Notes
-
[1]
Sur la loi du 16 juillet 1949, on se reportera utilement à l’ensemble des travaux de Bernard Joubert, notamment à son Dictionnaire des livres et journaux interdits par arrêtés ministériels de 1949 à nos jours, Paris, Cercle de la librairie, 2011 (1re éd. 2007). Voir également dans ce dossier l’article de B. Joubert sur la Commission de surveillance.
-
[2]
Voir Bernard Schnapper, « Le sénateur Bérenger et les progrès de la répression pénale en France, 1870-1914 », Annales de la faculté de droit d’Istanbul, 48, 1979 et Annie Stora-Lamarre, L’Enfer de la IIIe République. Censeurs et pornographes (1881-1914), Paris, Imago, 1989.
-
[3]
Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Conseil de la République, séance du 26 février 1948.
-
[4]
Pour une présentation complète de la figure de l’abbé Louis Bethléem, voir Thierry Crépin, « Haro sur le gangster ! ». La moralisation de la presse enfantine, 1934-1954, Paris, CNRS, 2001 et Jean-Yves Mollier, La Mise au pas des écrivains. L’Impossible Mission de l’abbé Bethléem au xxe siècle, Paris, Fayard, 2014.
-
[5]
Loi du 16 mars 1898, Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 18 mars 1898.
-
[6]
Rapport adressé à M. le ministre de l’Intérieur par la Commission chargée d’étudier les modifications qu’il conviendrait éventuellement d’apporter à la législation concernant les publications obscènes et plus généralement toutes les manifestations licencieuses, Paris, Imprimerie nationale, 1927.
-
[7]
Pour une étude plus détaillée de cette bascule et un panorama de la censure morale de l’édition française au xxe siècle, voir Anne Urbain-Archer, L’Encadrement des publications érotiques en France (1920-1970), Paris, Classiques Garnier, 2019.
-
[8]
Abbé Joseph Reyre, Le Mentor des enfants, ou l’Ami de la jeunesse, contenant diverses instructions, traits d’histoire, fables et entretiens sur la lecture, l’écriture, le dessin, la peinture…, Paris, Le Berton, 1786.
-
[9]
L’Humanité, 6 avril 1966.
-
[10]
Pétition publiée dans le numéro de reprise d’Hara-Kiri en janvier 1967.
René Bérenger, surnommé « le Père la Pudeur », caricaturé par Jules Radiguet dans L’Assiette au beurre, 12 février 1910
René Bérenger, surnommé « le Père la Pudeur », caricaturé par Jules Radiguet dans L’Assiette au beurre, 12 février 1910
1Comment expliquer le retour en force, à la Libération, de la défense de la moralité publique, notamment dans le domaine de la lecture enfantine, qui conduit à l’élaboration des dispositifs de censure mis en place en 1939 et 1949 ? C’est le résultat d’une véritable croisade menée par les associations catholiques – dont la figure de proue est l’abbé Bethléem – et laïques, des années 1920 aux années 1960, retracée ici.
2Le 29 juillet 1939, le Conseil des ministres approuve une batterie de mesures relatives à la famille et à la natalité. Au sein de ce train de décrets-lois resté célèbre sous le nom de « Code de la famille », les articles 119 à 129 consacrés au délit d’outrage aux bonnes mœurs révolutionnent le cadre juridique de la presse et de la librairie françaises. Mis en pièces par des ciseaux qu’on croyait pourtant d’un autre âge, l’héritage de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ne correspond plus à l’air du temps, et, à quelques semaines de la guerre, on se range – plutôt de bonne grâce – à ce qui se présente comme une nécessité morale, sociale et politique : la lutte contre les mauvaises lectures. Le rapport d’Édouard Daladier insiste sur l’état inquiétant de la natalité : avec 600 000 naissances par an seulement, contre près du double cinquante ans plus tôt, et un solde naturel négatif depuis 1935, la France perd 35 000 Français chaque année. Naguère première puissance européenne par l’importance de sa population, elle est reléguée au cinquième rang, derrière l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, et même l’Autriche. Dépêché au chevet d’un pays vieillissant, sur le déclin, paré surtout pour la défaite, le Code de la famille entend redresser le père, contrôler la mère et protéger l’enfant, réinsufflant de l’ordre public dans une sphère privée jugée à la dérive.
3Les lectures pernicieuses sont perçues comme une atteinte à la paix des familles et comme un frein à la natalité : accusées de détourner les lecteurs du foyer familial et de les inciter à des pratiques sexuelles non conceptionnelles, elles contribuent, dans l’esprit du législateur, à l’appauvrissement moral et démographique de la France et deviennent des ennemis désignés. Dans le combat qui s’annonce, deux armes puissantes font leur apparition en juillet 1939. La première n’est pas nouvelle ; on la croyait cependant enterrée depuis le Second Empire et ses procureurs de sinistre mémoire, signant le retour du livre sur les bancs de la correctionnelle (séparé de la presse, il relevait depuis 1882 des juridictions d’assises, moins expéditives et généralement plus clémentes). La seconde est inédite : l’autorisation accordée aux associations, cartels et groupements « dont les statuts prévoient la défense de la moralité publique » à se constituer partie civile dans les affaires d’outrage aux mœurs commis par la voie de la presse/du livre.
4Mais cette révolution n’est encore que de papier : l’entrée en guerre de la France, la mise en place de la Révolution nationale de Vichy et l’établissement de la censure allemande éclipsent les dispositions de 1939, qui ne resurgiront qu’à la fin des années 1940, à l’occasion des plaintes retentissantes portées à l’encontre de Henry Miller et de Vernon Sullivan/Boris Vian. L’encadrement moral de l’édition française entre en effet, à la Libération, dans ses plus belles années : prolongeant la réforme de 1939, la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse entend contrôler la décence et la moralité d’un secteur qui a alors le vent en poupe, tout en interdisant (article 14) de proposer, donner, vendre à des mineurs de dix-huit ans ou même simplement d’exposer les publications « de toute nature » présentant « un danger pour la jeunesse, en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, de la place faite au crime [1] ».
Appels à la moralisation
5La censure – le mot répugne à la fois le droit et l’opinion d’alors, mais comment ne s’imposerait-il pas ? – qui va frapper la France des « trente glorieuses » doit beaucoup au combat mené par les défenseurs de la moralité publique dans la première partie du siècle. Portés par des voix religieuses, pseudo-laïques – la plupart des associations moralisatrices, neutres dans leurs statuts, sont en réalité des avant-postes protestants ou catholiques – puis laïques, les appels à la moralisation des lectures enfantines, juvéniles et adultes obtiennent peu à peu gain de cause à partir des années 1930.
6À la fin du xixe siècle déjà, la Société centrale de protestation contre la licence des rues, présidée par le sénateur René Bérenger, avait été à l’origine d’un durcissement de la législation sur l’outrage aux mœurs [2]. Celui que l’on se plaisait à surnommer « le Père la Pudeur » était d’ailleurs l’un des principaux artisans de la Conférence internationale contre la pornographie de 1910, rendez-vous qui donnait corps au vaste mouvement antipornographique qui devait lui-même aboutir, en 1923, à la rédaction de la Convention de Genève pour la répression de la circulation et du trafic des publications obscènes, réunissant sous une même bannière la quasi-totalité des membres de la SDN.
7Des années 1920 aux années 1960, de nombreux défenseurs de la moralité publique poursuivront l’œuvre de René Bérenger, portant comme lui une double casquette associative et parlementaire. En 1924, sur la proposition du sénateur Frédéric François-Marsal, président du groupe sénatorial de la Protection des familles nombreuses, le ministère de l’Intérieur crée une commission chargée d’étudier les moyens de moraliser la librairie française. Tandis que le président de cette commission, Eugène Buhan, autre sénateur à la tête de la Ligue française des familles nombreuses, élabore le texte de la future réforme, Justin Godart, député, ministre et membre du conseil de direction de la puissante Ligue française pour le relèvement de la moralité publique (LFRMP), dépose une proposition de loi visant à donner aux associations de défense de la moralité publique le droit de se porter partie civile devant les tribunaux de répression.
8Si ces initiatives n’aboutissent pas dans les années 1920, elles seront validées quinze ans plus tard par la réforme de l’outrage aux mœurs, élaborée sous l’égide de Georges Pernot, nouvelle éminence du conseil de direction de la LFRMP et inlassable promoteur de la moralisation des lectures : membre de la commission Buhan à ses débuts, il s’impose comme champion de la réforme de 1939 devant le Sénat et jettera dix ans plus tard les bases de la loi du 16 juillet 1949 en invitant le Conseil de la République à une « véritable croisade en faveur de la jeunesse [3] ».
La croisade de l’abbé Bethléem
9Une « croisade » donc. Le mot ne fait tiquer ni la presse ni les parlementaires de 1948-1949 – bien au contraire, ils applaudissent. La mobilisation de la LFRMP, devenue à la Libération le Cartel d’action morale et sociale (Cams), a en effet rencontré celle des militants catholiques, avec laquelle elle se confond souvent.
10Partisan d’une action énergique et spectaculaire, l’abbé Louis Bethléem compte parmi les figures les plus engagées de l’entre-deux-guerres dans cette croisade contre les mauvaises lectures. À la suite de la publication de Romans à lire et romans à proscrire, best-seller qui connaîtra de multiples rééditions, il fonde en 1908 Romans-Revue, devenu en 1919 l’influente Revue des lectures, qui aiguillera pendant trente ans éducateurs et prescripteurs en assurant la promotion des ouvrages recommandables et la démolition en règle des brebis galeuses de la librairie française [4]. Dans le domaine de l’édition pour la jeunesse, l’abbé Bethléem commence par dénoncer férocement les illustrés des frères Offenstadt (Fillette, L’Épatant, L’Intrépide) avant de s’en prendre, dans les années 1930, aux publications de Cino Del Duca (Hurrah !) ou d’Ettore Carozzo (Jumbo), sans oublier sa bête noire, Le Journal de Mickey, qui paraît en France à partir de 1934.
L’abbé Bethléem lacérant publiquement les journaux « licencieux » vendus dans les kiosques parisiens, dans Le Pèlerin, 23 janvier 1927
L’abbé Bethléem lacérant publiquement les journaux « licencieux » vendus dans les kiosques parisiens, dans Le Pèlerin, 23 janvier 1927
11Plébiscité par ses lecteurs, validé par sa hiérarchie et adoubé par la Fédération nationale catholique, l’abbé Bethléem se signale par ses coups d’éclat : scandales de rue, saccages de kiosques, destructions d’ouvrages sur les étals de librairie, sabotages de conférences de presse, l’infatigable croisé cherche précisément à se faire arrêter et à dénoncer, sur les bancs des tribunaux, la non-application des mesures administratives autorisant les maires et les préfets à censurer l’exposition de certains livres et/ou d’une certaine presse au nom de la « propreté morale de la rue » et de la « tranquillité publique ».
12Entre 1930 et 1939, emboîtant le pas à Lyon et à Saint-Étienne, une quarantaine de municipalités et la quasi-totalité des grandes villes françaises participeront au « coup de balai » prôné par l’abbé Bethléem et par l’ensemble des ligues et des mouvements de défense de la moralité et de protection de la jeunesse. En juillet 1939, la proposition de réforme de l’outrage aux mœurs trouve ainsi des esprits préparés, échauffés, prêts à balayer les scrupules des défenseurs de la liberté d’expression – comme en 1949, les rares réserves de parlementaires isolés seront systématiquement raillées et leurs objections balayées.
Procès de l’abbé Bethléem, 16 mars 1927
Procès de l’abbé Bethléem, 16 mars 1927
À la suite de ses lacérations de journaux dans les kiosques, l’abbé Bethléem est attaqué en justice. Il sera condamné à 11 francs d’amende.Des promoteurs, religieux ou laïques
13La mort de Louis Bethléem, en 1940, et la disparition de la Fédération nationale catholique après 1945 ne signent pas la fin de la croisade, bien au contraire. À la tête de Livres et lectures, qui reprend en 1947 le flambeau de la Revue des lectures, le père Alphonse de Parvillez, membre de la Compagnie de Jésus et secrétaire du Comité d’action catholique du livre, approuvera énergiquement les dispositions de la loi du 16 juillet 1949 et apportera son soutien aux premières plaintes déposées par le Cams à l’encontre des deux Tropique de Henry Miller et de J’irai cracher sur vos tombes, de Vernon Sullivan/Boris Vian. Ces initiatives seront d’ailleurs suivies par d’autres du même type, conjointement menées par le Cams et divers groupements religieux (Association des guides et scouts de France, Jeunesse étudiante chrétienne, Ligue féminine d’action catholique, Jeunesse ouvrière chrétienne). Le mouvement de jeunesse catholique Cœurs vaillants-Âmes vaillantes intégrera quant à lui la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence (CSCPEA), créée par la loi du 16 juillet 1949.
Fillette, n° 1, 21 octobre 1909, publié par les frères Offenstadt
Fillette, n° 1, 21 octobre 1909, publié par les frères Offenstadt
« De plus en plus, je suis douloureusement ému en présence du succès que font les catholiques à certains illustrés pour enfants. Les journaux sont malsains, criminels, répugnants et détraquants, dirigés par des Juifs, des Allemands et des pornographes. » (Abbé Bethléem, Romans-Revue, 1913)« Comment se reconnaître parmi les nombreux illustrés pour enfants ? », tract de 1937, liste tirée de la Revue des lectures
« Comment se reconnaître parmi les nombreux illustrés pour enfants ? », tract de 1937, liste tirée de la Revue des lectures
Hurrah !, n° 21, 23 octobre 1935, publié par Cino Del Duca
Hurrah !, n° 21, 23 octobre 1935, publié par Cino Del Duca
« Un illustré dirigé par des Italiens, et qui semble destiné aux boys du Far-West : voilà ce que des étrangers offrent à notre jeunesse de France […]. Ce n’est pas immoral, c’est démoralisant, c’est à boycotter […]. » (Abbé Bethléem, Revue des lectures, mai 1936)14Mais la moralisation des lectures est également soutenue par le camp laïque. Si les députés communistes sont les seuls, en 1949, à voter contre le projet de loi sur les publications destinées à la jeunesse – ils réclamaient des dispositions plus protectionnistes à l’égard des livres et de la presse d’origine étrangère, notamment américaine –, ils ont largement rejoint la croisade du MRP. De même, à la CSCPEA, les représentants du mouvement de jeunesse proche du PCF Francs et franches camarades compteront parmi les adversaires les plus farouches des mauvaises lectures. De la fin des années 1930 à la fin des années 1950, l’ordre moral ne manque donc pas de promoteurs, religieux ou laïques, à droite comme à gauche de l’échiquier politique. Le lobbying des associations et la mobilisation des partis, via leurs organes de presse – L’Aube, Le Populaire, L’Humanité et Les Lettres françaises notamment – et surtout à travers les initiatives des parlementaires, président à l’élaboration des dispositifs de censure mis en place en 1939 et 1949.
L’impératif de protection juvénile
15Le problème posé par les lectures juvéniles est le grand ciment de ce consensus moralisateur qui prend forme à la Libération, assurant la convergence des luttes et, par là, leur efficacité. Protection de la jeunesse et sauvegarde des bonnes mœurs marchent depuis longtemps main dans la main : dès 1898, la loi sur l’outrage aux mœurs s’enrichissait d’une disposition portant au double les peines prononcées lorsqu’une publication délictueuse était vendue à un mineur [5]. En 1939, le Code de la famille conserve cette mesure (article 122). Les inquiétudes des parlementaires de 1949 ne sont pas nouvelles non plus : en 1927 déjà, la commission Buhan tenait pour « hors de doute » le lien entre l’« excitation au vice et à la débauche » et la « criminalité juvénile [6] ».
16Arrimée à la problématique de la jeunesse, la question de la morale se dé-moralise à la Libération, du moins en apparence : il ne s’agit pas de jouer les « Pères la Pudeur » ou les jeunes filles effarouchées, pas plus qu’il n’est question de censure ou d’atteinte à la liberté d’expression. Sujet brûlant (la criminalité, notamment juvénile, explose en 1945) et rassembleur (qui ne souhaite pas protéger ses enfants ?), la protection de la jeunesse est le sésame qui permet de contourner les difficultés sur lesquelles bute le discours moralisateur, trop aisément raillé et/ou contesté. La Ligue française pour le relèvement de la moralité publique l’a d’ailleurs parfaitement compris, renaissant sous le nom de « Cartel d’action morale et sociale » après la guerre. La repolarisation de la question morale au profit de la nécessité sociale s’effectue en deux temps : d’abord placée, dans la première partie du siècle, sous le signe du combat pour la natalité, elle sera guidée, à la Libération, par un impératif de protection juvénile et de résilience collective [7].
17La vulnérabilité des jeunes lecteurs est un classique de l’argumentaire des ligues de moralité et des éducateurs ; on la trouve dès la fin du xviiie siècle sous la plume de l’abbé Joseph Reyre dans Le Mentor des enfants, best-seller de la littérature édifiante [8]. La fable « Les paquets de poison », invitant les adultes à une vigilance de tous les instants, établissait magistralement la dangerosité des livres (« De tous les poisons les plus pernicieux ») pour la jeunesse et le devoir de s’en prémunir.
18Les débuts de la Ve République initieront un retour sur le devant de la scène de la question morale. En décembre 1958, une ordonnance durcit considérablement la censure de la presse et du livre, et l’on ne s’embarrassera même plus, alors, de références à une jeunesse vulnérable et manipulable. C’est d’ailleurs ce qui entraînera, à terme, la contestation générale de l’encadrement des productions culturelles et l’assouplissement des dispositifs adoptés en 1939 et 1949.
19En avril 1966, suite à l’interdiction de La Religieuse, de Jacques Rivette, L’Humanité s’insurgera contre « une atteinte à la liberté d’expression et au droit des Français à ne pas être traités en mineurs [9] » ; deux mois plus tard, la pétition de soutien à Hara-Kiri dénoncera l’hypocrisie des autorités : « Sous couleur de préserver les jeunes, on voue la presse pour adultes à l’anodin, à l’infantile. C’est “Bonsoir les petits” pour tous [10]. » C’est bien l’étroite tutelle du gaullisme qui sera peu à peu contestée, le refus de la mise au pas de la pensée et du musèlement de la parole s’ancrant dans le rejet d’une politique ouvertement paternaliste : devenu adulte, l’enfant – étymologiquement, celui qui n’a pas (encore) accès à la parole – exigera alors son émancipation.
20Réformant en profondeur la loi du 16 juillet 1949, la loi du 4 janvier 1967 enregistrera cette volonté d’affranchissement, précisément conçue comme un recentrement sur la mission de protection de la jeunesse. Ce retour aux sources s’accompagnera d’une perte de vitesse du camp moralisateur : les groupements de défense de la moralité publique péricliteront rapidement pour céder la place aux associations familiales quand la législation sur l’outrage aux bonnes mœurs, de son côté, s’atrophiera jusqu’à sa quasi-disparition – elle sera définitivement remplacée en 1994 par un article visant à protéger la « dignité humaine ».
Notes
-
[1]
Sur la loi du 16 juillet 1949, on se reportera utilement à l’ensemble des travaux de Bernard Joubert, notamment à son Dictionnaire des livres et journaux interdits par arrêtés ministériels de 1949 à nos jours, Paris, Cercle de la librairie, 2011 (1re éd. 2007). Voir également dans ce dossier l’article de B. Joubert sur la Commission de surveillance.
-
[2]
Voir Bernard Schnapper, « Le sénateur Bérenger et les progrès de la répression pénale en France, 1870-1914 », Annales de la faculté de droit d’Istanbul, 48, 1979 et Annie Stora-Lamarre, L’Enfer de la IIIe République. Censeurs et pornographes (1881-1914), Paris, Imago, 1989.
-
[3]
Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Conseil de la République, séance du 26 février 1948.
-
[4]
Pour une présentation complète de la figure de l’abbé Louis Bethléem, voir Thierry Crépin, « Haro sur le gangster ! ». La moralisation de la presse enfantine, 1934-1954, Paris, CNRS, 2001 et Jean-Yves Mollier, La Mise au pas des écrivains. L’Impossible Mission de l’abbé Bethléem au xxe siècle, Paris, Fayard, 2014.
-
[5]
Loi du 16 mars 1898, Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 18 mars 1898.
-
[6]
Rapport adressé à M. le ministre de l’Intérieur par la Commission chargée d’étudier les modifications qu’il conviendrait éventuellement d’apporter à la législation concernant les publications obscènes et plus généralement toutes les manifestations licencieuses, Paris, Imprimerie nationale, 1927.
-
[7]
Pour une étude plus détaillée de cette bascule et un panorama de la censure morale de l’édition française au xxe siècle, voir Anne Urbain-Archer, L’Encadrement des publications érotiques en France (1920-1970), Paris, Classiques Garnier, 2019.
-
[8]
Abbé Joseph Reyre, Le Mentor des enfants, ou l’Ami de la jeunesse, contenant diverses instructions, traits d’histoire, fables et entretiens sur la lecture, l’écriture, le dessin, la peinture…, Paris, Le Berton, 1786.
-
[9]
L’Humanité, 6 avril 1966.
-
[10]
Pétition publiée dans le numéro de reprise d’Hara-Kiri en janvier 1967.