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Article de revue

Les décors des premières représentations de la Tétralogie de Richard Wagner

Pages 18 à 22

Notes

  • [1]
    Hartmut Säuberlich, Richard Wagner und die Probleme des Bühnenbildes seiner Werke im neunzehnten Jahrhundert, Kiel, 1966, thèse dactyl., p. 249.
  • [2]
    Oswald Georg Bauer, Josef Hoffmann : der Bühnenbildner der ersten Bayreuther Festspiele, Munich, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2008.
  • [3]
    Patrick Carnegy, Wagner and the art of theatre, New Haven, Londres, Yale University Press, 2006, p. 123.
  • [4]
    Detta et Michael Petzet, Die Richard Wagner-Bühne König Ludwigs II., Munich, Prestel, 1970.
  • [5]
    Bibliothèque-musée de l’Opéra, fonds allemand, pièce n° 439.
  • [6]
    Bibliothèque-musée de l’Opéra, fonds allemand, pièce n° 27.
  • [7]
    Vana Greisenegger-Georgila, Theater von der Stange : Wiener Ausstattungskunst in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts, Vienne, Cologne, Weimar, Böhlau, 1994, p. 21.
  • [8]
    Edith Dutzer, Die Wagner-Oper und ihre Bühnenbildner an der Wiener Hof-, beziehungsweise Staatsoper, Vienne, 1949, thèse dactyl., et H. Säuberlich, op. cit., p. 255-258.
  • [9]
    Franz Bukacz a travaillé par la suite au sein de l’un des plus importants ateliers de décors berlinois, Georg Hartwig & Co. Voir Edith Ibscher, Theaterateliers des deutschen Sprachraums im 19. und 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, 1972, thèse dactyl., p. 176-177.
  • [10]
    Zwischenact-Zeitung für Hamburg und Altona, 1878-1879, n° 5465.
  • [11]
    Zwischenact-Zeitung für Hamburg und Altona, 1878-1879, n° 5257.
  • [12]
    Die Presse, 31e année, 26 janvier 1878, n° 26.
  • [13]
    Neue Freie Presse, 27 janvier 1878, n° 4821.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Hamburger Nachrichten, 28 octobre 1878 (édition du soir), n° 256.
  • [16]
    Zwischenact-Zeitung für Hamburg und Altona, 1878-1879, n°| 5257, 5465, 5498, 5615.
  • [17]
    Hamburger Nachrichten, 1er avril 1878 (édition du soir), n° 78.
  • [18]
    Martina Srocke, Richard Wagner als Regisseur, Munich, Salzbourg, Katzbichler, 1988.
English version

1La création intégrale en 1876, à Bayreuth, de L’Anneau du Nibelung est un grand succès pour la réputation de Richard Wagner auprès du public et de la presse. Même les opposants aux idées du compositeur ne manquent pas de considérer avec beaucoup de respect l’ambition et la dimension gigantesque de ce projet. De fait, le premier festival de Bayreuth est récupéré par la classe politique du nouvel Empire allemand (1871-1918) : cautionné par la visite de l’empereur Guillaume Ier, il apparaît comme une manifestation de la culture de l’Allemagne unifiée. Cependant, les représentations des quatre opéras (L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux) sont un tel désastre financier que Wagner y voit un échec artistique et abandonne toute idée de reprise de sa Tétralogie à Bayreuth, c’est-à-dire dans le seul théâtre qui possède les installations techniques adéquates. Tout y est conçu, en effet, pour répondre aux immenses exigences musicales et scénographiques de cette œuvre : la fosse d’orchestre invisible, la salle de spectacle en amphithéâtre et le plateau à la profondeur plus importante que celui des autres théâtres mais à la largeur plus réduite.

2Pourtant, Wagner permet les représentations de la Tétralogie hors de Bayreuth. Cette décision le conduit à renoncer à toute exclusivité de mise en scène et aussi à autoriser que sa conception dramatique ne soit pas scrupuleusement respectée. Elle correspond, en revanche, à son caractère «?missionnaire?» et permet le rayonnement de son œuvre en Allemagne, en Autriche et par la suite dans toute l’Europe.

3Plusieurs personnalités entreprennent donc d’organiser des représentations intégrales de la Tétralogie en Allemagne. Ainsi, l’impresario Angelo Neumann (1838-1910) propose une intégrale de L’Anneau du Nibelung au théâtre municipal de Leipzig [1] en 1878, puis au Viktoria-Theater de Berlin en 1881, dans des décors de l’atelier Lütkemeyer de Coburg. Par la suite et pour financer la création de Parsifal à Bayreuth, en 1882, Wagner vend à Neumann les décors de la création de la Tétralogie conçus par le peintre de paysage Josef Hoffmann (1831-1904) [2] et réalisés par l’atelier des frères Brückner de Coburg [3]. Par une ironie de l’histoire du théâtre, les décors destinés exclusivement à la mise en scène de la Tétralogie à Bayreuth ont donc servi de base à une grande tournée qui commence à Londres en 1882 et qui permet à Neumann de faire représenter L’Anneau du Nibelung dans toute l’Europe.

4À Munich, sur ordre du roi de Bavière Louis II, le Hoftheater donne une intégrale de la Tétralogie dans des décors d’Angelo II Quaglio, de Christian Jank et de Heinrich Döll dont le Deutsches Theatermuseum de Munich et la collection théâtrale de l’université de Kiel conservent les maquettes [4].

Les productions de Vienne et de Hambourg

5Entre 1878 et 1879, la Tétralogie est également créée à Hambourg, mais les sources iconographiques ne semblent pas avoir été conservées en Allemagne. En raison de ce défaut de documentation, les décors des représentations hambourgeoises de L’Anneau du Nibelung n’ont jamais fait l’objet d’une étude que rend aujourd’hui possible un ensemble de treize documents inédits du «?fonds allemand?» de la bibliothèque-musée de l’Opéra : deux esquisses en couleurs et onze maquettes en volume au crayon et à l’encre sur carton mis au carreau offrant en moyenne quatre plans parallèles.

6Les annotations y sont rares, mais précieuses : un élément de maquette en volume porte la mention «?Rheingold?» (L’Or du Rhin) et le nom de la ville («?Hamburg?»)?; la même main a annoté un autre élément de la même maquette en indiquant «?Wien?» puis en barrant et en remplaçant le nom de la capitale autrichienne par «?Hamburg?». Les deux esquisses sont plus abouties et de plus grandes dimensions. Les annotations qu’elles portent indiquent qu’elles se réfèrent au troisième tableau de L’Or du Rhin (la caverne des Nibelungen, le Nibelheim) [5] et au premier tableau du troisième acte de Siegfried (une vallée montagneuse) [6] (ill. 1 et ill. 4).

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Atelier de Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901), esquisse de décor pour L’Or du Rhin, 1878

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Atelier de Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901), esquisse de décor pour L’Or du Rhin, 1878

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Atelier de Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901), esquisse de décor pour Siegfried, 1878

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Atelier de Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901), esquisse de décor pour Siegfried, 1878

7Ces maquettes sont accompagnées, pour chacun des quatre opéras, d’une série de feuillets manuscrits sommairement reliés portant dans leur partie droite la transcription des indications scéniques de Wagner et, en regard, dans la partie gauche, de brèves remarques sur les décors. Le verso d’un formulaire vierge de l’opéra de Hambourg a servi à la prise de notes pour La Walkyrie. Dans le cahier consacré à Siegried, il est fait référence aux décors de «?Brioschi?». En effet, en 1874, les trois décorateurs Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901) s’associent à Vienne au sein d’un atelier appelé «?Consortium?» [7] (ill. 3). Ce regroupement en société permet aux trois peintres de répondre non seulement aux demandes officielles des deux théâtres de la cour de Vienne, mais aussi aux demandes privées d’autres théâtres en Europe. Après avoir demandé les décors de La Walkyrie en 1877 à Hoff-mann, l’opéra de Vienne commande au Consortium les décors des autres opéras de la Tétralogie en 1878 (L’Or du Rhin et Siegfried) et 1879 (Le Crépuscule des dieux) [8].

3

Karl Klí?, Carlo Brioschi, Johann Kautsky et Hermann Burghart, vers 1880

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Karl Klí?, Carlo Brioschi, Johann Kautsky et Hermann Burghart, vers 1880

8Les indications présentes sur les documents du fonds allemand attestent aussi du rôle pris par le Consortium dans la création de L’Anneau du Nibelung à Hambourg. Les archives de l’opéra de Hambourg confirment d’ailleurs que le trio de décorateurs est responsable de la plus grande partie des décors de la Tétralogie. Elles prouvent également les relations étroites entre les productions de Vienne et de Hambourg : la comparaison de l’esquisse du premier tableau du deuxième acte du Crépuscule des dieux de la production de Vienne, conservée à l’Österreichisches Theatermuseum, et de la maquette en volume pour le même tableau du fonds allemand de la bibliothèque-musée de l’Opéra fait apparaître une similitude presque parfaite. Les maquettes en volumes pour Siegfried et Le Crépuscule des dieux sont donc des copies de celles élaborées par le Consortium pour les productions de Hambourg et Vienne. Les maquettes pour L’Or du Rhin sont aussi dans ce cas, sauf celle du premier tableau, car l’opéra de Hambourg avait commandé à Franz Bukacz [9] un nouveau décor [10].

9Les maquettes en volume pour La Walkyrie méritent elles aussi quelques développements. En effet, comme cela a été rappelé ci-dessus, Hoffmann avait été chargé à Vienne des décors de cet opéra qui y fut représenté avant les trois autres, en 1877. Les maquettes conservées à la bibliothèque-musée de l’Opéra ne sont pas celles des décors d’Hoffmann, mais celles de nouveaux décors commandés par Hambourg au Consortium (ill. 2), pour le premier et le troisième acte, et à Franz Bukacz pour le second [11]. Les maquettes en volume du fonds allemand correspondant aux décors de Bukacz pour L’Or du Rhin et La Walkyrie se différencient d’ailleurs très bien de celles des décors de l’atelier viennois par leur style moins élégant.

2

Atelier de Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901), maquette en volume pour La Walkyrie, 1878

2

Atelier de Carlo Brioschi (1826-1895), Johann Kautsky (1827-1896) et Hermann Burghart (1834-1901), maquette en volume pour La Walkyrie, 1878

Le décor rend-il justice au drame wagnérien??

10La presse a rendu compte des décors des représentations de Vienne et de Hambourg. La critique viennoise est acerbe et Die Presse souligne ainsi, pour L’Or du Rhin que «?la pompe essaie de cacher – sans y réussir – le manque de veine poétique [12]?». À Vienne, la presse ne manque jamais, en effet, de reprocher sa «?pompe?» au Consortium, influencé par le style du peintre officiel de la cour impériale, Hans Makart (1840-1884). Tout juste l’accepte-t-elle lorsqu’il s’agit d’un ballet, et il est aussi très significatif que le fameux critique Eduard Hanslick compare les décors de L’Or du Rhin à ceux d’un ballet :

11

Il est bien dommage que tout ce faste serve un opéra sérieux plutôt qu’un ballet […]. Dans l’opéra, cela détourne de la musique et de l’essence du drame [13].

12Il ne manque donc pas de décrire les effets scéniques avec beaucoup de sarcasmes :

13

Si on persiste à construire un arc-en-ciel aussi massif et aussi bas pour permettre à une demi-douzaine de dieux de s’y promener, il ne ressemblera jamais à un arc-en-ciel, mais à une passerelle dans un parc municipal ou à un pâté de foie à sept couleurs [14].

14Même si les décors de Vienne et de Hambourg s’inspirent de ceux de Bayreuth, les critiques de Vienne savent faire la différence entre la production d’Hoffmann, qui fait du Nibelheim un lieu mystérieux et symbolique, et celle du Consortium, qui propose pour le même tableau une grotte illuminée fidèle à la tradition éculée de ce type de décor. De la même façon, dans le premier tableau du troisième acte de Siegfried, Hoffmann imagine un paysage sublime, sombre et inquiétant qui annonce déjà la fin des dieux. Le Consortium, en revanche, représente un paysage majestueux : les contrastes lumineux qui l’animent peuvent revêtir une dimension symbolique, mais il reste malgré tout interchangeable avec n’importe quelle autre vue de montagnes.

15À la différence de leurs homologues de Vienne, les critiques de Hambourg sont très impressionnés par les effets scéniques [15]. Pourtant, le même parti qu’à Vienne a été choisi pour les changements de tableaux à vue : contre le vœu de Wagner, une interruption de dix minutes est ménagée entre le deuxième et le troisième tableau de L’Or du Rhin pour pouvoir mettre en place le décor du Nibelheim. La presse hambourgeoise est également très sensible à la mise en scène. À Vienne, en effet, ce sont les décors et les chanteurs qui retiennent l’attention des critiques et la Tétralogie a été représentée sans metteur en scène désigné. À Hambourg, le metteur en scène, Wilhelm Hock (1832-1904), est expressément mentionné dans les distributions que publie le Zwischenact-Zeitung[16] et la presse lui attribue une grande partie du succès de la Tétralogie [17]. En affirmant le statut du metteur en scène lors de ces représentations hambourgeoises de L’Anneau du Nibelung, Hock a d’ailleurs une approche qui correspond à la conception de Wagner tel qu’il l’a mise en application à Bayreuth, car c’est bien la mise en scène, et non le décor, qui est au cœur de l’art dramatique de Richard Wagner [18].


Date de mise en ligne : 18/08/2011.

https://doi.org/10.3917/rbnf.037.0018

Notes

  • [1]
    Hartmut Säuberlich, Richard Wagner und die Probleme des Bühnenbildes seiner Werke im neunzehnten Jahrhundert, Kiel, 1966, thèse dactyl., p. 249.
  • [2]
    Oswald Georg Bauer, Josef Hoffmann : der Bühnenbildner der ersten Bayreuther Festspiele, Munich, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2008.
  • [3]
    Patrick Carnegy, Wagner and the art of theatre, New Haven, Londres, Yale University Press, 2006, p. 123.
  • [4]
    Detta et Michael Petzet, Die Richard Wagner-Bühne König Ludwigs II., Munich, Prestel, 1970.
  • [5]
    Bibliothèque-musée de l’Opéra, fonds allemand, pièce n° 439.
  • [6]
    Bibliothèque-musée de l’Opéra, fonds allemand, pièce n° 27.
  • [7]
    Vana Greisenegger-Georgila, Theater von der Stange : Wiener Ausstattungskunst in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts, Vienne, Cologne, Weimar, Böhlau, 1994, p. 21.
  • [8]
    Edith Dutzer, Die Wagner-Oper und ihre Bühnenbildner an der Wiener Hof-, beziehungsweise Staatsoper, Vienne, 1949, thèse dactyl., et H. Säuberlich, op. cit., p. 255-258.
  • [9]
    Franz Bukacz a travaillé par la suite au sein de l’un des plus importants ateliers de décors berlinois, Georg Hartwig & Co. Voir Edith Ibscher, Theaterateliers des deutschen Sprachraums im 19. und 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, 1972, thèse dactyl., p. 176-177.
  • [10]
    Zwischenact-Zeitung für Hamburg und Altona, 1878-1879, n° 5465.
  • [11]
    Zwischenact-Zeitung für Hamburg und Altona, 1878-1879, n° 5257.
  • [12]
    Die Presse, 31e année, 26 janvier 1878, n° 26.
  • [13]
    Neue Freie Presse, 27 janvier 1878, n° 4821.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Hamburger Nachrichten, 28 octobre 1878 (édition du soir), n° 256.
  • [16]
    Zwischenact-Zeitung für Hamburg und Altona, 1878-1879, n°| 5257, 5465, 5498, 5615.
  • [17]
    Hamburger Nachrichten, 1er avril 1878 (édition du soir), n° 78.
  • [18]
    Martina Srocke, Richard Wagner als Regisseur, Munich, Salzbourg, Katzbichler, 1988.
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