D’ASPREMONT (Jean), Epistemic Forces in International Law, Foundational Doctrines and Techniques of International Legal Argumentaion, Elgar International Law, 2015, 263 pages.
1À qui appartient le savoir du droit international ? Depuis que Marti Koskiennemi a proposé une critique interne du droit international (v. compte tendu, Rev. crit. DIP 2007. 669) à partir de l’analyse de la pratique argumentative des juristes spécialisés (experts, professionnels, académiques), l’épistémologie est devenu un champ très fécond de la réflexion théorique et méthodologique en ce domaine. À cet égard, l’étude de Jean d’Aspremont mérite l’attention particulière des internationalistes-privatistes en raison de l’éclairage qu’elle peut apporter de ce champ voisin et de la rareté des entreprises du même ordre consacrées à la branche privée du droit international. Comme Koskiennemi, l’auteur définit le droit international en termes de pratique argumentative, articulée autour d’une série de cinq principes fondateurs (doctrine de l’État, théorie des sources, modes de production du droit international, organisations internationales et effectivité) et exprimée à travers de certaines techniques rhétoriques. La relation entre les principes fondateurs et la pratique discursive est double, en quelque sorte, car la thèse développée ici est que le discours module les principes autant qu’il est le fruit même de ces principes. Il s’agit alors d’examiner les choix méthodologiques à l’œuvre, afin de comprendre comment les interprètes de la discipline (le « collège invisible ») en viennent à en légitimer le contenu qu’ils lui impriment. Provocatrice (au sens de susceptible de susciter de nombreuses réflexions), cette idée a une portée potentiellement significative pour la construction doctrinale du droit international privé, qui mérite d’être explorée d’urgence !
2Horatia Muir Watt
GOTTWALD (Peter), HESS (Burkhard) (dir.), Procedural Justice, XIVe Congrès mondial de l’AIDP Heidelberg 2011, Gieseking, Veröffentlichungen der Wissenschaftlichen Vereinigung für Internationales Verfahrensrecht, t. 20, 2014, 721 pages.
3L’Association Internationale de Droit Processuel a tenu son 14e congrès mondial à Heidelberg en 2011. Le présent volume – très imposant par sa richesse extraordinaire – en reproduit les rapports généraux. Le thème général du congrès porte sur la Justice procédurale dans un monde globalisé et intéressera directement le spécialiste de droit international privé. Dans sa préface, le professeur Peter Gottwald explique qu’après des décennies de réformes nationales et de discussions comparatistes placées sous le signe de la recherche d’une meilleure efficience, il a paru particulièrement important de replacer la justice procédurale de nouveau au centre de l’attention. Depuis des décennies, on se demande comment traiter encore plus d’affaires, dans un temps toujours plus court, pour un moindre coût et de façon plus consensuelle qu’auparavant. Les organisateurs du congrès ont voulu marquer un temps d’arrêt dans cette évolution pour prendre du recul et examiner si les réformes ont réellement conduit à des résultats plus justes à la fois pour les parties, les autres personnes intéressées et la société dans son ensemble. Le contexte général dans lequel est abordée la problématique de la justice procédurale est celui de la mondialisation de l’économie et de la crise financière, ce qui a pour conséquence que les contributions sont consacrées non seulement aux différentes facettes de l’accès à la justice, par exemple sous l’angle du Private Law Enforcement, mais également à la recherche d’une meilleure coopération, par exemple, dans les procédures internationales d’insolvabilité. Les contributions sont écrites en anglais, français, allemand ou espagnol, selon les auteurs. L’ampleur de l’ouvrage est telle qu’il ne sera malheureusement pas possible de rendre compte de la grande richesse de toutes les contributions. Voici plus modestement une brève présentation de quelques-unes d’entre elles, en espérant donner au lecteur l’envie de découvrir dans son intégralité cet ouvrage tout à fait incontournable.
4Les professeurs Frédérique Ferrand et Roberto O. Berizonce ont rédigé un rapport général commun – très substantiel (128 pages) – sur le thème « Lois modèles et Traditions nationales », qui a été préparé sur la base de seize rapports nationaux (le rapport français a été établi par E. Jeuland). Après avoir défini précisément les termes du sujet, les deux auteurs se sont livrés à une étude des interactions que l’on peut observer entre les traditions nationales et les lois modèles. Ces interactions jouent dans les deux sens : il existe une influence des droits nationaux sur le contenu des lois modèles, tout comme il existe une influence des lois modèles sur la procédure civile nationale. C’est ce qui les amène finalement à s’interroger sur l’avenir du procès civil, en plaçant cette interrogation sous le titre « de la loi modèle à la modélisation du procès ». Ils montrent que trois facteurs sont à l’œuvre dans la modélisation du procès civil : l’attraction des droits fondamentaux de procédure, la mondialisation des échanges (concurrence et comparaison des systèmes juridiques) et les enjeux financiers auxquels les États doivent faire face. Les lois modèles constituent-elles un quatrième facteur de modélisation du procès civil ? Cette question reçoit dans le rapport une réponse nuancée, qui distingue entre les différentes lois modèles. De plus, si une tendance à la modélisation a pu être relevée pour certaines d’entre elles, son caractère est tout relatif. Elle ne saurait faire reculer les traditions nationales au point de les voir disparaître.
5Le professeur Burkhard Hess a rédigé un rapport général consacré à la coopération judiciaire (en allemand avec un résumé en anglais). Il présente la particularité méthodologique de ne pas reposer sur des rapports nationaux, mais de trouver ses origines dans les discussions que l’auteur a eues lors de son séjour au Georgetown University Law Center. Le point de départ du rapport est le constat que la vision traditionnelle de la coopération judiciaire est désormais dépassée. L’entraide judiciaire internationale était traditionnellement marquée par la souveraineté et la territorialité, ce qui avait conduit à des procédures lourdes et formalistes. Mais les choses ont profondément évolué au cours des deux dernières décennies. Le rapport examine précisément chacun des différents domaines de la coopération judiciaire sous l’angle de ses évolutions actuelles : les notifications/significations internationales, l’obtention des preuves, l’établissement du contenu de la loi étrangère, la coopération en matière familiale, les mesures provisoires et conservatoires et la coordination des procédures d’insolvabilité. Pour l’ensemble de ces domaines, il démontre que l’un des défis majeurs qui accompagnent cette évolution réside dans la protection des droits fondamentaux de procédure. En effet, la coopération judiciaire a considérablement gagné en efficacité grâce au développement d’instruments informels (réseaux judiciaires, communication directe entre juridictions, etc.), et il faut veiller à ce que les droits fondamentaux des parties soient pleinement garantis dans ce nouveau contexte. Dans le cadre de l’Union européenne, l’auteur estime que c’est précisément pour cette raison que nous avons aujourd’hui besoin d’un régime européen encadrant le développement de la communication judiciaire.
6Le rapport général sur « L’arbitrage : entre droit et équité » a été établi par le professeur Eric Loquin sur la base de quinze rapports nationaux. L’auteur montre tout d’abord comment le droit est au service de l’efficacité de l’arbitrage, que ce soit grâce au principe de la compétence-compétence, l’autonomie de la clause compromissoire ou encore l’indépendance de l’arbitre, par exemple. Il montre ici en même temps que le juge étatique peut fournir une assistance significative notamment pour la constitution du tribunal arbitral et le déroulement de la procédure arbitrale. Ensuite, le rapport examine dans quelle mesure l’arbitrage est au service de l’équité. La flexibilité des règles de procédure dans le cadre de l’arbitrage renforce l’équité procédurale puisque les principes généraux de procédure peuvent être adaptés aux particularités de chaque affaire. Quant au droit applicable au fond du litige, dans la mesure où il est déterminé sur la base de l’autonomie des parties ou sur le fondement du pouvoir d’appréciation de l’arbitre, il est possible de présumer, selon l’auteur, qu’il répond à des considérations d’équité substantielle, ce qui le conduit à conclure que « tous les chemins de l’arbitrage conduisent à l’équité ».
7On notera également les contributions très riches sur le thème des éléments du procès équitable dans le contentieux transnational ou encore sur celui des méthodes illicites d’obtention et de présentation des preuves.
8Sabine Corneloup
SAROLÉA (Sylvie) (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge, Université catholique de Louvain, Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen, 2014, 5 volumes.
9Bien que rédigée du point de vue du droit belge, cette excellente recherche collective dirigée par le professeur Sylvie Saroléa intéressera également le lecteur français en raison de son analyse experte du Système européen commun d’asile. La publication est le fruit d’un travail collectif de l’Équipe droits européens et migrations (EDEM) de l’Université catholique de Louvain qui a été cofinancé par le Fonds européen pour les réfugiés et l’UCL. Ses cinq volumes couvrent de façon chronologique tout le parcours du demandeur d’asile lorsque celui-ci s’adresse aux autorités en vue de bénéficier d’une protection. Le premier tome est consacré au règlement Dublin qui détermine la compétence des autorités nationales au sein de l’Union européenne (Emmanuelle Néraudau et Sylvie Saroléa). Le deuxième tome porte sur la directive Accueil qui définit la condition juridique du demandeur d’asile dans l’attente de l’examen de sa demande (Lilian Tsourdi et Sylvie Saroléa). La directive Procédures harmonisant le régime procédural applicable à l’examen de la demande d’asile fait l’objet du troisième tome (Sahra Datoussaid, Hélène Gribomont et Sylvie Saroléa). Suit un quatrième tome sur la directive Qualification qui pose les règles matérielles définissant les personnes protégées comme réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire (Luc Lebœuf et Sylvie Saroléa), et enfin un cinquième tome sur la directive Retour qui, dans l’hypothèse d’un refus de protection, pose le régime applicable à l’éloignement du demandeur d’asile débouté (Pierre d’Huart et Sylvie Saroléa). Les cinq volumes s’ouvrent sur une préface du professeur Jean-Yves Carlier qui fait le constat que, plus encore que d’autres pans du droit, le Système européen commun d’asile ne trouve son sens que dans sa mise en œuvre par la pratique administrative et, surtout, par le juge. À l’interrogation « faut-il craindre ce pouvoir des juges ? », il répond par la négative. Les craintes d’abus d’interprétation par le juge sont peu fondées à l’époque contemporaine parce qu’un ensemble de poids et de contrepoids conduisent à une certaine mesure. Tous les tomes composant la recherche débutent avec une même introduction générale qui présente à la fois le contexte européen et la recherche menée. De même, tous les tomes s’achèvent sur la même conclusion générale de Sylvie Saroléa qui met en avant la situation particulière de vulnérabilité dans laquelle se trouve le demandeur d’asile face à la souveraineté de l’État. Elle insiste sur la nécessité que la protection accordée soit concrète et effective à tous les stades du parcours du demandeur d’asile. La mise en œuvre d’une protection effective suppose que l’interprétation des droits soit centrée sur les principes qui fondent la matière : le principe du droit à l’accueil, le principe de l’exercice d’un contrôle effectif, le principe de la protection aux fins de sauvegarde des droits de l’homme, etc. C’est ce qui explique qu’ici également, l’importance particulière du rôle des juges est soulignée. En parallèle à cette étude, l’EDEM a élaboré un répertoire de jurisprudence européenne et nationale qui se présente comme un outil d’accompagnement de la présente publication (www.uclouvain.be/418491). Avec cet ensemble, les auteurs poursuivent l’objectif de mettre à la disposition des personnes intéressées un outil permettant d’appréhender l’ensemble du Système européen commun d’asile et sa réception en droit belge. Grâce à une approche pratique et pédagogique qui procure une vision synthétique de la matière, il constitue un outil particulièrement précieux qui vient combler de façon heureuse une lacune dans la littérature juridique francophone.
10Sabine Corneloup
SUPIOT Alain (dir), L’entreprise dans un monde sans frontières ; perspectives économiques et juridiques, Dalloz, coll. « Les Sens du droit », 2015, 344 pages.
11Cet ouvrage collectif explore de façon intéressante et disciplinairement ouverte l’incidence de la mondialisation (le terme « globalisation » est évité, alors qu’il s’agit pourtant bien de cela) sur l’entreprise. Il envisage tour à tour le cadre conceptuel de l’entreprise à travers divers aspects du droit des sociétés et du management, les évolutions des différentes branches du droit qui en constituent le régime juridique (social, fiscal, comptable, mais aussi l’arbitrage et le droit international), les transformations des rapports de pouvoir en son sein (notamment sous l’influence intellectuelle de la corporate governance et de la compliance) et enfin, ses contributions à la gouvernance publique en termes d’intérêt général (ou l’on trouve, notamment, la question de la responsabilité sociétale). Les lecteurs de cette Revue en prendront connaissance sans aucun doute avec beaucoup d’appétit, tant les thématiques sont riches. Il resterait cependant à en compléter le contenu avec une perspective de droit international privé, tant celui-ci a pu jouer un rôle significatif – généralement invisible mais fondateur pour autant – dans la mise en place de l’infrastructure de l’économie globale dans laquelle l’entreprise multinationale se meut et dont elle prend sa forme.
12Horatia Muir Watt