1Cour de cassation (Com.) – 25 mars 2014
2Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle – Délit complexe – Loi du lieu du fait dommageable – Lieu du fait générateur du dommage ou lieu de la réalisation
3Concurrence – Transparence et pratiques restrictives – Rupture brutale des relations commerciales – Responsabilité – Loi applicable
4La loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est celle de l’État du lieu où le fait dommageable s’est produit et, en cas de délit complexe, ce lieu s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui du lieu de réalisation de ce dernier (1).
5Fait exacte application des articles 3 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, l’arrêt qui, saisi sur le fondement du second texte d’une action en responsabilité contre un fabricant français qui avait rompu la relation commerciale qui l’unissait à un distributeur chilien, recherche quel est le pays qui présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable (2).
6(Soc. Guerlain c. Soc. FGM-Arôme et beauté)
7La Cour : – Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Guerlain que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société FGM-Arôme et beauté (la société FGM) ; Attendu que la société de droit chilien FGM, qui, depuis 1991, distribuait au Chili les parfums et produits cosmétiques de la société Guerlain, a conclu avec cette dernière, le 1er janvier 1999, un contrat de distribution d’une durée de trois ans, renouvelable ensuite pour une durée indéterminée ; que par lettre du 23 mai 2003, la société Guerlain lui a notifié la résiliation immédiate du contrat de distribution ; qu’estimant cette rupture brutale et abusive et reprochant à la société Guerlain des manquements à ses obligations contractuelles, notamment à la clause d’exclusivité dont elle bénéficiait, la société FGM l’a fait assigner en réparation de ses préjudices ; que la société Guerlain lui a reconventionnellement réclamé des dommages-intérêts pour avoir négligé la distribution de ses produits ;
8Sur premier moyen du pourvoi principal : – Attendu que la société Guerlain fait grief à l’arrêt du rejet de la fin de non-recevoir tirée de ce que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sont pas applicables dans la mesure où le dommage s’est en l’espèce produit au Chili alors, selon le moyen :
91°/ que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur et que la loi applicable à cette responsabilité est celle de l’État du lieu où le fait dommageable s’est produit ; qu’en affirmant au contraire, pour appliquer la loi française à un litige commercial concernant le seul territoire chilien, qu’aux termes de l’article 3 du Code civil, les obligations extra contractuelles sont régies par la loi du lieu où est survenu le fait qui leur a donné naissance et que le fait générateur est constitué en l’espèce par la rupture du contrat prononcée, en France, par la société Guerlain, la cour d’appel a violé l’article 3 du Code civil, ensemble l’article L. 442-6 du Code de commerce ;
102°/ qu’en considérant qu’un lien étroit entre la France et le fait dommageable pouvait résulter de la relation contractuelle préexistante entre les parties, en l’espèce des relations commerciales de plus de 12 ans que les parties ont formalisées par un contrat conclu à Paris et désignant le droit français comme loi applicable, après avoir constaté que le contrat rompu avait conféré à la société chilienne FGM le droit exclusif d’importer et de vendre les produits Guerlain sur le marché local du Chili et les zones franches d’impôts d’Iquique et de Punta Arenas et que les relations économiques entre les parties se situaient hors du territoire français, ce dont il résultait que le contrat de distribution devait être intégralement exécuté au Chili de sorte que la rupture en cause ne pouvait donc affecter que le territoire chilien, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l’article 3 du Code civil, ensemble l’article L. 442-6 du Code de commerce ;
113°/ que l’action en justice résultant de l’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n’est pas une action en responsabilité contractuelle, mais une action en responsabilité délictuelle ; que la convention de Rome du 19 juin 1980 concernant la loi applicable aux obligations contractuelles, n’est pas transposable aux obligations extra contractuelles : qu’en se fondant sur l’article 7 de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles pour décider d’appliquer au présent litige les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce français compte tenu de leur caractère d’ordre public, tout en admettant que les obligations en cause étaient extracontractuelles, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 7 de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ensemble l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
124°/ qu’à supposer même que la convention de Rome puisse s’appliquer en matière délictuelle, les lois de police française ne peuvent s’imposer que s’il existe un lien étroit entre l’obligation en cause et le territoire français, ce qui implique que l’obligation contractuelle aurait dû en principe être au moins partiellement exécutée en France ; qu’en considérant que les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce doivent être appliquées compte tenu de leur caractère d’ordre public tout en constatant que le contrat rompu portait exclusivement sur la distribution de produits sur le territoire chilien, la cour d’appel a violé de plus fort l’article 7 de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ensemble l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
13Mais attendu que la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est celle de l’État du lieu où le fait dommageable s’est produit et que ce lieu s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui du lieu de réalisation de ce dernier ; qu’après avoir rappelé à juste titre qu’en cas de délit complexe, il y a lieu de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable, l’arrêt retient que ces liens résultent en l’espèce de la relation contractuelle préexistant depuis plus de douze ans entre les parties, que celles-ci ont formalisé par un contrat conclu à Paris, en désignant le droit français comme loi applicable et le tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, et abstraction faite du motif surabondant visé par les deux dernières branches, la cour d’appel, en retenant que la loi applicable à la demande de dommages-intérêts formée par la société FGM était la loi française, a fait l’exacte application des articles 3 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; qu’inopérant en ses deux dernières branches, le moyen n’est pas fondé pour le surplus ;
14Et attendu que les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi :
15Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel : – Rejette le pourvoi principal ;
16Du 25 mars 2014 – Cour de cassation (Com) – Pourvoi n° 12-29.534 – M. Espel, prés., Mme Mouillard, rapp., M. Mollard, av. gén. – SCP Piwnica et Molinié, SCP Bénabent et Jéhannin
17(1-2) 1. Quelle est la loi applicable à une demande de dommages et intérêts fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie ? Telle est la délicate question à laquelle a été confrontée la Cour de cassation dans son arrêt du 25 mars 2014 (JCP 2014. 619, note D. Bureau). Chacun sait que ce n’est pas la première fois que la question du traitement international d’une telle action est posée à la Haute juridiction mais jusqu’à présent elle l’a été, le plus souvent, sous l’angle des clauses attributives de juridiction ou encore des options de compétence prévues par le règlement Bruxelles I.
182. En l’espèce, une société chilienne, FGM, distribuait depuis plus de 12 ans au Chili les parfums de la société française Guerlain. Les parties ont formalisé leurs relations le 1er janvier 1999 par un contrat d’une durée de trois ans renouvelable pour une durée indéterminée. Le contrat a été conclu à Paris. Il contenait une clause de choix en faveur du droit français et désignait le tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente. Par lettre en date du 23 mai 2003, la société Guerlain a notifié à la société FGM la résiliation immédiate du contrat de distribution. Estimant cette rupture abusive et reprochant à la société Guerlain des manquements à ses obligations contractuelles et notamment à la clause d’exclusivité stipulée en sa faveur, la société FGM l’a assignée en réparation de ses préjudices. Elle obtient gain de cause devant les juges du fond lesquels, en application de l’article L. 442-6-I, 5°, considèrent que la durée du préavis raisonnable était de 12 mois et par conséquent que la société Guerlain a rompu de manière brutale et abusive la relation commerciale établie. La société FGM obtient dès lors des dommages et intérêts substantiels. Il faut bien avouer que les motifs de la cour d’appel n’étaient pas d’une orthodoxie parfaite. Pour justifier l’application de la disposition litigieuse, ces motifs mêlent d’une part, l’article 3 du Code civil et la loi du lieu du fait dommageable, et d’autre part l’article 7 de la convention de Rome et le caractère de loi de police de l’article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce. C’est ce manque de rigueur qui est mis en avant par le pourvoi formé par la société Guerlain laquelle souhaite voir s’appliquer le seul droit chilien. Sans succès. La Cour de cassation juge les motifs ayant trait à l’article 7 de la convention de Rome surabondants. En revanche, le raisonnement de la cour d’appel en application de l’article 3 du Code civil et de l’article L. 442-6-I, 5° est validé. La Cour de cassation rappelle ainsi que la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est celle de l’État du lieu où le fait dommageable s’est produit et que ce lieu s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui du préjudice. Elle valide ainsi le motif de la cour d’appel selon lequel en cas de délit complexe, il convient de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable, ces liens résultant en l’espèce de la relation contractuelle préexistante soumise au droit français. Par conséquent en décidant que la loi applicable à l’action de la société FGM était la loi française la cour d’appel a fait une exacte application des articles 3 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Le pourvoi est rejeté. Dans la mesure où, en dépit d’une formulation qui peut prêter à confusion, elle s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence antérieure, cette décision ne surprendra pas les lecteurs de cette Revue. Pourtant, elle repose sur une qualification qui n’est pas à l’abri de la discussion. Au-delà de ce premier point, rendu en application de la règle de conflit française antérieure à l’adoption du règlement Rome II, l’arrêt du 25 mars 2014 invite également à une réflexion sur la pérennité de la solution adoptée. Qualification de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie (I) et loi applicable à l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie (II) seront tout à tour abordées.
I. – La qualification de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie
193. Non contestée par le pourvoi, la qualification de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie retenue par la Cour de cassation est une qualification délictuelle. Bien que prévisible (A), la solution n’est pas à l’abri de la discussion (B).
A. – Une solution prévisible
204. Plusieurs éléments expliquent le caractère prévisible de la solution. Tout d’abord bien sûr, chacun sait que la Chambre commerciale opte pour une telle qualification en droit interne (Com. 6 févr. 2007, n° 04-13.178 ; Com. 13 janv. 2009, n° 08-13.971). Bien que la question ait pu être discutée, dans l’ensemble la solution est approuvée par la doctrine. Plusieurs raisons sont invoquées à son soutien, au nombre desquelles on trouve l’intention du législateur, l’unité du régime applicable ou encore le fait que le dommage invoqué ne soit pas spécifiquement contractuel. Au-delà de cette qualification en droit interne, la Chambre commerciale a déjà eu l’occasion d’adopter une qualification délictuelle dans un contexte international. En effet, on se souvient qu’elle a, à plusieurs reprises, adopté la même qualification pour les besoins de l’application du règlement n° 44/2001 (v. Com. 18 janv. 2011, n° 10-11.885, RDC 2011. 941, note E. Treppoz ; Com. 15. Sept. 2009, n° 07-10.493, CCC 2010. comm. 179, obs. N. Mathey).
215. Mais le présent arrêt concerne la question de la loi applicable. Qu’en est-il dans ce domaine ? Là encore, pour plusieurs raisons, la solution adoptée par la juridiction suprême ne surprend pas. D’abord le présent arrêt n’est en réalité pas le premier à se prononcer sur cette question. Par un arrêt en date du 21 octobre 2008 (n° 07-12.336, CCC 2009. 8, obs. N. Mathey ; RDC 2009. 197, obs. M. Behar-Touchais), la Cour de cassation avait déjà jugé que la rupture brutale d’une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur et que la loi applicable à cette responsabilité est la loi de l’État où le fait dommageable s’est produit. Mais, contrairement à l’arrêt commenté, l’arrêt de 2008 n’a pas connu les honneurs de la publication. Par ailleurs, il pouvait prêter à confusion, dans la mesure où, en dépit d’un attendu principal très clair, il était rendu au visa, pour le moins maladroit, de l’article 5 du règlement n° 44/2001. Plus fondamentalement, et au-delà de ce précédent jurisprudentiel, les faits ayant donné lieu au présent arrêt étant antérieurs à 2009, la Cour de cassation devait, en l’espèce, appliquer une règle de conflit jurisprudentielle française. Or, l’un des principes fondamentaux de la théorie générale des conflits de lois en droit français est la qualification lege fori (sur les transformations qu’inflige au mécanisme de la qualification l’européanisation du droit international privé, v. not. S. Lemaire in O. Boskovic et T. Azzi (dir.), Quel avenir pour la théorie générale du conflit de lois ? Droit européen, droit conventionnel, droit commun, Actes du colloque, à paraître 2015). Celle-ci postule une projection au plan international des catégories internes. L’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie étant qualifiée de délictuelle en droit interne, cette qualification était prévisible au regard des principes les plus établis du droit international privé. Pour autant elle ne paraît pas à l’abri de la discussion.
B. – Une qualification discutable ?
226. La qualification délictuelle a été retenue à la fois par les juges du fond et par la Cour de cassation. Le pourvoi ne l’a pas contestée (on comprend qu’une qualification contractuelle aurait conduit en l’espèce à un résultat peu souhaitable pour la société Guerlain). Pourtant, cette qualification n’est pas évidente. S’il est vrai que les arguments à son encontre, bien que réels, ne sont pas nécessairement, en l’état du droit positif, décisifs lorsque la discussion se situe dans le cadre d’une règle de conflit jurisprudentielle française, comme c’était le cas en l’espèce, il convient de se demander si la situation serait différente dans le cadre de l’application des règlements européens. Quelques mots sur ces deux hypothèses. Dans le cadre de la règle de conflit française, la qualification s’opère lege fori (en faveur de l’abandon de ce principe, v. D. Sindres, La violation du contrat au préjudice des tiers en droit international privé, JDI 2010. 7 ; v. également, hostile à l’idée même de qualification pour départager les responsabilités contractuelle et extracontractuelle B. Haftel, La notion de matière contractuelle en droit international privé, th. Paris II, 2008). Or, il a été dit qu’en droit interne la qualification délictuelle emporte la conviction chez les auteurs qui considèrent que « l’abus trouve difficilement sa place dans le contrat » (N. Mathey, CCC 2010. 179). Un auteur explique ainsi que « censurant et dissuadant les pratiques contraires à la loyauté et à la morale des affaires, l’article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce transcende en quelque sorte le contrat ou les contrats par lesquels la relation commerciale s’est instaurée » (M.-E. Ancel, L’article L. 442-6-I, 5° C. com. en droit international privé, RJ com. 3/2009. 200). Pourtant cette analyse n’était pas la seule possible. S’il est vrai que les situations de fait recouvertes par la notion de relation commerciale établie sont variées et que c’est souvent le refus de contracter qui matérialise la rupture, il n’en reste pas moins vrai qu’à l’origine d’une relation commerciale établie il y a en principe un ou des contrats et qu’il s’agit de ce que certains juges du fond ont pu appeler des « situations contractuelles ». Une conception souple du contrat à ce sujet pouvait légitimement être défendue (en ce sens Borghetti, note sous Com. 6 févr. 2007, RDC 2007. 731. Néanmoins, l’auteur se prononce in fine en faveur d’une qualification délictuelle ; voir également en faveur d’une qualification contractuelle de la responsabilité pour rupture abusive d’une relation commerciale établie, Ph. Delebecque, RTD com. 2008. 210).
237. Certes, les auteurs font valoir qu’en droit interne la sanction découlant de l’article L. 442-6-I, 5° vient s’ajouter au régime contractuel plutôt qu’interférer avec lui (M.-E. Ancel, op.cit.). Mais il ne faut pas oublier que l’article L. 442-6-I, 5° n’est que la réponse française à la question de la rupture abusive d’une relation, le plus souvent fondée sur un contrat. Or on peut penser que, tout au moins dans l’hypothèse où il s’agit bien de la rupture d’une relation contractuelle, la question devrait être qualifiée de contractuelle et la réponse donnée par les règles applicables au contrat, qu’elles émanent de la lex contractus ou des lois de police applicables en matière contractuelle. En effet, le lien avec le contrat est évident. Ainsi, par exemple, le droit français prévoit que la faculté de résiliation sans préavis peut tout de même jouer en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Dans le même sens, dans l’affaire qui a donné lieu au présent arrêt, la société Guerlain avait fait une demande reconventionnelle de dommages et intérêts. Elle reprochait à la société FGM d’avoir négligé la distribution de ses produits. On peut légitimement poser la question de savoir si ces demandes doivent être qualifiées séparément ce qui, potentiellement, pourrait déboucher sur une soumission à des lois différentes. Une réponse négative semble s’imposer intuitivement.
248. D’un autre côté, force est de reconnaître que dans certaines hypothèses il n’y a pas de rupture d’une relation contractuelle à proprement parler et que c’est bien le refus de contracter qui matérialise la rupture. La logique voudrait alors qu’une qualification délictuelle s’impose. Il semblerait donc qu’en toute rigueur juridique il faudrait, dans le cadre de la règle conflit jurisprudentielle française, s’orienter vers une solution dualiste. Mais avant de confirmer ou d’infirmer cette intuition il convient de s’interroger sur le raisonnement à adopter dans le cadre des règlements européens.
259. Cette interrogation oblige à revenir sur un point que l’européanisation du droit international privé met au cœur de l’actualité à savoir l’opportunité de qualifications uniformes en matière de conflit de lois et en matière de conflit de juridictions. Bien que la question soit débattue, on sait que la doctrine est majoritairement favorable à cette uniformité et que des arguments en ce sens peuvent être trouvés dans les textes eux-mêmes (v. considérant n° 7 du règlement Rome II). En l’absence de jurisprudence européenne sur la définition de la matière contractuelle et délictuelle dans le domaine du conflit de lois, il semble donc possible de s’inspirer des solutions jurisprudentielles élaborées dans le domaine du conflit de juridictions. Or, chacun sait que depuis le fameux arrêt Jakob Handte (CJCE 17 juin 1992, aff. C-26/91, Rev. crit. DIP 1992. 730, note H. Gaudemet-Tallon), la définition de la matière contractuelle dans le cadre du règlement Bruxelles I repose sur la notion d’engagement librement assumé entre les parties, la matière délictuelle regroupant quant à elle les actions visant à mettre en jeu la responsabilité du défendeur et qui ne se rattachent pas à la matière contractuelle.
2610. Bien que la Cour de cassation ait adopté la solution inverse, des auteurs se sont, sur la base de ces critères, clairement prononcés en faveur de la qualification contractuelle de l’action en responsabilité pour rupture abusive d’une relation commerciale établie dans le cadre du règlement Bruxelles I (v. E. Treppoz, note sous Com. 18 janv. 2011, RDC 2011. 941). Un arrêt récent (CJUE 13 mars 2014, aff. C-548/12, Procédures 2014. 141, note Nourissat) par lequel la CJUE affirme qu’une action en responsabilité, de nature délictuelle en droit interne doit néanmoins être considérée comme relevant de la matière contractuelle si le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, pourrait être invoqué au soutien de cette solution tout au moins dans l’hypothèse où une relation contractuelle a été rompue. On le voit, la qualification délictuelle n’a rien d’évident. Ce raisonnement peut-il être transposé lorsque l’on s’interroge, comme en l’espèce, sur le conflit de lois ? Si les faits litigieux s’étaient produits après 2009 et que les règlements Rome I et Rome II avaient été en vigueur, la qualification délictuelle, retenue par le présent arrêt, aurait-elle pu être maintenue ? La réponse à cette question est pour le moins incertaine. En effet, en l’espèce, à n’en pas douter, un engagement librement assumé existe entre les parties et le comportement reproché peut être considéré, au sens large et indépendamment des finesses de l’analyse du droit interne français, comme un manquement aux obligations contractuelles. Le contrat conclu le 1er janvier 1999 a été tacitement reconduit. La société FGM reproche bien à la société Guerlain d’avoir rompu une relation contractuelle. Il serait légitime que la réponse à sa demande soit recherchée dans les règles applicables au contrat qu’il s’agisse de la lex contractus ou de lois de police. Mais, à l’instar de ce qui a été dit dans le cadre de la règle de conflit jurisprudentielle française, force est de constater que d’autres situations factuelles relèveront nécessairement, en l’absence de rupture d’une relation contractuelle, d’une qualification délictuelle. Là encore, la rigueur de l’analyse juridique devrait donc conduire vers une solution dualiste. Telle n’est pas la voie empruntée par le présent arrêt. Bien que sa pérennité soit discutable au regard de la jurisprudence de la CJUE, il faut reconnaître que l’avantage de la solution adoptée par la Cour de cassation réside dans la simplicité. Toutes les situations de rupture sont qualifiées de façon unique. Or, même si, la méthode a de quoi surprendre, on s’aperçoit que cette unité est d’autant moins gênante que la présence d’un contrat est appelée à jouer un rôle non négligeable au niveau du rattachement.
II. – La loi applicable à l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie
2711. Le contrat qui unissait la société Guerlain et la société FGM était soumis au droit français. En dépit de la qualification délictuelle de l’action en responsabilité, l’existence de cette relation a joué un rôle dans la détermination de la loi applicable (A). Pour justifier l’application de la loi française la cour d’appel avait également invoqué le caractère de loi de police de l’article L. 442-6-I, 5°. L’argument était pour le moins maladroitement utilisé. Il mérite néanmoins quelques mots (B).
A. – L’article L. 442-6-I, 5° et la règle de conflit en matière délictuelle
2812. Les faits étant antérieurs à 2009 la Cour de cassation met en œuvre la règle de conflit jurisprudentielle française applicable en matière délictuelle. On sait que celle-ci s’est, après quelques hésitations, fixée sur la loi du lieu du fait dommageable, ce dernier s’entendant aussi bien du lieu du fait générateur que du lieu du préjudice. En cas de délit complexe le principe de proximité joue un rôle départiteur, permettant de choisir entre ces deux lois celle qu’il convient d’appliquer. Même si son attendu n’est pas d’une orthodoxie parfaite, c’est, semble-t-il, ce raisonnement, désormais classique, qui est appliqué par la Cour de cassation dans son arrêt en date du 25 mars 2014 (comp. D. Bureau, note préc. qui estime que le principe de proximité est appliqué à titre principal). Le contrat, soumis au droit français, est pris en compte au titre du principe de proximité. La relation contractuelle préexistante de plus de douze ans, formalisée dans un contrat soumis au droit français, permet de dire que la loi française, loi du lieu du fait générateur, présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable. (On ne reviendra pas ici sur la détermination du fait générateur. Le lieu de prise de décision paraît conforme à la jurisprudence. Pour un exemple récent d’interrogation sur la localisation du fait générateur en matière de responsabilité du fait des produits v. CJUE 16 janv. 2014, aff. C-45/13, Procédures 2014. 69, C. Nourissat) En dépit de la qualification délictuelle, c’est donc bien la loi régissant le contrat qui est ainsi appliquée par la Cour de cassation (comp. pour des résultats analogues D. Sindres, La violation du contrat au préjudice des tiers en droit international privé, JDI 2010. 7.) Le résultat semble satisfaisant. Néanmoins, chacun sait que le droit de demain est à rechercher dans le règlement Rome II. Dès lors une question vient immédiatement à l’esprit : si, ce qui est loin d’être certain, la qualification délictuelle devait, être maintenue par la Cour de justice, le même résultat pourrait-il être obtenu en application du règlement Rome II ? La réponse est clairement affirmative. Si l’article 4 § 1 a explicitement opté pour la loi du lieu du dommage, le paragraphe 3 du même texte prévoit une clause d’exception permettant au juge d’écarter cette dernière loi au profit de celle qui présente avec le fait dommageable des liens manifestement plus étroits. Et chacun se souvient qu’aux termes mêmes du texte un lien manifestement plus étroit avec un autre pays peut se fonder notamment sur une relation contractuelle préexistante, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. Au moyen de la clause d’exception, le règlement Rome II permettrait donc, en dépit d’une qualification délictuelle, d’appliquer la lex contractus à l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, y compris d’ailleurs lorsque celle-ci se matérialise par un refus de contracter. Bien sûr, tout comme dans le cadre de la règle de conflit jurisprudentielle française, cette application n’aurait rien d’automatique et dépendrait de l’appréciation du juge. Elle poserait de surcroît un certain nombre de questions difficiles relatives à l’office du juge dans le cadre de la clause d’exception. Ces difficultés étant signalées, la solution donnerait, dans l’ensemble, satisfaction, même si on peut être gêné par l’idée d’une utilisation systématique de la clause d’exception dans un type de contentieux. (en ce sens D. Bureau, note préc.). Ce serait, semble-t-il, le prix d’une simplicité recherchée au stade de la qualification. Mais l’arrêt suscite une ultime interrogation. En effet, pour justifier l’application de la loi française la cour d’appel invoque également l’article 7 de la convention de Rome. Au-delà de la référence maladroite à un texte applicable en matière contractuelle, ce motif pousse à se demander si le mécanisme des lois de police a un rôle à jouer en matière de rupture abusive d’une relation commerciale établie.
B. – L’article L. 442-6-I, 5° et les lois de police
2913. La question est simple : l’article L. 442-6-I, 5° mérite-t-il la qualification de loi de police ? La configuration factuelle du litige qui opposait la société FGM et la société Guerlain ne permettait pas de mettre clairement en lumière l’enjeu de la question, les juges ayant conclu à la soumission de l’action en responsabilité à la loi française. Mais, si les parties avaient soumis le contrat au droit chilien, les juges français auraient-ils pu ou dû appliquer tout de même l’article L. 442-6-I, 5° en tant que loi de police ? Plusieurs arrêts d’appel l’ont pensé, sans que le raisonnement de droit international privé soit toujours très explicite et sans que l’on sache toujours très bien si les juges du fond raisonnent en termes contractuels ou délictuels (v. par ex. Lyon, 30 avr. 2008, n° 06/04689, inédit ; v. en ce sens déjà Versailles 14 oct. 2004, n° 2003-04512). On sait que la Cour de cassation elle-même n’est pas hostile à l’idée d’ériger l’article L. 442-6-I, 5° au rang de loi de police (Com. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823, JCP 2008. II. 10187, note L. d’Avout ; D. 2009. 2385, obs. S. Bollée). Sur ce point, le règlement Rome II, dont l’application découlerait de la qualification délictuelle si elle devait être maintenue, n’apporte pas de changements substantiels. Son article 16 permet en effet l’application des lois de police du for. Mais dans ce cadre, tout comme en matière contractuelle, pour qu’un texte qualifié de loi de police puisse s’appliquer encore faut-il que la situation présente un lien de rattachement suffisant avec la France au regard de son objectif. Or on peut penser que tel ne serait pas le cas d’une relation commerciale s’exécutant à l’étranger.
30Olivera Boskovic
31Cour de cassation (Com.) – 20 mai 2014
32Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle – Concurrence – Transparence et pratiques restrictives – Ruptures brutales des relations commerciales – Préavis – Caractère écrit – Règle de fond – Lieu du dommage en France – Effets – Application de la loi française
33Le préavis écrit exigé par l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce constituant une règle de fond, justifie légalement sa décision la cour d’appel qui, retenant que l’activité du fournisseur se situait en France, lieu du dommage résultant de la brutalité de la rupture, applique la loi française (1).
34(Soc. Hunter Douglas Belgium Helioscreen c. Soc. Chavanoz industrie et Soc. Porcher industries)
35La Cour : – Joint les pourvois n° A 12-26.705, P 12-26.970 et A 12-29.281 respectivement formés par la société Hunter Douglas Belgium Helioscreen, par les sociétés Chavanoz industries et Porcher industries et par la société Mermet industries, M. C…, pris en qualité de mandataire judiciaire de cette société et la société AJ Partenaires représentée par M. Sapin, pris en qualité d’administrateur judiciaire de la même société, qui attaquent le même arrêt ;
36Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 6 septembre 2012), que la société Porcher industries (la société Porcher), spécialisée dans la production de fils technologiques, entretenait des relations commerciales soit directement, soit par le canal de sa filiale la société Chavanoz industries (la société Chavanoz), avec les prédécesseurs de la société XL Screen aux droits de laquelle vient la société Mermet industries (la société Mermet), ainsi qu’avec la société Hunter Douglas Belgium Helioscreen (la société Helioscreen) appartenant l’une et l’autre au groupe Hunter Douglas NV de droit néerlandais ; que ces relations commerciales ont abouti, les 19 juillet et 22 juin 2006, à la signature d’un contrat d’approvisionnement à long terme en fils de verre enduit de référence 165 Tex avec chacune des deux sociétés ; que ces deux contrats avaient pour terme le 31 décembre 2008, le contrat conclu avec la société XL Screen contenant cependant une clause de tacite reconduction sauf préavis notifié deux mois avant le terme contractuel ; qu’entretemps, courant 2005, la société Mermet industries, également spécialisée dans la production de fils technologiques, avait été rachetée par le groupe Hunter Douglas, dont l’objectif était de parvenir à une intégration verticale de sa production ; que la société XL Screen ayant dénoncé son contrat par lettre du 26 février 2009, et la société Helioscreen ayant confirmé par lettre du 27 mars 2009 la cessation de toute commande au titre de l’année 2009, les sociétés Chavanoz et Porcher les ont assignées en responsabilité, la première pour résiliation fautive et la seconde pour rupture brutale des relations commerciales ; qu’elles ont également reproché à la société Hunter Douglas NV son immixtion fautive dans les relations commerciales de ses filiales et demandé sa condamnation in solidum à réparer leurs préjudices ; que les société XL Screen, Helioscreen et Hunter Douglas NV se sont prévalues du caractère restrictif de concurrence des contrats litigieux au regard des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, 81 et 82 du traité CE devenus les articles 101 et 102 TFUE et ont reconventionnellement demandé que soit prononcée leur nullité ; que la société Mermet ayant été déclarée en redressement judiciaire en cours d’instance, M. C… et la société AJ Partenaires ont été désignés respectivement mandataire et administrateur judiciaires ;
37Sur le premier moyen du pourvoi n° A 12-26.705 : – Attendu que la société Helioscreen fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à la société Chavanoz une certaine somme au titre de la rupture brutale de leurs relations commerciales, alors, selon le moyen :
381°/ que la forme d’un acte juridique est régie par la loi du lieu où il est accompli ; qu’il s’en déduit que les conditions de forme de la rupture d’une relation commerciale établie sont régies par la loi du lieu de sa dénonciation ; qu’en retenant, pour refuser d’appliquer la loi néerlandaise aux conditions de forme de la rupture de la relation commerciale entre les sociétés Helioscreen et Chavanoz, bien que la société Chavanoz ait été informée par son partenaire commercial de la cessation progressive des approvisionnements en fil de fibre de verre ignifugé lors d’une réunion tenue à Schiphol aux Pays-Bas le 7 septembre 2005, que le litige ne portait pas sur le droit de rompre la relation commerciale mais sur la faute résultant de la rupture brutale d’une relation commerciale établie avec un fournisseur dont l’activité se situe en France, lieu du dommage, dont la loi exige un préavis écrit, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil et la règle locus regit actum ;
392°/ que l’existence d’une relation commerciale établie suppose, d’une part, que la relation commerciale revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et, d’autre part, que la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial ; que la cour d’appel a constaté, d’une part, qu’il résultait du courriel du 6 octobre 2005 émanant du groupe Porcher qu’il était informé depuis la réunion du 7 septembre 2005 de ce que la société Helioscreen cesserait progressivement ses approvisionnements en fil de fibre de verre ignifugé auprès de la société Chavanoz et, d’autre part, que la stratégie d’intégration verticale de la société Helioscreen était connue de tous les acteurs du marché, ce dont il se déduisait que la société Chavanoz ne pouvait raisonnablement anticiper, en décembre 2008, un maintien du flux d’affaires ; qu’en retenant, pour affirmer néanmoins l’existence d’une relation commerciale établie entre les sociétés Helioscreen et Chavanoz, que le flux d’affaires était ancien et suivi, que le volume des commandes avait augmenté entre 2006 et 2008 et que des négociations avaient eu lieu à propos d’approvisionnements ultérieurs, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et violé l’article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce ;
40Mais attendu, d’une part, que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage, en vertu de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la responsabilité délictuelle de son auteur, l’exigence d’un préavis écrit prévue par ce texte constituant une règle de fond ; qu’ayant retenu que l’activité du fournisseur se situait en France, lieu du dommage résultant de la brutalité de la rupture, de sorte que les sociétés Chavanoz et Porcher étaient bien fondées à solliciter l’application de la loi française, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;
41Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé par une appréciation souveraine des pièces produites que les sociétés Chavanoz et Porcher, d’un côté, Helioscreen et sa holding, de l’autre, ont discuté jusqu’en 2009 de la quantité des achats et des prix comme le démontrent leurs échanges et la conclusion du contrat d’approvisionnement dont le terme était le 31 décembre 2008, puis leurs discussions pour poursuivre une relation commerciale jusqu’en 2010, l’arrêt retient que ces éléments de fait ne caractérisent pas une volonté ferme et définitive de mettre fin à la relation commerciale, notifiée au fournisseur, lequel était fondé à croire que celle-ci continuerait, d’autant plus que les volumes commandés entre 2006 et 2008 avaient augmenté, ce en dépit de la stratégie du groupe Hunter Douglas qui, connue de tous les acteurs du marché, était de poursuivre une stratégie d’intégration verticale avec le rachat de la société Mermet et de sa filiale XS Screen ; qu’ayant ainsi fait ressortir que les sociétés Chavanoz et Porcher étaient fondées à croire en la poursuite des relations commerciales entretenues avec leur client, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
42Sur le second moyen du même pourvoi : – Attendu que la société Helioscreen fait le même reproche à l’arrêt, alors, selon le moyen, que la société Helioscreen exposait, en cause d’appel, que les sociétés Porcher et Chavanoz ne justifiaient pas le taux de marge particulièrement élevé sur lequel elles fondaient l’évaluation du préjudice de la société Chavanoz ; qu’elle soutenait, d’une part, que la pièce n° 25 était « illisible » et « truffée d’erreurs de référence qui se traduisent par des “trous” » dans la colonne relative à la marge et, d’autre part, que la pièce n° 42 était lacunaire et non conforme, en la forme et au fond, aux exigences de « la norme NEP-9030 applicable aux attestations entrant dans le cadre des diligences directement liées à la mission de commissaires aux comptes » ; que la cour d’appel, qui a évalué le prétendu préjudice de la société Chavanoz sans répondre à ces chefs de conclusions pertinents, précisant même qu’elle n’entendait pas répondre aux critiques adressées à la pièce n° 42, a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ; Mais attendu que l’arrêt retient que le caractère relativement élevé de la marge bénéficiaire réalisée sur le produit en cause ressort de tous les documents fournis au débat ; que le moyen, qui ne tend qu’à remettre en cause l’évaluation souveraine, par les juges du fond, du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, ne peut être accueilli ;
43Sur le moyen unique du pourvoi n° P 12-26.970 : – Attendu que les sociétés Chavanoz et Porcher font grief à l’arrêt d’avoir mis hors de cause la société Hunter Douglas NV, alors, selon le moyen, que l’agent qui ordonne à une personne placée sous son autorité de commettre un manquement à ses obligations légales ou contractuelles commet lui-même une faute engageant sa propre responsabilité ; qu’en conséquence, doit être condamnée in solidum la société-mère qui ordonne à ses filiales de rompre brutalement leurs relations en méconnaissance de leurs obligations légales ou contractuelles ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté qu’en cessant brutalement toute commande auprès de la société Chavanoz, la société Helioscreen a méconnu l’exigence de préavis raisonnable prévue par l’article L. 442-6 du Code de commerce ; qu’elle a également relevé que la société XL Screen avait méconnu le terme du contrat conclu le 19 juillet 2006 en cessant de l’exécuter alors même qu’il avait été tacitement reconduit ; qu’enfin, les juges du second degré ont expressément relevé que ces ruptures fautives de contrat avaient été ordonnées par la société-mère Hunter Douglas NV : « il est certain comme cela ressort du débat judiciaire que les deux filiales de la société Hunter Douglas NV ont respecté les consignes et la stratégie de leur société-mère, en ne poursuivant pas les relations commerciales avec le fournisseur de fils en fibre de verre qu’était la société Chavanoz » ; qu’en rejetant pourtant l’action en responsabilité intentée par les sociétés Porcher et Chavanoz à l’encontre de la société Hunter Douglas NV, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article 1382 du Code civil ;
44Mais attendu que l’arrêt retient, par une appréciation souveraine des éléments de fait au débat, que la preuve n’est pas rapportée d’une immixtion fautive de la société Hunter Douglas NV dans l’exécution des contrats qui ont pris fin et dans leur rupture respective, et qu’il n’apparaît pas que les deux interlocuteurs des sociétés Chavanoz et Porcher soient intervenus dans les discussions, négociations, relations, comme représentant la société-mère et pouvant engager cette dernière, dès lors que le premier avait la qualité de gérant de deux sociétés du groupe distinctes ainsi que le confirment les courriels produits, que le second, gérant d’une sous-filiale de la société Hunter Douglas NV, intervenait selon les conclusions de cette dernière, non contredites, comme spécialiste de la production de fils de fibre de verre en cause, et qu’il n’est pas établi que l’un et l’autre se soient substitués aux dirigeants des deux filiales ; qu’il relève encore que s’il ressort du débat judiciaire que les deux filiales de la société Hunter Douglas NV ont respecté les consignes et la stratégie de leur société-mère, en ne poursuivant pas les relations commerciales avec leurs fournisseurs, la responsabilité de la société mère, qui n’a pas commis de faute civile en s’immisçant dans la gestion de ses filiales de telle sorte qu’elles en perdraient toute autonomie et toute personnalité morale, ne peut être retenue en l’espèce ; que par ces constatations et appréciations faisant ressortir que la poursuite d’une stratégie d’intégration verticale décidée par la société-mère, comme les consignes données à ses filiales, ne les avaient pas privées de leur autonomie de décision et partant, n’étaient pas de nature à constituer une faute imputable à leur société-mère, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;
45Sur le premier moyen du pourvoi n° A 12-29.281 : – Attendu que la société Mermet, M. C…, ès qualités, et la société AJ Partenaires, ès qualités, font grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Mermet à payer aux sociétés Porcher et Chavanoz une certaine somme, en application de la clause pénale prévue au contrat, et d’avoir rejeté ses demandes d’annulation et de dommages-intérêts fondées sur les pratiques anticoncurrentielles imputées aux sociétés Porcher et Chavanoz, alors, selon le moyen :
461°/ que la position dominante désigne la situation de puissance économique d’une entreprise apte à adopter des comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs et à faire en conséquence obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause ; qu’une part de marché extrêmement importante démontre à elle-seule, sauf circonstances exceptionnelles, l’existence d’une position dominante ; qu’ayant constaté qu’en 2006, la société Chavanoz était seule en mesure de fournir du fil de fibre de verre ignifugé en quantité significative, la cour d’appel, qui a néanmoins retenu, pour nier qu’elle fût en position dominante sur le marché concerné, que les sociétés Mermet et Copaco étaient également capables de produire du fil de fibre de verre ignifugé, sans constater de circonstances exceptionnelles de nature à renverser la présomption de position dominante résultant de la part de marché de la société Chavanoz, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 102 TFUE et L. 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce ;
472°/ que le pouvoir de marché s’apprécie en considération de la part de marché, de la notoriété et, le cas échéant, de l’avance technologique dont bénéfice l’entreprise concernée ; qu’ayant constaté qu’en 2006, la société Chavanoz était seule en mesure de fournir du fil de fibre de verre ignifugé en quantité significative et qu’elle bénéficiait d’une notoriété certaine et d’une avance technologique, la cour d’appel, qui a retenu, pour nier que la société Chavanoz fût en position dominante sur le marché concerné, qu’en 2006, les sociétés Mermet et Copaco étaient également capables de fabriquer du fil de fibre de verre ignifugé, ce qui était sans incidence sur le pouvoir de marché de la société Chavanoz qui procédait de l’effet conjugué de sa part de marché, de sa notoriété et de son avance technologique, a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles 102 TFUE et L. 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce ;
483°/ que la preuve de la puissance d’achat compensatrice ne constitue une circonstance exceptionnelle permettant de considérer qu’une entreprise en quasi-monopole ne se trouve pas pour autant en position dominante sur le marché en cause que si les clients peuvent menacer, de façon crédible, de recourir dans un délai raisonnable à d’autres fournisseurs ou de s’intégrer verticalement ; que la cour d’appel, qui a constaté qu’en 2006, la société Chavanoz était seule en mesure de fournir du fil de fibre de verre ignifugé en quantité significative, s’est néanmoins fondée sur le fait que les achats des sociétés XL Screen et Helioscreen représentaient 90 % des ventes de la société Chavanoz, pour nier sa position dominante sur le marché en cause ; qu’en statuant ainsi, sans constater que la société XL Screen pouvait, en 2006, de manière crédible, trouver d’autres sources d’approvisionnement dans un délai raisonnable, la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce ;
494°/ que constitue une obligation d’achat exclusif toute obligation directe ou indirecte faite à un acheteur d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu’il a effectués au cours de l’année civile précédente ; qu’en retenant, pour affirmer que les conditions du contrat du 19 juillet 2006 n’étaient pas abusives et n’avaient pas d’effet anticoncurrentiel, que le fait que le volume d’achat minimum imposé à la société XL Screen fût équivalent à 95 % du volume des achats de l’année 2005 était sans pertinence à défaut d’engagement d’approvisionnement exclusif ou d’obligation équivalente expressément stipulée, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce ;
505°/ qu’une entreprise en position dominante ne peut, sans fausser la concurrence, imposer à un acheteur de s’approvisionner exclusivement ou principalement auprès d’elle, sauf à justifier d’une raison objective tenant, notamment, à la contrepartie économique obtenue par le client ; que l’avantage tarifaire consenti au client ne constitue pas une prestation économique de nature à justifier l’obligation d’achat exclusif ou quasi-exclusif souscrite par le client économiquement dominé ; qu’en retenant, pour affirmer que les conditions du contrat du 19 juillet 2006 n’étaient pas abusives et n’avaient pas d’effet anticoncurrentiel, que l’obligation d’achat minimum imposée par la société Chavanoz à la société XL Screen avait pour contrepartie la négociation concomitante des prix, la cour d’appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L. 420-2, alinéa 1er du Code de commerce ;
516°/ que la clause pénale qui sanctionne une obligation d’approvisionnement minimum peut constituer l’exploitation abusive d’une position dominante dès lors qu’elle renchérit de manière dissuasive pour le client le coût de la rupture du contrat ; que la société XL Screen faisait précisément valoir, en cause d’appel, que la clause pénale stipulée dans le contrat du 19 juillet 2006 prévoyait une indemnité forfaitaire égale, non au gain manqué par la société Chavanoz, mais au chiffre d’affaires non réalisé, en sorte qu’elle tendait essentiellement, non à réparer le préjudice de la société Chavanoz, mais à « rendre trop onéreux le non-respect » de la clause d’approvisionnement minimum et à priver la société XL Screen de « toute autonomie commerciale » ; qu’en excluant tout abus de position dominante de la part des sociétés Chavanoz et Porcher, sans répondre à ce chef de conclusions pertinent, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
527°/ que l’abus de position dominante est prohibé dès lors qu’il a pour objet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, indépendamment de toute intention anticoncurrentielle ; qu’en retenant, pour rejeter les demandes formées par la société Mermet, venant aux droits de la société XL Screen, fondées sur l’abus de position dominante, que la preuve d’une stratégie anticoncurrentielle n’était pas établie et que la conclusion du contrat du 19 juillet 2006 n’avait pas eu pour cause impulsive et déterminante une stratégie anticoncurrentielle de la part du groupe Porcher et de la société Chavanoz, la cour d’appel a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce ;
53Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir relevé par des motifs non critiqués que le marché pertinent concerne le secteur du fil de fibre de verre ignifugé en Europe et qu’il appartient aux sociétés Hunter Douglas et Mermet de démontrer qu’au moment de la conclusion du contrat d’approvisionnement sur trois ans conclu le 19 juillet 2006, le groupe Porcher et sa filiale la société Chavanoz avaient commis en proposant ce contrat, un abus de position dominante ou mis en place des conditions restrictives du marché dans des conditions telles que les règles de la concurrence en étaient faussées, l’arrêt retient par motifs propres et adoptés, d’abord, qu’il est constant que les achats des sociétés XL Screen et Helioscreen représentaient pour la société Chavanoz 90 % de ses ventes de fils et qu’il s’ensuit qu’il n’y avait pas d’indépendance de la société Chavanoz vis-à-vis de ces deux clients sur le marché en cause ; qu’il retient encore que les entreprises du groupe Hunter Douglas, à la fois client et concurrent de la société Chavanoz, lui avaient annoncé sa stratégie d’intégration verticale de sa production, et négociaient fermement le prix de vente du produit, au moment où les fournitures de base nécessaires à la production augmentaient de manière significative et qu’enfin le contrat litigieux a été conclu pour une durée de trois ans, sans exclusivité ; qu’ayant par ces énonciations, constatations et appréciations fait ressortir que les sociétés Hunter Douglas et Mermet n’apportaient la preuve, qui leur incombait, ni de la part détenue par la société Chavanoz sur le marché en cause, ni d’une quelconque domination exercée par cette société sur ce marché lors de la signature du contrat litigieux, ce dont il résultait que les stipulations du contrat d’approvisionnement litigieux ne pouvaient être critiquées au regard des dispositions invoquées, la cour d’appel, qui n’a pas dit que l’abus de position dominante requérait la démonstration d’une intention anticoncurrentielle, a légalement justifié sa décision ;
54Attendu, en second lieu, que les juges du fond n’ont pas à motiver spécialement leur décision lorsque, faisant application pure et simple de la convention, ils refusent de modérer la peine ;
55D’où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa septième branche, et qui est inopérant en ses quatrième, cinquième et sixième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;
56Sur le deuxième moyen du même pourvoi : – Attendu que la société Mermet, M. C…, ès qualités, et la société AJ Partenaires, ès qualités, font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
571°/ que constitue une obligation d’achat exclusif toute obligation directe ou indirecte imposant à l’acheteur d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu’il a effectués au cours de l’année civile précédente ; qu’ayant constaté que le volume des achats minimum imposés à la société XL Screen était équivalent à 95 % du volume des achats de l’année 2005, la cour d’appel, qui a retenu, pour affirmer que le groupe Porcher ne se trouvait pas en 2006 dans une situation de domination économique telle que la société XL Screen aurait été « contrainte et dépendante économiquement » et « abusive au point d’imposer sa volonté à son cocontractant », qu’aucune clause d’exclusivité n’était stipulée, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce ;
582°/ que se trouve en état de dépendance économique l’entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son fournisseur un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; que doivent également être pris en considération la notoriété de la marque du fournisseur et l’importance de sa part dans le marché considéré ; qu’ayant constaté qu’en 2006, la société Chavanoz était seule en mesure de produire du fil de fibre de verre ignifugé en quantité significative et que le groupe Porcher bénéficiait en outre d’une grande notoriété et d’une avance technologique certaine, la cour d’appel, qui a néanmoins affirmé qu’il n’était pas établi que la société XL Screen se trouvait dans un état de dépendance économique à l’égard de la société Chavanoz, dès lors qu’aucune exclusivité n’était stipulée en sa faveur, a statué par un motif inopérant et violé l’article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce ;
593°/ que commet un abus le fournisseur qui impose à un client en état de dépendance économique de s’approvisionner exclusivement ou principalement auprès de lui, sauf à justifier de la contrepartie économique obtenue par le client ; qu’un avantage tarifaire ne constitue pas une prestation économique de nature à justifier l’obligation d’achat exclusif ou quasi-exclusif souscrite par le client économiquement dépendant ; qu’ayant constaté que la société Chavanoz avait imposé à la société XL Screen, en contrepartie d’une baisse de tarif, pour les trois années du contrat, d’acheter auprès d’elle un volume de fil de fibre de verre ignifugé équivalent à 95 % du volume des achats de l’année 2005, sauf à payer une indemnité correspondant au prix des quantités non commandées, la cour d’appel, qui a néanmoins retenu, pour exclure toute exploitation abusive d’un état de dépendance économique, que la société XL Screen n’avait pas souscrit d’engagement exclusif ou d’obligation équivalente et qu’elle avait négocié les prix, a statué par des motifs inopérants, en violation de l’article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce ;
604°/ que l’abus de dépendance économique est prohibé dès lors qu’il est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, indépendamment de toute intention anticoncurrentielle ; qu’en retenant, pour rejeter les demandes formées par la société Mermet, venant aux droits de la société XL Screen, fondées sur l’article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, que la preuve d’une stratégie anticoncurrentielle n’était pas établie et que la conclusion du contrat du 19 juillet 2006 n’avait pas eu pour cause impulsive et déterminante une stratégie anticoncurrentielle de la part du groupe Porcher et de la société Chavanoz, la cour d’appel a violé le texte précité ;
61Mais attendu que l’arrêt retient que les stipulations contractuelles négociées à leur profit par les sociétés Porcher et Chavanoz, tenant à la durée de l’approvisionnement, aux quantités minimales et annuelles, à la tacite reconduction pour un an après le 31 décembre 2008 et aux clauses d’indemnité en cas de non-respect de la quantité minimale, alors qu’aucune clause d’exclusivité n’était stipulée au profit de la société Chavanoz, avec des négociations de prix pour chaque année, ne suffisent pas à caractériser, pour un fournisseur, une domination économique telle que ses clients deviennent contraints et dépendants économiquement, et abusive au point d’imposer sa volonté à son cocontractant lors d’un contrat dont la durée n’a rien d’excessif ; qu’il relève encore que ni la notoriété certaine des sociétés Porcher et Chavanoz, ni la qualité de leur production, ni leur avance technologique ne leur permettaient, en 2006, d’imposer à la société XL Screen une quelconque domination économique lors de la signature, après négociation, du contrat litigieux, lequel n’était pas de nature à fausser la concurrence ; qu’ayant par ces constatations souveraines et ces appréciations fait ressortir que la société XL Screen ne se trouvait pas, lors de la signature du contrat en 2006, dans un état de dépendance économique vis-à-vis des sociétés Chavanoz et Porcher, la cour d’appel, qui n’a pas dit que l’abus de dépendance économique requérait la démonstration d’une intention anticoncurrentielle, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa quatrième branche et qui est inopérant en sa troisième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;
62Et sur le troisième moyen du même pourvoi : – Attendu que la société Mermet, M. C…, ès qualités, et la société AJ Partenaires, ès qualités, font le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, que la société Mermet, venant aux droits de la société XL Screen, faisait valoir, en cause d’appel, que le contrat du 19 juillet 2006, et en particulier la clause d’approvisionnement minimum, constituait un accord restrictif de concurrence ; qu’en rejetant les demandes d’annulation et de dommages-intérêts de la société Mermet, sans se prononcer sur ce chef de conclusions pertinent, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile ;
63Mais attendu qu’ayant retenu par une appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve produits au débat, que la signature du contrat du 19 juin 2006, ses stipulations, sa clause d’approvisionnement minimal, sa durée et la possibilité de le reconduire pour un an à compter du 31 décembre 2008 n’étaient pas de nature à fausser la concurrence, la cour d’appel a satisfait aux exigences du texte susvisé ; que le moyen n’est pas fondé ;
64Par ces motifs : – Rejette les pourvois ;
65Du 20 mai 2014 – Cour de cassation (Com.) – Pourvois nos 12-26.705, 12-26.970 et 12-29.281 – M. Espel, prés., Mme Riffault-Silk, rapp., M. Mollard, av. gén. – SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Piwnica et Molinié, av.
66(1) 1. Dans son arrêt du 20 mai 2014 (n° 12-26.705, 12-26.970, 12-29.281, préc., CCC 2014. 192, obs. N. Mathey), la Chambre commerciale de la Cour de cassation est à nouveau confrontée au traitement conflictuel de la rupture brutale d’une relation commerciale établie. La question, importante en pratique et intéressante d’un point de vue théorique, a récemment occupé le devant de la scène. Cette importance explique que la décision du 20 mai 2014 soit publiée au Bulletin. Disons néanmoins immédiatement qu’elle n’apporte pas toute la lumière que l’on pouvait en attendre.
672. En l’espèce, la société Porcher industries, une société spécialisée dans la production de fils technologiques, entretenait depuis plus de vingt ans des relations commerciales soit directement soit par le biais de sa filiale, la société Chavanoz, avec deux sociétés appartenant à un groupe de droit néerlandais, les sociétés XL Screen et Helioscreen. Ces relations commerciales ont abouti en 2006 à la signature d’un contrat d’approvisionnement à long terme en fil de verre enduit de référence 165 Tex avec chacune des deux sociétés. Les deux contrats avaient pour terme le 31 décembre 2008, l’un contenant néanmoins une clause de tacite reconduction sauf préavis notifié deux mois avant le terme contractuel. Le contentieux opposant les différentes sociétés étant complexe, nous limiterons notre analyse à la question de la rupture brutale d’une relation commerciale établie. En effet, la société Helioscreen ayant confirmé la cessation de toute commande au titre de l’année 2009 les sociétés Chavanoz et Porcher l’ont assignée en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales. Notons immédiatement que la date de cette rupture revêt une importance considérable. Antérieure au 17 janvier 2009, elle relève de la règle de conflit jurisprudentielle française applicable en matière délictuelle. Postérieure à cette date, elle entre potentiellement dans le champ d’application du règlement Rome II relatif à la loi applicable aux obligations non contractuelles. Or, deux dates apparaissent à la lecture des faits : le 5 décembre 2008, la société Helioscreen faisait savoir à la société Chavanoz qu’elle cessait dans l’immédiat de s’approvisionner chez elle, en passant sa dernière commande. Le 27 mars 2009, elle indiquait clairement qu’elle ne prévoyait pas d’acheter des quantités de fils en 2009. Cette question pourtant cruciale, ne semble pas avoir été débattue. Le règlement Rome II n’est invoqué ni par les parties ni par les juges. En effet, victorieuse en première instance, la société Helioscreen est condamnée devant la cour d’appel à payer des dommages et intérêts substantiels sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code du commerce. Elle forme un pourvoi en cassation articulé autour de deux moyens. Seul le premier intéresse le droit international privé. En effet, la société Helioscreen reproche à la cour d’appel d’avoir violé l’article 3 du code civil et la règle locus regit actum. Elle considère en effet que les conditions de forme de la rupture d’une relation commerciale établie étant régies par la loi du lieu de sa dénonciation, les juges du fond auraient dû appliquer la loi néerlandaise aux conditions de forme de la rupture de la relation commerciale entre les sociétés Helioscreen et Chavanoz.
683. L’argument avait peu de chances de prospérer. Sans surprise, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle affirme que le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels engage, en vertu de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la responsabilité délictuelle de son auteur, l’exigence d’un préavis écrit prévue par ce texte constituant une règle de fond. On comprend donc que dès lors que la loi française était applicable à la responsabilité délictuelle de la société Helioscreen, la règle relative au préavis, règle de fond, devait s’appliquer à l’exclusion de toute considération relative à la forme. La réponse ne surprend pas. Reste la question de la détermination de la loi applicable à la responsabilité dans cette hypothèse. Sur ce point l’arrêt se borne à affirmer que l’activité du fournisseur se situant en France, lieu du dommage résultant de la brutalité de la rupture, les sociétés Chavanoz et Porcher étaient bien fondées à solliciter l’application de la loi française.
694. Bien que la formule puisse laisser croire à une approche unilatéraliste, il n’est nullement fait appel à la notion de loi de police. C’est bien un raisonnement conflictuel qui est adopté par la Haute juridiction. Alors de deux choses l’une : soit la Cour de cassation applique, sans le viser, l’article 4 du règlement Rome II qui donne compétence à la loi du lieu du dommage. Soit, considérant que le fait générateur s’est produit avant le 17 janvier 2009, elle raisonne en application de la règle de conflit jurisprudentielle française. On ne peut raisonnablement croire à la première explication. Il convient donc de considérer que la Cour de cassation applique la règle de conflit jurisprudentielle française. Mais, même au regard de celle-ci, la formulation étonne. On sait que la Cour de cassation s’était prononcée sur la question de la loi applicable à une action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie dans un arrêt rendu à peine deux mois plus tôt (Com. 25 mars 2014, supra, p. 823, note O. Boskovic). Dans un attendu très pédagogique elle avait alors rappelé que la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est celle de l’État du lieu où le fait dommageable s’est produit et que ce lieu s’entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui du préjudice. Elle validait ainsi le motif de la cour d’appel selon lequel en cas de délit complexe, il convenait de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable, ces liens résultant dans l’affaire qui lui était soumise de la relation contractuelle préexistante soumise au droit français. Or, le présent arrêt s’écarte de ce raisonnement. Certes, sur la question de la qualification, il ne fait que confirmer la jurisprudence antérieure. La responsabilité est délictuelle. Mais là s’arrêtent les certitudes. Contrairement à la décision rendue par la même chambre deux mois plus tôt, l’arrêt commenté ne reprend pas la règle de conflit jurisprudentielle applicable aux faits dommageables survenus avant l’entrée en vigueur du règlement Rome II. La loi du fait générateur n’est même pas mentionnée. Aucune recherche des liens les plus étroits résultant notamment de la loi applicable au contrat qui unissait les parties n’est menée. Comment interpréter cette différence d’approche ?
705. En réalité, il est certain que c’était bien la loi française qui entretenait, en l’espèce, les liens les plus étroits avec la situation. Une application stricte de la règle de conflit jurisprudentielle telle que formulée par les arrêts Gordon (n° 94-16.861), Mobil North (n° 97-13.972), Bureau Veritas (n° 05- 10.480), et reprise dans l’arrêt Guerlain à savoir, l’utilisation, en cas de délit complexe, du principe de proximité pour départager la loi du lieu du dommage et la loi du lieu du fait générateur aurait donc conduit au même résultat. En effet, le dommage s’est produit en France et le contrat liant les parties était manifestement, faute de clause de choix, soumis à la loi française (notons toutefois qu’on pourrait soutenir que cet élément est moins déterminant dans la mesure où la rupture de la relation commerciale se matérialise en l’espèce par un refus de contracter et non par une rupture de la relation contractuelle à proprement parler). L’application de la loi française s’imposait. Mais sans passer par ce raisonnement, la Cour affirme simplement que les demandeurs étaient bien fondés à solliciter l’application de la loi du lieu du dommage.
716. Si le résultat ne soulève pas de critiques, la formulation de l’attendu n’est certainement pas des plus heureuses dans la mesure où elle laisse penser que la loi applicable à la responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie serait exclusivement la loi du lieu du dommage. Mais peut-on sérieusement penser que désormais, en matière de rupture brutale de relations commerciales établies, la loi française ne pourrait pas s’appliquer dès lors que le dommage se situerait à l’étranger ? On sait que la Cour a décidé le contraire dans son arrêt du 25 mars 2014. Nous ne pensons pas qu’il faille voir dans le présent arrêt un revirement de jurisprudence, même dans le cadre limité de la règle de conflit jurisprudentielle française. Un des avantages de la qualification délictuelle adoptée par la jurisprudence française dans le cadre de la règle de conflit jurisprudentielle applicable en l’espèce est précisément de permettre une large application de la loi française sans même qu’il soit besoin de s’interroger, la plupart du temps, sur la nécessité de qualifier ces dispositions de lois de police. En effet, dans le cadre de la règle de conflit française applicable aux délits survenus avant le 17 janvier 2009, l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce peut s’appliquer lorsque l’activité et donc le dommage est situé en France, comme c’était le cas dans la présente affaire, mais aussi lorsque l’activité est située à l’étranger pour peu que le fait générateur soit localisé en France et que d’autres éléments comme la soumission du contrat à la loi française permettent d’établir un lien étroit avec l’ordre juridique français. Décider que désormais seule la loi du lieu du dommage doit recevoir application irait à l’encontre non seulement de toute la jurisprudence antérieure, mais aussi de cette volonté d’application large. La solution serait étonnante et regrettable.
727. Certes, une deuxième interprétation fondée sur l’exégèse de l’attendu de la Cour de cassation pourrait suggérer qu’une option serait désormais laissée à la victime laquelle pourrait choisir de fonder son action sur la loi du dommage ou sur la loi du fait générateur. Cette interprétation s’appuierait sur l’affirmation selon laquelle les sociétés Chavanoz et Porcher étaient bien fondées à solliciter l’application de la loi française du lieu du dommage. Mais outre le fait que la Cour de cassation n’a jamais accordé d’option législative à la victime en cas de délit complexe, la solution serait, en toute hypothèse, très provisoire. On sait en effet que pour tous les faits dommageables survenus après le 17 janvier 2009, la loi applicable sera à rechercher dans le règlement Rome II. Or (sauf à considérer qu’il conviendrait d’appliquer l’article 6 relatif à la concurrence déloyale et aux atteintes à la libre concurrence, ce qui est loin d’être évident et qui ne conduirait, en tout hypothèse, pas à une option), le règlement donne compétence en priorité à la loi du lieu du dommage. On sait également que l’article 4 § 3 permet au juge d’appliquer une autre loi lorsque celle-ci présente des liens manifestement plus étroits avec le fait dommageable, ces liens pouvant se fonder notamment sur une relation contractuelle préexistante. En matière de responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, cette disposition permettrait, si la qualification délictuelle devait être maintenue (sur ce point v. notre note préc. sous Com 25 mars 2014), d’appliquer la loi du lieu du fait générateur, notamment lorsque celle-ci coïncide avec la lex contractus. Mais il ne s’agit nullement d’une option accordée à la victime.
738. On le voit, du fait de l’existence du règlement Rome II, les jours de la règle de conflit jurisprudentielle en matière de responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie sont comptés. Il est fâcheux que ses dernières applications suscitent autant d’interrogations. En d’autres termes si la qualification délictuelle de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie peut se discuter, les solutions qui en découlent sur le terrain de la loi applicable sont satisfaisantes et il est tout à fait regrettable que la position de la Cour de cassation puisse encore paraître obscure sur ce point. (v. déjà sur les difficultés d’interprétation de l’arrêt du 25 mars 2014 la note de D. Bureau, JCP 2014. 619 et notre note, préc.). On est tenté de penser que la Chambre commerciale n’avait pas la volonté d’innover par rapport à son arrêt du 25 mars 2014. Une décision plus claire aurait permis de l’affirmer.
74Olivera Boskovic
75Cour de cassation (Civ. 1re) – 12 juin 2014 (2 arrêts)
76Testament – Testament authentique – Nullité – Testament international – Validité – Formalisme – Convention de Washington
77L’annulation d’un testament authentique pour non-respect des dispositions des articles 971 à 975 du Code civil ne fait pas obstacle à la validité de l’acte en tant que testament international dès lors que les formalités prescrites par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 ont été accomplies (1er arrêt) (1).
78Il en est autrement lorsque l’annulation de ce testament a été prononcée également pour insanité d’esprit en application de l’article 901 du Code civil et le testament litigieux ne peut valoir comme testament international (2e arrêt) (2).
791er Arrêt
80(Mme A. c. Fondation d’Auteuil)
81La Cour : – Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 11 février 2013), rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 29 juin 2011, pourvoi n° 10-17.168, Bull. civ. I, n° 139), que Christiane X…, veuve Y…, est décédée le 2 mars 2006, en l’état de huit testaments authentiques reçus entre le 18 avril 1984 et le 11 janvier 2006 et instituant un légataire universel et des légataires particuliers ; Attendu que Mme A…, nièce de la défunte, fait grief à l’arrêt de dire que le testament du 11 janvier 2006, déclaré faux en tant que testament authentique, est valable en tant que testament international, alors, selon le moyen, que la formalité de dictée exigée en matière de testament authentique par l’article 972 du Code civil tend à préserver la libre volonté du testateur ; que le non-respect de cette formalité entraîne la nullité du testament par acte public, lequel ne saurait être converti en testament international sans remettre en cause la garantie attachée à l’exigence de la dictée ; qu’au cas présent, la cour a estimé que le testament du 11 juillet 2006 était faux et ne pouvait valoir comme acte authentique en ce qu’il n’avait pas été établi conformément aux règles légales imposées pour les testaments authentiques, les témoins instrumentaires n’ayant pas assisté à la dictée du testament par la testatrice, ni à sa rédaction ; que la cour d’appel a néanmoins jugé que ce testament, déclaré faux en tant qu’acte public, était valable comme testament international et qu’en statuant ainsi, la cour a violé l’article 972 du Code civil, ensemble l’adage « quod nullum est, nullum producit effectum » (« ce qui est nul ne peut produire aucun effet ») ;
82Mais attendu que l’annulation d’un testament authentique pour non-respect des dispositions des articles 971 à 975 du Code civil ne fait pas obstacle à la validité de l’acte en tant que testament international dès lors que les formalités prescrites par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 ont été accomplies ; qu’ayant constaté que toutes les conditions prévues par la loi uniforme sur la forme d’un testament international avaient été remplies à l’occasion de l’établissement du testament reçu le 11 janvier 2006, la cour d’appel en a justement déduit que cet acte, déclaré nul en tant que testament authentique, était valable en tant que testament international ; que le moyen n’est pas fondé ;
83Par ces motifs : – Rejette le pourvoi ;
842e arrêt
85(M. Christian X… e. a.)
86La Cour : – Joint les pourvois n° Y 13-21.118, R 13-20.582, Z 13-21.119, D 13-24.389 et E 13-24.390 qui sont connexes ;
87Sur l’irrecevabilité des pourvois n° Y 13-21.118, R 13-20.582 et Z 13-21.119, relevée d’office, après avertissement délivré aux parties : – Vu l’article 613 du Code de procédure civile ; Attendu que M. Christian X…, Mme Y… et Mme Z… se sont pourvus en cassation, le 15 juillet 2013, contre deux arrêts rendus par défaut et susceptibles d’opposition ; Attendu que M. A…, notaire, s’est pourvu en cassation, le 5 juillet 2013, contre l’un de ces arrêts ; Attendu qu’il n’est pas justifié de l’expiration du délai d’opposition à la date de ces pourvois qui sont en conséquence irrecevables ;
88Sur les autres pourvois : – Attendu, selon le premier arrêt attaqué (Chambéry, 7 mai 2013), qu’Henriette B…, née le 24 mai 1921, veuve de Gaston X… depuis le 4 mars 1994 et placée le 5 septembre 2001 sous la curatelle renforcée de M. Christian X…, neveu de son époux, est décédée le 24 septembre 2004 ; que, par testament authentique reçu le 16 août 2002 par M. A…, elle avait institué légataire universel M. Christian X…, à charge pour lui de délivrer des legs particuliers à Mme Y…, sœur de la testatrice, et à Mme Z…, nièce de Gaston X… ;
89Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches, ci-après annexé, du pourvoi n° D 13-24.389 et sur le moyen unique, pris en ses neuf branches, ci-après annexé, du pourvoi principal n° E 13-24.390 : – Attendu que les moyens ne sont pas de nature à permettre l’admission des pourvois ;
90Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, ci-après annexé, du pourvoi incident au pourvoi n° E 13-24.390 : – Attendu que M. A… fait grief au premier arrêt de dire que le testament authentique est nul comme constituant un faux et ne peut avoir la valeur d’un testament international, alors, selon le moyen :
911°/ qu’un testament authentique nul peut valoir comme testament international ; qu’en décidant que le testament authentique de Mme Henriette X… en date du 16 août 2002 reçu par lui, nul parce que faux, ne pouvait avoir la valeur d’un testament international, la cour d’appel a violé la loi uniforme sur le testament en la forme internationale, instituée par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 ;
922°/ que la fausseté d’une mention n’affecte que la validité de cette mention et non celle de l’acte en son entier ; qu’en décidant que le testament authentique, nul parce que faux, ne pouvait avoir aucune valeur quand la nullité ne pouvait affecter que les mentions de l’acte entachées de fausseté, la cour d’appel a violé l’article 1319 du Code civil ;
93Mais attendu que, si l’annulation d’un testament authentique pour non-respect des dispositions des articles 971 à 975 du Code civil ne fait pas obstacle à la validité de l’acte en tant que testament international dès lors que les formalités prescrites par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 ont été accomplies, il en est autrement lorsque l’annulation de ce testament a été prononcée également pour insanité d’esprit en application des dispositions de l’article 901 du Code civil ; que, la cour d’appel ayant, par le second arrêt attaqué, prononcé la nullité du testament authentique pour insanité d’esprit d’Henriette B…, il s’ensuit que le testament litigieux ne peut valoir comme testament international ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions prévues par l’article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, l’arrêt se trouve légalement justifié ;
94Par ces motifs : – Déclare irrecevables les pourvois n° Y 13-21.118, R 13-20.582 et Z 13-21.119 ; – Rejette les pourvois n° D 13-24.389 et E 13-24.390 ;
95Du 12 juin 2014 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvois nos 13-20.582, 13-21.118, 13-21.119, 13-24.389 et 13-24.390 – Mme Bignon, f.f. prés., MM. Chauvin, rapp., Bernard de La Gatinais, av. gén. – M. Le Prado, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av.
96(1-2) 1. Vingt ans après l’entrée en vigueur, le 1er décembre 1994, de la Convention de Washington du 29 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d’un testament international (décr. du 8 nov. 1994 portant publication de la convention, JO 16 nov. 1994, p. 16219 ; M. Revillard, L’entrée en vigueur de la Convention de Washington portant loi uniforme sur la forme d’un testament international, JDI 1995. 585 s.), cette nouvelle forme testamentaire délaissée par la pratique notariale suscite l’attention de la jurisprudence dans le cadre d’une opération de sauvetage des testaments authentique irréguliers.
972. La Convention de Washington crée une forme nouvelle de testament qui s’ajoute à celles connues par le droit interne existant. Ce testament est appelé « international » parce qu’il a pour objectif de faciliter les relations privées internationales mais il peut être aussi utilisé pour des besoins purement internes. Le testament international est un testament mystique simplifié. Selon l’article 3 de la loi uniforme, le testament doit être fait par écrit. Il n’est pas nécessairement écrit par le testateur lui-même. Il peut être écrit en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé. Toute personne peut utiliser sa langue et son écriture dans un pays d’expression radicalement différente. On peut utiliser la dactylographie. Les illettrés ou infirmes peuvent faire écrire leur testament par une autre personne. Selon l’article 4, le testateur déclarera, en présence de deux témoins et d’une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu’il en connait le contenu. Le testateur n’est pas tenu de donner connaissance du contenu du testament aux témoins ni à la personne habilitée. Chaque État contractant détermine les personnes habilitées (M. Revillard, J.-Cl. Not. form. v° Testament international, fasc. 10 ; M. Mathieu, J.-Cl. Form. v° Testament international, fasc. 15, formules ; D. Lepeltier, Le testament international : un substitut au testament authentique, Bulletin du Cridon-Paris, 1-15 sept. 2009, n° 17-18). En France, ce sont les notaires sur le territoire français et les agents diplomatiques consulaires français à l’égard des Français à l’étranger (L. n° 94-937 du 29 avr. 1999, p. 6327). Sur le plan de la pratique, le testament international en raison de sa complexité, n’est utilisé que dans des cas marginaux. Cette forme supplémentaire de testament pourra être utile pour aider dans la rédaction de leur testament des illettrés, des infirmes ou des ressortissants étrangers ne parlant pas le français et ne pouvant pas tester en la forme olographe. Il est très rarement utilisé dans les autres pays où la Convention de Washington est en vigueur (Belgique, Italie, Équateur, Canada [provinces de Manitoba, Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve, Alberta, Ontario, Colombie britannique, Saskatchewan et île du Prince Edouard], Chypre, Libye, Niger, Portugal, Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine). Or le testament international vient de connaitre une notoriété dans la jurisprudence française.
983. Dans deux arrêts du 12 juin 2014, la Cour de cassation admet sans ambiguïté qu’un testament authentique irrégulier en la forme pour non-respect des dispositions des articles 971 à 975 du Code civil et donc nul puisse être validé en tant que testament international dès lors qu’il respecte les conditions de forme d’un testament international prévues par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 et que les conditions de fond des libéralités sont remplies (1er arrêt). Par suite, la conversion du testament authentique en testament international est refusée lorsque l’annulation de ce testament a été également prononcée pour insanité d’esprit en application de l’article 901 du Code civil (2e arrêt) (sur ces arrêts, F. Hébert, JCP N 27 juin 2014, Testament 720 ; AJ fam. 2014. 433, note C. Vernières ; Defrénois Flash n° 25, 2014, 123z3, La conversion possible du testament authentique en testament international ; N. Laurent-Bonne, La conversion par réduction du testament authentique défectueux, D. 2014. 1147 ; Defrénois 2014. 968, note M. Nicod).
994. La conversion possible du testament authentique irrégulier en testament international n’est pas nouvelle. La Cour de cassation vient entériner une jurisprudence adoptée majoritairement par les juges du fond et met fin aux divergences des solutions des Cours d’appel (TGI Valence, 26 mars 2010, JCP 2010, n° 29, 1249, obs. Hébert ; Bordeaux 16 juin 2011, n° RG- 09/04329, JCP N 2011 n° 36, 1234, obs. F. Hébert ; Grenoble, 2 avr. 2013, n° 10/03396 ; Toulouse, 11 sept. 2012 et Rennes 14 mai 2013, citées dans Flash Defrénois, mais refus d’une telle conversion Chambéry, 7 mai 2013, objet du pourvoi du 12 juin 2014, et Nîmes, 30 janv. 2014, JCP 2014. 278). La Cour de cassation l’avait déjà admis par « prétérition » dans un arrêt du 10 octobre 2012 (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11- 20.702, RTD civ. 2012. 761, note M. Grimaldi ; D. 2012. 2448 ; ibid. 2013. 591, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; ibid. 1503, obs. F. Jault-Sesecke ; AJ fam. 2012. 618, obs. N. Levillain).
1005. Dans la première espèce, une testatrice décédée le 2 mars 2006 avait signé huit testaments authentiques entre le 18 avril 1984 et le 11 janvier 2006 instituant un légataire universel et des légataires particuliers. Le testament authentique du 11 janvier 2006 avait été déclaré faux et contraire à l’article 972 du Code civil comme n’ayant pas été dicté par la testatrice, le notaire ayant préparé un projet de dactylographie de l’acte. Sur cette même affaire, la Cour de cassation, le 29 juin 2011, au vu des articles 971 et 972 du Code civil avait censuré un arrêt d’appel qui avait admis la validité du testament « sans constater que le notaire ait en présence des témoins et sous la dictée de la testatrice transcrit les volontés de celle-ci » (Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-17.168, Bull. civ. I, n° 139 ; JCP N 2011, n° 39, 1257, note G. Rivière ; D. 2011. 1968 et 2624, obs. M. Nicod ; AJ fam. 2011. 501, obs. C. Vernières ; RTD civ. 2011. 501, obs. M. Grimaldi ; sur l’exigence de la dictée, C. Chamoulaud-Trapiers, Le notaire, le testateur et la dictée, Defrénois 2012. 462). Sur renvoi, la Cour d’appel de Douai le 11 février 2013 a jugé que le testament déclaré faux en tant qu’acte public était valable comme testament international. Le pourvoi de l’héritier est rejeté par la Cour de cassation. « L’annulation d’un testament authentique pour non-respect des dispositions des articles 971 à 975 du Code civil ne fait pas obstacle à la validité de l’acte en tant que testament international dès lors que les formalités prescrites par la Convention de Washington ont été accomplies à l’occasion de l’établissement du testament reçu le 11 janvier 2006 et la cour d’appel en a justement déduit que cet acte, déclaré nul en tant que testament authentique, était valable en tant que testament international ».
1016. Dans la deuxième espèce, une personne placée sous curatelle renforcée le 5 septembre 2001 décède le 24 septembre 2004. Par testament authentique reçu le 16 août 2002, elle a institué un légataire universel à charge pour lui de délivrer des legs particuliers. Aux termes de deux arrêts rendus le 7 mai 2013, la Cour d’appel de Chambéry annule le testament authentique. Dans son premier arrêt, elle déclare que le testament authentique était nul comme constituant un faux et ne pouvait avoir la valeur d’un testament international. Dans le second arrêt, elle prononce la nullité du testament pour insanité d’esprit de la testatrice. Les légataires désignés et le notaire ayant reçu le testament se sont pourvus en cassation considérant qu’un testament authentique peut valoir comme testament international. La Cour de cassation joignant les différents pourvois les rejette. Elle refuse la conversion du testament authentique irrégulier en testament international lorsque « l’annulation de ce testament a été prononcée également pour insanité d’esprit en application des dispositions de l’article 901 du Code civil ».
1027. Ces décisions représentent une nouvelle illustration de la théorie de la conversion par réduction des actes juridiques « qui consiste à valider un acte nul sous la qualification qu’on lui avait attribuée, sous une autre qualification dont il remplit les conditions » (A. Boujeka, La conversion par réduction : contribution à l’étude des nullités des actes juridiques formels, RTD com. 2002. 223 ; P. Simler, La nullité partielle des actes juridiques, LGDJ, coll. Bibl. dr. privé, t. 101, 1969, n° 13, p. 12 ; F. Terré, L’influence des volontés individuelles sur les qualifications, LGDJ, 1957, n° 229, p. 213-214). Un testament irrégulier est valable comme testament d’une autre forme que celle adoptée initialement si le testament annulé remplit les conditions de cette autre forme testamentaire (M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, nos 1384 s.). Selon la Première Chambre civile, « l’annulation d’un testament authentique pour non-respect du formalisme par les articles 971 à 975 du Code civil ne fait pas obstacle à la validité de l’acte dès lors que les formalités prescrites par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 ont été accomplies ». Or le testament international doit être signé et n’a pas à être dicté (art. 3 à 6 de la loi uniforme), ce qui permet d’admettre la conversion du testament dans la première espèce (V. Civ. 1re, 10 oct. 2012, préc. supra : un testament authentique non paraphé ne peut valoir comme testament international). De plus, le testament international comme tout testament doit remplir les conditions de fond propres aux libéralités. Or dans la deuxième espèce, la nullité du testament authentique ayant été prononcée pour insanité d’esprit en application des dispositions de l’article 901 du Code civil, le testament litigieux ne pouvait valoir comme testament international. Le mécanisme de la conversion par réduction ne peut pas permettre le sauvetage d’un testament irrégulier sur le fond.
1038. Cette jurisprudence n’est pas surprenante. La conversion par réduction des actes juridiques trouve des applications dans le droit des libéralités testamentaires dans l’ordre interne et international (pour l’historique de la solution V. note N. Laurent-Bonne, D. 2014. 1750). L’alinéa 2 de l’article 979 du Code civil prévoit la conversion du testament mystique irrégulier en testament olographe. « Le testament mystique dans lequel n’auront pas été observées les formalités légales et qui sera nul comme tel, vaudra cependant comme testament olographe si toutes les conditions requises pour sa validité comme testament olographe sont remplies même s’il a été qualifié de testament mystique ».
104Par ailleurs, l’article 1er alinéa 2 de la loi uniforme contenue dans la Convention de Washington admet que le testament nul en tant que testament international puisse valoir comme testament d’une autre forme, comme le précise et l’illustre J.-P. Plantard (Rapport explicatif de la convention figurant sur le site UNIDROIT testament, Revue de droit uniforme 1974, vol. I, p. 90 s. spéc. 120). « Lorsque le testament international est frappé de nullité pour inobservation de l’une des dispositions essentielles des articles 2 à 5, il n’est pas pour autant nécessairement privé d’effet. Le paragraphe 2 de l’article premier précise qu’il peut être valable en tant que testament d’une autre espèce, s’il demeure conforme aux exigences d’une loi nationale applicable. Ainsi, par exemple, un testament écrit, daté et signé de la main du testateur mais remis à une personne habilitée sans l’intervention des témoins ou sans que les intervenants l’aient signé, pourra parfaitement être considéré comme un testament olographe valable. De même, un testament international présenté devant une personne qui n’est pas régulièrement habilitée pourrait être valable comme testament attesté selon les règles admises par la common law ». Enfin, l’analyse du droit comparé montre que le mécanisme de la conversion par réduction est consacré en Allemagne dans l’article 140 BGB et en Italie dans l’article 1424 du Code civil italien.
1059. Ces illustrations reflètent le souci de préserver à tout prix la volonté testamentaire face aux exigences d’un formalisme excessif source d’irrégularités. Si ces arrêts méritent d’être approuvés, doit être soulignée l’ambiguïté de cette jurisprudence sanctionnant sévèrement le non-respect des formalités de l’article 972 du Code civil prévues dans la rédaction d’un testament authentique et permettant par ailleurs le sauvetage du testament irrégulier par sa conversion en testament international. Ceci milite en faveur d’une simplification nécessaire du formalisme du testament authentique et d’une interprétation plus souple de la volonté du défunt (V. obs. B. Beignier, Conditions de forme du testament authentique : la Cour de cassation impose la rigueur, Dr. fam. 7/2007. comm. 152 ; N. Laurent-Bonne, D. 2014. 1450, préc.). Une telle réforme pourrait s’ajouter au projet de loi permettant la rédaction du testament authentique en présence d’un interprète (projet de loi n° 324, 16 avr. 2014 modifiant le troisième alinéa de l’article 972 du Code civil, Defrénois 2014. 515) ou à l’admission des testaments conjonctifs ayant fait l’objet d’un vœu lors du 110e Congrès des notaires de France le 18 juin 2014. Ces initiatives de simplification du droit des testaments trouvent un écho dans la pratique d’un certain nombre d’États qui admettent les testaments conjonctifs et la présence d’un interprète lors de la rédaction d’un testament.
10610. Le développement du testament international suggéré comme alternative pour éviter le contentieux soulevé par le formalisme excessif du testament authentique suscite de sérieuses réserves. La complexité de rédaction de cette forme testamentaire a un effet dissuasif certain même si sa conversion en cas de nullité a été prévue. Ceci justifie l’accueil très réservé fait à cette institution dans les États où la Convention de Washington est en vigueur (C. Vernières et J.-F. Sagaut, Deux instruments au service du notariat : le testament authentique et le testament international, Defrénois, 2014. 971, 117m4).
10711. Les questions internationales de forme des testaments ont été effacées par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires ratifiée à ce jour par 42 États dominée par la faveur faite à la validité du testament même si des divergences existent dans les lois matérielles sur les formes testamentaires : authentique, privée, olographe, signée devant témoins, mystique (G. Droz, Les nouvelles règles de conflit françaises en matière de forme des testaments, Rev. crit. DIP 1968. 1 ; G. Droz et M. Revillard, fasc. 557-20, nos 42 s.).
10812. En effet, dans la pratique des successions internationales, il est exceptionnel que la forme du testament ne soit pas validée par une loi compétente prévue à l’article 1er de la Convention de La Haye. Cette efficacité de la convention est consacrée dans le règlement successions du 4 juillet 2012 qui reprend les règles principales de la Convention de La Haye de 1961 dans l’article 27 du règlement (A. Bonomi et P. Wautelet, Le droit européen des successions, Commentaire du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, Bruylant, 2013, p. 423 s.). Les rattachements alternatifs contenus dans l’article 27 permettent de surmonter les disparités des formes testamentaires en droit comparé et de valider sur le plan formel les dispositions prises par un de cujus. Le caractère universel du Règlement confère à cette disposition un vaste domaine d’application dans l’espace.
10913. Dans ce contexte, l’adjonction d’une nouvelle forme testamentaire était-elle justifiée ? Vingt ans après son introduction, le bilan d’application pratique du testament international s’avère négatif s’il ne sert que de « bouée de sauvetage » des testaments authentiques irréguliers.
110Mariel Revillard