Notes
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[1]
Ce travail doit être considéré comme « en progrès ». Ce texte ayant été rédigé au cours d'un séjour d'un an aux États-Unis, il n'a pas été possible d'avoir accès aux archives de l'École normale supérieure. En outre, les archives personnelles de Pierre Bourdieu sont en cours de classement et ne sont pas encore ouvertes au public. Il ne fait pas de doute qu'une meilleure assise archivistique permettra d'améliorer la qualité de ce texte. Je remercie Magali Nié, archiviste de l'EHESS, pour son aide précieuse, Frédérique Matonti pour sa lecture généreuse et les évaluateurs anonymes de Raisons politiques pour leurs fécondes suggestions.
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[2]
Le séminaire prit fin à la fin des années 1970, au moment de la brouille entre Pierre Bourdieu et Jean-Claude Chamboredon, peu avant l'élection du premier au Collège de France. Le public comptait entre vingt et trente personnes, un peu plus pour les séances d'invitation. La majorité de l'audience était composée des chercheurs permanents du Centre de sociologie européenne, une poignée de normaliens, et les visiteurs étrangers du Centre qui venaient des États-Unis, du Brésil et parfois de pays socialistes. On pouvait notamment y croiser Richard Nice, le traducteur anglais de la plupart des ouvrages du sociologue.
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[3]
Enrico Castelnuovo (1929-2015), un des grands historiens d'art italiens de la deuxième moitié du 20e siècle, a tenté de rapprocher l'histoire de l'art et la sociologie. Il a publié des articles séminaux dans Actes de la recherche en sciences sociales (ARSS) dans la période pionnière : « L'histoire sociale de l'art. Un bilan provisoire », ARSS, no 2-6, 1976, p. 63-75 et, avec Carlo Ginzburg, « Domination symbolique et géographie artistique dans l'histoire de l'art italien », ARSS, no 40, 1981, p. 51-72. Pour une approche critique du rapport de Bourdieu à l'histoire de l'art, voir Richard Hooker, Dominic Paterson et Paul Stirton, « Bourdieu and the art historians », The Sociological Review, vol. 49, no S1, 2001, p. 212-228.
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[4]
Frédéric Fruteau de Laclos, « œuvre, fonction et société dans la "psychologie historique" d'Ignace Meyerson », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, vol. 2, no 17, 2007, p. 119-136.
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[5]
Louis Althusser et al., Lire le Capital, Paris, Éditions François Maspero, 1965, p. 5-6.
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[6]
« Lacan avait inauguré son enseignement public en octobre 1953, à l'hôpital Sainte-Anne, dans le service du professeur Jean Delay, cela grâce à l'intervention de Daniel Lagache. Au moment de la rupture avec ce dernier, en 1963, Lacan avait, par courtoisie, sollicité de Jean Delay le renouvellement de son accord pour le maintien de son séminaire dans le service ; celui-ci ne l'ayant pas retenu il paraît que ses auditeurs inquiétaient par leur mine patibulaire , il en fut réduit à chercher un autre lieu et c'est ainsi que, grâce à l'intervention de nombreux intellectuels, dont plus particulièrement Claude Lévi-Strauss, Fernand Braudel, Louis Althusser et d'autres, il avait obtenu la mise à sa disposition de la salle Dussane, à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. C'est là qu'il inaugura, en janvier 1964, une nouvelle phase de son enseignement avec Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. » : Claude Dorgeuille, « L'enseignement de Lacan change à nouveau de lieu. (Mai 1968-Octobre 1969) », La revue lacanienne, vol. 2, no 2, 2007, p. 91-94.
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[7]
Il n'existe pas de compte rendu de ces séminaires, semble-t-il. Le rapport, souvent laconique, que Bourdieu donnait à l'Annuaire de la sixième section de l'EPHE, puis de l'EHESS à partir de 1975, recoupe largement les notes de l'auteur de l'article, en particulier pour les années qui vont de 1974 à 1978. Un certain nombre d'invitations au séminaire de l'ENS sont d'ailleurs mentionnées : Basil Bernstein, Anselm Strauss, Fritz Ringer particulièrement. Dans l'annuaire 1977-1978, le séminaire des chercheurs recoupe entièrement la liste des séances du séminaire de l'École normale supérieure : « Le séminaire a été consacré à l'analyse et à la discussion des travaux se rattachant aux recherches menées au Centre de sociologie européenne : étude des rapports entre le champ politique et le champ intellectuel à travers l'analyse des rapports des intellectuels avec le Parti communiste ; histoire sociale du champ intellectuel et en particulier analyse de la naissance et du développement des différents mouvements littéraires à la fin du dix-neuvièmes siècle (naturalisme, roman psychologique, roman paysan, etc.) ; histoire des transformations du système d'enseignement et de la hiérarchie des disciplines ; analyse des changements dans l'économie des échanges entre générations à partir de l'étude de la crise de succession dans les familles paysannes ; sociologie de la classe dominante, du patronat et de la haute administration ; poursuite des analyses sur la sociologie du goût, etc. » (p. 468).
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[8]
Aristide Zolberg (1931-2013) enseigna dans plusieurs grandes universités états-uniennes après l'obtention de son doctorat de science politique à l'Université de Chicago en 1961. Il fit une grande partie de sa carrière à la New School for Social Research à New York. Il était spécialiste des migrations, comme en témoigne entre autres son livre de 1989, Escape from Violence: The Refugee Crisis in the Developing World, écrit en collaboration avec Astri Suhrke et Sergio Aguayo (Oxford University Press). Sa femme Vera, morte en 2016, était une sociologue de la culture de premier plan, elle aussi membre de la New School, auteure d'une célèbre introduction à la sociologie de l'art et fort attachée à diffuser l'œuvre de Bourdieu aux États-Unis.
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[9]
Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française, Paris, PUF, 1959.
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[10]
Raymond Aron, Mémoires. Cinquante ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983, p. 346-347.
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[11]
Christian Jacob, Les Lieux de savoir. Espaces et communautés, Paris, Albin Michel, 2007 et Les lieux de savoir. Les mains de l'intellect, Paris, Albin Michel, 2011.
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[12]
Christophe Charle et Laurent Jeanpierre, La vie intellectuelle en France, t. 1. Des lendemains de la Révolution à 1914 et t. 2. De 1914 à nos jours, Paris, Seuil, 2016.
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[13]
Jean-Louis Fabiani, Qu'est-ce qu'un philosophe français ? La vie sociale des concepts 1880-1980, Paris, Éditions de l'EHESS, 2010, p. 195-196. Voir aussi Dominique Auffret, Alexandre Kojève : la philosophie, l'État, la fin de l'histoire, Paris, Grasset, 1990 et Vincent Descombes, Le Même et l'Autre, Quarante-cinq ans de philosophie française (1933-1978), Paris, Minuit, 1979.
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[14]
Jean-Louis Fabiani, « Faire école en sciences sociales. Un point de vue sociologique », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, no 36, 2005, mis en ligne le 24 mai 2011, consulté le 28 décembre 2017 (http://journals.openedition.org/ccrh/3060 ; DOI : 10.4000/ccrh.3060).
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[15]
Philippe Besnard, « La formation de l'équipe de l'Année sociologique », Revue française de sociologie, vol. 20, no 1, p. 7-31, 1979.
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[16]
L'Esquisse pour une auto-analyse (Paris, Seuil, 2004) en constitue une très belle illustration. La lucidité du sociologue est conquise en partie avec des outils méthodologiques, mais elle s'appuie largement sur l'habitus clivé du chercheur, produit de l'écart entre l'expérience primitive du monde social et l'insertion dans le monde professionnel.
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[17]
Randall Collins, Interaction Ritual Chains, Princeton, Princeton University Press, 2004.
-
[18]
Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, op. cit., p. 91.
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[19]
Raymond Aron, La sociologie allemande contemporaine, Paris, PUF, 2007 [1935].
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[20]
Bernstein invita Bourdieu au congrès de la British Sociological Association en 1970 : il y présenta un papier sur le thème « Reproduction culturelle et reproduction sociale » (source : annuaire de l'EPHE, 1970-1971). En 1972, Bourdieu emmena une partie de son groupe à Turin pour un colloque commun avec Basil Bernstein sur le thème : « Structures sociales et structure mentales ». Étaient du voyage Luc Boltanski, Jean-Claude Chamboredon, Claude Grignon, Jean-Claude Passeron et Abdelmalek Sayad (source : Annuaire EPHE 1972-1973). Chamboredon présenta au public français Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Paris, Éditions de Minuit, 1975.
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[21]
Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Vintage, 1963. Traduction française : La formation de la classe ouvrière anglaise, trad. fr. Gilles Dauvé, Mireille Golaszewski, Marie-Noël Thibault, Paris, Seuil, 2012 [1988].
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[22]
Pierre Bourdieu, Sociologie générale. Volume 1, Paris, Seuil, 2015, p. 101.
1 Invité par le département de sciences sociales de l'École normale supérieure à tenir un séminaire de recherche bimensuel à partir de l'année universitaire 1969-1970 [1], dans un contexte où la philosophie althussérienne régnait encore sans partage, Pierre Bourdieu a, en un moment où le statut des sciences sociales dans cet établissement était encore incertain et où la sociologie était fort loin d'attirer les jeunes normaliens, utilisé la forme particulière de cet enseignement de recherche en vue de fournir une assise plus solide à son entreprise intellectuelle. Les séances avaient lieu un jeudi sur deux de vingt heures à vingt-deux heures, horaire qui permettait de sélectionner de fait le public car il supposait une mobilisation importante, notamment pour les enseignants-chercheurs qui avaient de jeunes enfants et habitaient dans des banlieues parfois lointaines et les normaliens qui devaient expédier leur dîner du soir. Le séminaire ne faisait pas l'objet d'annonce particulière, et beaucoup de normaliens ignoraient son existence. Le séminaire associait des objectifs différents : il s'agissait d'abord, mais c'était loin d'être l'élément le plus important, de bénéficier du label qu'offrait la rue d'Ulm alors que Bourdieu était un jeune quadragénaire non encore complètement reconnu par l'institution malgré la publication d'ouvrages à succès qui en avaient fait un espoir de la discipline. La Reproduction, co-écrit avec Jean-Claude Passeron, a attiré l'attention des journalistes en 1970 : une longue recension dans Le Monde, sous la plume de Frédéric Gaussen, a contribué à la fortune critique du livre, qui offre une théorie du système d'enseignement deux ans après Mai 1968. En revanche, l'importante mais austère Esquisse d'une théorie de la pratique, publiée chez Droz à Genève en 1972, avait moins attiré l'attention.
2Le séminaire avait pour titre « Sociologie des œuvres », et le nom de Jean-Claude Chamboredon y fut associé à partir du milieu des années
31970 [2]. « Œuvres » renvoie évidemment au fait que l'enseignement abordait en priorité des objets symboliques. L'histoire de l'art y fut très présente, notamment à travers les interventions d'Enrico Castelnuovo, que le sociologue avait connu à Genève au milieu des années 1960 et avec lequel il avait engagé une collaboration régulière [3]. On peut aussi émettre l'hypothèse selon laquelle la notion se réfère à un auteur que Bourdieu recommandait à ses élèves, Ignace Meyerson. Il l'appelait familièrement « le vieil Ignace ». Meyerson a en effet voulu prendre comme objet de la psychologie historique qu'il entendait développer les « œuvres » comme l'expression de conduites humaines objectivées [4].
4 L'École normale supérieure avait hébergé deux autres séminaires légendaires : l'atelier de lecture autour d'Althusser qui avait donné lieu, entre autres, aux deux volumes de Lire le Capital ; le Séminaire de Lacan avant sa délocalisation à la Faculté de Droit du Panthéon. Pour Louis Althusser et ses jeunes collègues, il s'agissait de montrer que Marx avait fondé une science, qui recouvrait l'ensemble du « continent-histoire ». Le séminaire avait aussi un objet directement politique : recréer les conditions d'un parti authentiquement révolutionnaire. La question inaugurale était formulée ainsi :
Le Capital est-il la simple continuation et comme l'achèvement de l'économie politique classique, de qui Marx aurait hérité et son objet et ses concepts ? Le Capital se distingue-t-il alors de l'économie classique non par son objet, mais par sa seule méthode, la dialectique empruntée à Hegel ? Ou bien, tout au contraire, Le Capital constitue-t-il une véritable mutation épistémologique dans son objet, sa théorie et sa méthode ? Le Capital représente-t-il la fondation en acte d'une discipline nouvelle, la fondation en acte d'une science, et donc un véritable événement, une révolution théorique rejetant à la fois l'économie politique classique et les idéologies hégélienne et feuerbachienne dans sa préhistoire, le commencement absolu de l'histoire d'une science [5] ?
6Le séminaire était organisé autour du « caïman » (agrégé-répétiteur) de philosophie, assisté d'Yves Duroux, membre discret mais essentiel du cercle, et il réunissait pour l'essentiel un groupe de pairs, normaliens philosophes de la rue d'Ulm pour l'essentiel, qu'ils fussent en cours de scolarité ou anciens élèves (comme Pierre Macherey et Roger Establet, co-auteurs de la première édition du livre). Le séminaire ne réunissait pas plus d'une trentaine de personnes dans la salle des Actes de l'établissement. La lecture proposée, en dépit de l'assimilation de l'œuvre de Marx à celle de la première occurrence d'une science historique de plein exercice, restait purement philologique et philosophique. Les cinq co-auteurs étaient des normaliens de la rue d'Ulm agrégés de philosophie (outre les deux déjà nommés, Louis Althusser, Étienne Balibar et Jacques Rancière). L'anthropologue Maurice Godelier, également normalien agrégé de philosophie, mais de Saint-Cloud, ouvrit le séminaire consacré à l'œuvre majeure de Marx par un exposé, mais ne contribua pas au livre Lire le Capital.
7Quant au séminaire de Jacques Lacan, il exista dans un autre format, beaucoup plus mondain, et fut très fortement associé à la notion de performance solitaire. Le séminaire eut d'abord lieu à l'hôpital Sainte-Anne, où il présenta une dimension essentiellement technique, s'adressant à un groupe de pairs, les psychanalystes attirés par le travail de Lacan ainsi que ses patients, l'enseignement s'organisant autour de leur présentation de manière établie en médecine. À la suite du refus de son renouvellement, il fut transporté en 1964 à la rue d'Ulm [6], où son audience s'élargit à des non-spécialistes : à mesure que la notoriété de Lacan augmentait, il attira de simples curieux. Le fait que l'enseignement de Lacan privilégiait la forme orale donnait aux rendez-vous de la rue d'Ulm un caractère particulier : il s'agissait de ne rien perdre de la parole du maître alors qu'il n'y en avait pas d'autres traces. L'édition progressive du Séminaire, aux Éditions du Seuil, fut en effet largement postérieure à sa tenue. On a affaire ici à une organisation de la rareté, associée à la présentation d'un discours technique (il s'agit de la cure psychanalytique) dans un cadre volontairement décalé, puisque Lacan est passé de l'hôpital psychiatrique à l'École normale littéraire, alors pôle intellectuel à la mode. L'effervescence normalienne de l'époque est aisément perceptible dans la vie brève, mais appelée à devenir légendaire, des Cahiers pour l'analyse, œuvre collective de jeunes normaliens qui célèbrent à parts égales Louis Althusser et Jacques Lacan, et confèrent à leurs séminaires visibilité et légitimité au sein de la population étudiante, notamment des khâgneux, parisiens et provinciaux.
8Le séminaire de Pierre Bourdieu à l'École normale supérieure présentait des caractéristiques bien différentes, voire opposées. Il n'avait pas lieu au sein du 45 rue d'Ulm, comme ceux d'Althusser et de Lacan. Les rendez-vous avaient lieu en face, au 46 de la même rue, dans les locaux du Centre de sciences sociales nouvellement créé, dans l'intention de faire entrer dans l'offre de formation des disciplines qui n'y avaient pas vraiment droit de cité dans la division traditionnelle entre Lettres et Sciences. On y trouvait un enseignement d'économie, piloté par Jean Ibanès, un enseignement de sociologie assuré par Jean-Claude Chamboredon, arrivé de la sixième section de l'École pratique des hautes études (EPHE) en 1969 et une initiation à l'histoire de l'art, dans la perspective renouvelée par les travaux d'Hubert Damisch. L'enseignement de Bourdieu avait lieu dans une salle de réunion beaucoup moins visible que les salles Dussane ou des Actes, où avaient lieu les séminaires de philosophie (notamment celui de Jacques Derrida) et de psychanalyse. Au début de l'existence du séminaire, les quelques althussériens, et non des moindres, qui avaient suivi le séminaire de Bourdieu à la Sixième section de l'EPHE, prenaient leurs distances : Christian Baudelot et Roger Establet, qui avaient été des membres à part entière de l'équipe du sociologue, publièrent en 1971 leur très controversé L'École capitaliste en France qui se voulait une réponse marxiste à la Reproduction, de Bourdieu et Passeron, paru l'année précédente. La double appartenance de ces chercheurs (auxquels il faudrait ajouter le philosophe d'inspiration althussérienne Jean-Pierre Briand, qui devait se convertir à la sociologie) montre que l'opposition Bourdieu-Althusser s'est durcie au milieu des années 1970, mais qu'elle n'a pas toujours été une des propriétés du champ.
9Les soirs de séminaire, peu de normaliens traversaient la rue [7]. Leur présence n'avait d'ailleurs rien d'essentiel. Il s'agissait avant tout pour le sociologue de produire et de maintenir la solidarité de son équipe, dont la composition était plus hétérogène que ne l'avait été le premier cercle des durkheimiens, largement composé d'agrégés de philosophie, en intégrant quelques normaliens dotés d'un haut niveau d'ambitions légitimes, pour reprendre l'utile notion de Bourdieu, et par définition rétifs à l'embrigadement doctrinal, mais aussi des outsiders dont la trajectoire avait été permise par l'ouverture de la sixième section de l'EPHE à des profils atypiques, caractéristique qui venait renforcer le caractère du séminaire ouvert à des questions de recherche que les universités françaises tendaient à négliger.
10L'idée même du séminaire de l'EPHE à ses origines, dès sa création en 1868 à la Sorbonne, dérogatoire par rapport au fonctionnement ordinaire de l'Université, consistait à envisager les objets de recherche dans leur complexité, à l'inverse de la présentation qui en était donnée dans les cours magistraux, et d'abaisser les barrières à l'entrée pour les étrangers et les nouveaux-venus, pourvu qu'ils eussent quelque chose de neuf à exprimer. Bourdieu utilisa le séminaire pour créer un réseau de chercheurs internationaux incomparable dans le monde sociologique français : les invitations que le dispositif lui permettait d'adresser apparaissent rétrospectivement comme une stratégie d'accumulation de ressources dans la mesure où elles s'insèrent dans un système de dons et de contre-dons propre à augmenter la notoriété du sociologue français. Bourdieu s'est appuyé sur de puissants réseaux dans le monde occidental, bénéficiant en partie de son année à l'Institut d'études avancées en 1972-1973, où il développa des relations suivies avec Albert Hirschman. Lors de son séjour, il fit la découverte du séminaire de discussion autour d'un papier, forme qu'il adapta à son retour, particulièrement lorsque la puissante machinerie de la revue Actes de la recherche en sciences sociales exigea de multiplier les productions écrites. Au cours de son séjour, Bourdieu présenta également ses travaux à Harvard, à Chicago, à New York et à Montréal. Dans la période qui suivit le séminaire, il prit soin de s'ouvrir vers le monde du socialisme réel, un peu avant la crise finale, et invita des chercheur.e.s comme Natacha Chmatko, de l'Académie des sciences de Moscou, et Szusza Ferge et Agnes Renyi, sociologues hongroises inspirées par son œuvre. Bourdieu s'était intéressé assez tôt au monde socialiste, en participant à plusieurs colloques, notamment à Varna en Bulgarie, ou à Prague, alors en Tchécoslovaquie. Pour ses invitations, il bénéficia du soutien inconditionnel de Clemens Heller, administrateur de la Maison des sciences de l'Homme et collaborateur de Fernand Braudel. Il put aussi compter sur l'appui d'Aristide Zolberg, qui avait été comme lui membre de l'Institute for Advanced Study de Princeton en 1972-1973. Il s'était lié d'amitié avec lui et sa femme Vera [8]. Zolberg lui offrit sa connaissance inégalée de la recherche mondiale en sciences sociales, et l'incita à considérer le monde socialiste comme un interlocuteur valable. En s'appuyant sur des archives personnelles, cet article s'efforce d'analyser les propriétés d'un espace d'élaboration conceptuelle unique. L'accès à une institution prestigieuse comme l'École normale supérieure n'empêcha pas Bourdieu, conformément à son entreprise d'objectivation de la tradition lettrée, de proposer une vision fort critique de la vie universitaire et de son « intellectualisme », dont les philosophes althussériens eurent notamment l'occasion de faire les frais, au milieu de la décennie.
11La présentation est divisée en trois moments : on commence par rappeler à grands traits l'histoire de la forme « séminaire » dans les mondes savants français depuis ce que Claude Digeon avait appelé la crise allemande de la pensée française [9] ; on mentionne l'apprentissage qu'en fit Bourdieu lorsqu'il était le secrétaire général du Centre de sociologie européenne de Raymond Aron. On envisage ensuite le mode de relation dominant entre le responsable du séminaire et les individus qui y participent, particulièrement dans la mesure où la forme permet le contact entre les insiders et les outsiders. La question de la production d'une orthodoxie fait l'objet d'un traitement attentif, ainsi que celle de la définition post-wébérienne d'une position charismatique du chef d'école. Dans un dernier moment, on s'efforce d'analyser la contribution du séminaire à l'accroissement du capital symbolique du groupe et de son inspirateur. Les limites de l'entreprise sont évidentes : elle est fondée avant tout sur une expérience personnelle, armée par un outillage sociologique classique. Elle s'inscrit dans un projet plus vaste d'histoire intellectuelle à ambition réflexive. Elle devra être renforcée par l'exploitation d'archives à venir.
L'origine d'une forme
12Le premier modèle de Bourdieu fut incontestablement le séminaire que Raymond Aron donna à la sixième section de l'EPHE, où il devint directeur d'études cumulant en 1960 (cette section devint l'EHESS en 1975). Les assistants du professeur à la Sorbonne et ses doctorants y assistaient régulièrement. Raymond Aron en dit à la fois l'intérêt et les limites dans ses Mémoires :
Autrement difficiles furent mes relations avec les assistants dans les séminaires ou avec les anciens qui soutenaient leur thèse. Ma fille Dominique me reprocha plusieurs fois de mettre les assistants dans une position fausse devant les étudiants. Aussi bien Pierre Bourdieu, qui était mon assistant au début des années 60, ne parlait pour ainsi dire jamais quand il assistait à mes séminaires. Plusieurs fois je blessai Pierre Hassner, ou le peinais, quand nous étions censés diriger ensemble un séminaire de relations internationales. En fait, une direction de séminaire à deux, qui se déroula harmonieusement avec J. B. Duroselle, ne convenait pas au couple Aron-Hassner... Cela dit je garde de mes séminaires, en particulier de ceux de la VIe section où je fus élu directeur d'études cumulant en 1960, un souvenir de libres discussions, de recherches en commun, sans joute verbales. Bien entendu, les séances étaient inégales, en fonction de l'intérêt des exposés introductifs et du dialogue qui s'ensuivait. Des personnes qui aujourd'hui sont classées par leurs pairs dans l'élite de la communauté scientifique y prenaient plaisir et en tiraient quelque chose. Je songe, par exemple, à Jon Elster qui soutint une thèse d'État à la Sorbonne, le premier Norvégien à solliciter et à obtenir le grade cinquante ans après un de ses compatriotes. Je reçus d'une des habituées du séminaire d'opinion proche du gauchisme une lettre touchante de reconnaissance pour le style de ces entretiens [10].
14Le séminaire d'Aron constitue donc un incomparable lieu de formation pour Bourdieu : rappelons qu'il est autodidacte en sociologie et qu'il s'est formé à ses outils « sur le tas » en Algérie et que la première armature conceptuelle de son système, d'allure franchement wébérienne, comme en témoignent ses premiers travaux sur l'Algérie, s'est développée dans le cadre de sa relation avec Aron. Ce n'est que dans son Esquisse pour une auto-analyse, publiée à titre posthume, que Bourdieu ressuscita la filiation aronienne de sa pensée. Pour les auditeurs du séminaire de l'ENS, le lien n'était absolument pas perceptible : au contraire, la rupture de 1968 était largement mise en avant, alors que Bourdieu lui-même était fort loin de s'identifier à Mai 1968 et qu'il fustigeait même le révolutionnarisme théoriciste des althussériens.
15Si la forme « séminaire » a fait l'objet de nombreuses références historiques pour signifier l'écart entre la nouvelle Sorbonne et l'ancienne Université sous la Troisième République, on n'en trouve guère de traces effectives dans l'historiographie. Deux ouvrages de référence, les deux tomes des Lieux de Savoir dirigés par Christian Jacob [11] et La vie intellectuelle en France, publiée en 2016 et dirigée par Christophe Charle et Laurent Jeanpierre [12], ne mentionnent pas la forme séminaire au sein des objets qu'ils sélectionnent. Tout porte à croire que l'enseignement supérieur de la Troisième République resta fidèle à la forme du cours, fût-il désormais basé sur ou orienté par des opérations de recherche : l'exemple de Durkheim vient immédiatement ici à l'esprit. Le sociologue lit des cours rédigés à l'avance : ils deviendront des livres sans grande transformation. C'est au sein de l'EPHE qu'on voit apparaître les premiers séminaires dans nos disciplines et c'est dans cette direction qu'il faudrait orienter la recherche historique. Autant dire que nous manquons de bases pour rendre compte de la forme séminaire en termes d'objectivation sociologique. Si l'on s'en tient à l'observation et à la collation des témoignages (celui de Raymond Aron est précieux) le séminaire présente des traits communs avec les enseignements préparatoires à l'agrégation dans le domaine des humanités. Un individu qui se trouve dans une position d'infériorité statutaire par rapport à l'organisateur du séminaire présente un « topo », qui fait l'objet d'une « reprise » par l'invitant, suivi d'une série de commentaires et de la réponse de l'« impétrant ». Robert Castel, lui-même agrégé de philosophie, me fit un jour cette confidence, alors que je l'accueillais à Marseille : « Quand je parle au séminaire de Passeron, j'ai toujours l'impression de repasser l'oral de l'agrégation. » Ce format est sans doute dominant dans les séminaires en sciences sociales des années soixante à quatre-vingts. Il ne faut pas trop forcer l'analogie car dans les séminaires, c'est une recherche qu'on présente en ses divers états d'avancement et non un topo sur un thème scolairement établi ou un commentaire de texte. Pour autant, les ruptures ostentatoires avec la « tradition lettrée » au sein de la population des sociologues ne doivent pas conduire à négliger les formes de continuité entre les pratiques scolaires et les nouvelles normes de présentation de la recherche. Il est sans doute moins central en histoire, où la collégialité de séminaire et les entreprises collectives ont plus de place. Le séminaire le plus documenté est incontestablement celui qu'Alexandre Kojève donna sur Hegel à Paris entre les deux guerres. On y retrouve d'ailleurs un certain nombre des acteurs de notre intrigue, Raymond Aron en premier lieu, au sein d'un public largement extérieur à l'Université, mais aussi Maurice Merleau-Ponty, Raymond Queneau, Georges Bataille, Michel Leiris et le jeune Jacques Lacan, qui y apprit sans doute quelques tours de magie intellectuelle. Au séminaire est désormais associée la notion de nouveauté (le « marxisme de droite » de Kojève, selon une formule célèbre quoiqu'inadéquate, y fut présenté dans une dynamique de l'événement intellectuel) et celle de performance. Le statut paradigmatique du séminaire de Kojève est paradoxal : il ne fit jamais de carrière universitaire ; il multiplia les énigmes sur sa propre trajectoire. Il popularisa dans son séminaire la thèse, qui allait devenir fameuse, de la fin de l'histoire [13].
16Il faut aussi ajouter, mais il est sans doute moins central, le séminaire d'Alexandre Koyré, émigré russe comme Kojève qui, de par sa trajectoire de Russie à Paris via New York, contribua à transformer la pratique de l'enseignement de recherche. Les travaux en cours sur l'histoire de l'EPHE accroîtront notre savoir sur la forme séminaire.
Un lieu de sociabilité
17La création d'un collectif (ici l'équipe de Pierre Bourdieu, l'ensemble de ses collaborateurs) est toujours liée à des formes de mise en réseau. La première apparition universitaire moderne d'un collectif de recherche en France n'est autre que ce que l'on a appelé l'École durkheimienne, dont l'homogénéisation n'a pas été produite dans la forge du séminaire, mais principalement à travers ce que j'ai appelé un « réseau postal », celui des rédacteurs de comptes rendus pour l'Année sociologique, souvent jeunes professeurs de lycée en province [14]. Dans cette mobilisation, ce qui compte, plutôt qu'un canon méthodologique ou théorique, c'est à la fois :
18 a) l'acceptation d'une surcharge de travail au nom de la valeur discriminante du travail. Il faut signaler ici l'importance du thème de la mise au travail chez Durkheim. Le travail intellectuel doit produire des effets en tant que tel. La revendication d'une efficace propre de l'intervention intellectuelle entendue comme pédagogie de la science est centrale dans l'œuvre de Comte. Les nouveaux principes de l'organisation sociale selon l'auteur du Cours de philosophie positive ne peuvent s'imposer ni par la violence politique ni par la violence symbolique (qu'elle s'exprime à travers un ordre religieux ou un dispositif charismatique) : c'est à travers la vulgarisation des connaissances scientifiques que peuvent se diffuser au sein de l'ensemble de la société les nouveaux principes directeurs de l'organisation collective. La connaissance historique vulgarisée a selon Comte la propriété de « développer spontanément le sentiment social ».
19 C'est pour cette raison que le travail en tant que tel permet de faire le tri : c'est ce que Durkheim appelle lui-même le « départage du bon travailleur ». L'effort collectif est inclus dans cette problématique de l'effort discriminant, qui n'est pas tant orienté par un dogme ou un corpus que par l'espoir que l'on pourra reconnaître le sociologue savant dans la cohue des publicistes qui parlent du social. Le groupe constitué peut être organisé autour de la valeur du travail contre le dilettantisme littéraire aussi bien que contre l'activisme politique.
20 b) la croyance en la possibilité d'une science sociale, même assez largement définie. Le plan de classification de l'Année est donc l'instrument principal du travail collectif. C'est la puissance de l'organisation thématique interne qui est censée indiquer le territoire d'une science en construction : au-delà de la rhétorique héroïque de la rupture (de l'arrachement à soi-même, de la metanoia, de la conversion), c'est bien parce que le travail demandé aux collaborateurs de l'Année sociologique n'est pas si éloigné qu'il n'y paraît de la forme instituée des exercices scolaires que les jeunes collaborateurs peuvent s'y investir aussi aisément.
21Philippe Besnard a particulièrement insisté sur l'hétérogénéité relative des collaborateurs (qu'elle soit intellectuelle ou doctrinale) [15]. Bien que l'on puisse parler d'une homogénéité scolaire et dans une moindre mesure sociale du recrutement, on peut, selon l'historien du durkheimisme, en distinguer trois moments. Le premier est celui qui correspond à l'équipe du premier volume. Sur les douze premiers auteurs, il y a huit agrégés de philosophie, six normaliens, un agrégé de grammaire et un docteur en droit. Au cours de la période 1899-1903, on compte treize nouveaux recrutements bordelais dont quatre agrégés de philosophie, deux normaliens, mais aussi plusieurs enseignants et élèves de l'EPHE. La période 1904-1913 est marquée par l'arrivée de vingt-deux nouveaux contributeurs dont seize normaliens, neuf agrégés de philosophie, trois agrégés d'histoire, deux agrégés de grammaire, deux anciens élèves de l'École des Chartes et trois membres de l'EPHE.
22Si les contraintes liées à la fabrication de la revue Actes de la recherche en sciences sociales rapprochent le mode de construction du collectif, toutes choses égales par ailleurs, du dispositif qui s'était mis en place au moment de la création de l'Année sociologique, c'est principalement autour de la forme séminaire que le chef du groupe va rendre manifeste son autorité à travers la coprésence d'individus aux trajectoires beaucoup plus différenciées que celles des collaborateurs de la revue durkheimienne. Coexistent en effet dans le séminaire des individus à la formation initiale et aux ambitions tout à fait différentes. Une petite majorité est composée de nouveaux venus (institutrices venues à la sociologie, étudiants de la sixième section de l'EPHE à la trajectoire marginale, jeunes bourgeois, voire aristocrates au parcours scolaire complexe). À l'autre extrême, Bourdieu a attiré quelques normaliens, mais à la différence du groupe de Durkheim, ils sont loin d'être majoritaires et doivent faire l'objet d'une sorte de rééducation épistémologique rendue nécessaire par l'abandon de la « tradition lettrée » comme condition nécessaire de l'accès à un mode de production scientifique. Pierre Bourdieu se présente lui-même comme celui qui a réussi cette conversion au sein d'une discipline où l'accès à la scientificité est particulièrement difficile du fait des obstacles qui ne cessent d'entretenir la confusion entre les objets sociaux tels qu'ils apparaissent à la conscience des agents et les objets sociaux construits par le savant. Bourdieu est en quelque sorte l'incarnation de l'épistémologie bachelardienne qui l'a conduit de sa position d'agent social à celle de sujet véritablement réflexif, peut-être le seul dans le monde. Comme on le voit dans l'Esquisse posthume, la possibilité même de la réflexivité, réservée au savant, est d'abord une propriété personnelle de Bourdieu avant d'être potentiellement celle de la discipline [16]. À ce titre, le séminaire repose sur la mise en scène d'une différence entre Bourdieu et les autres participants. Ceux-là, particulièrement les normaliens et les agrégés, doivent se défaire de leurs illusions savantes : plus les individus sont dotés de « capital scolaire », plus ils ont susceptibles de retomber dans l'univers des prénotions. Il s'agit donc de se défaire de l'homme ancien, conformément à la critique généralisée de l'homo academicus et à celle de l'intellectualisme qui parcourent l'ensemble de l'œuvre. Celle ou celui qui n'est pas passé par le c ur de l'institution universitaire est moins susceptible d'être victime de prétentions indues, alors qu'elle ou il est plus enclin à accepter le mode de domination charismatique du responsable du séminaire, puisqu'elle ou il ignore tout des conditions de production de son agilité intellectuelle (au sein même de la khâgne) et sont de ce fait plus faciles à impressionner. Si tant de normaliens mâles (Christian Baudelot, Roger Establet, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, pour ne citer que les plus connus) ont fait rupture avec Bourdieu, souvent dans des conditions très conflictuelles, c'est parce qu'ils se trouvaient pris entre deux feux : d'un côté ils ne trouvaient pas dans le groupe les rétributions qui pouvaient répondre à leur auto-évaluation et au « sens de leurs ambitions légitimes », notion clé pour le sociologue de la Distinction, d'un autre côté ils étaient capables, y compris lorsqu'ils subissaient les effets d'une autorité charismatique, de distinguer une partie de ses composantes, celles qui étaient directement liées à la maîtrise d'un équipement scolaire dont ils avaient partagé l'apprentissage. La dé-légitimation de ceux qui pensaient être les plus légitimes était un dispositif constant du séminaire, et l'objectivation de l'homo academicus était une épreuve à laquelle étaient soumis ceux qui pensaient être les plus proches du maître, au sens scolaire à tout le moins. L'hétérogénéité sociale et scolaire du groupe rendait l'intervention du leader nécessaire et constante : la maîtrise complète de la situation était un réquisit. Toute tentative de rééquilibrage des forces en présence aux dépens de celui que Luc Boltanski continue d'appeler le « patron » était vouée à l'échec. La prudence régnait donc au sein de l'auditoire, et elle était souvent associée à un certain niveau de stress. Tout écart, fût-il minime, pouvait susciter une correction de la part de Bourdieu. Une partie de la tension était sans doute due au fait que Bourdieu, contrairement à Aron, vivait dans une sorte d'insécurité sociale et scolaire que ses premiers grands succès n'avaient pas atténuée : certains jeunes entrants pouvaient être surpris de l'intérêt qu'il leur portait. Il voyait dans les nouveaux arrivants la promesse d'une force fraîche de travail, mais surtout la possibilité de déstabiliser la position des anciens les mieux établis, dont la légitimité pouvait être mise en question par une simple remarque du maître. Un soir, deux des membres les plus chevronnés de l'équipe, dont l'un était normalien agrégé et l'autre ancien et brillant khâgneux, firent l'objet d'une critique d'une grande violence alors qu'ils présentaient un vaste projet de sociologie de la littérature. À l'inverse, un de mes premiers exposés, particulièrement déficient, fut loué à l'extrême sans aucune justification. Je savourais l'instant, sachant qu'il n'aurait rien de durable, ce dont je fis le dur constat lors de la séance suivante.
23La séance de séminaire était fortement ritualisée. Bourdieu faisait acheminer sa 2 CV du boulevard Raspail vers la cour du 45 rue d'Ulm en fin d'après-midi. La tâche était confiée à un fidèle parmi les fidèles qui ne sous-estimait pas l'importance de la mission. La séance était pour toutes et tous l'occasion de voir le maître pendant deux heures, alors qu'il était souvent difficile de l'apercevoir à l'entrée et à la sortie de son bureau de l'EHESS. Il n'avait pas de jours de présence et arrivait toujours à l'improviste. Il préférait de loin régler les problèmes par téléphone en des échanges toujours très pleins, avec ses secrétaires, mais aussi avec l'ensemble des membres, y compris les moins capés. Le moment du séminaire est donc un moment de haute densité émotionnelle, où l'on peut espérer échanger quelques mots avec Bourdieu alors qu'il regagne sa voiture et où l'on peut se faire remarquer dans le bon comme dans le mauvais sens : il s'agit d'un espace social de haute incertitude. La question du genre n'est pas absente : si les femmes de la première génération du séminaire sont en général soumises à la parole du maître et s'opposent ainsi terme à terme aux normaliens plus rétifs, la situation se transforme au fil du temps : l'émergence de la question féministe permet à de jeunes entrantes d'éviter la stigmatisation de leur capital scolaire et les foudres de l'autorité scientifique. Pour autant, la division sexuelle du travail reste forte et c'est en grande partie sur la docilité des femmes présentes que Bourdieu construit une domination sans partage, bien qu'elles puissent, en dehors de la cérémonie du séminaire, lui faire des observations critiques dont les hommes n'auraient pas idée.
24À en rester à ce point, on serait conduit à penser que le séminaire est avant tout une structure de domination, et on aurait raison. La dissymétrie entre le responsable du séminaire et le public était frappante : il arrivait reposé, brillant, confiant dans son savoir. Son public, souvent rongé par l'anxiété, paraissait moins rayonnant, mais retirait à son tour des munitions pour les interactions futures. On peut utiliser ici la définition de l'interaction sociale comme une énergétique. L'idée a été développée par Randall Collins [17], qui s'est appuyé sur les intuitions de Durkheim à propos de l'effervescence collective. L'énergie émotionnelle correspond au sentiment d'être gonflé (pumped up), physiquement et mentalement, par l'interaction. Il existe des individus dont le niveau d'énergie émotionnelle est élevé, qui transmettent l'énergie à travers l'interaction et dont le capital énergétique est en retour renforcé par l'interaction. L'énergie émotionnelle produit des flux et des boucles de rétroaction, mais elle ne se limite jamais à ce niveau horizontal : elle est aussi, dans une problématique clairement wébérienne, une structure de domination.
25S'en tenir à cette dimension du séminaire reviendrait à ignorer l'extraordinaire productivité d'un tel espace de connaissance. Le maître a apporté un démenti au soupçon de l'existence d'une forme de secte autour de lui. Dans son texte autobiographique, il décrit d'une manière un peu enchantée, mais qui correspond indubitablement à sa perception de la situation, un espace de sociabilité authentiquement collectif et égalitaire. « Mais toutes ces causes et ces raisons ne suffisent pas à expliquer vraiment mon investissement total, un peu fou, dans la recherche. Sans doute cet impetus trouvait-il son principe dans la logique même de la recherche, génératrice de questions toujours nouvelles, et aussi dans le plaisir et les joies extraordinaires que procure le monde enchanté et parfait de la science. Le groupe que j'avais constitué, sur la base de l'affinité élective autant que de l'adhésion intellectuelle, a joué un rôle déterminant dans cet énorme investissement, ma croyance produisant la croyance propre à renforcer et à réassurer ma croyance [18]. » La structure du séminaire a été la matrice d'une « mise au travail » qui est sans doute encore plus spectaculaire que celle que j'ai évoquée à propos de Durkheim. Le mode d'autorité charismatique a suscité un niveau d'engagement rarement atteint dans un collectif. Le séminaire a permis une socialisation rapide aux formes les plus avancées de la sociologie, et a agrégé aux agents venus des humanités déjà évoqués des statisticiens de très haut niveau, comme Alain Desrosières et Laurent Thévenot, amenés à jouer un grand rôle dans l'association entre la théorie de Bourdieu et la rénovation de l'appareil statistique de l'INSEE pour ce qui relève de l'analyse des PCS (professions et catégories socioprofessionnelles). Destiné à renforcer l'orthodoxie à travers la diffusion d'un langage commun de description du monde, le séminaire va être le creuset des dissidences à venir. Luc Boltanski et Laurent Thévenot y fourbiront les armes de ce qui se nommera les économies de la grandeur. Ceux qui y firent leur apprentissage sur le tas furent le plus souvent malmenés : ils l'ont assez rarement regretté, au moins lorsqu'ils y pensent de sang-froid.
L'accumulation de capital
26Le séminaire de sociologie des œuvres a permis, on l'a vu, la structuration d'un groupe à partir d'un mode d'autorité charismatique. Il a été aussi l'instrument de l'accroissement des ressources symboliques de Bourdieu, particulièrement au niveau international, et aussi, par effet de ruissellement, de la mise en réseau des membres réguliers du séminaire. Raymond Aron a ici encore joué le rôle de modèle : dans un monde universitaire français encore assez fermé sur lui-même, particulièrement en termes linguistiques, la trajectoire d'Aron a été, depuis son séjour allemand des années trente, d'où il rapporta le petit livre pionnier La Sociologie allemande contemporaine [19], très largement marquée par la vie internationale. Bourdieu a très vite compris qu'il lui fallait quitter les frontières de la France pour asseoir sa légitimité scientifique. S'il a souvent fustigé les sociologies d'autres pays (qu'on pense à ses critiques de la « triade capitoline » Parsons-Merton-Lazarsfeld aux États-Unis où à celle de Habermas en Allemagne), il en a beaucoup retiré. C'est à partir des invitations au séminaire qu'il a développé des relations diverses, particulièrement avec la sociologie interactionniste américaine, dont il a par ailleurs impitoyablement critiqué la faiblesse théorique et l'obsession pour le niveau microsociologique. Ainsi, au-delà d'Erving Goffman, qu'il fait traduire presque intégralement et qu'il publie dans sa collection aux Éditions de Minuit, on peut mentionner au cours du temps Anselm Strauss, Howard S. Becker et Aaron Cicourel. Bourdieu fut également le premier à citer l'ethnométhodologie de Harold Garfinkel dans l'Esquisse d'une théorie de la pratique en 1972. Le séminaire a joué ici le rôle de lieu de découverte d'autres manières de faire, parfois très différentes de celles de Bourdieu. Significativement, ce n'est pas à des sociologues que Bourdieu a fait appel, mais à des historiens et à des littéraires, parmi lesquels figurent des pionniers des cultural studies (Richard Hoggart et Raymond Williams). Le seul sociologue de métier britannique avec lequel Bourdieu construisit une collaboration durable fut Basil Bernstein [20].
27Les interventions des invités ont été l'occasion d'envoyer des étudiants en Grande-Bretagne et aux États-Unis et de consolider le réseau international du sociologue. La dimension la plus importante des invitations internationales au séminaire demeure cependant la part des Britanniques. Ceux-ci furent, pour l'essentiel, des marxistes hétérodoxes que Bourdieu souhaitait opposer aux althussériens qui dominaient alors l'École normale supérieure. Ces hommes constituaient un excellent « personnel de renfort », pour parler comme Howard Becker, dans l'opération de sociologie de combat qu'il entendait mener. C'est donc sans surprise à l'historien anglais le plus hétérodoxe qu'il fit appel. Dans son Cours de sociologie générale, Bourdieu ne fait guère justice à E. P. Thompson, sans doute parce qu'à la maturité il n'accorde guère de crédit à l'agency, que son propre système rend inutile, ni au processus, que la théorie du décalage structural révoque en principe. Il était fort peu sensible à la simple dynamique de l'événement, et il jugeait avec une certaine sévérité les protagonistes de ce qu'il appelait une révolution ratée en Mai 1968. L'incompréhension dont il fait preuve à l'égard du travail pionnier d'E. P. Thompson est à cet égard frappante. The Making of the English Working Class est un ouvrage qui a fondé l'approche processuelle en histoire [21]. Dans le Cours de sociologie générale, il est réduit à une perspective « grosso modo spontanéiste ». Il ajoute : « l'historien marxiste E. P. Thompson décrit la classe comme un événement, un happening, un surgissement [22] ». Avec Thompson, d'autres marxistes hétérodoxes, comme Eric Hobsbawm et Raymond Williams, furent invités à contribuer à la réflexion collective. Ces invitations permettaient autant de faire pièce au structuralisme althussérien, sans doute au prix d'un malentendu, car les marxistes britanniques étaient en fait aussi éloignés du structuralisme de Bourdieu, que de répondre au « désir de gauche » d'un certain nombre de membres du séminaire, alors qu'il n'était pas complètement affirmé chez Bourdieu lui-même. Le rôle de Jean-Claude Chamboredon, admirable connaisseur des sciences sociales anglophones, et ouvert au marxisme, a très probablement joué un rôle important dans cette orientation. Caïman de sociologie à l'ENS depuis 1969, il fut d'ailleurs pendant quelques années co-organisateur du séminaire de sociologie des œuvres.
28Il y avait donc assez peu d'universitaires français extérieurs au groupe de Bourdieu dans le séminaire, à une exception près, celle que constituait Jean Bollack et son équipe. Il y avait sans doute une vraie homologie structurale entre les deux groupes : une forte intégration y régnait sous l'autorité sans partage d'un chef charismatique. Les échanges étaient réguliers et la rencontre s'opérait sur la base d'une exécration commune de la forme académique de la reproduction des savoirs.
29Pour les jeunes gens qui voulaient apprendre et qui souhaitaient disposer d'une formation accélérée à ce qui se faisait de plus intéressant dans les sciences sociales de l'époque, le séminaire de sociologie des œuvres de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm constituait une adresse de choix. Pour monter son entreprise internationale, au moins dans une première phase, qu'on pourrait dire d'accumulation primitive, Bourdieu avait besoin de ressources multiples qui interdisaient l'orthodoxie. Il était donc possible, tout en assimilant le structuralisme génétique du maître des lieux, de s'ouvrir à des recherches et à des expérimentations qui mettaient en question les assertions les plus rigides de cette théorie. De ce fait, le séminaire favorisait l'emprise de Bourdieu sur les jeunes esprits, mais montrait aussi les voies d'une possible déprise, d'où, rétrospectivement, le constat de son importance.
Notes
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[1]
Ce travail doit être considéré comme « en progrès ». Ce texte ayant été rédigé au cours d'un séjour d'un an aux États-Unis, il n'a pas été possible d'avoir accès aux archives de l'École normale supérieure. En outre, les archives personnelles de Pierre Bourdieu sont en cours de classement et ne sont pas encore ouvertes au public. Il ne fait pas de doute qu'une meilleure assise archivistique permettra d'améliorer la qualité de ce texte. Je remercie Magali Nié, archiviste de l'EHESS, pour son aide précieuse, Frédérique Matonti pour sa lecture généreuse et les évaluateurs anonymes de Raisons politiques pour leurs fécondes suggestions.
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[2]
Le séminaire prit fin à la fin des années 1970, au moment de la brouille entre Pierre Bourdieu et Jean-Claude Chamboredon, peu avant l'élection du premier au Collège de France. Le public comptait entre vingt et trente personnes, un peu plus pour les séances d'invitation. La majorité de l'audience était composée des chercheurs permanents du Centre de sociologie européenne, une poignée de normaliens, et les visiteurs étrangers du Centre qui venaient des États-Unis, du Brésil et parfois de pays socialistes. On pouvait notamment y croiser Richard Nice, le traducteur anglais de la plupart des ouvrages du sociologue.
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[3]
Enrico Castelnuovo (1929-2015), un des grands historiens d'art italiens de la deuxième moitié du 20e siècle, a tenté de rapprocher l'histoire de l'art et la sociologie. Il a publié des articles séminaux dans Actes de la recherche en sciences sociales (ARSS) dans la période pionnière : « L'histoire sociale de l'art. Un bilan provisoire », ARSS, no 2-6, 1976, p. 63-75 et, avec Carlo Ginzburg, « Domination symbolique et géographie artistique dans l'histoire de l'art italien », ARSS, no 40, 1981, p. 51-72. Pour une approche critique du rapport de Bourdieu à l'histoire de l'art, voir Richard Hooker, Dominic Paterson et Paul Stirton, « Bourdieu and the art historians », The Sociological Review, vol. 49, no S1, 2001, p. 212-228.
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[4]
Frédéric Fruteau de Laclos, « œuvre, fonction et société dans la "psychologie historique" d'Ignace Meyerson », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, vol. 2, no 17, 2007, p. 119-136.
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[5]
Louis Althusser et al., Lire le Capital, Paris, Éditions François Maspero, 1965, p. 5-6.
-
[6]
« Lacan avait inauguré son enseignement public en octobre 1953, à l'hôpital Sainte-Anne, dans le service du professeur Jean Delay, cela grâce à l'intervention de Daniel Lagache. Au moment de la rupture avec ce dernier, en 1963, Lacan avait, par courtoisie, sollicité de Jean Delay le renouvellement de son accord pour le maintien de son séminaire dans le service ; celui-ci ne l'ayant pas retenu il paraît que ses auditeurs inquiétaient par leur mine patibulaire , il en fut réduit à chercher un autre lieu et c'est ainsi que, grâce à l'intervention de nombreux intellectuels, dont plus particulièrement Claude Lévi-Strauss, Fernand Braudel, Louis Althusser et d'autres, il avait obtenu la mise à sa disposition de la salle Dussane, à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. C'est là qu'il inaugura, en janvier 1964, une nouvelle phase de son enseignement avec Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. » : Claude Dorgeuille, « L'enseignement de Lacan change à nouveau de lieu. (Mai 1968-Octobre 1969) », La revue lacanienne, vol. 2, no 2, 2007, p. 91-94.
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[7]
Il n'existe pas de compte rendu de ces séminaires, semble-t-il. Le rapport, souvent laconique, que Bourdieu donnait à l'Annuaire de la sixième section de l'EPHE, puis de l'EHESS à partir de 1975, recoupe largement les notes de l'auteur de l'article, en particulier pour les années qui vont de 1974 à 1978. Un certain nombre d'invitations au séminaire de l'ENS sont d'ailleurs mentionnées : Basil Bernstein, Anselm Strauss, Fritz Ringer particulièrement. Dans l'annuaire 1977-1978, le séminaire des chercheurs recoupe entièrement la liste des séances du séminaire de l'École normale supérieure : « Le séminaire a été consacré à l'analyse et à la discussion des travaux se rattachant aux recherches menées au Centre de sociologie européenne : étude des rapports entre le champ politique et le champ intellectuel à travers l'analyse des rapports des intellectuels avec le Parti communiste ; histoire sociale du champ intellectuel et en particulier analyse de la naissance et du développement des différents mouvements littéraires à la fin du dix-neuvièmes siècle (naturalisme, roman psychologique, roman paysan, etc.) ; histoire des transformations du système d'enseignement et de la hiérarchie des disciplines ; analyse des changements dans l'économie des échanges entre générations à partir de l'étude de la crise de succession dans les familles paysannes ; sociologie de la classe dominante, du patronat et de la haute administration ; poursuite des analyses sur la sociologie du goût, etc. » (p. 468).
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[8]
Aristide Zolberg (1931-2013) enseigna dans plusieurs grandes universités états-uniennes après l'obtention de son doctorat de science politique à l'Université de Chicago en 1961. Il fit une grande partie de sa carrière à la New School for Social Research à New York. Il était spécialiste des migrations, comme en témoigne entre autres son livre de 1989, Escape from Violence: The Refugee Crisis in the Developing World, écrit en collaboration avec Astri Suhrke et Sergio Aguayo (Oxford University Press). Sa femme Vera, morte en 2016, était une sociologue de la culture de premier plan, elle aussi membre de la New School, auteure d'une célèbre introduction à la sociologie de l'art et fort attachée à diffuser l'œuvre de Bourdieu aux États-Unis.
-
[9]
Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française, Paris, PUF, 1959.
-
[10]
Raymond Aron, Mémoires. Cinquante ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983, p. 346-347.
-
[11]
Christian Jacob, Les Lieux de savoir. Espaces et communautés, Paris, Albin Michel, 2007 et Les lieux de savoir. Les mains de l'intellect, Paris, Albin Michel, 2011.
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[12]
Christophe Charle et Laurent Jeanpierre, La vie intellectuelle en France, t. 1. Des lendemains de la Révolution à 1914 et t. 2. De 1914 à nos jours, Paris, Seuil, 2016.
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[13]
Jean-Louis Fabiani, Qu'est-ce qu'un philosophe français ? La vie sociale des concepts 1880-1980, Paris, Éditions de l'EHESS, 2010, p. 195-196. Voir aussi Dominique Auffret, Alexandre Kojève : la philosophie, l'État, la fin de l'histoire, Paris, Grasset, 1990 et Vincent Descombes, Le Même et l'Autre, Quarante-cinq ans de philosophie française (1933-1978), Paris, Minuit, 1979.
-
[14]
Jean-Louis Fabiani, « Faire école en sciences sociales. Un point de vue sociologique », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, no 36, 2005, mis en ligne le 24 mai 2011, consulté le 28 décembre 2017 (http://journals.openedition.org/ccrh/3060 ; DOI : 10.4000/ccrh.3060).
-
[15]
Philippe Besnard, « La formation de l'équipe de l'Année sociologique », Revue française de sociologie, vol. 20, no 1, p. 7-31, 1979.
-
[16]
L'Esquisse pour une auto-analyse (Paris, Seuil, 2004) en constitue une très belle illustration. La lucidité du sociologue est conquise en partie avec des outils méthodologiques, mais elle s'appuie largement sur l'habitus clivé du chercheur, produit de l'écart entre l'expérience primitive du monde social et l'insertion dans le monde professionnel.
-
[17]
Randall Collins, Interaction Ritual Chains, Princeton, Princeton University Press, 2004.
-
[18]
Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, op. cit., p. 91.
-
[19]
Raymond Aron, La sociologie allemande contemporaine, Paris, PUF, 2007 [1935].
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[20]
Bernstein invita Bourdieu au congrès de la British Sociological Association en 1970 : il y présenta un papier sur le thème « Reproduction culturelle et reproduction sociale » (source : annuaire de l'EPHE, 1970-1971). En 1972, Bourdieu emmena une partie de son groupe à Turin pour un colloque commun avec Basil Bernstein sur le thème : « Structures sociales et structure mentales ». Étaient du voyage Luc Boltanski, Jean-Claude Chamboredon, Claude Grignon, Jean-Claude Passeron et Abdelmalek Sayad (source : Annuaire EPHE 1972-1973). Chamboredon présenta au public français Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Paris, Éditions de Minuit, 1975.
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[21]
Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Vintage, 1963. Traduction française : La formation de la classe ouvrière anglaise, trad. fr. Gilles Dauvé, Mireille Golaszewski, Marie-Noël Thibault, Paris, Seuil, 2012 [1988].
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[22]
Pierre Bourdieu, Sociologie générale. Volume 1, Paris, Seuil, 2015, p. 101.