Notes
-
[1]
Civ. 1re, 7 janv. 1964, GAJFDIP, n° 41. V. not. Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen, D. 2007. 1115, note L. d'Avout et S. Bollée ; ibid. 891, chron. P. Chauvin ; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2007. 324 ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; et Civ. 1re, 30 janv. 2013, n° 11-10.588, Gazprombank, D. 2013. 371 ; ibid. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2293, obs. S. Bollée ; RTD com. 2013. 389, obs. P. Delebecque ; ibid. 2014. 459, obs. P. Delebecque. En droit commun, l'absence de contrariété à une décision française passée en force de chose jugée est généralement considérée comme l'une des hypothèses de conflit de procédures (v. not. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. I, 4e éd., 2017, nos 216 et s., p. 255 et s. ; P Mayer, V. Heuzé et B. Remy, Droit international privé, LGDJ, 12e éd., 2020, n° 467, p. 318), V. cep. B. Audit et L. d'Avout, Droit international privé, LGDJ, 8e éd., 2018, n° 572, p. 475-476, qui considèrent que cette exigence « [entre] sous le manteau de l'ordre public [de fond] ».
-
[2]
Pour reprendre les termes de la disposition en cause en l'espèce, l'article 34, 3) du Règlement « Bruxelles I ».
-
[3]
A. Dickinson et E. Lein (dir.), The Brussels I Regulation Recast, OUP, 2015, n° 13.341.
-
[4]
Les faits de l'espèce sont relativement complexes, aussi apparaît-il indispensable de les simplifier, notamment en escamotant certaines parties. Il faut néanmoins garder à l'esprit que les textes européens pertinents exigent, lorsque l'inconciliabilité concerne une décision rendue dans l'État requis, que les deux décisions aient été prononcées « entre les mêmes parties » (v. supra n° 1), condition qui ne fait pas l'unanimité au sein de la doctrine, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 6e éd., 2018, n° 460. Sur ce point, v. aussi U. Magnus et P. Mankowski (dir.), European Commentaries on Private International Law, vol. 1, Brussels I bis Regulation, Verlag Dr. Otto Schmidt, 2016, V° « Article 45 », n° 70.
-
[5]
En raison du caractère accessoire de l'hypothèque, dont l'une des implications est que « la nullité de la créance entraîne l'extinction de l'hypothèque », v. L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, LGDJ, 14e éd., 2020, n° 383. Cela suffisait-il néanmoins à justifier la compétence d'un tribunal français pour connaître de la validité des contrats de prêt, étant entendu que ceux-ci contenaient des clauses attributives de compétence aux juridictions anglaises ? Nulle difficulté, en tout cas, s'agissant des hypothèques, qui sont des droits réels et à ce titre appréhendées par la compétence exclusive de l'article 22, 1) du règlement « Bruxelles I » (aujourd'hui article 24, 1) du règlement « Bruxelles I bis »), v. M.-É. Ancel, « Sûretés réelles en droit international privé », in Lamy - Droit des sûretés, étude n° 290-17.
-
[6]
Sur le raisonnement mené sur ce point, v. infra n° 15.
-
[7]
V. les art. 66 des Règlements « Bruxelles I » et « Bruxelles I bis ».
-
[8]
Aix-en-Provence, 20 nov. 2014, n° 13/10523.
-
[9]
Civ. 1re, 22 juin 2016, n° 15-13.837, D. 2017. 1011, obs. F. Jault-Seseke.
-
[10]
Aix-en-Provence, 20 mars 2018, n° 16/12471.
-
[11]
V. les considérants 19 du règlement « Bruxelles I » et 34 du règlement « Bruxelles I bis » ainsi que, sur ce point, H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 35.
-
[12]
CJCE 4 févr. 1988, aff. C-145/86, pt 22.
-
[13]
Not. dans l'arrêt CJCE 6 juin 2002, aff. C-80/00, Italian Leather, Rev. crit. DIP 2002. 704, note H. Muir Watt ; RTD com. 2002. 591, obs. A. Marmisse ; Gaz. Pal. 18 nov. 2003, p. 21, note M.-L. Niboyet ; JDI 2003. 671, obs. A. Huet. La Cour a considéré dans cet arrêt que, le texte ne distinguant pas, il devait pouvoir s'appliquer aux décisions en référé comme aux décisions statuant sur le fond (pt 41). Ultérieurement, la Cour de cassation est allée plus loin en refusant d'accorder l'exequatur à un jugement au fond étranger inconciliable avec une ordonnance de référé française, une solution diversement appréciée, v. Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 03-14.553, D. 2006. 1843 ; Rev. crit. DIP 2007. 164, note J.-P. Rémery ; RTD civ. 2007. 172, obs. P. Théry ; Procédures 2007, comm. 138, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2/2008. 111, obs. M.-L. Niboyet.
-
[14]
Articles 22, al. 3, de la Convention de Bruxelles ; 28, § 3 du Règlement « Bruxelles I » ; 30, § 3 du Règlement « Bruxelles I bis ».
-
[15]
CJCE 6 déc. 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, D. 1995. 35 ; Rev. crit. DIP 1995. 588, note E. Tichadou.
-
[16]
V. le pt 23 de l'arrêt CJCE 13 juill. 2006, aff. C-539/03, Roche Nederland, D. 2007. 336, obs. J. Raynard ; Rev. crit. DIP 2006. 777, étude M. Wilderspin ; RTD eur. 2007. 679, obs. J. Schmidt-Szalewski ; Procédures 2006, comm. 189, obs. C. Nourissat ; Dr. et patr. 10/2007. 106, obs. D. Velardocchio : « La portée donnée par l'arrêt Tatry [ ] à la notion de décisions inconciliable dans le contexte de l'article 22 de la convention de Bruxelles est ainsi plus large que celle qui avait été donnée à cette même notion par l'arrêt du 4 février 1988, Hoffmann (145/86, Rec. p. 645, pt 22), dans le contexte de l'article 27, point 3, de ladite convention, qui prévoit qu'une décision rendue dans un État contractant n'est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis. Dans l'arrêt Hoffmann, précité, la Cour avait en effet jugé que, afin d'établir si deux décisions sont inconciliables au sens de cette dernière disposition, il convient de rechercher si les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement ».
-
[17]
H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 371.
-
[18]
Aix-en-Provence, 20 mars 2018, préc.
-
[19]
F. Mailhé, obs. préc.
-
[20]
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 7e éd., 2020, n° 819.
-
[21]
Ibid., en renvoyant à J. Marotte, L'incompatibilité des décisions de justice en droit judiciaire privé interne, européen et international, th. Paris X, 2001, et C. Debourg, Les contrariétés de décisions dans l'arbitrage international, LGDJ, 2011, préf. F.-X. Train.
-
[22]
Préc.
-
[23]
Sur cette solution qui s'est progressivement imposée dans le sillage du code de procédure civile de 1975, v. C. Bouty, Rép. proc. civ., V° « Chose jugée », 2018, nos 490 et s., qui synthétise notamment (n° 497) les réserves qui ont été formulées : « cette solution formaliste fait fi de l'unité intellectuelle du jugement, le dispositif étant la conséquence directe de l'analyse faite dans les motifs. En outre, il peut paraître arbitraire de faire varier l'étendue de ce qui est couvert par l'autorité de la chose jugée en fonction du mode de rédaction du dispositif. Certains magistrats sont très synthétiques dans leur manière de rédiger, se limitant, dans le dispositif, à l'énoncé de ce qui doit être exécuté, alors que d'autres récapitulent l'intégralité des constatations, déductions et qualifications opérées pour parvenir à la solution concrète. »
-
[24]
V. not. le pt 40 de l'arrêt CJUE 15 nov. 2012, aff. C-456/11, Gothaer Allgemeine Versicherung, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2293, obs. L. d'Avout ; Rev. crit. DIP 2013. 686, note M. Nioche ; Europe 2013, comm. 57, obs. L. Idot ; Procédures, 2013, comm. 71, obs. C. Nourissat. Sur cette différence, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 400.
-
[25]
Depuis Civ. 1re, 28 févr. 2006, n° 04-19.148, D. 2006. 1586, note N. Bouche ; Rev. crit. DIP 2006. 848, note M. Audit. Sur ce point, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 457, note 186.
-
[26]
Maître François Boucard a très aimablement accepté de communiquer à l'auteur, par l'intermédiaire de Sophie Pellet, cette décision. Qu'ils en soient tous deux vivement remerciés.
-
[27]
V. supra à propos de l'arrêt du 20 nov. 2014.
-
[28]
V. les pts 27 à 30 du jugement.
-
[29]
Ce qui constituait l'aboutissement logique d'une analyse menée à partir de la conception française de l'autorité de chose jugée. Mais ce point de départ est contestable dans le champ d'application d'un règlement européen, même s'agissant d'un jugement français et précisément le droit européen connaît une solution différente, v. supra n° 11.
-
[30]
Pt 27, § 3 de l'arrêt, dans la traduction utilisée dans le cadre du contentieux de l'efficacité en France.
-
[31]
Pt 37 de l'arrêt.
-
[32]
Ou, plus précisément, le cessionnaire de la créance ou son liquidateur, v. supra.
-
[33]
Pts 38-40 de l'arrêt. Sur le mécanisme de l'estoppel by representation en droit anglais, v. E. Peel, Treitel on the Law of Contract, Sweet & Maxwell, 15e éd., 2020, n° 3-090 et 3-091.
-
[34]
V. Civ. 1re, 17 janv. 2006, n° 03-14.483, JCP 2006, II 10052, note G. Martel ; Procédures 2006, comm. 212, obs. C. Nourissat : « ayant retenu, pas un arrêt motivé, que les litiges n'avaient pas le même objet et que les décisions ne comportaient pas des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ».
-
[35]
V. not. U. Magnus et P. Mankowski (dir.), op. cit., n° 67, pour l'observation que « la marge d'appréciation du juge n'est pas totalement effacée » (traduction libre).
-
[36]
À défaut néanmoins d'être toujours facile à tracer, v. O. Penin, La distinction de la formation et de l'exécution du contrat - Contribution à l'étude du contrat acte de prévision, LGDJ, 2012, préf. Y. Lequette.
-
[37]
Sur cette illustration, v. A. Dickinson et E. Lein (dir.), op. cit., n° 13.352.
-
[38]
V. not. (p. 158 et s.) le septième chapitre de l'ouvrage de J. Cartwright, Contract Law - An Introduction to the English Law of Contract for the Civil Lawyer, Hart Publishing, 3e éd., 2016, intitulé « Vitiating Factors : Void, Voidable and Unenforceable Contracts ».
-
[39]
V. F. Terré et al., Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2015, nos 413 et 415.
-
[40]
Ni possible, bien entendu, en l'état du droit positif, v. supra n° 11.
-
[41]
H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 457.
-
[42]
V. supra n° 10.
1M. E N c/ M. J T , Société de la Villa Gal, Mme O R , veuve V ,
2[ ] Faits et procédure
34. Selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 22 juin 2016, pourvoi n° 15-13.837), et les productions, le 28 avril 1998, M. T a acquis les actions de la société anonyme Villa Gal (la SAVG) pour un prix de 80 millions de francs. Les 8 juin et 3 juillet 1998, la SAVG a reconnu avoir emprunté à la société Oakland Finance une somme de 50 millions de francs. Par acte du 23 août 2000, cette somme a été portée à 60 millions. Deux hypothèques conventionnelles ont été prises en garantie les 22 juillet 1998 et 8 septembre 2000 par la société Oakland Finance sur l'immeuble de la SAVG. Le 17 avril 2002, la société Oakland Finance a été placée en liquidation.
45. Mise en demeure de payer par le liquidateur, la SAVG l'a assigné, ès qualités, devant le tribunal de grande instance de Nice pour obtenir la nullité de ces contrats et la mainlevée des hypothèques en soutenant que les prêts étaient dépourvus de cause, subsidiairement que leur cause était illicite. K V , trustee et représentant légal de la société EGA, est intervenu volontairement à l'instance.
56. Par jugement du 10 décembre 2007, le tribunal a rejeté ces prétentions et dit que les actes sous seing privé des 8 juin 1998 et 23 août 2000 reposaient sur une cause réelle et licite.
67. Entre-temps, soutenant que si les prêts litigieux étaient supposés rembourser une dette contractée par la société SAVG envers la société EGA, dette ensuite cédée à la société Oakland Finance, aucune somme n'était due par la SAVG à la société EGA, la SAVG et M. T ont saisi la High Court of Justice of London (la High Court) qui, par une décision du 19 novembre 2010, a dit qu'aucune somme n'était due par la SAVG à la société Oakland Finance.
78. Le greffier en chef d'un tribunal de grande instance ayant déclaré exécutoire en France cette décision, Mme R , héritière de K V , a demandé la révocation de cette déclaration.
8Examen du moyen
99. [ ] Mais sur les deuxième et troisième branches du moyen, réunies
10Énoncé du moyen
1110. M. B , ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter la contestation formée à l'encontre du certificat de reconnaissance en France de la décision de la High Court of Justice du 19 novembre 2010,de confirmer la reconnaissance en France de cette décision et de dire qu'en conséquence ce jugement produira en France tous ses effets, alors :
12« 1°/ que deux décisions sont inconciliables lorsqu'elles entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement ; que deux jugements peuvent être inconciliables sans que les demandes sur lesquelles ils ont statué aient eu le même objet ; que tel est le cas du jugement qui statue sur la validité d'un contrat tandis que l'autre, statuant sur la demande d'exécution de ce contrat, considère qu'aucune créance n'a pu valablement naître de l'engagement litigieux ; que pour débouter M. N de son recours contre la décision de reconnaissance de la décision britannique, la cour d'appel a considéré que le procès français portait sur la validité de l'acte d'affectation hypothécaire et a consacré le principe de l'existence des contrats de prêts en cause, tandis que le procès anglais portait sur le principe de l'exigibilité de la créance et que le juge anglais s'est prononcé sur une demande de condamnation en paiement ; que la cour d'appel en a déduit que les demandes n'avaient pas le même objet et ne pouvaient donc entraîner des conséquences s'excluant mutuellement puisque les deux juridictions ne s'étaient pas prononcées sur les mêmes questions ; qu'en statuant ainsi, tandis que le jugement de la High Court de Londres du 19 novembre 2010, qui a considéré que la société SAVG n'était tenue d'aucune dette à l'égard de la société Oakland en liquidation, au titre des prêts litigieux, au motif que ces prêts n'étaient pas valables, était inconciliable avec le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007, qui a débouté la SAVG de sa demande d'annulation des prêts pour absence de cause ou cause illicite, peu important que les juges français et britannique n'aient pas été saisi des mêmes demandes, la cour d'appel a violé l'article 34 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
132°/ qu'en toute hypothèse, deux décisions, dont l'une admet la validité d'un contrat de prêt, dont il résulte une créance pour le prêteur, tandis que l'autre décide qu'aucune somme ne peut être due au prêteur en vertu du même prêt, en conséquence de la nullité de ce contrat, ne peuvent faire l'objet d'une exécution simultanée ; qu'en jugeant qu'était possible l'exécution simultanée du jugement de la High Court de Londres du 19 novembre 2010, qui a considéré que la société SAVG n'était tenue d'aucune dette à l'égard de la société Oakland en liquidation, au titre des prêts litigieux, au motif que ces prêts n'étaient pas valables, et du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007, qui a dit valables les prêts litigieux, ce dont il résultait une créance de la société Oakland contre la SAVG, la cour d'appel a violé l'article 34 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000. »
14Réponse de la Cour
15Vu l'article 34, 3), du règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I :
1611. Selon l'article 33 point 1) de ce règlement, les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L'article 34 de ce règlement prévoit toutefois à son 3) qu'une décision n'est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État membre requis. Statuant sur l'article 27.3° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dont les termes sont identiques à ceux de l'article 34, 3), la Cour de justice des Communautés européennes a précisé qu'afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de ce texte, il convenait de rechercher si les décisions en cause entraînaient des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement (CJCE Hoffmann c/ Krieg 4 février 1988 C 145/86, point 22).
1712. Pour rejeter la contestation du certificat de reconnaissance en France de la décision de la High Court du 19 novembre 2010, confirmer la reconnaissance en France de cette décision et dire qu'en conséquence ce jugement produira en France tous ses effets, après avoir énoncé que deux décisions sont inconciliables si elles sont incompatibles dans leur exécution, l'arrêt retient que le procès français portait sur la validité de l'acte d'affectation hypothécaire, engagement réel soumis aux juridictions françaises, et a consacré le principe de l'existence des contrats de prêts en cause tandis que le procès anglais portait sur le principe de l'exigibilité de la créance et que le juge anglais s'est prononcé sur une demande de condamnation en paiement, de sorte que les demandes n'avaient pas le même objet et ne pouvaient donc entraîner des conséquences s'excluant mutuellement puisque les deux juridictions ne se sont pas prononcées sur les mêmes questions et leur exécution simultanée est possible.
1813. En statuant ainsi, alors que le jugement de la High Court du 19 novembre 2010, qui, après avoir retenu qu'aucune somme n'était due par la SAVG à la société EGA, a considéré qu'aucune créance n'avait pu valablement naître de l'engagement litigieux, entraînait des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement avec celles du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007 rejetant la demande en nullité de ce même engagement formée par la SAVG, laquelle soutenait que celui-ci était dépourvu de cause dès lors que la dette de la société EGA, supposée le fonder, avait été intégralement réglée avant la cession des actions, de sorte que ces décisions étaient inconciliables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
19Portée et conséquence de la cassation
2014. Il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, comme il est suggéré en demande.
2115. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
22PAR CES MOTIFS, la Cour :
23CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
24DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
25Du 16 septembre 2020 - Cour de cassation (Civ. 1re) - Pourvoi n° 18-20.023 - Mme Batut, prés., M. Vigneau, rapp., M. Poirret, av. gén. - SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Thouin-Palat et Boucard, av.
261. À la différence du droit commun français, qui continue d'inscrire les conditions de régularité internationale des jugements étrangers dans la lignée de l'arrêt Munzer [1], le droit international privé européen érige l'inconciliabilité avec « une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État membre requis » [2] en motif de refus d'efficacité des décisions rendues dans les autres États membres. Cette hypothèse n'est pas fréquente, ce dont il convient de se féliciter pour les justiciables en même temps que d'y voir l'effet des mécanismes qui tendent à éviter en amont que des décisions inconciliables ne soient rendues [3]. Elle se rencontre néanmoins de temps à autre en jurisprudence, comme l'illustre l'arrêt sous commentaire.
272. Une société française a souscrit deux reconnaissances de dettes assorties d'hypothèques conventionnelles au bénéfice d'une société anglaise, la créance étant ensuite cédée par la prêteuse à une autre société, ultérieurement mise en liquidation [4]. Ayant été mise en demeure par le liquidateur de rembourser les prêts, l'emprunteuse a agi en nullité de ces contrats pour absence de cause et, subsidiairement, cause illicite, et demandé la mainlevée des hypothèques [5]. Le 10 décembre 2007, le Tribunal de grande instance de Nice a rejeté ces demandes, en considérant que les deux reconnaissances de dettes avaient une cause réelle et licite. Une autre procédure, initiée en Angleterre par l'emprunteuse avant la saisine du tribunal niçois et suspendue dans l'attente de la décision de ce dernier, a alors été reprise et s'est achevée le 19 novembre 2010 par une décision de la High Court de Londres. Par celle-ci, la juridiction anglaise, devant laquelle avait pourtant été invoqué le jugement français [6], a conclu au contraire à l'inexistence de la dette de la société française.
283. Le litige s'est alors déplacé sur le terrain de l'efficacité en France de la décision anglaise. Compte tenu des règles d'application dans le temps des textes européens [7], c'est le Règlement « Bruxelles I » qui est applicable ratione temporis. La Cour d'appel d'Aix en Provence, le 20 novembre 2014 [8], a rejeté un recours formé contre la déclaration constatant la force exécutoire, mais l'arrêt a encouru la cassation pour avoir refusé de vérifier tant la conformité de la décision anglaise à l'ordre public français que son éventuelle inconciliabilité avec le jugement du tribunal de Nice, en prétextant l'impossibilité de remettre en cause l'appréciation du juge anglais sur ce point [9]. C'est donc sur renvoi après cassation que la Cour d'appel d'Aix en Provence confirme l'efficacité de la décision de la High Court [10], en écartant l'inconciliabilité au motif que sa caractérisation supposerait que l'exécution simultanée des deux jugements en cause soit impossible, ce qui en l'espèce ne serait pas le cas puisque les juges se seraient prononcés sur deux questions distinctes : la validité de l'acte d'affectation hypothécaire et l'existence des contrats de prêt dans un cas, et l'exigibilité de la créance ainsi qu'une demande de condamnation en paiement dans l'autre.
294. Le pourvoi, cette fois, ne porte que sur ce point. La Cour de cassation est donc invitée à contrôler l'appréciation de l'inconciliabilité faite en l'espèce par la cour d'appel. Après avoir précisé la notion (I), la Haute juridiction aboutit à une conclusion opposée à celle de la cour d'appel (II), ce qui justifie la cassation au visa de l'article 34, 3) du Règlement « Bruxelles I » : le jugement anglais qui, après avoir retenu qu'aucune somme n'était due par l'emprunteuse, a considéré qu'aucune créance n'avait pu valablement naître de l'engagement litigieux, est inconciliable avec le jugement français rejetant la demande en nullité de ce même engagement pour absence de cause. Ces deux étapes du raisonnement appellent quelques observations.
I - La notion d'inconciliabilité
305. Celle-ci fait l'objet depuis plusieurs décennies d'une définition autonome, que la Cour de cassation rappelle (A) avant de s'opposer à une interprétation plus restrictive (B).
A - Le rappel de l'interprétation autonome
316. Cette interprétation a été donnée par celle qui était encore la Cour de justice des Communautés européennes à propos de l'article 27, 3) de la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Comme le relève la Cour de cassation, cette disposition est identique à l'article 34, 3) du Règlement « Bruxelles I », applicable en la cause, comme du reste à l'article 45, 1), c) du Règlement « Bruxelles I bis ». Selon la logique de continuité interprétative qui prévaut en matière de dispositions équivalentes dans les textes successifs [11], la définition posée en 1988 continue donc de valoir. Dans l'arrêt Hoffmann c/ Krieg, la Cour de justice avait ainsi affirmé qu'« afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de [l'article 27, 3) de la Convention de Bruxelles], il convient de rechercher si les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement » [12]. Cette phrase, constamment réaffirmée par la suite [13], est reproduite au n° 11 de l'arrêt commenté avec une référence explicite à la décision Hoffmann c/ Krieg.
327. Il convient néanmoins de préciser que cette interprétation est spécifique au refus d'efficacité. Dans les textes européens, en effet, l'inconciliabilité apparaît également en matière de procédures concurrentes. Plus précisément, elle est utilisée afin de caractériser la connexité : « sont connexes [ ] les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » [14]. Selon la Cour de justice, la satisfaction de « l'objectif d'une bonne administration de la justice » doit conduire à interpréter la notion de connexité non seulement de manière autonome, là encore, mais également large, afin de « comprendre tous les cas où il existe un risque de contrariété de solutions, même si les décisions peuvent être exécutées séparément et si leurs conséquences juridiques ne s'excluent pas mutuellement » [15]. La distinction entre inconciliabilité en tant qu'élément de définition de la connexité et inconciliabilité en tant que motif de refus d'efficacité, tout comme le caractère plus restrictif de la seconde, ont été ultérieurement confirmés par la Cour [16]. Cette solution, au demeurant, apparaît « logique » puisque « les dispositions sur la connexité ont pour objectif une meilleure coordination de l'exercice de la fonction judiciaire à l'intérieur de la Communauté et doivent donc recevoir une interprétation extensive ; alors que [ ] les motifs de refus de reconnaissance [qui limitent] la libre circulation des jugements doivent être interprétés restrictivement » [17].
338. Au sens de l'article 34, 3) du Règlement « Bruxelles I », l'inconciliabilité doit donc être entendue plus strictement qu'en matière de connexité. La cour d'appel semble néanmoins avoir adopté une lecture encore plus restrictive de la notion, dont la Cour de cassation prend le contre-pied.
B - Le refus d'une acception plus restrictive
349. La cour d'appel ne s'est en effet pas limitée à reprendre la définition adoptée par la Cour de justice, mais a entrepris de l'expliciter. « Deux décisions sont inconciliables », poursuit-elle, « si elles sont incompatibles dans leur exécution, plus particulièrement si l'exécution de l'une exclut nécessairement celle de l'autre. En d'autres termes, deux décisions sont inconciliables quand elles ne sont pas susceptibles d'une exécution simultanée, une telle impossibilité procédant de leur dispositif » [18]. Par rapport à l'interprétation autonome, le glissement est double.
3510. Le premier tient à ce que la cour entend l'inconciliabilité comme une impossibilité d'exécution simultanée, ce qui va au-delà de l'incompatibilité des conséquences juridiques. Comme l'a relevé le premier commentateur de l'arrêt [19], le passage « deux décisions sont inconciliables quand elles ne sont pas susceptibles d'une exécution simultanée » est une formule doctrinale [20], mais isolée de son contexte. La fin du paragraphe dont le début est cité, en effet, ne trompe pas : « une telle inconciliabilité ne doit pas être conçue de manière trop absolue ni trop abstraite. La notion d'inconciliabilité doit s'étendre aux jugements dont les motifs seraient intellectuellement incompatibles » [21]. Les faits de l'arrêt Hoffmann c/ Krieg [22] permettent de saisir la différence entre les deux conceptions : un jugement condamnant l'un des époux à payer une pension à l'autre est-il incompatible avec un jugement prononçant leur divorce ? L'exécution simultanée des deux décisions est possible, néanmoins il serait absurde d'y procéder dès lors que cette pension correspond à une contribution aux charges du mariage, c'est-à-dire à une conséquence juridique exclusive d'un divorce.
3611. Cet exemple permet aussi d'illustrer la seconde liberté que prend la cour d'appel avec la définition européenne, car il souligne l'importance des raisonnements juridiques menés dans les jugements dans l'appréciation de l'éventuelle incompatibilité entre leurs effets juridiques respectifs. La raison d'être de la pension, c'est-à-dire l'obligation de contribuer aux charges du mariage tant que celui-ci perdure, peut n'apparaître que dans les motifs de la décision, or c'est bien cette obligation qui est radicalement incompatible avec la dissolution du lien matrimonial. En d'autres termes, envisager l'inconciliabilité uniquement sur la base des dispositifs des deux jugements en cause revient à se limiter à un examen partiel. Certes, cette approche est cohérente avec la conception française de l'autorité de chose jugée, qui ne s'attache qu'au dispositif [23], mais il en va différemment dans le cadre d'un règlement européen. Selon la Cour de justice, en effet, « la notion d'autorité de la chose jugée dans le droit de l'Union ne s'attache pas qu'au dispositif de la décision juridictionnelle en cause, mais s'étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et sont, de ce fait, indissociables de ce dernier » [24].
3712. Il n'est donc pas surprenant de retrouver, au cur du paragraphe qui clôt la partie intitulée « Réponse de la Cour » de l'arrêt commenté (n° 13), une réaffirmation de l'interprétation autonome. Implicitement, mais nécessairement, les variations avancées par la cour d'appel sont donc condamnées. Mais si la Haute juridiction choisit de mettre ainsi en avant le critère des conséquences juridiques mutuellement exclusives, c'est également parce que l'élaboration puis l'application par la cour d'appel d'une définition différente a très largement conditionné la suite de son raisonnement, jusqu'à lui faire encourir la censure. Il convient donc d'envisager à présent l'appréciation de l'inconciliabilité.
II - L'appréciation de l'inconciliabilité
3813. La jurisprudence laissant les juges du fond apprécier souverainement l'existence ou non d'une inconciliabilité ayant été abandonnée [25], il n'est pas surprenant que la Cour de cassation exerce ici son contrôle (A). Malgré l'éclairage ainsi apporté, la qualification demeure une entreprise délicate (B).
A - Le contrôle de la Cour de cassation
3914. De toute évidence, le jugement rendu le 19 novembre 2010 par la High Court de Londres [26] a exercé une grande séduction sur les magistrats provençaux. Après avoir, dans un premier temps [27], refusé ou peu s'en faut de contrôler la décision anglaise, ils se sont ralliés dans un second temps au raisonnement mené par leur homologue d'outre-manche, devant qui l'autorité de chose jugée de la décision niçoise avait été invoquée entre autres arguments.
4015. Le juge Behrens, sans affirmer en aucune manière que la reconnaissance de celle-ci devait être refusée au Royaume-Uni, a en effet conclu qu'elle ne constituait pas un obstacle à la poursuite de la procédure engagée devant lui [28]. Au terme d'un examen fondé exclusivement sur le dispositif du jugement français [29], il a considéré que seule avait été abordée dans ce cadre la question de l'existence de la cause des prêts litigieux et que « ceci [n'avait] aucun lien avec la décision sur le fait de savoir si une somme est exigible au titre de ce contrat ou plus généralement avec l'exécution du contrat » [30]. Ce point admis, le juge de la High Court est passé à la question de savoir si la société française, qui avait signé les reconnaissances de dettes, devait procéder au paiement, et, dans l'affirmative, pour quel montant. Cette fois, la réponse est négative, le juge s'estimant convaincu, « en balançant les probabilités » [31], de l'inexistence de la dette, l'apparence du contraire résultant d'un montage frauduleux autant que sophistiqué. Il précise enfin, obiter, qu'en toute hypothèse l'affirmation de l'inexistence de la dette par les représentants de la société anglaise empêcherait celle-ci, ou son liquidateur [32], de réclamer ultérieurement son paiement [33].
4116. On retrouve dans l'arrêt d'appel, comme le relève la Cour de cassation (pt 12), sinon le détail de la démarche, du moins cette distinction fondamentale qui a emporté la conviction des juges à Londres comme à Aix en Provence : « le procès français portait sur la validité de l'acte d'affectation hypothécaire, engagement réel soumis aux juridictions françaises, et a consacré le principe de l'existence des contrats de prêts en cause tandis que le procès anglais portait sur le principe de l'exigibilité de la créance et que le juge anglais s'est prononcé sur une demande de condamnation en paiement ». Pour la cour d'appel, les demandes relatives dans un cas à la phase de formation du contrat et dans l'autre à celle de l'exécution « n'avaient pas le même objet », ce qui impliquait que « les deux juridictions ne [s'étaient] pas prononcées sur les mêmes questions », et le spectre de l'inconciliabilité s'en trouvait écarté.
4217. La Cour de cassation n'est pas de cet avis. De même qu'elle avait ignoré les éléments de redéfinition avancés par la cour d'appel, elle écarte de son analyse toute considération de l'objet des demandes en cause, dont on ne peut donc que comprendre qu'elle n'est pas pertinente. S'il convient sans aucun doute d'approuver cette dimension de l'arrêt, on relèvera seulement, en guise d'élément à décharge pour la cour d'appel, que la Cour de cassation n'a pas toujours été si rigoureuse elle-même [34]. Quoi qu'il en soit, la Haute juridiction se borne à contraster les conséquences juridiques des deux décisions (pt 13) - rejet de la demande en nullité pour absence de cause des prêts litigieux dans un cas, affirmation de ce qu'aucune créance n'a pu valablement naître de ceux-ci dans l'autre - pour relever qu'elles s'excluent mutuellement. Elle évoque néanmoins également les prises de position contraires des deux juridictions relativement à l'existence de la dette que les prêts étaient supposés rembourser. Cette seconde opposition relève-t-elle, au même titre que la première, des conséquences juridiques des décisions ? Il est permis d'en douter, ce qui laisse percevoir les limites de la définition autonome.
B - Une opération de qualification délicate
4318. L'arrêt illustre, en définitive, les difficultés de l'opération de qualification qu'aucune définition autonome ne permet à elle seule de résorber complètement [35]. Au premier abord en effet, la distinction défendue tant par la High Court londonienne que par la cour d'appel aixoise entre validité des contrats de prêt et possibilité d'en obtenir l'exécution forcée, pouvait sembler convaincante. La distinction entre formation et exécution du contrat est non seulement parlante conceptuellement [36] mais également familière aux juristes, et il n'est pas besoin de chercher très avant pour trouver de nombreux hypothèses de paires de décisions parfaitement conciliables qu'elle inspirerait. Pour rester dans l'actualité, qui prétendrait par exemple qu'un jugement confirmant la validité d'un contrat est incompatible avec un autre considérant que le débiteur est empêché d'exécuter son obligation par un cas de force majeure ? Mais deux jugements portant sur l'exécution d'un contrat ne sont pas nécessairement incompatibles, par exemple si l'un condamne l'acheteur à payer le prix et l'autre le vendeur à verser des dommages-intérêts à raison d'un vice de conformité [37]. L'appréciation de l'existence ou non d'une inconciliabilité entre deux décisions nécessite donc, dans certains cas au moins, une analyse relativement minutieuse et poussée, et l'arrêt suggère deux directions prometteuses.
4419. La première tient à la nécessaire mobilisation des enseignements du droit comparé pour relativiser les divergences terminologiques. Il faut par exemple se garder d'associer trop étroitement la très générale enforceability anglaise avec la seule exécution du contrat au sens français, car un contrat peut être considéré comme unenforceable pour des raisons qui, du point de vue français, relèvent plutôt d'une appréciation de la validité [38]. À l'inverse, dans le droit français antérieur à la réforme de 2016, la cause d'un prêt consenti par un non-professionnel du crédit, contrat réel, était la remise de la chose prêtée, et celle d'une promesse de payer une dette préexistante, contrat unilatéral, la dette à acquitter [39]. Juger qu'une telle cause existait en l'espèce revenait donc, en réalité, à se prononcer sur l'existence de la dette préexistante, comme l'avait fait le juge anglais sans passer par le détour de la cause. La prise en compte de ces éléments de contexte juridique permet donc bel et bien de faire ressortir plus nettement tant la proximité entre les manières dont les jugements en cause ont appréhendé l'affaire, que l'opposition entre leurs conclusions.
4520. Cette observation incite à approfondir l'examen des raisonnements menés dans les jugements et, à ce titre, elle débouche naturellement sur une seconde préconisation : promouvoir une acception souple du critère des conséquences juridiques mutuellement exclusives. De même qu'il n'est pas opportun [40] de se limiter aux dispositifs des décisions, il faut se garder d'interpréter trop restrictivement l'expression de « conséquence juridique » comme celle d'« effet de droit » [41] qui lui est parfois assimilée. L'affirmation de l'existence ou non d'une dette préexistante n'est peut-être pas, au sens strict, l'une des conséquences d'une décision, mais elle constitue une étape déterminante dans le chemin qui a permis d'aboutir à celles-ci. À ce titre, elle apporte un éclairage indispensable sur la « compatibilité intellectuelle » [42] des motifs de cette décision avec ceux de l'autre qui est en cause.
Mots-clés éditeurs : Inconciliabilité avec une décision rendue dans l’État membre requis, Reconnaissance et exécution des décisions, CONFLIT DE JURIDICTIONS, 3), Inconciliabilité des décisions, Règlement « Bruxelles I », Article 34, Notion d’inconciliabilité, Conditions de régularité de la décision étrangère.
Date de mise en ligne : 16/04/2021
https://doi.org/10.3917/rcdip.211.0184Notes
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[1]
Civ. 1re, 7 janv. 1964, GAJFDIP, n° 41. V. not. Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen, D. 2007. 1115, note L. d'Avout et S. Bollée ; ibid. 891, chron. P. Chauvin ; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2007. 324 ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; et Civ. 1re, 30 janv. 2013, n° 11-10.588, Gazprombank, D. 2013. 371 ; ibid. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2293, obs. S. Bollée ; RTD com. 2013. 389, obs. P. Delebecque ; ibid. 2014. 459, obs. P. Delebecque. En droit commun, l'absence de contrariété à une décision française passée en force de chose jugée est généralement considérée comme l'une des hypothèses de conflit de procédures (v. not. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. I, 4e éd., 2017, nos 216 et s., p. 255 et s. ; P Mayer, V. Heuzé et B. Remy, Droit international privé, LGDJ, 12e éd., 2020, n° 467, p. 318), V. cep. B. Audit et L. d'Avout, Droit international privé, LGDJ, 8e éd., 2018, n° 572, p. 475-476, qui considèrent que cette exigence « [entre] sous le manteau de l'ordre public [de fond] ».
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[2]
Pour reprendre les termes de la disposition en cause en l'espèce, l'article 34, 3) du Règlement « Bruxelles I ».
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[3]
A. Dickinson et E. Lein (dir.), The Brussels I Regulation Recast, OUP, 2015, n° 13.341.
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[4]
Les faits de l'espèce sont relativement complexes, aussi apparaît-il indispensable de les simplifier, notamment en escamotant certaines parties. Il faut néanmoins garder à l'esprit que les textes européens pertinents exigent, lorsque l'inconciliabilité concerne une décision rendue dans l'État requis, que les deux décisions aient été prononcées « entre les mêmes parties » (v. supra n° 1), condition qui ne fait pas l'unanimité au sein de la doctrine, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 6e éd., 2018, n° 460. Sur ce point, v. aussi U. Magnus et P. Mankowski (dir.), European Commentaries on Private International Law, vol. 1, Brussels I bis Regulation, Verlag Dr. Otto Schmidt, 2016, V° « Article 45 », n° 70.
-
[5]
En raison du caractère accessoire de l'hypothèque, dont l'une des implications est que « la nullité de la créance entraîne l'extinction de l'hypothèque », v. L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, LGDJ, 14e éd., 2020, n° 383. Cela suffisait-il néanmoins à justifier la compétence d'un tribunal français pour connaître de la validité des contrats de prêt, étant entendu que ceux-ci contenaient des clauses attributives de compétence aux juridictions anglaises ? Nulle difficulté, en tout cas, s'agissant des hypothèques, qui sont des droits réels et à ce titre appréhendées par la compétence exclusive de l'article 22, 1) du règlement « Bruxelles I » (aujourd'hui article 24, 1) du règlement « Bruxelles I bis »), v. M.-É. Ancel, « Sûretés réelles en droit international privé », in Lamy - Droit des sûretés, étude n° 290-17.
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[6]
Sur le raisonnement mené sur ce point, v. infra n° 15.
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[7]
V. les art. 66 des Règlements « Bruxelles I » et « Bruxelles I bis ».
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[8]
Aix-en-Provence, 20 nov. 2014, n° 13/10523.
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[9]
Civ. 1re, 22 juin 2016, n° 15-13.837, D. 2017. 1011, obs. F. Jault-Seseke.
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[10]
Aix-en-Provence, 20 mars 2018, n° 16/12471.
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[11]
V. les considérants 19 du règlement « Bruxelles I » et 34 du règlement « Bruxelles I bis » ainsi que, sur ce point, H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 35.
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[12]
CJCE 4 févr. 1988, aff. C-145/86, pt 22.
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[13]
Not. dans l'arrêt CJCE 6 juin 2002, aff. C-80/00, Italian Leather, Rev. crit. DIP 2002. 704, note H. Muir Watt ; RTD com. 2002. 591, obs. A. Marmisse ; Gaz. Pal. 18 nov. 2003, p. 21, note M.-L. Niboyet ; JDI 2003. 671, obs. A. Huet. La Cour a considéré dans cet arrêt que, le texte ne distinguant pas, il devait pouvoir s'appliquer aux décisions en référé comme aux décisions statuant sur le fond (pt 41). Ultérieurement, la Cour de cassation est allée plus loin en refusant d'accorder l'exequatur à un jugement au fond étranger inconciliable avec une ordonnance de référé française, une solution diversement appréciée, v. Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 03-14.553, D. 2006. 1843 ; Rev. crit. DIP 2007. 164, note J.-P. Rémery ; RTD civ. 2007. 172, obs. P. Théry ; Procédures 2007, comm. 138, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2/2008. 111, obs. M.-L. Niboyet.
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[14]
Articles 22, al. 3, de la Convention de Bruxelles ; 28, § 3 du Règlement « Bruxelles I » ; 30, § 3 du Règlement « Bruxelles I bis ».
-
[15]
CJCE 6 déc. 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, D. 1995. 35 ; Rev. crit. DIP 1995. 588, note E. Tichadou.
-
[16]
V. le pt 23 de l'arrêt CJCE 13 juill. 2006, aff. C-539/03, Roche Nederland, D. 2007. 336, obs. J. Raynard ; Rev. crit. DIP 2006. 777, étude M. Wilderspin ; RTD eur. 2007. 679, obs. J. Schmidt-Szalewski ; Procédures 2006, comm. 189, obs. C. Nourissat ; Dr. et patr. 10/2007. 106, obs. D. Velardocchio : « La portée donnée par l'arrêt Tatry [ ] à la notion de décisions inconciliable dans le contexte de l'article 22 de la convention de Bruxelles est ainsi plus large que celle qui avait été donnée à cette même notion par l'arrêt du 4 février 1988, Hoffmann (145/86, Rec. p. 645, pt 22), dans le contexte de l'article 27, point 3, de ladite convention, qui prévoit qu'une décision rendue dans un État contractant n'est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis. Dans l'arrêt Hoffmann, précité, la Cour avait en effet jugé que, afin d'établir si deux décisions sont inconciliables au sens de cette dernière disposition, il convient de rechercher si les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement ».
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[17]
H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 371.
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[18]
Aix-en-Provence, 20 mars 2018, préc.
-
[19]
F. Mailhé, obs. préc.
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[20]
M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 7e éd., 2020, n° 819.
-
[21]
Ibid., en renvoyant à J. Marotte, L'incompatibilité des décisions de justice en droit judiciaire privé interne, européen et international, th. Paris X, 2001, et C. Debourg, Les contrariétés de décisions dans l'arbitrage international, LGDJ, 2011, préf. F.-X. Train.
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[22]
Préc.
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[23]
Sur cette solution qui s'est progressivement imposée dans le sillage du code de procédure civile de 1975, v. C. Bouty, Rép. proc. civ., V° « Chose jugée », 2018, nos 490 et s., qui synthétise notamment (n° 497) les réserves qui ont été formulées : « cette solution formaliste fait fi de l'unité intellectuelle du jugement, le dispositif étant la conséquence directe de l'analyse faite dans les motifs. En outre, il peut paraître arbitraire de faire varier l'étendue de ce qui est couvert par l'autorité de la chose jugée en fonction du mode de rédaction du dispositif. Certains magistrats sont très synthétiques dans leur manière de rédiger, se limitant, dans le dispositif, à l'énoncé de ce qui doit être exécuté, alors que d'autres récapitulent l'intégralité des constatations, déductions et qualifications opérées pour parvenir à la solution concrète. »
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[24]
V. not. le pt 40 de l'arrêt CJUE 15 nov. 2012, aff. C-456/11, Gothaer Allgemeine Versicherung, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2293, obs. L. d'Avout ; Rev. crit. DIP 2013. 686, note M. Nioche ; Europe 2013, comm. 57, obs. L. Idot ; Procédures, 2013, comm. 71, obs. C. Nourissat. Sur cette différence, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 400.
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[25]
Depuis Civ. 1re, 28 févr. 2006, n° 04-19.148, D. 2006. 1586, note N. Bouche ; Rev. crit. DIP 2006. 848, note M. Audit. Sur ce point, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 457, note 186.
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[26]
Maître François Boucard a très aimablement accepté de communiquer à l'auteur, par l'intermédiaire de Sophie Pellet, cette décision. Qu'ils en soient tous deux vivement remerciés.
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[27]
V. supra à propos de l'arrêt du 20 nov. 2014.
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[28]
V. les pts 27 à 30 du jugement.
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[29]
Ce qui constituait l'aboutissement logique d'une analyse menée à partir de la conception française de l'autorité de chose jugée. Mais ce point de départ est contestable dans le champ d'application d'un règlement européen, même s'agissant d'un jugement français et précisément le droit européen connaît une solution différente, v. supra n° 11.
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[30]
Pt 27, § 3 de l'arrêt, dans la traduction utilisée dans le cadre du contentieux de l'efficacité en France.
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[31]
Pt 37 de l'arrêt.
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[32]
Ou, plus précisément, le cessionnaire de la créance ou son liquidateur, v. supra.
-
[33]
Pts 38-40 de l'arrêt. Sur le mécanisme de l'estoppel by representation en droit anglais, v. E. Peel, Treitel on the Law of Contract, Sweet & Maxwell, 15e éd., 2020, n° 3-090 et 3-091.
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[34]
V. Civ. 1re, 17 janv. 2006, n° 03-14.483, JCP 2006, II 10052, note G. Martel ; Procédures 2006, comm. 212, obs. C. Nourissat : « ayant retenu, pas un arrêt motivé, que les litiges n'avaient pas le même objet et que les décisions ne comportaient pas des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ».
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[35]
V. not. U. Magnus et P. Mankowski (dir.), op. cit., n° 67, pour l'observation que « la marge d'appréciation du juge n'est pas totalement effacée » (traduction libre).
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[36]
À défaut néanmoins d'être toujours facile à tracer, v. O. Penin, La distinction de la formation et de l'exécution du contrat - Contribution à l'étude du contrat acte de prévision, LGDJ, 2012, préf. Y. Lequette.
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[37]
Sur cette illustration, v. A. Dickinson et E. Lein (dir.), op. cit., n° 13.352.
-
[38]
V. not. (p. 158 et s.) le septième chapitre de l'ouvrage de J. Cartwright, Contract Law - An Introduction to the English Law of Contract for the Civil Lawyer, Hart Publishing, 3e éd., 2016, intitulé « Vitiating Factors : Void, Voidable and Unenforceable Contracts ».
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[39]
V. F. Terré et al., Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2015, nos 413 et 415.
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[40]
Ni possible, bien entendu, en l'état du droit positif, v. supra n° 11.
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[41]
H. Gaudemet-Tallon et M.-É. Ancel, op. cit., n° 457.
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[42]
V. supra n° 10.