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Article de revue

Hobbes et la représentation

Pages 89 à 123

Notes

  • [1]
    Nous remercions John Wiley & Sons Ltd. pour leur aimable autorisation à reproduire Quentin Skinner, « Hobbes on representation », European Journal of Philosophy, vol. 13, no 2, 2005, p. 155-184 [Note de la rédaction].
    Mes remerciements vont à la Wissenschaftskolle zu Berlin, où j'ai écrit une première version de cet article lorsque j'en étais Fellow en avril 2003. Je suis également très reconnaissant à ceux qui ont pris part au séminaire qui avait fait suite à ma European Journal of Philosophy Annual Lecture, à Vercelli en mai 2004, lors duquel de nombreuses questions pénétrantes furent soulevées à propos de mon argument. C'est à Kinch Hoekstra et Susan James que je suis le plus reconnaissant : tous deux ont lu différentes versions avec un soin méticuleux, m'évitant par là un grand nombre de maladresses et d'erreurs [Note de l'auteur].
  • [2]
    Hanna F. Pitkin, The Concept of Representation, Berkeley, University of California Press, 1967, p. 14.
  • [3]
    Hanna F. Pitkin, « Representation », in Terrence Ball, James Farr and Russell L. Hanson (dir.), Political Innovation and Conceptual Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 140.
  • [4]
    Lucien Jaume, Hobbes et l'État représentatif moderne, Paris, PUF, 1986, p. 7.
  • [5]
    Cette idée a déjà été très bien explorée dans Deborah Baumgold, Hobbes's Political Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
  • [6]
    Quand un tract a été publié de façon anonyme, mais que son auteur a par la suite été identifié, j'ai placé le nom de l'auteur entre crochets dans les notes où j'y fais référence.
  • [7]
    Charles Ier, « His Majesties Answer to a Printed Book », in Edward Husbands, T. Warren et R. Best (dir.), An Exact Collection of all Remonstrances, Declarations... and other Remarkable Passages, Londres, p. 287.
  • [8]
    [Henry Parker], Observations upon some of his Majesties late Answers and Expresses, Londres, 1642, p. 1.
  • [9]
    John Goodwin, Anti-Cavalierisme, Londres, 1642, p. 8.
  • [10]
    [Henry Parker], Observations, p. 1.
  • [11]
    [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, Londres, 1643, p. 13, 23.
  • [12]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes: Divided into Foure Parts, Londres, 1643, I, p. 91.
  • [13]
    [Henry Parker], Observations, p. 1, 2, 3.
  • [14]
    Maximes Unfolded, Londres, 1643, p. 14.
  • [15]
    William Bridge, The Truth of the Times Vindicated, Londres, 1643, p. 3.
  • [16]
    [Philip Hunton], A Vindication of the Treatise of Monarchy, Londres, 1644, p. 27, 31.
  • [17]
    [N.d.T. L'anglais populace renvoie ici au peuple ordinaire, mais sans la connotation péjorative inhérente au terme français « populace ». Les occurrences de « peuple » traduisant l'anglais populace sont donc marquées par un astérisque.]
  • [18]
    [Henry Parker], Observations, p. 1, 13.
  • [19]
    [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 15, 19.
  • [20]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes, I, op. cit., p. 91.
  • [21]
    [Henry Parker], Observations, p. 1.
  • [22]
    [Philip Hunton] A Treatise of Monarchie, p. 12. Voir aussi [Philip Hunton], A Vindication of the Treatise of Monarchy, p. 21.
  • [23]
    [Henry Parker], Observations, p. 18 et cf. p. 1-2.
  • [24]
    William Bridge, The Wounded Conscience Cured, the Weak One strengthened, and the doubting satisfied, Londres, 1643, p. 1.
  • [25]
    Ibid., p. 2-3.
  • [26]
    Maximes Unfolded, p. 26.
  • [27]
    [Henry Parker], Observations, p. 13.
  • [28]
    Ibid.
  • [29]
    Ibid., 1, 2.
  • [30]
    Vindiciae, Contra Tyrannos, Edimbourgh, 1579, p. 89, 193.
  • [31]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes, op. cit., Appendix, p. 143.
  • [32]
    Maximes Unfolded, p. 26.
  • [33]
    [Henry Parker], Observations, p. 2, 4.
  • [34]
    [Charles Herle], An Answer to Mis-led Doctor Fearne, Londres, 1643, p. 18.
  • [35]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes, I, p. 104.
  • [36]
    Ibid., I, p. 91.
  • [37]
    [Henry Parker], Observations, p. 39-40.
  • [38]
    Ibid., p. 13.
  • [39]
    Ibid., p. 14.
  • [40]
    Voir ibid., p. 5 sur « le royaume entier » en tant qu'« auteur » et « essence même des Parlements ».
  • [41]
    Vindiciae, Contra Tyrannos, p. 47, 94, 194.
  • [42]
    Cicéron, Letters to Atticus, trad. angl. D. R. Shackleton Bailey, 4 vol., Cambridge, Harvard University Press, 1999, XII. 29, vol. 3, p. 320 et XII. 31, vol. 3, p. 326.
  • [43]
    Voir The Digest of Justinian, édité par Theodor Mommsen et Paul Krueger, trad. angl. Alan Watson, 4 vol., Pennsylvania, University of Pennsylvania Press, 1985, 35. 1. 36. 1, vol. III, p. 187, où repraesentare est utilisé pour renvoyer au fait de céder un héritage. Voir aussi ibid., 33. 4. 1. 2, vol. III, p. 115, où repraesentatio, i.e. le paiement immédiat, est conçu comme le mérite spécifique qui consiste à recevoir un héritage d'une dote.
  • [44]
    Pline, Natural History, Books XXXIII-XXXV, trad. angl. H. Rackham, Londres, William Heinemann, 1952, XXXVI, 65, p. 308-310.
  • [45]
    François du Jon, The Painting of the Ancients, in three Bookes, Londres, 1638, p. 345.
  • [46]
    Ambroise, « Epistola XV », in Jacques-Paul Migne (dir.) Patrologiae Cursus Completus, 16, Paris, Vrayet, 1845, col. 958 : « hunc nobis quis poterit repraesentare? ».
  • [47]
    Grégoire, « Epistola I », in Paul Ewald et Ludwig Moritz Hartmann (dir.), Registrum Epistolarum, Berlin, Weidmann, 1887-1899, vol. I, p. 1 : « ubi nos praesentes esse non possumus, nostra per eum, cui praecipimus, repraesentetur auctoritas ».
  • [48]
    Cicéron, The thre bookes of Tullyes officyes... translated by Roberte Whytinton, Londres, 1534, Sig H, 1r. Cf. Cicéron, De officiis, trad. angl. Walter Miller, Londres, William Heinemann, I, 34, 124, p. 126 : « Est igitur proprium munus magistratus intellegere se gerere personam civitatis ».
  • [49]
    Voir par exemple Cicéron, De officiis, I, 30, 107, p. 108 ; I, 32, 115, p. 116 et III, 10, 43, p. 310 ; Cicéron, De inventione, trad. angl. H. M. Hubbell, Londres, William Heinemann, 1949, I, 16, 22, p. 44 ; I, 52, 99, p. 148.
  • [50]
    Cicéron, De oratore, trad. angl. H. Rackham, 2 vol., Londres, William Heinemann, 1942, II, 24, 102, vol. I, p. 274 : « tres personas unus sustineo summa animi aequitate, meam, adversarii, iudicis ».
  • [51]
    [Henry Parker], Observations, p. 9-10.
  • [52]
    [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 47.
  • [53]
    Leur usage du terme précède les premiers usages enregistrés par l'Oxford English Dictionary  ; il se peut que ce soit le tout premier usage.
  • [54]
    [Henry Parker], Observations, p. 11.
  • [55]
    [Charles Herle], An Answer to Doctor Fernes Reply, Entitled Conscience Satisfied, Londres, 1643, p. 30.
  • [56]
    [Philip Hunton], A Vindication of the Treatise of Monarchy, p. 50.
  • [57]
    [Henry Parker], Observations, p. 15, 45.
  • [58]
    A Soveraigne Salve, p. 8.
  • [59]
    [John Goodwin], Anti-Cavalierisme, p. 2 ; [Charles Herle] An Answer to Doctor Fernes Reply, p. 12 ; [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 47.
  • [60]
    [Henry Parker], Observations, p. 15.
  • [61]
    Ibid., p. 15, 23.
  • [62]
    Ibid., p. 14-15.
  • [63]
    [Henry Parker], Some Few Observations Londres, p. 4.
  • [64]
    [Henry Parker], Jus Populi, Londres, 1644, p. 18.
  • [65]
    [Henry Parker], Observations, p. 11, 23.
  • [66]
    [Henry Parker], Jus Populi, p. 19.
  • [67]
    [Henry Parker], Observations, p. 15.
  • [68]
    Ibid., p. 11.
  • [69]
    Ibid., p. 15.
  • [70]
    A Soveraigne Salve, p. 22.
  • [71]
    Pour cette affirmation, voir [Charles Herle], A Fuller Answer to A Treatise Written by Doctor Ferne, Londres, 1642, p. 16-17.
  • [72]
    Cette accusation fut tout d'abord lancée par l'auteur des Animadversions, Londres, 1642, p. 4, 10 ; elle fut ensuite fréquemment reprise.
  • [73]
    [Henry Parker], Observations, p. 22.
  • [74]
    Ibid., p. 45.
  • [75]
    Ibid., p. 28.
  • [76]
    L'Oxford English Dictionary date des années 1650 et 1660 l'usage standard du terme pour renvoyer à quelque chose qui est presque (mais pas réellement) équivalent à quelque chose d'autre.
  • [77]
    [Henry Parker], Observations, p. 34.
  • [78]
    Ibid., p. 37, 39.
  • [79]
    Pour une exception partielle, voir John Goodwin, Anti-Cavalierisme, p. 2, 28.
  • [80]
    Voir [Henry Parker], The Contra-Replicant, His Complaint To His Maiestie, 1643, p. 16 : « Le Parlement n'est rien d'autre que la nation entière de l'Angleterre (...) en vertu de la représentation unifiée dans une chambre plus étroite ».
  • [81]
    A Soveraigne Salve, p. 4, 8, 17.
  • [82]
    [Charles Herle], An Answer to Doctor Fernes Reply, p. 12.
  • [83]
    [Henry Parker], Jus Populi, p. 18-19.
  • [84]
    [Henry Parker], Observations, p. 16. Mais Parker ajoute (p. 16, 34) qu'en cas d'urgence, les deux Chambres du Parlement peuvent agir sans le concours du roi. Cf. [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 27-29, qui refuse d'admettre que, même en cas d'urgence, un quelconque élément puisse prédominer sur les autres.
  • [85]
    [Charles Herle], A Fuller Answer to A Treatise Written by Doctor Ferne, p. 2.
  • [86]
    Gryffith Williams, Vindiciae Regum, Oxford, 1643, p. 48-49.
  • [87]
    Ibid., p. 52.
  • [88]
    Ibid., p. 63, 67.
  • [89]
    Ibid., p. 67.
  • [90]
    [Richard Overton], An Appeal From the degenerate Representative Body, Londres, 1647, p. 3, 10.
  • [91]
    Ibid., p. 12.
  • [92]
    Ibid., p. 9 (recte p. 13).
  • [93]
    Ibid., p. 12.
  • [94]
    Ibid.
  • [95]
    Thomas Hobbes, Behemoth or the Long Parliament, édité par Ferdinand Tönnies, Londres, 1969 [2e éd., introduite par MM Goldsmith], p. 26 [Béhémot ou le Long Parlement, trad. fr. Luc Borot, Paris, Vrin, 1990, p. 65, trad. modifiée]. [N.d.T. Tous les numéros de pages entre crochets qui suivent les numéros de page données par Quentin Skinner renvoient aux éditions françaises utilisées et mentionnées également entre crochets.]
  • [96]
    Thomas Hobbes, Leviathan, or The Matter, Forme, & Power of a Common-wealth Ecclesiasticall and Civill, édité par Richard Tuck, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 90 [Léviathan, trad. fr. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, désormais cité L, p. 126].
  • [97]
    Hobbes, L, p. 154 [234], p. 147 [224], p. 200 [311].
  • [98]
    Ici et par la suite, lorsque je renvoie à une page particulière du Léviathan, je donne la référence dans le corps du texte.
  • [99]
    Hobbes, L, p. 189 [291], p. 219 [338].
  • [100]
    Thomas Hobbes, The Elements of Law Natural and Politic, édité par Ferdinand Tönnies, Londres, 1969 [2e éd., introduite par MM Goldsmith], (Éléments de la loi naturelle et politique, trad. fr. Dominique Weber, Paris, LGF, 2003, cité désormais EL), p. 71 [179], p. 73 [180] ; Thomas Hobbes, De Cive: The Latin Version, édité par Howard Warrender, Oxford, The Clarendon Edition, 1983, vol. 2 (Du citoyen, trad. fr. Philippe Crignon, Paris, Flammarion, 2010, cité désormais DC), p. 94 [102].
  • [101]
    Hobbes, EL, p. 101 [220], p. 103 [222] ; Hobbes, DC, p. 133-134 [162-163].
  • [102]
    Hobbes ne développe pleinement cette analyse que dans le cas de ce qu'il appelle la « république par institution », pas dans le cas de la « république par acquisition ». Voir Hobbes, L, p. 121 [178]. Je me suis donc limité dans ce qui suit à commenter le premier cas.
  • [103]
    Cela ne veut pas dire que les concepts d'autorisation et de représentation sont absents des Éléments de la loi et du De cive. On peut défendre que, lorsque Hobbes soutient dans ces ouvrages que la volonté de chacun est « contenue » (included) dans la volonté du souverain, et que le roi « est » le peuple, il est déjà en train de parler effectivement des rois en tant que représentants autorisés. Voir par exemple Hobbes, EL, p. 124-125 [168, 222] et DC, p. 190 [248]. Ma thèse est seulement que Hobbes n'utilise jamais le vocabulaire de l'autorisation et de la représentation dans ces ouvrages, où il décrit l'acte de passer convention comme un acte d'abandon de, ou de renoncement à, nos droits. Voir Hobbes, EL, p. 104 [193, 224] et DC, p. 134 [163]. On pourrait ajouter que si les concepts d'autorisation et de représentation sont implicites dans ces textes plus anciens, leur présence entre en tension avec le fait que Hobbes adopte explicitement l'idée que l'acte de passer convention implique de renoncer à ses droits.
  • [104]
    Voir par exemple David Gauthier, The Logic of Leviathan: The Moral and Political Theory of Thomas Hobbes, Oxford, The Clarendon Press, 1969, p. 99, 120, 126 ; Yves Charles Zarka, La décision métaphysique de Hobbes : Conditions de la politique, Paris, Vrin, 1999 [2e éd.], p. 325, 333.
  • [105]
    [Henry Parker], Observations, p. 44.
  • [106]
    Hobbes, L, p. 88, 89, 90 [123-127] et cf. p. 171 [262-263].
  • [107]
    Hobbes, EL, p. 104 [223], p. 108-109 [226-227] ; DC, p. 136-137 [166-167].
  • [108]
    Hobbes, EL, p. 119 [242, trad. modifiée] ; cf. DC, p. 133 [162].
  • [109]
    Hobbes, EL, p. 103 [223], p. 108-109 [226-227] ; DC, 133-134 [162-163].
  • [110]
    Hobbes, L, p. 148 [225]. L'argument est par la suite répété à l'envi. Voir L, p. 156 [239], p. 158 [242], p. 172 [264-5].
  • [111]
    Hobbes, L, p. 120 [177], p. 121 [179], p. 129 [192].
  • [112]
    Pour cet exemple, voir l'Act Abolishing the Office of King, dans S. R. Gardiner, The Constitutional Documents of the Puritan Revolution, 1625-1660, Oxford, The Clarendon Press, 1906 [3e éd.], qui parle du droit du peuple d'être « gouverné par ses propres représentants ou des assemblées nationales dans des conseils » (p. 386) et déclare que la « suprême autorité » réside désormais « dans les actuels et futurs représentants du peuple » (p. 387).
  • [113]
    Hobbes, L, p. 445 [662], p. 454 [673].
  • [114]
    Hobbes, L, p. 130 [193], p. 162 [248].
  • [115]
    Pour cette idée, voir Christopher Hill, The Collected Essays of Christopher Hill, vol. 3 « People and Ideas in 17th Century England », Brighton, Harvester Press, 1986, p. 318-319, et A. P. Martinich, The Two Gods of Leviathan: Thomas Hobbes on Religion and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 147-150.
  • [116]
    Thomas Goodwin, Christ Set Forth, Londres, 1642, p. 48, 49.
  • [117]
    Voir aussi William Bridge, The Wounded Conscience Cured, the Weak One strengthened, and the doubting satisfied, Londres, 1649, p. 117, qui décrit Adam comme « une personne commune » en ce qu'il « fut constitué d'une âme et d'un corps ; tout comme nous, son corps a des jambes et des bras et d'autres membres, et nous avons des membres comme il a des membres, une tête comme il a une tête, des bras comme il a des bras, des jambes comme il a des jambes. Et donc aussi, nous péchons comme il pèche, nous sommes orgueilleux comme il l'a été, et incroyants comme il l'a été ».
  • [118]
    Thomas Goodwin, Christ Set Forth, p. 57, 58.
  • [119]
    Ibid., p. 59.
  • [120]
    Ibid., p. 60, 58.
  • [121]
    Ibid., p. 73.
  • [122]
    Le chapitre 42 du Léviathan montre cependant de façon manifeste que Hobbes a dû, dans les années 1640, se plonger dans un très grand nombre d'ouvrages de théologie.
  • [123]
    Pour une analyse de la « fiction de la loi » par laquelle le peuple est censé accepter, et même promulguer, ce qui est fait en leur nom, voir également An Answer to a Printed Book, 1642, p. 13-14 (que l'on a attribué à Dudley Digges).
  • [124]
    [Dudley Digges], The Unlawfulnesse of Subjects taking up Armes against their Soveraigne, in what case soever, Oxford, 1643, p. 33.
  • [125]
    Ibid., 149.
  • [126]
    Ibid., p. 151-152.
  • [127]
    Hobbes, L, p. 167 [257], p. 228 [352], p. 129 [192].
  • [128]
    Mais peut-être le chef de l'État est-il décrit comme un homme simplement parce que c'est ce qui était attendu.
  • [129]
    Hobbes parle de Reines souveraines au chapitre 20 (L, p. 140 (210]) et mentionne spécifiquement la Reine Élisabeth d'Angleterre au chapitre 47 (L, p. 479 [706]).
  • [130]
    Hobbes, L, p. 114 [166, trad. modifiée], p. 185 [285] ; cf. aussi p. 160 [245].
  • [131]
    Ibid., p. 156 [238], p. 114 [167].
  • [132]
    Ibid., p. 130 [193-194].
  • [133]
    Ibid., p. 228 [352]. C'est d'abord à cette version de la théorie que Hobbes renvoie, p. 115 [167] et p. 127 [188].
  • [134]
    Ibid., p. 130 [193] ; cf. aussi p. 156 [238].
  • [135]
    [Henry Parker], Observations, p. 44.
  • [136]
    Voir Hobbes, L, p. 120 (bear) [177 « endosser », trad. modifiée], p. 121 (carry, present) [178, « porter », « représenter », trad. modifiée].
  • [137]
    Pour cette formule, voir ibid., p. 9 [5].
  • [138]
    Voir ibid., p. 172 [264] pour une distinction particulièrement claire entre souverains et républiques, et l'affirmation selon laquelle la personne du souverain représente toujours la personne de la république.
  • [139]
    Ibid., p. 183-184 [282], p. 171 [263].
  • [140]
    Ibid., p. 185 [285], 187 [288], 199 [309]. Pour des phrases similaires, voir ibid., p. 236 [365], p. 245 [378], p. 253 [390], p. 472 [692].
  • [141]
    L'idée que l'État hobbésien est une personne « par fiction » est défendue de façon convaincante par David Runciman, « What kind of person is Hobbes's State? A reply to Skinner », The Journal of Political Philosophy, no 8, p. 268-278.

I

1Dans son ouvrage classique, The Concept of Representation, Hanna Pitkin affirme que Thomas Hobbes propose « la première analyse développée et systématique de la représentation en langue anglaise [2] ». C'est dans le Léviathan, a-t-elle soutenu depuis, que l'on trouve « le premier examen de l'idée de représentation dans la théorie politique [3] ». Lucien Jaume s'exprime en termes similaires dans son ouvrage plus récent sur le gouvernement représentatif : tout commence là aussi avec le Léviathan, et il soutient également que Hobbes « est le premier théoricien qui ait défini un concept de la représentation » et qui l'ait placé au c ur d'une théorie du gouvernement [4].

2Ces jugements livrent selon moi une impression doublement trompeuse de l'exploit de Hobbes. Tout d'abord, ils sont loin d'être corrects d'un point de vue historique. Au moment où Hobbes publie le Léviathan en 1651, de nombreux auteurs politiques anglais ont déjà développé une théorie complète du gouvernement représentatif ; ils en ont fait un usage révolutionnaire pendant les années 1640, mettant en cause le gouvernement du roi Charles Ier et légitimant, pour finir, la transformation de l'Angleterre en une république ou « État libre » en 1649. Ensuite, ces jugements donnent une image déformée du projet de Hobbes dans le Léviathan  : bien loin d'y énoncer une théorie inédite de la représentation politique, Hobbes commente au contraire, de façon critique, une série de théories existantes, en particulier celles qui avaient été avancées par les parlementaires s'opposant à la monarchie Stuart au début de la guerre civile anglaise [5].

3 Pour étayer ces affirmations, il est nécessaire de s'attarder un peu sur les auteurs parlementaires de la révolution anglaise, et donc sur nombre de théoriciens politiques qui ne sont guère connus. Il me faut en conséquence souligner que la première partie de cet article vise moins à fournir un simple « arrière-plan » pour comprendre la pensée de Hobbes qu'à mettre en question toute distinction tranchée entre l'arrière-plan des pamphlets politiques partisans, d'un côté, et les ouvrages systématiques de philosophie politique de Hobbes, de l'autre. Une manière de résumer mon argument consisterait à dire que j'essaie d'illustrer combien le Léviathan est lui-même un pamphlet politique, quoique volumineux et ambitieux.

II

4C'est à l'automne 1642, au cours des mois entourant le déclenchement de la guerre civile, que les opposants au gouvernement de Charles Ier publièrent leur théorie du gouvernement représentatif. De nombreux juristes prirent part au débat, notamment Henry Parker et William Prynne, de même qu'un large cercle de théologiens, parmi lesquels John Goodwin, Charles Herle, Philip Hunton et William Bridge. Il faut ajouter à cette liste un vaste groupe de propagandistes demeurés anonymes, au nombre desquels on trouve les auteurs de pamphlets remarquables tels que Les maximes exposées (Maxims Unfolded) et Un baume souverain (A Soveraigne Salve), tous deux parus au printemps 1643 [6].

5 Je me concentrerai en particulier sur Henry Parker, le théoricien le plus original et le plus pénétrant, dont le principal traité, Observations sur certaines des réponses et affirmations récentes de sa Majesté (Observations upon some of his Majesties late Answers and Expresses), fut publié pour la première fois en juillet 1642. Comme les auteurs membres du clergé qui se mettent dans son sillage, Parker se perçoit lui-même comme étant placé dans la nécessité de s'opposer à une recrudescence de la théorie du droit divin des rois. Selon cette vision politique, la structure sociale et politique est directement ordonnée par Dieu et en mettre en cause une partie quelconque revient par conséquent à mettre en cause la volonté divine. Ainsi que Charles Ier devait l'affirmer dans sa Réponse (Answer) au Parlement en juin 1642, son autorité devait être reconnue comme l'effet d'une mission de confiance (trust) « que Dieu et la Loi nous ont accordé, à nous et à notre postérité, pour toujours ». Les termes de cette mission le rendent responsable devant Dieu seulement, en même temps qu'ils assignent au Parlement un statut qui n'excède pas celui d'un corps purement consultatif, « susceptible d'être dissous à notre guise [7] ».

6En réponse, les propagandistes parlementaires proposent d'abord une analyse opposée de la condition dans laquelle Dieu nous a placés dans le monde. On peut formuler cette analyse de façon négative ou positive. Négativement, ils affirment qu'il n'y a pas de raison de traiter nos systèmes juridiques et politiques existants comme un don spécial de la providence divine. Comme le souligne Henry Parker au début de ses Observations, bien que « le roi attribue l'origine de sa royauté à Dieu », la vérité est que « Dieu n'est pas davantage l'auteur du pouvoir royal que du pouvoir aristocratique, pas plus du commandement suprême que du commandement subordonné [8] ». John Goodwin abonde dans ce sens : « Dieu n'a ni ordonné ni désigné la forme spécifique de gouvernement qu'une nation ou qu'une société humaine quelconque doit avoir » ; il s'ensuit que nos « gouvernements royaux » actuels ne sauraient être « en rien une ordonnance de Dieu en ce sens [9] ».

7Formulée en termes positifs, l'argument des parlementaires est que ce qui existe dans la nature, ce ne sont pas des États et des gouvernements mais simplement des communautés libres dotés de tous les moyens nécessaires pour réguler leurs propres affaires. « Originellement, le pouvoir est inhérent au peuple », déclare Parker, « et ce pouvoir n'est rien d'autre que cette puissance et cette vigueur que telle ou telle société humaine contient en elle-même [10] ». Philip Hunton répète qu'avant que les membres d'une telle société « s'abandonnent à une personne, pour être commandés par sa volonté », on peut dire qu'ils forment « un peuple libre et non encore engagé », « disposant à l'origine du pouvoir sur eux-mêmes [11] ». Appliquant l'argument au peuple anglais, William Prynne confirme que comme tout autre « peuple libre », il doit être originellement en possession de « l'autorité, du pouvoir et des privilèges nationaux » les plus complets, et par conséquent de la totalité de « l'autorité, du pouvoir et de la liberté » de se gouverner (rule) eux-mêmes [12].

8Pourquoi est-il si important pour ces auteurs d'insister en premier lieu sur la liberté naturelle du peuple ? La réponse est double. Cela leur permet d'abord de décrire entièrement l'établissement des associations civiles comme le résultat d'une décision et d'un choix humain. S'il n'existe pas de gouvernements dans la nature mais simplement la capacité d'en instituer, alors le peuple doit être considéré comme l'auteur de toute autorité susceptible d'être placée au-dessus d'eux. Parker s'exprime exactement en ces termes au début de ses Observations lorsqu'il affirme que c'est l'homme, et pas Dieu, qui est « l'auteur libre et volontaire » de tous les pouvoirs qui sont ensuite « transmis » aux rois et aux magistrats. Les membres du peuple sont toujours « les auteurs, ou les fins (ends) de tout pouvoir », et donc « la cause finale de l'autorité royale [13] ». L'auteur des Maximes exposées nous assure, de façon similaire, que « Dieu n'est pas si exact dans le choix des magistrats au point d'en être l'auteur », et qu'il préféra laisser au corps du peuple le soin de décider par qui ils souhaitent être gouvernés. Adoptant une tournure de phrase remarquablement hobbesienne, il conclut que ce sont toujours les hommes qui agissent comme « les auteurs, les instruments, la matière, la forme et la fin du gouvernement [14] ».

9Nombre d'auteurs parlementaires corroborent cet argument en insistant sur un autre point terminologique. Si le gouvernement légitime ne peut être institué que lorsque le peuple, en tant qu'auteur de tout pouvoir, confie son autorité originelle, on peut également dire que le peuple doit autoriser ses rois et ses magistrats à gouverner, et donc que les gouvernements ne sont légitimes et ne font autorité que dans la mesure où ils ont été dûment autorisés. William Bridge explique que l'acte légal qui se produit lorsque « le pouvoir séculier et civil » est « donné par le peuple à un homme ou à plusieurs » est que « certains sont autorisés, dans les républiques, à exercer la juridiction sur les autres [15] ». Philip Hunton souligne la rigueur des liens imposés par cet arrangement sur les juridictions des rois. Lorsque le peuple autorise un gouvernant, « son autorité s'en trouve limitée », et « aucun des instruments de sa volonté excédant ces lois n'est autorisé ». S'il venait par la suite à violer les termes de son autorisation ou de la « limitation (definement) de l'autorité », alors les actes qui en résulteraient « ne seraient pas légaux et contraignants mais dépourvus d'autorité contraignante (non-Authoritative) [16] ».

10La plupart de ces auteurs estiment que l'on peut fournir une analyse encore plus précise des moyens par lesquels des peuples en corps en viennent à autoriser leurs rois et leurs magistrats. La thèse centrale qu'ils introduisent est que tout octroi d'autorité politique exige que soit exprimé un « consentement public », un acte explicite de « consentement et d'accord commun » de la part du peuple (populace) dans son ensemble [17]. Hunton affirme de même que tout gouvernement « tire sa force et son droit du consentement et du choix de cette communauté au-dessus de laquelle il règne », et donc que « tout monarque dérive son pouvoir du consentement du corps entier » du peuple [18]. Prynne admet que leur propre « élection » et leurs propres « consentements libres » sont le seul moyen par lequel « tout peuple libre quel qu'il soit » peut devenir assujetti à un roi [19].

11Ces actes de consentement général doivent à leur tour s'exprimer sous la forme de contrats ou de conventions par lesquelles le peuple fait savoir qu'il accepte un roi ou un autre magistrat suprême. Selon l'expression de Parker, c'est uniquement par « les pactes et les accords de telle et telle corporation politique » que les gouvernements légitimes peuvent être établis [20]. Hunton souligne de façon claire la cible polémique de l'argument lorsqu'il précise que « les Rois n'ont ni parole divine ni lois contraignantes pour les constituer dans leur souveraineté ». Ils ne peuvent être institués que par « le consentement et le contrat fondamental d'une nation d'hommes, dont le consentement les place à un pouvoir qui ne peut ni excéder ni différer de celui qui leur a été transféré par le contrat de sujétion », selon ce que le corps du peuple jugera acceptable [21].

12On pourrait dès lors se demander comment la totalité d'un peuple* peut espérer accomplir un tel acte légal unitaire consistant à contracter et donc à consentir au gouvernement. Reconnaissant la difficulté, ces auteurs répondent en affirmant que le peuple ne doit jamais être considéré comme une simple collection d'individus, mais toujours en même temps comme une communauté ou un groupe unifié. Comme le dit Parker, il est toujours possible de le considérer non seulement divisim, comme des sujets singuliers, mais aussi conjunctim, comme une universitas, une « corporation politique [22] ». De même, Bridge remarque d'abord que l'on peut se représenter le peuple soit comme « divisivè » soit comme « unitivè[23] ». L'importance de la distinction, explique-t-il, tient au fait que si l'on conçoit le peuple « collectivement », on peut dire que l'agent qui consent et contracte est « le peuple commun (the commonalty) » ou « la république (common-weale) » elle-même [24]. L'auteur des Maximes examinées précise la même implication : quand les membres du peuple agissent par « le consentement commun de tous », on peut dire qu'ils agissent en tant qu'« union » et par « leur pouvoir uni » en tant que corporation, et donc à la manière d'une seule personne dotée d'une seule volonté et d'une seule voix [25].

13Je l'ai déjà souligné, ces auteurs souhaitent mettre l'accent sur la liberté originelle et naturelle du peuple pour une seconde raison, liée à la première. Si personne n'est jamais né dans la sujétion, on ne saurait imaginer que quiconque consente à abandonner la totalité de sa liberté naturelle ; on peut au contraire en inférer avec assurance que les individus ne passeraient convention que pour autoriser une forme strictement limitée de gouvernement. Cet argument prend généralement les apparences de ce que l'on pourrait décrire comme une histoire conjecturale des modalités par lesquelles les gouvernements légitimes ont originellement été créés et en sont venus à revêtir leurs configurations présentes. C'est Henry Parker qui fournit la version la plus détaillée de cette histoire, et il esquisse un récit au sein duquel deux étapes peuvent être distinguées.

14Parker concède d'abord que les hommes, en tant qu'êtres déchus, ont certes dû juger très tôt qu'il était nécessaire de s'assujettir à des gouvernants et des magistrats. « L'homme, corrompu par la chute d'Adam, est devenu une créature si sauvage et non civile (uncivill) que la Loi de Dieu écrite dans son c ur n'était plus suffisante pour le retenir des méfaits ni pour le rendre sociable [26]. » Il devint rapidement évident que « sans société les hommes ne pourraient vivre, et [que] sans lois ils ne pourraient être sociables ; or sans autorité investie quelque part pour juger conformément à la loi, et pour exécuter conformément au jugement, la loi était vaine et vide [27] ». Telles furent les circonstances dans lesquelles les communautés de peuples se résolurent à autoriser quelque leader vertueux et fiable à créer et à administrer un système de lois visant à maintenir la paix.

15Comme le précise Parker, cependant, il ne faut jamais oublier que les membres du peuple qui autorisent ces leaders étaient au moment de cette autorisation en possession du plus complet pouvoir de se gouverner eux-mêmes. L'implication inévitable est que tous les rois légitimes ont nécessairement un statut inférieur au peuple à qui ils doivent leur autorité. « Nous observons que le pouvoir des Princes n'est que secondaire et dérivé », souligne Parker, et que « le peuple est la source et la cause efficiente ». « D'où il suit », dit-il, « que cette inférence est juste : le Roi, quoique singulis Major, est cependant universis minor », de statut moindre que l'universitas ou « corporation politique » dont dérivent ses droits et ses pouvoirs [28].

16Cette description des rois comme maior singulis sed minor universis fut très fréquemment répétée dans le débat constitutionnel qui s'ensuivit. Parker tire probablement la citation des Vindiciae contra tyrannos[29], mais c'est la traduction par Prynne des passages pertinents des Vindiciae dans l'Appendice à son ouvrage Pouvoir Souverain des Parlements et des Royaumes (Soveraigne Power of Parliaments and Kingdoms) qui contribua à la faire mieux connaître. Prynne y cite les Vindiciae à différentes occasions au sujet de l'idée que « le peuple entier est supérieur au Roi », bien que « chaque membre du peuple pris séparément soit inférieur [30] ». Reprenant l'argument, l'auteur des Maximes examinées retourne au latin original ; il répète que le roi « est Major singulis, universis minor » et explique que « le Roi est comparativement le plus grand », mais qu'il n'est « pas Roi tant qu'on ne l'a pas fait tel, de même que les sujets ne doivent être considérés tels avant qu'ils n'aient été faits sujets [31] ».

17Les auteurs parlementaires dérivent de cette maxime une autre conclusion, plus importante encore. Si les peuples sont plus grands que leurs rois, ils doivent alors pouvoir, au moment de la convention, octroyer l'autorité selon des conditions très strictes, dont le respect devient l'un des devoirs de la fonction royale. Parker exprime ce point en soulignant que la relation entre le roi et son peuple doit toujours être une relation « fiduciaire ». Le peuple en corps « peut ordonner les conditions et fixer à l'avance les limites qu'il veut », plaçant de la sorte son gouvernant dans l'obligation de gouverner conformément aux termes de sa mission de confiance « conditionnée [32] ». Charles Herle réaffirme que l'universitas du peuple est toujours « plus grand et plus puissant que le Roi » et donc que les rois sont toujours « créés à partir de certaines lois et conditions » par le peuple [33]. William Prynne va même plus loin et conclut que le peuple, « si on le prend collectivement », n'est pas seulement « au-dessus du roi », mais qu'il est capable en conséquence de « limiter et de mettre en question ses actions et sa mauvaise administration, s'il y a une juste cause de le faire [34] ».

18S'ensuit-il que si le roi venait à enfreindre les termes et les conditions de sa mission de confiance, le peuple l'ayant à l'origine investi de cette mission pourrait légitimement lui résister et le destituer ? Lorsqu'il s'exprime avant le déclenchement de la guerre civile, Parker prend un soin extrême à éviter ce genre d'affirmation incendiaire. Mais quelques mois plus tard, on voit des auteurs tels que Herle et Prynne proclamer avec véhémence le droit du peuple de défendre ses intérêts en prenant les armes contre son roi. On ne saurait supposer qu'un peuple libre, affirme Prynne, transfère ou abandonne absolument « toute son autorité, tout son pouvoir et tous ses privilèges nationaux ». Il doit toujours, « lorsqu'il voit une juste cause de le faire, se réserver pour lui-même le pouvoir et la juridiction les plus suprêmes (supremest), afin de diriger, limiter et contraindre la suprématie de ses princes et les abus exorbitants que ces derniers en font ». Si un roi venait à agir sans le consentement et contre les intérêts de son peuple, celui-ci pourrait et devrait demander des comptes et lui résister par la force « au moyen des armes défensives nécessaires [35] ».

19Malgré ces précautions, Parker postule ensuite que le chapitre ouvrant son histoire conjecturale se serait assurément achevé dans la tyrannie et la guerre. « L'homme », fait-il observer, « est par nature d'une ambition insatiable », laquelle corrompt toujours ceux qui sont investis de pouvoir [36]. Nous pouvons donc être certains que bien que le peuple ait initialement autorisé ses rois à ne gouverner que conformément aux termes de leurs pactes ou contrats, il s'est rapidement retrouvé « exposé à la destruction contre-nature par la tyrannie de magistrats en charge (intrusted), un mal presqu'aussi fatal que celui qui consiste à vivre sans aucun gouvernement [37] ». Parker imagine qu'en découle une période d'anarchie. Se sentant trahi, dépourvu de tout moyen constitutionnel pour réparer les torts subis, « le corps du peuple fut contraint de s'élever et, par la force d'un parti dominant (Major party), de mettre fin à toutes les luttes intestines ». Mais « les malheurs s'amplifièrent jusqu'à atteindre un étrange paroxysme » en sorte qu'« après bien des pillages et de grandes effusions de sang, il arriva parfois qu'une tyrannie ne soit changée que pour une autre tyrannie [38] ».

20Cette analyse de la crise conduit Parker au second chapitre de son histoire conjecturale, chapitre où l'on parvient finalement à un dénouement heureux. Le peuple voit qu'il lui faut trouver des moyens moins violents et plus efficaces de faire respecter son autorité. La solution à laquelle « la plupart des Pays » ont finalement eu recours consista à autoriser des assemblées publiques pour gouverner conjointement avec leurs rois, équilibrant leur pouvoir et les réfrénant si nécessaire. La mise en  uvre de cette solution est censée s'être produite lorsque le corps du peuple, agissant une fois de plus en tant qu'auteur de tout pouvoir, accorda l'autorité à des assemblées telles que des parlements pour le représenter et défendre ses intérêts, empêchant ainsi ses gouvernants et ses magistrats de suivre des voies tyranniques [39].

21Lorsque Parker et ses partisans évoquent le droit du Parlement de représenter le peuple, leur choix terminologique est presque certainement inspiré par l'un des traités « monarchomaques », selon toute vraisemblance les Vindiciae contra tyrannos (1576). Les Vindiciae, auxquelles Parker fait parfois écho presque mot à mot, parle souvent du rôle qu'ont les assemblées publiques (public councils) de représenter (repraesentare) le populus et sa souveraineté originelle [40]. Or, lorsque les monarchomaques utilisent ce vocabulaire, ils s'appuient à leur tour sur un imposant réservoir de textes anciens et médiévaux. Pour comprendre la palette des concepts que le terme repraesentare en était venu à exprimer à cette époque, c'est avant tout ces autorités bien plus anciennes qu'il nous faut suivre.

22Le concept primitif exprimé à l'origine par le verbe repraesentare est l'idée de re-présenter quelque chose, de rendre présent quelque chose de manquant ou d'absent. Il y a deux contextes principaux où l'on peut rencontrer le terme pris en ce sens fondamental. L'un est le discours juridique, en particulier dans les disputes relatives au paiement des héritages et le remboursement des dettes. Le droit romain concevait ces deux actes comme des cas où une somme d'argent originellement présentée ou promise par une partie à une autre est re-présentée au bénéficiaire approprié. Cicéron utilise déjà repraesentare et le nom correspondant, repraesentatio, pour se référer au fait de donner de l'argent [41], exemples que l'on retrouve aussi, parmi les usages communs de ces termes, dans le Digeste de Justinien [42].

23L'autre contexte dans lequel on rencontre le même vocabulaire est bien plus important pour le présent argument. On trouve très tôt les mêmes termes utilisés pour se référer à l'acte consistant à produire une image ou un portrait (likeness) ­ une repraesentatio ­ de l'apparence corporelle extérieure de quelqu'un ou de quelque chose. Dans ce cas, quelque chose d'absent est re-présenté au regard. On trouve un exemple souvent cité dans le traité sur la peinture et la sculpture qui occupe les livres 34 et 35 de l'Historia Naturalis de Pline. L'artiste Parrhasios est censé avoir peint une image de certains rideaux en les représentant (repraesentata) de façon si réaliste que son rival Zeuxis, ne voyant pas qu'il observait une peinture, demanda que l'on tirât les rideaux afin qu'il pût observer la peinture qu'il pensait trouver derrière [43].

24Cette anecdote nous rapproche du c ur de l'esthétique classique et néo-classique, qui attribuait une force (ou une « vertu ») presque magique aux représentations picturales ou sculpturales réussies. La force de l'art était censée résider dans sa capacité à produire des images permettant de re-présenter des personnes ou des objets absents ou purement imaginaires, de manière à créer l'illusion que l'observateur les percevait réellement. L'idéal sous-jacent de mimesis est parfaitement saisi par François du Jon dans son traité La peinture des Anciens, publié pour la première fois en 1638. À la fin de son analyse, il affirme que « tous ceux qui entendent considérer les questions de l'art de façon judicieuse doivent, au moyen de ces images, accoutumer leur esprit à de telles représentations vivantes de ce qu'ils y voient exprimé, comme s'ils voyaient les choses elles-mêmes et non leur seule ressemblance [44] ».

25Tels étaient probablement les principaux usages des termes repraesentare, repraesentatio, et des termes apparentés, que l'on peut trouver dans les textes de la Rome antique. Mais à partir du 4e siècle de l'ère chrétienne on commence à voir les mêmes termes utilisés en un sens qui semble à première vue sans aucun rapport avec les précédents. On les utilise, notamment chez les Docteurs de l'Église, pour se référer à l'acte de parler ou d'agir au nom de quelqu'un d'autre, et plus particulièrement à l'acte de parler ou d'agir en ayant reçu la permission ou l'autorité de le faire.

26On trouve un exemple ancien de ce sens dans les lettres de saint Ambroise. Il écrit au peuple de Thessalonique pour lui témoigner de sa sympathie à l'occasion de la mort de leur évêque, qui était parvenu à protéger la province en négociant avec les tribus barbares. Ambroise s'alarme que personne ne puisse désormais parler et agir en leur nom de façon aussi efficace, et il exprime son inquiétude en demandant « qui sera maintenant capable de nous représenter [45] ? » Un exemple plus clair encore se trouve dans les Épîtres de Grégoire le Grand. Nommant un évêque dans ses fonctions en Sicile, Grégoire écrit afin de rassurer la congrégation locale : cette nomination permettra que « notre autorité soit représentée par quelqu'un à qui l'on donne des instructions lorsque nous sommes nous-mêmes incapables d'être présents [46] ».

27Originellement, ce n'est pas de cette manière que l'idée de parler ou d'agir au nom de quelqu'un d'autre avait été exprimée en latin. Un ensemble de métaphores théâtrales avaient initialement été invoquées, notamment par Cicéron, qui les avait utilisées pour illustrer ce que signifie le fait de parler pour un client dans un tribunal, et le fait de dire du gouvernant qu'il agit au nom de la civitas. L'analyse extrêmement influente de Cicéron se concentre sur le terme persona, masque que les acteurs portaient dans le théâtre antique pour indiquer les rôles qu'ils jouaient. Quand je parle ou agis pour quelqu'un d'autre, suggère Cicéron, c'est comme si je mettais leur masque, si bien que l'on peut dire que je « porte (bear) » ou « soutiens (sustain) » leur personne ­ je joue leur rôle, j'agis en leur nom. Comme il l'explique au livre I du De officiis, c'est le sens auquel on peut se figurer les magistrats comme jouant des rôles publics. « Tel est bien le devoir d'un officier », selon la formulation de la première traduction anglaise du De officiis, « de considérer qu'il porte la personne (the personage) de la cité, et qu'il est contraint de soutenir (sustayne) et de conserver sa dignité et son honneur (worship) pour conserver les lois [47] ».

28 Cicéron s'intéresse aussi de près à l'idée suivante : de la même façon que l'on peut être dit avoir de nombreux officia ou devoirs à accomplir, on peut être dit avoir de nombreuses personae ou de nombreux rôles à jouer. Il a très souvent recours à ce vocabulaire [48], mais l'usage le plus élaboré se trouve peut-être dans un passage du livre II du De oratore. Il y présente le personnage d'Antoine se confiant sur la manière dont il s'y prend, en tant qu'avocat, pour préparer une défense. Antoine explique qu'il s'entretient d'abord avec son client et tente ensuite de trouver non seulement ce qu'il doit dire lui-même, mais aussi ce que son adversaire rétorquera vraisemblablement et comment le juge réagira à son tour. Il résume cet exercice en disant qu'il cherche, « de façon aussi impartiale que possible, à jouer le rôle de chacune des trois personnes impliquées, ma propre personne, la personne de mon adversaire, et la personne du juge [49] ».

29 Cicéron n'emploie jamais le verbe repraesentare dans ces différents contextes, mais il n'est peut-être pas difficile de voir comment le mot a fini par être utilisé comme moyen d'exprimer l'idée qu'il est possible de « porter la personne » de quelqu'un d'autre. S'il y a un sens à dire que, lorsque je parle ou agis pour vous, je soutiens ou porte votre personne, alors il y a de bonnes raisons de penser qu'il est également sensé de dire que je propose une image ou repraesentatio de la façon dont vous vous seriez vous-même comporté. C'est en tout cas le développement sémantique qui s'ensuivit. Il en résulta qu'au début du Moyen Âge, le terme repraesentare était entré dans l'usage commun et renvoyait non seulement à l'acte consistant à faire le portrait physique de quelqu'un mais encore au fait de parler et d'agir en son nom.

30 Une histoire longue et complexe des développements plus tardifs de ce vocabulaire reste à écrire, en particulier dans les débats juridiques et ecclésiologiques. Mais du point de vue de l'argument que je propose ici, le point crucial est que, lorsque les propagandistes radicaux des années 1640 se mirent à parler de la capacité du Parlement de représenter le peuple, ils s'efforcèrent de souligner qu'ils s'intéressaient aux deux significations que j'ai dégagées, tout en étant très soucieux de leurs rapports.

31 Lorsqu'ils affirment que le Parlement représente le peuple, ce qu'ils veulent dire, fondamentalement, c'est qu'il possède le droit de parler et d'agir au nom du royaume ou du peuple* dans son ensemble. Comme le dit Parker dans ses Observations, affirmer que « les Lords et les Communes représentent tout le royaume », c'est prétendre qu'ils ont été « investis du droit de conseiller et de consentir », et qu'ils « apparaissent dans les lois (the right) de tout le Royaume [50] ». Hunton s'exprime plus tard en termes très similaires dans son Traité de la Monarchie (Treatise of Monarchie). Lorsqu'on dit que « la Chambre des communes est choisie par le peuple et qu'elle le représente », on dit que ses membres ont le même « pouvoir de faire et d'agir » qui résidait à l'origine « dans le peuple » qui les a choisis et élus [51].

32 Parfois les auteurs parlementaires précisaient encore ce qu'ils voulaient dire en décrivant les membres de la Chambre des communes comme des acteurs d'un type particulier : des representatives ou parfois des representers, terme qu'ils semblent avoir introduit pour la première fois dans la langue anglaise [52]. Parker les décrit par exemple comme des representatives du royaume [53], Herle comme des representers auxquels on a confié le rôle de « représenter toutes les Communes d'Angleterre [54] » ; Hunton décrit de même la constitution mixte comme une relation entre le roi « et les Representatives de tout son Royaume » dans le Parlement [55].

33En même temps, ces auteurs font souvent bien clairement comprendre qu'ils ont à l'esprit une autre idée. Lorsqu'ils disent que le Parlement représente le peuple, ils veulent aussi dire qu'il constitue une image reconnaissable, un portrait (likeness), du peuple* dans son ensemble. Ils formulent généralement ce point en soulignant que l'on peut dire des deux Chambres qu'elles offrent une « représentation » ­ une image ou un portrait ­ du corps du peuple. Parker s'exprime exactement en ces termes dans ses Observations, lorsqu'il décrit le Parlement comme une « représentation » du « corps réel du peuple », et comme une « représentation », à une échelle plus réduite, du « corps entier de l'État [56] ». Parlant du Parlement comme d'une « représentation » de « tout le royaume », l'auteur d'Un baume souverain lui fait fortement écho [57]. De nombreux autres auteurs parlementaires, parmi lesquels Goodwin, Herle et Hunton, lui font écho à leur tour : tous décrivent les deux Chambres comme une image ou représentation du Royaume, de la nation ou du peuple dans son ensemble [58].

34 Plusieurs de ces auteurs prennent les implications visuelles de leur métaphore très au sérieux. Parker va jusqu'à parler du Parlement comme d'une  uvre d'art [59], louant sa « pureté de composition », « l'art et l'ordre » qui le caractérisent, et le fait qu'il est si « admirablement composé [60] ». Développant cette ligne de pensée, il indique qu'il a au moins trois idées visuelles à l'esprit, chacune d'elles comportant de puissantes résonances politiques.

35La première dérive de ce que le « corps réel du peuple » est trop embarrassé et irrégulier dans ses mouvements pour être capable d'agir pour lui-même [61]. Cette considération l'amène à soutenir qu'une représentation efficace devra prendre la forme d'un portrait à une échelle considérablement réduite. Le but, dit-il, devrait être de capturer « la quintessence » du corps entier des sujets [62]. Comme il l'explique plus tard dans Ius populi, une raison pour laquelle le Parlement anglais constitue une si bonne « représentation » du peuple est que le processus de l'élection permet de « réduire » « la masse grossière de l'ensemble (universality) » précisément de façon « artificielle » ou ingénieuse (artful) [63].

36La deuxième idée visuelle est que la bonne représentation du peuple, comme tout portrait satisfaisant, devra être un portrait (likeness) où aucun trait n'est figuré de façon disproportionnée ou démesurée. Il est tout à fait certain que dans le cas du Parlement anglais, cette proportion a été dûment réalisée. Non seulement les membres de la Chambre des communes sont extraits « de partout » dans le pays, mais ils se rassemblent dans un corps qui est « proportionné de façon égale et géométrique ». C'est un corps dans lequel « tous les états contribuent comme il se doit d'une façon si ordonnée » que « personne ne peut prédominer de façon extrême [64] » dans la représentation du peuple qui en résulte. Il y a ainsi, précise-t-il plus tard dans Ius populi, « une représentation complète et approchant » du corps « réel » lui-même [65].

37Enfin, Parker affirme qu'une représentation ingénieuse du peuple devra être bien plus habilement agencée que ne le serait une simple copie de son apparence corporelle. Comme dans tout bon portrait, l'objectif doit être de créer une image vivante, aussi proche que possible d'un « portrait parlant ». Cette dernière métaphore renferme un avertissement : les membres du peuple ne doivent pas choisir et élire comme membres de la Chambre des communes des personnes qui sont tout à fait comme eux. Nous ne voulons pas que le simplet agisse pour le simplet. Nous voulons nous assurer qu'« en vertu de l'élection et de la représentation, un petit nombre agisse pour le grand nombre, les sages consentent pour les simplets, que la vertu de tous profite à quelques-uns, et que la prudence de quelques-uns profite à tous [66] ». Bref, nous voulons nous assurer que ceux qui sont choisis soient eux-mêmes des « gentilshommes de choix [67] ». Ce à quoi il ajoute, de façon retentissante, que cet idéal de représentation a été triomphalement réalisé en Angleterre dans « cette cour admirablement composée que l'on appelle aujourd'hui Parlement [68] ».

38Parker et ses partisans ne placent pas simplement bout à bout, comme je l'ai fait jusqu'à présent, ces deux éléments dans leur affirmation que le Parlement représente le peuple. Le c ur de leur théorie du gouvernement représentatif tient à la manière dont ils les articulent. La thèse fondamentale qu'ils avancent est qu'une fois saisie la nature de ce lien, il devient possible de comprendre le véritable sens auquel les décisions du Parlement possèdent une « infaillibilité politique », selon l'expression de l'auteur du Baume souverain[69]. Quelles que soient les lignes d'action que les deux Chambres se décident à poursuivre, elles ne peuvent manquer de soutenir les intérêts du peuple dans son ensemble [70].

39Telle était précisément la conclusion-clef que leurs adversaires royalistes cherchaient à ridiculiser : qu'est-ce qui pourrait bien justifier un degré de confiance aussi mystique [71] ? En répondant à cette objection, les auteurs parlementaires sont au c ur de leur théorie du gouvernement représentatif. Ils rappellent d'abord que lorsque le peuple a autorisé à l'origine le Parlement à agir en son nom, il a créé une assemblée qui demeure une représentation qui semble vivante et exactement proportionnée du corps réel du peuple dans son ensemble. Il s'ensuit que lorsque ce corps élu agit, il ne peut manquer d'agir précisément comme l'aurait fait le corps réel. La raison pour laquelle, en somme, le Parlement ne peut qu'agir dans les meilleurs intérêts du peuple est que le Parlement est simplement le peuple lui-même re-présenté.

40Parker expose exactement cet argument dans la dernière partie de ses Observations lorsqu'il s'emploie à trancher la querelle entre la couronne anglaise et le Parlement. Il est impossible, nous assure-t-il, qu'« un quelconque Parlement librement élu » « porte préjudice au royaume entier » ou « exerce une quelconque tyrannie [72] ». Supposer le contraire, c'est mal comprendre non seulement la sagesse mais encore la nature du Parlement. Le malentendu vient de ce que l'on ne voit pas qu'« en vertu de la représentation », on peut considérer que le Parlement est « le corps entier de l'État [73] ». La « vertu », ou le pouvoir de la représentation est tel que le Parlement est « virtuellement (vertually) le royaume entier lui-même [74] ».

41Il ne faut peut-être pas s'étonner du fait que l'usage que Parker et ses partisans font du terme « virtuellement », pour décrire le pouvoir du Parlement, ait contribué à édulcorer le sens du terme. Une génération plus tard, on aurait compris quiconque décrivant le Parlement comme étant « virtuellement » le corps entier du peuple comme signifiant que le Parlement était « quasiment » ou « presque aussi bon que » le corps lui-même [75]. Ce que veut dire au contraire Parker, c'est qu'« en vertu de la représentation » ­ c'est-à-dire par le pouvoir ou la vertu qui permet de créer un portrait vivant ­ le Parlement « n'est ni un seul, ni le petit nombre », mais « bien l'État lui-même [76] ». Dire que le Parlement est virtuellement le peuple, c'est dire que, eu égard à ses qualités et pouvoirs essentiels, le Parlement n'est en rien différent du peuple. On peut considérer sa voix comme étant strictement équivalente à « la voix du royaume entier » ; on peut considérer ses recommandations comme étant strictement équivalentes à celles du peuple dans sa totalité [77].

42Cette défense de l'infaillibilité parlementaire ne fut pas reprise, ni même bien comprise, par les pamphlétaires qui se placèrent dans le sillage de Parker [78]. Mais elle fut largement adoptée et discutée peu après qu'il eut réitéré l'argument dans La réplique à la réponse (Contra-Replicant), en janvier 1643 [79]. En avril 1643, l'auteur du Baume souverain estimait pouvoir rassurer ses lecteurs sur le fait que « le Parlement n'est pas capable (en eût-il la volonté) d'usurper » les droits du peuple. Car « par la représentation », le Parlement n'est rien d'autre que « le royaume entier », en sorte que lorsque le Parlement dispose du pouvoir souverain, c'est toujours « le peuple qui en dispose dans ses propres mains [80] ». Un mois plus tard, Herle parvint à la même conclusion dans sa Réponse à la réplique du Docteur Ferne (Answer to Doctor Fernes Reply). Aucun danger ne peut venir du fait de confier la souveraineté la plus complète au Parlement, soutient-il, car « ce sont nous [i.e., membres du Parlement] qu'ils représentent (their representations are of us) et leurs intérêts sont les mêmes que les nôtres [81] ». Enfin, Parker propose une nouvelle formulation de l'argument dans son Ius populi de 1644. La raison pour laquelle le Parlement « ne peut avoir d'intérêts différents de ceux du peuple représenté », soutient-il désormais, est que « le Parlement n'est en fait rien d'autre que le peuple lui-même artificiellement rassemblé [82] ».

43L'aboutissement de l'histoire conjecturale racontée par ces parlementaires est la thèse selon laquelle la monarchie mixte est la forme de gouvernement la meilleure et la plus stable. Parker formule la théorie dans sa forme classique dans ses Observations, de même que Hunton dans son Traité de la Monarchie. Tous deux affirment que dans la constitution anglaise, c'est en temps normal le roi et les deux Chambres du Parlement qui possèdent conjointement la souveraineté, et que chacun de ces trois états doit donner son consentement avant qu'un projet de loi quelconque ne soit promulgué [83]. Après le déclenchement de la guerre civile, nombre de propagandistes se mirent cependant à suivre l'exemple plus offensif proposé par Charles Herle dans sa Réponse plus complète (Fuller Answer) de décembre 1642. Herle accepte que les trois états doivent en temps normal travailler de concert, mais il affirme qu'en cas de désaccord, la volonté des deux Chambres doit l'emporter sur la volonté de la couronne. Le principal résultat de l'argument que j'ai retracé est donc la théorie de la souveraineté du Parlement. Comme le conclut Herle, « le jugement final et le résultat décisif du jugement des états » doivent toujours résider « dans les deux Chambres du Parlement [84] ».

III

44Quoique la théorie que j'ai esquissée fût pour l'essentiel élaborée au cours de la guerre civile, elle fut aussi violemment et immédiatement attaquée. Les défenseurs du droit divin qui étaient issus du clergé se lancèrent sans attendre dans une récusation de chacune des prémisses de la position parlementaire. Griffith Williams, évêque d'Osraige, fut l'un des premiers à entrer en campagne avec ses Vindiciae Regum, une réfutation énergique de Parker et de Goodwin publiée en février 1643. Aucun pouvoir, réplique-t-il, ne saurait jamais venir du corps du peuple. Dieu est « l'auteur immédiat du pouvoir royal », de sorte que « le pouvoir et l'autorité des rois est originellement et principalement (comme le dit saint Paul), l'ordonnance de Dieu[85] ». En outre, cette ordonnance accorde une autorité absolue à notre roi actuel, si bien que personne ne peut jamais lui résister « sans commettre un évident sacrilège à l'encontre de Dieu [86] ». Si l'on s'interroge ensuite sur les relations entre le roi et le Parlement au sein de cette structure, Williams prend soin d'admettre que le Parlement est bien sûr « le corps représentant tout son royaume [87] ». Mais puisqu'il n'est qu'un simple corps de sujets, il ne peut être rien de plus qu'une assemblée consultative et ne peut exercer absolument aucun pouvoir contraignant. « De même que le roi a le pouvoir de convoquer tous les Parlements, il a le pouvoir de les dissoudre ; et disposant du pouvoir de le dissoudre lorsqu'il le veut, il doit nécessairement avoir le pouvoir de refuser ce qui lui plaît [88] ».

45 Peu après, les Niveleurs lancèrent une ligne d'attaque fortement opposée mais non moins violente. De façon plutôt concessive, ils clarifièrent d'abord qu'ils acceptaient une bonne partie de la position parlementaire. Richard Overton, par exemple, ouvre son Appeal de juillet 1647 en admettant que le peuple doit à l'origine avoir été libre et souverain et que ses membres ont autorisé le Parlement à exercer leur souveraineté originelle [89]. Il admet aussi que ce qui confère aux décisions du Parlement leur autorité n'est pas simplement le fait que le peuple autorise le Parlement, mais le fait que le corps ainsi autorisé par le peuple en est en même temps une image reconnaissable, un portrait. Cette condition supplémentaire est censée être indispensable, « car ainsi est le représenté, ainsi et non autrement doit être la figure de la représentation ; telle est la proportion, l'expression (countenance) et l'apparence (favour) de l'homme, telle doit être l'image de l'homme, sans quoi elle ne peut être l'image de cet homme, mais celle d'un autre, ou de quelque chose d'autre [90] ».

46La suite du raisonnement d'Overton est toutefois de dénoncer l'hypocrisie qui consiste à supposer que le Parlement actuel constitue en un sens quelconque une représentation reconnaissable du corps du peuple et donc de sa volonté. La volonté fondamentale du peuple, réplique-t-il, est que sa sécurité et sa liberté soient préservées. Or les deux Chambres se sont révélées « trahir la sûreté et le bien du peuple [91] ». Ce qui signifie qu'elles ne « peuvent pas être les représentantes des hommes libres d'Angleterre » car « ceux qui sont les représentants d'hommes libres doivent être d'authentiques et véritables acteurs engagés pour la liberté (freedom and liberty) [92] ». Il s'ensuit que la conduite actuelle du Parlement n'a aucune légitimité. Les deux Chambres se sont « elles-mêmes abaissées et défaites de l'autorité que le peuple leur avait confiée, et ne sont désormais plus les députés qui les représentent, leurs fidéicommissaires (Trustees), à moins que la tyrannie et l'oppression ne soient la substance et la finalité de leur mission de confiance [93] ».

47Parmi les opposants aux auteurs parlementaires, aucun ne combattit leurs arguments avec plus de ténacité, ni ne réagit à ces derniers avec une hostilité plus implacable que Thomas Hobbes dans le Léviathan. Avant d'examiner la réponse de Hobbes, il est toutefois important de remarquer que ce n'est que dans le Léviathan qu'il se soucie des propagandistes qu'il devait stigmatiser plus tard, dans le Béhémot, comme des « gentilshommes démocrates [94] ». Lorsqu'il fit circuler ses Éléments de la loi en 1640, aucune théorie parlementaire formée ne pouvait être critiquée, et il en va de même lorsqu'il publie son De Cive au début 1642. En revanche, il ne serait guère exagéré de dire que l'ensemble de la théorie du gouvernement légitime qu'il développe dans le Léviathan prend la forme d'un commentaire critique des arguments parlementaires que j'ai jusqu'à maintenant analysés dans le détail.

48 Cela ne signifie pas que Hobbes s'oppose aux gentilshommes démocrates en tout point. Bien au contraire, il s'efforce de souligner qu'il accepte pleinement les prémisses fondamentales de leur pensée. Il adopte leur rejet du droit divin, admettant que l'état de nature doit être un état d'égale liberté pour tous [95]. Il s'accorde aussi avec eux sur la nature de la liberté dont nous avons joui dans cet état naturel. « La liberté absolue de la nature », déclare-t-il au chapitre 21, consiste dans « le fait d'être soustrait aux lois » ; elle est donc équivalente, précise-t-il plus loin, à « la liberté que la loi de nature nous donne [96] ».

49Hobbes s'accorde également avec eux au sujet des moyens par lesquels un état de sujétion au gouvernement peut venir légitimement se substituer à notre liberté naturelle. L'unique mécanisme légitime, explique-t-il dans son chapitre sur la souveraineté, est que « tous les droits et les facultés de celui ou de ceux à qui le pouvoir souverain est conféré » doivent être « conférés par le consentement du peuple assemblé » (p. 121 [179, trad. modifiée]) [97]. La même conviction est largement mise en évidence dans de nombreux passages. Le chapitre sur les lois civiles répète que dans tout type de république la souveraineté doit être « constituée par le consentement de chacun », tandis que le chapitre sur les récompenses et les châtiments réaffirme que « tout pouvoir souverain est originellement donné par le consentement de chacun des sujets [98] ».

50Jusqu'ici, ces arguments auraient été familiers à tout lecteur du De Cive ou des Éléments de la loi de Hobbes. Il y avait déjà soutenu que l'état de nature est un état de complète « liberté naturelle [99] », et que le seul moyen de restreindre légitimement cette liberté est le consentement explicite de ceux qui acceptent de se soumettre eux-mêmes au gouvernement [100]. Mais dans le Léviathan, il ajoute à ces arguments une précision frappante. Parlant de la manière dont on exprime notre consentement, il invoque et adopte précisément le vocabulaire politique que les parlementaires avaient développé au cours des années 1640. Nous agissons, admet-il désormais, comme les auteurs de l'autorité politique, et nous passons convention de telle sorte que nous autorisons un homme ou une assemblée désignés pour nous représenter, leur octroyant par là le droit et l'autorité de parler et d'agir en notre nom [101].

51Quand il développe cette ligne de pensée, Hobbes fait d'abord écho à l'analyse que les auteurs parlementaires avaient donnée du peuple comme auteur de tout pouvoir. Il admet bien volontiers que lorsque nous passons convention pour instituer une république, nous devenons « par cette institution auteur de tous les actes et jugements du souverain institué » (p. 124 [183]). Si nous ne sommes pas les auteurs des pouvoirs auxquels nous nous soumettons, ces pouvoirs eux-mêmes ne seront pas légitimes. La raison en est que « nul n'est obligé par une convention dont il n'est pas auteur, ni en conséquence, par une convention passée contre ou en dehors de l'autorité qu'il a donnée » (p. 112-13 [164]).

52 Hobbes est également d'accord avec les parlementaires quant à la nature spécifique de l'acte d'autorisation accompli par ceux qui assignent à d'autres l'autorité politique. Lorsque je passe convention, voilà ce que j'affirme : « j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière » (p. 120 [177]). Il confirme par la suite cette analyse au début de sa discussion des droits de la souveraineté, au chapitre 18. On pourrait dire, précise-t-il, qu'une république est instituée lorsqu'un représentant est sélectionné ; à ce stade, « chacun, aussi bien celui qui a voté pour, que celui qui a voté contre, autorisera toutes les actions et les jugements de cet homme ou de cette assemblée d'hommes » (p. 121 [179]).

53Hobbes suit toujours les auteurs parlementaires lorsqu'il considère ce que l'on veut dire quand on parle d'autoriser quelqu'un à parler ou agir en notre nom. Il ouvre sa discussion au chapitre 16, en invoquant la compréhension théâtrale de la question initialement introduite par Cicéron. Il rappelle d'abord qu'en latin le mot persona « désigne le déguisement, l'apparence extérieure d'un homme, imités (counterfeited) sur la scène ; et parfois, plus précisément, la partie du déguisement qui recouvre le visage : le masque » (p. 112 [161]). C'est pourquoi, explique-t-il ensuite, « de celui qui joue le rôle d'un autre (acteth another), on dit qu'il en endosse la personne (bear his Person), ou qu'il agit en son nom », et il cite le passage du De Oratore où Cicéron décrivait le fait de soutenir trois personnes, « la mienne, celle de mon adversaire et celle du juge » (p. 112 [162]). Le premier point de Hobbes est donc que l'acte d'autoriser quelqu'un consiste à lui octroyer le droit de personnifier quelqu'un d'autre.

54Comme il le fait remarquer à juste titre, cependant, cette terminologie d'origine théâtrale finit par se généraliser et s'appliquer « à tout individu qui représente la parole et l'action, au tribunal aussi bien qu'au théâtre » (p. 112 [161, trad. modifiée]). Sa position mûrement réfléchie de ce que signifie autoriser quelqu'un est donc que cela revient à nommer précisément un tel « représentant » (representer or representative). « Personnifier », explique-t-il désormais, c'est pour quelqu'un « agir, ou se représenter soi-même ou quelqu'un d'autre », de sorte qu'un représentant est un acteur, « et celui qui reconnaît pour siennes (owneth) ses paroles et ses actions [i.e. celles de l'acteur] est l'auteur ; dans ce cas l'acteur agit par autorité » (p. 112 [163]). Il précise que quiconque se retrouve ainsi autorisé à jouer le rôle d'un acteur peut aujourd'hui être décrit de différentes façons. Sa liste d'équivalents mentionne « un avocat (attorney), un substitut (deputy), un procureur (procurator) », mais il faut noter qu'il isole d'abord le terme representer, celui qui représente, terme initialement introduit dans le débat par les parlementaires et les Niveleurs (p. 112 [162]).

55Ces arguments forment un développement remarquable par rapport à l'analyse précédente de Hobbes dans Les Éléments et le De Cive. Dans ces ouvrages, il n'avait fait aucune mention d'auteurs, ni d'autorisation, ni de représentation ou de représentants. Il avait simplement décrit la convention politique comme un accord de la part de ceux qui se soumettent au gouvernement et renoncent et abandonnent leurs droits [102]. Ceux des commentateurs qui se sont concentrés sur la façon très différente dont Hobbes présente sa théorie dans le Léviathan ont en règle générale conclu qu'il a dû identifier certaines faiblesses, difficultés voire contradictions dans la formulation initiale de son argument, et qu'il a dû décider de la reformuler afin d'en venir à bout [103]. À rebours de ces hypothèses quelque peu spéculatives et qui présupposent la question réglée d'avance, l'objectif principal dans ce qui suit sera d'expliquer de façon différente les modifications introduites par Hobbes. Ce qui me semble crucial, c'est l'usage abondant qu'il fait, dans la version révisée de sa théorie, du vocabulaire politique spécifique développé entre-temps par ses adversaires parlementaires. Comme je vais maintenant tenter de le montrer, ce qu'il est en train de faire, c'est de les discréditer en démontrant qu'il est possible d'accepter la structure de base de leur théorie sans le moins du monde adopter aucune des implications radicales qu'ils en avaient tiré. C'est cette nouvelle stratégie rhétorique du Léviathan, et la façon dont elle conduit Hobbes à énoncer une théorie fort différente du gouvernement représentatif, qu'il convient maintenant d'examiner.

IV

56Pour voir comment Hobbes poursuit sa nouvelle stratégie, il convient d'abord de se pencher sur le moment crucial où il fausse compagnie aux gentilshommes démocrates et à leurs conceptions de la genèse du gouvernement légitime. On l'a vu, ils supposaient qu'à l'origine, les associations civiles devaient avoir résulté de sociétés ou communautés libres et naturelles, et ils en concluaient que le corps entier du peuple doit donc être considéré, selon l'expression de Parker, comme le « sujet propre » du pouvoir souverain [104]. Il s'agit là, selon Hobbes, d'une monumentale erreur, et l'un des principaux objectifs qu'il poursuit en présentant sa description spectaculaire de l'état de nature au chapitre 13 du Léviathan est de mettre à nu cette erreur. Il n'y a tout simplement rien de tel qu'un corps du peuple, réplique-t-il. Si l'on regarde au-delà des liens de l'association civile, on ne trouve rien d'autre qu'une foule ou une multitude d'« hommes particuliers » (p. 90 [126, trad. modifiée]). Il s'agit en outre d'une multitude au sein de laquelle nous sommes tous, en raison de la similarité des désirs et des pouvoirs de chacun, « dissociés » les uns des autres, et où « chacun est l'ennemi de chacun » (p. 89 [124]). La condition naturelle du genre humain n'est donc pas simplement un état « de solitude », un état où il n'y a « ni société » « ni propriété ni communauté » : c'est en fait un état de guerre perpétuelle de « chacun contre chacun [105] ».

57Si l'incapacité à reconnaître la vérité effrayante relative à notre condition naturelle est aussi importante, pour Hobbes, c'est parce qu'elle conduit les gentilshommes démocrates à donner une analyse trompeuse de la convention politique. On l'a vu, ils soutenaient que le corps du peuple, agissant comme une personne, contracte avec un gouvernant désigné, et consent à s'y soumettre. Hobbes peut désormais rejeter d'emblée cette partie de leur analyse. Avant de se soumettre au pouvoir souverain, objecte-t-il, l'ensemble des membres du peuple « ne sont pas encore une personne » ; ses membres ne sont rien de plus que des membres individuels, mutuellement hostiles, d'une « multitude désunie » (p. 122 [181, 180]). Il s'ensuit que la vision parlementaire de la « multitude entière en tant que partie dans la convention » est, comme il l'affirme de façon catégorique, « impossible » (p. 122 [181 trad. modifiée]). Toute autre hypothèse revient simplement à se méprendre sur la condition naturelle du genre humain.

58Si la convention politique ne peut être un accord entre le corps du peuple et son gouvernant désigné, quelle forme peut-elle prendre ? Celle d'une convention entre chacun des membres individuels de la multitude, répond ingénieusement Hobbes. Ils s'accordent pour « conférer tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une assemblée d'hommes, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la majorité des voix, à une volonté ». Ils forment donc un accord, « par la convention de chacun avec chacun », qui permet d'instituer une personne particulière ou une assemblée faisant office de représentant souverain. Chacun s'accorde avec chacun « pour que tous soumettent leur volonté à sa volonté, et leur jugement à son jugement », le souverain recevant ainsi son autorité de « chaque homme particulier dans la république » (p. 120 [177, trad. modifiée]).

59Il est vrai qu'une fois que les membres individuels de la multitude acceptent de se soumettre à un souverain, cela a pour effet de transformer la simple foule qu'ils étaient en une personne unique. Cela tient au fait qu'ils ont désormais une volonté et une voix unique ­ celles de leur représentant souverain ­ qui compte comme leur voix à tous. « Une multitude d'hommes », résume Hobbes, « sont faits une seule personne lorsqu'ils sont représentés par un homme ou une seule personne » (p. 114 [166]). La convention a donc pour issue « une unité réelle de tous en une seule et même personne » (p. 120 [177]). C'est l'unique moyen, insiste-t-il sans relâche, par lequel une multitude ne pourra jamais être considérée comme un corps de peuple unifié. Il conclut en rappelant, tout en la réfutant, l'analyse parlementaire rivale. C'est seulement « l'unité de celui qui représente, non l'unité du représenté, qui rend une la personne » (p. 114 [166]). Ce à quoi il ajoute, à l'encontre de ce que l'on croit habituellement, qu'« on ne saurait concevoir sous une autre forme l'unité dans une multitude » (p. 114 [166]).

60Jusqu'ici, ces affirmations auraient de nouveau semblé familières à tout lecteur des attaques que Hobbes avait portées, dans Les Éléments et le De Cive, à l'encontre de la théorie de la souveraineté populaire. Hobbes y soutenait déjà que la condition naturelle du peuple est celle d'une simple multitude [106], que la convention politique prend la forme d'un accord entre « chacun des hommes pris séparément [107] », et que seul l'acte d'instituer un souverain avait l'effet de transformer une multitude en un peuple incorporé et unifié [108]. Toutefois, si l'on revient au Léviathan, on perçoit qu'au-delà de ce point, l'argument de Hobbes s'engage sur un terrain complètement nouveau. Lorsque l'on reconnaît, souligne-t-il désormais, que le corps du peuple n'existe pas, on peut espérer discréditer dans son ensemble la théorie de l'autorisation et de la représentation mise en circulation par les parlementaires au cours des années 1640.

61On l'a vu, ces derniers avaient en règle générale présenté leurs théories de l'autorisation et de la représentation sous la forme d'une histoire conjecturale de l'évolution des gouvernements légitimes. Selon la première phase de ces récits, le corps originaire ou la communauté du peuple, reconnaissant la nécessité d'un ordre légal, passait initialement convention avec un gouvernant désigné de manière à l'autoriser à parler et à agir au nom du peuple* dans son ensemble. Hobbes n'a rien à redire à la thèse selon laquelle tous les gouvernements légitimes doivent être explicitement autorisés. Ce qu'il ne saurait accepter, par contre, c'est l'idée que l'acte consistant à autoriser un représentant souverain puisse être accompli par le corps entier du peuple en tant qu'agent unifié. Ce que cette idée oublie ­ répond-il au chapitre 16, en faisant étroitement écho à l'analyse des parlementaires tout en la réfutant ­ c'est que « la multitude, par nature, n'est pas une, mais multiple », et donc que les membres de la multitude « ne peuvent pas être conçus comme un auteur, mais comme de multiples auteurs de tout ce que leur représentant dit ou fait en leur nom » (p. 114 [166, trad. modifiée]). Parce qu'au-delà des liens de l'association civile il n'y a rien d'autre qu'une multitude, le souverain ne peut être autorisé que par chacun des membres individuels de la multitude, « chacun donnant à celui qui les représente tous l'autorité qui dépend de lui, et reconnaissant pour siennes toutes les actions qu'accomplit le représentant » en leur nom (p. 114 [166 trad. modifiée]). Dans l'ontologie sociale de Hobbes, tel est le seul moyen, pour un souverain, d'être autorisé.

62L'importance de cette conception de la convention apparaît lorsque Hobbes considère les implications radicales que les gentilshommes démocrates tiraient de leur analyse rivale du corps du peuple en tant qu'auteur originel de tout pouvoir. On l'a vu, la première conclusion qu'ils tiraient était que lorsque le peuple passe convention avec un roi, le corps ou universitas du peuple doit rester maior ou plus grand en statut que le roi lui-même. Hobbes ne commente cet argument ni dans Les Éléments ni dans le De Cive, mais dans le Léviathan il déploie immédiatement son analyse individualiste de la convention d'autorisation pour l'écarter d'un revers de main. Il réplique avec mépris : « l'opinion de ceux qui disent que les rois souverains, bien qu'ils soient singulis majores (plus puissants que chacun d'entre leurs sujets), sont néanmoins universis minores (moins puissants que l'ensemble de ceux-ci) n'a guère de fondement » (p. 128 [190 trad. modifiée]).

63Elle n'a guère de fondement pour la raison suivante : dans la mesure où il n'existe aucune chose telle qu'une universitas ou un corps de peuple, il n'y a que deux manières, également insatisfaisantes, de donner sens à l'énoncé contenu dans cette opinion. L'une consiste à supposer que lorsque les auteurs parlementaires disent « tous ensemble » par opposition à « chacun », ils ne se réfèrent pas à la personne en laquelle la multitude se transforme lorsqu'elle autorise un représentant souverain, mais simplement à la multitude elle-même. Mais s'il en est ainsi, on peut aisément écarter leur argument. « Car si par tous ensemble (all together), ils entendent non pas le corps collectif du peuple considéré comme une seule personne, alors les expressions tous ensemble et chacun d'entre eux signifient la même chose, et ce discours est absurde » (p. 128 [190, trad. modifiée]). La seule autre possibilité consiste à supposer que lorsqu'ils disent « tous ensemble », ils font référence à la personne en laquelle se transforme la multitude en autorisant un représentant souverain. Mais si c'est le cas, alors on peut tout aussi aisément écarter leur argument. Car « si par tous ensemble ils entendent les désigner comme une seule personne (celle dont le souverain est dépositaire), alors le pouvoir de tous ensemble est le même que le pouvoir du souverain ; et de nouveau ce discours est absurde » (p. 128 [190 trad. modifiée]).

64Une deuxième conclusion tirée par les parlementaires était que lorsque le peuple autorise un souverain, il peut négocier les termes et les conditions de sa souveraineté et, comme le dit Hobbes, de lui imposer ces conditions « à l'avance » (p. 122 [181 trad. modifiée]). Hobbes considère cet argument au chapitre 18, et cherche à démontrer qu'il est encore plus évidemment empêtré dans l'absurdité. Supposons que les membres de la multitude passent convention avec un gouvernant désigné qui, après son institution, agirait de sorte à entraîner « une infraction à la convention » qu'il aurait initialement passée (p. 123 [181]). À cette étape, le gouvernant aura pris possession de ses droits souverains, si bien que chacun de ses sujets sera obligé « d'accepter et de ratifier (avow, avouch) » n'importe lesquelles des actions qu'il pourrait choisir d'accomplir en leur nom, puisqu'il les accomplira « dans la personne, et par le droit de chacun d'eux pris séparément » (p. 123 [183, 182]). Or cela signifie que quelles que soient les limitations à ses actions qu'il ait pu accepter à l'avance, ces accords seront désormais nuls et non avenus, car « toute action que l'un d'entre eux peut alléguer comme enfreignant l'une de ces conventions est à la fois l'acte de cet homme et celui de tous les autres » (p. 123 [181, trad. modifiée]). Tout sujet qui se plaint désormais du comportement du souverain déposera plainte contre lui-même, ce qui est quelque peu ridicule. Comme Hobbes le confirme dans son chapitre sur la liberté des sujets, « rien de ce que le représentant souverain peut faire à un sujet ne peut, à quelque titre que ce soit, être proprement nommé injustice ou tort : car tout sujet est l'auteur de toute action accomplie par le souverain, de sorte qu'à celui-ci ne fait jamais défaut le droit à quoi que ce soit [109] ».

65La dernière conséquence tirée par les auteurs parlementaires ­ la plus explosive ­ était que si un roi devait échouer à honorer les termes et les conditions de son gouvernement, ses propres sujets pouvaient lui résister, et si nécessaire le chasser du pouvoir. Hobbes a de nouveau recours à son analyse rivale de l'autorisation pour montrer que cette conséquence est la plus grande des absurdités. Il examine l'argument à la fois pour le cas de la « destitution » d'un monarque en exercice, et pour le cas où il s'agit de le punir ou de le mettre à mort. Pour un peuple, répond-il d'abord, il est contradictoire de supposer que ses membres puissent « transférer leur personne de celui qui en est le dépositaire à un autre homme ou une autre assemblée d'hommes » (p. 122 [180, trad. modifiée]). Ils se sont déjà obligés, « chacun à l'égard de chacun, de reconnaître tout ce que fera ou jugera bon de faire celui qui est déjà leur souverain, et d'en être réputés les auteurs » (p. 122 [180, trad. modifiée]). S'en débarrasser reviendrait donc, de façon confuse, à autoriser et à répudier ses actions en même temps. Il est tout autant contradictoire pour le peuple d'envisager de punir un monarque en exercice, ou de le mettre à mort. Étant donné que « chaque sujet est auteur des actions de son souverain », cela conduit simplement à la même confusion que dans le premier cas. N'importe quel sujet cherchant à punir son souverain le condamnerait par là pour « des actions qu'il a lui-même commises » (p. 124 [183, 184]).

66Hobbes n'est pas plus favorable à la seconde phase des histoires conjecturales dont ses adversaires parlementaires faisaient le récit. On l'a vu, ils postulaient ensuite que pour contrôler la tyrannie des rois, le peuple en était venu à instituer des Parlements en tant qu'images ou représentations de lui-même, les autorisant en même temps à parler et agir au nom du peuple* dans son ensemble. Hobbes ne conteste pas que l'on puisse décrire les Parlements comme des assemblées représentatives, et il admet que des assemblées, et non seulement des individus, puissent être autorisées à faire office de représentants souverains [110]. Il récuse par contre l'idée que les Parlements puissent être considérés comme des images ou des représentations du corps entier du peuple. Comme il l'a déjà expliqué au chapitre 16, il n'existe aucune chose telle que le corps du peuple, si bien qu'il ne peut y avoir aucun corps en attente d'être représenté. Parce que rien n'existe dans la nature sinon « une multitude d'hommes », il n'y a rien dont il faille faire le portrait ou qu'il faille représenter, sinon « chaque individu singulier de cette multitude » (p. 114 [166]).

67Ces convictions poussent Hobbes à mettre en question la totalité de l'analyse parlementaire de la représentation du peuple. L'une de ses contributions, négative, peut être décrite comme une forme de silence moqueur. Les auteurs parlementaires, et plus tard les Niveleurs, avaient débattu sans fin de la question de savoir à quoi doit ressembler une image satisfaisante ou une représentation du peuple. Combien de groupes sociaux doivent être inclus dans l'image ? Quelle taille le corps représentatif doit-il avoir s'il veut parler et agir effectivement pour le « véritable » corps du peuple ? Comment maintenir la proportion correcte entre les traits du corps représentant et ceux du véritable corps représenté ? Ces questions présupposent toutes exactement ce que Hobbes récuse, à savoir que les associations civiles sont créées à partir de peuples incorporés qui leur préexistent. Hobbes ne relève donc même pas les débats qui en résultaient. Son silence a dû paraître pesant à ses contemporains, et le fait que les commentaires de sa théorie de la représentation ne le mentionnent pas me semble être une faiblesse.

68Les prémisses individualistes de Hobbes lui permettent aussi d'apporter au débat une contribution positive et bien plus provocatrice. On l'a vu, les auteurs parlementaires avaient systématiquement considéré comme acquis qu'une image ou une représentation satisfaisante du corps du peuple doit elle-même être un corps collectif (a body of people). Vers la fin des années 1640, cette hypothèse était devenue si profondément enracinée qu'on les voit se référer ­ usant d'une expression aujourd'hui tombée en désuétude ­ à un representative pour décrire un corps collectif quelconque doté d'un droit d'agir au nom d'un corps plus grand [111]. Ils admettent, en d'autres termes, que pour le corps du peuple, être représenté signifie disposer d'un corps collectif (a body of people) agissant en son nom.

69Puisqu'il n'y a rien à représenter sinon les corps individuels « de tous les membres de la multitude », rétorque Hobbes, il n'y a pas de raison que cet acte de représentation ne puisse pas être aussi bien accompli par un corps individuel que par un corps collectif (p. 129 [192, trad. modifiée]). C'est lorsqu'il en vient à considérer, au chapitre 29 du Léviathan, les différentes formes de gouvernement légitime qu'il tire sans détour cette conclusion différente : « Il est évidemment loisible à des hommes qui sont dans une liberté absolue », proclame-t-il, « de donner s'ils le désirent autorité pour les représenter chacun d'entre eux aussi bien à un seul homme qu'à une assemblée quelconque ; et donc de se soumettre à un monarque, s'ils le jugent bon, aussi absolument qu'à quelque autre représentant » (p. 130 [193]).

70En formulant cette thèse, Hobbes n'abandonne en rien l'idée selon laquelle proposer une représentation de quelqu'un ou de quelque chose signifie fournir une image ou un portrait de leur apparence corporelle extérieure. Il nous assure au contraire, dans le chapitre qui ouvre le Léviathan, que parler d'« une représentation » revient à parler d'une « apparition (apparence) » (p. 13 [11]). Lorsqu'il dénonce l'idolâtrie des Gentils au chapitre 45, il décrit ainsi les dessins et les images qu'ils faisaient comme des prétendues « représentations » de Dieu [112]. Quand il évoque plus précisément la représentation politique, il soutient de même que l'on peut décrire n'importe quel magistrat comme une « représentation » et donc une « image » de son souverain (p. 448 [666]). Il ajoute qu'un souverain peut à son tour être décrit comme une « représentation » de son peuple, et il met en garde de tels souverains contre le fait de permettre que soient produites d'autres représentations du même peuple [113].

71Ce qui est cependant crucial, pour Hobbes, c'est que lorsqu'il est question de représentation du peuple, on ne saurait faire référence au fait de représenter un corps unifié mais seulement au fait de représenter des membres individuels de la multitude. Si tel est le cas, il n'y a donc aucune raison pour laquelle cet acte de représentation ne puisse être accompli par un corps individuel doté d'une fonction représentative. Le concept-clef de Hobbes est donc celui de représentativité  : il soutient qu'une manière de représenter les membres de la multitude (au sens de parler et agir en leur nom) reviendra toujours à désigner une personne qui peut représenter (au sens d'offrir une image ou un portrait) des individus en question. Un « représentant » (representer) satisfaisant, selon cette analyse, sera simplement quelqu'un qui peut jouer le rôle de personne représentative, une personne qui est représentative de chaque individu représenté.

72L'assurance avec laquelle Hobbes met de côté les dogmes corporatistes invite naturellement à se demander s'il existe des précédents à cette ligne de pensée. Une possibilité intrigante est qu'il ait pu être influencé par les théologiens de l'alliance des débuts du 17e siècle [114]. Nombre de théologiens puritains, parmi lesquels Paul Bayne, William Bridge et Richard Sibbes, avaient élaboré à partir de sources luthériennes un argument présentant Adam et le Christ comme des « personnes communes » représentant toute l'humanité. Le pionnier parmi eux fut William Perkins, mais le développement le plus parlant de cette littérature est probablement le traité de Thomas Goodwin, intitulé Le Christ présenté (Christ Set Forth) et publié en 1642. L'analyse hobbesienne de la représentativité lui est étonnamment similaire.

73Adam fut selon Goodwin la première « personne commune représentant tout le genre humain », tandis que le Christ fut la seconde « personne commune nous représentant [115] ». L'un des sens auxquels ce furent des personnes communes est que toutes deux incarnaient les caractéristiques que l'on a tous en partage [116]. On peut par conséquent dire de nous tous que nous sommes « contenus, impliqués en eux », tandis que l'on peut dire de ces deux personnes qu'elles « représentent (stand for) toutes les autres », qui sont « représentées (typified out) » par ces personnes [117]. Elles forment, en d'autres termes, une image ou une représentation de chacun de nous. Comme Goodwin le dit explicitement d'Adam, il ne faut « pas le considérer comme un homme séparé (Single Man), mais comme un homme qui était, par le biais de la représentation, tous les hommes[118] ».

74Goodwin en conclut qu'Adam et le Christ pouvaient, du fait de leur représentativité, nous représenter au sens de porter ou de soutenir nos personnes et d'agir en notre nom. Il va jusqu'à laisser entendre que le Christ « n'avait pas d'autre fin en venant dans ce monde que de soutenir nos personnes et de jouer notre rôle [119] » ; il fut capable d'agir de façon représentative, et donc en notre nom à tous. C'est parce que nous pouvons penser le Christ « comme une personne commune nous représentant » que nous pouvons nous penser nous-mêmes comme « sanctifiés en lui de façon virtuelle et représentative [120] ».

75Si de tels passages semblent extrêmement suggestifs, l'idée que Hobbes ait pu lire de près de tels textes théologiques semble assez peu plausible [121]. On pourrait trouver une source d'inspiration plus vraisemblable dans l'analyse de la représentation politique proposée par Dudley Digges dans son traité Qu'il est illégitime pour les sujets de prendre les armes (The Unlawfulnesse of Subjects taking up Armes) [122]. Digges parle de la représentativité des rois lorsqu'il s'oppose à l'idée parlementaire selon laquelle les rois sont maior singulis sed minor universis. Il répond que cette doctrine est « évidemment fausse » parce que tout gouvernant suprême possède la totalité du pouvoir de la multitude, et qu'il est donc « le représentant de tous » et « légalement le peuple entier [123] ». Il revient sur ce point plus loin, lorsqu'il résume ses raisons de croire que dans le cas de l'Angleterre, « le Roi n'est pas minor universes[124] ». « Il y a une grande différence », répète-t-il, « entre le tout réel et le tout représenté (between the real and representative all) ». Là où le roi est absolu, « il est le Populus Anglicanus, légalement la nation anglaise », et dans ce cas nous pouvons dire que « le Roi est le peuple entier, et ce qu'il fait est légalement l'acte de ce peuple [125] ».

76Si l'on revient maintenant vers le Léviathan, on voit que Hobbes parle en termes quasiment identiques. Il fait sien avec enthousiasme le présupposé-clef selon lequel il est possible pour un individu d'exhiber la représentativité en général. Il affirme à plusieurs reprises qu'un monarque souverain peut jouer le rôle de « personne représentative » (Person Representative  ; Representative Person), comme « la personne représentative de la multitude entière et de chacun de ses membres [126] ». Il est donc toujours possible, pour un individu souverain, d'être le « représentant de tout le groupe », les typifiant ou exemplifiant tous par là même (p. 155 [237]). Faisant étroitement écho au langage des théologiens de l'alliance, il ajoute que « le Roi de tout pays » peut par conséquent être décrit comme « la personne publique » qui est « représentante de tous ses propres sujets » (p. 285 [440]).

77Ainsi que le révèle cette analyse, Hobbes présuppose ­ à l'instar des théologiens de l'alliance ­ que les caractéristiques de la multitude qui exigent d'être représentées sont communes à tout le monde, hommes aussi bien que femmes. Une implication est que la multitude peut aussi bien être représentée par une reine que par un roi. Le frontispice du Léviathan suggère certes que Hobbes semble préférer que le représentant soit un homme [127]. Il prend cependant soin de permettre qu'une femme puisse aussi bien jouer le rôle de la personne qui nous représente tous [128]. Parce que les femmes sont parfois plus prudentes que les hommes, et parce que la prudence est de façon évidente un attribut désirable chez un représentant, il suggère même que les femmes pourraient dans certains cas être plus aptes que les hommes à exercer l'empire sur autrui (p. 139 [209]).

78Hobbes admet aussi que parce qu'une personne unique peut nous représenter tous, elle peut revêtir le rôle de ce qu'il décrit ­ de nouveau à la suite des théologiens de l'alliance ­ comme notre « représentant commun (common Representer, common Representative) [129] ». Ce qu'affirme Hobbes ici est à la fois plus général et plus spécifique. Son affirmation générale est simplement que toute personne naturelle peut se voir attribuer le droit de parler et d'agir en notre nom à tous, et peut donc jouer le rôle d'un « représentant absolu constitué en vue de n'importe quel genre d'affaires [130] ». On l'a vu cependant, Hobbes croit aussi que lorsque les membres de la multitude autorisent quelqu'un à être leur représentant souverain, cette décision a l'effet de les transformer en une personne, puisque cela a pour effet de les doter d'une volonté et d'une voix unique. Sa thèse plus spécifique est donc que la personne au nom de laquelle le souverain acquiert le droit de parler et d'agir sera la personne engendrée par l'accord de la multitude à être représentée. Ainsi qu'il exprime ce point au début du chapitre 18, le souverain se voit attribuer « le droit de représenter (right to present) la personne » que la multitude fait naître (p. 121 [179]).

79Les histoires conjecturales racontées par les Parlementaires s'achevaient par la conclusion selon laquelle la meilleure forme de gouvernement devait être une monarchie mixte. Le peuple anglais, ajoutaient-ils, était finalement parvenu à établir une telle monarchie, où le peuple pouvait instituer une assemblée représentative contrôlant et équilibrant les pouvoirs des rois. Lorsqu'il en vient à ce dernier argument, Hobbes abandonne l'objectivité qui caractérise habituellement son style et se permet de répondre sur un ton profondément indigné. Ce que ces récits sont complètement incapables de reconnaître, objecte-t-il, c'est que l'acte d'instituer la monarchie dont Charles Ier fut l'ultime héritier était déjà l'acte d'autoriser un représentant. « Je ne sais comment il se fait », réplique-t-il, « qu'une vérité si évidente ait pu, ces derniers temps, être si négligée : que dans une monarchie, celui qui détenait la souveraineté par une transmission héréditaire depuis six cents ans, qui était seul appelé souverain, qui voyait chacun de ses sujets lui reconnaître le titre de Majesté et qui était sans discussion tenu par eux pour leur roi, n'ait néanmoins jamais été considéré comme leur représentant [131] ».

80 Lorsqu'on reconnaît que Charles Ier était en effet le représentant autorisé de tous ses sujets, on peut aisément voir, selon Hobbes, que les théories de la monarchie mixte proposées par les gentilshommes démocrates sont dangereusement confuses. Il commence par renvoyer à la version la plus familière de la théorie, selon laquelle « le pouvoir de faire les lois » se trouve dépendre, selon sa formulation méprisante, de « l'accord accidentel » d'un homme et de deux assemblées représentatives distinctes [132]. Ce système exige que « le roi soit investi de la personne du peuple », tandis que « l'assemblée générale est aussi investie de la personne du peuple », et « en outre une autre assemblée est investie de la personne d'une partie du peuple » (p. 228 [352, trad. modifiée]). Or cet arrangement ne saurait être décrit comme un système viable de « monarchie mixte », car ce n'est pas un système viable tout court (p. 228 [352]) : il a pour effet d'instituer « non une personne, ni un souverain, mais trois personnes, mais trois factions indépendantes » ­ une recette parfaite pour le chaos et la guerre civile (p. 228 [352]).

81 Hobbes admet il est vrai que telle n'est pas la compréhension de la monarchie mixte que préfèrent les gentilshommes démocrates. Ils soutiennent en général que le mélange est constitué de deux éléments, le roi et le Parlement, et que le Parlement, en tant qu'assemblée représentative du peuple souverain, doit prédominer sur le roi. Hobbes répond que cela revient simplement à répéter la même erreur. Lorsque le peuple anglais institua sa monarchie, il confia à ses rois « le droit de représenter la personne de tous [ses membres] » (p. 121 [179]). Mais « une fois constitué le pouvoir souverain, il ne peut y avoir d'autre représentant du même peuple si ce n'est seulement en vue de certaines fins particulières, délimitées par le souverain » (p. 130 [193]). Il en est ainsi, rappelle Hobbes, parce que sinon « deux souverains seraient érigés ; et tout homme aurait sa personne représentée par deux acteurs » (p. 130 [193]). La seule issue possible sera de nouveau la guerre, issue qui est « contraire à la fin pour laquelle toute souveraineté est instituée [133] ».

82 Quel est donc le véritable statut des Parlements dans les monarchies héréditaires ? Lorsqu'il se tourne vers cette question au chapitre 22, Hobbes souligne de nouveau l'absurdité qui consiste à supposer qu'ils puissent être des assemblées représentatives au sens où ils auraient un droit indépendant de parler et d'agir au nom de chacun. C'est absurde, répète-t-il, parce que le monarque sera déjà « le représentant absolu de tous les sujets », d'où il suit que « nul autre ne peut donc être le représentant d'aucune fraction d'entre eux, si ce n'est dans la mesure où il le lui aura permis » (p. 156 [238]). La réponse de Hobbes est donc que les parlements ne peuvent jamais être davantage que des corps simplement consultatifs que les monarques peuvent choisir de réunir de temps en temps, s'ils souhaitent une information ou un conseil.

83 Cette réponse est étonnamment réactionnaire. Malgré tout ce qui s'était passé à l'époque, Hobbes revient simplement à la position adoptée au début de la guerre civile par les défenseurs les plus ambitieux du droit divin, comme on l'a vu au début. Il ne fait cependant aucun doute que le ton hautement dépréciatif avec lequel il s'opposa à la théorie de la souveraineté parlementaire qui triompha entre-temps fut pleinement intentionnel. Hobbes est bien sûr disposé à admettre que tout monarque souverain, s'il le juge opportun, peut choisir de « donner ordre aux villes et aux autres diverses parties de son territoire de lui envoyer des députés pour l'informer de la situation et des besoins des sujets, et pour aviser avec lui à la confection de bonnes lois ou à toute autre affaire » (p. 162 [248]). Il est même prêt à concéder que l'on puisse penser ces députés comme des représentants du peuple, de sorte qu'une fois réunis et rassemblés on puisse dire qu'ils constituent « un corps politique, représentant chaque sujet » (p. 162 [248]). Mais il affirme sans le moindre regret que nous ne pouvons en aucun cas les penser comme ayant un droit indépendant à un quelconque moment de parler et d'agir au nom du peuple* dans son ensemble. Il ne se lasse pas de nous le répéter : leur accorder ce statut reviendrait à instituer « deux souverains au-dessus du même peuple ; ce qui n'est pas compatible avec la paix » (p. 162 [248]).

V

84La théorie du gouvernement représentatif que propose Hobbes pourrait sembler confronter ce dernier à une redoutable difficulté. De qui, selon cette analyse, doit-on prédiquer la souveraineté ? Pour formuler la question dans l'autre sens, comme Henry Parker l'avait fait : qui est « le sujet propre » du pouvoir souverain [134] ? Les défenseurs du droit divin avaient répondu que la souveraineté est l'attribut qui définit les rois. Mais aucun roi ne jouit selon Hobbes d'un statut supérieur à celui de représentant autorisé. Les gentilshommes démocrates avaient répliqué que le corps du peuple est le sujet originel et naturel de la souveraineté. Mais rien de tel que le corps du peuple n'existe selon Hobbes. Toutefois, si la souveraineté n'est ni la propriété du roi ni celle du peuple, qui peut à bon droit y prétendre ?

85À cette énigme, Hobbes fournit une réponse qui fit date. Pour voir comment il y parvient, il faut d'abord rappeler les deux caractéristiques distinctes de son analyse du pacte. La première est que, lorsque les membres de la multitude autorisent un homme ou une assemblée à les représenter, cela a pour effet de les transformer de simple agrégation en une personne, parce qu'ils sont désormais dotés d'une seule volonté et d'une seule voix (p. 114 [166]). L'autre affirmation de Hobbes est que le souverain est le représentant de la personne engendrée ou « générée » par la multitude s'accordant à être représentée. En bref, lorsque les membres de la multitude instituent un souverain, c'est en même temps qu'ils deviennent une personne et qu'ils acquièrent un représentant qui « endosse », « porte » ou « représente » cette personne [135].

86 Ce qu'il nous faut connaître, c'est donc le nom de la personne engendrée par la multitude au moment où elle s'accorde à autoriser un représentant. Ce qui reviendra à connaître le vrai sujet de la souveraineté que le souverain représentant a simplement le droit d'exercer. Hobbes nous met dans le secret dans le passage-clef et tout à fait retentissant du chapitre 17 où il décrit le pacte politique. Lorsque les membres de la multitude se mettent d'accord, « chaque homme avec chaque homme », pour autoriser un individu ou une assemblée à les représenter, le nom de la personne qu'ils engendrent est « une RÉPUBLIQUE (COMMON-WEALTH), in latin CIVITAS » (p. 120 [177]). Hobbes résume alors sa doctrine par deux définitions cruciales, qui suivent immédiatement. D'abord celle de la « RÉPUBLIQUE, ou ÉTAT, (en latin CIVITAS) [136] », que l'on peut définir comme « une personne unique, telle qu'une grande multitude d'hommes se sont faits, chacun d'entre eux, par des conventions mutuelles qu'ils ont passées l'un avec l'autre, l'auteur de ses actions » (p. 121 [178]). Puis il affirme que le nom de la personne qui « endosse » ou « porte » cette personne est le souverain, dont on peut par conséquent dire qu'il « représente la personne » de la République ou de l'État (p. 121 [178, 179, trad. modifiée]). Comme Hobbes le confirme plus loin, on peut par conséquent décrire le souverain comme « la personne publique » qui joue le rôle de « représentant de la République » (p. 399 [600]).

87 Il est vrai que la personne vivante qu'est le souverain est toujours susceptible d'occlure la personne purement fictive de la République ou de l'État. Hobbes l'admet, « une République dépourvue de pouvoir souverain n'est qu'une appellation sans contenu et ne peut se maintenir » (p. 245 [378]). Mais cette considération ne le rend que plus soucieux d'affirmer que les souverains ne sont rien d'autre que des acteurs donnant une forme matérielle et tangible aux actions des Républiques [137]. Lorsqu'une personne naturelle ou une assemblée de personnes reçoit l'autorisation de représenter une République, les actions que cette personne ou cette assemblée accomplit au nom de la République seront toujours attribuées à la République elle-même. Hobbes affirme cette thèse de façon transparente au début de son analyse des lois civiles au chapitre 26. Quoique la République « ne puisse rien faire sinon par la personne qui la représente », la République demeure le législateur et « le nom de la personne qui commande » est « la persona civitatis, la personne de la République [138] ». On peut donc dire ­ et Hobbes le répète tout au long de ce chapitre ­ que les lois civiles sont toujours « les commandements de la République » et que c'est seulement « la République, et son commandement, qui fait la loi [139] ».

88Dans l'Épître dédicatoire du Léviathan, Hobbes écrit : « je ne parle pas des hommes, mais (dans l'abstrait) du siège du pouvoir (p. 3 [1]). Il conclut en affirmant que ce siège est occupé non par une personne naturelle ou un corps de personnes, mais plutôt par la personne désincarnée et fictive dont le nom générique est l'État [140]. Hobbes est cependant suffisamment conventionnel pour croire que, à l'instar de la progéniture d'une quelconque union légitime, la personne « engendrée » par l'union de la multitude mérite également un nom qui lui soit propre. Poursuivant sa métaphore du mariage et de la procréation, il accomplit donc, comme il se doit, un baptême. De son ton le plus grave, il annonce que « telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt, pour en parler avec plus de révérence, de ce Dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection » (p. 120 [177-178]).

89 Hobbes fait allusion au monstre marin décrit au chapitre 41 du Livre de Job, qu'il traite comme une image d'une force terrifiante et écrasante. La Chambre des Communes, depuis peu souveraine, venait dans sa Déclaration de mars 1649 de dénoncer l'idée selon laquelle nous devrions nous soumettre à ce genre de pouvoir absolu. « Un tel officier irresponsable (unaccountable) », avait prévenu le Parlement, reviendrait pour « le genre humain à permettre un étrange monstre [141] ». Hobbes relève sans hésiter le sarcasme et le rejette avec violence à la figure de ses adversaires : le fond de sa théorie politique est que pour espérer vivre ensemble en sécurité et en paix, nous n'avons pas d'autre choix que de permettre que notre souverain incarne précisément un tel monstre.

Notes

  • [1]
    Nous remercions John Wiley & Sons Ltd. pour leur aimable autorisation à reproduire Quentin Skinner, « Hobbes on representation », European Journal of Philosophy, vol. 13, no 2, 2005, p. 155-184 [Note de la rédaction].
    Mes remerciements vont à la Wissenschaftskolle zu Berlin, où j'ai écrit une première version de cet article lorsque j'en étais Fellow en avril 2003. Je suis également très reconnaissant à ceux qui ont pris part au séminaire qui avait fait suite à ma European Journal of Philosophy Annual Lecture, à Vercelli en mai 2004, lors duquel de nombreuses questions pénétrantes furent soulevées à propos de mon argument. C'est à Kinch Hoekstra et Susan James que je suis le plus reconnaissant : tous deux ont lu différentes versions avec un soin méticuleux, m'évitant par là un grand nombre de maladresses et d'erreurs [Note de l'auteur].
  • [2]
    Hanna F. Pitkin, The Concept of Representation, Berkeley, University of California Press, 1967, p. 14.
  • [3]
    Hanna F. Pitkin, « Representation », in Terrence Ball, James Farr and Russell L. Hanson (dir.), Political Innovation and Conceptual Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 140.
  • [4]
    Lucien Jaume, Hobbes et l'État représentatif moderne, Paris, PUF, 1986, p. 7.
  • [5]
    Cette idée a déjà été très bien explorée dans Deborah Baumgold, Hobbes's Political Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
  • [6]
    Quand un tract a été publié de façon anonyme, mais que son auteur a par la suite été identifié, j'ai placé le nom de l'auteur entre crochets dans les notes où j'y fais référence.
  • [7]
    Charles Ier, « His Majesties Answer to a Printed Book », in Edward Husbands, T. Warren et R. Best (dir.), An Exact Collection of all Remonstrances, Declarations... and other Remarkable Passages, Londres, p. 287.
  • [8]
    [Henry Parker], Observations upon some of his Majesties late Answers and Expresses, Londres, 1642, p. 1.
  • [9]
    John Goodwin, Anti-Cavalierisme, Londres, 1642, p. 8.
  • [10]
    [Henry Parker], Observations, p. 1.
  • [11]
    [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, Londres, 1643, p. 13, 23.
  • [12]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes: Divided into Foure Parts, Londres, 1643, I, p. 91.
  • [13]
    [Henry Parker], Observations, p. 1, 2, 3.
  • [14]
    Maximes Unfolded, Londres, 1643, p. 14.
  • [15]
    William Bridge, The Truth of the Times Vindicated, Londres, 1643, p. 3.
  • [16]
    [Philip Hunton], A Vindication of the Treatise of Monarchy, Londres, 1644, p. 27, 31.
  • [17]
    [N.d.T. L'anglais populace renvoie ici au peuple ordinaire, mais sans la connotation péjorative inhérente au terme français « populace ». Les occurrences de « peuple » traduisant l'anglais populace sont donc marquées par un astérisque.]
  • [18]
    [Henry Parker], Observations, p. 1, 13.
  • [19]
    [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 15, 19.
  • [20]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes, I, op. cit., p. 91.
  • [21]
    [Henry Parker], Observations, p. 1.
  • [22]
    [Philip Hunton] A Treatise of Monarchie, p. 12. Voir aussi [Philip Hunton], A Vindication of the Treatise of Monarchy, p. 21.
  • [23]
    [Henry Parker], Observations, p. 18 et cf. p. 1-2.
  • [24]
    William Bridge, The Wounded Conscience Cured, the Weak One strengthened, and the doubting satisfied, Londres, 1643, p. 1.
  • [25]
    Ibid., p. 2-3.
  • [26]
    Maximes Unfolded, p. 26.
  • [27]
    [Henry Parker], Observations, p. 13.
  • [28]
    Ibid.
  • [29]
    Ibid., 1, 2.
  • [30]
    Vindiciae, Contra Tyrannos, Edimbourgh, 1579, p. 89, 193.
  • [31]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes, op. cit., Appendix, p. 143.
  • [32]
    Maximes Unfolded, p. 26.
  • [33]
    [Henry Parker], Observations, p. 2, 4.
  • [34]
    [Charles Herle], An Answer to Mis-led Doctor Fearne, Londres, 1643, p. 18.
  • [35]
    William Prynne, The Soveraigne Power of Parliaments and Kingdomes, I, p. 104.
  • [36]
    Ibid., I, p. 91.
  • [37]
    [Henry Parker], Observations, p. 39-40.
  • [38]
    Ibid., p. 13.
  • [39]
    Ibid., p. 14.
  • [40]
    Voir ibid., p. 5 sur « le royaume entier » en tant qu'« auteur » et « essence même des Parlements ».
  • [41]
    Vindiciae, Contra Tyrannos, p. 47, 94, 194.
  • [42]
    Cicéron, Letters to Atticus, trad. angl. D. R. Shackleton Bailey, 4 vol., Cambridge, Harvard University Press, 1999, XII. 29, vol. 3, p. 320 et XII. 31, vol. 3, p. 326.
  • [43]
    Voir The Digest of Justinian, édité par Theodor Mommsen et Paul Krueger, trad. angl. Alan Watson, 4 vol., Pennsylvania, University of Pennsylvania Press, 1985, 35. 1. 36. 1, vol. III, p. 187, où repraesentare est utilisé pour renvoyer au fait de céder un héritage. Voir aussi ibid., 33. 4. 1. 2, vol. III, p. 115, où repraesentatio, i.e. le paiement immédiat, est conçu comme le mérite spécifique qui consiste à recevoir un héritage d'une dote.
  • [44]
    Pline, Natural History, Books XXXIII-XXXV, trad. angl. H. Rackham, Londres, William Heinemann, 1952, XXXVI, 65, p. 308-310.
  • [45]
    François du Jon, The Painting of the Ancients, in three Bookes, Londres, 1638, p. 345.
  • [46]
    Ambroise, « Epistola XV », in Jacques-Paul Migne (dir.) Patrologiae Cursus Completus, 16, Paris, Vrayet, 1845, col. 958 : « hunc nobis quis poterit repraesentare? ».
  • [47]
    Grégoire, « Epistola I », in Paul Ewald et Ludwig Moritz Hartmann (dir.), Registrum Epistolarum, Berlin, Weidmann, 1887-1899, vol. I, p. 1 : « ubi nos praesentes esse non possumus, nostra per eum, cui praecipimus, repraesentetur auctoritas ».
  • [48]
    Cicéron, The thre bookes of Tullyes officyes... translated by Roberte Whytinton, Londres, 1534, Sig H, 1r. Cf. Cicéron, De officiis, trad. angl. Walter Miller, Londres, William Heinemann, I, 34, 124, p. 126 : « Est igitur proprium munus magistratus intellegere se gerere personam civitatis ».
  • [49]
    Voir par exemple Cicéron, De officiis, I, 30, 107, p. 108 ; I, 32, 115, p. 116 et III, 10, 43, p. 310 ; Cicéron, De inventione, trad. angl. H. M. Hubbell, Londres, William Heinemann, 1949, I, 16, 22, p. 44 ; I, 52, 99, p. 148.
  • [50]
    Cicéron, De oratore, trad. angl. H. Rackham, 2 vol., Londres, William Heinemann, 1942, II, 24, 102, vol. I, p. 274 : « tres personas unus sustineo summa animi aequitate, meam, adversarii, iudicis ».
  • [51]
    [Henry Parker], Observations, p. 9-10.
  • [52]
    [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 47.
  • [53]
    Leur usage du terme précède les premiers usages enregistrés par l'Oxford English Dictionary  ; il se peut que ce soit le tout premier usage.
  • [54]
    [Henry Parker], Observations, p. 11.
  • [55]
    [Charles Herle], An Answer to Doctor Fernes Reply, Entitled Conscience Satisfied, Londres, 1643, p. 30.
  • [56]
    [Philip Hunton], A Vindication of the Treatise of Monarchy, p. 50.
  • [57]
    [Henry Parker], Observations, p. 15, 45.
  • [58]
    A Soveraigne Salve, p. 8.
  • [59]
    [John Goodwin], Anti-Cavalierisme, p. 2 ; [Charles Herle] An Answer to Doctor Fernes Reply, p. 12 ; [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 47.
  • [60]
    [Henry Parker], Observations, p. 15.
  • [61]
    Ibid., p. 15, 23.
  • [62]
    Ibid., p. 14-15.
  • [63]
    [Henry Parker], Some Few Observations Londres, p. 4.
  • [64]
    [Henry Parker], Jus Populi, Londres, 1644, p. 18.
  • [65]
    [Henry Parker], Observations, p. 11, 23.
  • [66]
    [Henry Parker], Jus Populi, p. 19.
  • [67]
    [Henry Parker], Observations, p. 15.
  • [68]
    Ibid., p. 11.
  • [69]
    Ibid., p. 15.
  • [70]
    A Soveraigne Salve, p. 22.
  • [71]
    Pour cette affirmation, voir [Charles Herle], A Fuller Answer to A Treatise Written by Doctor Ferne, Londres, 1642, p. 16-17.
  • [72]
    Cette accusation fut tout d'abord lancée par l'auteur des Animadversions, Londres, 1642, p. 4, 10 ; elle fut ensuite fréquemment reprise.
  • [73]
    [Henry Parker], Observations, p. 22.
  • [74]
    Ibid., p. 45.
  • [75]
    Ibid., p. 28.
  • [76]
    L'Oxford English Dictionary date des années 1650 et 1660 l'usage standard du terme pour renvoyer à quelque chose qui est presque (mais pas réellement) équivalent à quelque chose d'autre.
  • [77]
    [Henry Parker], Observations, p. 34.
  • [78]
    Ibid., p. 37, 39.
  • [79]
    Pour une exception partielle, voir John Goodwin, Anti-Cavalierisme, p. 2, 28.
  • [80]
    Voir [Henry Parker], The Contra-Replicant, His Complaint To His Maiestie, 1643, p. 16 : « Le Parlement n'est rien d'autre que la nation entière de l'Angleterre (...) en vertu de la représentation unifiée dans une chambre plus étroite ».
  • [81]
    A Soveraigne Salve, p. 4, 8, 17.
  • [82]
    [Charles Herle], An Answer to Doctor Fernes Reply, p. 12.
  • [83]
    [Henry Parker], Jus Populi, p. 18-19.
  • [84]
    [Henry Parker], Observations, p. 16. Mais Parker ajoute (p. 16, 34) qu'en cas d'urgence, les deux Chambres du Parlement peuvent agir sans le concours du roi. Cf. [Philip Hunton], A Treatise of Monarchie, p. 27-29, qui refuse d'admettre que, même en cas d'urgence, un quelconque élément puisse prédominer sur les autres.
  • [85]
    [Charles Herle], A Fuller Answer to A Treatise Written by Doctor Ferne, p. 2.
  • [86]
    Gryffith Williams, Vindiciae Regum, Oxford, 1643, p. 48-49.
  • [87]
    Ibid., p. 52.
  • [88]
    Ibid., p. 63, 67.
  • [89]
    Ibid., p. 67.
  • [90]
    [Richard Overton], An Appeal From the degenerate Representative Body, Londres, 1647, p. 3, 10.
  • [91]
    Ibid., p. 12.
  • [92]
    Ibid., p. 9 (recte p. 13).
  • [93]
    Ibid., p. 12.
  • [94]
    Ibid.
  • [95]
    Thomas Hobbes, Behemoth or the Long Parliament, édité par Ferdinand Tönnies, Londres, 1969 [2e éd., introduite par MM Goldsmith], p. 26 [Béhémot ou le Long Parlement, trad. fr. Luc Borot, Paris, Vrin, 1990, p. 65, trad. modifiée]. [N.d.T. Tous les numéros de pages entre crochets qui suivent les numéros de page données par Quentin Skinner renvoient aux éditions françaises utilisées et mentionnées également entre crochets.]
  • [96]
    Thomas Hobbes, Leviathan, or The Matter, Forme, & Power of a Common-wealth Ecclesiasticall and Civill, édité par Richard Tuck, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 90 [Léviathan, trad. fr. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, désormais cité L, p. 126].
  • [97]
    Hobbes, L, p. 154 [234], p. 147 [224], p. 200 [311].
  • [98]
    Ici et par la suite, lorsque je renvoie à une page particulière du Léviathan, je donne la référence dans le corps du texte.
  • [99]
    Hobbes, L, p. 189 [291], p. 219 [338].
  • [100]
    Thomas Hobbes, The Elements of Law Natural and Politic, édité par Ferdinand Tönnies, Londres, 1969 [2e éd., introduite par MM Goldsmith], (Éléments de la loi naturelle et politique, trad. fr. Dominique Weber, Paris, LGF, 2003, cité désormais EL), p. 71 [179], p. 73 [180] ; Thomas Hobbes, De Cive: The Latin Version, édité par Howard Warrender, Oxford, The Clarendon Edition, 1983, vol. 2 (Du citoyen, trad. fr. Philippe Crignon, Paris, Flammarion, 2010, cité désormais DC), p. 94 [102].
  • [101]
    Hobbes, EL, p. 101 [220], p. 103 [222] ; Hobbes, DC, p. 133-134 [162-163].
  • [102]
    Hobbes ne développe pleinement cette analyse que dans le cas de ce qu'il appelle la « république par institution », pas dans le cas de la « république par acquisition ». Voir Hobbes, L, p. 121 [178]. Je me suis donc limité dans ce qui suit à commenter le premier cas.
  • [103]
    Cela ne veut pas dire que les concepts d'autorisation et de représentation sont absents des Éléments de la loi et du De cive. On peut défendre que, lorsque Hobbes soutient dans ces ouvrages que la volonté de chacun est « contenue » (included) dans la volonté du souverain, et que le roi « est » le peuple, il est déjà en train de parler effectivement des rois en tant que représentants autorisés. Voir par exemple Hobbes, EL, p. 124-125 [168, 222] et DC, p. 190 [248]. Ma thèse est seulement que Hobbes n'utilise jamais le vocabulaire de l'autorisation et de la représentation dans ces ouvrages, où il décrit l'acte de passer convention comme un acte d'abandon de, ou de renoncement à, nos droits. Voir Hobbes, EL, p. 104 [193, 224] et DC, p. 134 [163]. On pourrait ajouter que si les concepts d'autorisation et de représentation sont implicites dans ces textes plus anciens, leur présence entre en tension avec le fait que Hobbes adopte explicitement l'idée que l'acte de passer convention implique de renoncer à ses droits.
  • [104]
    Voir par exemple David Gauthier, The Logic of Leviathan: The Moral and Political Theory of Thomas Hobbes, Oxford, The Clarendon Press, 1969, p. 99, 120, 126 ; Yves Charles Zarka, La décision métaphysique de Hobbes : Conditions de la politique, Paris, Vrin, 1999 [2e éd.], p. 325, 333.
  • [105]
    [Henry Parker], Observations, p. 44.
  • [106]
    Hobbes, L, p. 88, 89, 90 [123-127] et cf. p. 171 [262-263].
  • [107]
    Hobbes, EL, p. 104 [223], p. 108-109 [226-227] ; DC, p. 136-137 [166-167].
  • [108]
    Hobbes, EL, p. 119 [242, trad. modifiée] ; cf. DC, p. 133 [162].
  • [109]
    Hobbes, EL, p. 103 [223], p. 108-109 [226-227] ; DC, 133-134 [162-163].
  • [110]
    Hobbes, L, p. 148 [225]. L'argument est par la suite répété à l'envi. Voir L, p. 156 [239], p. 158 [242], p. 172 [264-5].
  • [111]
    Hobbes, L, p. 120 [177], p. 121 [179], p. 129 [192].
  • [112]
    Pour cet exemple, voir l'Act Abolishing the Office of King, dans S. R. Gardiner, The Constitutional Documents of the Puritan Revolution, 1625-1660, Oxford, The Clarendon Press, 1906 [3e éd.], qui parle du droit du peuple d'être « gouverné par ses propres représentants ou des assemblées nationales dans des conseils » (p. 386) et déclare que la « suprême autorité » réside désormais « dans les actuels et futurs représentants du peuple » (p. 387).
  • [113]
    Hobbes, L, p. 445 [662], p. 454 [673].
  • [114]
    Hobbes, L, p. 130 [193], p. 162 [248].
  • [115]
    Pour cette idée, voir Christopher Hill, The Collected Essays of Christopher Hill, vol. 3 « People and Ideas in 17th Century England », Brighton, Harvester Press, 1986, p. 318-319, et A. P. Martinich, The Two Gods of Leviathan: Thomas Hobbes on Religion and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 147-150.
  • [116]
    Thomas Goodwin, Christ Set Forth, Londres, 1642, p. 48, 49.
  • [117]
    Voir aussi William Bridge, The Wounded Conscience Cured, the Weak One strengthened, and the doubting satisfied, Londres, 1649, p. 117, qui décrit Adam comme « une personne commune » en ce qu'il « fut constitué d'une âme et d'un corps ; tout comme nous, son corps a des jambes et des bras et d'autres membres, et nous avons des membres comme il a des membres, une tête comme il a une tête, des bras comme il a des bras, des jambes comme il a des jambes. Et donc aussi, nous péchons comme il pèche, nous sommes orgueilleux comme il l'a été, et incroyants comme il l'a été ».
  • [118]
    Thomas Goodwin, Christ Set Forth, p. 57, 58.
  • [119]
    Ibid., p. 59.
  • [120]
    Ibid., p. 60, 58.
  • [121]
    Ibid., p. 73.
  • [122]
    Le chapitre 42 du Léviathan montre cependant de façon manifeste que Hobbes a dû, dans les années 1640, se plonger dans un très grand nombre d'ouvrages de théologie.
  • [123]
    Pour une analyse de la « fiction de la loi » par laquelle le peuple est censé accepter, et même promulguer, ce qui est fait en leur nom, voir également An Answer to a Printed Book, 1642, p. 13-14 (que l'on a attribué à Dudley Digges).
  • [124]
    [Dudley Digges], The Unlawfulnesse of Subjects taking up Armes against their Soveraigne, in what case soever, Oxford, 1643, p. 33.
  • [125]
    Ibid., 149.
  • [126]
    Ibid., p. 151-152.
  • [127]
    Hobbes, L, p. 167 [257], p. 228 [352], p. 129 [192].
  • [128]
    Mais peut-être le chef de l'État est-il décrit comme un homme simplement parce que c'est ce qui était attendu.
  • [129]
    Hobbes parle de Reines souveraines au chapitre 20 (L, p. 140 (210]) et mentionne spécifiquement la Reine Élisabeth d'Angleterre au chapitre 47 (L, p. 479 [706]).
  • [130]
    Hobbes, L, p. 114 [166, trad. modifiée], p. 185 [285] ; cf. aussi p. 160 [245].
  • [131]
    Ibid., p. 156 [238], p. 114 [167].
  • [132]
    Ibid., p. 130 [193-194].
  • [133]
    Ibid., p. 228 [352]. C'est d'abord à cette version de la théorie que Hobbes renvoie, p. 115 [167] et p. 127 [188].
  • [134]
    Ibid., p. 130 [193] ; cf. aussi p. 156 [238].
  • [135]
    [Henry Parker], Observations, p. 44.
  • [136]
    Voir Hobbes, L, p. 120 (bear) [177 « endosser », trad. modifiée], p. 121 (carry, present) [178, « porter », « représenter », trad. modifiée].
  • [137]
    Pour cette formule, voir ibid., p. 9 [5].
  • [138]
    Voir ibid., p. 172 [264] pour une distinction particulièrement claire entre souverains et républiques, et l'affirmation selon laquelle la personne du souverain représente toujours la personne de la république.
  • [139]
    Ibid., p. 183-184 [282], p. 171 [263].
  • [140]
    Ibid., p. 185 [285], 187 [288], 199 [309]. Pour des phrases similaires, voir ibid., p. 236 [365], p. 245 [378], p. 253 [390], p. 472 [692].
  • [141]
    L'idée que l'État hobbésien est une personne « par fiction » est défendue de façon convaincante par David Runciman, « What kind of person is Hobbes's State? A reply to Skinner », The Journal of Political Philosophy, no 8, p. 268-278.
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