Notes
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[1]
C'est certainement ce terme qui permet de saisir l'unité des figures philosophiques et sociologiques choisies.
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[2]
Axel Honneth, Ce que le social veut dire, 1. Le déchirement du social, Paris, Gallimard, Traduit de l'allemand par Pierre Rusch, 2013, p. 103.
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[3]
Ibid., p. 97.
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[4]
Ibid., p. 136.
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[5]
Ibid., p. 98.
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[6]
Ibid., p. 289.
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En reconnaissant le social
Axel Honneth, Ce que le social veut dire, 1. Le déchirement du social, Paris, Gallimard, 2013.
2 Cet ouvrage d'Axel Honneth propose une relecture de certaines grandes figures de la philosophie et de la sociologie pour mettre en évidence le concept fondamental qu'est celui de reconnaissance. La reconnaissance est au c ur de la dynamique sociale, d'où la nécessité de l'analyser au carrefour de la philosophie et de la sociologie. En l'occurrence, on serait même tentés de dire que dans l'esprit de l'École de Francfort, la dimension normative ramène inévitablement le geste sociologique vers la philosophie. Axel Honneth tente non pas de définir ce qu'est la société, mais de comprendre le social sous la dimension de la conflictualité. Le conflit social crée des déséquilibres et active paradoxalement une forme de relation au pouvoir en termes de reconnaissance. Avons-nous un état de fait que nous corrigeons ou le social est-il un contrat dont les clauses sont modifiées à certains moments historiques ?
3 Axel Honneth s'appuie d'abord sur les philosophes allemands (Kant, Fichte, Hegel) avant de sélectionner quelques représentants magistraux de la philosophie sociale [1] d'après-guerre (Sartre, Lévi-Strauss, Merleau-Ponty, Castoriadis, Bourdieu, Boltanski et Thévenot). L'élément le plus important est la manière dont se joue la réflexivité du social sur les sujets. Nous sommes à un stade liminaire entre la philosophie et la sociologie pour envisager une anthropologie politique réelle. Au fond, est-ce que les sujets valident après coup des a priori transcendantaux sur la constitution du social ou est-ce qu'ils perçoivent une manière signifiante d'influencer l'élaboration de nouvelles normes ? Dans le premier cas, on se rapproche des positions de Kant et de Fichte tandis que dans le deuxième cas on bascule du côté d'une forme d'intersubjectivité instituante illustrée par Merleau-Ponty, Sartre et Castoriadis. Cela étant, Hegel est le personnage central de la narration car il est celui qui donne une dimension fondamentale à la reconnaissance vue comme moteur de l'histoire.
4 La dialectique hégélienne est habitée par la relation entre la conscience de soi et sa négativité. En effet, la reconnaissance est l'opération qui subsume la négation de la conscience de soi, elle est une forme d'incarnation de la médiation. La liberté ne se réalise qu'à partir du moment où apparaît cette reconnaissance de l'autre. « Ce n'est pas seulement l'alter ego qui accomplit une sorte d'autolimitation, mais aussi et du même coup cet ego dont la philosophie retrace l'expérience [2]. » Même dans les moments les plus aliénants du passage de la conscience à la conscience de soi subsiste la reconnaissance. Le maître ne peut pas nier l'apport du valet, il a besoin du valet pour exécuter et réaliser ses désirs. La reconnaissance est alors inégale, mais elle est corrigée par la prise de conscience d'une dimension collaborative essentielle. C'est en fin de compte l'inadéquation entre le désir et l'objet du désir qui suscite le processus de reconnaissance. « Le sujet s'illusionne sur son propre compte, il opère, pourrait-on dire, avec des idées fausses sur sa relation au monde, quand il croit pouvoir anéantir l'objet dans la satisfaction du besoin, dans l'assouvissement de ses désirs [3]. » La reconnaissance dépasse cette première illusion avec en permanence cet horizon de déception qui traque le sujet. Le social est ainsi le passage douloureux de la conscience à la conscience de soi. La dialectique, outre l'épreuve du négatif, désigne l'expérience de cette contradiction pour amener le sujet à reconnaître ses alter ego au sein d'un ensemble social constitué.
5 Honneth évalue des méthodes philosophiques différentes pour comprendre la manière dont est interprétée la relation du sujet au monde social. Pour Sartre par exemple, le monde social est constitué par le regard que portent les différents sujets, le monde ne peut être objectivé et réifié [4]. Les individus ont ainsi à investir des relations qui forment les perceptions du monde social dans lequel ils se trouvent. Les relations peuvent être déséquilibrées sous le mode de l'assujettissement et de la soumission ou bien les groupes peuvent proposer une régulation beaucoup plus égalitaire de leurs liens. Lévi-Strauss cherche pour sa part un système symbolique structurant expliquant et recouvrant les relations de reconnaissance entre les individus tandis que Merleau-Ponty recherche une strate naturelle sous-tendant les perceptions corporelles de cette reconnaissance. La phénoménologie des perceptions permet d'incorporer les relations intersubjectives. Castoriadis est vu comme celui qui a tenté une révolution ontologique en intégrant la reconnaissance à la compréhension du social comme indétermination. L'institution imaginaire de la société est un processus d'élucidation des normes sociales. Les sujets, en reconnaissant cette indétermination, sont alors capables de s'organiser eux-mêmes et de devenir autonomes [5]. Ils sont les créateurs anonymes de significations et d'institutions dans lesquelles ils se reconnaissent.
6 Honneth achève son ouvrage en analysant les théories de David Miller sur la justice reconstrustrice [6]. Les individus vont valoriser des relations selon les biens et les services produits, d'où la notion de mérite acceptée pour définir l'équation entre ce qui est juste et ce qui est mérité. In fine, la reconnaissance est bien un concept-clé pour interpréter le monde social et la définition des identités. On voit bien que la philosophie d'Axel Honneth peut servir de fondement à l'évolution de la sociologie des rôles grâce à la compréhension de la dynamique de la reconnaissance.
Notes
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[1]
C'est certainement ce terme qui permet de saisir l'unité des figures philosophiques et sociologiques choisies.
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[2]
Axel Honneth, Ce que le social veut dire, 1. Le déchirement du social, Paris, Gallimard, Traduit de l'allemand par Pierre Rusch, 2013, p. 103.
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[3]
Ibid., p. 97.
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[4]
Ibid., p. 136.
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[5]
Ibid., p. 98.
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[6]
Ibid., p. 289.