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Article de revue

Briser le silence

La prise de parole entre infrapolitique et parrêsia

Pages 65 à 82

Notes

  • [1]
    Michel Foucault, Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979-1980, édité par Michel Senellart, Paris, Gallimard-Seuil, 2012, p. 78.
  • [2]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, trad. fr. Olivier Ruchet, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1990].
  • [3]
    Voir Michel Foucault, « L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté » (1984), in Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, édités par Daniel Defert et François Ewald, Paris, Gallimard, 2001, p. 1529-1530 ; Michel Foucault, « Interview de Michel Foucault », in Michel Foucault, L'Origine de l'herméneutique de soi. Conférences prononcées à Dartmouth College, 1980, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2013, p. 145-147.
  • [4]
    Michel Foucault, « Qu'est-ce que la critique ? », in Michel Foucault, Qu'est-ce que la critique ?, suivi de La Culture de soi, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2015, p. 39.
  • [5]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 19.
  • [6]
    Ibid., p. 32.
  • [7]
    Ibid., p. 33.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Par là, il entend par exemple le refus de saluer un supérieur et, en général, tout acte qui marque une rupture, concrète ou symbolique, par rapport à la logique et aux attentes du pouvoir dominant : « tout refus public, jeté à la face du pouvoir, de reproduire les mots, les gestes et autres signes d'obéissance normative » ; ibid., p. 220.
  • [10]
    Ibid., p. 150. Scott précise à la p. 135 : « [L]e texte caché sera d'autant moins inhibé lorsque deux conditions seront remplies : d'abord, lorsqu'il est articulé dans un espace social protégé imperméable au contrôle, à la surveillance et à la répression du dominant, et ensuite lorsque ce milieu social protégé est entièrement composé de confidents loyaux partageant la même expérience de domination. »
  • [11]
    Ibid., p. 126. Voir aussi le tableau à la p. 215, où la domination matérielle renvoie selon Scott à la spoliation économique, comme dans « l'appropriation de récoltes, les impôts, le travail, etc. » ; la domination statutaire se réfère à la manifestation de la dimension hiérarchique propre à la subordination, par le biais « de l'humiliation, des défaveurs, des insultes, des atteintes à la dignité » ; enfin, la domination idéologique vise à se légitimer à travers des « justifications [fournies] par les groupes dirigeants de l'esclavage, de la servitude, des privilèges de caste ».
  • [12]
    Ibid., p. 215-216.
  • [13]
    Ibid., p. 219-220.
  • [14]
    Ibid., p. 215.
  • [15]
    Ibid., p. 201-204 et 236.
  • [16]
    Ibid., p. 209.
  • [17]
    Voir Dion Chrysostome, « Quatrième discours sur la Royauté », in Léonce Paquet (dir.), Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1988, p. 167-179.
  • [18]
    Foucault définit le « pacte parrèsiastique » comme l'engagement, de la part du plus fort, de ne pas punir le plus faible pour la vérité blessante qu'il est sur le point d'énoncer ; Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France. 1982-1983, édité par Frédéric Gros, Paris, Gallimard-Seuil, 2008, p. 149-150, 160-161 et 187.
  • [19]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », in Michel Foucault, Discours et Vérité, précédé de La parrêsia, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2016, p. 242-245.
  • [20]
    Plutarque, Vies parallèles, trad. fr. Bernard Latzarus, Paris, Classiques Garnier, 1950, t. III, 959d, p. 110.
  • [21]
    Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, op. cit., p. 49.
  • [22]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 224.
  • [23]
    Ibid., p. 223-224.
  • [24]
    Ibid., p. 222.
  • [25]
    Ibid., p. 224 et 235.
  • [26]
    Ibid., p. 225-226.
  • [27]
    Ibid., p. 199-200.
  • [28]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », art. cité, p. 83.
  • [29]
    L'alèthurgie désigne la manifestation de la vérité comme « ensemble des procédés possibles, verbaux ou non, par lesquels on amène au jour ce qui est posé comme vrai par opposition au faux, au caché, à l'indicible, à l'imprévisible, à l'oubli ». Selon Foucault, « il n'y a pas d'exercice du pouvoir sans quelque chose comme une alèthurgie » ; Michel Foucault, Du Gouvernement des vivants, op. cit., p. 8.
  • [30]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », art. cité, p. 202-203.
  • [31]
    Ibid., p. 197-205 ; Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France. 1984, édité par Frédéric Gros, Paris, Gallimard-Seuil, 2009, p. 134-139.
  • [32]
    Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, op. cit., p. 65-66.
  • [33]
    Par êthopoiêsis Foucault entend le processus de formation et transformation de l'êthos. Voir Michel Foucault, L'Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, édité par Frédéric Gros, Paris, Gallimard-Seuil, 2001, p. 227-228 ; Michel Foucault, Dire vrai sur soi-même. Conférences prononcées à l'Université Victoria de Toronto, 1982, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2017, p. 122.
  • [34]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », art. cité, p. 247.
  • [35]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 235-236.
  • [36]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 224-225.
  • [37]
    C'est par l'intermédiaire de cette notion forgée par E. P. Thompson que Scott a conduit ses premières recherches dans le sud-est de l'Asie. Voir Edward P. Thompson, « The moral economy of the English crowd in the eighteenth century », Past & Present, no 50, 1971, p. 76-136 ; James C. Scott, The Moral Economy of the Peasant. Rebellion and Subsistence in Southeast Asia, New Haven, Yale University Press, 1976. Sur l'actualité de ce concept, voir Didier Fassin et Jean-Sébastien Eideliman (dir.), Économies morales contemporaines, Paris, La Découverte, 2012 ; Paul Gilroy, Darker than Blue. On the Moral Economies of Black Atlantic Culture, Cambridge, Harvard University Press, 2010.
  • [38]
    Qui, lors de sa conférence de 1978 à la Société française de philosophie, définit la critique précisément comme « l'art de n'être pas tellement gouverné » ; Michel Foucault, « Qu'est-ce que la critique ? », art. cité, p. 37.
  • [39]
    Voir James C. Scott, Zomia ou l'art de ne pas être gouverné, trad. fr. Nicolas Guilhot, Frédéric Joly et Olivier Ruchet, Paris, Seuil, 2013 [2009].
  • [40]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 159.
  • [41]
    Orazio Irrera, « La verità come forza. Dir-vero, potere e soggettività nell'ultimo Foucault », in Laura Cremonesi et al. (dir.), Foucault e le genealogie del dir-vero, Naples, Cronopio, 2014, p. 33-57 ; Daniele Lorenzini, La Force du vrai. De Foucault à Austin, Lormont, Le Bord de l'eau, 2017.
  • [42]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 284.
  • [43]
    Michel Foucault, « La parrêsia », in Michel Foucault, Discours et Vérité, op. cit., p. 54.
  • [44]
    Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, op. cit., p. 64.
  • [45]
    Daniele Lorenzini, « Performative, passionate, and parrhesiastic utterance. On Cavell, Foucault, and truth as an ethical force », Critical Inquiry, vol. 41, no 2, 2015, p. 254-268.
  • [46]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 237-238.
  • [47]
    Ibid., p. 238.
  • [48]
    Ibid., p. 239.
  • [49]
    Ibid., p. 236-237.
  • [50]
    Ibid., p. 139.
  • [51]
    Max Weber, Sociologie de la religion, trad. fr. Isabelle Kalinowski, Paris, Flammarion, 2006 [2001], p. 126.
  • [52]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 220.
  • [53]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 161 et 165.
  • [54]
    Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, trad. fr. Isabelle Kolitcheff, Paris, Seuil, 1970 [1929]. La notion de « dialogisme » désigne la forme de l'interaction entre le discours du narrateur principal et les discours d'autres personnages, ou entre deux discours internes d'un personnage.
  • [55]
    Voir Orazio Irrera, « Satyagraha. Une alèthurgie décoloniale face au gouvernement colonial des vivants », in Daniele Lorenzini, Ariane Revel et Arianna Sforzini (dir.), Michel Foucault : éthique et vérité (1980-1984), Paris, Vrin, 2013, p. 199-216.
  • [56]
    Orazio Irrera, « Parr¯esia ed exemplum. La parr¯esia e i regimi aleturgici dell'exemplum a partire da L'ermeneutica del soggetto di Michel Foucault », Nóema, vol. 4, no 1, 2013, p. 11-31.
  • [57]
    Pour la distinction entre « copier » et « apprendre » dans le cadre d'une discussion sur l'improvisation et l'exemplarité en jazz, voir Arnold I. Davidson, « Exercices spirituels, improvisation et perfectionnisme moral. À propos de Sonny Rollins », in Daniele Lorenzini et Ariane Revel (dir.), Le Travail de la littérature. Usages du littéraire en philosophie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 236.
  • [58]
    Michel Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 95.

Introduction

1Cet article entend montrer que l'idée foucaldienne d'étudier le pouvoir à partir de ses « points de non-acceptation [1] » peut être fructueusement mise en relation avec la perspective de James C. Scott sur les « arts de la résistance [2] ». Pour Foucault comme pour Scott, en effet, la domination n'est jamais (ou n'est que très rarement) absolue, car elle implique dans la plupart des cas la possibilité d'altérer les rapports de force et d'échapper à une situation stratégique où les relations de pouvoir entre les individus seraient figées [3]. L'analyse par Scott des discours, des pratiques et des gestes qui, à l'abri du regard et du contrôle des dominants, ouvrent des espaces relativement autonomes de contestation du pouvoir, ne peut que faire écho, de ce point de vue, à la généalogie d'une attitude critique en tant qu'« art de l'inservitude volontaire [et] de l'indocilité réfléchie » telle que Foucault l'entend [4]. Certes, à la différence de Foucault, Scott se concentre davantage sur des domaines tels que l'esclavage, la féodalité, la colonisation et les systèmes des castes, sans prendre en considération ce qu'il y a de spécifique dans les rapports de pouvoir au sein des démocraties libérales. C'est sans doute en raison de cela que, loin de souscrire aveuglément à la légitimité d'un pouvoir en mesure d'exercer une hégémonie culturelle ou de pousser les individus à « incorporer » des dispositions cognitives et pratiques les amenant à accepter l'ordre des choses (selon des perspectives que l'on retrouve, entre autres, chez Max Weber, Antonio Gramsci ou Pierre Bourdieu), ceux qui sont dits « dominés » gardent en réalité, d'après Scott, une certaine capacité de contestation quotidienne de l'existant.

2Dans la perspective de Scott, le déséquilibre des rapports de force entre dominants et dominés empêche des stratégies de résistance qui passeraient par un affrontement direct et ne laisse aux dominés que la possibilité de mettre en scène des performances publiques théâtralisant des discours et des pratiques conformes aux attentes des dominants. Mais derrière l'apparente adhésion à ce « texte public », les dominés élaborent un « texte caché » qui consiste « en des propos, des gestes et des pratiques qui confirment, contredisent ou infléchissent, hors de la scène, ce qui transparaissait dans le texte public [5] ». Le texte public et le texte caché ne constituent pourtant que deux des « quatre variétés de discours politique parmi les groupes dominés [6] ». Entre ces deux types de discours se situe, d'après Scott, une troisième forme qui correspond à une « politique du déguisement et de l'anonymat », dont les stratégies se déroulent publiquement mais de façon dissimulée, « soit à l'aide d'un double sens, soit en masquant l'identité des acteurs ». L'ensemble de ces « pratiques non hégémoniques des populations assujetties » est désigné par Scott comme l'« infrapolitique des groupes dominés », une « grande variété de formes discrètes de résistance qui n'osent pas dire leur nom [7] ». Enfin, une quatrième forme de discours politique chez les dominés est celle qui, dans des moments de courage ou d'exaltation, opère « la rupture du cordon sanitaire séparant le texte caché du texte public » et permet ainsi l'ouverture d'une brèche politique dans les rapports de domination [8].

3Ce dernier type de discours qui permet de poser la question, cruciale à nos yeux, de la prise de parole qui, dans les cas étudiés par Scott, renvoie à la déclaration publique du texte caché et implique donc la sortie de l'anonymat propre à l'infrapolitique. Comme on le verra, le statut de ces moments « éruptifs » est celui de l'événement, car non seulement ils ont lieu, mais qu'ils donnent lieu aussi, de manière irrévocable et irréversible, à quelque chose de qualitativement différent par rapport à la configuration précédente des rapports de pouvoir. Par le biais de cette forme spécifique de prise de parole, les dominés cessent de dissimuler stratégiquement leur consentement envers les dominants, et les « apparences hégémoniques du pouvoir », telles que les nomme Scott [9], cessent ainsi d'être reproduites.

4La prise de parole constitue le terrain principal sur lequel l'idée d'infrapolitique, telle que Scott l'a formulée dans ses travaux, et la notion de parrêsia, qui est au c ur des derniers cours de Foucault au Collège de France, peuvent se rencontrer et être mises en rapport. La première trouve en effet dans la prise de parole sa limite extrême, car celle-ci marque le passage irréversible de l'infrapolitique à la déclaration publique du texte caché ainsi qu'à la scène d'insoumission correspondante. La parrêsia, quant à elle, ne prend forme qu'à travers une prise de parole (ou une attitude corporelle dotée de valeur expressive) à partir de laquelle se déclenche une série d'effets éthico-politiques. Les approches de Scott et de Foucault soulèvent donc, toutes les deux, le problème de la résistance au pouvoir ; elles sont pourtant très différentes l'une de l'autre, car si, chez Scott, la résistance fait référence à un ensemble de pratiques, d'attitudes et de discours mis en place de façon déguisée et, pour ainsi dire, en coulisse par rapport à une scène de domination, dans la tentative d'éviter toute confrontation directe avec les dominants, Foucault thématise en revanche la scène de l'affrontement ouvert et direct entre le parrèsiaste et le(s) puissant(s).

5L'objectif de cet article est de faire dialoguer ces deux perspectives en plaçant au centre de l'analyse le problème de la prise de parole, de ses conditions et de ses effets éthico-politiques. Après avoir illustré la manière dont Scott décrit le passage de l'infrapolitique à la déclaration publique du texte caché, nous mettrons en parallèle les travaux de Scott et de Foucault en posant trois questions majeures : la première porte sur les manières dont la prise de parole peut (et vise à) tester les limites d'une configuration donnée de rapports de pouvoir ; la deuxième concerne la dimension (éthique) du courage qui est inscrite au c ur de la prise de parole ; la troisième se focalise sur l'exigence de se référer, dans ce contexte, à quelque chose comme une « vérité ». Nous explorerons enfin la possibilité d'articuler l'une à l'autre les perspectives ­ apparemment très différentes ­ de Scott et de Foucault, à partir de la prise en compte des « discontinuités éthico-politiques » qui nous semblent inscrites au c ur de l'infrapolitique aussi bien que de la scène parrèsiastique.

Du texte caché à la prise de parole

6Chez Scott, les mécanismes de formation du texte caché semblent reposer sur deux types principaux de conditions de possibilité. D'une part, des conditions génératrices, c'est-à-dire les conditions d'émergence du texte caché ; d'autre part, des conditions-limites, c'est-à-dire les conditions qui tracent les frontières à l'intérieur desquelles seulement il est possible de parler d'un texte caché.

7À propos des premières, Scott soutient que la cohésion et la mobilisation du texte caché découlent d'une sorte de « communauté de destin » où un rôle important est joué par un certain danger physique auquel les individus sont tous plus ou moins également exposés, et donc par un degré assez élevé de camaraderie et de coopération visant à minimiser les risques. L'émergence d'un texte caché unitaire est notamment rendue possible par un isolement relatif de la communauté, dont la différenciation interne ne doit pas être trop significative, ainsi que par la création de plusieurs sites sociaux où le texte caché peut être matériellement produit et mis en jeu [10].

8Quant aux conditions-limites, c'est par rapport aux trois formes de domination qu'il envisage ­ domination « matérielle », domination « statutaire » et domination « idéologique [11] » ­ que Scott aborde la question des limites du texte caché et pose le problème du passage d'un ensemble de pratiques déguisées à la déclaration publique du texte caché où peut avoir lieu quelque chose comme une prise de parole [12]. Premièrement, en ce qui concerne la domination matérielle, le texte caché prend forme dans des modalités de résistance quotidiennes (comme le braconnage, la désertion, l'évasion, le « tirage au flanc ») ainsi que dans des pratiques mises en place par des résistants déguisés (comme dans le cas des appropriations masquées et des menaces anonymes). L'éventuel passage de ce niveau infrapolitique à une dimension « publique » devra donc s'opérer à travers l'élaboration d'une série de pratiques de résistance différentes, comprenant pétitions, manifestations, boycotts, grèves, occupations de terres, révoltes ouvertes [13]. Deuxièmement, à propos de la domination statutaire, le texte caché est marqué par la colère, la volonté d'agression et la mise en place d'un discours de dignité (songeons aux différents rituels d'agression, aux contes populaires de revanche ­ symbolisme de carnaval, ragots, rumeurs, etc. ­ ou encore à la création d'un espace social autonome pour l'affirmation de la dignité des opprimés). De ces pratiques infrapolitiques, on passe à l'affirmation publique d'une revendication de dignité par des prises de parole, des manières de s'habiller, des gestes ouverts ou par la profanation des symboles du statut des dominants [14]. Enfin, troisièmement, si la domination idéologique est contestée de façon dissimulée par des subcultures dissidentes (les religions millénaristes et populaires, les alcôves des soupirs, le mythe du banditisme social et des héros de classe, etc.), une contestation publique devra plutôt passer par l'élaboration de « contre-idéologies » prônant, de manière manifeste, l'égalité ou la révolution et niant en tout cas l'idéologie dominante.

9On voit bien que des formes différentes de prise de parole sont au centre de ces trois passages de l'infrapolitique à la déclaration publique du texte caché. Et s'il n'existe aucune téléologie, aucune nécessité interne en vertu de laquelle ces passages sont censés s'effectuer, il convient pourtant de remarquer qu'à maintes reprises Scott affirme que le texte caché exerce une « pression » continue sur le régime de domination, analogue à la pression que l'eau exerce sur un barrage [15]. C'est précisément à partir de là qu'il devient possible de tracer des lignes de comparaison avec les recherches de Foucault sur la parrêsia. En effet, c'est en examinant ces conditions-limites et ces passages (éventuels) de l'infrapolitique à sa manifestation publique que Scott s'arrête sur les trois points de problématisation que nous avons évoqués plus haut ­ et qui s'avèrent cruciaux pour Foucault aussi.

10Il faut cependant préciser que, chez Foucault, le problème n'est jamais exactement celui de la « domination » dans le sens que Scott donne à ce terme, même s'il n'est sans doute pas impossible de tracer des liens entre les rapports de pouvoir qui caractérisent les scènes parrèsiastiques dont parle Foucault et les formes de domination analysées par Scott. En tout cas, notre thèse est que ces deux perspectives trouvent un terrain commun de dialogue et de confrontation plutôt dans la question du risque d'écrasement auquel est confrontée la vie de celui ou de ceux qui s'opposent à une certaine forme de domination ou qui essaient de transformer une configuration donnée de rapports de force. C'est cette mise en danger de sa propre vie par le biais d'une prise de parole contestant ouvertement un pouvoir en place qui définit le cadre à l'intérieur duquel devient possible une comparaison entre la parrêsia et l'infrapolitique ou, mieux, entre la parrêsia et ce « moment-limite » de l'infrapolitique où celle-ci prend la forme d'une déclaration publique du texte caché.

Tester les limites du pouvoir

11Dans un passage fort intéressant de son ouvrage, La Domination et les arts de la résistance, Scott se demande, à l'instar de Barrington Moore, sous quelles conditions l'opposition idéologique voilée et la résistance matérielle discrète osent sortir à découvert et parler publiquement. Comme dans le modèle de la guérilla, entre dominants et dominés :

12

chacun cherche constamment à tester l'équilibre en place. Un côté fait une ouverture pour voir si elle est acceptée ou attaquée en retour et, dans ce second cas, avec quelle intensité. C'est dans ce no man's land de feintes, de petites attaques, de sondages visant à trouver les faiblesses de l'autre, plutôt que lors des rares assauts frontaux, que s'incarne le champ de bataille habituel. Les avancées qui réussissent (...) ont de grandes chances de susciter d'autres avancées plus nombreuses et plus audacieuses, à moins qu'une réponse décisive ne vienne les stopper [16].

13À ce propos, Scott utilise la métaphore hydraulique de la pression de l'eau sur le barrage, en ajoutant pourtant que le processus par lequel la limite est testée implique des variations de pression en fonction, d'une part, du degré de colère partagée et d'indignation ressentie par les dominés et, d'autre part, du degré de danger que ces derniers perçoivent dans la réponse possible des dominants.

14Ici, tester les limites du pouvoir signifie donc tester la capacité de réponse des dominants, leur capacité stratégique de réaction. Ce « test » présuppose l'émergence d'un ensemble de pratiques de résistance partagées, c'est-à-dire de pratiques qui sont exercées non seulement par des individus isolés, mais aussi par un sujet collectif, et qui témoignent d'une « solidité sociologique » : même si les acteurs singuliers qui les exercent sont différents, le simple fait de mettre en acte une de ces pratiques permet d'engendrer un sens de la communauté. En tout cas, tester les limites du pouvoir n'est possible que sur la base de l'existence d'un texte caché socialement partagé et d'un risque auquel on accepte de s'exposer lorsque le degré d'indignation et de colère des dominés dépasse un certain seuil.

15Tester l'équilibre en place, mettre à l'épreuve le « seuil de tolérance » des puissants, est aussi caractéristique d'une des formes de la parrêsia étudiées par Foucault. Dans le « dialogue provocateur » entre Diogène de Sinope et Alexandre le Grand [17], le jeu parrèsiastique se déroule très précisément comme une guérilla : Diogène joue avec la fierté d'Alexandre, il la blesse constamment et conduit ainsi son interlocuteur aux limites du « pacte parrèsiastique [18] ». Mais quand le dialogue en arrive au point où Alexandre se met en colère et est tout près de s'en aller ou de brutaliser Diogène, ce dernier met en œuvre des stratégies qui lui permettent de ramener Alexandre dans le jeu. Le dialogue cynique ressemble donc beaucoup « à un combat, à une guerre, avec des pics de grande agressivité et quelques moments d'apaisement, d'échanges aimables, qui sont bien entendu des pièges pour l'interlocuteur [19] ». C'est une guérilla où le parrèsiaste pousse constamment son interlocuteur à ses limites, puis le ramène dans le jeu, mais seulement pour pouvoir ensuite tester de manière encore plus audacieuse son seuil de tolérance.

16Le dialogue provocateur cynique n'est pourtant pas la seule forme de parrêsia que Foucault étudie, ni sans doute la principale. D'une part, il convient de rappeler que la scène que Foucault lui-même considère comme « exemplaire » de ce qu'est la parrêsia est celle de l'affrontement de Platon et de Denys, le tyran de Syracuse [20] : un homme « se dresse en face d'un tyran et lui dit la vérité [21] ». Ici, comme dans le cas de Diogène et d'Alexandre, le parrèsiaste s'adresse au puissant pour mettre en discussion ses opinions, sa conduite, sa manière d'exercer le pouvoir ; il s'agit donc toujours, en un sens, de tester son seuil de tolérance et sa capacité de réaction aux critiques. Cependant, le jeu de Platon, plutôt qu'à une guérilla, ressemble à un « assaut frontal » : Platon, en effet, ne met en place aucune ruse pour ramener Denys dans le jeu, mais lui dit la vérité purement et simplement, et cela jusqu'au bout. D'autre part, il faut également souligner que le parrèsiaste ne s'adresse pas qu'aux puissants : très souvent, son discours est adressé à des individus « ordinaires », soit individuellement (c'est par exemple le cas de la direction de conscience), soit collectivement (comme dans la diatribe cynique). Ainsi, le parrèsiaste teste les limites du pouvoir non seulement du côté des puissants, mais aussi du côté des gens ordinaires, en mettant en question les effets du pouvoir sur leurs vies, leurs opinions, leurs habitudes et leurs manières d'envisager des formes d'existence collective.

17Enfin, si la prise de parole du parrèsiaste n'exclut pas a priori l'existence d'un texte caché, elle ne dépend pourtant pas de celui-ci dans sa capacité de tester les limites du pouvoir. Au contraire, il est possible d'affirmer que la parrêsia possède une valeur critique précisément parce qu'elle constitue une rupture par rapport à tout ce qui est communément accepté, aussi bien par les dominants que par les dominés. Par ailleurs, le parrèsiaste n'agit jamais sous l'impulsion de la colère ou de l'indignation, et l'espace de risque indéfini qu'il ouvre pour lui-même en prenant la parole n'entre d'habitude pas dans ses considérations « stratégiques » : son action est inconditionnée et découle directement de son choix de vie et du travail éthico-politique qu'il a effectué pour se constituer en tant que parrèsiaste.

Manifester son courage

18En analysant le passage de l'infrapolitique à la déclaration publique du texte caché, Scott soulève la question du courage, qui s'avère fondamentale aussi chez Foucault. Par rapport au texte caché, le courage trace d'après Scott tantôt une ligne de continuité quant à son origine, tantôt un point irréversible de saturation quant aux conséquences de sa manifestation. Scott soutient en effet qu'il y a deux genres de causes susceptibles de provoquer des « infiltrations » en mesure de causer la rupture complète du barrage : d'une part, l'affaiblissement de la réponse des dominants à la pression exercée continuellement par le texte caché (ce qui comporte, bien entendu, une diminution du risque perçu par les dominés) ; d'autre part, l'augmentation des appropriations ou des outrages auxquels ces derniers sont soumis. Pourtant, quelle que soit sa cause, l'acte courageux marque le moment du franchissement de la limite ­ songeons aux exemples cités par Scott lui-même : Madame Poyser, un personnage du roman Adam Bede de George Eliot, qui « risque de perdre un métayage en confrontant le châtelain et en se faisant la porte-parole de la plus grande partie de sa paroisse [22] », ou Ricardo Lagos qui, lors d'une apparition à la télévision chilienne, attaque directement Pinochet et son régime [23]. Ces prises de parole témoignent d'un refus de reproduire les apparences hégémoniques du pouvoir et, en se manifestant comme des actes d'insubordination explicite, « remet[tent] nécessairement en question tous les autres actes induits par cette forme de domination [24] ». En d'autres termes, elles percent la surface lisse du consentement apparent et placent sous les yeux de tous le tissu des relations de pouvoir qui soutiennent une situation spécifique de domination.

19Cette manifestation de courage est, d'un point de vue « subjectif », mélangée à d'autres sentiments. Premièrement, il y a la peur des conséquences de sa propre action, car on est souvent bien conscient que la nouvelle situation inaugurée par une telle prise de parole ne permet aucun retour en arrière [25]. Deuxièmement, il y a un sentiment de satisfaction, car comme l'affirme Scott le courage est lié à une « affirmation de soi » qui marque et (re)structure en profondeur la subjectivité de celui qui s'est rebellé. Plus précisément, une triple rupture du sujet se produit, à la fois par rapport à sa manière de voir les choses (son rapport au monde), aux relations de pouvoir en place et au rapport qu'il entretient avec lui-même [26]. Troisièmement, le courage s'associe à la colère et à l'indignation qui font de sa manifestation quelque chose d'explosif, troublant les facultés délibératives jusqu'au point d'arriver, éventuellement, à l'éclat d'une violence aveugle. Mais il convient de souligner que, d'après Scott, les phases qui précèdent cette hardiesse incontrôlée, c'est-à-dire la dimension de l'infrapolitique où une série d'actes délibérés et déguisés assemblent lentement un texte caché, sont par contre toujours caractérisées par des stratégies et des calculs conscients [27].

20La parrêsia implique, elle aussi, une manifestation de courage : c'est « le courage de dire la vérité en dépit du danger [28] ». Le courage constitue donc, plus précisément, une des conditions fondamentales de l'« alèthurgie [29] » parrèsiastique : le parrèsiaste n'est capable de faire apparaître la vérité que « dans la mesure où il est courageux, courageux dans ses paroles, courageux aussi dans sa vie [30] ». Cependant, la prise de parole courageuse du parrèsiaste n'est pas un éclat explosif qui crée une rupture par rapport à l'état des choses précédent ; au contraire, Foucault souligne plusieurs fois ­ et notamment dans ses analyses du Lachès platonicien ­ que le discours du parrèsiaste, son logos, s'inscrit dans une continuité et dans une « harmonie » parfaites avec son bios, sa conduite, sa manière d'être et de vivre [31].

21Ainsi, dans le cas du parrèsiaste, le courage est une qualité éthique profondément enracinée dans un style de vie et dans un mode d'être qui sont le résultat d'un travail permanent de soi sur soi, d'une élaboration constante visant à éliminer tous les obstacles susceptibles d'empêcher la manifestation de ce courage au moment de la prise de parole. Le courage dont fait preuve le parrèsiaste n'est pas mélangé à des sentiments « négatifs » tels que la peur, la colère ou l'indignation, et même si la parrêsia produit des « effets de retour » sur celui qui en fait usage [32], ces effets ne sont pas de l'ordre de la rupture, mais de l'intensification d'une certaine structuration éthique qui avait déjà été l'objet du travail « éthopoiétique [33] » du parrèsiaste. Surtout, dans la parrêsia, la manifestation publique de courage n'est pas liée à une prise de parole qui surgit de façon ponctuelle et irréfléchie, mais à un discours qui s'enracine dans une manière de vivre faisant de la critique et de la contestation stratégiquement réfléchies ses raisons d'être.

22Le bios kunikos, la vie scandaleusement publique et animale des cyniques, constitue bien entendu l'exemple principal, mais aussi la limite et le point de basculement, des traits que l'on vient d'évoquer. Si le parrèsiaste cynique accepte d'affronter un « danger permanent » pour dire la vérité, en faisant ainsi preuve de courage [34], il convient d'observer que ce courage possède une signification spécifique. La « vie indifférente » (adiaphoros bios) du cynique s'inscrit bien sûr dans la « ligne commune » à la « stylistique de l'indépendance, de l'autosuffisance, de l'autarcie » que l'on trouve chez les épicuriens et les stoïciens, mais elle radicalise et transfigure ces thèmes par « une dramatisation matérielle, physique, corporelle du principe de la vie sans mélange ni dépendance [35] ». Bref, pour le cynique, le déshonneur, l'humiliation, l'exil ne sont pas des maux, mais sont réellement des choses indifférentes ; le plus souvent, ils sont même recherchés et revendiqués en tant qu'épreuves de sa souveraineté et de son autarcie parfaites. La mort, elle aussi, n'est pas un mal, dans la mesure où elle n'ébranle pas le noyau fondamental de liberté du philosophe cynique. C'est pourquoi, de notre point de vue, il est légitime d'affirmer que le cynique, en se conduisant comme il le fait, ouvre un espace de risque indéterminé et témoigne ainsi d'un grand courage ; cependant, du point de vue du cynique lui-même, il serait sans doute plus correct d'affirmer qu'en réalité il ne « risque » rien et que, plutôt que de courage, il fait preuve d'une autarcie absolue.

Dire la vérité

23La prise de parole courageuse qui interrompt le théâtre public de la domination est envisagée de manière différente par Scott et par Foucault dans son rapport à la question de la vérité. Scott est d'abord très prudent :

24

Nous avons ici expressément évité d'employer le terme de vérité pour décrire le texte caché, mais il apparaît clairement que la déclaration ouverte du texte caché à la face du pouvoir est le plus souvent ressentie, à la fois par celui ou celle qui parle et par ceux qui partagent leur condition, comme un moment lors duquel la vérité succède finalement aux mensonges et aux équivoques. Si une conception postmoderne du caractère ténu de toute prétention à la vérité nous met en garde contre l'utilisation abusive du terme, on ne doit toutefois certainement pas s'empêcher de reconnaître (...) que ceux qui osent faire ce pas le vivent comme un moment de vérité et d'affirmation de soi [36].

25Dans ce contexte, on est donc bien loin d'une conception « épistémologique » de la vérité : l'appel à la vérité se présente ici plutôt comme le démasquage des apparences que les rituels hégémoniques du pouvoir cherchent à reproduire dans le quotidien de la vie des hommes et des femmes. L'acte courageux d'insubordination qui conduit à la déclaration du texte caché fait ainsi apparaître publiquement la configuration des relations de pouvoir qu'il conteste, et c'est en ce sens que, d'après Scott, on peut parler d'un appel à la vérité. Cette dernière, étant strictement liée au réseau du texte caché, est d'ailleurs une vérité largement partagée par les dominés et cela, même avant sa déclaration publique.

26Le rapport du texte caché avec une conception plus « affirmative » de la vérité reste en revanche beaucoup plus nuancé dans La Domination et les arts de la résistance. Peut-on dire que la prétention à la vérité véhiculée par la déclaration et l'émergence du texte caché est aussi liée à une manière de vivre, à une modalité politique d'autogouvernement, à une forme précise que l'on souhaite donner à sa propre existence individuelle et collective ? Les discours, les attitudes et les pratiques qui, au niveau de l'infrapolitique, font face aux différentes formes de domination ont parfois tendance à se cristalliser dans des coutumes, de sorte qu'à la rigueur on pourrait parler de la constitution d'un mode de vie déterminé prenant la forme d'une « économie morale [37] ». Reste pourtant ouverte la question de savoir si cet ensemble de discours, d'attitudes et de pratiques peut constituer une forme de vie alternative à la vie sous la domination. Dans son ouvrage, Zomia ou l'art de ne pas être gouverné, Scott ­ dans le sillage de Pierre Clastres, mais utilisant un titre explicitement inspiré de Foucault [38] ­ étudie des sociétés tribales du sud-est de l'Asie qui se sont toujours soustraites aux processus d'incorporation étatique ou impériale, s'autogouvernant sans un véritable appareil d'État. Il s'agit d'exemples qui semblent aller au-delà du simple refus des individus d'être gouvernés ainsi, car dans ces cas les individus revendiquent le droit de se gouverner eux-mêmes d'une manière librement choisie, hors de tout assujettissement étatique et de toute rationalité gouvernementale [39].

27Or, comme on l'a déjà souligné, dans et à travers la parrêsia se produit une manifestation de la vérité ­ ce que Foucault appelle une « alèthurgie [40] ». Pourtant, dans ce cas aussi, il convient d'éviter toute tentation d'interpréter cette thèse à l'aune d'une conception épistémologique de la vérité [41]. La vérité que le parrèsiaste manifeste est liée au démasquage et à la contestation des relations de pouvoir en place, mais elle met également en discussion les opinions et les conventions répandues dans la polis et surtout ne se contente jamais de la simple critique, du simple refus : le parrèsiaste, « statue visible de la vérité » qu'il énonce [42], manifeste dans son corps, dans sa conduite et dans sa manière de vivre tout entière une alternative concrète et tangible aux opinions et aux attitudes qu'il dénonce chez les autres.

28Le parrèsiaste, en effet, ne « croit » pas seulement à la vérité de son discours, mais dans l'acte verbal de l'énoncer ­ et de l'énoncer courageusement, puisqu'il sait qu'en l'énonçant il ouvrira pour lui-même un espace de risque indéfini ­ il se lie à la vérité qu'il lui attribue sous un mode qui n'est pas simplement « théorique » mais aussi et avant tout « pratique » : le parrèsiaste manifeste la vérité de ses mots dans et à travers son êthos, sa manière de se conduire et de vivre. En d'autres termes, il « dit ce qu'il pense non pas en ce sens qu'il dirait quelles sont les opinions qu'il a, non pas en ce sens qu'il dirait ce qu'il croit vrai, mais en disant ce qu'il aime, c'est-à-dire en montrant quel est son propre choix, sa proairesis[43] ». Le parrèsiaste s'implique donc dans la vérité qu'il énonce, et il le fait non seulement en risquant sa propre vie afin de dire ce qu'il pense, mais aussi en montrant l'« harmonie » parfaite qui existe entre son logos et son bios, c'est-à-dire entre ce qu'il pense et ce qu'il dit et, en même temps, entre ce qu'il dit et sa manière de se conduire et de vivre.

29La force et l'efficacité politiques de la critique formulée par le parrèsiaste s'appuient donc de manière cruciale sur le travail éthique de soi sur soi que ce dernier ne cesse d'accomplir pour façonner son bios et en faire le théâtre d'une alèthurgie. Ainsi, si chez Scott le statut socialement partagé de la vérité donne à toute personne participant au même texte caché la possibilité de prendre la parole et d'effectuer un acte d'insubordination, chez Foucault, au contraire, les conditions d'émergence de la parole du parrèsiaste sont étroitement liées à un travail éthique de constitution de soi qui demeure très difficile et rare. Lorsqu'il prend la parole sur la scène publique, le parrèsiaste offre pourtant son discours et sa conduite comme points d'appui et de référence pour ceux qui visent, comme lui, un ordre éthique et politique autre. À ce propos, il faut préciser que la prise de parole parrèsiastique ne requiert pas seulement une certaine « constitution éthique » du locuteur, mais contribue aussi à la produire car, en prononçant son discours, le parrèsiaste se lie en même temps et par là même à ce discours en affirmant publiquement : « Je suis celui qui a dit cette vérité. » C'est pourquoi, même si Foucault présente la parrêsia comme une éthique ­ « l'éthique du dire-vrai, dans son acte risqué et libre [44] » ­, il est légitime de considérer la vérité qui est en jeu dans la parrêsia comme une force éthico-politique s'inscrivant de manière stratégique dans un champ de bataille et visant la transformation de la société telle qu'elle est en une société autre [45].

L'hétérogénéité du texte caché

30Serait-il tout de même possible, quoique sur fond des différences que nous avons mises en lumière, d'articuler l'une à l'autre les perspectives de Scott et de Foucault au sein d'une stratégie analytique commune, et notamment d'une méthode généalogique en mesure d'aborder le problème de la relation entre prise de parole individuelle et pratiques collectives de résistance ?

31D'après Scott, comme on l'a déjà souligné, la prise de parole d'une Mme Poyser ou d'un Ricardo Lagos n'ajoute rien à ce qui circulait déjà dans le texte caché, sauf bien entendu le « courage personnel » qui leur a permis de prononcer leur discours « à la face du pouvoir [46] ». En même temps, la vérité manifestée dans et par le refus de reproduire les apparences hégémoniques de la domination ne se limite pas à un acte de démasquage et de dénonciation, mais entre en résonance avec les autres dominés et permet ainsi une reconnaissance mutuelle : celui qui prend la parole pour énoncer le texte caché parle véritablement au nom des autres. Le lien entre le courage personnel qui soutient la déclaration du texte caché et la reconnaissance mutuelle que cette déclaration permet est désigné par Scott à travers la notion de « charisme », qui n'est pas ici une qualité individuelle et magnétique dotée d'un pouvoir manipulatoire, mais une caractéristique relationnelle : « [Q]uelqu'un “a du charisme” seulement dans la mesure où d'autres le lui confèrent : c'est l'attribution, par eux, du charisme, qui fonde la relation [47]. » D'ailleurs, le rôle charismatique de celui qui prend la parole est, du moins virtuellement, interchangeable : « Pratiquement tous les membres du groupe dominé auraient pu se substituer à Mme Poyser [48]. »

32Cependant, cette interchangeabilité de la position de chaque dominé et cette mutualité instantanée qui permet de ne pas avoir de leaders (et que Scott décrit en faisant référence à la notion sartrienne de « groupe inaliéné en fusion ») ne semblent concerner que les moments initiaux de l'« éruption » que la déclaration du texte caché est susceptible de provoquer. Dès que l'effet euphorique de l'insubordination généralisée commence à s'épuiser, la composition du groupe des dominés ­ malgré une certaine « solidité sociologique » assurée par le texte cache ­ témoigne en effet d'une hétérogénéité que Scott tend à négliger. Cette hétérogénéité relève d'un ordre multiple de raisons : à l'intérieur de tout groupe de dominés, il y a une stratification de plusieurs couches ainsi que des différences d'intérêts dues au genre, à l'âge, au statut social, à l'expérience individuelle, et enfin une manière de pratiquer la résistance infrapolitique qui est très variée quant au degré, à l'intensité et à la fréquence. Une telle hétérogénéité mérite à nos yeux d'être interrogée à trois niveaux.

33Premièrement, après la déclaration du texte caché et les premiers moments de « fusion », on observe généralement la formation de certaines lignes d'influence et l'émergence de leaders : les insurgés, en effet, cherchent le plus souvent une source d'identification, un point d'orientation sinon éthico-politique du moins symbolique ou religieux, soit dans l'histoire « cachée » qui a précédé l'interruption de la domination, soit dans l'histoire plus récente de l'insurrection en tant que telle. Or, ce n'est qu'en tenant compte des discontinuités éthico-politiques qui caractérisent la sédimentation et la diffusion du texte caché que l'on peut aborder de façon critique la délicate question de la différence entre les déclarations du texte caché qui, en s'appuyant sur des stéréotypes fondés sur l'opposition entre un « nous » et un « eux », propagent une violence parfois aveugle et celles qui, au contraire, détournent la violence initiale jusqu'au point de la traduire dans des formes d'action non violente.

34Deuxièmement, il convient d'observer que l'hétérogénéité que nous avons évoquée travaille le texte caché même avant sa déclaration publique. Dans un passage très important de son ouvrage, La Domination et les arts de la résistance, Scott met en garde le lecteur contre la tentation d'interpréter de manière trop mécanique et simpliste la métaphore de l'eau et du barrage. Il précise alors que les variables susceptibles de causer une augmentation de la pression exercée par le texte caché ne doivent pas être considérées comme des faits « objectifs », mais comme des faits sociaux souvent marqués par une certaine ambiguïté et pouvant donc être interprétés différemment par chaque individu [49]. Cela signifie que la scène où se déroule le jeu des interprétations est caractérisée par une hétérogénéité irréductible. C'est pourquoi il est crucial d'interroger les critères de ce régime interprétatif et les raisons qui font que certaines interprétations gagnent de l'influence et se répandent jusqu'à devenir largement acceptées. Mais si l'on se borne à une description des discours et des pratiques du texte caché, on ne peut pas rendre pleinement compte de l'hétérogénéité qui le traverse et du degré de contingence qui marque le passage du texte caché à sa déclaration publique.

35Enfin, troisièmement, lors de la création et de la propagation du texte caché (un moment encore antérieur à la scène du jeu des interprétations), Scott souligne le rôle que jouent certains agents dans l'émergence d'une résistance infrapolitique, et notamment dans l'élaboration d'une subculture dissidente. Ces agents sont caractérisés par leur position socialement marginale par rapport aux autres groupes de dominés et par leur être itinérants : non seulement « acteurs, acrobates, bardes, jongleurs, devins et amuseurs itinérants », mais aussi « compagnons, artisans en tournée, rétameurs ambulants, colporteurs, cordonniers, petits négociants, vagabonds, guérisseurs, tatoueurs », et enfin l'« hétérodoxie religieuse » et l'« hérésie », qui incluent « les membres renégats du bas clergé, les prophètes autoproclamés, les sectes et ordres monastiques marginaux, les mendiants, etc. [50] ». Scott s'appuie ici sur un passage de la Sociologie de la religion de Max Weber :

36

Des groupes placés en bas voire en dehors de la hiérarchie sociale se situent en quelque sorte sur le point d'Archimède par rapport aux conventions sociales, à la fois vis-à-vis de l'ordre extérieur et des opinions communément partagées. Dans la mesure où ces groupes ne sont pas liés par des conventions sociales, ils sont capables d'arborer une attitude originale vis-à-vis du sens du cosmos [51].

37C'est à ce niveau que la généalogie du texte caché et de l'infrapolitique proposée par Scott mériterait d'être combinée avec les analyses foucaldiennes de la parrêsia. On voit bien, en effet, que dans l'hétérogénéité qui caractérise le texte caché ­ malgré son indéniable tendance vers l'homogénéisation ­, il est possible de repérer des discontinuités éthico-politiques sur lesquelles Scott ne s'arrête pas, mais qui jouent une fonction importante dans la production, la diffusion et, éventuellement, la déclaration publique du texte caché.

Une fonction parrèsiastique transhistorique

38En abordant le thème du charisme, Scott soutient que « les actions charismatiques puisent les racines de leur force sociale dans le texte caché du groupe dominé ». À son avis, « c'est cette généalogie qui rend possibles de tels actes charismatiques et qui nous aide à comprendre comment une percée politique peut parfois se répandre si rapidement que même les élites révolutionnaires s'en trouvent dépassées [52] ». Pourtant, si l'on prend au sérieux les discontinuités éthico-politiques qui peuvent être repérées au sein du texte caché, il semble plus correct de suggérer que, pour établir un texte partagé chez les dominés, la généalogie de l'infrapolitique puise ses racines dans le rapport entre prise de parole (en tant que manifestation courageuse de la vérité) et forme que l'on donne à sa propre existence que Foucault place au c ur de son étude de la parrêsia.

39Certes, le cadre comparatif dans lequel Scott inscrit sa généalogie du texte caché est très large, et donc, plutôt que de parler de parrêsia dans l'une des significations spécifiques que ce terme a prises dans l'Antiquité, il serait plus opportun de se référer à une « fonction parrèsiastique » comme catégorie transhistorique ­ de manière analogue à ce que fait Foucault dans la leçon du 29 février 1984 de son cours au Collège de France, Le Courage de la vérité, lorsqu'il parle d'un « cynisme transhistorique [53] ». Il deviendrait ainsi possible d'interroger les manières dont la structuration éthique du bios soutient la manifestation publique et courageuse d'une vérité susceptible de circuler à travers des discours, des attitudes et des pratiques qui visent à troubler ce qui est communément accepté par une communauté. La conduite de ces figures exerçant une fonction parrèsiastique constitue, plus précisément, un « miroir » dans lequel les membres d'une société donnée ont la possibilité de voir réalisées des manières alternatives de structurer leur existence individuelle et collective. Ces conduites autres introduisent des discontinuités capables de faire apparaître des champs inédits de problématisation, en favorisant l'émergence de discours, de pratiques et de gestes susceptibles de se répandre sous forme de texte caché.

40En effet, chez Scott, les discours et les pratiques qui composent le texte caché sont abordés à travers une description de leur morphologie historique, mais dès que l'on pose la question généalogique de leur émergence, le paradigme explicatif devient soit celui ­ impersonnel et anonyme  ­ de la dissémination dialogique de la langue (comme chez Bakhtine [54]), soit celui défini en termes de contraintes sociales et physiques marquant l'espace de la domination. Cela permet à Scott d'expliquer comment un groupe particulier de dominés peut avoir accès à la codification du texte caché, mais l'empêche d'interroger le processus par lequel surgissent et s'affirment un certain discours ou une certaine pratique plutôt que d'autres, les manières spécifiques dont ils sont mis en œuvre, les acteurs qui éventuellement les introduisent pour la première fois au sein d'une situation déterminée de domination, etc. En d'autres termes, Scott ne problématise pas suffisamment l'insertion de ces discours et de ces pratiques au sein d'une manière réfléchie de se conduire visant à se soustraire à la prise du pouvoir. Il ignore également les formes culturellement déterminées du travail éthico-politique qu'il est nécessaire d'accomplir pour concevoir l'insertion stratégique d'un discours ou d'une pratique dans un réseau donné de relations de pouvoir.

41S'il existe une discontinuité entre les discours et les pratiques du texte caché et la structuration générale d'une existence dont l'objectif est de se déprendre du pouvoir, on pourrait alors formuler l'hypothèse qu'un régime de discours et de pratiques a des chances de détourner la domination dans la mesure où, précisément, il permet l'émergence de formes de conduite et de vie qui réduisent asymptotiquement la prise du pouvoir sur les individus. Le corps et la vie deviennent ainsi l'objet d'un travail réflexif et expérimental qui, à travers la mise à l'épreuve continuelle et créative de ses propres limites, vise à se démarquer autant que possible de l'assujettissement. La « réflexivité » qui est ici à l'œuvre est d'ailleurs moins discursive que pratique : comme chez Socrate et, de manière encore plus radicale, chez les cyniques, le bios devient l'objet d'une activité éthopoiétique non pas tant par le biais du logos, mais surtout à travers un travail ascétique de soi sur soi. Ce travail, dans la parrêsia, est entièrement structuré en fonction l'insertion stratégique du bios à l'intérieur du tissu des rapports de pouvoir que le parrèsiaste vise à contester. Par conséquent, la manifestation de vérité qui a lieu dans et par la prise de parole parrèsiastique ouvre, pour tous ceux qui partagent avec le parrèsiaste un même espace public, la possibilité de réfléchir et de travailler à leur tour sur leur rapport avec eux-mêmes et avec les autres, ainsi que sur l'imbrication fondamentale entre le processus de constitution de sa propre subjectivité et la manière dont on est gouverné par les autres ou dont on peut se gouverner soi-même.

42C'est à ce niveau qu'une généalogie de la productivité (à la fois éthique et politique) des pratiques de résistance mériterait d'être retracée, du point de vue philosophique aussi bien qu'ethnographique. Mettre au centre de l'analyse les formes de vie qui ont historiquement émergé de cette imbrication entre gouvernement de soi et gouvernement des autres signifie se concentrer sur les figures qui, sur fond des discontinuités du texte caché, ont modulé de façon toujours spécifique la fonction parrèsiastique. Ces figures ­ comme c'est le cas, pour se limiter à quelques exemples majeurs, de Gandhi, Martin Luther King Jr., Malcolm X, Aung San Suu Kyi ­ offrent aux autres, aux hommes et aux femmes qui font l'expérience de la même configuration de rapports de pouvoir, une sorte de « laboratoire » leur permettant de poser le problème de la forme à donner à leur propre existence individuelle et collective [55].

43Il ne faudrait pourtant pas concevoir ces figures parrèsiastiques comme des « élites » révolutionnaires ou comme des figures « exemplaires » qui pousseraient les autres à les imiter de manière mécanique [56]. Le parrèsiaste n'invente pas une forme de vie que les autres devraient « copier », mais leur permet d'« apprendre [57] » à problématiser leurs rapports à eux-mêmes et aux autres, en les sollicitant sans cesse par son discours et sa conduite dont la portée est toujours critique vis-à-vis des rapports de pouvoir en place mais aussi des opinions et des conventions communément admises. C'est pourquoi la productivité collective des pratiques de résistance au pouvoir nous semble étroitement liée à l'émergence de ces figures parrèsiastiques qui, en vertu de leur exceptionnalité, inscrivent des véritables discontinuités éthico-politiques au sein de la prétendue homogénéité du régime infrapolitique.

44La généalogie des pratiques de résistance du texte caché devrait donc, à nos yeux, être inscrite à l'intérieur d'une étude des configurations historiques du rapport entre prise de parole (en tant que manifestation courageuse de la vérité) et forme que l'on donne à sa propre existence. Il deviendrait ainsi possible de replacer dans une perspective de recherche plus vaste le passage de Surveiller et Punir que Scott cite en exergue du paragraphe de son ouvrage intitulé « Le charisme et la structure du texte caché » :

45

[L]e tort qu'un crime fait au corps social, c'est le désordre qu'il y introduit : le scandale qu'il suscite, l'exemple qu'il donne, l'incitation à recommencer s'il n'est pas puni, la possibilité de généralisation qu'il porte en lui [58].


Date de mise en ligne : 08/01/2018

https://doi.org/10.3917/rai.068.0065

Notes

  • [1]
    Michel Foucault, Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979-1980, édité par Michel Senellart, Paris, Gallimard-Seuil, 2012, p. 78.
  • [2]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, trad. fr. Olivier Ruchet, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1990].
  • [3]
    Voir Michel Foucault, « L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté » (1984), in Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, édités par Daniel Defert et François Ewald, Paris, Gallimard, 2001, p. 1529-1530 ; Michel Foucault, « Interview de Michel Foucault », in Michel Foucault, L'Origine de l'herméneutique de soi. Conférences prononcées à Dartmouth College, 1980, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2013, p. 145-147.
  • [4]
    Michel Foucault, « Qu'est-ce que la critique ? », in Michel Foucault, Qu'est-ce que la critique ?, suivi de La Culture de soi, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2015, p. 39.
  • [5]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 19.
  • [6]
    Ibid., p. 32.
  • [7]
    Ibid., p. 33.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Par là, il entend par exemple le refus de saluer un supérieur et, en général, tout acte qui marque une rupture, concrète ou symbolique, par rapport à la logique et aux attentes du pouvoir dominant : « tout refus public, jeté à la face du pouvoir, de reproduire les mots, les gestes et autres signes d'obéissance normative » ; ibid., p. 220.
  • [10]
    Ibid., p. 150. Scott précise à la p. 135 : « [L]e texte caché sera d'autant moins inhibé lorsque deux conditions seront remplies : d'abord, lorsqu'il est articulé dans un espace social protégé imperméable au contrôle, à la surveillance et à la répression du dominant, et ensuite lorsque ce milieu social protégé est entièrement composé de confidents loyaux partageant la même expérience de domination. »
  • [11]
    Ibid., p. 126. Voir aussi le tableau à la p. 215, où la domination matérielle renvoie selon Scott à la spoliation économique, comme dans « l'appropriation de récoltes, les impôts, le travail, etc. » ; la domination statutaire se réfère à la manifestation de la dimension hiérarchique propre à la subordination, par le biais « de l'humiliation, des défaveurs, des insultes, des atteintes à la dignité » ; enfin, la domination idéologique vise à se légitimer à travers des « justifications [fournies] par les groupes dirigeants de l'esclavage, de la servitude, des privilèges de caste ».
  • [12]
    Ibid., p. 215-216.
  • [13]
    Ibid., p. 219-220.
  • [14]
    Ibid., p. 215.
  • [15]
    Ibid., p. 201-204 et 236.
  • [16]
    Ibid., p. 209.
  • [17]
    Voir Dion Chrysostome, « Quatrième discours sur la Royauté », in Léonce Paquet (dir.), Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1988, p. 167-179.
  • [18]
    Foucault définit le « pacte parrèsiastique » comme l'engagement, de la part du plus fort, de ne pas punir le plus faible pour la vérité blessante qu'il est sur le point d'énoncer ; Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France. 1982-1983, édité par Frédéric Gros, Paris, Gallimard-Seuil, 2008, p. 149-150, 160-161 et 187.
  • [19]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », in Michel Foucault, Discours et Vérité, précédé de La parrêsia, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2016, p. 242-245.
  • [20]
    Plutarque, Vies parallèles, trad. fr. Bernard Latzarus, Paris, Classiques Garnier, 1950, t. III, 959d, p. 110.
  • [21]
    Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, op. cit., p. 49.
  • [22]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 224.
  • [23]
    Ibid., p. 223-224.
  • [24]
    Ibid., p. 222.
  • [25]
    Ibid., p. 224 et 235.
  • [26]
    Ibid., p. 225-226.
  • [27]
    Ibid., p. 199-200.
  • [28]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », art. cité, p. 83.
  • [29]
    L'alèthurgie désigne la manifestation de la vérité comme « ensemble des procédés possibles, verbaux ou non, par lesquels on amène au jour ce qui est posé comme vrai par opposition au faux, au caché, à l'indicible, à l'imprévisible, à l'oubli ». Selon Foucault, « il n'y a pas d'exercice du pouvoir sans quelque chose comme une alèthurgie » ; Michel Foucault, Du Gouvernement des vivants, op. cit., p. 8.
  • [30]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », art. cité, p. 202-203.
  • [31]
    Ibid., p. 197-205 ; Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France. 1984, édité par Frédéric Gros, Paris, Gallimard-Seuil, 2009, p. 134-139.
  • [32]
    Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, op. cit., p. 65-66.
  • [33]
    Par êthopoiêsis Foucault entend le processus de formation et transformation de l'êthos. Voir Michel Foucault, L'Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, édité par Frédéric Gros, Paris, Gallimard-Seuil, 2001, p. 227-228 ; Michel Foucault, Dire vrai sur soi-même. Conférences prononcées à l'Université Victoria de Toronto, 1982, édité par Henri-Paul Fruchaud et Daniele Lorenzini, Paris, Vrin, 2017, p. 122.
  • [34]
    Michel Foucault, « Discours et vérité », art. cité, p. 247.
  • [35]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 235-236.
  • [36]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 224-225.
  • [37]
    C'est par l'intermédiaire de cette notion forgée par E. P. Thompson que Scott a conduit ses premières recherches dans le sud-est de l'Asie. Voir Edward P. Thompson, « The moral economy of the English crowd in the eighteenth century », Past & Present, no 50, 1971, p. 76-136 ; James C. Scott, The Moral Economy of the Peasant. Rebellion and Subsistence in Southeast Asia, New Haven, Yale University Press, 1976. Sur l'actualité de ce concept, voir Didier Fassin et Jean-Sébastien Eideliman (dir.), Économies morales contemporaines, Paris, La Découverte, 2012 ; Paul Gilroy, Darker than Blue. On the Moral Economies of Black Atlantic Culture, Cambridge, Harvard University Press, 2010.
  • [38]
    Qui, lors de sa conférence de 1978 à la Société française de philosophie, définit la critique précisément comme « l'art de n'être pas tellement gouverné » ; Michel Foucault, « Qu'est-ce que la critique ? », art. cité, p. 37.
  • [39]
    Voir James C. Scott, Zomia ou l'art de ne pas être gouverné, trad. fr. Nicolas Guilhot, Frédéric Joly et Olivier Ruchet, Paris, Seuil, 2013 [2009].
  • [40]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 159.
  • [41]
    Orazio Irrera, « La verità come forza. Dir-vero, potere e soggettività nell'ultimo Foucault », in Laura Cremonesi et al. (dir.), Foucault e le genealogie del dir-vero, Naples, Cronopio, 2014, p. 33-57 ; Daniele Lorenzini, La Force du vrai. De Foucault à Austin, Lormont, Le Bord de l'eau, 2017.
  • [42]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 284.
  • [43]
    Michel Foucault, « La parrêsia », in Michel Foucault, Discours et Vérité, op. cit., p. 54.
  • [44]
    Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, op. cit., p. 64.
  • [45]
    Daniele Lorenzini, « Performative, passionate, and parrhesiastic utterance. On Cavell, Foucault, and truth as an ethical force », Critical Inquiry, vol. 41, no 2, 2015, p. 254-268.
  • [46]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 237-238.
  • [47]
    Ibid., p. 238.
  • [48]
    Ibid., p. 239.
  • [49]
    Ibid., p. 236-237.
  • [50]
    Ibid., p. 139.
  • [51]
    Max Weber, Sociologie de la religion, trad. fr. Isabelle Kalinowski, Paris, Flammarion, 2006 [2001], p. 126.
  • [52]
    James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance..., op. cit., p. 220.
  • [53]
    Michel Foucault, Le Courage de la vérité, op. cit., p. 161 et 165.
  • [54]
    Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, trad. fr. Isabelle Kolitcheff, Paris, Seuil, 1970 [1929]. La notion de « dialogisme » désigne la forme de l'interaction entre le discours du narrateur principal et les discours d'autres personnages, ou entre deux discours internes d'un personnage.
  • [55]
    Voir Orazio Irrera, « Satyagraha. Une alèthurgie décoloniale face au gouvernement colonial des vivants », in Daniele Lorenzini, Ariane Revel et Arianna Sforzini (dir.), Michel Foucault : éthique et vérité (1980-1984), Paris, Vrin, 2013, p. 199-216.
  • [56]
    Orazio Irrera, « Parr¯esia ed exemplum. La parr¯esia e i regimi aleturgici dell'exemplum a partire da L'ermeneutica del soggetto di Michel Foucault », Nóema, vol. 4, no 1, 2013, p. 11-31.
  • [57]
    Pour la distinction entre « copier » et « apprendre » dans le cadre d'une discussion sur l'improvisation et l'exemplarité en jazz, voir Arnold I. Davidson, « Exercices spirituels, improvisation et perfectionnisme moral. À propos de Sonny Rollins », in Daniele Lorenzini et Ariane Revel (dir.), Le Travail de la littérature. Usages du littéraire en philosophie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 236.
  • [58]
    Michel Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 95.

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