Couverture de RCDIP_143

Article de revue

Le nouveau droit international privé italien de la filiation

Pages 559 à 572

Notes

  • (*)
    Docteur en droit (Université Panthéon-Assas et Université de Padoue), Collaboratrice scientifique de l’Institut suisse de droit comparé.
  • (1)
    Plusieurs propositions de loi visant à reconnaître les unions hors mariage et la famiglia di fatto sont en cours d’analyse. Il s’agit notamment de propositions n° 1065 ; 1631 ; 1637 ; 1756 ; 1858 ; 1862 ; 1932 réunies dans un dossier à l’étude de la Commission Justice de la Chambre de députés.
  • (2)
    Publiée au JO de la République italienne n° 293 du 17 déc. 2012 et entrée en vigueur le 1er mars 2013.
  • (3)
    Décret portant sur « Revisione delle disposizioni vigenti in materia di filiazione, a norma dell’articolo 2 della legge 10 dicembre 2012, n° 219 », publié au JO de la République italienne n° 5 du 8 janv. 2014 et entré en vigueur le 7 févr. 2014.
  • (4)
    Sur ce principe Michele Sesta, Unicità dello stato di filiazione e nuovi assetti delle relazioni familiari, Famiglia e Diritto 2013. 231, spéc. 233 ; Roberto Senigaglia, Status filiationis e dimensione relazionale dei rapporti di famiglia, Napoli, Jovene, 2013, p. 41 ; Alberto Figone, La riforma della filiazione e della responsabilità genitoriale, Giappichelli, 2014 ; Mirzia Bianca, Filiazione, commento al decreto attuativo, Giuffrè, 2014.
  • (5)
    Après la réforme du droit de la famille de 1975, une loi n° 54 du 2006 en matière de garde conjointe des enfants avait déjà réalisé l’équivalence substantielle entre les enfants nés dans le mariage et ceux nés en dehors du mariage. V. M. Sesta, La nuova disciplina dell’affidamento dei figli nei processi di separazione, divorzio, annullamento matrimoniale e nel procedimento riguardante i figli nati fuori del matrimonio, M. Sesta et A. Arcieri (éd.), L’affidamento dei figli nella crisi della famiglia, Torino, 2012, p. 15.
  • (6)
    Une ouverture récente à l’institution de la Kafalah a été offerte par la Cour de cassation italienne à l’occasion de la décision à sections réunies du 16 sept. 2013, n° 21108, S.M. c/ Consolato generale d’Italia in Casablanca, qui a reconnu le droit au regroupement familial à un mineur marocain, assisté en régime de Kafalah par un citoyen italien. La décision est publiée, avec la note de Paolo Morozzo della Rocca, Uscio aperto, con porte socchiuse, per l’affidamento del minore mediante kafalah al cittadino italiano o europeo, Il corriere giuridico 2013. 1492-1497.
  • (7)
    Présentation du Disegno di legge à la Chambre des députés le 12 avr. 2007. Cf. Dossier GI0326 préparé par le Servizio Studi – Dipartimento Giustizia de la Chambre des députés et Commissione per lo studio e l’approfondimento di questioni giuridiche afferenti la famiglia e l’elaborazione di proposte di modifica alla relativa disciplina, Relazione conclusiva, 4 mars 2013.
  • (8)
    Ibid.
  • (9)
    R. Senigaglia, op. cit., p. 52.
  • (10)
    Pietro Rescigno, Situazione e status nell’esperienza del diritto, Rivista di diritto civile 1973. 209, et en Matrimonio e famiglia, cinquantanni del diritto italiano, Torino, 2000, p. 25 s.
  • (11)
    C. Cost. 18 déc. 2009, n° 335, Foro it. 2010, 11, I, c. 2983 avait jugé conforme à la Constitution la règle – aujourd’hui abrogée, en matière de faculté de commutation, permettant aux enfants légitimes d’exclure les « enfants naturels » de l’indivision héréditaire moyennant une compensation adéquate.
  • (12)
    La réforme est expliquée par Cesare Massimo Bianca et al., La riforma del diritto della filiazione, Nuove Leggi Civili Commentate, 2013.
  • (13)
    Maria Dossetti, Qualche dubbio di costituzionalità sulle recenti disposizioni in materia di filiazione, Quaderni costituzionali, 1/2014. 145 ; Michele Sesta, Stato unico di filiazione e diritto ereditario, Rivista di diritto civile 2014. 1 spéc. 5 s. ; très critique est Leonardo Lenti, La sedicente riforma della filiazione, Nuova Giurisprudenza Civile Commentata 2013. 201.
  • (14)
    Giovanni Bonilini, Lo status o gli status di filiazione ?, Famiglia Persone e Successioni, 2006. 681.
  • (15)
    Il est fait référence à la relation qui accompagne une ancienne proposition de loi, du 20 juin 1964, « Legittimazione per adozione a favore di minori in stato di abbandono », qui dans le contexte tout à fait différent de la nécessité d’élider les contacts entre parents adoptifs et parents biologiques, contient une exhortation à respecter la psyché de l’enfant et à éviter « de lui demander de diviser son cœur à moitié », ou, comme on dirait aujourd’hui, de lui créer un conflit de loyauté.
  • (16)
    M. Sesta, Stato unico di filiazione e diritto ereditario, préc.
  • (17)
    L’augmentation du contentieux est aussi à prévoir en raison des particularités du régime inter-temporel introduit par la réforme, qui a prévu une certaine « rétroactivité » de la loi, en hommage au principe du favor filii et peut-être à la lumière de l’arrêt Fabris de la CEDH du 7 février 2013. Sur tous ces aspects v. encore M. Sesta, Stato unico di filiazione, préc., p. 33 s.
  • (18)
    Cf. Paolo Morozzo della Rocca, Il nuovo status di figlio e le adozioni in casi particolari, Famiglia e Diritto 2013. 838 s.
  • (19)
    Cf. le nouveau texte de l’art. 33 – Filiation « 1. L’état d’enfant est déterminé par la loi nationale de l’enfant ou bien, si elle est plus favorable, par la loi de l’État dont un des parents est ressortissant, au moment de la naissance. 2. La loi identifiée aux termes de l’alinéa 1 règle les conditions et les effets de l’établissement de la filiation ainsi que de sa contestation ; si ladite loi ne permet pas l’établissement ou la contestation du lien de filiation la loi italienne s’applique. 3. L’état d’enfant établi selon la loi nationale de l’un des parents ne peut être contesté qu’en vertu de cette loi. Si ladite loi ne permet pas la contestation, la loi italienne s’applique. 4. Sont d’application nécessaire les règles de droit italien qui prescrivent l’unicité de l’état d’enfant ». Cf. Costanza Honorati, La nuova legge sulla filiazione e il suo impatto sul diritto internazionale privato, Studi in onore di Giuseppe Tesauro, en cours de publication.
  • (20)
    Cf. I. Pretelli, Garanzie del credito e conflitti di leggi, Napoli, 2010, spéc. p. 318-319.
  • (21)
    Cf. Peggy Carlier, L’utilisation de la lex fori dans la résolution des conflits de lois, th. Lille 2, polycop. 2008, passim et n° 1 s.
  • (22)
    Cette notion, qui se voulait à l’origine de simple constatation est devenue, au moins dans la jurisprudence de la CJUE, une notion « juridique » qui demande l’analyse de plusieurs éléments, y compris l’élément psychologique. Pour son application au nourrisson cf. l’arrêt de la Cour (1re ch.) du 22 déc. 2010. Barbara Mercredi c/ Richard Chaffe. Aff. C-497/10 PPU, points 55 s.
  • (23)
    En Suisse, selon l’art. 15, al. 2 de la Loi de droit international privé : « En matière d’état civil le renvoi de la loi étrangère au droit suisse est accepté ».
  • (24)
    Selon l’art. 13, al. 1, litt. b) de la loi n° 218 de 1995 : « […] le renvoi opéré par le droit international privé étranger à la loi d’un autre État est pris en compte […] s’il s’agit de renvoi à la loi italienne ».
  • (25)
    Cf. P. Carlier, op. cit., passim et n° 353 s.
  • (26)
    Bien évidemment, il est difficile d’imaginer que le rattachement subordonné à loi de l’état dont l’un de parents est ressortissant puisse venir en ligne de compte dans l’hypothèse à l’étude.
  • (27)
    Art. 35 : « 1. Les conditions pour la reconnaissance du fils sont régies par la loi nationale du fils au moment de la naissance, ou, si plus favorable, par la loi nationale de la personne qui opère la reconnaissance, au moment où cette reconnaissance intervient ; si ces lois ne prévoient pas la reconnaissance, la loi italienne s’applique. 2. La capacité du parent de faire la reconnaissance est régie par la loi nationale de ce dernier. 3. La forme de la reconnaissance est régie par la loi de l’État dans lequel il intervient ou par la loi qui régit la substance ».
  • (28)
    Art. 36 : « 1. Les rapports personnels et patrimoniaux entre parents et enfants, y compris la responsabilité parentale, sont régis par la loi nationale de l’enfant ». Sur le mode d’opérer des norme di applicazione necessaria, cf. les pages de Gian Paolo Romano, L’unilateralismo nel diritto internazionale privato moderno, Zurich, 2014, p. 428-446.
  • (29)
    Les norme di applicazione necessaria ne sont pas considérées comme un obstacle insurmontable à l’application de la loi étrangère selon la conception de Andrea Bonomi, Le norme imperative nel diritto internazionale privato, Zurich 1998, p. 66.
  • (30)
    Art. 36-bis : « 1. En dépit de la désignation d’une autre loi, sont toujours appliquées les règles italiennes qui : a) attribuent aux deux parents la responsabilité parentale ; b) imposent aux deux parents le devoir de pourvoir à l’entretien de l’enfant ; c) attribuent au juge le pouvoir d’adopter des mesures qui limitent ou enlèvent la responsabilité parentale en relation à des comportements préjudiciables pour l’enfant ».
  • (31)
    A. Bonomi, op. cit., p. 66 et passim.
  • (32)
    La contrariété à l’ordre public justifie la non-reconnaissance de décisions étrangères et à l’aune du règlement Bruxelles II bis et à l’aune de la Convention de La Haye de 1996, qui n’est pas, à ce jour, en vigueur en Italie.
  • (33)
    M. Sesta, op.cit., p. 33.

I. – La réforme du régime de la filiation et le nouveau droit international privé italien de la filiation

11. La République italienne met en œuvre, depuis le 7 février de l’année en cours, une réforme d’envergure de son régime de la filiation ; la conception de la famille en est bouleversée, sans pourtant que la réforme aille jusqu’à offrir une nouvelle possibilité pour les personnes non mariées de placer leur vie de couple sous le timbre de l’administration [1]. La modestie de l’intitulé de la loi qui l’a introduite : « Dispositions en matière de reconnaissance des enfants naturels » ne laisserait pas croire qu’elle entraîne la modification de plus de cent dispositions contenues dans les quatre codes italiens et dans de lois spéciales.

2La réforme, décidée par la loi n° 219 du 10 décembre 2012 [2], a été réalisée par le biais du décret législatif n° 154 du 13 décembre 2013 [3]. La loi-cadre contient six articles, dont le deuxième fixe la série de quatorze « principes et critères directeurs » de la réforme. Le décret comporte 108 articles, dont le 101e contient une mini-réforme intéressant le système italien de droit international privé en matière de filiation.

3Le but de l’intervention législative est celui d’introduire le principe de l’unicité de l’état de filiation [4] et d’y conformer toute règle en matière de filiation, y compris celles de droit international privé. Ce principe est énoncé à l’article 315 bis, introduit dans le Code civil pour affirmer que « Tous les enfants ont le même statut juridique ». Il est complété par les modifications apportées aux articles 74, 258 et 251, qui uniformisent, une fois pour toutes [5], les liens de parenté pour tous les enfants, y compris ceux nés de parents consanguins.

4En outre, l’article 2, alinéa 1, lettre m) de la loi n° 219 de 2012, demande au gouvernement de « adapter et réordonner les critères des articles 33, 34, 35 et 39 de la loi 31 mai 1995, n° 218, en matière d’identification, dans le cadre du système de droit international privé, de la loi applicable, avec l’inclusion éventuelle de règles d’application immédiate – norme di applicazione necessaria – en vue de la réalisation du principe de l’unification de l’état d’enfant ».

52. Obéissant à cette directive, l’article 101 du décret n° 154 de 2013 réécrit entièrement la deuxième partie du Titolo III, Capo IV de loi n° 218 de 1995, en matière de rapports de famille.

6L’article énonce : « 1. À la loi 31 mai 1995, n° 218, sont apportées les modifications suivantes : a) l’article 33 est remplacé par le suivant : “Article 33 – Filiation. 1. L’état d’enfant est déterminé par la loi nationale de l’enfant ou bien, si elle est plus favorable, par la loi de l’État dont un des parents est ressortissant au moment de la naissance. 2. La loi identifiée aux termes de l’alinéa 1 règle les conditions et les effets de l’établissement de la filiation ainsi que de sa contestation ; si ladite loi ne permettait pas l’établissement ou la contestation du lien de filiation la loi italienne s’applique. 3. L’état d’enfant, établi selon la loi nationale de l’un des parents ne peut être contesté qu’en vertu de cette loi. Si ladite loi ne permet pas la contestation, la loi italienne s’applique. 4. Sont d’application nécessaire les règles de droit italien qui prescrivent l’unicité de l’état d’enfant”. b) [] l’alinéa 1 [de l’article 35] est remplacé par le suivant : “1. Les conditions de la reconnaissance de l’enfant sont régies par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance ou, si elle plus favorable, par la loi nationale de l’auteur de la reconnaissance, au moment où cette reconnaissance intervient ; si ces lois ne prévoient pas la reconnaissance, la loi italienne s’applique” ; c) […] ; d) après l’article 36, l’article suivant est inséré : “Article 36-bis. 1. En dépit de la désignation d’une autre loi, sont toujours appliquées (si applicano in ogni caso) les règles italiennes qui : a) attribuent aux deux parents la responsabilité parentale ; b) imposent aux deux parents le devoir de pourvoir à l’entretien de l’enfant ; c) attribuent au juge le pouvoir d’adopter des mesures qui limitent ou enlèvent la responsabilité parentale en relation à des comportements préjudiciables pour l’enfant” ».

7D’autres modifications sont d’ordre lexical et emportent – en ligne avec le nouveau texte du code civil – l’élimination dans toute règle en matière de filiation de l’adjectif « naturel » et « légitime » ainsi que la substitution de la terminologie d’origine romaine potestà dei genitori, autorité parentale, avec le concept contemporain de « responsabilité parentale ».

8L’article 34 sur la loi applicable aux « légitimations des enfants naturels » est abrogé par l’article 106, alinéa 1, lettre c) du décret.

93. La réforme de la filiation ne s’est pas achevée avec le décret n° 154 de 2013, étant donné que plusieurs disegni di legge en matière de droit de la famille sont en train de parcourir leur iter parlementaire. En particulier, d’autres modifications de la loi italienne de droit international privé sont prévues par le décret-loi n° 1589 du 17 septembre 2013 portant sur la ratification de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. L’Italie est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir encore ratifié la Convention. C’est donc encore et uniquement la Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, signée à Luxembourg le 20 mai 1980, qui est appliquée en Italie. La Convention de La Haye, signée par la République italienne le 10 avril 2003, a besoin d’une adaptation particulière, en vue de permettre la reconnaissance de la Kafalah et des institutions similaires [6]. L’article 9 du décret-loi édicté pour la ratifier, vise à introduire – pédagogiquement – un alinéa 1 bis à l’article 2 de la loi n° 218/1995 : « Le renvoi contenu dans la loi à des conventions internationales, nominativement indiquées, doit être toujours interprété comme un renvoi aux conventions qui ont remplacé celles indiquées – pourvu qu’elles aient été signées et ratifiées par l’Italie ou bien pourvu qu’elles aient été signées et ratifiées par l’Union européenne et qu’elles soient obligatoires pour l’Italie » ; en outre, la référence à la Convention de La Haye de 1961, contenue à l’article 42, alinéa 1, va devoir être remplacée par une référence à la Convention de La Haye de 1996 et à la loi qui va l’adapter à l’ordre juridique italien.

104. Étant donné que la réforme de règles de droit international privé qualifie une série de règles substantielles « d’application immédiate », il convient d’abord esquisser les principes qui sont à la base de la réforme (II), pour ensuite éclairer le contenu des règles de droit international privé réformées, et essayer de dresser un bilan de la réforme, à l’aune de l’évolution du droit de la famille à laquelle l’Europe assiste et contribue (III).

II. – Le principe de l’unicité de la filiation, successeur du principe de l’unité de la famille

115. Selon le rapport qui accompagne le projet de loi [7], la reconnaissance d’un seul status filiationis est fondée sur deux aspects : la vérité biologique et la responsabilité parentale. Le rapport met l’accent sur les deux aspects, spirituel et matériel, de cette dernière. Du premier point de vue, les parents ont une « responsabilité morale » envers leur enfant, ils lui doivent « amour, attention et respect ». S’il est impossible d’imposer aux parents les sentiments, continue le rapport, la loi prétend du moins assurer le respect de la personne de l’enfant. Cet objectif est poursuivi par la reconnaissance de l’autodétermination de l’enfant mineur : et sur le plan substantiel – en vue d’assurer à l’enfant la capacité de prendre de décisions sur sa santé, ses fréquentations, sa formation, ses croyances religieuses, etc. – et sur le plan processuel – en ce qui concerne son consentement à la reconnaissance du lien de filiation et, surtout, son écoute lors des procès qui le concernent [8].

12Dans les intentions du législateur, l’enfant doit être protégé en tant que tel, pour le fait de sa naissance : « en tant qu’individu né ».

13L’optique est explicitement celle de l’intérêt supérieur de l’enfant, « paradigme systémique » de la réforme [9], qui se concrétise dans le droit de connaître son origine et d’être assisté matériellement et spirituellement en vue de devenir capable, à son tour quand celui-ci viendra, d’assurer cette même assistance aux générations futures.

146. Le concept de statut juridique est perçu par la doctrine italienne comme un instrument technique destiné à donner relevance juridique à la situation dans laquelle un individu se trouve en permanence et qui, selon l’appréciation sociale commune, distingue cet individu des autres [10]. Dans le système précèdent, le statut d’enfant était une prérogative de l’enfant né à la suite d’un mariage et les mesures protectrices de la filiation hors mariage étaient garanties par la Constitution. Ces mesures n’avaient toutefois pas réussi à éliminer complètement les discriminations envers les enfants nés hors mariage. En témoigne l’« odieux » droit de commutation qui avait même était soumis, sans succès, à l’examen de la Cour constitutionnelle [11].

15Sur le plan substantiel, le principe de l’unicité de la filiation, édicté en vue de réaliser des principes constitutionnels de la République italienne [12] pose des problèmes de compatibilité avec les articles 29 et 30 de la Constitution [13]. Il faut bien admettre que la réforme aurait demandé – en même temps que la modification des lois ordinaires – la modification des principes constitutionnels qui président au droit italien de la famille [14]. Il suffit de rappeler que l’article 29 affirme encore aujourd’hui que « la République reconnaît les droits de la famille en tant que société naturelle fondée sur le mariage » ; pour ensuite préciser, à l’alinéa 2 : « Le mariage repose sur l’égalité morale et juridique des époux, dans les limites fixées par la loi, en vue de garantir l’unité de la famille ».

16La parité des droits des enfants nés dans le mariage et des droits des enfants nés hors mariage repose sur le texte de l’article 30 de la Constitution italienne. Cet article énonce : « Les parents ont le devoir et le droit d’entretenir, d’instruire et d’élever leurs enfants, même s’ils sont nés hors mariage […]. La loi assure aux enfants nés hors mariage toute protection juridique et sociale compatible avec les droits des membres de la famille légitime. La loi fixe les règles et les limites pour la recherche de la paternité ».

17L’unicité de la filiation succède ainsi à l’unité de la famille avec toutes les conséquences en matière de liens de parenté. C’est même, plutôt, une multiplication des familles qui est à prévoir dans les cas de filiations contra matrimonium mais parfois aussi dans les cas des filiations extra matrimonium, quand il s’agit de filiations multiples avec des partenaires qui se succèdent dans le temps – selon l’id quod (non plerumque sed) accidit.

18Prenons le cas d’une femme mariée, qui a deux enfants avec son mari, puis conçoit et met au monde l’enfant d’un homme marié ailleurs, lequel reconnaît l’enfant adultérin. En pareilles circonstances la réforme attribue à cet enfant des liens de parenté avec sa mère, son père, tous ses frères et sœurs et tous ses ascendants de deux côtés. Du point de vue des relations familiales, il sera l’enfant d’une « famille tierce » par rapport à la famille de son père et à celle de sa mère. La réforme lui permet de devenir, au même titre que les enfants né dans le mariage, oncle des enfants de ses demi-frères et demi-sœurs utérins ou consanguins et d’avoir des droits et des obligations alimentaires vis-à-vis de cette famille élargie (rectius vis-à-vis et de la famille élargie de sa mère et de la famille élargie de son père), ainsi que des droits successoraux face à toute la parentèle de ses parents.

19Un problème d’ordre logistique se pose pour l’établissement du domicile du fils. Nulla quaestio si les parents habitent ensemble : l’enfant commun pourra évidemment bénéficier de la présence constante et stable de deux. Si, en revanche les parents ont une famille « ultérieure » à celle qui s’est créé par effet de la naissance de l’enfant, les deux parents devront s’accorder pour trouver les modalités qui leur permettront d’entretenir des « relations significatives » avec leur enfant (cf. nouveau texte de l’art. 315 C. civ.). Ce droit attribué à l’enfant ne comporte pas automatiquement l’attribution d’un double domicile à celui-ci – dans le souci d’éviter à l’enfant « partagé » une dissociation de plus – ni ne comporte nécessairement une division « salomonique » du temps passé par l’enfant avec chacun de ses parents [15].

207. L’unité de la famille est désormais fondée sur le fait de la filiation. En d’autres termes, la naissance crée la famille, tandis que le mariage, hormis la présomption de paternité qui dispense le père de la déclaration de reconnaissance, offre simplement un cadre juridique aux relations personnelles et patrimoniales entre les époux.

21Le changement de perspective a pu paraître révolutionnaire en Italie [16]. La reconnaissance du lien de filiation a comme effet la création d’un lien de parenté avec tous les parents de l’auteur de la reconnaissance en ligne directe et en ligne collatérale (art. 74, 258 et 251 préc.). Surtout, elle permet d’augmenter sensiblement le nombre de successibles. Cet état de choses aura un impact important en matière successorale et il est possible de prévoir un accroissement sensible du contentieux successoral en lien avec l’entrée en vigueur de la réforme [17].

22Le législateur italien devra, en outre, en mesurer les conséquences de ce changement de perspective en matière d’adoption, puisque la prérogative d’adopter est encore réservée en Italie – de manière désormais indubitablement injustifiée – aux couples mariés [18].

III. – Le nouveau droit international privé de la filiation et de la responsabilité parentale

238. Le nouveau droit international privé italien en matière de filiation, de son établissement et des droits et devoirs qui en découlent, se caractérise par une forte coloration matérielle.

24Ces nouvelles règles réussiront difficilement à garantir, aux situations présentant des éléments d’extranéité, la même solution conflictuelle que lui aurait donnée l’ordre juridique étranger avec lequel elles entretiennent des liens significatifs. D’ailleurs, la justice conflictuelle ne semble pas être le premier souci du législateur.

25Tout d’abord parce que l’article 101 du décret confirme la volonté de l’ordre juridique italien de suivre ses ressortissants à l’étranger, pour continuer à qualifier et régir leur status. Ensuite et surtout, parce que de nombreuses dispositions substantielles issues de la réforme sont élevées au rang de norme di applicazione necessaria et par le législateur « politique » de 2012 et par le législateur « technique » de 2013.

A. – L’établissement, la constatation et la contestation de la filiation

269. Ainsi, la loi italienne demeure compétente, grâce à ces nouvelles règles, pour l’établissement de la filiation de tout enfant né italien – qu’il soit né en Italie ou à l’étranger – et même de tout enfant étranger né à l’étranger d’un parent qui était italien au moment de sa naissance, si la loi italienne s’avère plus favorable à l’établissement de la filiation par rapport à la loi nationale de l’enfant [19]. Ce faisant, l’Italie met un œuvre une politique législative qui ne privilégie pas l’objectif de l’harmonie internationale de solutions ; un objectif, par ailleurs, qu’il ne faut pas hésiter à déclarer utopique pour des règles unilatéralement édictées par les États [20]. Cet objectif aurait commandé au législateur italien de s’aligner volontairement sur la solution la plus diffusée géographiquement et sans doute la plus en vogue à l’époque contemporaine : celle qui prescrit le rattachement au lieu de la résidence « habituelle » de l’enfant au moment de la naissance.

27Le rattachement par la nationalité au moment de la naissance, loin d’être révélateur d’un esprit nécessairement impérialiste [21], offre plus de certitudes aujourd’hui si on le compare au concept de la résidence « habituelle » du nourrisson [22], et pourrait même conduire à un renforcement du principe du favor filii.

28Si l’on prend l’exemple d’un enfant né italien en Suisse, on constate que grâce (sic !) à la disharmonie entre les deux systèmes nationaux de droit international privé, la filiation pourra être établie à l’aune du droit substantiel italien devant l’autorité italienne ou à l’aune du droit suisse devant l’autorité suisse. Les autorités suisses, en effet, appliquent le droit substantiel suisse en vertu des articles 66 et 68 de la loi suisse de droit international privé.

29Cette option ne saurait être considérée un désavantage, et pourrait même devenir un avantage, si l’on considère l’objectif de politique législative – qui est cette fois-ci commun à la Suisse et à l’Italie – du favor filiationis.

30Plus problématique est la situation opposée : si l’on prend l’exemple d’un enfant suisse né en Italie, on constate que, d’une part la Suisse ferait appel à la loi italienne de la résidence « habituelle » de l’enfant, alors que l’Italie commanderait de prendre en considération, en premier lieu, la loi suisse de la nationalité de l’enfant. Cependant, puisque les deux pays ont de règles efficaces en matière de renvoi, en particulier dans la forme du rinvio indietro, il serait toutefois possible et pour les autorités suisses (en vertu de l’art. 15, al. 2 LDIP) [23] et pour les autorités italiennes (en vertu de l’art. 13, al. 1, lett. b) [24] d’appliquer chacune la loi du for, avec tous les avantages que cette application comporte en matière de certitude du droit et de respect des attentes légitimes des parties [25].

31Le rattachement par la nationalité n’implique pas, toutefois, que le législateur italien soit indifférent au regard de la vie juridique des étrangers résidents sur la péninsule. L’approche choisie est de laisser à l’État dont l’étranger est ressortissant le soin et la liberté de définir son status, pourvu que le régime étranger ne heurte pas les principes à la base du tissu social italien, tels que précisés par la réforme et, en premier lieu, le principe de l’unicité de l’état d’enfant.

3210. Ainsi, l’application de la loi italienne en matière de status aux étrangers résidant en Italie, n’intervient pas par le biais du rattachement par la « résidence habituelle », mais par la caractérisation de toute une série de normes de « règles d’application immédiate ».

33Dans toutes les hypothèses où le juge italien est compétent, une Gleichlauf entre forum et ius va pouvoir se réaliser.

34Les nouvelles règles substantielles en matière de filiation sont qualifiées d’impératives lorsqu’elles ont le but d’assurer la défense de principes matériels auxquels l’Italie n’est pas disposée à renoncer. Il devient possible, ainsi, d’accepter l’existence d’une situation boiteuse – qui se produirait par exemple si un enfant n’est pas considéré fils de la personne qui en Italie est considérée son parent – chaque fois qu’il s’agit de garantir à l’étranger qui habite le territoire un statut conforme à la conception de justice sociale de l’ordre juridique italien.

35Une première série de règles est évoquée en matière d’établissement et contestation de la filiation : ainsi la loi étrangère de la nationalité attribuée à l’enfant au moment de sa naissance ne sera pas appliquée si elle ne permet pas l’établissement de la filiation ou bien, le cas échéant, sa contestation [26]. L’article 33 prévoit une série de trois rattachements « en cascade ». Le dernier ferme la porte d’entrée à la loi étrangère et prescrit l’application de la loi italienne pour assurer que la filiation puisse être légalement établie ou, le cas échéant, contestée.

36Une règle semblable, contenant la même série de rattachements « en cascade » est édictée par l’article 35 en matière de « reconnaissance » du lien de filiation [27].

37En revanche, la loi nationale de l’enfant est la seule loi compétente à régir les relations personnelles et patrimoniales entre parents et enfant, comme dans le régime antérieur. Il faut toutefois préciser que cette loi risque de voir son contenu « enrichi » par la juxtaposition de règles italiennes di applicazione necessaria[28].

B. – Le droit impératif de la filiation et de la responsabilité parentale

3811. L’article 33 limite davantage la production des effets prévus par la loi étrangère en matière de filiation en barrant l’entrée à toute possible discrimination entre enfants nés dans le mariage et enfants nés hors du mariage. En particulier le dernier alinéa de l’article 33 qualifie « di applicazione necessaria les règles du droit italien qui instituent l’unicité de l’état d’enfant ».

39Il est possible de s’interroger sur la portée prescriptive de l’article, du moment qu’il fait référence, en premier lieu, au nouveau texte de l’article 315 bis du code civil italien, selon lequel : « Tous les enfants ont le même statut juridique. Les dispositions en matière de filiation s’appliquent à tous les enfants sans distinction, sauf quand il s’agit de dispositions spécifiques aux enfants né dans le mariage ou à ceux qui sont nés hors du mariage ». Est-il possible d’en déduire que l’autorité italienne, appelée – par exemple – à appliquer la loi japonaise pour déterminer le statut d’un enfant japonais né en Italie, applique les règles japonaises les plus favorables à l’enfant, sans donner effet à la distinction faite par le droit japonais entre les enfants nés dans le cadre du mariage et ceux qui sont nés en dehors d’un mariage (certes à moins qu’il s’agisse de dispositions japonaises « spécifiques aux enfants né dans le mariage ou à ceux qui sont nés hors du mariage ») ? La loi japonaise serait ainsi amputée de ses dispositions discriminatoires, pour garantir l’application immédiate de règles qui édictent « l’unicité de l’état d’enfant » [29].

40Il est difficile d’imaginer l’autorité italienne en train de mettre en œuvre un aménagement aussi délicat que celui qui vient d’être présenté. Il est d’ailleurs probable que, grâce au nouvel article 36 bis, la loi italienne sera appliquée à la place de la loi japonaise à bien des égards [30]. En effet, selon cette disposition, trois séries de normes, issues de la réforme, deviendront toujours applicables, en dépit de l’existence d’éléments d’extranéité et de la désignation d’une loi étrangère.

4112. La première série de normes, à laquelle l’article 36 bis fait référence, concerne l’attribution de la responsabilité parentale conjointe aux parents de l’enfant. Vient en ligne de compte l’article 316 du Code civil, dont le nouveau texte édicte : « 1. Les deux parents ont la responsabilité parentale conjointe et l’exercent d’un commun accord, ayant en vue les capacités, les préférences et les aspirations de l’enfant. Les parents établissent d’un commun accord la résidence du mineur. 2. À défaut d’accord sur des questions particulièrement importantes, chacun des parents peut recourir sans formalités particulières au juge en lui indiquant les mesures qu’il estime les plus appropriées. 3. Une fois les parents entendus et l’audition du mineur organisée – pourvu que l’enfant soit âgé d’au moins douze ans, ou bien, si d’âge inférieur, soit capable de discernement – le juge suggère les dispositions qu’il estime les plus utiles dans l’intérêt du fils et de l’unité de la famille. Si le désaccord persiste, le juge attribue le pouvoir de décision à celui des parents que, le cas échéant, il considère le plus apte à protéger l’intérêt de l’enfant. 4. […] 5. Le parent qui n’exerce pas la responsabilité parentale veille sur la formation, l’éducation et sur les conditions de vie de l’enfant ». À ces dispositions s’ajoutent celles qui adaptent, à ces mêmes solutions de principe, le régime de la responsabilité parentale à la suite d’une séparation ou d’un divorce entre les parents (cf. art. 337 ter et 337 sexies C. civ. italien).

42Ces textes ont été écrits dans le but de prévenir l’expatriation subite des enfants et devraient permettre une meilleure application de la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Selon ces dispositions, en lien avec celles de droit international privé, le consentement de deux parents devient toujours nécessaire pour déplacer la résidence d’un enfant de l’Italie à l’étranger, peu importe la nationalité de l’enfant, à moins qu’une décision en justice ait déjà attribué la responsabilité parentale à un seul des parents. Si ce n’est pas le cas, seule la décision d’un juge permettra l’expatriation d’un enfant résident en Italie, si l’autre parent s’y oppose.

43Prenons le cas d’un enfant de nationalité israélienne résidant sur le sol italien avec ses deux parents. L’article 36 de la loi n° 218 de 1995 indique que la loi israélienne est compétente pour régir les relations entre cet enfant et ses parents. Toutefois, les dispositions de la loi israélienne qui attribueraient la garde de l’enfant au père en cas de divorce, ne pourraient pas être mises en œuvre par les autorités italiennes compétentes pour prononcer le divorce. Le juge italien devra juxtaposer aux règles israéliennes les dispositions de l’article 316 précité. Par conséquent, si le père emmenait son fils en Israël sans le consentement de la mère et sans une décision de justice l’autorisant à déplacer l’enfant, l’enlèvement serait considéré illicite par le droit italien et par la Convention de La Haye de 1980, même si, par hypothèse, le droit israélien considérait légitime l’immigration de l’enfant.

4413. Une deuxième série de normes « d’application immédiate » porte sur le devoir d’entretien des parents. Il s’agit en premier lieu de l’article 316 bis qui n’a pas été touché par la réforme – en dépit de son nom qui évoque une intrusion parmi les articles préexistants. La réforme s’est limitée à le déplacer : le devoir d’entretien n’appartenant plus à la matière de « droits et devoirs du mariage », l’article 148 a été abrogé et son texte a migré, tel quel, dans la partie du code dédiée à la responsabilité parentale. L’article énonce : « Les parents doivent remplir leurs obligations vis-à-vis de leurs enfants à proportion de leurs ressources respectives et selon leur capacité de travail professionnel et domestique. Quand les parents n’ont pas les moyens suffisants, les autres ascendants, par ordre de proximité, sont tenus de fournir aux parents les moyens nécessaires pour qu’ils puissent remplir leurs devoirs vis-à-vis des enfants. 2. En cas de non-exécution, le président du tribunal, sur demande de quiconque y a intérêt, après avoir écouté le défaillant et obtenu des informations, peut disposer par ordonnance qu’une partie des avoirs du parent en question, en proportion de ceux-ci, soit versée directement à l’autre parent ou à qui supporte les dépenses pour l’entretien, la formation ou l’éducation de l’enfant. […] ». Ce principe est suivi par une série de règles qui précise les modalités de réalisation de cette contribution proportionnelle aux richesses de chacun.

45Il est difficile de voir comment, concrètement, ces règles devraient « nécessairement » opérer si l’on adhère à la théorie selon laquelle l’application de la loi étrangère compétente – la loi nationale de l’enfant en ce qui concerne le devoir d’entretien – n’est pas exclue a priori par l’opérativité de la norme impérative italienne [31]. Il est cependant difficile d’imaginer que le juge puisse simultanément appliquer la loi étrangère et des dispositions italiennes aussi détaillées et qui supposent la tenue d’une comptabilité assez sophistiquée. Un « test de compatibilité » entre le droit du for et le droit étranger ne pourrait avoir lieu que sur la base d’une comparaison entre les principes à la base du régime de l’obligation alimentaire envers l’enfant. Autrement, il faudra exclure a priori l’intervention de la loi étrangère pour affirmer que toutes les règles italiennes en matière de devoirs d’entretien sont les seules applicables par les autorités italiennes en vue de la détermination judiciaire de ces devoirs.

4614. Une troisième série de normes qualifiée di applicazione necessaria sont celles qui donnent au juge le pouvoir de limiter ou enlever la responsabilité parentale, dans le but de protéger l’enfant en présence d’un comportement préjudiciable du parent. Peu importe la nationalité de l’enfant, si la loi de l’État dont il est ressortissant n’octroie pas un pouvoir ablatif ou limitatif au juge en matière de responsabilité parentale, le juge italien compétent pourra intervenir en appliquant la lex fori.

4715. L’analyse des règles di applicazione necessaria de l’article 36 bis de la loi n° 218/1995 suggère qu’elles ont été édictées en vue d’élargir la sphère d’application de règles substantielles et procédurales en matière de filiation pour qu’elles puissent régir et le statut des ressortissants italiens résidents à l’étranger et celui de ressortissants étrangers résidents en Italie.

48Il est sans doute possible d’imaginer que ces limites à l’opérativité des principes et règles étrangers tendent également à exclure la reconnaissance et l’exécution de décisions étrangères qui ne se seraient pas fondées sur ces règles, surtout si la décision en justice étrangère n’est pas fondée sur une analyse in concreto de l’intérêt supérieur de l’enfant. En dépit de la commune qualification, il semble possible et opportun de distinguer, à cet égard, entre les règles d’application immédiate qui effacent la discrimination entre les enfants et les règles d’application immédiate en matière de relations personnelles entre parents et enfants, pour affirmer que la reconnaissance pourra seulement être refusée aux décisions prises en violation du principe de l’unicité de la filiation. En pareil cas, la décision pourrait tomber dans l’exception de contrariété à l’ordre public italien [32] pour être supplantée par une décision italienne contenant des mesures conformes aux règles « d’application immédiate » en question.

IV. – Conclusion

4916. Par ses nouvelles règles de droit international privé, le droit italien semble renoncer à la recherche d’une justice purement conflictuelle, pour réaliser une justice substantielle, dont le fondement paraît fortement ressenti. Le caractère singulièrement délicat de la matière et la volonté de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant sont à la base de la volonté d’attribuer une vis expansiva aux nouvelles règles de droit matériel qui construisent le nouveau status filiationis.

50Il y a lieu de se demander, cependant, si la réduction des hypothèses d’application de lois étrangères est susceptible de créer de situations boiteuses et de déboucher sur l’attribution à l’enfant d’un statut relatif, qu’il ne pourrait pas faire valoir au-delà de la frontière. À cet égard, il faut relever que le législateur ne s’est pas préoccupé de définir des critères spécifiques pour la reconnaissance de décisions étrangères qui ne seraient pas respectueuses des nouvelles dispositions « impératives » italiennes. Cependant, en dépit de l’attribution en bloc de la qualification de norme di applicazione necessaria à une ample série de règles, il est nécessaire de distinguer celles qui garantissent un statut « unique » à l’enfant – et qui pourront, le cas échéant – justifier un refus de reconnaissance et exécution à toute décision fondée sur la discrimination entre les enfants d’une même personne – et les règles en matière de responsabilité parentale conjointe. Ces dernières nécessiteront, en particulier, une adaptation au moment de la ratification de la Convention de La Haye de 1996, qui est en cours d’élaboration.

51La réforme était fortement attendue en Italie et elle comble plusieurs lacunes et imperfections existantes, remédiant aux discriminations résiduelles existantes entre les enfants – en premier lieu le droit de commutation, statut « odieux » par la discrimination (et stigmatisation) dont il est porteur.

52Il y a toutefois lieu de relever que la doctrine civiliste italienne [33] s’interroge sur les effets pervers de la réforme, étant donné que le contentieux en matière familiale, en droit interne et en droit international privé, est certainement destiné à une forte augmentation avec des conséquences considérables en ce qui concerne l’intérêt de l’enfant, d’une part, et la sécurité juridique, d’autre part.

53Le risque que l’enfant se retrouve au centre d’un contentieux complexe, auquel il est appelé à participer activement et qui est susceptible de l’accompagner jusqu’à l’âge adulte et à travers les frontières est malheureusement élevé.

54Cet état de choses oblige à s’interroger sur la fonction du droit et sur la proportion qu’il serait opportun de maintenir entre institutions juridiques et remèdes judiciaires.


Date de mise en ligne : 07/06/2020.

https://doi.org/10.3917/rcdip.143.0559

Notes

  • (*)
    Docteur en droit (Université Panthéon-Assas et Université de Padoue), Collaboratrice scientifique de l’Institut suisse de droit comparé.
  • (1)
    Plusieurs propositions de loi visant à reconnaître les unions hors mariage et la famiglia di fatto sont en cours d’analyse. Il s’agit notamment de propositions n° 1065 ; 1631 ; 1637 ; 1756 ; 1858 ; 1862 ; 1932 réunies dans un dossier à l’étude de la Commission Justice de la Chambre de députés.
  • (2)
    Publiée au JO de la République italienne n° 293 du 17 déc. 2012 et entrée en vigueur le 1er mars 2013.
  • (3)
    Décret portant sur « Revisione delle disposizioni vigenti in materia di filiazione, a norma dell’articolo 2 della legge 10 dicembre 2012, n° 219 », publié au JO de la République italienne n° 5 du 8 janv. 2014 et entré en vigueur le 7 févr. 2014.
  • (4)
    Sur ce principe Michele Sesta, Unicità dello stato di filiazione e nuovi assetti delle relazioni familiari, Famiglia e Diritto 2013. 231, spéc. 233 ; Roberto Senigaglia, Status filiationis e dimensione relazionale dei rapporti di famiglia, Napoli, Jovene, 2013, p. 41 ; Alberto Figone, La riforma della filiazione e della responsabilità genitoriale, Giappichelli, 2014 ; Mirzia Bianca, Filiazione, commento al decreto attuativo, Giuffrè, 2014.
  • (5)
    Après la réforme du droit de la famille de 1975, une loi n° 54 du 2006 en matière de garde conjointe des enfants avait déjà réalisé l’équivalence substantielle entre les enfants nés dans le mariage et ceux nés en dehors du mariage. V. M. Sesta, La nuova disciplina dell’affidamento dei figli nei processi di separazione, divorzio, annullamento matrimoniale e nel procedimento riguardante i figli nati fuori del matrimonio, M. Sesta et A. Arcieri (éd.), L’affidamento dei figli nella crisi della famiglia, Torino, 2012, p. 15.
  • (6)
    Une ouverture récente à l’institution de la Kafalah a été offerte par la Cour de cassation italienne à l’occasion de la décision à sections réunies du 16 sept. 2013, n° 21108, S.M. c/ Consolato generale d’Italia in Casablanca, qui a reconnu le droit au regroupement familial à un mineur marocain, assisté en régime de Kafalah par un citoyen italien. La décision est publiée, avec la note de Paolo Morozzo della Rocca, Uscio aperto, con porte socchiuse, per l’affidamento del minore mediante kafalah al cittadino italiano o europeo, Il corriere giuridico 2013. 1492-1497.
  • (7)
    Présentation du Disegno di legge à la Chambre des députés le 12 avr. 2007. Cf. Dossier GI0326 préparé par le Servizio Studi – Dipartimento Giustizia de la Chambre des députés et Commissione per lo studio e l’approfondimento di questioni giuridiche afferenti la famiglia e l’elaborazione di proposte di modifica alla relativa disciplina, Relazione conclusiva, 4 mars 2013.
  • (8)
    Ibid.
  • (9)
    R. Senigaglia, op. cit., p. 52.
  • (10)
    Pietro Rescigno, Situazione e status nell’esperienza del diritto, Rivista di diritto civile 1973. 209, et en Matrimonio e famiglia, cinquantanni del diritto italiano, Torino, 2000, p. 25 s.
  • (11)
    C. Cost. 18 déc. 2009, n° 335, Foro it. 2010, 11, I, c. 2983 avait jugé conforme à la Constitution la règle – aujourd’hui abrogée, en matière de faculté de commutation, permettant aux enfants légitimes d’exclure les « enfants naturels » de l’indivision héréditaire moyennant une compensation adéquate.
  • (12)
    La réforme est expliquée par Cesare Massimo Bianca et al., La riforma del diritto della filiazione, Nuove Leggi Civili Commentate, 2013.
  • (13)
    Maria Dossetti, Qualche dubbio di costituzionalità sulle recenti disposizioni in materia di filiazione, Quaderni costituzionali, 1/2014. 145 ; Michele Sesta, Stato unico di filiazione e diritto ereditario, Rivista di diritto civile 2014. 1 spéc. 5 s. ; très critique est Leonardo Lenti, La sedicente riforma della filiazione, Nuova Giurisprudenza Civile Commentata 2013. 201.
  • (14)
    Giovanni Bonilini, Lo status o gli status di filiazione ?, Famiglia Persone e Successioni, 2006. 681.
  • (15)
    Il est fait référence à la relation qui accompagne une ancienne proposition de loi, du 20 juin 1964, « Legittimazione per adozione a favore di minori in stato di abbandono », qui dans le contexte tout à fait différent de la nécessité d’élider les contacts entre parents adoptifs et parents biologiques, contient une exhortation à respecter la psyché de l’enfant et à éviter « de lui demander de diviser son cœur à moitié », ou, comme on dirait aujourd’hui, de lui créer un conflit de loyauté.
  • (16)
    M. Sesta, Stato unico di filiazione e diritto ereditario, préc.
  • (17)
    L’augmentation du contentieux est aussi à prévoir en raison des particularités du régime inter-temporel introduit par la réforme, qui a prévu une certaine « rétroactivité » de la loi, en hommage au principe du favor filii et peut-être à la lumière de l’arrêt Fabris de la CEDH du 7 février 2013. Sur tous ces aspects v. encore M. Sesta, Stato unico di filiazione, préc., p. 33 s.
  • (18)
    Cf. Paolo Morozzo della Rocca, Il nuovo status di figlio e le adozioni in casi particolari, Famiglia e Diritto 2013. 838 s.
  • (19)
    Cf. le nouveau texte de l’art. 33 – Filiation « 1. L’état d’enfant est déterminé par la loi nationale de l’enfant ou bien, si elle est plus favorable, par la loi de l’État dont un des parents est ressortissant, au moment de la naissance. 2. La loi identifiée aux termes de l’alinéa 1 règle les conditions et les effets de l’établissement de la filiation ainsi que de sa contestation ; si ladite loi ne permet pas l’établissement ou la contestation du lien de filiation la loi italienne s’applique. 3. L’état d’enfant établi selon la loi nationale de l’un des parents ne peut être contesté qu’en vertu de cette loi. Si ladite loi ne permet pas la contestation, la loi italienne s’applique. 4. Sont d’application nécessaire les règles de droit italien qui prescrivent l’unicité de l’état d’enfant ». Cf. Costanza Honorati, La nuova legge sulla filiazione e il suo impatto sul diritto internazionale privato, Studi in onore di Giuseppe Tesauro, en cours de publication.
  • (20)
    Cf. I. Pretelli, Garanzie del credito e conflitti di leggi, Napoli, 2010, spéc. p. 318-319.
  • (21)
    Cf. Peggy Carlier, L’utilisation de la lex fori dans la résolution des conflits de lois, th. Lille 2, polycop. 2008, passim et n° 1 s.
  • (22)
    Cette notion, qui se voulait à l’origine de simple constatation est devenue, au moins dans la jurisprudence de la CJUE, une notion « juridique » qui demande l’analyse de plusieurs éléments, y compris l’élément psychologique. Pour son application au nourrisson cf. l’arrêt de la Cour (1re ch.) du 22 déc. 2010. Barbara Mercredi c/ Richard Chaffe. Aff. C-497/10 PPU, points 55 s.
  • (23)
    En Suisse, selon l’art. 15, al. 2 de la Loi de droit international privé : « En matière d’état civil le renvoi de la loi étrangère au droit suisse est accepté ».
  • (24)
    Selon l’art. 13, al. 1, litt. b) de la loi n° 218 de 1995 : « […] le renvoi opéré par le droit international privé étranger à la loi d’un autre État est pris en compte […] s’il s’agit de renvoi à la loi italienne ».
  • (25)
    Cf. P. Carlier, op. cit., passim et n° 353 s.
  • (26)
    Bien évidemment, il est difficile d’imaginer que le rattachement subordonné à loi de l’état dont l’un de parents est ressortissant puisse venir en ligne de compte dans l’hypothèse à l’étude.
  • (27)
    Art. 35 : « 1. Les conditions pour la reconnaissance du fils sont régies par la loi nationale du fils au moment de la naissance, ou, si plus favorable, par la loi nationale de la personne qui opère la reconnaissance, au moment où cette reconnaissance intervient ; si ces lois ne prévoient pas la reconnaissance, la loi italienne s’applique. 2. La capacité du parent de faire la reconnaissance est régie par la loi nationale de ce dernier. 3. La forme de la reconnaissance est régie par la loi de l’État dans lequel il intervient ou par la loi qui régit la substance ».
  • (28)
    Art. 36 : « 1. Les rapports personnels et patrimoniaux entre parents et enfants, y compris la responsabilité parentale, sont régis par la loi nationale de l’enfant ». Sur le mode d’opérer des norme di applicazione necessaria, cf. les pages de Gian Paolo Romano, L’unilateralismo nel diritto internazionale privato moderno, Zurich, 2014, p. 428-446.
  • (29)
    Les norme di applicazione necessaria ne sont pas considérées comme un obstacle insurmontable à l’application de la loi étrangère selon la conception de Andrea Bonomi, Le norme imperative nel diritto internazionale privato, Zurich 1998, p. 66.
  • (30)
    Art. 36-bis : « 1. En dépit de la désignation d’une autre loi, sont toujours appliquées les règles italiennes qui : a) attribuent aux deux parents la responsabilité parentale ; b) imposent aux deux parents le devoir de pourvoir à l’entretien de l’enfant ; c) attribuent au juge le pouvoir d’adopter des mesures qui limitent ou enlèvent la responsabilité parentale en relation à des comportements préjudiciables pour l’enfant ».
  • (31)
    A. Bonomi, op. cit., p. 66 et passim.
  • (32)
    La contrariété à l’ordre public justifie la non-reconnaissance de décisions étrangères et à l’aune du règlement Bruxelles II bis et à l’aune de la Convention de La Haye de 1996, qui n’est pas, à ce jour, en vigueur en Italie.
  • (33)
    M. Sesta, op.cit., p. 33.
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