)b de la Convention Enlèvement d'enfants explorant les types de risques qu'il engendre (not. § 55 s.) et détaillant la gestion opportune, par les autorités centrales (§ 93 s.) et tribunaux (§ 77 s.) appelés à en connaître, de l'exception au retour qu'il organise des enfants illégalement enlevés.
2Cet article prévoit que : « l'autorité judiciaire ou administrative de l'État requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit : [ ] b) qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ».
3Au-delà de son intérêt immédiat pour la gestion de ces situations douloureuses, le document suscite des interrogations quant à son objectif et son statut. Ce d'autant plus que des guides de bonnes pratiques ou des « lignes directrices » complètent désormais fréquemment sinon systématiquement les instruments internationaux.
41. L'objectif du Guide de bonnes pratiques. Ce document serait principalement destiné aux tribunaux et autorités administratives amenés à décider ou mettre en uvre le retour d'enfants enlevés (v. introduction § 4). On peut d'ailleurs penser que les conseils pourront y trouver quelques indications sur le caractère opportun des arguments ou les chances de succès des démarches du parent s'opposant au retour de l'enfant qu'ils ont enlevé. Ne constituant pas un commentaire de la convention, le guide n'en serait qu'une grille de lecture ou une forme de carte permettant une orientation dans le territoire qu'elle instaure.
5Son objectif laisse toutefois perplexe. Certes, il n'aurait pas vocation à interpréter la convention (introduction § 7) et se reconnaît non-contraignant (introduction § 8). De plus, il ne cite que certaines décisions illustrant le propos des rédacteurs et n'est donc en rien un exposé de droit comparé (introduction § 8).
6Pour autant, le document n'est ni neutre ni gratuit. Il se propose de permettre une application uniforme de l'exception posée par l'article 13(1)(b). Cet objectif s'appuie sur le rapport explicatif (préparé par M. E. Perez Vera), les conclusions et recommandations de la commission spéciale instaurée par la convention, et sur les Guides de Bonnes Pratiques portant sur d'autres aspects de cette dernière (introduction § 3 et note 10).
7En cela, ce document s'inscrit dans une pratique qui paraît se généraliser. Des instruments (conventions internationales, ou règlements européens) touchant au droit international privé font régulièrement l'objet d'un rapport par un ou plusieurs universitaires reconnus ayant participé à leur élaboration. En outre, certains textes instaurent un organe ou un groupe chargé d'en éclairer les utilisateurs. C'est par exemple le cas du Comité européen de la protection des données établi par le règlement 2016/679 du 27 avril 2016 (article 68), dont les missions comprennent notamment de conseiller la Commission européenne en matière de protection des données (art. 70 b) et de développer des lignes directrices sur l'application de certaines dispositions (art. 70 d) à m).
82. Quel statut ? Les « bonnes pratiques » ne figurent pas dans le texte de la convention. Cela tient-il à leur caractère concret qui n'aurait pas permis d'en repérer l'opportunité lors de sa préparation ? Ou bien, a-t-il été trop difficile de parvenir à un accord sur ces points ? De plus, déclaré non contraignant et purement indicatif (introduction § 8), le guide n'entrerait pas dans le champ normatif conventionnel, en sorte qu'il ne pourrait pas être qualifié de source de droit.
9Cette conclusion paraît cependant exagérément mécanique. L'intention du guide de promouvoir une application uniforme de la convention l'y attache étroitement. De plus, le caractère délibéré, prospectif, sinon prescriptif (que suggèrent les termes mêmes de « bonnes pratiques ») du contenu du document l'associe à la mise en uvre de cet instrument. En outre, la qualité des rédacteurs du guide confirme l'intensité de sa relation avec l'interprétation de cette convention : sur les 44 personnes citées (introduction note 20), 18 sont des juges et 21 des représentants des autorités administratives chargées de suivre les dossiers la mettant en jeu. Le document émane donc essentiellement de professionnels amenés à traiter de retours d'enfants susceptibles d'être exposés à un risque grave. Pour autant, on ne peut pas déterminer si le guide représente une synthèse d'expériences ou une forme de déclaration d'intention.
10À ces différents titres, celui-ci ne s'inscrit-il pas dans le champ du « droit souple » (v. à propos d'instructions d'origine administrative, D. Bureau, Les sources administratives du droit international privé français, in Mélanges P. Lagarde, p. 169 au § 35) ? Mais au-delà d'un constat sociologique, comment le droit appréhende-t-il ce type de textes dépourvus de caractère obligatoire ?
11Naturellement, une indication du guide acquerrait une valeur normative si un juge ordonnait une telle mesure, par exemple en s'efforçant d'aboutir à une solution amiable (§ 83) ou en désignant une personne indépendante pour assister l'enfant (§ 88). Une telle démarche impliquerait que la mesure soit considérée comme interprétant une disposition de la convention ou d'un autre texte applicable (par ex. la convention des Nations Unis relatives aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989), ou plus exactement comme matérialisant une conséquence d'une règle posée par de tels instruments. Il est alors douteux que la décision fasse une référence expresse au texte du guide. À cet égard, le caractère rationnel et justifié du contenu des guides de bonnes pratiques ou des lignes directrices paraît le meilleur vecteur pour conférer une valeur obligatoire à certaines de leurs dispositions.
12Inversement, une décision de retour pourrait-elle être contestée au motif que des démarches présentées comme opportunes ou de bonne pratique par le guide n'auraient pas été respectées, par exemple parce que l'enfant concerné aurait été entendu par un simple fonctionnaire ou un juge sans expérience en la matière ? Là encore, il faudrait que la loi du for saisi admette que la mesure présentée dans le guide est inhérente à un principe posé par, ou sous-tendant, la convention, c'est-à-dire reconnaisse à cette pratique une valeur normative. On notera qu'en admettant qu'une décision sans effet juridique mais susceptible d'influencer le comportement puisse faire grief et être annulée (CE, Ass., 21 mars 2016, n° 368082, pt 4, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 572 ; ibid. 717, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 715, obs. M.-C. de Montecler ; AJCA 2016. 302, obs. S. Pelé ; Rev. sociétés 2016. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 497, concl. S. von Coester ; RTD civ. 2016. 571, obs. P. Deumier ; RTD com. 2016. 298, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 711, obs. F. Lombard ; CE, Ass., 19 juill. 2019, n° 426389, pt 4, Lebon ; AJDA 2019. 1544 ; ibid. 1994, chron. C. Malverti et C. Beaufils ; AJCT 2019. 572, obs. P. Villeneuve ; RFDA 2019. 851, concl. A. Iljic), les tribunaux administratifs paraissent désormais pouvoir conférer une certaine valeur à des mesures relevant pourtant du champ du « droit souple ». Ce ne paraît pas être (encore ?) le cas pour les tribunaux judiciaires.
13A. O.