Couverture de RCDIP_152

Article de revue

I. – Nationalité. II. – Condition des étrangers

Pages 355 à 388

Notes

  • (1)
    Cons. const. 16 janv. 1962, n° 62-18 L, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 17e éd., n° 12 ; Cons. const. 30 juin 2011, n° 2011-142 QPC ; adde, art. 23-2 ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958 relative aux conditions de transmission des QPC.
  • (2)
    On pourrait éventuellement adapter la sanction textuelle de nullité en y lisant une inopposabilité (v. ainsi, Niboyet, Traité de droit international privé français, t. V, Sirey, 1948, n° 1557, p. 613). La seule manière d’objecter à l’application de l’article 3 de la loi de 1901 à l’association de droit étranger consisterait, selon nous, à exciper d’une loi française ayant un objet plus particulier et étant susceptible de produire un effet équivalent. Tel est éventuellement le cas de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, héritier lointain d’une loi de du 10 juin 1936 sur les groupes de combat et les milices privées, édictant des cas restreints de dissolution administrative, par décret, des groupements attentant gravement à l’ordre public.
  • (3)
    À lire le commentaire officiel de la décision du Conseil, il semblerait que la Convention de La Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, signée par la France, ait influé la rédaction. Ce texte, formulé en termes complexes, essaye de réconcilier les théories du siège et de l’incorporation en instituant une reconnaissance de plein droit de la personnalité juridique, sous condition de conformité à la loi en principe compétente (celle du siège statutaire).

1Conseil d’État - 30 décembre 2013 et 6 octobre 2014 n° 367533 et n° 381573

2Transfert d’office – Ressortissant d’un État tiers – Remise de l’étranger aux autorités de l’État membre l’ayant admis sur son territoire – Placement en rétention en vue de l’exécution de la décision – Assignation à résidence aux mêmes fins – Articulation entre les procédures du livre v du cja et la procédure contentieuse spéciale prévue par le iii de l’article l. 5121 du ceseda (intervention du juge des 72 heures) – Procédure ceseda exclusive des procédures prévues au livre v du cja – Irrecevabilité d’un référé-liberté présenté sur le fondement de l’article l. 521-2 du cja.

3Dans le cas où un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne est placé en rétention en vue de sa remise, en application de l’article L. 531-1 du CESEDA, aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu’il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l’article L. 5121 du même code, sur les conclusions dirigées contre la décision de placement en rétention et sur celles dirigées contre la décision aux fins de remise, notifiée à l’intéressé en même temps que la mesure de placement en rétention (1) (1re espèce).

4Cette procédure spéciale, qui présente des garanties au moins équivalentes à celles des procédures régies par le livre V du Code de justice administrative et qui correspond au souhait du législateur d’assurer, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’examen dans de brefs délais de la légalité de ces mesures par le juge administratif avant la saisine du juge judiciaire en cas de prolongation de la rétention administrative, est exclusive de celles prévues par ce même livre V, en particulier de la procédure de référé-liberté (2) (1re et 2e espèces).

5Il appartient à l’étranger qui entend contester une mesure de remise aux autorités d’un État mettant en œuvre le règlement n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, lorsque cette mesure de remise est accompagnée d’un placement en rétention administrative ou d’une mesure d’assignation à résidence, de saisir le juge administratif sur le fondement des dispositions du III de l’article L. 512-1 du CESEDA. Cette procédure particulière est exclusive de celles prévues par le livre V du Code de justice administrative, y compris lorsque l’étranger fait appel d’un jugement qui, dans le cadre de cette procédure, a rejeté sa demande (3) (2e espèce)

6(1re Espèce)

7Le Conseil d’État : – 1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 531-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui figure dans le livre V de ce code relatif aux mesures d’éloignement : « Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l’Union européenne » ; que le III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, l’intégration et à la nationalité, applicable en cas de décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence, prévoit que l’étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par lui l’annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification, ainsi que l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d’assignation ; que l’article R. 776-1 du Code de justice administrative énumère les décisions susceptibles d’être contestées selon les dispositions de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’en vertu de cet article, cette liste comprend les décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les précédentes, celles relatives au délai de départ volontaire, les interdictions de retour sur le territoire français, les décisions fixant le pays de renvoi, les arrêtés de reconduite à la frontière, les décisions de placement en rétention et d’assignation à résidence, ainsi que les autres mesures d’é-loignement prévues au livre V du code, y compris la décision par laquelle l’étranger non ressortissant de l’Union européenne est remis aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à séjourner sur son territoire, à l’exception des arrêtés d’expulsion, lorsqu’elles sont contestées dans le cadre d’une requête dirigée contre la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence ;

82. Considérant qu’il ressort des dispositions du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que le législateur a entendu organiser une procédure spéciale afin que le juge administratif statue rapidement sur la légalité des mesures relatives à l’éloignement des étrangers, hors la décision refusant le séjour et les mesures d’expulsion, lorsque ces derniers sont placés en rétention ou assignés à résidence ; que cette procédure est applicable quelle que soit la mesure d’éloignement, autre qu’un arrêté d’expulsion, en vue de l’exécution de laquelle le placement en rétention ou l’assignation à résidence ont été pris, y compris en l’absence de contestation de cette mesure ; qu’ainsi, dans le cas où un étranger est placé en rétention en vue de sa remise aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire en application de l’article L. 531-1, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu’il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l’article L. 512-1, sur les conclusions dirigées contre la décision de placement en rétention et sur celles dirigées contre la décision aux fins de réadmission, notifiée à l’intéressé en même temps que la mesure de placement en rétention ;

93. Considérant, d’une part, que l’introduction d’un recours sur le fondement du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a par elle-même pour effet de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement en vue de laquelle le placement de l’étranger en rétention administrative ou son assignation à résidence a été décidé ; que, saisi au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la notification de la décision de placement en rétention administrative ou d’assignation à résidence, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue se prononce dans des conditions d’urgence, et au plus tard en soixante-douze heures ; que, statuant dans ce cadre, il dispose d’un pouvoir d’annulation non seulement de la mesure d’éloignement mais également de la mesure de rétention ou d’assignation à résidence ; qu’il peut également connaître de conclusions à fin d’injonction présentées au titre des articles L. 911-1 et L. 911-2 du Code de justice administrative ; qu’en cas d’annulation de la mesure d’éloignement ou de la mesure de surveillance, l’étranger est immédiatement remis en liberté et se voit délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait statué sur son cas ; qu’il résulte des pouvoirs ainsi confiés au juge par les dispositions du III de l’article L. 512-1, des délais qui lui sont impartis pour se prononcer et des conditions de son intervention que la procédure spéciale prévue par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile présente des garanties au moins équivalentes à celles des procédures régies par le livre V du Code de justice administrative ;

104. Considérant, d’autre part, qu’ainsi qu’il a été dit au point 2, le législateur a entendu, dans le respect des règles de répartition des compétences entre les ordres de juridiction, que le juge administratif saisi sur le fondement du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile statue sur la légalité des mesures administratives relatives à l’éloignement des étrangers, avant la saisine du juge judiciaire en cas de prolongation de la rétention administrative en application de l’article L. 552-1 de ce code ; qu’en organisant ainsi le contentieux, le législateur a eu pour but d’assurer, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’examen dans de brefs délais de la légalité de ces mesures ;

115. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il appartient à l’étranger qui entend contester une mesure de remise aux autorités d’un État membre de l’Union européenne, accompagnée d’un placement en rétention administrative dont il est l’objet, de saisir le juge administratif sur le fondement des dispositions du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile d’une demande tendant à leur annulation, assortie le cas échéant de conclusions à fin d’injonction et que cette procédure particulière est exclusive de celles prévues par le livre V du Code de justice administrative ;

126. Considérant, par suite, que le juge des référés du tribunal administratif de Paris n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, par l’ordonnance attaquée, que M. A… n’était pas recevable à demander la suspension de la mesure de remise aux autorités hongroises et de la mesure de placement en rétention dont il avait fait l’objet sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ;

137. Considérant, en dernier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A… demandait, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, la suspension de l’exécution des mesures de placement en rétention administrative et de réadmission vers la Hongrie dont il faisait l’objet ; que, par suite, contrairement à ce qui est soutenu, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n’a pas dénaturé la portée des écritures dont il était saisi ;

148. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité du pourvoi en tant qu’il concerne la mesure de rétention, que M. A… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque ; que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;

15Décide : Article 1er : – Le pourvoi de M. A… est rejeté.

16Du 30 décembre 2013 – Conseil d’État (Sect. cont.) – n° 367533 – Mmes Roussel, rapp., von Coester, rapp. pub. – M. Spinosi, av.

17(2e Espèce)

18Le Conseil d’État : – 1. Considérant qu’aux termes du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « En cas de décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision dans les quarantehuit heures suivant sa notification. Lorsque l’étranger a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d’assignation. Toutefois, si l’étranger est assigné à résidence en application du même article L. 561-2, son recours en annulation peut porter directement sur l’obligation de quitter le territoire ainsi que, le cas échéant, sur la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français. Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 222-2-1 du Code de justice administrative statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine. (…) Il est également statué selon la procédure prévue au présent III sur le recours dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français par un étranger qui est l’objet en cours d’instance d’une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2. Le délai de soixante-douze heures pour statuer court à compter de la notification par l’administration au tribunal de la décision de placement en rétention ou d’assignation » ;

192. Considérant qu’il ressort des dispositions citées ci-dessus que le législateur a entendu organiser une procédure spéciale afin que le juge administratif statue rapidement sur la légalité des mesures relatives à l’éloignement des étrangers, hors la décision refusant le séjour et les mesures d’expulsion, lorsque ces derniers sont placés en rétention ou assignés à résidence ; que cette procédure est applicable quelle que soit la mesure d’éloignement, autre qu’un arrêté d’expulsion, en vue de l’exécution de laquelle le placement en rétention ou l’assignation à résidence ont été pris, y compris en l’absence de contestation de cette mesure ; qu’ainsi, dans le cas où un étranger est placé en rétention ou assigné à résidence en vue de sa remise aux autorités compétentes de l’État qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire en application de l’article L. 531-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il appartient au président du tribunal administratif ou au magistrat qu’il délègue de statuer, selon les dispositions du III de l’article L. 512-1, sur les conclusions dirigées contre la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence et sur celles dirigées contre la décision aux fins de réadmission, notifiée à l’intéressé en même temps que la mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence ;

203. Considérant que l’introduction d’un recours sur le fondement du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a par elle-même pour effet de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement en vue de laquelle le placement de l’étranger en rétention administrative ou son assignation à résidence a été décidé ; que, saisi au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la notification de la décision de placement en rétention administrative ou d’assignation à résidence, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue se prononce dans des conditions d’urgence, et au plus tard en soixante-douze heures ; que, statuant dans ce cadre, il dispose d’un pouvoir d’annulation non seulement de la mesure d’éloignement mais également de la mesure de rétention ou d’assignation à résidence ; qu’il peut également connaître de conclusions à fin d’injonction présentées au titre des articles L. 911-1 et L. 911-2 du Code de justice administrative ; qu’en cas d’annulation de la mesure d’éloignement ou de la mesure de surveillance, l’étranger est immédiatement remis en liberté et se voit délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait statué sur son cas ; qu’il résulte des pouvoirs ainsi confiés au juge par les dispositions du III de l’article L. 512-1, des délais qui lui sont impartis pour se prononcer et des conditions de son intervention que la procédure spéciale prévue par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile présente des garanties au moins équivalentes à celles des procédures régies par le livre V du Code de justice administrative ;

214. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il appartient à l’étranger qui entend contester une mesure de remise aux autorités d’un État mettant en œuvre le règlement du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, lorsque cette mesure de remise est accompagnée d’un placement en rétention administrative ou d’une mesure d’assignation à résidence, de saisir le juge administratif sur le fondement des dispositions du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile d’une demande tendant à leur annulation, assortie le cas échéant de conclusions à fin d’injonction ; que cette procédure particulière est exclusive de celles prévues par le livre V du Code de justice administrative, y compris lorsque l’étranger fait appel d’un jugement qui, dans le cadre de cette procédure, a rejeté sa demande ;

225. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B…, de nationalité kosovare, a fait l’objet le 14 novembre 2013 d’un arrêté de la préfète de la Loire ordonnant sa remise aux autorités suisses en vue de l’examen de sa demande d’asile ; que cette décision lui a été notifiée le jour où lui était également notifié l’arrêté du 4 décembre 2013 de la préfète de la Loire prononçant son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans l’attente de sa réadmission en Suisse ; que M. B… a fait appel devant la cour administrative d’appel de Lyon du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon, statuant dans le cadre des dispositions citées ci-dessus du III de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a rejeté sa demande d’annulation pour excès de pouvoir de ces deux arrêtés ; qu’après l’introduction de son appel, M. B… a demandé au juge des référés de cette cour, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 14 novembre 2013 ; que le ministre de l’Intérieur se pourvoit en cassation contre l’ordonnance par laquelle le juge des référés a décidé la suspension de l’exécution de cet arrêté ;

236. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la demande introduite par M. B… sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative n’était pas recevable ; que le ministre de l’Intérieur est ainsi fondé à soutenir que le juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ; que l’ordonnance attaquée doit être annulée ;

247. Considérant qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

258. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, M. B… n’est pas recevable à demander au juge des référés la suspension, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, de l’exécution de l’arrêté qu’il attaque ; que s’il demande, à titre subsidiaire, dans ses écritures devant le Conseil d’État, qu’il soit sursis à l’exécution du jugement du 21 janvier 2014 du tribunal administratif de Lyon en application des dispositions de l’article R. 811-17 du Code de justice administrative, il n’appartient pas au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, de prononcer le sursis à l’exécution d’un jugement de tribunal administratif ; que la demande de M. B… doit, par suite, être rejetée ;

269. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que, l’État n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, une somme soit mise à sa charge sur ce fondement ;

27Décide : – Article 1er : L’ordonnance du 3 juin 2014 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon est annulée.

28Article 2 : Les conclusions présentées par M. B… devant le Conseil d’État et le juge des référés de la cour administrative d’appel de Lyon sont rejetées.

29Du 6 octobre 2014 – Conseil d’État (2e et 7e Sous-sect. réun.) –n° 381.573 – Mme Marion, rapp., M. Dacosta, rapp. publ. – SCP Gaschignard, av.

30(1-3) Qu’est-ce qu’un « transfert d’office » au sens de l’article L. 531-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après CESEDA) ? Il s’agit indiscutablement d’une « mesure » dérogatoire dont bénéficie l’autorité administrative pour renvoyer, de manière plus rapide, les étrangers irréguliers provenant directement d’États de l’espace Schengen. Mais ce constat ne nous informe pas sur la qualification et, surtout, le régime juridique de cette « mesure ». Dans les espèces ici commentées, deux juridictions des référés, soumises à un état du droit incertain, ont tranché dans un sens opposé la question de savoir si une demande de sursis à exécution de droit commun était recevable à l’encontre d’une mesure de « transfert d’office ». Le Conseil d’État vient donc mettre de l’ordre. Ces arrêts devraient néanmoins inciter la doctrine à renouveler la réflexion sur la nature juridique du « transfert d’office ».

31Dans la première espèce (CE, sect., 30 déc. 2013, n° 367533, Bashardost), était en cause un étranger en situation irrégulière en France, assujetti à un « transfert d’office » à destination de la Hongrie, jugée responsable de son entrée et de son séjour irrégulier. Le recours à cette mesure n’avait ici rien de surprenant puisque la pratique préfectorale fait du « transfert d’office » l’instrument privilégié d’éloignement chaque fois que les conditions en sont réunies, reléguant ainsi le prononcé préalable d’une « obligation de quitter le territoire » au statut d’exception (cf. déjà circ. du 8 févr. 1994, invitant les préfets à se servir autant que possible de « la procédure plus souple »). L’article L. 531-1 (dans sa rédaction issue de L. n° 2011-672 du 16 juin 2011, successeur de l’art. 33 de l’ord. du 2 nov. 1945) offre la base juridique à cette pratique en prévoyant que « par dérogation [au droit commun du refoulement à la frontière et de l’éloignement] l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France [irrégulièrement] peut être remis aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l’Union européenne ».

32En l’espèce, l’autorité administrative française avait prononcé cette mesure, tout en l’assortissant d’une décision de placement en rétention administrative. L’intéressé déposa un recours en référé-liberté auprès du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, sur le fondement classique de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (ci-après CJA). Il espérait par-là faire ordonner la suspension de la mesure de « transfert d’office » ainsi que celle, accessoire, du placement en rétention. La condition d’urgence, posée à la fois par le référé-liberté et le référé-suspension, paraît aisée à satisfaire, la mesure de « transfert d’office » n’étant soumise, pour son exécution, à aucun délai, le risque est que l’autorité administrative l’exécute « d’office » c’est-à-dire sans délai, comme le lui permet apparemment l’article L. 531-1 alinéa 3 du CESEDA. Quant aux autres conditions de fond du référé administratif, celles-ci ne sont pas impossibles à satisfaire puisqu’il s’agit de justifier soit d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (référé-liberté), soit d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision (référé-suspension).

33Pourtant, en l’espèce, le juge des référés estima que cette demande de référé ordinaire était irrecevable. La question soulevée par le pourvoi fut alors de savoir si la mesure de « transfert d’office » assortie d’un placement en rétention administrative devait être sujette au recours administratif de droit commun, comprenant la possibilité d’un référé-liberté ou, au contraire, au régime contentieux tout à fait spécifique des articles L. 512-1 et suivants du CESEDA applicable aux mesures d’éloignement telles que les « obligations de quitter le territoire ». Dans l’arrêt du 30 décembre 2013, le Conseil d’État confirme la position du juge des référés de Paris étendant le caractère exclusif de la procédure spéciale de l’article L. 512-1 aux arrêtés de « transfert d’office », et refuse ainsi le recours au référé de droit commun.

34Dans la seconde espèce (CE, 2e et 7e SSR, 6 oct. 2014, n° 381573), les faits étaient similaires, à ceci près que la personne, de nationalité kosovare, avait déposé en France une demande d’asile. Actionnant l’Accord – que nous qualifierions volontiers d’accord de réadmission – du 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération helvétique relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile, l’autorité administrative française prononça une mesure de « transfert d’office » de l’étranger à destination de la Suisse, État jugé responsable. Dans l’attente de sa réadmission par la Suisse, l’intéressé ne fit pas l’objet d’un placement en rétention administrative mais d’un arrêté d’assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Tout en contestant devant la Cour administrative d’appel de Lyon le jugement par lequel le tribunal administratif, statuant dans le cadre des dispositions du III de l’article L. 512-1 du CESEDA, avait rejeté sa demande d’annulation des deux arrêtés (de « transfert d’office » et d’assignation à résidence), l’étranger obtint du juge des référés de cette cour, sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA, la suspension de l’exécution de l’arrêt de « transfert d’office ». C’est cette décision du juge du provisoire que la Conseil d’État annule, au motif que l’étranger n’était pas justiciable du droit commun. Le Conseil d’État, renforçant donc sa jurisprudence, affirme le caractère exclusif de la procédure spéciale de recours contentieux prévue aux dispositions de l’article L. 512-1 du CESEDA pour l’étranger demandeur d’asile assigné à résidence.

35Ces deux arrêts pourraient laisser à penser qu’en fin de compte la Haute juridiction décide que le « transfert d’office » sera soumis à deux régimes juridiques différents, selon que l’étranger aura été placé ou non en rétention (ou bien, assigné ou non à résidence). C’est alors qu’on s’interroge sur la qualification de la mesure de « transfert d’office », car un régime juridique est en principe lié à une qualification. La dualité de régimes pour une même institution, selon qu’il y a eu placement ou non, pourrait surprendre. La difficulté s’accroît lorsque l’on observe que doctrine et praticiens se portent à démultiplier le vocabulaire : « transfert d’office », « remise » ou « remise directe Schengen », « réadmission »… tout cela est censé désigner ladite « mesure ». Curieuse multiplication des concepts et des régimes ! Y aurait-il donc quelque hésitation sur la nature juridique de la « remise directe » (I) ? Le processus d’éloignement résulte d’une succession de décisions et d’actes, ayant chacun sa place et son encadrement juridique. Il conviendrait donc de « situer » au sein de ce processus, empreint d’une juridicité parfois méconnue, la « mesure » de « transfert d’office ». L’enjeu est important puisqu’il en va, comme le montrent les deux arrêts, de la pertinence du régime juridique choisi (II) et, spécialement, des droits procéduraux reconnus aux étrangers intéressés.

I. – La nature de la mesure de « remise »

36Les ambiguïtés entourant la « remise Schengen » peuvent s’expliquer par l’histoire. Il semble que le droit français n’ait jamais véritablement assimilé la lecture de la Convention d’application de l’Accord de Schengen (A), alors que la compréhension de la logique de cette convention suppose d’être au clair sur les différentes étapes de toute procédure d’éloignement (B), clarté qui paraît encore faire défaut au droit français.

A. – La convention d’application de l’accord de Schengen, origine européenne de la mesure de « remise »

37En raison de la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes entre les États participants de l’espace Schengen, à partir de 1995, « les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué » [cf. art. 2 Convention (du 19 juin 1990) d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes]. Il ne doit théoriquement plus y avoir de non-admissions d’étrangers prononcées aux frontières intra-européennes par les agents des services de contrôle. C’est dans ce contexte que le Gouvernement de l’époque a été amené à considérer qu’il fallait instaurer de nouvelles procédures d’éloignement (cf. circ. du 17 mars 1995, BO int. n° 95/1), ces dernières étant supposées devoir être nécessairement expéditives, dans un espace de libre circulation : « Cette souplesse est justifiée par les progrès de la construction européenne » soulignait la circulaire du 8 février 1994, il serait « paradoxal que l’allègement, voire la suppression des formalités et contrôles à l’entrée en France en provenance d’un État membre ne s’accompagne pas de la simplification des procédures de sortie forcée du territoire vers un État membre ». L’ancien article 33 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 a donc été adopté « en application de la Convention de Schengen ».

38Il ne semble pas qu’on se soit véritablement interrogé sur la pertinence de ces considérations. Or, le texte de la Convention de Schengen impliquait-il réellement l’instauration d’une procédure expéditive de « remise directe » des étrangers entre États Schengen ? Pour le savoir, il faut revenir au contenu de l’article pertinent de la Convention en la matière, l’article 23. Il disait ceci : « 1. L’étranger qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de court séjour applicables sur le territoire de l’une des Parties contractantes doit en principe quitter sans délai les territoires des Parties contractantes. 2. L’étranger qui dispose d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité délivrés par une autre Partie contractante, doit se rendre sans délai sur le territoire de cette Partie contractante. 3. Lorsque le départ volontaire d’un tel étranger n’est pas effectué ou lorsqu’il peut être présumé que ce départ n’aura pas lieu ou si le départ immédiat de l’étranger s’impose pour des motifs relevant de la sécurité nationale ou de l’ordre public, l’étranger doit être éloigné du territoire de la Partie contractante sur lequel il a été appréhendé, dans les conditions prévues par le droit national de cette Partie contractante. Si l’application de ce droit ne permet pas l’éloignement, la Partie contractante concernée peut admettre l’intéressé au séjour sur son territoire. 4. L’éloignement peut être réalisé du territoire de cet État vers le pays d’origine de cette personne ou tout autre État dans lequel son admission est possible, notamment en application des dispositions pertinentes des accords de réadmission conclus par les Parties contractantes. 5. Les dispositions du paragraphe 4 ne font pas obstacle aux dispositions nationales relatives au droit d’asile ni à l’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu’amendée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967 ni aux dispositions du paragraphe 2 du présent article et de l’article 33, paragraphe 1, de la présente Convention ».

39On remarque que ce texte est applicable à toute situation irrégulière et qu’aucune disposition ne comporte la prétendue exigence européenne d’instaurer des procédures expéditives d’éloignement entre États Schengen. Au contraire même, la Convention ne prévoit que l’obligation, pour l’étranger en situation irrégulière, de quitter le territoire (cf. § 1er) ainsi que, le cas échéant, l’éloignement forcé « dans les conditions prévues par le droit national de la Partie contractante » (cf. § 3). Aucune modification particulière de ce droit n’est envisagée. La procédure spécifique de « remise » n’est donc absolument pas requise par les engagements européens, ni par la Convention de Schengen, ni, d’ailleurs, par la directive « retour » qui en a pris le relais (sur celle-ci, cf. K. Parrot et C. Santulli, La directive « retour », l’Union européenne contre les étrangers, Rev. crit. DIP 2009. 205).

40Encore faut-il, pour s’en convaincre davantage, dépasser la simple lecture de la Convention de Schengen et s’interroger, plus avant, sur la nécessité technique, ou non, en droit positif français d’une telle mesure expéditive. Il faut pour cela clarifier les étapes de toute procédure d’éloignement. On ne saurait, en effet, répondre à la question de la qualification de la mesure de « remise », déterminant sa place dans le processus d’éloignement, sans être d’abord au clair avec les grandes étapes du déroulement de l’éloignement d’un étranger.

B. – Rappel des étapes de toute procédure d’éloignement

41Tout processus d’éloignement débute par la considération que l’étranger est en situation irrégulière, c’est-à-dire qu’il est dépourvu du droit à demeurer sur le territoire, autrement dit qu’il doit quitter le territoire. C’est ce qu’on pourrait appeler l’obligation de quitter le territoire, étape préalable indispensable à tout processus d’éloignement (1) (cf. La situation irrégulière de l’étranger en droit comparé français et allemand, th. Paris I, 2000, dir. P. Lagarde, multigr., spéc. p. 458 s. ; v. aussi : Qu’est-ce qu’une obligation de quitter le territoire ?, D. 2011. 1922).

42Si l’étranger, tenu de quitter le territoire, ne le fait pas spontanément, l’administration prend alors à son encontre une mesure d’éloignement, que le droit peut qualifier de décision de reconduite à la frontière. Aucun éloignement ne saurait être mis en œuvre sans cette prise de décision administrative (2).

43Mais pour faciliter la réalisation concrète de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, la France a conclu des accords de réadmission avec les États d’origine ou de provenance, afin que ceux-ci acceptent le rapatriement de leurs ressortissants ou des étrangers en provenance de leur territoire et coopèrent davantage à la réalisation de la reconduite. C’est ce que la pratique internationale appelle la réadmission (cf. Les accords de réadmission, une approche comparée franco-allemande, Rev. crit. DIP 2003. 239-270). Et il est vrai qu’en pratique, l’effectivité de l’éloignement dépend largement de la coopération et des moyens mis en œuvre par les États de retour (3).

44Sur le plan juridique, nous constatons donc qu’il y a trois moments du processus d’éloignement : obligation, reconduite, réadmission. Réadmission ne doit pas être confondue avec mesure d’éloignement ; obligation de quitter le territoire et mesure d’éloignement sont également bien distinctes (et l’on ne peut que regretter la confusion en droit français, formalisée depuis la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, entre « obligation de quitter le territoire » et mesure d’éloignement ; cf. CESEDA, art. L. 511-1). Quelles que soient donc les appellations, ces trois moments juridiques sont à différencier. Et c’est dans ce contexte qu’il revenait au Conseil d’État de se poser la question de la nature juridique de la « remise » afin de lui désigner un régime juridique applicable. La mesure de « remise directe » prévue à l’article L. 531-1 du CESEDA est-elle donc une décision posant une obligation de quitter le territoire, une décision édictant un ordre d’éloignement ou une mesure visant à faciliter la réadmission ?

1. La « remise directe » n’est pas une obligation de quitter le territoire

45La décision d’exécution forcée d’une obligation ne saurait précéder la naissance de l’obligation elle-même. Il est évident que la décision de « remise » ne crée pas l’obligation pour l’étranger de quitter le territoire. Cette obligation est nécessairement, antérieure au moment où la « remise » est décidée. Il faut donc que l’étranger soit d’ores et déjà en situation irrégulière pour que puisse être prononcée sa « remise » à l’État Schengen jugé responsable. Or, contrairement à la lecture française qui en a été faite, l’article 23 de la Convention de Schengen prévoyait de nouvelles hypothèses d’obligation de quitter le territoire et non de nouveaux cas de mesures d’éloignement. Nulle nécessité donc de créer, à l’époque, la nouvelle procédure de « remise ».

2. La « remise directe » n’est pas non plus une réadmission

46L’utilisation trop fréquente en pratique du terme de « réadmission » pour désigner la mesure de « remise directe » est impropre et porte à confusion. On peut regretter que le Conseil d’État, lui-même, se laisse aller parfois à cet usage rencontré ailleurs en jurisprudence (v. considérant 2 de l’arrêt du 30 déc. 2013). Il est pourtant clair que la « réadmission » désigne une institution bien particulière, contre laquelle il est vain, en principe, d’espérer exercer un quelconque recours dans l’État éloignant (cf. note sous Civ. 1re, 6 févr. 2008, Qu’est-ce que la réadmission d’un étranger ?, Rev. crit. DIP 2008. 819, spéc. 823 s.). Par nature, la réadmission est une acceptation de rapatriement, c’est-à-dire une décision de l’État de retour de l’étranger, non pas de l’État éloignant. En l’occurrence, seule la Hongrie était susceptible de réadmettre l’étranger, de prendre des mesures facilitant la réadmission. La France ne peut que prononcer l’éloignement et solliciter la réadmission de l’étranger par la Hongrie. Lorsque l’article L. 531-1 du CESEDA précise que la « remise » ne pourra avoir lieu qu’« en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l’Union européenne », il indique que la mesure ne pourra être effective que si les États européens s’accordent entre eux à rapatrier les étrangers qui, depuis leur territoire, ont émigré vers les autres États Schengen. On appelle accords de réadmission les conventions internationales conclues à cet effet. Celles-ci n’engagent que les États entre eux et échappent, par là-même, au recours des particuliers. La question interétatique de la réadmission est donc nécessairement postérieure à la décision de « remise », et par conséquent bien distincte.

3. La « remise directe » est une mesure d’éloignement (reconduite à la frontière)

47Il ne fait guère de doute : la procédure de « remise » n’est autre qu’une décision d’éloignement. Elle n’est qu’un type de reconduite, spécifique à la circulation intra-européenne. Aux arguments de fond avancés précédemment, s’ajoute une indication formelle : l’article L. 531-1 du CESEDA instituant la procédure de « remise directe » est inséré au Titre III du Livre V du Code intitulé Autres mesures administratives d’éloignement.

48Au regard de cette qualification « mesure d’éloignement », ne conviendrait-il pas, tout simplement, de soumettre la « remise » au régime contentieux propre à cette catégorie ? C’est ici qu’intervient la question de la portée de ces deux arrêts du Conseil d’État.

II. – Le régime applicable à la mesure de « remise »

49Les arrêts tranchent indiscutablement en faveur de l’application du régime des articles L. 512-1 et suivants du CESEDA, c’est-à-dire du régime applicable par principe aux mesures d’éloignement que sont les « obligations de quitter le territoire » (A). Mais leur portée est incertaine car ils indiquent : lorsqu’il aura été placé en rétention administrative ou assigné à résidence, l’étranger faisant l’objet d’une « remise Schengen » sera soumis au régime contentieux des articles L. 512-1 et suivants du CESEDA (B).

A. – L’application de la procédure des articles L. 512-1 et suivants du CESEDA

50Le Conseil d’État s’appuie sur l’article R. 776-1 du CJA qui énumère les décisions susceptibles d’être contestées par application des dispositions des articles L. 512-1 et suivants. Le texte réglementaire n’envisage pas moins de huit catégories de décisions : les « obligations de quitter le territoire » et les décisions qui leurs sont accessoires (décisions relatives au séjour, à la fixation d’un délai de départ volontaire, à l’interdiction de retour, au pays de renvoi), mais aussi les arrêtés de reconduite à la frontière au sens de l’article L. 533-1 du CESEDA ainsi que les décisions de placement en rétention et d’assignation à résidence. La « remise Schengen » ne figure pas dans cette liste, mais le texte ajoute dans un alinéa complémentaire : « Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions tendant à l’annulation d’une autre mesure d’éloignement prévue au livre V du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à l’exception des arrêtés d’expulsion, présentées dans le cadre d’une requête dirigée contre la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence prise au titre de cette mesure ». C’est dire que, si l’étranger se trouve placé en rétention administrative (au sens des art. L. 551-1 s. du CESEDA) ou assigné à résidence (art. L. 561-1 s.), les mesures d’éloignement du Livre V du CESEDA seront rattachées à la procédure spécialement applicable, celle régissant le recours contre « l’obligation de quitter le territoire ».

51Le Conseil d’État considère indiscutablement que la « remise directe » fait partie desdites « mesures d’éloignement prévues au Livre V ». Il vient ainsi lever le doute. Retranscrivant ce dernier alinéa, l’arrêt du 30 décembre 2013 prend le soin d’ajouter au texte : « y compris la décision par laquelle l’étranger non ressortissant de l’Union européenne est remis aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à séjourner sur son territoire (…) lorsqu’elles sont contestées dans le cadre d’une requête dirigée contre la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence ».

52A priori, il apparaît que peu d’autres mesures d’éloignement évoquées dans le Titre V soient susceptibles d’être visées par cet alinéa complémentaire de l’article R. 776-1 du CJA. De fait, l’expulsion (art. L. 521-1 s.) est expressément exclue par le texte, tout comme les mesures propres à la Guyane (art. L. 532-1). Au contraire, la « reconduite à la frontière d’office » de l’article L. 533-1 échappe au doute puisqu’elle est expressément incluse. L’ambiguïté ne pouvait exister que pour la « remise Schengen » (art. L. 531-1 et -2) et les deux « reconduites à la frontière d’office » de l’article L. 531-3, mesures expéditives d’un étranger « signalé aux fins de non-admission Schengen » (al. 1er) ou faisant déjà l’objet d’une décision d’éloignement de la part d’un État Schengen (al. 2).

53Allant plus loin, on peut même estimer que l’article R. 776-1 du CJA vise plutôt ces deux dernières mesures, car celles-ci ont un effet d’éloignement hors de l’Europe. La « remise » au contraire, laisse l’étranger sur le sol européen. Elle n’éloigne donc pas véritablement l’étranger hors du territoire… européen. Sa qualification (impropre mais usitée) de « réadmission » conduisait à penser que la « remise » ne faisait pas partie des mesures d’éloignement. Les deux arrêts du Conseil d’État ici commentés, à rebours de cette idée, s’avèrent donc particulièrement importants : ils précisent, au contraire, que le recours formé à l’encontre d’une « remise Schengen » mérite d’être soumis, comme les autres mesures d’éloignement, au régime contentieux spécial des articles L. 512-1 et suivants… dans le cas où l’étranger est placé en rétention (ou assigné à résidence).

54Quelle est donc la portée de ces décisions ? Le Conseil d’État s’est-il interdit d’aller plus loin ? Ne faut-il pas considérer que le recours contre la mesure de « remise Schengen » est désormais invariablement régi par la procédure des articles L. 512-1 et suivants, à l’instar des « obligations de quitter le territoire » ?

B. – Une harmonisation restreinte à l’hypothèse du placement en rétention ou d’assignation à résidence de l’étranger ?

1. Une solution opportune

55La solution énoncée par la Conseil d’État dans ces deux arrêts paraît judicieuse, pour ne pas dire incontournable. De fait, les raisons qui portent à appliquer une procédure rapide en cas de rétention administrative ou d’assignation à résidence d’un étranger ne sauraient varier selon la procédure d’éloignement utilisée. Il est logique que tous étrangers en France placés en rétention administrative soient soumis au même régime. La mesure de placement prime – en quelque sorte « écrase » – la procédure d’éloignement. Et, le législateur ayant voulu, dans cette hypothèse, concentrer en un recours unique toutes les contestations relatives à l’éloignement (cf. CESEDA, art. L. 512-1 s.), il n’est pas incohérent de soumettre la contestation de la « remise Schengen » au « juge des 72 heures », c’est-à-dire à la procédure contentieuse spéciale également applicable aux « obligations de quitter le territoire ».

56En pratique, les décisions d’éloignement forcé sont souvent assorties de mesures de contrainte, que la destination de reconduite soit un État tiers ou un État Schengen. La solution du Conseil d’État conduit donc, pour une large partie, à l’unification en France de la procédure de recours contre les mesures d’éloignement. Mais si la solution se limite aux situations de placement en rétention ou d’assignation à résidence, l’unification ne demeurera que partielle. Le Conseil d’État pouvait-il aller plus loin, ira-t-il plus loin, en étendant l’ensemble du régime contentieux des « obligations de quitter le territoire » à tous les types de mesures de reconduite à la frontière ?

2. Une solution méritant d’être généralisée

57Pourquoi, dans ces arrêts, le Conseil d’État ne soumet-il la « remise » au régime contentieux des « obligations de quitter le territoire » que dans l’hypothèse où l’étranger a été placé en rétention administrative ou assigné à résidence ? C’est que, d’une part, les affaires soumises concernaient des « remises » accompagnées d’un placement en rétention administrative ou d’une mesure d’assignation à résidence. La Haute juridiction est donc restée dans le champ de la saisine. D’autre part, l’article R. 776-1 du CJA offrait un fondement solide à la solution précisément dans cette hypothèse, de même que la contrainte imposée par respect des règles de répartition des compétences entre ordres de juridiction, puisque l’intervention du juge judiciaire au-delà des quarante-huit heures laissées au juge administratif pour statuer sur la légalité des mesures administratives relatives à l’éloignement suppose un mécanisme procédural spécifique (cf. considérant 4 de l’arrêt du 30 déc. 2013).

58Il ne faudrait pas penser, en revanche, que les particularités des situations de rétention administrative ou d’assignation à résidence, impliquent inévitablement de limiter l’unité de la procédure contentieuse à ces seules situations. Qu’est-ce qui empêcherait, en effet, d’aller au-delà et d’unifier le régime contentieux de toutes les mesures d’éloignement (hormis l’expulsion [art. L. 521-1 s.]) qui est une mesure d’ordre public nécessitant une procédure administrative spécifique et « l’interdiction du territoire français » prononcée judiciairement, art. L. 541-1 s.) ? Nous savons que la spécificité de la procédure applicable à la remise pourrait être une simple erreur de l’histoire (cf. supra I, A). Qu’est-ce qui justifierait donc, après cette récente jurisprudence, que l’on continue, hors rétention administrative ou assignation à résidence, à faire régir le contentieux de la « remise Schengen » par le recours pour excès de pouvoir inapplicable aux « obligations de quitter le territoire » ?

59Concrètement, l’une des différences entre les deux régimes est que, dans le cadre de la « remise », l’intéressé doit saisir le juge des référés pour en suspendre l’exécution d’office, tandis que l’étranger qui fait l’objet d’une « obligation de quitter le territoire sans délai » dispose d’un délai de quarante-huit heures, imposé par l’effectivité du recours qui peut être intenté auprès du président du tribunal administratif aux fins d’annulation de la décision d’éloignement (CESEDA, art. L. 512-1, II). La procédure s’avérant rapide dans les deux cas, on peut se demander ce qui peut bien encore motiver une telle différence de régime contentieux.

60Au fond, la seule différence concerne le pays de destination. « L’obligation de quitter le territoire » éloigne l’étranger hors de l’espace Schengen, tandis que la « remise » renvoie l’intéressé vers un autre État de cet espace. Néanmoins, dans les deux cas, nous avons un étranger en situation irrégulière en France, éloigné du territoire français. On dira, peut-être, que la « remise » fonctionne grâce à la spécificité d’accords de réadmission entre États européens. Mais là encore, cela ne saurait convaincre. Nous savons que de tels accords existent également entre la France et les États tiers. Etre éloigné vers un pays européen n’est-il pas être pleinement éloigné de France ? Doit-on considérer, en quelque sorte, que l’Europe est encore un peu la France ? Finalement, la « remise directe » n’est-elle qu’une « mesure d’ordre intérieur », intérieure à l’espace Schengen ?

61Nous ne pouvons suivre cette approche, pour deux raisons au moins. D’une part, le CESEDA ne prévoit l’éloignement que sur le fondement de la législation française (ou européenne assimilée). Tant que la préfecture ne pourra pas éloigner un étranger vers un pays tiers sur le motif qu’il est en situation irrégulière en Hongrie, on ne pourra pas considérer que l’espace Schengen est unifié juridiquement. D’autre part, les mesures d’ordre intérieur, par hypothèse, ne sont pas susceptibles de recours. C’est même précisément ce qui en fait la spécificité (cf. note préc. sous Civ. 1re, 6 févr. 2008 ; v. déjà CE 22 févr. 1918, Cochet d’Hattecourt, note M. Hauriou, S. 1921. 3. 9 ; re-publication : Les circulaires ministérielles sont des mesures d’ordre intérieur qui ne font pas partie de la légalité au point de vue des tiers, Rev. gén. dr. online 2014, n° 14.844). Or ici, le Conseil d’État admet un recours contre les « remises » : peut-être recours pour excès de pouvoir de droit commun si l’étranger n’est pas placé en rétention (ou assigné à résidence) ; certainement recours spécial de l’article L. 512-1 si l’étranger est placé en rétention (ou assigné à résidence).

62Faut-il alors voir dans la « remise Schengen » une mesure sui generis : ni mesure d’éloignement, ni mesure d’ordre intérieur ? Rien ne semble justifier ici la création d’une notion sui generis au sein du régime procédural de l’éloignement dès lors que la « remise directe » est, tout simplement, une mesure d’éloignement, une reconduite. D’ailleurs, si le renvoi d’un étranger vers un État Schengen n’était pas une mesure d’éloignement comme les autres, pourquoi offrirait-on le choix à l’autorité administrative de décider, à l’encontre d’un même étranger, entre une « remise » et une « obligation de quitter le territoire ». Le Conseil d’État n’a-t-il pas jugé récemment (CE avis, 18 déc. 2013, n° 371994, AJDA 2014. 10 ; Dr. adm. 2014, n° 3, comm. 21, note Ch.-E. Minet) que, « lorsque l’autorité administrative envisage une mesure d’éloignement, (…) elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l’État membre de l’Union européenne ou de [l’État Schengen] d’où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l’obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l’article L. 511-1 ». Et d’ajouter d’ailleurs que « ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l’Administration engage l’une de ces procédures alors qu’elle avait préalablement engagé l’autre ». Toutefois, il y a lieu de réserver l’hypothèse où c’est l’étranger lui-même qui demande son éloignement intra-Schengen ainsi que le cas de l’étranger demandeur d’asile, hypothèse rencontrée dans la seconde espèce ici commentée. Dans cette dernière situation, « la mesure d’éloignement en vue de remettre l’intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l’examen de sa demande d’asile ne peut être qu’une décision de réadmission [remise directe] prise sur le fondement de l’article L. 531-1 » (v. déjà en ce sens, CAA Douai, 13 août 2012, M. Omoruyi, n° 12DA00214, AJDA 2012. 2061).

63Ce qui caractérise une mesure d’éloignement, c’est l’effet concret et personnel sur l’étranger, et non le mot que le législateur colle à la mesure, ni même le régime juridique qu’on assigne au recours contentieux. Il est difficile d’admettre qu’un étranger forcé manu militari de quitter le territoire français, après y avoir séjourné, ne soit pas l’objet d’une mesure d’éloignement, au prétexte que le pays de destination ne serait que, par exemple, la Hongrie… qui, notons-le, ne manquera pas d’ailleurs, à son tour, de prolonger la mesure française par un éloignement à destination, cette fois, d’un État tiers.

64Enfin, pourquoi s’obstiner à maintenir une dualité de régime, source inutile de complexité, entre « l’obligation de quitter le territoire » et la « remise directe » ? Cette dualité se justifie d’autant moins après les arrêts commentés, habités par le souci d’uniformiser le régime dans l’hypothèse où l’étranger est placé en rétention administrative ou assigné à résidence.

65Les effets distincts du recours suspensif (pour l’« obligation de quitter le territoire ») et du sursis à exécution (pour la « remise directe ») le justifient-ils ? Il semble que, dans la logique de l’arrêt Gebremedhin (CEDH 26 avr. 2007, n° 25389/05, D. 2007. 2780, note J.-P. Marguénaud ; JDI 2008. 834, note M. Eudes) le minimum de garantie à apporter à l’étranger, au regard de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, exige un caractère suspensif automatique, même lorsqu’il n’est pas demandeur d’asile (contra CE, référé, 6 mars 2008, Dociev, n° 313915, AJDA 2009. 102, note Le Bot).

66Que dire de l’argument tiré de la rapidité, réputée exceptionnelle, de la procédure de « remise », comparée à la relative lenteur de l’« obligation de quitter le territoire » ? La différence majeure entre procédure d’éloignement et procédure de « remise » (faisant obstacle à l’application des dispositions des articles L. 512-1 s. du CESEDA relative au recours) serait l’absence de délai de départ volontaire dans le cas d’une « remise ». Sur ce point, on peut cependant avoir quelques doutes.

67Certes, le Conseil d’État a jugé que l’octroi d’un délai de départ volontaire, prévu en principe par la directive « retour » du 16 décembre 2008 en son article 7 (cf. aussi considérant 10 de la directive), « ne s’appliqu[ait] qu’au retour d’un ressortissant d’un pays tiers vers un pays n’appartenant pas à l’Union européenne et ne concern[ait] donc [sic] pas les procédures de réadmission d’un ressortissant d’un pays appartenant à l’Union vers un autre État de celle-ci » (CE 27 juin 2011, n° 350207 et 350208, deux espèces), cette position étant fondée sur l’affirmation « qu’il résulte clairement de la directive [« retour »] que ses dispositions, et notamment celles qui sont relatives au délai de départ volontaire, ne s’appliquent qu’au retour d’un ressortissant d’un pays tiers vers un pays n’appartenant pas à l’Union européenne (UE) et ne concernent donc [sic] pas les procédures de réadmission d’un ressortissant d’un pays appartenant à l’UE vers un autre État de celle-ci ». Mais cette jurisprudence est discutable. D’une part, le Conseil évoque le « ressortissant d’un pays appartenant à l’UE » alors que, dans les deux affaires en question, il s’agissait de ressortissants tunisiens. D’autre part, si le Conseil d’État a voulu dire que la directive « retour » est inapplicable aux « remises », il consacre là un incroyable tour de passe-passe : Après que le gouvernement eut justifié en 1995 (cf. supra, I, A) la nécessité d’instaurer la procédure de « remise » par l’entrée en vigueur de la convention d’application de Schengen et spécialement de son article 23, le Conseil d’État déclare maintenant, par une stricte application de la directive « retour », que les garanties prévues par le droit européen sont inapplicables à la « remise » ! La directive « retour » n’énonce-t-elle pas pourtant (cf. son art. 21) qu’elle « remplace les dispositions des articles 23 et 24 de la convention d’application de l’accord de Schengen » ?

68Il ressort de tout cela qu’il serait préférable que le Conseil d’État considère l’exigence d’un délai de départ volontaire comme une garantie européenne de portée générale, quelle que soit la mesure d’éloignement visée, y compris la mesure de « remise ». La dualité de procédure contentieuse ne se justifie donc pas davantage sous cet angle.

69De plus, l’actuel projet gouvernemental pourrait vider davantage encore de sa pertinence cette dualité de régime (Projet de loi relatif au droit des étrangers en France, INTX1412529L, art. 14, II ; cf. également l’Étude d’impact, 22 juill. 2014, n° 3.3.2.2, p. 74). La disposition sans doute la plus significative du projet vise à réduire le délai de recours pour l’étranger frappé d’une « obligation de quitter le territoire », en le faisant passer, dans la plupart des cas, de trente à sept jours, tout en raccourcissant également le délai pour statuer de trois mois à trente jours (cf. spéc. projet de nouvel art. L. 512-1, I du CESEDA). Si tel devait être le nouvel état du droit français, on comprendrait encore moins que soit maintenue la dualité de régimes juridiques entre « obligation de quitter le territoire » et « remise ».

70En conclusion, on concèdera que demeure l’idée abstraite d’une différence fondamentale entre éloignement intra-européen et extra-européen. Mais celle-ci ne semble pas justifier une différence de recours contentieux. Tant qu’existeront des frontières en Europe, à travers lesquelles pourront être transférés des étrangers en situation irrégulière en vertu du droit national de chaque État membre, nous ne voyons guère de raison légitime d’écarter la procédure mise en place par le CESEDA pour les mesures d’éloignement quelles qu’elles soient… « obligation de quitter le territoire », « remise », « reconduites à la frontière »… Il faut donc souhaiter que le Conseil d’État poursuive le chemin engagé dans les arrêts ici commentés et abandonne ce qui reste de la dualité de régime contentieux. Reconnaître pleinement cette unité contribuerait – et ce ne serait pas là son moindre avantage – à l’œuvre de simplification du droit.

71Paul Klötgen

72Cour européenne des droits de l’homme (5e sect.), 10 juillet 2014 (3 arrêts, 1 décision d’irrecevabilité)

73Regroupement familial – Enfant du requérant – Acte de naissance étranger – Authenticité contestée – Refus de visa – Article 8 Convention edh – Violation

74État civil – Mineur – Détermination de l’âge – Acte de naissance étranger – Authenticité contestée – Examen buccal – Refus de visa en vue d’un regroupement familial – Article 8 Convention edh – Violation

75Communiqué de presse du greffier de la Cour CEDH 211 (2014)

76Procédure de regroupement familial : souplesse, célérité et effectivité sont requises

77La Cour européenne des droits de l’homme rend ce jour trois arrêts et une décision dans des affaires concernant les difficultés rencontrées par des réfugiés ou des résidents en France à obtenir la délivrance de visas pour leurs enfants se trouvant à l’étranger afin de réaliser le regroupement familial.

78Dans ses arrêts de chambre [devenus définitifs le 10 oct. 2014], rendus dans les affaires Mugenzi c/ France (n° 52701/09), Tanda-Muzinga c/ France (n° 2260/10) et Senigo Longue et autres c/ France (n° 19113/09), la Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :

79Violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.

80La Cour dit en particulier que la procédure d’examen des demandes de regroupement familial doit comporter un certain nombre de qualités, eu égard au statut de réfugié des requérants d’une part, et à l’intérêt supérieur des enfants d’autre part, afin que soit garanti le respect de leurs intérêts protégés par l’article 8 de la Convention (exigences procédurales).

81Dans sa décision sur la recevabilité dans l’affaire Ly c/ France (n° 23851/10), la Cour déclare la requête irrecevable car manifestement mal fondée, estimant que le processus décisionnel dans son ensemble a permis au requérant d’exercer un rôle suffisant pour faire valoir la défense de ses intérêts.

82Principaux faits

83Mugenzi c/ France et Tanda-Muzinga c/ France : – Le requérant dans la première affaire, Japhet Mugenzi, est un ressortissant rwandais né en 1950 et résidant à Rouen (France). Le requérant dans la seconde affaire, Deo Tanda-Muzinga, est un ressortissant congolais né en 1970 et résidant à Vénissieux (France).

84Les requérants obtinrent le statut de réfugié et présentèrent une demande de regroupement familial respectivement en mars 2003 et juin 2007 pour pouvoir vivre avec leurs enfants qui se trouvaient respectivement au Kenya et au Cameroun. Bien qu’une reconnaissance de principe du regroupement familial leur ait été accordée, ils se virent opposer le refus des autorités consulaires quant à la délivrance de visas pour leurs enfants en raison de difficultés à établir l’état civil de ces derniers.

85Ce refus fut opposé à M. Mugenzi le 31 août 2005. La procédure de regroupement familial ne concernant que les enfants de moins de dix-neuf ans, l’Ambassade de France à Nairobi fit effectuer un examen médical sur ses fils – consistant apparemment en un examen de la cavité buccale – en vue de déterminer leur âge. À l’issue de cet examen, les autorités consulaires conclurent à une discordance entre l’âge physiologique et l’âge mentionné sur les actes de naissance des enfants, motif du refus de délivrance des visas. M. Mugenzi saisit la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France (« la commission de recours ») et fit valoir notamment que les actes d’état civils produits à l’appui des demandes de visas étaient ceux présentés à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) lors de sa demande d’asile, et les seuls qu’il avait pu emporter lors de sa fuite, et que ses fils risquaient d’être persécutés en cas de retour au Rwanda. Alors que la commission rendit un avis favorable en février 2007, la délivrance des visas fut de nouveau refusée au même motif. Après avoir demandé l’annulation de cette décision devant le Conseil d’État en avril 2007, soulignant notamment que l’un de ses fils souffrait de problèmes de santé suite aux traumatismes vécus au Rwanda, M. Mugenzi saisit cette juridiction d’une requête en référé-suspension en janvier 2008, répétant que ses enfants étaient isolés et que son fils Lambert souffrait de séquelles psychologiques importantes. Le 5 février 2008, le juge des référés considéra que la « condition d’urgence » n’était pas satisfaite car les deux enfants étaient majeurs ou près de le devenir. Il indiqua que la requête au fond serait jugée rapidement. Le 23 mars 2009, le Conseil d’État débouta le requérant.

86Quant à M. Tanda-Muzinga, n’ayant aucune nouvelle suite à sa demande de visas, il forma contre la décision implicite de rejet des autorités consulaires un recours auquel la commission de recours ne répondit pas. En juin 2008, il introduisit un référé suspension devant le Conseil d’État, et c’est à cette occasion qu’il eut connaissance de la mise en cause des actes de naissance de ses enfants Benjamin et Michelle par le ministre de l’Immigration. Le requérant avait entre-temps reçu un courrier l’informant que l’OFPRA avait certifié sa situation de famille auprès des services des visas. Suivant une suggestion qu’aurait faite le rapporteur public à l’audience tenue par le Conseil d’État sur le fond de l’affaire, la femme du requérant saisit le tribunal de grande instance de Yaoundé pour obtenir une rectification judiciaire de l’acte de naissance de leur fille Michelle. Débouté par le Conseil d’État en juillet 2009, qui précisa que le caractère frauduleux d’au moins un des documents produits était de nature à ce que soit refusé l’ensemble des visas sollicités, le requérant présenta une seconde demande de regroupement familial, qui fut rejetée sans motivation en avril 2010. Il saisit la commission de recours qui ne lui répondit pas. Postérieurement à la communication de la requête au gouvernement français par la Cour européenne des droits de l’homme, le 21 septembre 2010, M. Tanda-Muzinga obtint du juge des référés une ordonnance par laquelle celui-ci décida que la « condition d’urgence » était satisfaite, au regard de la durée de la séparation de la famille et demanda un nouvel examen de sa demande. Le 19 novembre 2010, l’avocat du HCR Cameroun fit parvenir le jugement reconstituant l’acte de naissance de Michelle – l’acte de naissance de Benjamin avait pu être authentifié après de nouvelles vérifications en 2010 – et les autorités consulaires délivrèrent les visas un mois plus tard.

87Senigo Longue et autres c/ France : – Les requérants dans la troisième affaire sont Teclaire Senigo Longue (épouse Rivet), René Mboum et Léopoldine Tahagnam Bissa, ressortissants camerounais nés respectivement en 1967, 1990, et 1995. Mme Longue réside régulièrement en France depuis octobre 2005 en qualité de conjoint de Français. Elle a obtenu la nationalité française en novembre 2010.

88En mai 2007, elle présenta une demande de regroupement familial afin que ses deux enfants restés au Cameroun puissent la rejoindre en France. Dans ce cadre, les actes de naissance des enfants furent reconstitués, Mme Senigo Longue disant les avoir perdus. Bien qu’acceptée dans son principe, sa demande fut ensuite refusée en juin 2008 par les autorités consulaires au motif que les actes de naissance de ses enfants n’étaient pas authentiques. Mme Senigo Longue forma un recours contre cette décision auprès de la commission de recours, qui ne répondit pas. Elle introduisit alors sans succès une action en référé et un recours en annulation de la décision consulaire. En décembre 2008, elle retourna au Cameroun et effectua des vérifications ADN qui confirmèrent sa maternité à 99,99 % pour chacun des enfants. Le Conseil d’État débouta Mme Senigo Longue au motif que la filiation n’était pas établie car les actes présentés étaient des faux. Après la communication par la Cour européenne des droits de l’homme de la requête au gouvernement français, des visas furent délivrés à ses enfants le 12 juillet 2010.

89Ly c/ France : – Le requérant, M. Adama Ly, est un ressortissant mauritanien né en 1978 et qui réside à Cergy-le-Haut. Titulaire d’une carte de résident en France, il déposa le 16 décembre 2005 une demande de regroupement familial au bénéfice de sa fille alléguée, M. Le requérant produisit une copie de l’acte de naissance de l’enfant indiquant qu’elle était née le 25 mai 1998 à Teyarett (Mauritanie). Il devait faire parvenir l’original de l’acte de naissance pour authentification à l’ambassade de France en Mauritanie. Le 26 juillet 2007, il fut informé que l’ambassade refusait de délivrer le visa, au motif que l’acte de naissance présenté n’était pas authentique. La commission de recours débouta le requérant, en raison d’un « manque de vraisemblance entre les deux certificats de naissance » fournis et car il n’était pas « établi [qu’il ait] contribué à l’éducation de M., scolarisée en Mauritanie, ni à son entretien depuis sa naissance ».

90Dans un courrier du 25 septembre 2009 au Conseil d’État, le requérant expliqua que la date de naissance de sa fille telle qu’inscrite sur l’acte de naissance fourni à l’appui de sa demande de regroupement familial contenait une erreur puisque sa fille n’était pas née le 25 mai 1998 mais le 25 octobre 1998. Il concéda qu’il existait un problème d’authenticité, qui n’était selon lui pas de son fait. Dans un second courrier du 23 novembre 2009 adressé au Conseil d’État, M. Ly expliqua qu’il s’était rendu en Mauritanie et que les autorités de la commune de Teyarett avaient indiqué avoir commis une erreur. Il produisit un nouvel acte portant la date du 25 octobre 1998 comme date de naissance de sa fille. Par un arrêt du 24 novembre 2010, le Conseil d’État rejeta la demande du requérant en raison des contradictions entachant les premiers documents fournis, dont l’inauthenticité n’était pas selon lui rectifiée par les pièces produites ultérieurement.

91Griefs, procédure et composition de la Cour

92L’ensemble des requérants, invoquant en particulier l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), allèguent que le refus des autorités consulaires de délivrer des visas à leurs enfants en vue de réaliser le regroupement familial a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale.

93Les requêtes ont été introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme respectivement pour les affaires Mugenzi, Tanda-Muzinga, Senigo Longue et Ly les 24 septembre 2009, 29 décembre 2009, 9 avril 2009 et 22 avril 2010.

94Du 10 juillet 2014 – Cour européenne des droits de l’homme (5e sect.) –n° 52701/09, 2260/10, 19113/09 et 23851/10 – M Villiger, prés., Mmes Nuϐberger, Power-Forde, Jäderblom, MM. Zupančič, de Gaetano, Potocki, juges.

95(1-2) La Cour européenne des droits de l’homme poursuit son précieux travail d’élaboration progressive d’un cadre juridique, afin de restreindre la marge d’appréciation des États sur le terrain de la preuve des faits allégués par un étranger qui sollicite un titre d’entrée et de séjour sur le territoire d’un État contractant. En France, la crainte omniprésente des fraudes a fini par conduire, au cours des dernières années, à une mise en doute systématique des éléments allégués par les étrangers, qu’il s’agisse de l’âge d’un mineur, des persécutions subies par un demandeur d’asile ou encore du lien de filiation ou de mariage résultant d’un acte d’état civil établi à l’étranger. La contestation de la véracité des faits est devenue une attitude de principe des autorités françaises, plaçant le plus souvent l’étranger dans l’impossibilité de bénéficier des droits pourtant garantis par le droit français, tels que la protection des mineurs étrangers, le droit au regroupement familial, la protection des réfugiés, etc. Or, les autorités françaises apportent rarement la preuve de l’absence d’authenticité des documents produits par l’étranger ; le plus souvent, elles se contentent d’affirmer que ce dernier n’a pas établi ce qu’il allègue. On ne s’étonne donc guère que plusieurs des condamnations récentes prononcées par la Cour concernent la France (v. sur le terrain de la preuve des persécutions subies par un demandeur d’asile, CEDH 19 sept. 2013, R. J. c/ France, n° 10466/11 ; CEDH 10 oct. 2013, K. K. c/ France, n° 18913/11, D. 2014. 456, obs. S. C. ; CEDH 15 janv. 2015, A. A. c/ France, n° 18039/11 et A. F. c/ France, n° 80086/13 ; les tribunaux français commencent à en tirer les conséquences : par ex., CAA Lyon, 29 janv. 2015, n° 14LY01750, à propos de la fixation du pays de renvoi). Tel était également le cas dans les arrêts commentés, dont l’intérêt dépasse le cadre factuel des affaires qui étaient soumises à la Cour, puisque les conséquences découlant de la politique de mise en doute des éléments de preuve, que la Cour sanctionne ici, se retrouvent dans de nombreux autres cas.

96Les quatre arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme le 10 juillet 2014 (AJDA 2014. 1463, obs. D. Poupeau ; D. 2015. 455, obs. F. Jault-Seseke) concernent la procédure française de regroupement familial. Les requérants avaient formé une demande de regroupement au bénéfice de leurs enfants (dans l’affaire Tanda-Muzinga, la demande visait également le conjoint). Dans les deux premières affaires (Mugenzi et Tanda-Muzinga), les requérants étaient des ressortissants rwandais et congolais reconnus réfugiés en France. Dans la troisième affaire (Senigo Longue), la requérante était une ressortissante camerounaise, mariée à un Français et résidant régulièrement en France (elle a acquis la nationalité française au cours de la procédure). Dans ces trois affaires, les demandes de regroupement familial avaient fait l’objet d’une reconnaissance de principe. Enfin, dans la quatrième affaire (Ly), la requête émanait d’un ressortissant mauritanien titulaire d’une carte de résident en France (non approfondie ici puisque la requête a été déclarée irrecevable par la Cour EDH en raison de son caractère manifestement mal fondé). Or, les autorités consulaires françaises ont refusé de délivrer les visas de long séjour nécessaires à l’entrée des enfants sur le territoire français, au motif de l’absence d’authenticité des actes de naissance produits par les requérants. La Cour européenne des droits de l’homme devait apprécier si ces refus portaient atteinte au droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.

97La Cour a choisi d’examiner les requêtes sous l’angle des obligations positives incombant à l’État sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et de se placer, plus précisément, sur le terrain des exigences procédurales découlant de cet article. En effet, la Cour rappelle qu’elle n’a pas vocation à se substituer à l’État dans l’examen de l’authenticité des allégations, tâche qualifiée par elle de complexe, compte tenu du dysfonctionnement du service de l’état civil de nombreux États d’origine des migrants. Se limitant ainsi aux exigences procédurales, la Cour pose le principe selon lequel le processus décisionnel doit présenter des garanties de souplesse, de célérité et d’effectivité pour que le droit au respect de la vie privée soit mis en œuvre, ce qui n’a pas été le cas dans trois des quatre affaires soumises à la Cour. Sans entrer dans les détails de chacune des affaires, il est possible de mettre en avant les points les plus importants ayant conduit à la condamnation de la France. Ils concernent l’appréciation, par les autorités nationales, des différents éléments de preuve produits par le requérant (I), les garanties procédurales découlant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (II), ainsi que l’obligation, pour les autorités nationales, de prendre en compte la vulnérabilité particulière des réfugiés (III).

I. – L’appréciation des éléments de preuve

98Il existe aujourd’hui, en droit des étrangers, un important écart entre les textes régissant la force probante des actes d’état civil dressés à l’étranger et la pratique administrative. En effet, selon le principe posé par l’article 47 du Code civil, les actes faits en pays étrangers et rédigés dans les formes usitées dans ce pays font foi. Il n’est dérogé à ce principe que si d’autres éléments établissent que l’acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Or, en pratique, des procédures de vérification sont engagées presque systématiquement par l’administration et, parfois, la vérification est initiée par le consulat avant même que la demande de regroupement ait été formée (v. l’affaire Senigo Longue, § 70 et 71 de l’arrêt), ce qui est pour le moins curieux ! Pour les actes émanant de certains pays étrangers, la force probante est mise en doute par principe.

99Concrètement, pour établir leur situation personnelle, les requérants s’appuient le plus souvent à la fois sur des actes d’état civil et sur d’autres éléments de preuve. En cas de doute sur l’authenticité de l’acte, mais sans que l’absence d’authenticité ait pu être établie avec certitude, sur la base notamment d’une méthode scientifique sûre, la Cour européenne des droits de l’homme exige dans les affaires commentées que les autres éléments de preuve produits par le requérant soient dûment pris en considération par les autorités nationales. Dans l’affaire Mugenzi, la difficulté tenait à la détermination de l’âge des enfants, lesquels ne pouvaient bénéficier du regroupement familial qu’à la condition de ne pas avoir atteint 19 ans. La preuve de l’âge constitue une question récurrente en droit des étrangers, que l’on rencontre également pour la détermination des bénéficiaires du régime de protection des mineurs étrangers, notamment des mineurs isolés (F. Jault-Seseke, S. Corneloup, S. Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, Puf, 2015, n° 600). Dans le domaine des demandes de visas en vue d’un regroupement familial, le Conseil d’État considère que la seule circonstance qu’un examen osseux fasse apparaître un écart entre l’âge, évalué suivant la méthode des tests osseux, et celui résultant de l’acte de naissance ne permet pas de conclure à une fraude quant à l’existence même du lien de filiation (par ex., CE 6 oct. 2010, n° 332334 ; CE 8 juill. 2011, n° 325395). Dans l’affaire Mugenzi, toutefois, ce n’était pas le lien de filiation qui était nié, mais seulement l’âge légal pour pouvoir bénéficier du regroupement familial. Les actes de naissance produits par le requérant établissaient un âge inférieur à 19 ans, mais l’ambassade avait fait réaliser un examen médical qui aboutissait à un âge physiologique plus avancé. Or, le médecin s’était livré seulement à un examen sommaire de la cavité buccale. Sur cette base, les autorités françaises ont conclu au caractère apocryphe des actes de naissance, justifiant le rejet de la demande de visa. Le Conseil d’État n’a pas transposé ici sa jurisprudence selon laquelle la discordance entre l’examen médical et l’acte de naissance ne suffit pas à établir la fraude. Au contraire, il a rejeté le recours en l’espèce, au motif qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le médecin se serait borné à un examen de la cavité buccale (ce qui revient à un renversement étonnant de la charge de la preuve qui a été censuré à juste titre par la Cour EDH, puisqu’il consisterait à exiger de l’étranger de prouver qu’aucun test radiologique n’avait été effectué), et que la discordance des résultats de l’examen médical avec les actes de naissance conduisait à leur dénier l’authenticité. Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme juge cette méthode de détermination de l’âge « discutable » (aff. Mugenzi, § 58). En l’absence de radiographie dentaire, le seul examen visuel par un médecin de la cavité buccale ne permet pas de donner une indication même approximative de l’âge (en ce sens déjà CEDH 25 sept. 2012, Ahmade c/ Grèce, n° 50520/09, § 77). Selon la Cour, les autorités nationales doivent, dans leur appréciation, toujours tenir compte des autres éléments de preuve apportés par le requérant (elle se réfère sur ce point, dans son arrêt Tanda-Muzinga, notamment à l’art. 11 dir. 2003/86 du 22 sept. 2003 relative au regroupement familial qui dispose dans son alinéa 2 : « Lorsqu’un réfugié ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, l’État membre tient compte d’autres preuves de l’existence de ces liens, qui doivent être appréciées conformément au droit national. Une décision de rejet de la demande ne peut pas se fonder uniquement sur l’absence de pièces justificatives »). Si ceux-ci corroborent les actes de naissance, l’examen médical à lui seul ne saurait être déterminant pour établir le caractère apocryphe des actes, surtout lorsque l’examen par le médecin a été aussi superficiel.

100Parmi les autres éléments de preuve, il convient notamment de tenir compte des jugements supplétifs rendus à l’étranger, des tests d’ADN permettant d’établir un lien de filiation, ainsi que pour les réfugiés des documents tenant lieu d’actes d’état civil qui ont été établis par l’OFPRA. Dans l’affaire Mugenzi, les déclarations constantes du requérant ainsi que tous les documents officiels produits par lui confirmaient le contenu des actes de naissance. En particulier, l’OFPRA avait confirmé les liens familiaux, ce qui avait permis la reconstitution d’une fiche familiale. La situation était comparable dans l’affaire Tanda-Muzinga, où la difficulté de preuve ne portait pas sur l’âge, mais sur l’existence même du lien de filiation, qui était mis en doute puisque la vérification effectuée par les autorités françaises avait conduit à la délivrance, sous les mêmes numéros de référence, de deux actes de naissance totalement différents concernant des tiers. Pourtant, le contenu de l’acte de naissance était corroboré par la déclaration de naissance provenant de la maternité et du centre médical de la police du lieu de naissance. La discordance provenait visiblement d’un dysfonctionnement des services d’état civil, comme le confirme le dénouement de l’affaire puisque, après trois ans et demi de procédure, les autorités françaises ont finalement admis la réalité du lien de filiation. D’ailleurs, le HCR était depuis le début convaincu de l’authenticité des actes et avait pris en charge la famille. Quant à l’OFPRA, il avait certifié la composition familiale dans des actes qui ont en droit français la valeur d’actes authentiques.

101On constate ainsi, dans les deux affaires, que les autorités consulaires françaises n’ont accordé aucune valeur aux actes établis par l’OFPRA. Pourtant, il résulte de l’article L. 721-3 du CESEDA que l’OFPRA a pour mission de délivrer aux réfugiés les pièces nécessaires pour leur permettre d’exécuter les divers actes de la vie civile, notamment les pièces tenant lieu d’actes d’état civil, et que le directeur de l’OFPRA authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Tous les documents établis par l’OFPRA ont la valeur d’actes authentiques. Ils suppléent à l’absence d’actes et de documents délivrés dans le pays d’origine. Or, selon le Conseil d’État (CE 23 mars 2009, n° 304765, rendu dans l’affaire Mugenzi), la mission ainsi confiée à l’OFPRA « est sans rapport avec la responsabilité qui incombe aux autorités consulaires de s’assurer de la véracité des renseignements produits devant elles à l’appui des demandes de visa ». En cas de doute, les consulats doivent procéder à des vérifications. Si ce raisonnement n’est pas contestable dans son principe, il importe néanmoins de veiller à ce que les éléments pris en compte pour établir le caractère apocryphe de l’acte soient suffisamment probants pour ignorer les actes authentiques de l’OFPRA. Or, il est difficilement admissible que le simple examen visuel par un médecin de la cavité buccale de l’intéressé puisse produire un tel effet. À cet égard, le projet de loi relatif à la réforme de l’asile apporte une précision importante. Selon le nouvel article L. 752-1 du CESEDA (dans la version adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 16 décembre 2014), en cas d’absence d’acte d’état civil ou de doute sur son authenticité, le requérant pourra se prévaloir des documents établis ou authentifiés par l’OF-PRA sur le fondement de l’article L. 721-3 du CESEDA, qui font foi jusqu’à inscription de faux. La réforme instituera ainsi enfin le régime juridique qui convient à la valeur des actes établis par l’OFPRA. Par ailleurs, le texte ajoute que le requérant pourra également invoquer les éléments de possession d’état définis par l’article 311-1 du Code civil, qui font foi jusqu’à preuve du contraire

102Dans l’affaire Senigo Longue où la problématique portait sur la preuve du lien de filiation, l’un des autres éléments de preuve produits était un jugement émanant du pays d’origine et ordonnant la reconstitution des actes de naissance litigieux. Ce jugement avait été rendu à la demande de la requérante au cours de l’instruction de sa première demande de visa. Dans leur décision relative à la seconde demande de visa, les autorités françaises n’en ont pas tenu compte, sans fournir d’explication à ce sujet. Or, selon le principe de la reconnaissance de plein droit des jugements étrangers relatifs à l’état civil, il n’était évidemment possible d’écarter ce jugement qu’en établissant que celui-ci ne remplissait pas les conditions de régularité posées par le droit français, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. L’autre élément de preuve produit dans cette affaire était un test d’ADN établissant la filiation avec un degré de certitude de 99,99 %. Là encore, cet élément a tout simplement été ignoré par les autorités françaises, sans motivation, ce qui révèle un dysfonctionnement majeur dans le dispositif français. Les autorités françaises semblent au demeurant l’admettre implicitement, puisque la simple communication au gouvernement de la requête devant la CEDH aura suffi pour que le visa soit finalement accordé.

II. – Les garanties procédurales

103En ce qui concerne la procédure nationale à proprement parler, la Cour veille, tout d’abord, à ce que l’étranger ait eu la possibilité d’y participer effectivement, ce qui suppose en particulier que les éléments décisifs concernant sa demande aient été portés à sa connaissance en temps utile et que les décisions de rejet soient motivées. En outre, elle veille à l’absence de durée excessive de la procédure. Or, en droit français, le silence gardé par les autorités consulaires pendant deux mois vaut décision implicite de rejet de la demande de visa (ce principe n’a pas été modifié par les décrets du 23 octobre 2014). Une obligation de motivation du refus de visa est posée par l’article L. 211-2 du CESEDA pour les bénéficiaires d’une autorisation de regroupement familial, mais en cas de décision implicite, cela suppose que le requérant demande spécialement la motivation à l’administration concernée. Quant aux délais en cas de vérification des actes d’état civil, l’article R. 211-4 du CESEDA dispose que les autorités consulaires sursoient à statuer sur la demande de visa pendant une période maximale de quatre mois. Si les vérifications n’ont pas abouti, la suspension peut être prorogée pour une durée qui ne peut excéder quatre mois. En pratique, les procédures sont longues et se caractérisent le plus souvent par l’absence de toute décision expresse. Non seulement la demande de visa est souvent rejetée par décision implicite, mais il en va de même du recours devant la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Dans l’affaire Tanda-Muzinga, par exemple, le requérant n’a reçu aucune explication de la part des autorités françaises pendant dix-huit mois. Dans l’affaire Mugenzi, la Commission de recours avait rendu un avis positif qu’elle avait transmis au ministre des Affaires étrangères sans le communiquer au requérant qui en a pris connaissance trop tardivement pour pouvoir utilement s’en prévaloir au cours de la procédure. Au total, la durée de la procédure a été de trois ans et demi dans l’affaire Tanda-Muzinga, de plus de cinq ans dans l’affaire Mugenzi et de quatre ans dans l’affaire Senigo Longue, ce que la Cour européenne des droits de l’homme qualifie de délais excessifs. Ces délais contrastent au demeurant fortement avec les chiffres avancés par le gouvernement selon lesquels plus de 80 % des demandes de réunification familiale des réfugiés seraient honorés dans un délai inférieur à trois mois (Rép. min. n° 62945, JOAN Q, 10 févr. 2015).

104À notre connaissance, rien n’est prévu dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, adopté en conseil des ministres le 23 juillet 2014, qui pourrait remédier à ces défaillances de la procédure française condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une réponse ministérielle, on apprend simplement qu’en cas d’extrême urgence, des dispositifs simplifiés ont été prévus pour accélérer les procédures, permettant un regroupement familial notamment sans qu’une demande de regroupement familial ait été au préalable introduite (Rép. min. n° 57531, JOAN Q, 13 janv. 2015). Les consulats doivent ainsi délivrer des visas portant la mention « rapprochement familial » lorsque les enfants ou membres de la famille sont menacés dans des zones de troubles ou de guerre. Mais cela suppose évidemment au préalable la preuve du lien de filiation…

III. – La situation particulière des réfugiés

105La procédure dite de « famille rejoignante » ou de « réunification familiale » au profit des membres de la famille d’un réfugié n’est pas codifiée en droit français (v. F. Jault-Seseke, S. Corneloup, S. Barbou des Places, op. cit., n° 446), mais cette situation est appelée à changer avec l’entrée en vigueur de la réforme de l’asile qui y consacre plusieurs nouvelles dispositions dans les articles L. 752-1 et suivants du CESEDA. Actuellement, l’on trouve à l’article L. 314-11 du CESEDA simplement l’affirmation du principe de la délivrance de plein droit de la carte de résident au conjoint du réfugié et à ses enfants mineurs de 19 ans. Cette solution a été forgée par le Conseil d’État sur le fondement des principes généraux du droit applicables aux réfugiés qui exigent que la qualité de réfugié soit reconnue, sous certaines conditions, au conjoint du réfugié et à ses enfants (CE, Ass., 2 déc. 1994, n° 112842, Agyepong, AJDA 1994. 878, note Touvet et Stahl, Dr. adm. 1995. 82, note M. Denis-Linton, D. 1995. Somm. 171, obs. F. Julien-Laferrière). Ainsi, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint et aux enfants d’un réfugié statutaire les visas qu’ils sollicitent. Elles ne peuvent opposer un refus à une telle demande que pour un motif d’ordre public, notamment en cas de fraude.

106Pour décrire la procédure en droit positif français, la Cour européenne des droits de l’homme se réfère à un dépliant d’information destiné aux personnes sous la protection de l’OFPRA, où l’on apprend que le réfugié adresse sa demande à la sous-direction de la circulation des étrangers. Après validation de la composition de la famille par l’OFPRA, les membres de la famille doivent déposer une demande de visa de long séjour auprès du consulat territorialement compétent. Comme on l’a vu, dans les affaires Mugenzi et Tanda-Muzinga, l’OFPRA avait certifié la situation de famille, mais les autorités consulaires ont engagé une enquête pour vérification des actes de naissance produits, ce qui a conduit aux décisions de refus de visa. Dans ce contexte spécifique d’une demande de regroupement familial formée par un réfugié, la Cour européenne des droits de l’homme exige que les États tiennent compte de la vulnérabilité particulière du réfugié et de la nécessité de le faire bénéficier d’une procédure plus favorable que celle réservée aux autres étrangers (aff. Mugenzi, § 54 s., aff. Tanda-Muzinga, § 75). En particulier, les États doivent tenir compte des événements ayant perturbé et désorganisé la vie familiale et ayant conduit à la reconnaissance du statut de réfugié. La Cour exige ainsi que la demande de visa soit examinée « rapidement, attentivement et avec une diligence particulière » (aff. Tanda-Muzinga, § 73). Par ailleurs, la Cour rappelle également dans les affaires Mugenzi (§ 47) et Tanda-Muzinga (§ 69) sa jurisprudence selon laquelle, « s’agissant du règlement de la preuve pour les demandeurs d’asile, […] eu égard à la situation particulière dans laquelle ils se trouvent, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles-ci ».

107Tel n’est pas le cas actuellement en droit français, mais le projet de loi sur la réforme du droit d’asile prévoit un nouvel article L. 752-1 du CESEDA, qui vise à mettre en place un régime plus favorable pour les réfugiés que celui applicable aux autres étrangers. Tout d’abord, il confirme expressément que la réunification familiale au profit d’un réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire n’est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources et de logement. Par ailleurs, les autorités consulaires doivent statuer sur la demande de visa « dans les meilleurs délais », ce qui ne constitue malheureusement pas une garantie très précise et laisse une trop large marge d’appréciation. Par ailleurs, le projet de loi institue un dispositif en faveur des mineurs non accompagnés reconnus réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, afin de rechercher des membres de sa famille. Si ces dispositions sont définitivement adoptées, elles devraient apporter une amélioration considérable pour toutes les demandes de regroupement familial formées par les réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire.

108Sabine Corneloup

109Conseil constitutionnel - 7 novembre 2014 - n° 2014-424 QPC

110Association – Association de siège étranger – Accès à la justice – Personnalité morale acquise à l’étranger – Absence d’établissement en France – Absence de déclaration préalable – Qualité pour agir

111Les dispositions du troisième alinéa de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 n’ont pas pour objet et ne sauraient, sans porter une atteinte injustifiée au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif, être interprétées comme privant les associations ayant leur siège à l’étranger, dotées de la personnalité morale en vertu de la législation dont elles relèvent mais qui ne disposent d’aucun établissement en France, de la qualité pour agir devant les juridictions françaises dans le respect des règles qui encadrent la recevabilité de l’action en justice (1).

112(Association mouvement raëlien international)

113Le Conseil constitutionnel : […] 1. Considérant qu’aux termes de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 susvisée :

114« Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l’article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs.

115La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association aura son siège social. Elle fera connaître le titre et l’objet de l’association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration. Un exemplaire des statuts est joint à la déclaration. Il sera donné récépissé de celle-ci dans le délai de cinq jours.

116Lorsque l’association aura son siège social à l’étranger, la déclaration préalable prévue à l’alinéa précédent sera faite à la préfecture du département où est situé le siège de son principal établissement […] ».

1172. Considérant que, selon l’association requérante, les dispositions des deuxième et troisième alinéas de cet article, qui exigent qu’une association ayant son siège social à l’étranger et souhaitant ester en justice en France dépose sa déclaration préalable à la préfecture du département où est situé le siège de son principal établissement, interdisent à une association n’ayant pas d’établissement principal en France d’ester en justice et méconnaissent donc son droit à un recours effectif ;

1183. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le troisième alinéa de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 susvisée ;

1194. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; qu’il ressort de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction ;

1205. Considérant que les quatre premiers alinéas de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 susvisée prévoient que toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisation spéciale, ester en justice, recevoir des dons manuels ainsi que des dons d’établissements d’utilité publique, acquérir à titre onéreux, posséder et administrer les cotisations de ses membres, le local destiné à l’administration de l’association et à la réunion de ses membres et les immeubles strictement nécessaires à l’accomplissement du but qu’elle se propose ; que l’article 5 de cette loi dispose que, pour obtenir la capacité juridique prévue par l’article 6, toute association doit être rendue publique par ses fondateurs ; que, pour les associations ayant leur siège social en France, l’acquisition de la personnalité morale est subordonnée à la déclaration préalable de leur existence à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association a son siège social ; que, pour les associations ayant leur siège social à l’étranger, le troisième alinéa de l’article 5 prévoit que la déclaration doit être faite à la préfecture du département où est situé le siège de son principal établissement ; qu’en toute hypothèse, l’association n’est rendue publique que par une insertion au Journal officiel ;

1216. Considérant qu’aucune exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la reconnaissance en France de la personnalité morale des associations ayant leur siège social à l’étranger et disposant d’un établissement en France soit subordonnée, comme pour les associations ayant leur siège social en France, à une déclaration préalable de leur part à la préfecture du département où est situé le siège de leur principal établissement ;

1227. Considérant, toutefois, que les dispositions du troisième alinéa de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 n’ont pas pour objet et ne sauraient, sans porter une atteinte injustifiée au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif, être interprétées comme privant les associations ayant leur siège à l’étranger, dotées de la personnalité morale en vertu de la législation dont elles relèvent mais qui ne disposent d’aucun établissement en France, de la qualité pour agir devant les juridictions françaises dans le respect des règles qui encadrent la recevabilité de l’action en justice ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;

1238. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

124Décide : Article 1 : – Sous la réserve énoncée au considérant 7, le troisième alinéa de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association est conforme à la Constitution.

125Du 7 novembre 2014 - Conseil constitutionnel - n° 2014-424 QPC - M. Debré, prés., Mmes Bazy Malaurie. Belloubet, Maestracci. MM. Barrot, Canivet, Charasse, Denoix de Saint Marc et Haenel, membres - M. Foussard, av.

126(1) Rendue sur question prioritaire formulée par la chambre criminelle (Crim. 20 août 2014, n° 14-80.394 P+B), cette décision du Conseil constitutionnel (JORF n° 0260 du 9 nov. 2014, p. 18975) parachève les évolutions prétoriennes françaises favorables à la reconnaissance de plein droit des associations ayant leur siège à l’étranger lorsque, dépourvues d’établissement en France, elles n’y ont pas fait l’objet d’une déclaration administrative.

127La déclaration administrative dont il s’agit, réalisée en préfecture et suivie d’une publicité au Journal officiel, constitue notoirement la règle-pivot de la loi de 1901 (art. 5 et 2), le législateur ayant prévu que son accomplissement conditionnerait, sans distinction entre groupements associatifs français et étrangers, la jouissance de la capacité juridique. Ce système organisé de publicité remplit une double fonction, informative et de police administrative. L’on sait que son instauration précoce avait été justifiée par l’idée d’un contrôle raisonné de l’activité associative et de l’exercice des libertés publiques à caractère collectif. L’on se souvient aussi, sans doute, des quatre décennies de méfiance (décr. du 12 avr. 1939, abrogé par la loi du 9 oct. 1981), durant lesquelles la loi de 1901 comporta un titre dédié aux associations constituées à l’étranger ou contrôlées par des étrangers. À cette époque, une autorisation du ministère de l’Intérieur était requise préalablement à toute activité desdites associations ; l’autorisation revêtait un caractère discrétionnaire et s’accompagnait de sanctions appropriées, civiles et pénales. La rigueur de ce régime administratif de méfiance, heureusement révolu, explique que les juges judiciaires en aient limité l’impact dans les relations internationales de droit privé. Les associations étrangères ayant une activité permanente en France n’échappaient pas au régime restrictif de droit local. En revanche, celles qui, formées à l’étranger et n’ayant pas d’établissement local, entraient ponctuellement en contact juridique avec la France (pour y recevoir un legs ou un y exercer une action en justice), voyaient leur personnalité reconnue de plein droit, sans formalisme ni contrôle (sur l’ensemble, v. Loussouarn, Rép. int. Dalloz, 1re éd., 1968, Association, n° 17 s. ; Aubertin, Les associations en droit international privé français…, JDI 1983. 543, n° 22 et réf. cit.). Après l’abrogation du régime d’autorisation préalable des associations étrangères, la jurisprudence, singulièrement celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation, fit curieusement un mouvement arrière en n’admettant plus la capacité à agir des associations étrangères non établies, sans la déclaration préfectorale préalable exigée par la loi de 1901 (Crim. 16 nov. 1999, n° 96-85.723, D. 2001. 665, note Boré et Salve de Bruneton ; Crim. 12 avr. 2005, n° 04-85.982, Bull. crim. n° 121). Ce respect nouvellement scrupuleux de la lettre de la loi s’expliquait peut-être (à la différence de ce qui fit à la même époque la jurisprudence Extraco Anstalt relative au droit d’agir en justice des groupements sociétaires non reconnus en France : Crim. 12 nov. 1990, Rev. crit DIP 1991. 667, note Khairallah), par le fait que la formalité administrative pouvait être accomplie sans dommage avant l’engagement en France d’une action en justice. La formalité était néanmoins nocive lorsque ladite action était exposée à l’application d’un régime de forclusion à bref délai, comme pour la répression civile des délits de presse.

128Cette jurisprudence valut à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (15 janv. 2009, n° 36497/05, Ligue du monde islamique, dans l’affaire ayant fait l’objet de l’arrêt préc. de la chambre criminelle de 2005), motif pris du caractère excessif et imprévisible de l’interprétation des textes restreignant le droit d’agir. Consécutivement, par un arrêt Clitoraid (Crim. 8 déc. 2009, n° 09-81.607, Bull. Joly sociétés, 2010. 577, note Bollée ; D. 2010. Pan. 2326, et les obs.), la chambre criminelle opéra un revirement de sa jurisprudence. En suite de cet arrêt, la solution devint la suivante : les associations étrangères ne disposant pas d’établissement en France étaient admises à agir en justice sans déclaration préalable ; celles disposant d’un établissement local devaient quant à elles respecter les exigences de la loi de 1901. Le Conseil constitutionnel, à l’occasion de l’affaire Mouvement raëlien international, maintient très exactement le statu quo, sanctuarisant en quelque sorte les solutions prétoriennes équilibrées issues du contrôle de conventionnalité des lois (solutions que les juges d’appel avaient été pourtant réticents à appliquer en l’espèce). L’intérêt technique de cette proclamation de constitutionnalité sous réserve tient à l’autorité de chose jugée des décisions du Conseil. Portant non seulement sur le dispositif mais aussi sur les motifs, elle oblige ainsi les juges du fond au respect scrupuleux de l’interprétation nouvelle, quelle que soit la délicatesse des espèces litigieuses, et empêche tout questionnement préjudiciel de constitutionnalité nouveau sauf changement imprévu des circonstances [1]. Les spécialistes de droit international privé auront noté, au considérant n° 7, cette réserve dans la réserve indiquant que la reconnaissance de la qualité à agir des associations étrangères s’opérait « dans le respect des règles qui encadrent la recevabilité de l’action en justice ». Il serait malencontreux de voir dans cette notation, générale et de grand bon sens, une constitutionnalisation du principe de soumission à la lex fori des questions de procédure ; tant on sait que la juste résolution des conflits de lois concrets exige en la matière maintes nuances et sous-distinctions (v. significativement M.-L. Niboyet, Contre le dogme de la lex fori en matière de procédure, Mél. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 363).

129Les considérants 6 et 7 de la décision rapportée, fixant l’état du droit jurisprudentiel français, appellent deux observations brèves.

130Quant aux associations étrangères disposant en France d’un établissement secondaire – dans ce contexte, l’établissement doit probablement s’entendre comme un point d’attache géographique à caractère durable permettant l’exercice de l’activité associative –, la solution maintenant l’obligation déclarative apparaît prudente. Elle ménage le système national de publicité (dépôt des statuts en préfecture suivi d’une insertion au Journal official) dans des termes analogues à celui s’appliquant aux groupements à caractère lucratif (publicité au Registre du commerce français de tout établissement secondaire local ouvert par une société originaire de l’étranger). Cette publicité, favorable aux personnes privées susceptibles d’entrer en contact avec l’association, apparaît par ailleurs nécessaire à l’accomplissement par l’État de sa mission régalienne de contrôle des activités individuelles et collectives sur le territoire. L’on indiquera à ce propos que les solutions autoritaires de nullité ou de dissolution d’office des associations étrangères déclarées en France devraient être applicables toutes les fois où l’ordre public local, au sens le plus ordinaire du terme, se dit concerné. Lorsque, par exemple, l’article 3 de la loi de 1901 proclame la nullité de plein droit de l’association fondée sur une cause ou un objet illicite, notamment quand son but serait « de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement », il est à notre sens assez clair qu’une applicabilité impérative aux associations étrangères doit s’en déduire, sous réserve des traités internationaux en vigueur, au nom des lois de police et de sûreté historiquement réservées par l’article 3, premier alinéa, du Code civil [2].

131S’agissant des associations étrangères reconnues de plein droit sans déclaration administrative préalable, la rédaction du considérant 7, comportant la réserve de constitutionnalité, est remarquable, qui semble rejoindre les tendances unilatéralistes du droit moderne des conflits de lois en matière de sociétés [3]. Les associations ayant leur siège à l’étranger, « dotées de la personnalité morale en vertu de la législation dont elles relèvent », ne peuvent être privées de la qualité à agir. Quelle est donc cette loi dont les associations relèvent ? Celle d’un siège social objectivement déterminé par le for et assigné aux entités étrangères à fins de reconnaissance de leur personnalité juridique ; ou bien celle d’une implantation, plus ou moins effective, choisie par les fondateurs sur le territoire d’un État octroyant la personnalité juridique aux conditions de leur convenance ? L’opposition est bien connue, qui permet notamment d’expliquer, qu’on l’approuve ou qu’on la réprouve, la jurisprudence européenne sur la reconnaissance des sociétés constituées à l’étranger (v. Audit et d’Avout, Droit international privé, 7e éd., Économica, 2013, n° 1042, 1061 s. ; comp. Audit, Bollée et Callé, Droit du commerce international et des investissements, Domat, 2014, n° 54, 86 s.). Aujourd’hui, le libéralisme des solutions de reconnaissance implique l’unilatéralisme ; et un unilatéralisme singulier, opérant restriction de l’appétit normatif du for pour la meilleure propagation des effets de la législation étrangère appliquée à la création du groupement. Reste à mesurer, une fois acquis le principe de reconnaissance de la personne morale, le champ de compétence exact de la loi d’origine du groupement. Et nul ne peut exclure, à l’heure actuelle, le choc des unilatéralismes contraires aboutissant, dans les pays où la personnalité juridique produit ses effets, à une pulvérisation de l’ensemble, autrefois compact, constitué de l’organisation et du fonctionnement du groupement ; un ensemble autrefois fédéré en catégorie et régi par une loi d’implantation prépondérante déterminée par le for compétent (v. ce que devient la notion de siège social réel dans la jurisprudence récente en matière de sociétés, not. Com. 21 oct. 2014, n° 1311.805).

132Louis d’Avout

Notes

  • (1)
    Cons. const. 16 janv. 1962, n° 62-18 L, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 17e éd., n° 12 ; Cons. const. 30 juin 2011, n° 2011-142 QPC ; adde, art. 23-2 ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958 relative aux conditions de transmission des QPC.
  • (2)
    On pourrait éventuellement adapter la sanction textuelle de nullité en y lisant une inopposabilité (v. ainsi, Niboyet, Traité de droit international privé français, t. V, Sirey, 1948, n° 1557, p. 613). La seule manière d’objecter à l’application de l’article 3 de la loi de 1901 à l’association de droit étranger consisterait, selon nous, à exciper d’une loi française ayant un objet plus particulier et étant susceptible de produire un effet équivalent. Tel est éventuellement le cas de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, héritier lointain d’une loi de du 10 juin 1936 sur les groupes de combat et les milices privées, édictant des cas restreints de dissolution administrative, par décret, des groupements attentant gravement à l’ordre public.
  • (3)
    À lire le commentaire officiel de la décision du Conseil, il semblerait que la Convention de La Haye du 1er juin 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, signée par la France, ait influé la rédaction. Ce texte, formulé en termes complexes, essaye de réconcilier les théories du siège et de l’incorporation en instituant une reconnaissance de plein droit de la personnalité juridique, sous condition de conformité à la loi en principe compétente (celle du siège statutaire).
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