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Article de revue

Un « libéralisme scientifique » contre les gauches

La réception du néo-libéralisme américain en France dans les années 1970

Pages 71 à 94

Notes

  • [1]
    Henri Lepage, Demain le capitalisme, Paris, Hachette, 1978, p. 12-13.
  • [2]
    Serge Audier, Le colloque Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l'Eau, 2012 ; François Denord, « Aux origines du néo-libéralisme en France. Louis Rougier et le colloque Walter Lippmann de 1938 », Le mouvement social, vol. 195, no 2, 2001, p. 9-34.
  • [3]
    Sur l'évolution de la signification associée à ce terme voir Arnaud Brennetot, « Géohistoire du néolibéralisme », Cybergeo: European Journal of Geography, 2013, https://cybergeo.revues.org/26071 ; Serge Audier, Néo-libéralisme(s) : une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012 ; Taylor C. Boas et Jordan Gans-Morse, « Neoliberalism: From new liberal philosophy to anti-liberal slogan », Studies in Comparative International Development, vol. 44, no 2, 2009, p. 137-161.
  • [4]
    Le néo-libéralisme se divise en quatre écoles principales : l'École de Chicago, l'École des choix publics de l'Université de Virginie, l'École autrichienne d'économie et les libertariens (qui se distinguent par leur radicalité et leur argumentation qui repose sur des fondements philosophiques).
  • [5]
    Maurice Lagueux, « Le néo-libéralisme comme programme de recherche et comme idéologie », Cahiers d'économie politique, no 16-17, 1989, p. 129-152.
  • [6]
    Angus Burgin, The Great Persuasion: Reinventing Free Markets since the Depression, Cambridge, Harvard University Press, 2012 ; Serge Audier, Néo-libéralisme(s)..., op. cit.  ; Philip Mirowski et Dieter Plehwe (dir.), The Road from Mont Pèlerin: The Making of the Neoliberal Thought Collective, Cambridge, Harvard University Press, 2009.
  • [7]
    François Denord, Néo-libéralisme, version française. Histoire d'une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
  • [8]
    Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 145, no 5, 2002, p. 3-8.
  • [9]
    À l'instar de Gwendal Châton et Sebastien Caré, « Néolibéralisme(s) et démocratie(s) », Revue de philosophie économique, vol. 17, no 1, 2016.
  • [10]
    Celles de l'économiste Jacques Rueff aux Archives Nationales (579/AP), les archives personnelles de Serge Schweitzer, Maître de Conférences en sciences économiques, qui a mis à disposition la documentation qu'il a conservée sur les Nouveaux économistes depuis les années 1970.
  • [11]
    Conservées au Liberaal Archief à Gand en Belgique.
  • [12]
    Pascal Salin, Henri Lepage, Florin Aftalion, Georges Lane, Jacques Garello, François de Sesmaisons, Jean-Jacques Rosa, Alain Laurent, André Fourçans, Guy Sorman, Serge Schweitzer et Gérard Bramoullé.
  • [13]
    Arnaud Diemer, « Le néolibéralisme français ou comment penser le libéralisme au prisme des institutions », Économie et institutions, no 20-21, 2014, p. 81-113.
  • [14]
    Ibid. ; François Bilger, « La pensée néolibérale francaise et l'ordolibéralisme allemand », L'ordolibéralisme allemand, Aux sources de l'économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2003, p. 17-28. Voir aussi Gérard Minart, Jacques Rueff. Un libéral français, Paris, Odile Jacob, 2016 ; Patricia Commun, Les ordolibéraux : histoire d'un libéralisme à l'allemande, Paris, Les Belles Lettres, 2016.
  • [15]
    Maurice Allais refuse de signer le texte constitutif de la Société du Mont Pèlerin, car celui-ci attache une trop grande importance au principe de propriété privée. Bertrand de Jouvenel justifie sa démission de la Société par ses divergences idéologiques auprès de Milton Friedman en considérant que la Société « s'est orientée de plus en plus vers un manichéisme selon lequel l'État ne peut rien faire de bien tandis que l'entreprise privée ne peut faire rien de mal », Bertrand de Jouvenel à Milton Friedman, le 30 juillet 1960, « Milton Friedman Papers », Hoover Institution Archives, Boîte 28.
  • [16]
    François Denord, Néo-libéralisme, version française..., op. cit., p. 179-238. À ces différentes tentatives de structuration, nous pouvons ajouter celle de Jacques Rueff, François Trévoux, Bertrand de Jouvenel et d'une partie du patronat qui était de faire du Centre National des Indépendants un parti néo-libéral. Voir Friedrich Hayek, « Brief Report to the Members of the Mont Pèlerin Society on the Conference held at Seelisberg from July 3rd to July 10th 1949 », Archives Libérales de Gand. Un groupe de permanents patronaux avait aussi avancé l'idée de créer un parti libéral européen structuré autour de la figure de Jacques Rueff. Cf. lettre de Pierre Lhoste Lachaume à Jacques Rueff, le 13 octobre 1961 ; Louis Rougier, « De l'opportunité de créer un nouveau parti politique », Fonds Jacques Rueff, AN/AP 579-204.
  • [17]
    Sur la pensée de ces universitaires voir Pascal Le Merrer, « L'affirmation de l'économie comme discipline scientifique », Tracés. Revue de sciences humaines, no 11, 2012, p. 167. Pour un exemple de cette volonté d'allier économie de marché et catholicisme, voir Daniel Villey, « L'économie de marché devant la pensée catholique », Revue d'économie politique, novembre-décembre 1954.
  • [18]
    L'Association pour la Liberté économique et le progrès social a été fondée par des membres de la frange conservatrice du patronat et des universitaires membres de la Société du Pèlerin pour organiser la remise d'un prix libéral et organiser des « Semaines de la pensée libérale ». Son objectif était de réhabiliter le terme « libéralisme » et lutter contre ce qu'il considérait être l'influence croissante du marxisme. Sur la genèse de l'ALEPS, nous nous permettons de renvoyer à Kevin Brookes, « Deux réseaux de promotion du néolibéralisme entremêlés dans les années 1960 et 1970 : l'ALEPS et le groupe des "nouveaux économistes" », in Dominique Barjot, Olivier Dard, Frédéric Fogacci, Jérôme Gondreux (dir.), Histoire de l'Europe Libérale. Libéraux et libéralisme en Europe, XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2016, p. 245-264. Voir aussi Michael C. Behrent, « Justifying capitalism in an age of uncertainty: L'Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social, 1969-1973 », in Émile Chabal (dir.), France since the 1970s. History, Politics and Memory in an Age of Uncertainty, Londres, Bloomsbury Academic, 2014.
  • [19]
    Ce groupe est composé de Florin Aftalion, Gérard Bramoullé, Emil-Maria Claassen, André Fourçans, Georges Gallais-Hamonno, Jacques Garello, Frédéric Jenny, Henri Lepage, Daniel Pilisi, Jean-Jacques Rosa, Pascal Salin, André-Paul Weber, et Henri Lepage. Nous avons identifié les contours du groupe à partir des livres collectifs et leurs interventions dans le débat public, ou encore à travers des comptes-rendus qu'ils font à l'époque. Par exemple, Georges Gallais-Hamonno et Henri Lepage, « Vers un renouveau doctrinal pour la pensée économique ? : les Nouveaux économistes », Annales d'économie politique, no 29, 1978.
  • [20]
    Entretien avec Pascal Salin, 10 mai 2010.
  • [21]
    Daniel Pilisi a eu l'idée d'organiser des discussions collectives au sein d'un séminaire après un séjour académique à l'Université d'Uppsala. Il restitue ainsi l'état d'esprit de ces jeunes économistes : « les gens du Say se sentaient complètement en marge de la science économique française. On voulait travailler comme les anglo-saxons », cité in Pascal Le Merrer, « L'affirmation de l'économie comme discipline scientifique »..., art. cité, p. 170.
  • [22]
    Daniel Pilisi, Jean-Claude Milleron, Pascal Salin, Emil M. Claassen et Alain Wolfesperger, Une contribution à la théorie du revenu permanent, Paris, PUF, 1965.
  • [23]
    Daniel Pilisi et Pascal Salin, « L'enseignement et la recherche en science économique, la situation française », 1967, Archives nationales, Fonds Jacques Rueff (AP/579), carton 204.
  • [24]
    Pascal Le Merrer, « L'enseignement universitaire de l'économie en France : autonomie et normalisation (1966-1981) », Document de travail, juin 2005.
  • [25]
    Entretien avec Jacques Garello, 8 juin 2012.
  • [26]
    Frédéric Jenny a obtenu un PhD à l'Université de Harvard, André Fourçans à l'Université de l'Indiana, Florin Aftalion à l'Université de Northwestern, Jean-Jacques Rosa a fait un séjour académique à Harvard au cours de ses études.
  • [27]
    Pascal Le Merrer, « L'affirmation de l'économie comme discipline scientifique », art. cité.
  • [28]
    Il contribue régulièrement au journal Le Figaro et au magazine L'Express. Par exemple, « Que veulent les Nouveaux économistes ? L'Express va plus loin avec Jean-Jacques Rosa », L'Express, 5 juin 1978.
  • [29]
    Voir par exemple Milton Friedman, Contre Galbraith, Paris, Economica, 1977 ou Gordon Tullock, Le marché politique : analyse économique des processus politiques, Paris, Economica, 1978.
  • [30]
    Claire Andrieu, Pour l'amour de la République : le Club Jean Moulin, 1958-1970, Paris, Fayard, 2002, p. 254.
  • [31]
    Entretien avec Jean-Jacques Rosa, 2 octobre 2015.
  • [32]
    « Bon, je n'étais pas en première ligne, mais je me suis battu sur le Boulevard Saint-Germain contre les CRS », entretien avec André Fourçans, 25 octobre 2015.
  • [33]
    « Profession de foi de Pascal Salin, élections législatives de mars 1973, 5e circonscription de Seine-Maritime, Mouvement réformateur », Archives du CEVIPOF (Archives.org).
  • [34]
    Rémy Rieffel, Les intellectuels sous la Ve République (1958-1990), Paris, Hachette, 1995.
  • [35]
    Comme la Revue d'économie politique, les Bulletins de l'Institut économique de Paris, ceux de la SEDEIS (fondée par Bertrand de Jouvenel) ou Vie et sciences économiques, publication de l'Association nationale des docteurs en sciences économiques dirigée par le nouvel économiste Jean-Jacques Rosa.
  • [36]
    Georges Gallais-Hamonno et Henri Lepage, « Vers un renouveau doctrinal pour la pensée économique ? : les Nouveaux économistes », art. cité.
  • [37]
    Jean Jacques Rosa et Daniel Amson, « Conditions économiques et élections : une analyse politico-économétrique (1920-1973) », Revue française de science politique, vol. 26, no 6, 1976, p. 1101-1124.
  • [38]
    André Fourcans, « Inflation and output growth: The French experience, 1960-1975 », Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, no 8, 1978, p. 81-140.
  • [39]
    Jean-Jacques Rosa, Théorie micro-économique, Paris, Fondation nationale de sciences politiques, 1976 ; Pascal Salin, Économie internationale..., Paris, Armand Colin, 1974 ; Frédéric Jenny et André-Paul Weber, Initiation à la microéconomie : manuel concret de 1er cycle, Paris, Dunod, 1983.
  • [40]
    « Third Paris - Dauphine Conference on Money and International Monetary Problems. Provisionnal Programme. 28-30th March 1974 », Archives nationales, Fonds Jacques Rueff (AP/579), carton 177.
  • [41]
    « Dîner-débat à la Tour Eiffel. Sous la présidence de M. Jacques Rueff, Chancelier de l'Institut », L'Institut économique de Paris, 28 mars 1974, Archives Nationales, Fonds Jacques Rueff (AP/579), carton 177.
  • [42]
    Marion Fourcade, « The construction of a global profession : The transnationalization of economics », American journal of sociology, vol. 112, no 1, 2006, p. 145-194.
  • [43]
    Olivier Ihl, « Objetividad de Estado. Sur la science de gouvernement des Chicago Boys dans le Chili de Pinochet », Revue internationale de politique comparée, vol. 19, no 3, 2013, p. 67-88.
  • [44]
    Seymour Martin Lipset et Asoke Basu, « Des types d'intellectuels et de leurs rôles politiques », Sociologie et sociétés, vol. 7, no 1, 1975, p. 51-90.
  • [45]
    Emil Maria Claassen et Pascal Salin, L'Occident en désarroi : turbulences d'une économie prospère, Paris, Dunod, 1977, p. 2.
  • [46]
    Ce que confirme nos entretiens : « Moi je ne connais pas Rueff (...) moi je n'aime pas Maurice Allais » (Henri Lepage) ; « Allais a vite disparu du radar des libéraux, il a pris des positions très étranges, donc heu... on n'a pas eu de rapports avec lui » (Florin Aftalion) ; « Le problème d'Allais et le problème de Rueff, c'est que c'était tous les deux des autodidactes. C'était tous les deux des gens qui avaient une formation scientifique et qui ont découvert par eux-mêmes une certaine approche économique et... mais avec leur propre démarche et avec leurs propres mots même. C'est une chose qui a toujours été un peu, gênante c'est qu'on ne savait pas toujours de quoi il parlait parce qu'ils n'utilisaient pas le langage normal, n'est-ce pas, de l'économiste » (Pascal Salin).
  • [47]
    « Principaux thèmes de l'Université d'été », Liberté économique et progrès social, no 31, juillet-août-septembre 1978, p. 9.
  • [48]
    Ibid., p. 10.
  • [49]
    « La défense du libéralisme à l'époque c'était très littéraire, très idéologique, c'était de la répétition de slogans », « c'était la défense simplement de la libre-entreprise », entretien avec Henri Lepage, 16 mai 2012.
  • [50]
    Philip Mirowski et Dieter Plehwe (dir.), The Road from Mont Pèlerin : The Making of the Neoliberal Thought Collective, op. cit., p. 68-97, p. 139-178 ; Angus Burgin, The Great Persuasion, op. cit., p. 12-54.
  • [51]
    Pierre Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », Revue française d'économie, vol. 2, no 4, 1987, p. 22-56 ; Peter A. Hall, Governing the Economy: The Politics of State Intervention in Britain and France, New York, Oxford University Press, 1986 ; Delphine Dulong, « Quand l'économie devient politique. La conversion de la compétence économique en compétence politique sous la Ve République », Politix, vol. 9, no 35, 1996, p. 109-130.
  • [52]
    Jacques Rueff, « Les erreurs de la théorie générale de Lord Keynes », Revue d'économie politique, janvier-février 1947, p. 5-33.
  • [53]
    Jacques Rueff, « La fin de l'ère keynésienne », Le Monde, 19, 20 et 21 février 1976.
  • [54]
    Sur ces néo-aroniens voir la thèse de Gwendal Châton, « La liberté retrouvée : une histoire du libéralisme politique en France à travers les revues aroniennes Contrepoint et Commentaire », thèse de science politique, Université de Rennes 1, 2006. Sur le renouveau du libéralisme politique durant cette période, voir également Émile Chabal, A Divided Republic : Nation, State and Citizenship in Contemporary France, Cambridge, Royaume-Uni, 2015, p. 135-157.
  • [55]
    Le manifeste est signé par des universitaires comme Raymond Aron, Raymond Boudon, Michel Crozier ou Jean-Claude Casanova, des artistes comme Eugène Ionesco ou des écrivains-journalistes comme Louis Pauwels, Jean d'Ormesson et Jean-François Revel. Cf. « Création d'un Comité des intellectuels pour l'Europe des libertés », Le Monde, 16 janvier 1978.
  • [56]
    Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité. Le programme commun de la gauche, 1963-1978, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 23. Sur le « processus accidenté » conduisant à la signature du Programme commun voir Frédérique Matonti, « La fabrique du Programme commun », in Karim Fertikh, Mathieu Hauchecorne et Nicolas Bué (dir.), Les programmes politiques. Genèses et usages, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 165-179.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Michael Scott Christofferson, Les intellectuels contre la gauche. L'idéologie antitotalitaire en France, 1968-1981, trad. fr. André Merlot, Marseille, Agone, 2009, p. 243-302.
  • [59]
    Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret, Pour une nouvelle culture politique, Paris, Seuil, 1977.
  • [60]
    Serge Audier, Penser le « néolibéralisme ». Le moment néolibéral, Foucault et la crise du socialisme, Lormont, Le Bord de l'eau, 2015, p. 281-285.
  • [61]
    Daniel Garric, « La révolte contre l'État », Le Point, 11 juillet 1977.
  • [62]
    Albert Garand, « Les Nouveaux philosophes et le libéralisme », Liberté économique et progrès social, no 26 bis, juillet-août-septembre 1977.
  • [63]
    Sur les divisions doctrinales du patronat français après la Seconde Guerre mondiale, voir Laurence Badel, « Protectionnisme : un patronat divisé », in Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 974-978 ; François Denord, « Le libéralisme », ibid., p. 1022-1027.
  • [64]
    Michel Offerlé, Sociologie des organisations patronales, Paris, La Découverte, 2009.
  • [65]
    Régis Boulat, « Les clubs de réflexion patronaux », in Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, op. cit., p. 1040-1044. Sur l'histoire de l'Institut de l'entreprise, voir Félix Torres, L'intelligence de l'entreprise. 40 ans de réflexion patronale en France, Paris, Manitoba/Les Belles Lettres, 2016.
  • [66]
    Sur la notion d'intermédiaires entre plusieurs milieux dont la fonction est de traduire certaines idées dans des contextes extérieurs à celui de la production des idées voir Thibaut Rioufreyt, « Les passeurs de la "Troisième Voie ?. Intermédiaires et médiateurs dans la circulation transnationale des idées », Critique internationale, vol. 2, no 59, 2013, p. 33-46 ; Olivier Nay, « Les intermédiaires en politique : médiations et jeux d'institutions », in Olivier Nay et Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l'action politique, Paris, Economica, 2002, p. 47-86.
  • [67]
    Jacques Attali et Marc Guillaume, L'anti-économique, Paris, PUF, 1974.
  • [68]
    Jacques Attali, « Hicks et Arrow, prix Nobel d'économie 1972 ont-ils été jugés sur leur vraie valeur ? », Le Monde, 2-3 décembre 1972.
  • [69]
    La New Left est un mouvement politique contestataire né sur les campus américains en réaction à la guerre du Vietnam, mais également pour soutenir le combat pour les droits civiques. Agrégeant des théories rompant avec le marxisme orthodoxe (notamment son ouvriérisme), la New Left réunie notamment autour de la Students for a Democratic Society offre une critique de la société de consommation, une défense de la démocratie participative, et une libéralisation complète des m urs. Voir John McMillian et Paul Buhle (dir.), The New Left Revisited, Philadelphie, Temple University Press, 2003.
  • [70]
    John-Kenneth Galbraith, Le nouvel État industriel. Essai sur le système économique américain, Paris, Gallimard, 1968.
  • [71]
    Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité..., op. cit.
  • [72]
    Pascal Le Merrer, « L'enseignement universitaire de l'économie en France : autonomie et normalisation (1966-1981) », art. cité.
  • [73]
    Mathieu Fulla, Les socialistes français et l'économie, 1944-1981. Une histoire économique du politique, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015 ; Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité, op. cit.
  • [74]
    Marc Lazar, « La gauche et l'État : le moment programme commun, 1973-1978 », in Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité..., op. cit., p. 110.
  • [75]
    Jean-Jacques Rosa et Florin Aftalion (dir.), L'économique retrouvée. Vieilles critiques et nouvelles analyses, Paris, Économica, 1977.
  • [76]
    Jacques Attali recourrait selon Alain Wolfesperger à « l'amalgame dont étaient si friands les polémistes staliniens des années 40 et 50 » (p. 17-18.) ; pour Florin Aftalion, cette critique anti-économique s'apparenterait à du « marxisme vulgaire » (p. 55) ; Pascal Salin s'indigne : « Comment peut-il se faire qu'il existe des éditeurs pour éditer des erreurs grossières, des lecteurs pour lire et les répéter, des commentateurs pour les louer ? » (p. 128).
  • [77]
    Alain Wolfesperger, « Le contenu idéologique de la science économique », in Jean-Jacques Rosa et Florin Aftalion (dir.), L'économique retrouvée..., op. cit., p. 11.
  • [78]
    Milton Friedman, Essays in Positive Economics, Chicago, University of Chicago Press, 1953.
  • [79]
    Emil Maria Claassen et Pascal Salin, L'Occident en désarroi. Turbulences d'une économie prospère, Paris, Dunod, 1977.
  • [80]
    Né autour d'un petit groupe d'économistes d'État au milieu des années 1970, d'inspiration marxiste à ses origines, l'école de la régulation s'intéresse aux modes de production, aux régimes d'accumulation, et aux formes des rapports sociaux pour saisir les évolutions des modes de régulation du capitalisme sur le temps long en s'enrichissant des apports des autres sciences sociales et en confrontant leurs analyses à la réalité empirique (statistiques économiques et sociales).
  • [81]
    Xavier Greffe et Jean-Louis Reiffers (dir.), L'Occident en désarroi. Ruptures d'un système économique, Paris, Dunod, 1978.
  • [82]
    Roger Priouret, « Vive la jungle ! », Le Nouvel Observateur, 17 avril 1978 ; Georges Suffert, « Économistes : la nouvelle vague », Le Point, 13 mars 1978 ; Pierre Rosanvallon, « L'Utopie des Nouveaux économistes », Cadres CFDT, septembre-octobre 1978.
  • [83]
    Le professeur Gaston Leduc, membre de ce groupe gravitant autour de l'ALEPS considère ainsi que « le rôle de l'État est essentiellement un rôle d'encadrement et d'ajustement, bien moins simple et facile qu'on ne se l'imaginait jadis, fort éloigné par conséquent du pur "laissez faire, laissez passer" ». Cf. Gaston Leduc, « Ordre et liberté dans l'économie », Première semaine de la pensée libérale, Association pour la liberté économique et le Progrès social, 1969, p. 35.
  • [84]
    Jacques Rueff écrivait par exemple « je pense que les autorités sociales doivent intervenir, pour faire que le monde soit ce que nous voulons qu'il soit » (cité in G. Minart, Jacques Rueff..., op. cit., p. 182). Louis Rougier, organisateur du Colloque Lippmann en 1938 où le terme néo-libéralisme fut consacré, partage les mêmes conceptions proches de l'ordo-libéralisme allemand : « les néo-libéraux n'excluent pas les interventions qui agissent sur les effets de la liberté des prix quand la situation qu'elle créée est intolérable pour toute une catégorie d'économiquement faibles. Ils admettent les transferts sociaux, en vertu de la sauvegarde humaine qui sont au-delà de l'offre et de la demande ». p. 2. Louis Rougier, « Comment rendre l'ordre institutionnel conforme aux nécessités de l'économie du marché ? », « Archives de la Société du Mont Pèlerin », Hoover Institution Archives, boîte 17.
  • [85]
    Henri Lepage, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris a effectué une partie de ses études aux États-Unis (grâce à une bourse Fulbright) et à la London School of Economics. Il est recruté comme journaliste au magazine dirigé par Michel Drancourt, Entreprise, en 1967. Il le suit ensuite lorsqu'il fonde avec Jean Chenevier l'Institut de l'entreprise en 1975 afin de donner les moyens au patronat de se réarmer idéologiquement. Entretien avec Henri Lepage, 16 mai 2012 ; fiche Who's Who.
  • [86]
    Regis Boulat, « Du Centre de recherche des chefs d'entreprise à l'Institut de l'entreprise », in Les droites et l'économie en France au XXe siècle, Paris, Riveneuve Éditions, 2011, p. 35-53.
  • [87]
    Henri Lepage écrit son livre Autogestion et capitalisme en 1978 en réponse à l'Anti-économie, mais également au livre de Pierre Rosanvallon, L'âge de l'autogestion, paru en 1976.
  • [88]
    Henri Lepage, Pourquoi la propriété, Paris, Hachette, 1985, p. 10.
  • [89]
    Henri Lepage, Demain le capitalisme, Paris, Hachette, 1978.
  • [90]
    Henri Lepage, « Du nouveau en économie-politique : le capitalisme libertarien », Réalités, no 373, mars 1977, p. 48-53.
  • [91]
    En réalité Michel Drancourt, délégué général de l'Institut de l'entreprise, et Georges Liébert, fondateur de la revue aronienne Contrepoint (ancêtre de la revue Commentaire) et directeur de collection chez Hachette, sont à la man uvre. Celui-ci décide en effet de publier le livre en février 1978 pour peser sur les élections à venir. Voir les développements consacrés à cette proximité dans la thèse de Gwendal Châton, « La Liberté retrouvée... », thèse citée, p. 428.
  • [92]
    Henri Lepage, Demain le capitalisme..., op. cit., p. 12-13.
  • [93]
    Ibid., p. 53-54.
  • [94]
    Ibid., p. 413-432.
  • [95]
    Pour une analyse plus approfondie de la lecture du livre d'Henri Lepage par une partie de la gauche intellectuelle voir Serge Audier, « The French reception of American neoliberalism in the late 1970s », in Stephen W. Sawyer et Iain Stewart (dir.), In Search of the Liberal Moment : Democracy, Anti-Totalitarianism, and Intellectual Politics in France Since 1950, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016, p. 167-189.
  • [96]
    Jean-François Revel, « Le roi est habillé », L'Express, 27 février 1978.
  • [97]
    Georges Suffert, « Économistes : la nouvelle vague », Le Point, 13 mars 1978.
  • [98]
    Alfred Sauvy, « Renouveau ? Renaissance ? », Le Monde, 11 avril 1978.
  • [99]
    « Connaissez-vous les libertariens ? », Le Nouvel Observateur, 4 mars 1978.
  • [100]
    Henri Lepage, Tomorrow Capitalism : The Economics of Economic Freedom, La Salle, Open Court, 1982.
  • [101]
    Jacques Frémontier, Les cadets de la droite, Paris, Seuil, 1984. Jacques Chirac déclare à Henri Lepage lors d'une conférence-débat en 1984 : « J'ai lu avec intérêt votre ouvrage et j'y ai trouvé, dans l'ensemble, une doctrine à laquelle j'adhère » cité in « le libéralisme peut-il inspirer un projet politique ? », Liberté économique et Progrès social, mars 1984, no 49, p. 6-10.
  • [102]
    Georges Gallais-Hamonno, Les nationalisations... À quel prix ? Pour quoi faire  ?, Paris, PUF, 1977.
  • [103]
    Michel Rocard et Jacques Gallus, L'inflation au c ur, Paris, Gallimard, 1975.
  • [104]
    André Fourçans, Sauver l'économie, Paris, Calmann-Lévy, 1978.
  • [105]
    Florin Aftalion, Socialisme et économie, Paris, PUF, 1978.
  • [106]
    Milton Friedman et Rose D. Friedman, Capitalisme et liberté, trad. fr. Antoine Maurice Charno, Paris, Robert Laffont, 1971.
  • [107]
    Christian Stoffaës, « De l'impôt négatif sur le revenu », Contrepoint, no 11, juillet 1973, p. 32. ; Lionel Stoleru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, Paris, Flammarion, 1974.
  • [108]
    « La France marche-t-elle vers le collectivisme ? », Liberté économique et Progrès social, no 28, octobre-novembre-décembre 1977.
  • [109]
    « Peut-on jouer avec l'économie ? 10 économistes lancent un défi », publié dans Le Monde du 7 mars 1978.
  • [110]
    « "Les Nouveaux économistes" : notre défi n'a pas été relevé », Le Figaro, 16 mars 1978.
  • [111]
    Alain Giraudo et Véronique Maurus, « L'argent de la campagne. Des dizaines de millions de francs pour quoi ? », Le Monde, 13 mars 1978. François de Sesmaisons, secrétaire-général-adjoint de l'UDF et conseiller en communication à l'Élysée à l'époque, nous a confirmé lors d'un entretien que l'origine du financement provenait des fonds secrets de l'Élysée, de même qu'Alain Laurent, secrétaire Général du CIEL à l'époque.
  • [112]
    Entretien avec André Fourçans, 25 octobre 2015.
  • [113]
    Voir à ce sujet le témoignage de Jean-Claude Casanova, alors directeur de cabinet de Raymond Barre, dans Gwendal Châton, « La Liberté retrouvée... », thèse citée, p. 365.
  • [114]
    Cette association visait à préparer les élections législatives en finançant des experts en analyse électorale, ainsi que les activités des Nouveaux économistes, des Cercles universitaires de France animés par le normalien Michel Prigent, et le CIEL. Voir Gilles Richard, Sylvie Guillaume, Jean-François Sirinelli, Histoire de l'UDF : l'Union pour la démocratie française, 1978-2007, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 18-19.
  • [115]
    André Laurens, « Marseille : le mouvement des équipages » Le Monde, jeudi 17 février 1977.
  • [116]
    Entretien avec Jacques Garello et « Fiche biographique : Jacques Garello », Archives Privées de Serge Schweitzer.
  • [117]
    « Carte blanche à Henri Lepage », Paris Match, 30 juin 1978 ; « Carte Blanche à Jacques Garello », Paris Match, 28 juillet 1978.
  • [118]
    Gisèle Sapiro, « Modèles d'intervention politique des intellectuels : le cas français », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 176-177, no 1, 2009, p. 8-31.
  • [119]
    Mathieu Hauchecorne, La Fabrication transnationale des idées politiques..., op. cit.
  • [120]
    Frédérique Matonti, « La politisation du structuralisme. Une crise dans la théorie », Raisons politiques, « Théories en crise », vol. 2, no 18, 2005, p. 49-71.
  • [121]
    Mathieu Fulla, Les socialistes français et l'économie..., op. cit.
La défense de l’économie libérale ne sera efficace que si ses partisans sont capables d’opposer aux prétentions scientifiques des “anti-économistes” et de leurs sympathisants un nouvel approfondissement théorique et scientifique des bases mêmes de leur philosophie politique. Il n’est pas question de dévaloriser l’importance de l’action politique et idéologique traditionnelle. Mais je suis convaincu que la survie, dans notre pays, d’un type de société libérale dépend de notre capacité à redécouvrir l’intérêt stratégique de la recherche économique.
Henri Lepage, Demain le capitalisme  [1].

1Le journaliste économique Henri Lepage exprime bien, à travers cet extrait de son best-seller Demain le capitalisme, la manière dont les promoteurs français du néo-libéralisme ont  uvré à la diffusion de cette idéologie dans l'univers intellectuel et politique français à partir des années 1970. Il s'agissait, dans le contexte de l'époque, de répondre à des doctrines concurrentes diffusées dans le sillage du Parti socialiste, mais également de justifier les vertus de l'économie de marché en se parant d'une légitimité scientifique fondée sur la recherche en science économique d'origine nord-américaine. L'objectif de cet article est d'analyser les conditions de la réception de ce néo-libéralisme en étudiant spécifiquement les médiateurs principaux de cette pensée : le groupe des Nouveaux économistes fondé au milieu des années 1970.

2Le terme « néo-libéralisme » est consacré pour la première fois lors du colloque Walter Lippmann en 1938 pour désigner une entreprise de rénovation doctrinale en rupture avec le libéralisme classique manchestérien développé au 19e siècle [2]. Cependant, le sens de ce label a évolué. Défini dans un premier temps par ses théoriciens comme une tentative de rénovation doctrinale en rupture avec le « laissez-faire » du siècle précédent, il est devenu, au sortir des Trente Glorieuses, un terme souvent employé par des intellectuels critiques pour qualifier ce qui serait un fondamentalisme de marché mis en application dans la plupart des Pays occidentaux [3]. Nous mobilisons le terme dans cet article pour renvoyer au travail doctrinal entrepris aux États-Unis au milieu du 20e siècle par des intellectuels autrichiens et américains. Malgré leurs différences épistémologiques, ces derniers ont pour point commun de poser les bases d'un libéralisme critique du développement de l'État-providence et des politiques interventionnistes menées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale [4]. Le néo-libéralisme peut se définir aussi bien comme un programme de recherche (analyse positive de la société telle qu'elle est à partir des outils de la science économique) que comme une idéologie (théorie normative de la société telle qu'elle devrait être) [5]. La « nouveauté » implicite dans le préfixe néo de cette doctrine renvoie à trois éléments : le contexte historique défavorable dans lequel ces théories s'élaborent à partir des années 1930, le nouveau type de scientificité dont elles se parent, et une radicalisation qui se traduit par la volonté de renouer avec les sources intellectuelles du libéralisme économique.

3Si l'histoire internationale du néo-libéralisme est désormais bien documentée [6], et si la genèse de sa version française l'est tout autant [7], les modalités de la réception de la version états-unienne de cette idéologie en France le sont beaucoup moins. Cet article propose de rompre avec l'histoire « continuiste » du néo-libéralisme qui fait remonter la genèse du néo-libéralisme aux années 1930 et appréhende les modalités de sa diffusion à partir d'une sociologie des réseaux, délaissant les différences doctrinales importantes entre ses différents courants et les moments de rupture idéologique dans sa promotion. Adoptant une démarche plus compréhensive, il montrera au contraire que celui-ci a connu une rupture historique dans les années 1970 à la faveur d'une forme « d'import-export intellectuel [8] » des États-Unis vers la France porté par un groupe d'une douzaine d'économistes constitués dans l'objectif de promouvoir l'École de Chicago et l'École des choix publics. Les Nouveaux économistes français ont opéré un processus de retraduction et de réappropriation du néo-libéralisme privilégiant sa version radicalisée et positiviste théorisée sur les campus américains, rompant ainsi avec le néo-libéralisme tel qu'il s'était développé à l'origine sous l'influence d'intellectuels français et allemands. L'article s'attachera à défendre, en se basant sur un travail empirique fondé sur des sources inédites, l'intérêt pour l'historien des idées d'adopter une démarche contextuelle combinant la lecture interne des textes et l'analyse du contexte de leur production et de leur diffusion en dehors du monde académique pour saisir la circulation d'une idéologie [9].

4Pour comprendre quelles idées néo-libérales ont été importées par les Nouveaux économistes et comment ils en ont fait la promotion en les mettant à l'agenda du débat public, nous avons mis au point un protocole d'enquête permettant d'aller au-delà de l'analyse internaliste de leurs  uvres de vulgarisation. Notre étude se fonde sur des recherches menées sur les passeurs français de ce néo-libéralisme à partir de quatre types de sources. Tout d'abord la consultation de la production des Nouveaux économistes, avec une attention particulière accordée aux préfaces, aux introductions, aux notes de bas de page pour comprendre pourquoi et contre qui ils écrivent. Nous avons passé aux cribles la presse de l'époque relatant les débats dans lesquels ils se sont impliqués pour saisir leur stratégie de diffusion et de publication. Nous avons réalisé, en complément, un travail sur des fonds d'archives personnelles [10], mais également institutionnelles tels que celles de la Société du Mont Pèlerin [11] de l'Association pour la Liberté économique et le Progrès Social (ALEPS), fondée en 1966 par des chefs d'entreprises, permanents patronaux, et universitaires, et qui regroupe la plupart des membres français de la Société du Mont Pèlerin. Nous avons enfin mené une série d'entretiens avec des économistes néo-libéraux et acteurs politiques, vulgarisateurs de cette pensée, dans une démarche visant à rendre compte de leurs stratégies et représentations [12].

5Notre démonstration s'opère en trois temps : les néo-libéraux français se sont posés en innovateurs dans le champ de la science économique française (première partie), pour ensuite mobiliser le néo-libéralisme comme réponse aux critiques adressées par des intellectuels du Parti socialiste à la science économique et plus généralement au capitalisme (deuxième partie), et ont porté ces idées dans le champ politique en prenant directement part au débat public entraîné par les élections législatives de 1978 (troisième partie).

I. La genèse du groupe des Nouveaux économistes : une initiation à la science économique américaine

6Le néo-libéralisme français connaît après la guerre une traversée du désert en n'étant porté que par une juxtaposition d'individualités comme l'économiste Jacques Rueff (promoteur de la notion de « marché institutionnel »), le philosophe Louis Rougier (partisan d'un « libéralisme constructeur »), l'ingénieur-économiste Maurice Allais (avocat d'un « planisme concurrentiel »), ou encore l'intellectuel Bertrand de Jouvenel. Dans un contexte où les idées libérales sont remises en cause par la montée du collectivisme, ils souhaitent rompre avec le libéralisme manchestérien du 19e siècle qui selon eux s'est détruit par lui-même en raison de son darwinisme social et l'idée que la concurrence était naturelle. Ils prônent à l'inverse un libéralisme supposant un interventionnisme juridique de l'État pour encadrer la concurrence, limiter les dérives du marché qui, livré à lui-même, mènerait à une ploutocratie et à des monopoles néfastes pour le consommateur [13]. Cette recherche d'une « troisième voie » entre socialisme et libéralisme les rapproche des penseurs de l'ordo-libéralisme allemand avec lesquels ils entretiennent des liens forts [14]. Ils sont faiblement impliqués dans les réseaux internationaux : la plupart des personnalités françaises invitées à la réunion inaugurale de la Société du Mont Pèlerin en 1947 en ont démissionné [15], tandis que de nombreuses initiatives pour fonder un mouvement intellectuel ou politique néo-libéral restent sans lendemain [16]. Les autres membres français de la Société du Mont Pèlerin sont essentiellement des historiens de la pensée économique catholiques, et conservateurs [17]. La seule organisation pérenne est l'Association pour la Liberté économique et pour le Progrès Social (ALEPS) fondée en 1966. Elle concentre les membres français de la Société du Mont Pèlerin, mais cette organisation, plus fréquentée par la frange conservatrice du patronat que par les intellectuels, n'a pas eu d'échos significatifs à ses débuts, tandis que sa doctrine aux contours flous oscillait entre le néo-libéralisme interventionniste prôné lors du Colloque Lippmann et un anticommunisme virulent [18]. Ce n'est qu'au milieu des années 1970, profitant d'un contexte politique, économique et intellectuel favorable, qu'un groupe de jeunes économistes se constitue en hérauts d'un néo-libéralisme de « deuxième génération » se posant en critique de l'État : le groupe des Nouveaux économistes.

7Une analyse de la trajectoire biographique du noyau dur de sa douzaine de membres [19] fait ressortir des éléments communs : ils ont tous moins de quarante ans au moment de la constitution du groupe, sont titulaires d'un doctorat et Professeurs à l'université ou en école de commerce, et ont été exposés à l'épistémologie et aux outils de la science économique américaine au cours de leurs études. Le groupe constitué en 1975 peut s'appuyer sur un premier noyau préexistant composé principalement d'anciens étudiants de l'Institut d'études politiques de Paris qui fondent en 1962, le « séminaire de théorie économique Jean-Baptiste Say », au sein de la faculté de Droit et des sciences économiques de Paris. Ses fondateurs, Alain Wolfesperger, Daniel Pilisi, Pascal Salin, Emil-Maria Claassen et Pierre Salmon, choisissent ce titre par provocation, pour marquer l'ambition théorique du séminaire, ainsi que leur filiation avec une tradition libérale antérieure [20]. Cette création est le fruit d'une insatisfaction vis-à-vis de la recherche et de la formation en science économique en France. Son objectif est d'organiser une discussion régulière et collective des recherches de ses membres, de préparer l'agrégation du supérieur de science économique, de discuter page à page les papiers de ses membres, mais également de s'exposer à la littérature américaine en science économique (notamment l'American Economic Review) [21]. Celle-ci infléchit alors leurs recherches individuelles, mais également leurs travaux collectifs qui s'inspirent largement de l'économiste américain Milton Friedman, notamment de son épistémologie et de sa théorie du revenu permanent. Celle-ci stipule que la consommation n'est pas fonction du revenu courant des individus, mais du revenu qu'ils espèrent toucher dans le futur (ce qui contribue à remettre en cause la fonction de consommation de Keynes) [22]. Les membres de ce groupe s'impliquent également dans les débats disciplinaires sur le statut de l'enseignement et de la recherche en dressant un portrait catastrophiste de l'état de la science économique française qui souffrirait de l'« anti-américanisme régnant » et d'un caractère littéraire trop prononcé [23]. Alors que les débats font rage au sein de la discipline au moment des événements de Mai 68, ils défendent explicitement son internationalisation et sa conformité au modèle de la science économique américaine appuyé à la fois sur le recours aux statistiques et sur la recherche collective [24].

8À ce noyau dur, s'ajoute un deuxième réseau comprenant des universitaires de la Faculté d'économie appliquée d'Aix-en-Provence réunis autour de Jacques Garello. Issu d'une famille de pieds-noirs et lié aux milieux conservateurs hostiles à l'indépendance de l'Algérie, il suit des études de droit à Alger puis à l'IEP de Paris, écrit une thèse sur la théorie générale de John Maynard Keynes, avant d'intégrer l'ALEPS qui organise à l'époque des « Semaines de la Pensée libérale [25] ». Au sein de cette association dont il deviendra le Président, il est l'organisateur principal des rencontres organisées par les Nouveaux économistes et notamment des « Universités d'été de la Nouvelle économie » à Aix-en-Provence. Il est le pilier organisationnel du groupe et contribuera à lui donner un rôle politique important.

9Enfin, le troisième réseau est un groupe d'économistes parisiens ayant découvert l'École de Chicago sur le terrain en suivant une partie de leurs études aux États-Unis [26]. Il est composé de quatre professeurs d'économie et de finances de l'ESSEC, et de deux professeurs d'université agrégés de science économique, dont certains ont été formés dans le séminaire Aftalion visant à professionnaliser les doctorants en science économique dans les années 1960 [27]. Leur leader est Jean-Jacques Rosa, qui, à travers son Association des jeunes docteurs en science économique et sa position de professeur à l'IEP de Paris, dispose d'un réseau et d'une couverture médiatique importante [28] ; il fait publier aux éditions Economica des thèses inspirées des travaux de l'École de Chicago ainsi que des traductions de néo-libéraux américains [29].

10Cet intérêt pour le néo-libéralisme est principalement lié à leurs séjours aux États-Unis ou à la découverte de certains auteurs, et non à une socialisation politique antérieure, les origines politiques du groupe étant diverses. Jean-Jacques Rosa, l'initiateur principal du groupe a été socialiste (sans être encarté) et secrétaire général du Club Jean Moulin [30]. Il relate ainsi son parcours intellectuel et les raisons qui l'ont poussé à fonder le groupe des Nouveaux économistes :

11

C'est d'ailleurs en découvrant l'analyse économique, en faisant mes études d'économie, que j'ai compris l'intérêt de systèmes économiques concurrentiels, ce qui constitue le fond de la doctrine économique libérale, alors que j'avais été formé, dans le milieu intellectuel français, à une conception dirigiste ou centralisatrice. (...) J'avais passé un été à Harvard pendant mes études, et j'avais été impressionné non seulement par la différence d'approche mais surtout par la différence de niveau entre les économistes américains et les économistes français. Par la suite, venant juste de passer mon agrégation, j'aspirais à jouer un rôle dans l'évolution des idées et dans l'introduction de ces analyses dans le débat politique en France, qui était intense à l'époque. J'ai donc cherché délibérément, et c'était une initiative « entrepreneuriale » de ma part, à réunir des économistes de bon niveau avec lesquels on puisse développer et présenter à l'opinion ces idées nouvelles [31].

12Florin Aftalion était un cadre du PSU et de la CFDT, Jacques Garello et Gérard Bramoullé sont issus de familles de pieds-noirs favorables à l'Algérie française et sont proches de réseaux conservateurs, tandis qu'André Fourçans a participé aux événements de mai 1968 [32] et que le reste du groupe de l'ESSEC n'a pas eu d'implication politique antérieure. Pascal Salin, issu d'une famille chrétienne-démocrate, a quant à lui présenté sa candidature aux élections législatives de 1973 en Seine-Maritime sous les couleurs du Mouvement réformateur (coalition centriste), mais a échoué face à un candidat gaulliste [33].

13Les Nouveaux économistes forment une communauté intellectuelle à part entière au sens de Rémy Rieffel, c'est-à-dire disposant de modes d'affiliation qui régissent l'entrée dans le groupe, de légitimation basés sur la reconnaissance auprès des pairs, et de consécration qui produit une reconnaissance auprès d'un public élargi [34]. En effet, ils appartiennent à un corps professionnel spécialisé et organisé, déterminé par des rites de passage (doctorat et agrégation), des références communes, qui viennent renforcer le sentiment d'appartenance au groupe. Ils détiennent une légitimité auprès de leurs pairs par leurs travaux scientifiques qu'ils publient sur des questions de théorie économique ou de finance dans des revues spécialisées [35]. Leur objectif intellectuel affiché n'est pas d'inventer de nouvelles théories, mais bien de diffuser le renouvellement de la pensée économique portée par l'École de Chicago et de Virginie dans le contexte intellectuel français comme ils l'indiquent eux-mêmes :

14

Signalons tout de suite que, ici, notre « nouveauté » est toute relative puisqu'il s'agit d'adapter à la situation française l'avance « technologique » (dans le monde la pensée) des Américains de l'École de Chicago et de l'École de Virginie. (...) Par contre, nous sommes indéniablement « nouveau » par rapport au contexte intellectuel français, dominé soit par une pensée colbertiste qui a trouvé son épanouissement scientifique dans le keynésianisme, soit par la pensée marxiste [36].

15Leurs écrits prennent souvent la forme de présentation ou d'applications empiriques de théories formulées par l'École de Chicago ou par l'École des choix publics. Jean-Jacques Rosa mobilise, dans le cas français, la théorie des cycles politico-économiques qui considère que les hommes politiques mettent en  uvre des politiques économiques de manière à ce que la conjoncture soit favorable à la veille des élections, en partant du principe que les électeurs en tiennent compte dans leur choix de vote [37]. André Fourçans, dans la lignée du courant monétariste, met en relation l'inflation avec la quantité de monnaie en circulation dans l'économie française pour en déduire que la première est fonction de la seconde [38]. Leurs idées sont véhiculées par leurs enseignements (publiés sous forme de documents ronéotypés ou de manuels) [39], mais aussi par l'organisation d'une série de conférences internationales à l'Université Paris-Dauphine où ils établissent leur principal centre de recherches. Citons notamment l'exemple d'une conférence sur les problèmes monétaires internationaux organisée en mars 1974 où interviennent Robert Mundell, Assar Lindbeck, Milton Friedman (tous futurs Prix Nobel d'économie), Fritz Machlup (membre actif de la société du Mont Pèlerin) et Allan Meltzer (figure du monétarisme) [40]. La soirée inaugurale est organisée au restaurant de la Tour Eiffel et porte sur le système des taux de change flottants préconisé par Milton Friedman. Introduite par Jacques Rueff, elle se déroule en présence d'invités français de premier plan tels que Raymond Barre, alors Professeur à l'Université Paris-Sorbonne, Jean-Claude Casanova, Professeur à l'IEP de Paris, ainsi que des représentants de la Banque de France et des journalistes des grands quotidiens nationaux [41].

16Ces économistes français participent ainsi au mouvement d'internationalisation de la science économique française dont les canons sont fixés très largement par les meilleures universités américaines et dont la diffusion des normes est facilitée par le caractère universel que lui confèrent ses outils (modélisation mathématique) et son épistémologie (positivisme logique) [42]. Elle s'apparente, comme Olivier Ihl l'a montré à propos des Chicago Boys au Chili à une véritable science de gouvernement, c'est-à-dire une « ingénierie de gouvernement présentée comme un ensemble de connaissances objectives [43] ». Les économistes néo-libéraux s'identifient à la figure intellectuelle de l'« expert » mobilisant son intelligence dans un champ étroit, et fondant sa légitimité sur son savoir-faire [44]. Ils bâtissent leur analyse sur des théories issues de la science économique américaine, mais s'inspirent également de leur éthos professionnel (manière d'être et caractères communs des membres d'une même profession) qui confère une capacité technique aux économistes pour conseiller les gouvernements. Ainsi, Pascal Salin et Emil-Maria Claassen considèrent que c'est aux économistes de comprendre les origines de la crise économique, mais également de « définir les politiques correctrices à mettre en  uvre [45] ».

17Leur vision économiciste du monde est en rupture profonde avec les conceptions des premiers néo-libéraux français dont ils ignorent ou n'apprécient guère les écrits [46]. Tandis que les néo-libéraux français de « première génération » mobilisaient sur un mode d'argumentation de nature philosophique, considérant l'économie comme encastrée dans le social et le politique, les Nouveaux économistes fondent leur raisonnement à partir d'une épistémologie positiviste partant du comportement d'individus rationnels pour comprendre aussi bien les mécanismes économiques que politiques et sociaux. La réappropriation de Gary Becker pour qui « l'homme rationnel est un tout homogène [47] » leur permet d'avoir « une lecture "économique" de la famille, de la criminalité, de la vie politique [48] » qui étaient étrangères aux conceptions des néo-libéraux français auparavant. Ceci renouvelle profondément la manière dont ils fondent leur défense de l'économie de marché, les membres de la nouvelle génération considérant la mobilisation d'un registre scientifique pour défendre le marché libre à la fois comme plus rigoureuse et plus efficace [49].

II. Une légitimation scientifique du néo-libéralisme dans le débat public

18La constitution du groupe des Nouveaux économistes s'inscrit dans un contexte qui conditionne largement la réception du néo-libéralisme états-unien en France. En effet, tandis que le néo-libéralisme a été théorisé sur les campus, aux marges du champ académique, dans un contexte politique qui était défavorable aux producteurs de ces idées [50], les traducteurs et vulgarisateurs français s'en font les promoteurs dans un contexte favorisant leur diffusion. Ils bénéficient tout d'abord de la situation internationale : la crise pétrolière de 1973 et la stagflation qui caractérisent les années 1970, la fin du système de Bretton Woods et l'instauration d'un système de taux de change flottants, qui mit en difficulté le mode de régulation économique français keynésien dominé par des hauts-fonctionnaires depuis le lendemain de la guerre [51]. Jacques Rueff, l'un des premiers néo-libéraux français à avoir critiqué les travaux de John Maynard Keynes en France [52], peut ainsi proclamer dans Le Monde la « fin de l'ère keynésienne [53] ». Au niveau national, se développe à droite une critique du marxisme portée par des disciples de Raymond Aron, notamment au sein de la revue Contrepoint puis Commentaire[54], et de manière élargie au sein du Comité des intellectuels pour l'Europe des libertés, fondé par le gaulliste Alain Ravennes, qui regroupe des artistes et des intellectuels pour dénoncer le caractère totalitaire du communisme et défendre les libertés culturelles et politiques [55]. À gauche, la critique antitotalitaire se développe, moins sous l'influence directe de la parution de L'archipel du Goulag d'Alexandre Soljenistyne en 1974, que par l'usage qui en est fait par une nébuleuse d'intellectuels de gauche gravitant autour de la revue Esprit et du magazine Le Nouvel Observateur. Cette mobilisation se fait directement en réaction aux tractations autour de l'Union de la gauche depuis les années 1960 et à l'adoption d'un Programme commun en 1972 qui fit l'amalgame entre plusieurs cultures de gauche, en tension dans l'objectif de remporter les élections [56]. Celui-ci suscite de nombreuses réticences d'intellectuels de gauche non communistes, qui craignent, alors que le Parti communiste domine toujours électoralement les autres partis de gauche au début des années 1970, une hégémonie intellectuelle des analyses marxistes [57]. Cette critique anti-totalitaire connaît un débouché médiatique à travers le groupe des « Nouveaux philosophes » qui, à partir de 1976, bénéficie de la forte visibilité de leurs deux représentants principaux Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann au moment où la stratégie d'Union de la gauche est en crise. Leurs écrits sont légitimés par des intellectuels tels que Michel Foucault ou Roland Barthes dans un contexte marqué par les événements du Vietnam et l'épisode des Boat people qui nourrit la critique des régimes communistes [58]. La « deuxième gauche », rassemblée autour de Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret, participe à ce front anti-totalitaire et appelle à rompre avec le « social-étatisme » par l'expérimentation sociale et le développement d'une culture autogestionnaire [59]. Michel Foucault prononce au même moment ses cours au Collège de France sur le néo-libéralisme où il fait connaître à un large public les thèses de l'École de Chicago en s'appuyant largement sur la littérature secondaire produite par les Nouveaux économistes [60].

19Le nom du groupe, qui apparaît pour la première fois sous la plume d'un journaliste du Point en 1977 [61], visait d'abord à désigner les représentants du renouvellement de la science économique aux États-Unis ­ et obéit à une logique d'auto-labellisation. Il est choisi, dans une optique stratégique et médiatique, afin de se situer par rapport aux Nouveaux philosophes, identifiés comme des alliés objectifs dans leur entreprise de critique d'une partie de la gauche [62]. Les Nouveaux économistes bénéficient sur le plan politique de la peur que suscite la perspective de l'arrivée de la gauche au pouvoir, ce qui leur assure le soutien matériel de la frange libérale du patronat. Cette dernière est en lutte interne contre sa frange modernisatrice et protectionniste [63]. Mécontente de la politique économique des gouvernements successifs d'après-guerre, désireuse de se réarmer idéologiquement, elle fait évoluer son répertoire d'action vers des « mobilisations silencieuses » qui prennent la forme de soutien à des activités de production idéologique [64]. La période est marquée par une vague de création d'organismes de réflexion patronaux tels qu'Ethic, fondé par Yvon Gattaz, qui produit des argumentaires contre l'autogestion et les nationalisations, alors au c ur du Programme commun signé par le Parti socialiste et le Parti communiste, puis par le Parti radical de Gauche en 1972. L'Institut de l'entreprise, présidé par Jean Chenevier et dirigé par Michel Drancourt, est également créé en 1975 dans l'objectif de mener la guerre des idées et joue un rôle clef dans la diffusion du néo-libéralisme à l'époque [65]. C'est dans ce contexte que les Nouveaux économistes deviennent des médiateurs « généralistes » situés aux confins du monde académique et dotés des compétences et de la légitimité nécessaires pour traduire des savoirs en science économique auprès d'un public élargi [66].

20L'acte fondateur du groupe des Nouveaux économistes est un colloque tenu à l'ESSEC en 1975. S'y réunirent des économistes désireux de répondre aux critiques contre la science économique formulées par les économistes du Parti socialiste Jacques Attali et Marc Guillaume dans leur ouvrage L'anti-économique qui a bénéficié d'une couverture médiatique importante [67]. Ils sont alors tous les deux enseignants à l'Université Paris-Dauphine et animent l'Institut de recherche et d'information socio-économique qui alimente la réflexion économique du Parti socialiste. Le jeune économiste Jacques Attali devient peu avant l'élection présidentielle de 1974 le conseiller économique principal de François Mitterrand en tâchant de donner au PS une crédibilité scientifique sur la base de sa compétence technique. Il avait déjà suscité un vif débat public en critiquant dans Le Monde l'attribution du prix Nobel d'économie à Hicks et Arrow pour leur contribution à la théorie de l'équilibre général et du bien-être [68]. Le titre de l'ouvrage L'anti-économique est choisi pour faire pièce au manuel de référence en science économique de Paul Samuelson L'économique. L'ouvrage est largement inspiré des économistes radicaux de la New Left américaine [69], ainsi que de John Kenneth Galbraith [70]. Il constitue une charge hétérodoxe contre l'enseignement de la science économique dominante devenue selon les auteurs une pseudo-science abstraite incapable de rendre compte du réel, déconnectée des autres sciences sociales et justifiant le maintien de l'ordre existant. Les Nouveaux économistes se rassemblent pour contester cette analyse, et plus généralement un ensemble, assez disparate, de théories en vogue au sein des gauches et qui ont pour dénominateur commun de critiquer le fonctionnement du capitalisme. Les économistes du PS et du PCF partagent en effet le même point de vue sur les origines de la crise de 1973 : il s'agirait d'une crise systématique du capitalisme monopolistique d'État [71]. Ces critiques étaient déjà apparues peu après Mai 68 parmi plusieurs groupes d'économistes critiques qui se sont constitués notamment autour du CEPREMAP ou encore de l'INSEE inaugurant plusieurs années de débats entre enseignants-chercheurs en science économique sur son statut et son rapport aux autres disciplines [72]. En revanche, si le diagnostic de la crise est similaire, les propositions économiques formulées dans le sillage du Parti communiste et du Parti socialiste varient et forment un ensemble non homogène que le Programme commun signé en 1972 a tenté d'articuler en ménageant toutes les tendances : la théorie marxiste du capitalisme monopolistique d'État (CMP) faisant du retour de grandes entreprises monopolistiques dans le giron des services publics une priorité (analyse du PC partagée par le CERES de Jean-Pierre Chevènement au PS), régulationnistes keynésiens du PS (autour de Jacques Attali et de la branche parisienne de l'École de la Régulation), keynésiano-mendésistes attachés à la planification démocratique (regroupés autour de Pierre Mauroy), entre autres [73]. Au moment où le groupe des Nouveaux économistes se constitue, le socle commun des propositions économiques des gauches, y compris au PS dominé doctrinalement par le CERES d'inspiration néo-jacobine de Chevènement, est de promouvoir un socialisme au sein duquel l'État jouerait un rôle central autour du triangle nationalisation, planification démocratique et autogestion. Ainsi, ce moment du Programme commun de la gauche ­ renégocié, puis abandonné en 1977 ­ fait office de repoussoir pour ces économistes libéraux, car, comme le résume l'historien Marc Lazar, « il représente sans conteste une forme d'apothéose pour ne pas dire d'extase étatique et un accélérateur de l'étatisme de gauche [74] ».

21Le premier colloque des Nouveaux économistes visait, dans un premier temps, à répondre aux attaques spécifiquement adressées à la discipline de la science économique. Il débouche sur la publication en 1977 de L'économique retrouvée[75] qui s'appuie sur ce qu'ils conçoivent comme les dernières avancées de la science économique américaine. La réponse, virulente sur la forme [76], défend, face à ceux qui critiquent son objectivité, l'épistémologie positiviste de l'École de Chicago. Ce qui les réunit est en effet un « style d'interprétation qui se caractérise, entre autres, par les deux hypothèses d'individualisme (la réalité sociale est le produit de comportements individuels) et de rationalité (chaque individu utilise des moyens adaptés aux fins qu'il poursuit) (...) [77] ». Ils font leur la proposition épistémologique édictée par Milton Friedman selon laquelle la qualité d'un modèle explicatif ne doit pas se juger à l'aune du réalisme de ses hypothèses, mais à sa capacité prédictive [78]. À la critique « de gauche » qui reproche aux modèles des économistes de ne pas prendre en compte des variables sociologiques, Florin Aftalion répond que ces dernières peuvent être quantifiées et mesurées de manière empirique et défend les apports de l'économétrie. Jean-Jacques Rosa défend contre les critiques formulées par John-Kenneth Galbraith à l'égard de la technostructure l'idée que loin d'une exacerbation des désirs générés par les producteurs, les travaux de Gary Becker et de l'École de Chicago démontrent une invariance des goûts individuels face aux produits nouveaux. La publicité permettrait ainsi de faire connaître les produits en transformant les demandes latentes des consommateurs en demandes conscientes. La théorie du capital humain de Gary Becker est présentée comme un retour aux « classiques » et comme utile pour expliquer les inégalités de revenus, tout comme l'analyse économique du crime expliquerait l'action des criminels par un calcul coût/bénéfice.

22À côté de ces réponses, les Nouveaux économistes participent à un autre débat brûlant des années 1970 sur le statut de la crise économique et de ses origines : s'agit-il d'une crise du capitalisme ou de sa régulation excessive ? À travers la publication d'articles de presse et d'ouvrages [79], les Nouveaux économistes offrent une analyse monétariste de celle-ci en imputant son origine aux politiques keynésiennes inflationnistes. Selon eux, elle aurait une portée limitée, et ne remettrait pas en cause les fondements de la science économique ou du capitalisme. Cette analyse s'oppose frontalement à celles d'économistes marxistes (comme Samir Amin), mais également de membres du PS (Michel Rocard ou Jacques Attali par exemple) et de représentants de l'École de la régulation [80] (tel que l'économiste Michel Aglietta). Ces derniers analysent la crise, dans un ouvrage collectif écrit en contrepoint de celui des Nouveaux économistes sur le sujet, comme une faillite du système capitaliste et de la science économique qui ne « ne permet pas d'assimiler les ruptures actuellement rencontrées par l'économie mondiale et se réduit de ce fait à justifier les intérêts en place [81] ». Les thèses des Nouveaux économistes suscitent des réactions qui sont largement fonction des orientations politiques des lecteurs dans un contexte d'hyperpolitisation lié à la Guerre froide et aux élections législatives de 1978. Les critiques sont vives au sein de la presse et des revues militantes de gauche qui les dénoncent comme des porteurs d'une idéologie patronale et utopique. La plupart de ces commentateurs rapprochent le phénomène marketing des Nouveaux économistes de celui des Nouveaux philosophes et pointent la récupération qui en est faite alors par la majorité giscardienne [82].

23Le libéralisme défendu par les néo-libéraux dans le débat public se présente, dans un contexte de montée de préconisations économiques renforçant l'intervention de l'État dans l'économie à gauche, comme un « libéralisme contre l'État » en rupture avec deux autres formes de libéralisme. Il est en tension, d'un côté, avec le libéralisme politique de tradition française incarné par Raymond Aron et ses disciples et de l'autre avec le néo-libéralisme français de première génération. Les Nouveaux économistes s'éloignent des conceptions néo-libérales françaises de l'immédiat après-guerre sur le plan doctrinal en ce qui concerne la place accordée à l'État. En effet, rappelons que les néo-libéraux français (et allemands) qui avaient vécu la crise économique de 1929 souhaitaient renouveler le libéralisme en rompant avec le laissez-faire [83]. Pour ce faire l'État était amené à jouer un rôle important pour ériger des règles institutionnelles encadrant les marchés et atteindre des objectifs sociaux [84]. Les Nouveaux économistes procèdent quant à eux à une critique systématique de l'État dont les interventions seraient illégitimes y compris dans ses fonctions sociales (ils mettent en évidence ses supposés effets pervers), tandis que la théorie de la capture de la réglementation et de la bureaucratie est mobilisée pour souligner l'inefficience systématique des entreprises publiques en comparaison avec les entreprises privées. Le néo-libéralisme en France se mue ainsi, par un détour par les campus américains, en une idéologie critiquant les interventions de l'État dans les politiques économiques et sociales.

III. Des économistes très politiques : la politisation du néo-libéralisme dans le cadre des élections législatives de 1978

24Les thèses des Nouveaux économistes ne touchent une audience plus large qu'à partir de l'entreprise de vulgarisation menée par le journaliste économique Henri Lepage à la veille des élections législatives de 1978 [85]. Celui-ci est alors chargé de mission pour l'Institut de l'entreprise qui finance ses recherches sur les économistes néo-libéraux américains qu'il rencontre lors de voyages d'études et qu'il lit dans les revues académiques et militantes [86]. Il trouve dans ce courant de pensée des « arguments scientifiques » pour défendre le libéralisme économique et s'impliquer dans les controverses autour de l'autogestion prônée notamment par la « deuxième gauche [87] ». Il découvre que derrière cette littérature américaine, existe un courant de pensée unifié, et décide de faire « une sorte de reportage d'idées visant à informer les lecteurs français des développements les plus récents de la pensée et de la recherche néo-libérale américaine [88] ». Son ouvrage, Demain le capitalisme[89], paraît stratégiquement à quelques semaines du premier tour des élections législatives de 1978, et fait l'objet d'une promotion dans des journaux nationaux à l'aide d'encarts publicitaires. Alors que l'ensemble des observateurs politiques est convaincu que la gauche va remporter les élections, Demain le capitalisme, même si son style d'écriture et les thématiques abordées sont de nature académique, doit être ainsi perçu comme un texte d'intervention politique. La genèse de la rédaction de ce livre accrédite cette thèse sur l'intention de l'auteur et des éditeurs : les bonnes feuilles font l'objet, avant la sortie du livre, d'une parution dans le magazine Réalités (ancêtre du Figaro Magazine) qui a envoyé Henri Lepage aux États-Unis afin qu'« il en rapporte une série d'enseignements étonnants sur le renouvellement des théories socio-économiques modernes [90] ». Les chapitres du livre sont ainsi diffusés auprès d'un lectorat de droite jusqu'à la veille des élections législatives, tandis que la mise en livre du texte se fait par l'intermédiaire du délégué général de l'Institut de l'entreprise et de l'aronien Georges Liébert, alors directeur de la nouvelle collection « Pluriel » chez Hachette. Ce dernier voyait dans l'entreprise de Lepage un « obus brisant contre le monopole idéologique de la gauche nationalisatrice [91] ».

25L'analyse du texte témoigne d'une volonté d'inscrire le néo-libéralisme états-unien dans le débat public français. Faisant du succès des thèses de Jacques Attali et de Marc Guillaume le syndrome d'une « économophobie généralisée » et d'une « intoxication intellectuelle » venue de la New Left, il considère que « la défense de l'économie libérale ne sera efficace que si ses partisans sont capables d'opposer aux prétentions scientifiques des "anti-économistes" et de leurs sympathisants, un nouvel approfondissement théorique et scientifique des bases mêmes de leur philosophie politique [92] ». Il expose successivement les thèses des quatre grandes écoles qu'il a identifiées aux États-Unis en montrant leur pertinence pour rendre compte du fonctionnement de l'économie et de la politique. Tout d'abord la théorie du capital humain de Gary Becker dont le principe consiste à étendre l'analyse économique à tous les domaines des décisions humaines. La théorie du droit de propriété, initiée par Ronald Coase, vise à démontrer que l'entreprise est une organisation qui permet de réduire les coûts de transaction et d'information, ce qui implique que la résolution des problèmes politiques contemporains passe par une meilleure définition des droits de propriété. L'École des choix publics étend l'analyse micro-économique aux mécanismes des choix collectifs pour en conclure que la technologie politique des démocraties contemporaines est dépassée, ne reflétant qu'incorrectement les préférences collectives. Elle retourne les accusations portées sur l'inefficience du marché en montrant l'inefficacité des politiques économiques qui produisent des effets pervers et inattendus. La quatrième école présentée est le monétarisme qui explique l'inflation par l'expansion monétaire et prône en conséquence un contrôle de la masse monétaire. Lepage mobilise, à l'appui de cette présentation, une vaste littérature théorique et empirique pour appuyer la thèse que les problèmes contemporains sont liés à un excès d'État et à une présence insuffisante du marché : « Si l'Occident est malade, si les rivières y deviennent des égouts, les villes invivables ; si la pauvreté et la misère y survivent en dépit de la hausse globale du niveau de vie et des efforts politiques de redistribution (...) ce n'est pas parce que notre société est capitaliste, mais à l'inverse parce qu'elle n'est pas et n'a jamais été réellement capitaliste. (...) le procès qu'il convient de faire n'est pas celui du capitalisme ou de l'économie de marché, mais celui de l'État [93]. » La conclusion politique qu'il tire de ses recherches est de développer des réflexions de long terme pour contrer idéologiquement la gauche et de « démystifier la notion d'intérêt général qui n'est bien souvent qu'un alibi cachant un phénomène d'"exploitation" du reste de la société par une caste privilégiée de fonctionnaires et de bureaucrates [94] ».

26La parution de cet ouvrage est importante à plusieurs titres. Il s'agit du premier qui expose de manière systématique la pensée néo-libérale américaine et mobilise le label « néo-libéralisme » dans le monde francophone pour désigner le renouvellement de la pensée économique libérale aux États-Unis (à rebours de la définition qui dominait dans la période antérieure comme nous l'avons vu précédemment). Il se vend à plus de 30 000 exemplaires et connaît une large couverture médiatique et suscite un intérêt aussi bien à droite qu'à gauche [95]. L'Express par la plume du philosophe et éditorialiste Jean-François Revel fait un compte-rendu élogieux de ce qu'il qualifie de « reportage d'idées » sur ce « néo-capitalisme libertaire [96] » ; Le Point peut écrire « Adieu Keynes, adieu Galbraith » [97] ; Alfred Sauvy dans Le Monde considère que les progrès accomplis par la science économique décrits par Henri Lepage relèguent « l'analyse marxiste au musée des idées tout aussi erronées que périmées [98] », tandis que le Nouvel Observateur retient les quelques lignes de présentation que Lepage fait des libertariens américains, qui prônent la légalisation de la drogue, le refus de la conscription militaire et la suppression de la CIA [99]. Enfin, il fait l'objet d'une consécration militante internationale puisqu'il est ensuite traduit en anglais et préfacé par le chef de file de l'École des choix publics, James Buchanan [100]. L'ouvrage contribue également à stabiliser autour d'un certain nombre de références d'auteurs et d'idées directrices le néo-libéralisme porté dans les années 1980 par une partie des « cadets de la droite » (la nouvelle génération des cadres des partis de droite), qui le lisent et en font une référence théorique [101].

27Les autres Nouveaux économistes, tout en revendiquant leur légitimité scientifique, convertissent dans le champ politique leurs thèses économiques en s'impliquant directement dans le débat public à la veille des élections législatives de 1978. Ils se mobilisent, en tant qu'économistes professionnels, dans une série de livres d'intervention politique ciblant essentiellement les mesures économiques du Parti socialiste et du Parti communiste. Georges Gallais-Hammono, dans un livre écrit avant la rupture du Programme commun, démontre à partir de la théorie du droit de propriété (découverte grâce à Lepage) l'inefficacité des entreprises publiques par rapport aux entreprises privées et dénonce les nationalisations dont il chiffre le coût [102]. André Fourçans critique les analyses de Michel Rocard sur l'inflation [103] et pointe les effets pervers de l'intervention de l'État dans l'économie pour en conclure qu'« il n'existe qu'une alternative : soit le marché, soit la bureaucratie et la centralisation du pouvoir entre les mains de quelques privilégiés [104] ». Florin Aftalion passe en revue l'ensemble des propositions économiques du Parti socialiste et mobilise des travaux de l'École des choix publics pour montrer l'impossibilité d'une préférence collective en raison de l'absence de moyens techniques permettant d'agréger les préférences individuelles [105]. Sur le versant programmatique il défend l'idée d'un impôt négatif, théorisée par Milton Friedman [106], et promue dans le débat public par Lionel Stoléru et Christian Stoffaës, tous les deux conseillers économiques du pouvoir giscardien dans les années 1970 [107] : dans cette optique l'État ne produit et ne distribue aucun bien collectif, mais reverse aux plus démunis, sous forme de crédit d'impôt une somme qui leur permet de couvrir leurs besoins essentiels.

28La publication d'ouvrages ne constitue qu'une partie de leur engagement qui s'inscrit dans une mobilisation plus large d'intellectuels opposés à l'arrivée au pouvoir de la gauche. Ils poursuivent leur affrontement avec les économistes du Parti socialiste lors de débats contradictoires organisés par l'ALEPS comme celui de septembre 1977 autour du thème « La France marche-t-elle vers le collectivisme ? » dans lequel s'opposent notamment Jacques Garello et Laurent Fabius, et au cours duquel le sociologue Michel Crozier intervient pour évoquer le « monstre bureaucratique [108] ». Par ailleurs, le 28 février, les Nouveaux économistes publient dans la presse sous forme d'encart publicitaire un manifeste défiant les experts économiques du PS. Ils prétendent s'exprimer indépendamment de tout parti, du strict point de vue scientifique, et affirment que les promesses des partis de gauche sont incompatibles avec la situation économique de la France. Ils demandent à débattre avec leurs experts économiques autour des propositions suivantes :

29

En renforçant le pouvoir de l'État et la puissance de la bureaucratie, on n'assure pas le progrès économique ; en augmentant les charges des entreprises, on n'assure ni la sécurité de l'emploi, ni la croissance réelle des salaires ; en distribuant du pouvoir d'achat factice de manière irresponsable, on ne stimule pas durablement l'activité économique, on n'aide pas les plus défavorisés [109].

30Bien que leur proposition de débat contradictoire n'ait pas connu de suite [110], il offre une large audience médiatique au groupe. L'indépendance politique proclamée des Nouveaux économistes et de leur opération de communication, toute relative, est contestée par leurs adversaires. Une enquête du Monde les présente comme des « poulains » de l'Institut de l'entreprise et affirme que cette campagne publicitaire en leur faveur a été commandée par l'Association pour la Démocratie financée par les fonds secrets de l'Élysée, tandis que leur « manifeste » a été porté dans toutes les rédactions par des motards de Matignon [111]. Le récit que nous a livré André Fourçans accrédite la thèse d'une extrême proximité avec le gouvernement de Raymond Barre :

31

On a une réunion [en 1978] au pavillon de musique de Matignon (...) où il y a les coups politiques qui sont montés, c'est au fond du jardin de Matignon, c'est discret. (...). Mais c'était ça, c'était le complot ­ c'était rigolo d'ailleurs ­ donc moi j'avais 32 ans. Donc qu'est-ce qu'on peut faire pour empêcher les socialistes de prendre le pouvoir en 78 ? Il y avait Rosa, moi, je pense qu'il y avait Salin, Aftalion peut-être. On n'était pas nombreux, 5 ou 6. Et donc on a décidé de faire un manifeste anti anti-économique. Je me souviens plus du titre [il regarde dans ses notes sans retrouver le manifeste] bon, peu importe le titre ! C'était dans Le Monde, qui soutenait à mort le Parti socialiste à ce moment-là. Ils nous avaient attaqués à mort. On avait proposé un débat à Attali, à Philippe Herzog [l'un des économistes principaux du PC et négociateur du Programme commun avant qu'il ne soit rompu en 1977], que j'ai retrouvé par la suite au Parlement européen. Bon, ils ont refusé le débat, ce qui nous permit de relancer la sauce, vous savez, on critiquait le fait que c'est l'État qui veut reprendre les choses en main (...) [112].

32Il convient d'inscrire cette offensive politique des Nouveaux économistes dans un contexte plus général, alors que le gouvernement lance une véritable offensive intellectuelle contre les partis de gauche. Orchestrée directement depuis Matignon [113], elle s'appuie sur l'Association pour la démocratie destinée à soutenir des candidats aux élections législatives sur le plan organisationnel et financer divers groupes d'intellectuels désignés comme proches des idées de l'UDF comme le CIEL, les Cercles universitaires de France ou encore les Nouveaux économistes [114].

33À côté de cette opération, le plus politique des Nouveaux économistes, Jacques Garello, s'était présenté aux élections municipales de 1977 sous les couleurs du CNI à Marseille dans l'arrondissement de Gaston Deferre où il obtint 42 % des voix [115]. Fort de ses liens avec les milieux patronaux, il assure des services de formation en science économique aux entreprises afin de contrer l'influence politique des syndicats jugés marxistes. Il forme également des candidats du Parti républicain (future composante libérale de l'UDF) à leur Université d'été, ainsi que des propagandistes pour les élections législatives en préparant ce qu'il appelle lui-même des « tupperwares politiques », c'est-à-dire des ensembles de documents audiovisuels destinés à convaincre les électeurs de voter pour les candidats de la majorité lors de réunions à domicile [116]. Peu après la victoire inattendue de la majorité de droite aux élections législatives, les Nouveaux économistes, au sommet de leur exposition médiatique, déclarent plus ouvertement leur soutien à la politique de Raymond Barre. Dans Paris Match, Jacques Garello se félicite que le gouvernement ne mène pas de politique conjoncturelle, tandis qu'Henri Lepage peut se réjouir d'« un ensemble politique dont la cohérence tranche avec l'opportunisme interventionniste du libéralisme traditionnel "à la française" [117] ».

34La mobilisation des Nouveaux économistes pour faire connaître les thèses néo-libérales participe de la reconfiguration plus générale du champ intellectuel français dans les années 1970. Celle-ci se caractérise par le déclin du marxisme et l'érosion de la figure de l'« intellectuel total » au profit de mobilisations intellectuelles plus sectorielles comme celle des Nouveaux économistes qui s'impliquent dans le débat public au nom d'une scientificité reconnue dans leur domaine [118]. Confiné dans les marges universitaires, le néo-libéralisme états-unien, par une mobilisation conjointe de jeunes économistes et d'une partie du patronat s'impose dans le débat public comme une alternative crédible aux analyses de la crise formulées par les gauches et source de propositions pour y remédier. La genèse de la réception de ce néo-libéralisme contribue, en ouvrant la boîte noire des pensées libérales contemporaines et de leur circulation, à combler un angle mort de la science politique, et permet de montrer qu'un néo-libéralisme en a chassé un autre. Les thèses défendues par les Nouveaux économistes et relayées par certains journalistes sont en rupture avec le néo-libéralisme français théorisé peu avant la guerre de par son caractère importé des États-Unis, son imbrication avec des savoirs économiques, et son degré de radicalité déniant à l'État son rôle régulateur et redistributif. Cette analyse contextualiste permet de voir que sous l'effet d'un renouvellement générationnel de ses promoteurs, et sous l'influence du développement transnational du néo-libéralisme, les contours et la promotion de cette doctrine ont profondément évolué. À une rhétorique prudente, adossée aux critiques formulées à l'égard du laissez-faire du 19e siècle, s'est substituée une argumentation mobilisant le registre de la scientificité et dénonçant les inefficacités de l'intervention de l'État dans les affaires sociales et économiques. L'État voit son rôle évoluer d'une fonction positive d'« interventionnisme juridique » visant à construire un ordre concurrentiel à un rôle négatif de retrait des affaires économiques et sociales. On observe ainsi un glissement d'un « néo-libéralisme par l'État » à un « néo-libéralisme contre l'État » qui s'appuie désormais sur un savoir spécialisé mobilisant des outils et un vocabulaire propre à la science économique.

35Cette étude de réception d'un ensemble de théories nous permet de constater plus largement, à l'instar de Mathieu Hauchecorne dans son travail sur la réception des théories de la justice en France, que les outils analytiques de l'École de Cambridge ont une portée heuristique tout aussi importante pour saisir les mécanismes de réception des idées politiques dans un contexte national différent par rapport à son contexte de production [119] : le contexte politique de réception conditionne autant le sens et la fonction des idées que celui de production. La situation politique française des années 1970 a favorisé une réception de ce type : si le néo-libéralisme américain a pu s'implanter dans le débat public, c'est qu'il a fait l'objet d'un travail de traduction et d'adaptation dans un cadre français lui permettant d'« offrir prise [120] » à une frange du patronat et des acteurs politiques de droite soucieux de contrer la montée électorale des gauches qui renouvellent au même moment leur discours économique [121].


Date de mise en ligne : 24/10/2017

https://doi.org/10.3917/rai.067.0071

Notes

  • [1]
    Henri Lepage, Demain le capitalisme, Paris, Hachette, 1978, p. 12-13.
  • [2]
    Serge Audier, Le colloque Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l'Eau, 2012 ; François Denord, « Aux origines du néo-libéralisme en France. Louis Rougier et le colloque Walter Lippmann de 1938 », Le mouvement social, vol. 195, no 2, 2001, p. 9-34.
  • [3]
    Sur l'évolution de la signification associée à ce terme voir Arnaud Brennetot, « Géohistoire du néolibéralisme », Cybergeo: European Journal of Geography, 2013, https://cybergeo.revues.org/26071 ; Serge Audier, Néo-libéralisme(s) : une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012 ; Taylor C. Boas et Jordan Gans-Morse, « Neoliberalism: From new liberal philosophy to anti-liberal slogan », Studies in Comparative International Development, vol. 44, no 2, 2009, p. 137-161.
  • [4]
    Le néo-libéralisme se divise en quatre écoles principales : l'École de Chicago, l'École des choix publics de l'Université de Virginie, l'École autrichienne d'économie et les libertariens (qui se distinguent par leur radicalité et leur argumentation qui repose sur des fondements philosophiques).
  • [5]
    Maurice Lagueux, « Le néo-libéralisme comme programme de recherche et comme idéologie », Cahiers d'économie politique, no 16-17, 1989, p. 129-152.
  • [6]
    Angus Burgin, The Great Persuasion: Reinventing Free Markets since the Depression, Cambridge, Harvard University Press, 2012 ; Serge Audier, Néo-libéralisme(s)..., op. cit.  ; Philip Mirowski et Dieter Plehwe (dir.), The Road from Mont Pèlerin: The Making of the Neoliberal Thought Collective, Cambridge, Harvard University Press, 2009.
  • [7]
    François Denord, Néo-libéralisme, version française. Histoire d'une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
  • [8]
    Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 145, no 5, 2002, p. 3-8.
  • [9]
    À l'instar de Gwendal Châton et Sebastien Caré, « Néolibéralisme(s) et démocratie(s) », Revue de philosophie économique, vol. 17, no 1, 2016.
  • [10]
    Celles de l'économiste Jacques Rueff aux Archives Nationales (579/AP), les archives personnelles de Serge Schweitzer, Maître de Conférences en sciences économiques, qui a mis à disposition la documentation qu'il a conservée sur les Nouveaux économistes depuis les années 1970.
  • [11]
    Conservées au Liberaal Archief à Gand en Belgique.
  • [12]
    Pascal Salin, Henri Lepage, Florin Aftalion, Georges Lane, Jacques Garello, François de Sesmaisons, Jean-Jacques Rosa, Alain Laurent, André Fourçans, Guy Sorman, Serge Schweitzer et Gérard Bramoullé.
  • [13]
    Arnaud Diemer, « Le néolibéralisme français ou comment penser le libéralisme au prisme des institutions », Économie et institutions, no 20-21, 2014, p. 81-113.
  • [14]
    Ibid. ; François Bilger, « La pensée néolibérale francaise et l'ordolibéralisme allemand », L'ordolibéralisme allemand, Aux sources de l'économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2003, p. 17-28. Voir aussi Gérard Minart, Jacques Rueff. Un libéral français, Paris, Odile Jacob, 2016 ; Patricia Commun, Les ordolibéraux : histoire d'un libéralisme à l'allemande, Paris, Les Belles Lettres, 2016.
  • [15]
    Maurice Allais refuse de signer le texte constitutif de la Société du Mont Pèlerin, car celui-ci attache une trop grande importance au principe de propriété privée. Bertrand de Jouvenel justifie sa démission de la Société par ses divergences idéologiques auprès de Milton Friedman en considérant que la Société « s'est orientée de plus en plus vers un manichéisme selon lequel l'État ne peut rien faire de bien tandis que l'entreprise privée ne peut faire rien de mal », Bertrand de Jouvenel à Milton Friedman, le 30 juillet 1960, « Milton Friedman Papers », Hoover Institution Archives, Boîte 28.
  • [16]
    François Denord, Néo-libéralisme, version française..., op. cit., p. 179-238. À ces différentes tentatives de structuration, nous pouvons ajouter celle de Jacques Rueff, François Trévoux, Bertrand de Jouvenel et d'une partie du patronat qui était de faire du Centre National des Indépendants un parti néo-libéral. Voir Friedrich Hayek, « Brief Report to the Members of the Mont Pèlerin Society on the Conference held at Seelisberg from July 3rd to July 10th 1949 », Archives Libérales de Gand. Un groupe de permanents patronaux avait aussi avancé l'idée de créer un parti libéral européen structuré autour de la figure de Jacques Rueff. Cf. lettre de Pierre Lhoste Lachaume à Jacques Rueff, le 13 octobre 1961 ; Louis Rougier, « De l'opportunité de créer un nouveau parti politique », Fonds Jacques Rueff, AN/AP 579-204.
  • [17]
    Sur la pensée de ces universitaires voir Pascal Le Merrer, « L'affirmation de l'économie comme discipline scientifique », Tracés. Revue de sciences humaines, no 11, 2012, p. 167. Pour un exemple de cette volonté d'allier économie de marché et catholicisme, voir Daniel Villey, « L'économie de marché devant la pensée catholique », Revue d'économie politique, novembre-décembre 1954.
  • [18]
    L'Association pour la Liberté économique et le progrès social a été fondée par des membres de la frange conservatrice du patronat et des universitaires membres de la Société du Pèlerin pour organiser la remise d'un prix libéral et organiser des « Semaines de la pensée libérale ». Son objectif était de réhabiliter le terme « libéralisme » et lutter contre ce qu'il considérait être l'influence croissante du marxisme. Sur la genèse de l'ALEPS, nous nous permettons de renvoyer à Kevin Brookes, « Deux réseaux de promotion du néolibéralisme entremêlés dans les années 1960 et 1970 : l'ALEPS et le groupe des "nouveaux économistes" », in Dominique Barjot, Olivier Dard, Frédéric Fogacci, Jérôme Gondreux (dir.), Histoire de l'Europe Libérale. Libéraux et libéralisme en Europe, XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2016, p. 245-264. Voir aussi Michael C. Behrent, « Justifying capitalism in an age of uncertainty: L'Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social, 1969-1973 », in Émile Chabal (dir.), France since the 1970s. History, Politics and Memory in an Age of Uncertainty, Londres, Bloomsbury Academic, 2014.
  • [19]
    Ce groupe est composé de Florin Aftalion, Gérard Bramoullé, Emil-Maria Claassen, André Fourçans, Georges Gallais-Hamonno, Jacques Garello, Frédéric Jenny, Henri Lepage, Daniel Pilisi, Jean-Jacques Rosa, Pascal Salin, André-Paul Weber, et Henri Lepage. Nous avons identifié les contours du groupe à partir des livres collectifs et leurs interventions dans le débat public, ou encore à travers des comptes-rendus qu'ils font à l'époque. Par exemple, Georges Gallais-Hamonno et Henri Lepage, « Vers un renouveau doctrinal pour la pensée économique ? : les Nouveaux économistes », Annales d'économie politique, no 29, 1978.
  • [20]
    Entretien avec Pascal Salin, 10 mai 2010.
  • [21]
    Daniel Pilisi a eu l'idée d'organiser des discussions collectives au sein d'un séminaire après un séjour académique à l'Université d'Uppsala. Il restitue ainsi l'état d'esprit de ces jeunes économistes : « les gens du Say se sentaient complètement en marge de la science économique française. On voulait travailler comme les anglo-saxons », cité in Pascal Le Merrer, « L'affirmation de l'économie comme discipline scientifique »..., art. cité, p. 170.
  • [22]
    Daniel Pilisi, Jean-Claude Milleron, Pascal Salin, Emil M. Claassen et Alain Wolfesperger, Une contribution à la théorie du revenu permanent, Paris, PUF, 1965.
  • [23]
    Daniel Pilisi et Pascal Salin, « L'enseignement et la recherche en science économique, la situation française », 1967, Archives nationales, Fonds Jacques Rueff (AP/579), carton 204.
  • [24]
    Pascal Le Merrer, « L'enseignement universitaire de l'économie en France : autonomie et normalisation (1966-1981) », Document de travail, juin 2005.
  • [25]
    Entretien avec Jacques Garello, 8 juin 2012.
  • [26]
    Frédéric Jenny a obtenu un PhD à l'Université de Harvard, André Fourçans à l'Université de l'Indiana, Florin Aftalion à l'Université de Northwestern, Jean-Jacques Rosa a fait un séjour académique à Harvard au cours de ses études.
  • [27]
    Pascal Le Merrer, « L'affirmation de l'économie comme discipline scientifique », art. cité.
  • [28]
    Il contribue régulièrement au journal Le Figaro et au magazine L'Express. Par exemple, « Que veulent les Nouveaux économistes ? L'Express va plus loin avec Jean-Jacques Rosa », L'Express, 5 juin 1978.
  • [29]
    Voir par exemple Milton Friedman, Contre Galbraith, Paris, Economica, 1977 ou Gordon Tullock, Le marché politique : analyse économique des processus politiques, Paris, Economica, 1978.
  • [30]
    Claire Andrieu, Pour l'amour de la République : le Club Jean Moulin, 1958-1970, Paris, Fayard, 2002, p. 254.
  • [31]
    Entretien avec Jean-Jacques Rosa, 2 octobre 2015.
  • [32]
    « Bon, je n'étais pas en première ligne, mais je me suis battu sur le Boulevard Saint-Germain contre les CRS », entretien avec André Fourçans, 25 octobre 2015.
  • [33]
    « Profession de foi de Pascal Salin, élections législatives de mars 1973, 5e circonscription de Seine-Maritime, Mouvement réformateur », Archives du CEVIPOF (Archives.org).
  • [34]
    Rémy Rieffel, Les intellectuels sous la Ve République (1958-1990), Paris, Hachette, 1995.
  • [35]
    Comme la Revue d'économie politique, les Bulletins de l'Institut économique de Paris, ceux de la SEDEIS (fondée par Bertrand de Jouvenel) ou Vie et sciences économiques, publication de l'Association nationale des docteurs en sciences économiques dirigée par le nouvel économiste Jean-Jacques Rosa.
  • [36]
    Georges Gallais-Hamonno et Henri Lepage, « Vers un renouveau doctrinal pour la pensée économique ? : les Nouveaux économistes », art. cité.
  • [37]
    Jean Jacques Rosa et Daniel Amson, « Conditions économiques et élections : une analyse politico-économétrique (1920-1973) », Revue française de science politique, vol. 26, no 6, 1976, p. 1101-1124.
  • [38]
    André Fourcans, « Inflation and output growth: The French experience, 1960-1975 », Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, no 8, 1978, p. 81-140.
  • [39]
    Jean-Jacques Rosa, Théorie micro-économique, Paris, Fondation nationale de sciences politiques, 1976 ; Pascal Salin, Économie internationale..., Paris, Armand Colin, 1974 ; Frédéric Jenny et André-Paul Weber, Initiation à la microéconomie : manuel concret de 1er cycle, Paris, Dunod, 1983.
  • [40]
    « Third Paris - Dauphine Conference on Money and International Monetary Problems. Provisionnal Programme. 28-30th March 1974 », Archives nationales, Fonds Jacques Rueff (AP/579), carton 177.
  • [41]
    « Dîner-débat à la Tour Eiffel. Sous la présidence de M. Jacques Rueff, Chancelier de l'Institut », L'Institut économique de Paris, 28 mars 1974, Archives Nationales, Fonds Jacques Rueff (AP/579), carton 177.
  • [42]
    Marion Fourcade, « The construction of a global profession : The transnationalization of economics », American journal of sociology, vol. 112, no 1, 2006, p. 145-194.
  • [43]
    Olivier Ihl, « Objetividad de Estado. Sur la science de gouvernement des Chicago Boys dans le Chili de Pinochet », Revue internationale de politique comparée, vol. 19, no 3, 2013, p. 67-88.
  • [44]
    Seymour Martin Lipset et Asoke Basu, « Des types d'intellectuels et de leurs rôles politiques », Sociologie et sociétés, vol. 7, no 1, 1975, p. 51-90.
  • [45]
    Emil Maria Claassen et Pascal Salin, L'Occident en désarroi : turbulences d'une économie prospère, Paris, Dunod, 1977, p. 2.
  • [46]
    Ce que confirme nos entretiens : « Moi je ne connais pas Rueff (...) moi je n'aime pas Maurice Allais » (Henri Lepage) ; « Allais a vite disparu du radar des libéraux, il a pris des positions très étranges, donc heu... on n'a pas eu de rapports avec lui » (Florin Aftalion) ; « Le problème d'Allais et le problème de Rueff, c'est que c'était tous les deux des autodidactes. C'était tous les deux des gens qui avaient une formation scientifique et qui ont découvert par eux-mêmes une certaine approche économique et... mais avec leur propre démarche et avec leurs propres mots même. C'est une chose qui a toujours été un peu, gênante c'est qu'on ne savait pas toujours de quoi il parlait parce qu'ils n'utilisaient pas le langage normal, n'est-ce pas, de l'économiste » (Pascal Salin).
  • [47]
    « Principaux thèmes de l'Université d'été », Liberté économique et progrès social, no 31, juillet-août-septembre 1978, p. 9.
  • [48]
    Ibid., p. 10.
  • [49]
    « La défense du libéralisme à l'époque c'était très littéraire, très idéologique, c'était de la répétition de slogans », « c'était la défense simplement de la libre-entreprise », entretien avec Henri Lepage, 16 mai 2012.
  • [50]
    Philip Mirowski et Dieter Plehwe (dir.), The Road from Mont Pèlerin : The Making of the Neoliberal Thought Collective, op. cit., p. 68-97, p. 139-178 ; Angus Burgin, The Great Persuasion, op. cit., p. 12-54.
  • [51]
    Pierre Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », Revue française d'économie, vol. 2, no 4, 1987, p. 22-56 ; Peter A. Hall, Governing the Economy: The Politics of State Intervention in Britain and France, New York, Oxford University Press, 1986 ; Delphine Dulong, « Quand l'économie devient politique. La conversion de la compétence économique en compétence politique sous la Ve République », Politix, vol. 9, no 35, 1996, p. 109-130.
  • [52]
    Jacques Rueff, « Les erreurs de la théorie générale de Lord Keynes », Revue d'économie politique, janvier-février 1947, p. 5-33.
  • [53]
    Jacques Rueff, « La fin de l'ère keynésienne », Le Monde, 19, 20 et 21 février 1976.
  • [54]
    Sur ces néo-aroniens voir la thèse de Gwendal Châton, « La liberté retrouvée : une histoire du libéralisme politique en France à travers les revues aroniennes Contrepoint et Commentaire », thèse de science politique, Université de Rennes 1, 2006. Sur le renouveau du libéralisme politique durant cette période, voir également Émile Chabal, A Divided Republic : Nation, State and Citizenship in Contemporary France, Cambridge, Royaume-Uni, 2015, p. 135-157.
  • [55]
    Le manifeste est signé par des universitaires comme Raymond Aron, Raymond Boudon, Michel Crozier ou Jean-Claude Casanova, des artistes comme Eugène Ionesco ou des écrivains-journalistes comme Louis Pauwels, Jean d'Ormesson et Jean-François Revel. Cf. « Création d'un Comité des intellectuels pour l'Europe des libertés », Le Monde, 16 janvier 1978.
  • [56]
    Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité. Le programme commun de la gauche, 1963-1978, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 23. Sur le « processus accidenté » conduisant à la signature du Programme commun voir Frédérique Matonti, « La fabrique du Programme commun », in Karim Fertikh, Mathieu Hauchecorne et Nicolas Bué (dir.), Les programmes politiques. Genèses et usages, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 165-179.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Michael Scott Christofferson, Les intellectuels contre la gauche. L'idéologie antitotalitaire en France, 1968-1981, trad. fr. André Merlot, Marseille, Agone, 2009, p. 243-302.
  • [59]
    Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret, Pour une nouvelle culture politique, Paris, Seuil, 1977.
  • [60]
    Serge Audier, Penser le « néolibéralisme ». Le moment néolibéral, Foucault et la crise du socialisme, Lormont, Le Bord de l'eau, 2015, p. 281-285.
  • [61]
    Daniel Garric, « La révolte contre l'État », Le Point, 11 juillet 1977.
  • [62]
    Albert Garand, « Les Nouveaux philosophes et le libéralisme », Liberté économique et progrès social, no 26 bis, juillet-août-septembre 1977.
  • [63]
    Sur les divisions doctrinales du patronat français après la Seconde Guerre mondiale, voir Laurence Badel, « Protectionnisme : un patronat divisé », in Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 974-978 ; François Denord, « Le libéralisme », ibid., p. 1022-1027.
  • [64]
    Michel Offerlé, Sociologie des organisations patronales, Paris, La Découverte, 2009.
  • [65]
    Régis Boulat, « Les clubs de réflexion patronaux », in Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, op. cit., p. 1040-1044. Sur l'histoire de l'Institut de l'entreprise, voir Félix Torres, L'intelligence de l'entreprise. 40 ans de réflexion patronale en France, Paris, Manitoba/Les Belles Lettres, 2016.
  • [66]
    Sur la notion d'intermédiaires entre plusieurs milieux dont la fonction est de traduire certaines idées dans des contextes extérieurs à celui de la production des idées voir Thibaut Rioufreyt, « Les passeurs de la "Troisième Voie ?. Intermédiaires et médiateurs dans la circulation transnationale des idées », Critique internationale, vol. 2, no 59, 2013, p. 33-46 ; Olivier Nay, « Les intermédiaires en politique : médiations et jeux d'institutions », in Olivier Nay et Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes dans l'action politique, Paris, Economica, 2002, p. 47-86.
  • [67]
    Jacques Attali et Marc Guillaume, L'anti-économique, Paris, PUF, 1974.
  • [68]
    Jacques Attali, « Hicks et Arrow, prix Nobel d'économie 1972 ont-ils été jugés sur leur vraie valeur ? », Le Monde, 2-3 décembre 1972.
  • [69]
    La New Left est un mouvement politique contestataire né sur les campus américains en réaction à la guerre du Vietnam, mais également pour soutenir le combat pour les droits civiques. Agrégeant des théories rompant avec le marxisme orthodoxe (notamment son ouvriérisme), la New Left réunie notamment autour de la Students for a Democratic Society offre une critique de la société de consommation, une défense de la démocratie participative, et une libéralisation complète des m urs. Voir John McMillian et Paul Buhle (dir.), The New Left Revisited, Philadelphie, Temple University Press, 2003.
  • [70]
    John-Kenneth Galbraith, Le nouvel État industriel. Essai sur le système économique américain, Paris, Gallimard, 1968.
  • [71]
    Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité..., op. cit.
  • [72]
    Pascal Le Merrer, « L'enseignement universitaire de l'économie en France : autonomie et normalisation (1966-1981) », art. cité.
  • [73]
    Mathieu Fulla, Les socialistes français et l'économie, 1944-1981. Une histoire économique du politique, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015 ; Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité, op. cit.
  • [74]
    Marc Lazar, « La gauche et l'État : le moment programme commun, 1973-1978 », in Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux (dir.), L'union sans unité..., op. cit., p. 110.
  • [75]
    Jean-Jacques Rosa et Florin Aftalion (dir.), L'économique retrouvée. Vieilles critiques et nouvelles analyses, Paris, Économica, 1977.
  • [76]
    Jacques Attali recourrait selon Alain Wolfesperger à « l'amalgame dont étaient si friands les polémistes staliniens des années 40 et 50 » (p. 17-18.) ; pour Florin Aftalion, cette critique anti-économique s'apparenterait à du « marxisme vulgaire » (p. 55) ; Pascal Salin s'indigne : « Comment peut-il se faire qu'il existe des éditeurs pour éditer des erreurs grossières, des lecteurs pour lire et les répéter, des commentateurs pour les louer ? » (p. 128).
  • [77]
    Alain Wolfesperger, « Le contenu idéologique de la science économique », in Jean-Jacques Rosa et Florin Aftalion (dir.), L'économique retrouvée..., op. cit., p. 11.
  • [78]
    Milton Friedman, Essays in Positive Economics, Chicago, University of Chicago Press, 1953.
  • [79]
    Emil Maria Claassen et Pascal Salin, L'Occident en désarroi. Turbulences d'une économie prospère, Paris, Dunod, 1977.
  • [80]
    Né autour d'un petit groupe d'économistes d'État au milieu des années 1970, d'inspiration marxiste à ses origines, l'école de la régulation s'intéresse aux modes de production, aux régimes d'accumulation, et aux formes des rapports sociaux pour saisir les évolutions des modes de régulation du capitalisme sur le temps long en s'enrichissant des apports des autres sciences sociales et en confrontant leurs analyses à la réalité empirique (statistiques économiques et sociales).
  • [81]
    Xavier Greffe et Jean-Louis Reiffers (dir.), L'Occident en désarroi. Ruptures d'un système économique, Paris, Dunod, 1978.
  • [82]
    Roger Priouret, « Vive la jungle ! », Le Nouvel Observateur, 17 avril 1978 ; Georges Suffert, « Économistes : la nouvelle vague », Le Point, 13 mars 1978 ; Pierre Rosanvallon, « L'Utopie des Nouveaux économistes », Cadres CFDT, septembre-octobre 1978.
  • [83]
    Le professeur Gaston Leduc, membre de ce groupe gravitant autour de l'ALEPS considère ainsi que « le rôle de l'État est essentiellement un rôle d'encadrement et d'ajustement, bien moins simple et facile qu'on ne se l'imaginait jadis, fort éloigné par conséquent du pur "laissez faire, laissez passer" ». Cf. Gaston Leduc, « Ordre et liberté dans l'économie », Première semaine de la pensée libérale, Association pour la liberté économique et le Progrès social, 1969, p. 35.
  • [84]
    Jacques Rueff écrivait par exemple « je pense que les autorités sociales doivent intervenir, pour faire que le monde soit ce que nous voulons qu'il soit » (cité in G. Minart, Jacques Rueff..., op. cit., p. 182). Louis Rougier, organisateur du Colloque Lippmann en 1938 où le terme néo-libéralisme fut consacré, partage les mêmes conceptions proches de l'ordo-libéralisme allemand : « les néo-libéraux n'excluent pas les interventions qui agissent sur les effets de la liberté des prix quand la situation qu'elle créée est intolérable pour toute une catégorie d'économiquement faibles. Ils admettent les transferts sociaux, en vertu de la sauvegarde humaine qui sont au-delà de l'offre et de la demande ». p. 2. Louis Rougier, « Comment rendre l'ordre institutionnel conforme aux nécessités de l'économie du marché ? », « Archives de la Société du Mont Pèlerin », Hoover Institution Archives, boîte 17.
  • [85]
    Henri Lepage, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris a effectué une partie de ses études aux États-Unis (grâce à une bourse Fulbright) et à la London School of Economics. Il est recruté comme journaliste au magazine dirigé par Michel Drancourt, Entreprise, en 1967. Il le suit ensuite lorsqu'il fonde avec Jean Chenevier l'Institut de l'entreprise en 1975 afin de donner les moyens au patronat de se réarmer idéologiquement. Entretien avec Henri Lepage, 16 mai 2012 ; fiche Who's Who.
  • [86]
    Regis Boulat, « Du Centre de recherche des chefs d'entreprise à l'Institut de l'entreprise », in Les droites et l'économie en France au XXe siècle, Paris, Riveneuve Éditions, 2011, p. 35-53.
  • [87]
    Henri Lepage écrit son livre Autogestion et capitalisme en 1978 en réponse à l'Anti-économie, mais également au livre de Pierre Rosanvallon, L'âge de l'autogestion, paru en 1976.
  • [88]
    Henri Lepage, Pourquoi la propriété, Paris, Hachette, 1985, p. 10.
  • [89]
    Henri Lepage, Demain le capitalisme, Paris, Hachette, 1978.
  • [90]
    Henri Lepage, « Du nouveau en économie-politique : le capitalisme libertarien », Réalités, no 373, mars 1977, p. 48-53.
  • [91]
    En réalité Michel Drancourt, délégué général de l'Institut de l'entreprise, et Georges Liébert, fondateur de la revue aronienne Contrepoint (ancêtre de la revue Commentaire) et directeur de collection chez Hachette, sont à la man uvre. Celui-ci décide en effet de publier le livre en février 1978 pour peser sur les élections à venir. Voir les développements consacrés à cette proximité dans la thèse de Gwendal Châton, « La Liberté retrouvée... », thèse citée, p. 428.
  • [92]
    Henri Lepage, Demain le capitalisme..., op. cit., p. 12-13.
  • [93]
    Ibid., p. 53-54.
  • [94]
    Ibid., p. 413-432.
  • [95]
    Pour une analyse plus approfondie de la lecture du livre d'Henri Lepage par une partie de la gauche intellectuelle voir Serge Audier, « The French reception of American neoliberalism in the late 1970s », in Stephen W. Sawyer et Iain Stewart (dir.), In Search of the Liberal Moment : Democracy, Anti-Totalitarianism, and Intellectual Politics in France Since 1950, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016, p. 167-189.
  • [96]
    Jean-François Revel, « Le roi est habillé », L'Express, 27 février 1978.
  • [97]
    Georges Suffert, « Économistes : la nouvelle vague », Le Point, 13 mars 1978.
  • [98]
    Alfred Sauvy, « Renouveau ? Renaissance ? », Le Monde, 11 avril 1978.
  • [99]
    « Connaissez-vous les libertariens ? », Le Nouvel Observateur, 4 mars 1978.
  • [100]
    Henri Lepage, Tomorrow Capitalism : The Economics of Economic Freedom, La Salle, Open Court, 1982.
  • [101]
    Jacques Frémontier, Les cadets de la droite, Paris, Seuil, 1984. Jacques Chirac déclare à Henri Lepage lors d'une conférence-débat en 1984 : « J'ai lu avec intérêt votre ouvrage et j'y ai trouvé, dans l'ensemble, une doctrine à laquelle j'adhère » cité in « le libéralisme peut-il inspirer un projet politique ? », Liberté économique et Progrès social, mars 1984, no 49, p. 6-10.
  • [102]
    Georges Gallais-Hamonno, Les nationalisations... À quel prix ? Pour quoi faire  ?, Paris, PUF, 1977.
  • [103]
    Michel Rocard et Jacques Gallus, L'inflation au c ur, Paris, Gallimard, 1975.
  • [104]
    André Fourçans, Sauver l'économie, Paris, Calmann-Lévy, 1978.
  • [105]
    Florin Aftalion, Socialisme et économie, Paris, PUF, 1978.
  • [106]
    Milton Friedman et Rose D. Friedman, Capitalisme et liberté, trad. fr. Antoine Maurice Charno, Paris, Robert Laffont, 1971.
  • [107]
    Christian Stoffaës, « De l'impôt négatif sur le revenu », Contrepoint, no 11, juillet 1973, p. 32. ; Lionel Stoleru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, Paris, Flammarion, 1974.
  • [108]
    « La France marche-t-elle vers le collectivisme ? », Liberté économique et Progrès social, no 28, octobre-novembre-décembre 1977.
  • [109]
    « Peut-on jouer avec l'économie ? 10 économistes lancent un défi », publié dans Le Monde du 7 mars 1978.
  • [110]
    « "Les Nouveaux économistes" : notre défi n'a pas été relevé », Le Figaro, 16 mars 1978.
  • [111]
    Alain Giraudo et Véronique Maurus, « L'argent de la campagne. Des dizaines de millions de francs pour quoi ? », Le Monde, 13 mars 1978. François de Sesmaisons, secrétaire-général-adjoint de l'UDF et conseiller en communication à l'Élysée à l'époque, nous a confirmé lors d'un entretien que l'origine du financement provenait des fonds secrets de l'Élysée, de même qu'Alain Laurent, secrétaire Général du CIEL à l'époque.
  • [112]
    Entretien avec André Fourçans, 25 octobre 2015.
  • [113]
    Voir à ce sujet le témoignage de Jean-Claude Casanova, alors directeur de cabinet de Raymond Barre, dans Gwendal Châton, « La Liberté retrouvée... », thèse citée, p. 365.
  • [114]
    Cette association visait à préparer les élections législatives en finançant des experts en analyse électorale, ainsi que les activités des Nouveaux économistes, des Cercles universitaires de France animés par le normalien Michel Prigent, et le CIEL. Voir Gilles Richard, Sylvie Guillaume, Jean-François Sirinelli, Histoire de l'UDF : l'Union pour la démocratie française, 1978-2007, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 18-19.
  • [115]
    André Laurens, « Marseille : le mouvement des équipages » Le Monde, jeudi 17 février 1977.
  • [116]
    Entretien avec Jacques Garello et « Fiche biographique : Jacques Garello », Archives Privées de Serge Schweitzer.
  • [117]
    « Carte blanche à Henri Lepage », Paris Match, 30 juin 1978 ; « Carte Blanche à Jacques Garello », Paris Match, 28 juillet 1978.
  • [118]
    Gisèle Sapiro, « Modèles d'intervention politique des intellectuels : le cas français », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 176-177, no 1, 2009, p. 8-31.
  • [119]
    Mathieu Hauchecorne, La Fabrication transnationale des idées politiques..., op. cit.
  • [120]
    Frédérique Matonti, « La politisation du structuralisme. Une crise dans la théorie », Raisons politiques, « Théories en crise », vol. 2, no 18, 2005, p. 49-71.
  • [121]
    Mathieu Fulla, Les socialistes français et l'économie..., op. cit.

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