1Société Ceramiche Marca Corona c/ Société Bois et Matériaux
2La Cour : – Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu l’article 7.2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises ; Attendu qu’il résulte de ce texte que les questions concernant les matières régies par la Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé ;
3Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société de droit français Wolseley France bois et matériaux, devenue la société Bois & matériaux, a été condamnée à indemniser M. et Mme X du dommage résultant des défauts affectant le carrelage qu’elle leur avait vendu ; qu’elle a assigné en garantie son vendeur, la société de droit italien Ceramiche Marca Corona (la société Ceramiche), qui a opposé la prescription de l’action sur le fondement du droit italien ;
4Attendu que pour déclarer recevable l’action de la société Bois & matériaux, l’arrêt retient que, la Convention de Vienne étant seule applicable, seules les fins de non-recevoir qu’elle édicte peuvent être opposées par les parties ; Qu’en statuant ainsi, alors que la Convention de Vienne, si elle impose à l’acheteur un délai pour dénoncer un défaut de conformité, ne comporte aucune règle de prescription, la cour d’appel, qui ne s’est pas référée sur ce point à la loi désignée par les règles de conflit, a violé le texte susvisé ;
5Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief : – Casse et annule
6Du 2 novembre 2017 – Cour de cassation (Com.) – Pourvoi n° 14-22.114 – Mme Mouillard, prés. – M. Ricard, SCP Piwnica et Molinié, av.
7(1) 1. La prescription de l’action en justice intentée par l’acheteur contre le vendeur dans le cadre d’une vente internationale de marchandises régie par la Convention de Vienne de 1980 ne relève pas de cette dernière et doit être déterminée en vertu de la loi nationale applicable au contrat de vente. Tel est le principal enseignement de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 2 novembre 2016. La règle est bien connue. Elle est pourtant périodiquement rappelée par la Haute juridiction aux juges du fond. Elle l’a été à peine quelques mois plus tôt par un arrêt publié au Bulletin (Com. 21 juin 2016, n° 14-25.359, AJ Contrats 2016. 431, note D. Sindres). On se contentera par conséquent d’un bref commentaire.
82. En l’espèce, une société française condamnée à indemniser des acheteurs du dommage résultant des défauts affectant le carrelage qu’elle leur avait vendu a assigné en garantie son propre vendeur, une société italienne. Le défendeur italien a soulevé la prescription de l’action en vertu du droit italien. L’argument n’a pas été retenu par la Cour d’appel de Bordeaux qui considère que la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises étant applicable, seules les fins de non recevoir qu’elle édicte peuvent être opposées par les parties. La solution est, sans surprise, censurée par la Cour de cassation. Au visa de l’article 7 § 2 de la Convention de Vienne, la cour régulatrice rappelle que la convention de Vienne, si elle impose à l’acheteur un délai pour dénoncer un défaut de conformité, ne comporte aucune règle de prescription et que par conséquent la cour d’appel aurait du se référer sur ce point à la loi désignée par les règles de conflit de lois. Bien que le visa soit contestable, la solution ainsi rappelée (I) ne faisait aucun doute. En revanche, l’arrêt fournit l’occasion de revenir rapidement sur l’articulation des délais de prescription prévus par les droits nationaux et du délai de dénonciation résultant de la Convention de Vienne (II).
I – Inapplicabilité de la Convention de Vienne et soumission de la prescription à la lex contractus
93. Si la solution rappelée par la Cour de cassation relève d’une orthodoxie juridique parfaite, le visa de l’article 7 § 2 de la Convention de Vienne n’est pas le plus approprié. En effet, chacun sait que la convention de Vienne ne couvre pas toutes les questions susceptibles de se poser dans le cadre d’une vente internationale de marchandises. À ce titre, la doctrine distingue généralement les « lacunes externes » et les « lacunes internes ».
10Les lacunes dites externes couvrent les questions exclues du champ de la Convention, telles que, par exemple, la validité du contrat ou de l’une de ces clauses ou encore l’effet du contrat sur la propriété des marchandises. Ces questions doivent, très classiquement, être résolues par application de la méthode du conflit de lois. De façon plus originale, les lacunes dites internes, auxquelles fait référence l’article 7 § 2, concernent les questions qui, tout en entrant dans le champ d’application de la convention, ne sont pas clairement tranchées par elles. (On notera néanmoins que l’identification de ces lacunes internes est assez malaisée. La question est souvent tout simplement évitée. Lorsqu’elle est abordée, les auteurs sont souvent en désaccord. Ainsi, on s’interroge sur le point de savoir si le taux de l’intérêt, la charge de la preuve ou encore le lieu d’exécution des obligations de restitution consécutives à la résolution constituent bien des lacunes internes). Elles doivent, en vertu de ce texte, être réglées selon les principes généraux dont s’inspire la convention et, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles de droit international privé. Même si la délimitation de ces catégories n’est pas sans susciter des questions, comme le montre encore une fois l’arrêt commenté, la doctrine considère sans hésitations que la prescription, étant clairement exclue du champ de la convention, fait partie des lacunes externes (v. par ex., C. Witz, D. 2002. 2795 ; P. Schlechtriem et C. Witz, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Dalloz, 2008, n° 65 et 68 ; B. Audit, Rép. Dalloz, v° Vente, n° 80 ; D. Sindres, note préc. ; comp. C. Kessedjian, Droit du commerce international, PUF, 2013, n° 548 semble-t-il favorable à l’application de l’article 7 § 2 à l’ensemble des lacunes de la Convention : validité ; relations avec les tiers, prescription. Toutes ces lacunes sont qualifiées d’internes). Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que la question fait l’objet d’une autre convention internationale, préparée également sous l’égide de la CNUDCI, la Convention de New York de 1974 sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises complétée par un protocole de 1980. Néanmoins, cette convention ayant eu un succès plus faible (elle est en vigueur entre vingt-huit États), ce sont le plus souvent les droits nationaux désignés par les règles de conflit de lois qui vont s’appliquer. Le visa de l’article 7 § 2 n’est par conséquent pas très heureux. Pourtant, ce n’est pas la première fois que la jurisprudence française se réfère, à tort, à ce texte (v. par ex., Paris, 6 nov. 2001, D. 2002. 2795 ; Versailles, 13 oct. 2005, D. 2007. Pan. 534, obs. Witz). Les commentateurs ont déjà relevé que c’est l’article 4 qui aurait dû être visé. Mais dans l’arrêt sous commentaire, comme dans les arrêts précédents, le visa de l’article 7 § 2 est sans conséquence, aucune recherche d’un principe général n’étant évoquée. Les juges font directement appel à la loi applicable en vertu des règles de conflits de lois.
114. Telle est en effet la différence de traitement réservé aux lacunes internes et aux lacunes externes. Si pour les premières, il convient avant de recourir, le cas échéant, à la lex contractus, de rechercher une solution fondée sur les principes généraux dont s’inspire la convention, pour les secondes, une application directe de la loi désignée par les règles de droit international privé s’impose. Or, en dépit de ce visa inapproprié, c’est bien ce dernier raisonnement qui est suivi par l’arrêt du 2 novembre 2016. Bien que l’arrêt ne s’y réfère pas, c’est la Convention de La Haye de 1955 sur la loi applicable à la vente d’objets mobiliers corporels que la cour d’appel de Bordeaux aurait dû appliquer pour déterminer la loi nationale régissant la prescription. (La solution résulte de l’arrêt de la chambre commerciale du 21 juin 2016, préc. Elle est préférable à l’application du règlement Rome I, qui aurait éventuellement pu être soutenue en raison du silence de la Convention de La Haye sur la question de la prescription. L’application de la Convention de La Haye, lorsque la vente en relève, a néanmoins l’immense avantage d’assurer la soumission de la prescription à la lex contractus, conformément au but recherché. V. également en ce sens D. Sindres, note préc.). Et, en l’absence d’un choix de loi, ce texte désigne, en principe, la loi de la résidence habituelle du vendeur et donc en l’espèce la loi italienne. Comme le soutenait le défendeur, ce sont bien les règles italiennes sur la prescription de l’action de l’acheteur qui auraient dû s’appliquer en l’espèce. Cette affirmation fournit l’occasion de revenir sur l’articulation entre la prescription soumise à la lex contractus et la dénonciation régie par la Convention de Vienne.
II – Articulation de la prescription et de la dénonciation
125. On sait en effet que si la prescription est hors du champ d’application de la Convention de Vienne, celle-ci ne se désintéresse pas pour autant totalement de l’effet de l’écoulement du temps sur l’action de l’acheteur. Son article 39 prévoit un délai de dénonciation des défauts de conformité particulièrement rigoureux pour l’acheteur. En effet, en vertu de ce texte, l’acheteur doit dénoncer les défauts de conformité dans un délai raisonnable à partir du moment où il les a constatés ou aurait dû les constater et au plus tard dans un délai de deux ans à compter du moment où la marchandise lui a été effectivement remise. La difficile articulation des délais de prescription prévus par les lois nationales et du délai de dénonciation de l’article 39 a été maintes fois dénoncée. La difficulté la plus décriée concerne l’hypothèse où le défaut apparaît plus de deux ans après la livraison. La sévérité du délai butoir prévu par la Convention de Vienne qui dans cette hypothèse impose la déchéance du droit de l’acheteur sans qu’il n’ait « jamais été en mesure de l’exercer » a été regrettée par la doctrine qui s’est interrogée sur l’absence de mécanisme de suspension et sur l’opportunité du point de départ du délai (v. D. Sindres, note préc.).
136. Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté, la dénonciation a bien eu lieu plus de deux ans après la livraison. Mais ce n’est pas cet aspect de la question qui était au cœur de la décision des juges du fond. Au terme d’un raisonnement qui ne pouvait qu’être censuré, la Cour d’appel de Bordeaux estime que seules les fins de non recevoir édictées par la Convention de Vienne peuvent être opposées par les parties, à l’exclusion de celles prévues par les droits nationaux. Or, en l’espèce elle estime que par application de l’article 40 de la CVIM, le vendeur ne peut invoquer la déchéance de l’article 39 puisqu’il connaissait les défauts de conformité. Les délais de prescription prévus par les lois nationales ne jouant pas, l’action devenait, de facto, imprescriptible ! Le raisonnement était évidemment erroné. Mais si les juges du fond avaient appliqué, comme il se doit, le délai de prescription prévu par la loi italienne, la solution n’aurait pas été simple pour autant. À rebours de l’hypothèse dans laquelle la difficulté vient de la sévérité de l’article 39, l’arrêt permet d’entrevoir d’autres circonstances dans lesquelles ce sont les délais prévus par les droits nationaux et leur compatibilité avec la Convention de Vienne qui posent problème.
147. En effet, le droit italien prévoit un délai de prescription d’un an à compter de la livraison, soit un délai inférieur au délai de dénonciation de l’article 39 CVIM. Son application suscite de nombreuses questions qui sont connues pour avoir été soulevées à propos de délais identiques résultant d’autres législations. La question s’est en particulier posée récemment à propos du droit suisse et plus précisément de l’ancien article 210, alinéa 1er, du code des obligations suisse, qui prévoyait un délai de prescription d’un an « dès la livraison faite à l’acheteur, même si ce dernier n’a découvert les défauts que plus tard ; sauf le cas dans lequel le vendeur aurait promis sa garantie pour un délai plus long ». Sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris (Paris, 10 avr. 2015, n° 13/07672, D. 2017. 613, C. Witz et B. Köhler ; D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; JDI 2016. 127, note D. Porcheron) a jugé les règles suisses contraires à l’ordre public français et a donc refusé de les appliquer au cas qui lui était soumis. Faudrait-il raisonner de la même manière à propos du droit italien ? Peut-on considérer que ces règles sont contraires à l’ordre public international français ? Tout d’abord, rappelons que la décision de la cour d’appel de Paris a été critiquée pour deux raisons (v., C. Witz et B. Köhler, préc.). D’abord, parce que les juges n’ont pas tenu compte des adaptations opérées par la jurisprudence suisse qui n’appliquait pas le délai de l’article 210 alinéa 1 tel quel. Deuxièmement, en raison de l’angle sous lequel la question a été abordée, à savoir le point de départ du délai. En effet, comme cela a été relevé, le point de départ en lui-même ne peut être contraire à l’ordre public. Il est consacré non seulement par certaines dispositions du droit interne français (C. consom., art. L. 217-12 relatif à l’action en défaut de conformité du consommateur), mais par la Convention de Vienne elle même, ratifiée par la France (v. en ce sens Bordeaux, 30 avr. 2015, n° 12/06258, CISG France, n° 259 refusant de considérer que le point de départ du délai prévu par la loi italienne viole l’ordre public français). Ceci étant dit, il n’en reste pas moins vrai que ce délai est problématique en ce que son application pourrait conduire à priver un acheteur de son droit d’agir en justice alors qu’il a dénoncé les défauts de la marchandise conformément à l’article 39. En effet, l’action serait considérée prescrite avant l’expiration du délai de dénonciation de l’article 39 de la CVIM. Le Tribunal fédéral suisse, confronté à cette question, a d’ailleurs souligné que ce résultat enfreindrait le droit international public (Trib. fédéral suisse, 18 mai 2009, CISG-online 1900, sur cet arrêt, V. F. Mohs et P. Hachem, AJP 12/2009. 1541). Il semblerait par conséquent que dans de telles hypothèses une adaptation du droit national serait nécessaire.
158. Mais il faut bien comprendre que tout dépend des circonstances de l’affaire. Souvent la règle de l’article 39 suffira pour résoudre le litige et il sera inutile de se placer sur le terrain de la prescription. Par exemple, l’acheteur n’ayant pas respecté le délai raisonnable de l’article 39 sera déchu de son droit, sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur la prescription. Ou encore le défaut étant apparu plus de deux ans après la remise de la marchandise, le délai-butoir de l’article 39 imposera un rejet de la demande (pour une critique de ce délai qui parfois peut conduire à une déchéance du droit d’agir sans que l’acquéreur ait jamais été en position d’exercer son droit v. D. Sindres, note préc. ; sur la compatibilité de ce délai avec la Conv. EDH v. Com. 16 sept. 2008, D. 2009. 1568, note C. Witz). En revanche, si l’acheteur s’est conformé aux exigences de ce texte il ne faut pas que le droit national, prévoyant un délai de prescription bref, le prive du droit d’agir. C’est dans ce genre de situations que l’éventualité d’une violation de la Convention de Vienne pourrait surgir. Mais tel n’était pas le cas en l’espèce. Si, comme dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, l’article 40 fait obstacle à l’invocation du délai de dénonciation, l’article 39 ne joue plus. La Convention de Vienne se désintéresse alors de la question de l’effet de l’écoulement du temps sur l’action de l’acheteur. Cette question revient intégralement dans le giron du droit national désigné par la règle de conflit de lois. En l’absence de contradiction possible entre le droit national et la Convention de Vienne la seule question est de savoir si le délai de prescription prévu par la loi étrangère peut, en lui même, être considéré comme contraire à l’ordre public. Or, sur ce point, on sait que la jurisprudence française est très libérale. Quel que soit le domaine, elle juge avec constance que les délais de prescription plus brefs que ceux prévus par le droit français ne sont pas contraires à l’ordre public international (v. par ex. en matière de responsabilité délictuelle Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-18.932, JDI 1995. 122, obs. G. Légier v. également en matière de contrat de travail considérant que les règles sur la prescription ne font pas partie des règles impératives au sens de l’art. 6 de la Convention de Rome, Soc. 28 sept. 2016, n° 15-10.736 ; v. également Soc. 12 juill. 2010, n° 07-44.655, D. 2010. 1884 ; ibid. 2011, 1374, obs. F. Jault-Seseke ; Dr. soc. 2011. 102, obs. Marianne Keller ; JDI 2011. 600, note. V. Parisot mentionnant expressément que le délai de trois semaines prévu par la loi espagnole n’est pas contraire à l’ordre public). La seule limite qui résulte de cette jurisprudence est la privation du droit d’accès au juge. Et l’on sait qu’elle est appréciée avec souplesse. Il apparaît donc qu’en l’espèce ce sont bien les règles italiennes sur la prescription qui auraient dû s’appliquer sans que l’argument d’une éventuelle contrariété de ces dernières à l’ordre public puisse prospérer. Espérons que la cour d’appel de renvoi l’entende ainsi.
16Olivera Boskovic
17Professeur à l’Université Paris Descartes