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Article de revue

La métrique de la liberté globale : son importance éthique et sa neutralité par rapport aux valeurs

Pages 11 à 33

Notes

  • [1]
    Je laisse de côté ici la question de la source de cette entrave ­ c'est-à-dire la question de savoir si, pour compter comme une contrainte sur la liberté de l'agent, cette entrave doit être causée par un autre agent ou si les entraves naturelles ou celles que l'on s'impose soi-même comptent également.
  • [2]
    Le plus important, dans mon livre, A Measure of Freedom, Oxford, Oxford University Press, 1999.
  • [3]
    Peter Morriss, « Power and Liberalism », in Stewart R. Clegg et Mark Haugaard (dir.), The SAGE Handbook of Power, Londres, Sage, 2009 ; James W. Nickel, « Freedom's Measure », Law and Philosophy, vol. 20, 2001, p. 531-40 ; Robert Sugden, « Opportunity as a Space for Individuality : Its Value and the Impossibility of Measuring It », Ethics, vol. 113, 2003, p. 783-809 ; Matthew H. Kramer, The Quality of Freedom, Oxford, Oxford University Press, 2003.
  • [4]
    Ronald Dworkin, Prendre les droits au sérieux, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1995, chap. 12 ; John Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2006, chap. 8 ; Onora O'Neill, « The Most Extensive Liberty », Proceedings of the Aristotelician Society, vol. 80, 1980 ; Will Kymlicka, Les théories de la justice. Une introduction, Paris, La Découverte, 1999, chap. 4.
  • [5]
    J'utilise le terme « liberté spécifique », ici, en opposition à « liberté globale », et non en opposition à « liberté-type » (où la liberté-type est la liberté de faire un certain acte-type). Une liberté spécifique peut être comprise soit comme une liberté-type plus ou moins générale, soit comme un acte-type spécifié spatio-temporellement.
  • [6]
    Ian Carter, « The Independant Value of Freedom », Ethics, vol. 105, 1995, p. 819-845 ; « The Concept of Freedom in the Work of Amartya Sen : An Alternative Analysis Consistent with Freedom's Independant Value », Notizie di Politeia, p. 43-44, 1996, A Measure of Freedom, chap. 2.
  • [7]
    M. H. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., chap. 5.
  • [8]
    Une propriété (ou un ensemble de propriétés), A, survient sur une autre propriété (ou ensemble de propriétés), B, si tous les changements dans les termes de A sont accompagnés de changements correspondant dans B, mais non vice versa. On présuppose en général que les propriétés éthiques du monde surviennent sur celles qui ne sont pas éthiques. J'examine la relation de survenance entre la liberté et les autres valeurs dans « Three Kinds of Value-Neutrality in Political Philosophy » (article inédit).
  • [9]
    La relation de survenance entre la propriété scalaire de la liberté globale et les propriétés scalaires d'une valeur non spécifique n'a pas nécessairement besoin d'être une fonction monotone. La liberté globale pourrait avoir une valeur marginale non spécifique qui diminue et elle pourrait cesser de posséder cette valeur non spécifique au-dessus d'un certain niveau de saturation. L'idée que la fonction en question doit être monotone découle de la tendance erronée à penser la relation de survenance entre les degrés de liberté globale et les degrés de valeur non spécifique (de liberté) comme si elle était symétrique plutôt qu'asymétrique. Ce ne sont pas tous les changements dans le monde en termes de quantité de liberté globale qui impliquent des changements dans le monde en termes de quantité de valeur non spécifique (de liberté).
  • [10]
    Tom Hurka, « Why Value Autonomy ? », Social Theory and Practice, vol. 13, 1987, p. 361-382.
  • [11]
    Friedrich A. Von Hayek, La constitution de la liberté, trad. de l'angl. par Raoul Audouin et Jacques Garello, avec Guy Millière, Paris, Éditions Litec, 1994, p. 40.
  • [12]
    Ibid., p. 30 (traduction modifiée).
  • [13]
    Lawrence Crocker, Positive Liberty, Londres, Nijhoff, 1980, p. 115.
  • [14]
    P. Morriss, « Power and Liberalism », art. cité ; I. Carter, A Measure of Freedom (chap. 1 et 2), j'appelle cette thèse « la version normative de la thèse de la liberté non spécifique ».
  • [15]
    Martin Van Hees et Marcel Wissenberg, « Freedom and Opportunity », Political Studies, vol. 47, 1999, p. 67-82 ; Serena Olsaretti, « The Value of Freedom of Choice », Notizie di Politeia, vol. 56, 1999, p. 114-121 ; Martin Van Hees, Legal Reductionnism and Freedom, Dordrecht, Kluwer, 2000, chap. 8 ; M. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., chap. 5.
  • [16]
    Amartya Sen, « Freedom, Capabilities and Public Action : A Response », Notizie di Politeia, vol. 43-44, 1996, p. 107-125 ; J. W. Nickel, « Freedom's Measure », art. cité ; P. Morriss, « Power and Liberalism », art. cité. Je réponds brièvement à Sen dans A Measure of Freedom (p. 127-129) et plus longuement dans « Is Capability Approach Paternalist ? » (article inédit).
  • [17]
    P. Morriss, « Power and Liberalism », art. cité, p. 57.
  • [18]
    J. W. Nickel, « Freedom's Measure », art. cité, p. 534.
  • [19]
    Ibid., p. 538.
  • [20]
    Sur ce point, voir la citation de Robert Sudgen à la note 24, infra.
  • [21]
    Pour un argument relié sur l'importance du concept « agrégatif » de liberté (dans la mesure où ce dernier s'oppose à celui d'une simple liste de libertés) voir Michael Garnett, « Ignorance, Incompetence and the Concept of Liberty », Journal of Political Philosophy, vol. 15, 2007, p. 428-446, p. 430-432.
  • [22]
    A. Sen, « Welfare, Freedom and Social Choice : A Reply », Recherches Économiques de Louvain, vol. 56, 1990, p. 451-486, p. 470. Voir également, « Welfare, Preference, and Freedom », Journal of Econometrics, vol. 50, 1991, p. 15-29, p. 21-22.
  • [23]
    NdT : available action est traduit ici par « action éligible » afin de souligner la possibilité pour l'agent non seulement de choisir, mais aussi de faire réellement cette action. Je remercie Speranta Dumitru pour cette suggestion.
  • [24]
    Les arguments mentionnés plus haut sur l'infinie divisibilité, les contraintes sur la liberté et la probabilité sont développés aux chapitres 7 et 8 de A Measure of Freedom.
  • [25]
    Comme le dit Sudgen lui-même, toute métrique acceptable de l'opportunité doit être motivée par la valeur que nous accordons à l'opportunité, et la valeur que nous accordons à l'opportunité repose, comme le soutenait Mill, sur le fait qu'elle rend possible l'individualité, l'excentricité et l'originalité. Cette valeur ne peut pas être exprimée dans les termes de la valeur que nous attribuons actuellement à des options particulières. « Aucun individu qui valorise l'opportunité comme un moyen de promouvoir l'excentricité et l'originalité ne se satisfera d'une approche théorique qui traite les opportunités d'être vraiment original comme s'il ne s'agissait pas du tout d'opportunités. » Voir R. Sudgen, « Opportunity as a Space for Individuality », art. cité, p. 797.
  • [26]
    Ibid., p. 802.
  • [27]
    Ibid., p. 803.
  • [28]
    M. H. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., chap. 5. Je qualifie Kramer de critique « amical », parce qu'il soutient néanmoins la conception négative pure de la liberté qui dérive de Hillel Steiner (An Essay on Rights, Oxford, Blackwell, 1994) et que je défends dans A Measure of Freedom, et aussi parce qu'il accepte l'idée que les mesures de l'étendue physique des actions disponibles doivent jouer un rôle dans les mesures de la liberté globale.
  • [29]
    Dans A Measure of Freedom (p. 191-204), j'ai essayé de montrer que ma métrique tiendrait compte des degrés de variété des options. Dans The Quality of Freedom (p. 463-471), Kramer fournit un contre-argument qui repose sur une application de ma formule pour mesurer la liberté globale (A Measure of Freedom, p. 182). Même si le contre-argument de Kramer est valide, il ne semble pas exclure, selon moi, la possibilité de découvrir une façon alternative de tenir compte de la variété des options dans l'esprit que j'ai mentionné, mais celle d'adopter une formule révisée de mesure de la liberté.
  • [30]
    I. Carter, A Measure of Freedom, op. cit., partie 5.4.
  • [31]
    M. H. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., p. 433.
  • [32]
    Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, trad.de l'angl. par Jacqueline Carnaud et Jacqueline Lahana, Paris, Calmann-Lévy, 1988, p. 174.

1 NOUS POUVONS DISTINGUER deux manières différentes d'attribuer la liberté à un agent. D'une part, nous pouvons attribuer à un agent la liberté de faire une chose spécifique ­ par exemple, la liberté de quitter sa maison, de déambuler dans la rue, de parler avec ses amis ou de voyager quelque part. Et d'autre part, nous pouvons lui attribuer un certain degré de liberté, comme lorsque l'on dit qu'une personne est « plus libre » qu'une autre, que les citoyens doivent jouir de la plus grande liberté ou qu'ils ont un droit fondamental à une égale liberté ou à un minimum de liberté. Quand nous parlons de liberté de la première de ces manières, nous employons un concept de « liberté spécifique ». Un individu jouit d'une liberté spécifique s'il jouit de l'opportunité de faire une certaine action, au sens où rien ne fait obstacle à ce que l'individu ne commette cette action [1]. Quand nous parlons de liberté au second sens, nous employons un concept de « liberté globale ». La liberté globale d'un individu peut-être vue comme un attribut quantifiable, impliquant une façon d'agréger ses libertés spécifiques et ses non-libertés.

2 Le concept de liberté globale semble être plus fuyant que celui de liberté spécifique (bien que l'interprétation de ce que signifie détenir une liberté spécifique ne soit certainement pas allée sans controverses). Certains théoriciens ont soutenu, peut-être en raison de ce caractère fuyant, que la seconde manière de parler de la liberté n'a vraiment aucun sens ­ que les agents sont en réalité seulement libres de faire des choses spécifiques, et qu'il n'existe au sens littéral du terme rien de tel qu'une liberté tout court ou une liberté globale, comme si la liberté pouvait être une sorte d'objet que l'on peut posséder par degrés.

3 Dans cet article, je présenterai quelques raisons de concevoir l'idée de la liberté globale comme une partie importante de la conception éthique pour un libéral politique (première partie). J'avancerai également que la métrique que ces libéraux emploient pour évaluer les degrés de liberté globale des agents doit, en un sens important, être une métrique neutre par rapport aux valeurs (troisième partie). Ces deux exigences théoriques se trouvent déjà dans les travaux que j'ai publiés sur la liberté [2], mais je les rappellerai et les défendrai ici afin de répondre à certaines des critiques auxquelles elles ont été soumises par les autres théoriciens de la liberté ­ en particulier par Peter Morriss, James Nickel, Robert Sudgen et Matthew Kramer [3]. Ces critiques portent à la fois sur les raisons que j'ai fait valoir de s'intéresser à la liberté globale (deuxième partie) et sur l'idée d'une métrique neutre de la liberté (quatrième partie). Débattre de la validité de mes exigences avec ces auteurs peut augmenter ou non leur plausibilité, mais j'espère que cela servira au moins à les clarifier.

L'importance éthique de la liberté globale

4 Certains penseurs libéraux ­ dont Ronald Dworkin et selon une interprétation plausible, le dernier John Rawls ­ soutiennent que la notion de liberté globale est redondante [4]. Ils pensent que tout le travail normatif requis par une théorie libérale de la justice peut être accompli par la notion de liberté spécifique : les libéraux devraient favoriser la liberté de faire x, y, z et non de faire a, b et c et il n'est pas nécessaire, au-delà d'une telle prescription de types spécifiques de liberté [5], d'être en mesure de dire « à quel point » un individu est libre, de revendiquer une liberté « égale » ou « maximale » ou n'importe quelle autre distribution de la liberté entendue comme un attribut quantifiable. Comment peut-on décider à quelles libertés spécifiques les individus ont droit ? La réponse dépendra de la nature des intérêts des individus. Les intérêts des individus déterminent quels ensembles alternatifs d'options ont de la valeur et quels sont ceux qui n'en ont pas. Les individus ont un intérêt à être libres de faire certaines choses, et aucun intérêt à être libres de faire d'autres choses. Ils n'ont aucun intérêt dans la « liberté tout court », comme si la liberté avait de la valeur indépendamment des intérêts qu'elle sert.

5 Ma position est, au contraire, que la liberté en tant que telle a de la valeur, par quoi j'entends qu'elle a une valeur indépendamment de la valeur que l'on accorde au fait d'être libre de faire telle chose spécifique plutôt que telle autre. Dans mes travaux antérieurs, j'ai appelé cette sorte de valeur, valeur « indépendante » ou valeur « non spécifique » [6]. Matthew Kramer a depuis nommé la même sorte de valeur, valeur « indépendante du contenu [7] ». Toutes ces expressions cherchent à saisir l'idée fondamentale que la liberté elle-même, et non simplement la liberté de faire telle ou telle chose spécifique, a de la valeur. Si la liberté a une valeur non spécifique ou indépendante du contenu, alors il devient important de savoir de « combien de liberté » les individus disposent, car parmi les intérêts qu'un ensemble de libertés spécifiques sert, il y a l'intérêt pour la liberté elle-même. Si la liberté est elle-même un de nos intérêts, alors pour n'importe quel ensemble donné de libertés spécifiques nous voudrons savoir « combien de liberté » cet ensemble fournit.

6Nous pouvons définir le concept de valeur non spécifique de la manière suivante : Un phénomène possède une valeur non spécifique si sa valeur ne peut pas être décrite exclusivement dans les termes du bien apporté par (une ou plusieurs occurrences de) ce phénomène. À l'inverse, la valeur d'un phénomène qui peut être décrite dans les termes du bien apporté par une occurrence spécifique de ce phénomène peut être appelée sa « valeur spécifique ».

7L'or est un exemple de phénomène que l'on conçoit en général comme ayant une valeur non spécifique et une valeur spécifique. On considère habituellement que l'or a de la valeur non seulement sous la forme d'une bague en or, d'une montre en or ou d'un bracelet en or (c'est-à-dire, non seulement en raison de sa valeur spécifique), mais aussi indépendamment de sa forme spécifique (c'est-à-dire, aussi de manière non spécifique). Nous pourrions donner plus de valeur à une bague en or qu'à une pépite d'or, même quand la bague contient une plus petite quantité d'or, mais cela ne revient pas à nier que nous nous intéressons à l'or en lui-même. En fait, les individus sont généralement intéressés par l'or en tant que tel, et donc par la quantité d'or en leur possession. On peut formuler un argument similaire à propos de la liberté : nous valorisons la liberté non seulement sous la forme de la liberté de quitter un pays, de conduire une automobile à une certaine vitesse sur certaines routes ou de pratiquer certaines religions dans certaines églises, mais nous valorisons également la liberté d'une manière qui fait abstraction de ces formes spécifiques et nous sommes intéressés par conséquent à connaître « quel degré de liberté » nous avons.

8 Une fois reconnue la valeur non spécifique de la liberté, nous devons aussi reconnaître la nécessité de mesurer la liberté globale, car la valeur de la situation d'un individu ou d'un groupe d'individus sera en partie une fonction du degré de liberté globale de cet individu ou de ce groupe. La valeur de n'importe quel ensemble de libertés survient sur certains faits relatifs à cet ensemble de libertés [8] : sa valeur en termes de ce que j'appelle « valeur spécifique » survient sur les faits relatifs à ce dont cet ensemble de libertés est la liberté de faire ; sa valeur en termes de ce que j'appelle « valeur non spécifique » survient sur le fait qu'elle procure à l'agent un certain degré de liberté globale[9].

9Évidemment, affirmer la valeur non spécifique de la liberté n'est pas nier sa valeur spécifique : dire qu'un ensemble de libertés possède plus de valeur non spécifique qu'un autre (et par conséquent constitue une plus grande quantité de liberté) n'est pas nier que le second ensemble de libertés contient des libertés spécifiques qui pourraient avoir, en tant que libertés spécifiques, plus de valeur que le premier ensemble de libertés spécifiques. La liberté possède à la fois une valeur spécifique (en fonction de l'action que l'on est libre de faire) et une valeur non spécifique (à savoir, une valeur simplement en tant que liberté, quelles que soient les actions spécifiques que cette liberté permet d'entreprendre). Le degré de valeur non spécifique que possède la liberté détermine l'importance normative de l'idée de liberté globale et du fait de la mesurer.

10Une valeur non spécifique n'est pas identique à une valeur intrinsèque, car il existe quelque chose comme une valeur non spécifique non intrinsèque. En effet, l'assertion selon laquelle x possède une valeur non spécifique est logiquement cohérente avec l'assertion que la valeur de x est entièrement instrumentale, aussi longtemps que nous avons affaire à une certaine sorte de valeur instrumentale, comme nous le verrons sous peu. La distinction entre valeur intrinsèque et valeur non spécifique n'est pas évidente à première vue ­ ce qui explique en partie le scepticisme de certains envers l'idée que la liberté en tant que telle a de la valeur (c'est-à-dire, une valeur non spécifique). Certains sont sceptiques envers l'idée d'une valeur intrinsèque de la liberté et présupposent à tort que cela implique un scepticisme envers la valeur non spécifique de la liberté.

11Il est difficile d'argumenter en faveur de la valeur intrinsèque de quelque chose : donner une raison pour valoriser x implique normalement de renvoyer à une autre valeur quelconque, y, à laquelle x contribue ou pour laquelle x est un moyen. Néanmoins, l'idée que la liberté possède une valeur intrinsèque tire sa plausibilité de la construction d'expériences de pensées destinées à isoler toute valeur intrinsèque qu'elle pourrait avoir de sa valeur non intrinsèque qui est plus évidente. Ainsi, imaginons deux situations de choix, chacune dotée d'un ensemble particulier d'options. Dans la première situation, nous sommes libres de choisir une option parmi deux, et dans la seconde, nous sommes libres d'en choisir une parmi dix. De plus, supposons que les deux meilleures options dans le second ensemble sont identiques aux deux options qui forment le premier ensemble. Bien que l'action qui sera choisie et exécutée soit identique dans les deux situations, il semble plausible d'affirmer que la seconde situation est préférable à la première. Qui plus est, il semble que la seule raison que nous avons de préférer la seconde situation est la « plus grande liberté » qu'elle fournit. Cet exemple, qui a été avancé par le philosophe canadien Thomas Hurka, semble confirmer qu'il est plausible d'attribuer une certaine valeur intrinsèque à la liberté. En tant qu'agent moral, nous valorisons les situations dans lesquelles ce que nous faisons est le résultat de nos choix : nous valorisons le fait que dans une situation où nous décidons parmi dix options, nous décidons aussi de ne pas réaliser les neuf autres. Plus le spectre des actions que nous sommes libres de faire ou de ne pas faire est grand, plus notre impact sur le monde en tant qu'agents sera grand et, par conséquent, plus la valeur de notre situation sera, toutes choses égales par ailleurs, grande [10].

12 Une raison qui explique le scepticisme de certains envers la valeur intrinsèque de la liberté (en dépit du caractère plausible de l'exemple mentionné ci-dessus) est qu'ils l'ont confondue avec un autre type de valeur, qui lui est supérieur, que nous pouvons appeler valeur « inconditionnelle ». Si un phénomène possède simplement une valeur intrinsèque, il constitue une fin qui peut encore entrer en conflit avec d'autres fins et qui peut encore être surpassée par elles. À l'opposé, un phénomène possède une valeur inconditionnelle si et seulement si il a priorité sur toute autre valeur avec laquelle il peut entrer en conflit. Si la liberté avait une valeur inconditionnelle, la liberté globale serait quelque chose que nous devrions maximiser peu importe les pertes en termes d'autres valeurs. Il est difficile de trouver des raisons, dans la tradition libérale, pour attribuer une valeur inconditionnelle à la liberté en ce sens. L'idée que la liberté a une valeur intrinsèque sans avoir une valeur inconditionnelle a, d'un autre côté, une certaine plausibilité intuitive. De même que le scepticisme à l'égard de la valeur intrinsèque ne devrait pas suffire pour justifier un scepticisme à l'égard de la valeur non spécifique, de même le scepticisme à l'égard de la valeur inconditionnelle ne devrait pas suffire pour justifier un scepticisme à l'égard de la valeur intrinsèque.

13Reprenons maintenant le cas de la valeur instrumentale. Bien qu'il ne soit pas évident de prime abord que le fait d'attribuer une valeur simplement instrumentale à la liberté soit logiquement cohérent avec le fait de lui attribuer une valeur non spécifique, la véritable différence entre la valeur intrinsèque et la valeur instrumentale de la liberté ne réside pas dans la question de la dépendance ou de l'indépendance de la valeur de la liberté vis-à-vis de la nature des choses spécifiques qu'un individu est libre de faire, mais plutôt dans la question de l'irréductibilité ou de la réductibilité dernière de la valeur de la liberté à la valeur d'une autre propriété. Dans la mesure où la valeur de la liberté est instrumentale (mais non dans la mesure où elle possède une valeur intrinsèque), sa valeur est réductible en dernière analyse à la valeur d'une autre propriété, cette autre propriété étant la fin dont la liberté est le moyen.

14Certains auteurs importants de la tradition libérale ont soutenu, du moins implicitement, que la valeur de la liberté est à la fois réductible à d'autres biens et indépendante des actions spécifiques que les agents sont libres de faire. Cette position n'est pas incohérente, même si on doit ajouter que sa cohérence logique dépend d'une prémisse supplémentaire : celle de l'ignorance et de la faillibilité des êtres humains. Friedrich A. von Hayek, par exemple, fait appel à cette prémisse. En effet, les meilleurs arguments d'Hayek en faveur de la valeur de la liberté sont, selon moi, des arguments en faveur de sa valeur instrumentale. Selon ces arguments, la liberté a de la valeur en tant que moyen du progrès, compris comme une amélioration (encore) indéterminée de la condition humaine. L'accomplissement du progrès repose sur un processus d'apprentissage et d'adaptation, car nous sommes encore ignorants de la direction que le progrès nous fera prendre [11]. Et ce processus d'adaptation et d'apprentissage ne peut pas avoir lieu sans la liberté individuelle : « l'avancement et même la préservation de la civilisation dépendent d'un maximum d'opportunités pour que les accidents se produisent [12] ». Par conséquent, bien que nous puissions être capables de dire à quel point une liberté spécifique a de la valeur du point de vue des fins immédiates qu'un agent peut poursuivre grâce à elle, nous ne pouvons pas dire à quel point cette liberté a une valeur instrumentale pour poursuivre une fin comme le progrès. Tout ce que nous pouvons dire est qu'elle partage avec toutes les autres libertés la caractéristique d'être un moyen à cet effet. La valeur de la liberté est ainsi réductible à celle du progrès seulement dans un sens général. Notre connaissance de cette valeur instrumentale ne parvient pas à aller au-delà d'une telle généralisation empirique. Des prétentions similaires quant à la relation empirique entre la liberté et le progrès, compris cette fois comme utilité au sens général, se trouvent chez John Stuart Mill.

15La liberté a une valeur non spécifique non seulement en tant que moyen de poursuivre des fins collectives (comme le progrès), mais aussi en tant que moyen de poursuivre des fins individuelles. Même si le but de l'individu est simplement d'augmenter son propre bien-être, il est rationnel pour lui de désirer (au moins ceteris paribus) la plus grande liberté possible. Étant donné que nous ne pouvons pas être certains de ce que seront nos désirs ou nos besoins futurs, nous ne valorisons pas la liberté seulement comme un moyen nécessaire de faire x, y, et z, mais également comme un moyen grâce auquel nous pouvons satisfaire tout désir ou besoin, quel qu'il soit. Par conséquent, une fois encore, notre ignorance et notre faillibilité en tant qu'agent font en sorte que, même si nous soutenons que la valeur de la liberté est en dernière analyse réductible à la valeur de ce que la liberté nous permet de réaliser, nous ne pouvons pas décrire cette valeur par les choses spécifiques que nous sommes libres de faire, quelle qu'en soit la combinaison.

16Finalement, nous devons admettre que la valeur non spécifique de la liberté pourrait bien être ni intrinsèque, ni instrumentale, mais constitutive. Un phénomène a une valeur constitutive s'il est une composante essentielle d'un phénomène plus englobant qui a de la valeur. Si x possède une valeur constitutive, la relation entre x et le phénomène dont la valeur de x dérive est une relation analytique, plutôt qu'une relation causale.

17L'autonomie individuelle est un phénomène qui a beaucoup de valeur dont on peut dire que la liberté est une partie constitutive et donc qu'elle y contribue de façon analytique plutôt que causale. On peut penser l'autonomie comme un ensemble complexe de phénomènes ayant une valeur intrinsèque, qui comprend non seulement l'opportunité et la capacité de penser et d'agir de certaines manières, mais aussi le fait d'agir et de raisonner d'une manière plutôt que d'une autre. Dans ce cas, l'autonomie comprend à la fois l'idée de liberté-comme-opportunité et l'idée d'exercer ses libertés d'une certaine façon. On peut penser chacun de ces phénomènes, séparément, comme étant un élément analytiquement nécessaire mais insuffisant d'un « complexe d'autonomie ». Comme Lawrence Crocker l'a soutenu, ce complexe d'autonomie comprend certaines formes de comportement humain que nous valorisons « dans beaucoup de cas où leurs conséquences sont négligeables ou même malheureuses ». Parmi ces formes de comportement, Crocker inclut « de nombreux actes qui consistent à prendre des risques, à s'accrocher à un principe, à se sacrifier, à se compromettre, à admettre des erreurs et à se frayer un chemin [13] ». Étant donné que toute action particulière peut en principe illustrer l'une ou plusieurs de ces formes de comportement, il est sensé de concevoir la liberté comme ayant non spécifiquement de la valeur en tant que partie constitutive de ce complexe d'autonomie.

Quelques critiques de la thèse de la valeur non spécifique

18 Suivons Peter Morriss et appelons la thèse selon laquelle la liberté possède une valeur non spécifique « la thèse de la valeur non spécifique [14] ». Mon argument en faveur de cette thèse a reçu un certain soutien [15], mais il a aussi été soumis à quelques critiques [16]. Je m'attaquerai ici à deux d'entre elles en particulier.

19 Une première critique, avancée par Peter Morriss, a consisté à soutenir que la notion de « valeur instrumentale non spécifique » est « trop faible pour appuyer la thèse de la valeur non spécifique ». Si la liberté a vraiment de la valeur seulement de façon instrumentale, affirme Morris, sa valeur ne sera jamais indépendante de celle de la fin particulière qu'elle sert. Nous pourrions ignorer aujourd'hui quelles libertés spécifiques serviront cette fin, mais en dernière analyse, ce seront néanmoins certaines libertés, et non d'autres, qui la serviront : « si cela était la seule raison pour laquelle nous valorisons la liberté, il ne serait pas vrai que la valeur de la liberté est séparée de la valeur des choses que nous sommes libres de faire ». Si notre ignorance à propos de la valeur rend précieux le fait d'avoir d'autres options que celle que nous choisissons effectivement, toute option supplémentaire n'est, en fin de compte, « précieuse qu'en raison de la valeur que l'option non choisie pourrait (finir par) avoir [17] ».

20Cette dernière affirmation est vraie, mais elle n'équivaut pas à une objection contre l'idée que la valeur instrumentale non spécifique est un cas authentique de valeur non spécifique. Pour le comprendre, il faut souligner deux distinctions. La première distinction est celle entre la valeur instrumentale non spécifique et la valeur intrinsèque. Je n'ai pas soutenu que la non-spécificité de la valeur instrumentale de la liberté lui donnait en quelque sorte une valeur intrinsèque. C'est seulement si la liberté a de la valeur intrinsèquement que sa valeur sera « séparée » de celle des fins particulières qu'elle sert. La valeur instrumentale non spécifique de la liberté n'est en effet ni séparée des fins particulières qu'elle sert, ni irréductible à elles ; elle est plutôt non spécifiquement réductible à la valeur de ces fins, tant que l'on présuppose notre ignorance à propos de ces fins particulières (le progrès, les désirs individuels, les valeurs et ainsi de suite). On pourrait évidemment soutenir une thèse concernant le type de valeur que la liberté aurait si nous n'étions pas ignorants en ce sens, mais cette thèse serait vraie seulement en un sens conditionnel et affirmer qu'elle vaut comme une objection contre mon argument serait commettre le sophisme de l'affirmation du conséquent. La seconde distinction qui doit être soulignée est celle entre un argument faible et une prémisse faible. Les prémisses faibles (c'est-à-dire les prémisses qui sont plus facilement ou plus largement partagées) font des arguments plus forts. L'idée que la liberté possède une valeur instrumentale non spécifique est en effet une prémisse plus faible que celle que la liberté possède une valeur intrinsèque. Cependant, comme nous l'avons vu, ce fait ne la rend pas pour autant « trop faible pour appuyer la thèse de la valeur non spécifique ». Sa faiblesse en tant que prémisse sert plutôt à renforcer l'argument en faveur de cette thèse.

21Une seconde critique, avancée par James Nickel, est que la thèse de la valeur non spécifique ne parvient pas à justifier l'intérêt pour les degrés de la liberté globale, parce qu'une liste suffisamment « longue et sophistiquée » de libertés spécifiques comprendra déjà toutes les choses qui ont une importance normative [18]. Une liste « longue et à jour » fera place à des libertés particulières qui reçoivent moins de reconnaissance culturelle que les autres et inclura « des libertés de poids moyen et léger », comme la liberté de s'habiller de manière excentrique, aussi bien que des libertés plus fondamentales comme la liberté de religion. Qui plus est, nous pouvons « mettre à jour régulièrement la liste des options significatives que nous utilisons au fur et à mesure de nouveaux développements. Nous pouvons ajouter de nouvelles options à notre évaluation de la liberté quand elles apparaissent ; nous n'avons pas besoin de les fournir à l'avance [19]. »

22Supposons que Nickel ait raison de prétendre qu'une liste suffisamment « longue et sophistiquée » de types de libertés spécifiques est suffisante pour ce qui est de la prescription libérale de la liberté. Même si cette prétention s'avérait vraie, elle ne falsifierait pas la thèse de la valeur non spécifique, parce que nous aurions encore besoin de nous demander pourquoi une telle liste est suffisante. La thèse de la valeur non spécifique implique qu'une raison qui rendrait une telle liste suffisante est la quantité de liberté qui serait obtenue grâce à la réalisation de cette liste. Pourquoi, d'ailleurs, devrions-nous supposer à l'avance (c'est-à-dire, avant de consulter la liste particulière qui ressort d'une application de la proposition de Nickel) que la liste de libertés prescrites par un libéral politique doit être « longue » ? Il est vrai, évidemment, que nous avons des préférences à l'égard des libertés particulières et qu'en conséquence, nous souhaitons prescrire un certain ensemble de libertés spécifiques. La liberté a une valeur spécifique aussi bien qu'une valeur non spécifique. Cependant, nous souhaitons également prescrire une liste qui nous donnera un degré suffisant de liberté globale. Afin de nier cette dernière affirmation, on doit montrer non seulement que nous pouvons nous satisfaire d'une liste suffisamment longue et sophistiquée, mais aussi que les raisons que j'ai données pour affirmer la valeur non spécifique de la liberté sont invalides.

23Le véritable test pour la position de Nickel serait un cas dans lequel nous serions satisfaits d'une liste de libertés spécifiques qui, après avoir été réalisée, nous procurerait seulement une quantité très limitée de liberté globale (en fonction d'une métrique de la liberté globale qui ferait consensus). Le fait que nous trouvions difficile d'imaginer un tel cas est lui-même symptomatique du fait que nous accordons une valeur élevée à la liberté en tant que telle ­ au fait d'avoir, au moins ceteris paribus, plus de liberté plutôt que moins.

24Examinons, finalement, l'affirmation de Nickel selon laquelle la liste peut toujours être mise à jour « lorsque de nouvelles options apparaissent ». On peut se demander comment de telles options sont censées apparaître si elles ne figurent pas déjà sur la liste des options et si les options que les individus sont autorisés à explorer sont limitées à celles qui sont déjà sur cette liste [20]. Nickel pourrait peut-être surmonter ce problème en inscrivant sur sa liste seulement des actes-type très généraux, afin de donner une plus grande portée à l'expérimentation concernant les modes alternatifs dans lesquels ces actes-type pourraient être exemplifiés. Encore une fois, il me semble qu'en projetant la liste à un degré de généralité haut plutôt que faible, l'on reconnaît implicitement que la valeur que nous accordons à la liberté est en partie indépendante de son contenu particulier ­ c'est-à-dire indépendante de la question de savoir s'il s'agit de la liberté d'accomplir telle chose plutôt que telle autre [21].

Une approche neutre par rapport aux valeurs de la mesure de la liberté globale

25 Parmi les philosophes politiques qui sont convaincus de l'importance du concept de liberté globale, plusieurs ont soutenu que le degré de liberté globale doit être compris comme une fonction de la valeur des choses qu'une personne est libre de faire. Je crois que cette affirmation est erronée, parce qu'elle contredit les raisons mentionnées plus haut qui plaident en faveur d'un intérêt primordial pour les degrés de la liberté globale. La raison pour laquelle nous avons un intérêt pour les degrés de la liberté globale est que la liberté a une valeur non spécifique. La valeur non spécifique de la liberté présuppose l'existence dans le monde d'un phénomène scalaire sur lequel la valeur survient. Ce phénomène scalaire sur lequel la valeur non spécifique de la liberté survient est ce que nous appelons la liberté globale. Par définition, la valeur non spécifique de la liberté est indépendante de (mais pas nécessairement réductible à) la valeur des choses spécifiques qu'un individu est libre de faire. Comment, alors, le degré de liberté globale d'un individu peut-il reposer sur la valeur des choses spécifiques que cet individu est libre de faire ?

26Au lieu d'une métrique de la liberté fondée sur la valeur selon laquelle le degré de liberté d'un individu est une fonction de la valeur des options dont il dispose, j'ai, par conséquent, soutenu une métrique « neutre par rapport aux valeurs ». Il est important de clarifier le sens de « neutre par rapport aux valeurs » dans le présent contexte. Ma défense d'une métrique neutre par rapport aux valeurs ne repose pas sur l'idée que la liberté doit être mesurée conformément aux exigences de la science sociale « neutre » ­ une méthode qui consiste à décrire et à expliquer le monde social et politique d'une façon en quelque sorte indépendante de toute engagement éthique (même si, pour ceux qui croient en la possibilité d'une science sociale neutre par rapport aux valeurs, un tel besoin peut fournir une raison supplémentaire de favoriser la métrique de la liberté neutre par rapport aux valeurs au sens que je donne à « neutre par rapport aux valeurs »). Au contraire, mon argument est que notre intérêt à mesurer la liberté globale dérive lui-même d'un point de vue éthique particulier ­ celui du libéral politique qui accorde une valeur non spécifique à la liberté. La « neutralité » de la métrique n'implique pas alors une prétention de fournir des descriptions du monde qui soient indépendantes de tout engagement éthique. Plus modestement, l'idée est que les degrés de liberté ne doivent pas être conçus comme une fonction des degrés d'une valeur autre que la liberté et dont la liberté serait un moyen ou à laquelle elle contribuerait. Les manières de mesurer la liberté doivent être neutres par rapport à ces jugements de valeurs, parce qu'elles sont censées saisir le phénomène sur lequel la valeur non spécifique de la liberté survient.

27La raison pour laquelle tant de théoriciens ont soutenu la position opposée, en adoptant une métrique de la liberté fondée sur la valeur, est que cette façon de mesurer la liberté semble concorder avec plusieurs des jugements préthéoriques du sens commun que nous avons tendance à faire sur les degrés de liberté. Ainsi, Amartya Sen nous demande d'examiner les deux ensembles d'options suivants : « se déplacer {à l'aide d'un tricycle raide ; en sautant sur une jambe ; en roulant dans la poussière} » et « se déplacer {à l'aide d'une bicyclette efficace ; à l'aide d'une bonne automobile ; en marchant sur deux jambes normalement} [22] ». Le second ensemble d'options nous offre clairement plus de liberté que le premier, dit-il, et ce doit être parce que le second ensemble est préférable au premier. J'ai tenté de montrer, au contraire, que ce qui sous-tend nos jugements intuitifs sur les degrés de liberté est souvent une intuition simple concernant l'étendue physique de l'action éligible [23]. Examinons l'exemple de Sen : son jugement intuitif sur les degrés relatifs de liberté des deux ensembles d'options alternatifs est certainement plausible, mais nous n'avons pas besoin d'en déduire que nos degrés de liberté sont une fonction de la désirabilité de nos différentes alternatives. Notre jugement selon lequel le second ensemble d'options fournit plus de liberté n'est pas conditionné par notre préférence pour cet ensemble ; en revanche, notre préférence pour cet ensemble repose, pour sa part, sur notre jugement qu'il fournit plus de liberté. Si nous comparons la possession d'un « tricycle raide » à celle d'une « bicyclette efficace », « sauter sur une jambe » à « marcher sur deux jambes normalement », et « rouler dans la poussière » à la possession d'une « bonne automobile », nous pouvons constater, en effet, que dans ces trois cas, les options diffèrent sur une échelle autre que celle de l'intensité de nos désirs : il s'agit de l'« étendue physique » des actions que l'ensemble d'options rend éligibles. Selon moi, la puissance persuasive de l'exemple de Sen repose sur la différence concernant cette autre échelle, non reconnue. Pour le saisir, imaginons un cas où l'agent préfère vraiment « sauter sur une jambe » à « marcher sur deux jambes normalement », ou un « tricycle raide » à une « bicyclette efficace ». Nous pouvons décider, dans un tel cas, de lui donner le tricycle raide ou de couper l'une de ses jambes, mais nous ne dirions certainement pas que notre raison pour faire cela est que l'option de sautiller ou celle d'un tricycle raide fournit plus de liberté.

28Comment expliquer en termes théoriques notre notion intuitive de l'étendue d'une action éligible ? Peut-on subdiviser indéfiniment les actions en termes physiques ? Le nombre d'actions éligibles n'est-il pas en conséquence toujours indéfini ? Pour répondre à cette objection, nous avons besoin de penser les actions comme si elles se déroulaient à l'intérieur d'une grille d'espace-temps composée d'unités finies d'espace-temps. Bien qu'il soit vrai qu'en théorie, les actions peuvent être divisées indéfiniment, il est aussi plausible de concevoir les actions comme des mouvements (ou une absence de mouvements) dans des quantités finies d'espace et il est possible de mesurer les actions éligibles en nombre d'unités d'espace-temps dans lequel les changements physiques auraient lieu. Plus les unités d'espace-temps sont petites, plus nos mesures seront exactes, mais l'échelle de la grille va en principe dépendre du but qui est en jeu.

29Une métrique neutre de la liberté globale doit déterminer ce qu'est une action éligible, mais aussi répondre au problème de l'incommensurabilité éventuelle entre différents types de contraintes sur la liberté. En particulier, les actions peuvent être entravées par des obstacles physiques, des menaces, par une difficulté et des coûts accrus. J'ai soutenu que chacune de ces dimensions peut être réduite en fin de compte à la seule dimension de l'obstacle physique de manière à ce que nos jugements intuitifs sur les restrictions de la liberté dues à des menaces, à l'augmentation de la difficulté ou à celle des coûts soient prises en compte en mesurant le degré auquel les actions éligibles sont physiquement entravées. Pour cela, nous avons besoin de concevoir la non-liberté en termes d'obstacle physique à des ensembles d'actions. Par exemple, nous pouvons donner un sens à l'idée qu'un agent menacé est rendu globalement moins libre en disant que celui qui le menace rend physiquement impossible pour la personne menacée de faire un certain ensemble d'actions, même s'il ne rend pas cette personne non libre de faire une action spécifique considérée isolément. Si quelqu'un vous dit « la bourse ou la vie ! » et qu'il est vrai que si vous ne donnez pas votre argent, vous serez tué, vous êtes en effet libre, au moment de la menace, de refuser de donner votre argent, mais vous n'êtes pas libre de le faire et de vous éloigner ensuite. Ainsi, les degrés de non-liberté devraient être conçus en termes d'empêchement physique d'ensemble d'actions compossibles.

30Une autre caractéristique de toute métrique plausible de la liberté globale est l'incorporation de jugements de probabilité. Les actions éligibles sont toujours situées dans le futur relatif au moment où l'on jouit de la liberté en question, leur empêchement ou leur non-empêchement étant ainsi presque toujours une affaire d'incertitude. Par conséquent, la valeur attribuée à chaque action éligible, du point de vue de sa contribution à la liberté globale, devrait être pondérée par la probabilité (au moment auquel la liberté en question est dite existante ou non existante) que l'action ne soit pas physiquement entravée s'il arrive que l'agent tente de l'accomplir. Bien que la liberté d'accomplir une seule action ne soit pas elle-même une affaire de degré (les actions sont soit physiquement entravées, soit elles ne le sont pas), lorsqu'il est hautement probable qu'un individu soit entravé eu égard à un ensemble donné d'actions, la liberté globale de cet individu sera, ceteris paribus, moindre que celle d'un individu pour qui il est hautement improbable d'être entravé eu égard au même ensemble donné d'actions (ou à un ensemble équivalent).

31Il en résulte que l'étendue de la liberté globale d'un individu peut être conçue comme une fonction de l'ensemble des ensembles d'actions compossible d'un individu, dans lequel chaque ensemble d'actions compossibles est pondéré par l'étendue physique des actions éligibles, multiplié par la probabilité que cet ensemble ne soit pas entravé au cas où l'agent tenterait de le réaliser [24].

Quelques critiques de l'approche neutre par rapport aux valeurs

32 Robert Sudgen a endossé une thèse similaire à celle de la valeur non spécifique [25], mais il a aussi nié qu'il existe une chose telle qu'une métrique de la liberté neutre par rapport aux valeurs. Puisqu'il admet aussi que la thèse de la valeur non spécifique implique l'importance d'une métrique neutre, Sudgen soutient qu'il n'y a aucune manière de mesurer le phénomène de valeur supposé par cette thèse. La métrique que j'ai défendue pour la liberté globale s'appuie sur une forme de physique populaire pour évaluer les quantités d'action. « Mais pourquoi privilégier la physique ? Pourquoi pas une perspective biologique ?... Ou la perspective d'un artiste ?... Autant que je puisse voir, il n'existe pas de perspective neutre à l'aide de laquelle nous pourrions mesurer de pures quantités d'action : toute mesure du changement au monde est une mesure du changement perçue dans une perspective particulière[26]. » Sudgen conclut, de manière sceptique et paradoxale, que même si nous valorisons l'opportunité en tant que telle (c'est-à-dire de manière non spécifique), il est impossible de mesurer l'opportunité en tant que telle : « Je conclus que la recherche d'une mesure non arbitraire, quantitativement pure de l'opportunité ne peut pas réussir [27]. » Cela revient à dire que même si nous valorisons l'existence d'un certain phénomène, nous sommes incapables de saisir son existence dans le monde.

33La conclusion paradoxale de Sudgen s'impose seulement si par « neutre par rapport aux valeurs », nous entendons le type de neutralité par rapport aux valeurs qu'ont visé certains penseurs des sciences sociales et politiques : la neutralité par rapport aux valeurs comme caractéristique de la description du monde qui ne présuppose aucun engagement éthique. Comme je l'ai souligné dans la partie précédente, ma propre défense d'une métrique neutre pour la liberté ne dépend pas de cette conception de la neutralité conçue comme détachement éthique de la description du monde d'un individu. Au contraire, cette défense repose sur l'idée que la liberté est une valeur et qu'elle doit être clarifiée et définie dans une perspective libérale sur la valeur. Ma proposition est qu'à partir de cette perspective sur la valeur, la liberté doit être mesurée en termes de certaines propriétés non évaluatives du monde. En identifiant une métrique pour la liberté, nous devrions viser à agréger les libertés spécifiques non à partir d'une quelconque perspective globale qui soit neutre par rapport aux valeurs, mais plutôt, à partir d'une perspective de la valeur globale d'un libéral qui accorde à la liberté une valeur non spécifique. Parce que la perspective de la valeur globale d'un libéral inclut l'idée d'une valeur non spécifique de la liberté et parce que ce type de valeur est exactement ce qui motive notre intérêt pour le concept de liberté globale, toute explication adéquate de la perspective de la valeur globale doit isoler les indicateurs de la liberté qui ne reposent pas eux-mêmes sur des valeurs autres que la liberté. C'est en ce dernier sens que j'ai soutenu que notre métrique pour la liberté doit être une métrique neutre. Les critères de la physique populaire doivent en effet être rejetés s'ils échouent à produire des mesures qui à la fois soient suffisamment cohérentes avec nos comparaisons intuitives de la liberté et nous permettent de saisir l'idée de la liberté comme ayant une valeur au sens exposé plus haut. Les critères de la physique ne doivent pas, cependant, être disqualifiés simplement sur la base de la critique (vraie) selon laquelle ils ne peuvent être adoptés qu'à partir d'une perspective particulière de la valeur.

34Matthew Kramer, l'un de mes critiques les plus rigoureux, bien qu'amical, accepte l'idée qu'une métrique physique de l'action éligible est un point de départ nécessaire pour la mesure de la liberté, mais soutient aussi qu'une métrique purement physique de la liberté s'avèrera trop contre-intuitive pour être acceptable [28]. Par exemple, une telle métrique ne rendra pas compte de la grande importance que nous accordons à la liberté de parole qui implique seulement de petits mouvements physiques. Cela nous conduit aussi à accorder trop d'importance, en termes de degrés de liberté globale, à l'accumulation d'options qualitativement très similaires, comme si la variété qualitative des options éligibles pour une personne n'était pas pertinente pour son degré de liberté globale. Dans mes travaux précédents, j'ai pris note de ces conséquences contre-intuitives, mais Kramer soutient que ces conséquences sont pires que je ne l'avais anticipé et qu'elles sont assez fortes pour motiver le rejet de la métrique que je propose [29].

35La seule réponse que je peux fournir à une telle critique est que l'on doit néanmoins choisir entre la position sceptique défendue par ceux qui (comme Dworkin) rejettent la pertinence normative de la liberté globale et, à l'opposé, l'acceptation d'une certaine forme de métrique neutre par rapport aux valeurs du type que j'ai proposé. Si Kramer a raison de soutenir que les implications contre-intuitives de la métrique que je propose la rende inacceptable, alors la conclusion correcte n'est pas que nous devrions adopter une métrique de la liberté globale fondée sur la valeur, car de même que nous réduisons les questions de liberté globale aux questions concernant la valeur dépendante-du-contenu de la liberté (ou ce que j'ai appelé sa valeur spécifique), de même nous rendons le concept de liberté globale normativement redondant. Au lieu de cela, nous devrions rechercher une métrique alternative quelconque qui demeure une métrique neutre par rapport aux valeurs. Et si, après avoir considéré une telle alternative, nous échouons en fin de compte à parvenir à une explication du concept de liberté globale qui saisisse correctement le phénomène sur lequel la valeur non spécifique de la liberté survient et qui maintienne les implications contre-intuitives à un niveau tolérable, nous devrions alors conclure que la valeur non spécifique de la liberté est une illusion. Nous devrions conclure, plus précisément, qu'il n'existe rien de tel qu'un phénomène sur lequel survient la valeur non spécifique de la liberté : il ne survient sur rien et l'affirmation d'une telle valeur est, par conséquent, erronée.

36La pars construens de Kramer consiste en une version de ce que j'ai appelé l'approche « hybride » : les degrés de la liberté globale doivent être compris comme une fonction en partie de l'étendue physique des actions éligibles et en partie de la valeur de ces actions éligibles [30]. Kramer soutient que nous devrions commencer avec la métrique physique que j'avance et ensuite multiplier la valeur assignée à chaque action (en termes d'étendue physique) par le degré auquel la liberté spécifique a de la valeur. La valeur du jugement en question, prétend Kramer, devrait dépendre de « la tendance de chaque liberté dépendante-du-contenu (i.e. spécifique) à engendrer des desiderata avec lesquels la liberté de toute personne possède des liens indépendants-du-contenu (i.e. non spécifique) [31] ». Par conséquent, si nous admettons que la liberté a une valeur non spécifique parce qu'elle contribue à l'autonomie (de manière instrumentale ou constitutive), nous devrions reconnaître, en plus, que chaque liberté spécifique varie avec le degré auquel elle contribue à l'autonomie (de manière instrumentale ou constitutive). Ces différences de degré dans la valeur spécifique nous fournissent le « multiplicateur évaluatif » de Kramer qui pondère chaque liberté spécifique en fonction de sa contribution au degré de la liberté globale de l'agent.

37La raison pour laquelle on suppose que les jugements de valeur pertinents (i.e. ceux employés pour effectuer les mesures de la liberté fondée sur la valeur) devraient être limités aux jugements sur les biens dont la liberté non spécifique est un moyen ou un facteur contributeur est censé faire une différence ne me paraît pas évidente. Que l'ensemble pertinent de jugements de valeur soit limité de cette manière ou non, de tels jugements demeureront des jugements sur la valeur spécifique de libertés données spécifiques, au lieu de jugements sur leur valeur non spécifique. Les mesures de la liberté globale sont éthiquement intéressantes parce que (à la lumière d'une fonction particulière cartographiant les degrés de liberté globale en degrés de valeur non spécifique de la liberté) elles nous indiquent le degré de valeur d'un ensemble de libertés en termes de valeur non spécifique. Les multiplicateurs évaluatifs de Kramer, d'un autre côté, nous indiquent le degré de valeur de cet ensemble de libertés en termes de valeur spécifique de la liberté (quoiqu'il s'agisse d'une valeur spécifique contribuant aux mêmes fins que celles auxquelles les libertés se trouvent à contribuer non-spécifiquement). Ces multiplicateurs évaluatifs par conséquent polluent la métrique avec des variables qui ne sont pas pertinentes pour jauger des degrés de la valeur non spécifique et qu'on peut prendre en compte séparément.

38Kramer a construit une conception de la liberté globale qui pourrait être bien meilleure pour accommoder les différentes intuitions linguistiques préthéoriques à propos des degrés de la liberté. Cependant, il n'est pas capable de montrer pourquoi ces intuitions linguistiques préthéoriques ont une importance éthique normative. En d'autres mots, l'enjeu de sa conception de la liberté globale n'est pas évident car, dans la mesure où sa métrique est fondée sur la valeur, elle nie l'idée que la liberté globale est un phénomène éthique intéressant. Une métrique qui saisit seulement la valeur de la liberté non spécifique (ou indépendante du contenu) sacrifiera sans aucun doute l'isomorphisme parfait avec nos comparaisons préthéoriques de sens commun. Au lieu de cela, la métrique proposée par Kramer semble gagner une meilleure correspondance avec les comparaisons de liberté préthéoriques, mais au prix de troubler la distinction, dans la théorie de la justice, entre la valeur de la liberté tout court et la valeur de la liberté de faire telle ou telle chose (où cette dernière valeur n'est pas obtenue par la mise en  uvre de certains degrés de liberté, mais par celle de certaines libertés spécifiques).

39Pour ma part, je continue de croire que l'attribution d'une valeur non spécifique au phénomène de la liberté a une importance éthique, et qu'une certaine forme de métrique neutre de la liberté doit par conséquent être à notre portée. Aucune métrique de la liberté neutre ne reflètera toutes nos comparaisons des degrés de liberté préthéoriques de sens commun, mais plusieurs de nos comparaisons de liberté préthéoriques de sens commun doivent être rejetées au niveau théorique ou bien parce qu'elles confondent la liberté avec des valeurs qui sont distinctes de la liberté, ou bien parce que, même si elles ne sont pas initialement confuses de cette façon, elles peuvent néanmoins être abandonnées en équilibre réflexif à la lumière d'un présupposé éthique qui impose au théoricien de soutenir la valeur non spécifique de la liberté. Dans ce dernier cas, les comparaisons de sens commun en question auraient besoin d'être réinterprétées, au niveau théorique, en tant que comparaisons de biens autres que la liberté.

40En résumé, l'insatisfaction envers la métrique neutre de la liberté pourrait reposer sur une tendance évitable à identifier la liberté à d'autres biens. Cette tendance inflationniste provient en grande partie des connotations évaluatives positives que le langage de tous les jours associe aux usages du mot « liberté ». Isaiah Berlin remarquait de manière mémorable « Chaque chose est ce qu'elle est : la liberté est la liberté, ce n'est ni l'égalité, ni l'équité, ni la justice, ni la culture, ni le bonheur, ni la bonne conscience [32]. » De la même manière, une métrique de la liberté neutre par rapport aux valeurs reflète l'idée que la liberté globale est la liberté globale, non le bien-être ou le progrès ou l'autonomie auxquels la liberté globale contribue, ni aucune combinaison de liberté globale avec ces autres valeurs.

41Traduction de l'anglais par Martin Provencher

Notes

  • [1]
    Je laisse de côté ici la question de la source de cette entrave ­ c'est-à-dire la question de savoir si, pour compter comme une contrainte sur la liberté de l'agent, cette entrave doit être causée par un autre agent ou si les entraves naturelles ou celles que l'on s'impose soi-même comptent également.
  • [2]
    Le plus important, dans mon livre, A Measure of Freedom, Oxford, Oxford University Press, 1999.
  • [3]
    Peter Morriss, « Power and Liberalism », in Stewart R. Clegg et Mark Haugaard (dir.), The SAGE Handbook of Power, Londres, Sage, 2009 ; James W. Nickel, « Freedom's Measure », Law and Philosophy, vol. 20, 2001, p. 531-40 ; Robert Sugden, « Opportunity as a Space for Individuality : Its Value and the Impossibility of Measuring It », Ethics, vol. 113, 2003, p. 783-809 ; Matthew H. Kramer, The Quality of Freedom, Oxford, Oxford University Press, 2003.
  • [4]
    Ronald Dworkin, Prendre les droits au sérieux, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 1995, chap. 12 ; John Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2006, chap. 8 ; Onora O'Neill, « The Most Extensive Liberty », Proceedings of the Aristotelician Society, vol. 80, 1980 ; Will Kymlicka, Les théories de la justice. Une introduction, Paris, La Découverte, 1999, chap. 4.
  • [5]
    J'utilise le terme « liberté spécifique », ici, en opposition à « liberté globale », et non en opposition à « liberté-type » (où la liberté-type est la liberté de faire un certain acte-type). Une liberté spécifique peut être comprise soit comme une liberté-type plus ou moins générale, soit comme un acte-type spécifié spatio-temporellement.
  • [6]
    Ian Carter, « The Independant Value of Freedom », Ethics, vol. 105, 1995, p. 819-845 ; « The Concept of Freedom in the Work of Amartya Sen : An Alternative Analysis Consistent with Freedom's Independant Value », Notizie di Politeia, p. 43-44, 1996, A Measure of Freedom, chap. 2.
  • [7]
    M. H. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., chap. 5.
  • [8]
    Une propriété (ou un ensemble de propriétés), A, survient sur une autre propriété (ou ensemble de propriétés), B, si tous les changements dans les termes de A sont accompagnés de changements correspondant dans B, mais non vice versa. On présuppose en général que les propriétés éthiques du monde surviennent sur celles qui ne sont pas éthiques. J'examine la relation de survenance entre la liberté et les autres valeurs dans « Three Kinds of Value-Neutrality in Political Philosophy » (article inédit).
  • [9]
    La relation de survenance entre la propriété scalaire de la liberté globale et les propriétés scalaires d'une valeur non spécifique n'a pas nécessairement besoin d'être une fonction monotone. La liberté globale pourrait avoir une valeur marginale non spécifique qui diminue et elle pourrait cesser de posséder cette valeur non spécifique au-dessus d'un certain niveau de saturation. L'idée que la fonction en question doit être monotone découle de la tendance erronée à penser la relation de survenance entre les degrés de liberté globale et les degrés de valeur non spécifique (de liberté) comme si elle était symétrique plutôt qu'asymétrique. Ce ne sont pas tous les changements dans le monde en termes de quantité de liberté globale qui impliquent des changements dans le monde en termes de quantité de valeur non spécifique (de liberté).
  • [10]
    Tom Hurka, « Why Value Autonomy ? », Social Theory and Practice, vol. 13, 1987, p. 361-382.
  • [11]
    Friedrich A. Von Hayek, La constitution de la liberté, trad. de l'angl. par Raoul Audouin et Jacques Garello, avec Guy Millière, Paris, Éditions Litec, 1994, p. 40.
  • [12]
    Ibid., p. 30 (traduction modifiée).
  • [13]
    Lawrence Crocker, Positive Liberty, Londres, Nijhoff, 1980, p. 115.
  • [14]
    P. Morriss, « Power and Liberalism », art. cité ; I. Carter, A Measure of Freedom (chap. 1 et 2), j'appelle cette thèse « la version normative de la thèse de la liberté non spécifique ».
  • [15]
    Martin Van Hees et Marcel Wissenberg, « Freedom and Opportunity », Political Studies, vol. 47, 1999, p. 67-82 ; Serena Olsaretti, « The Value of Freedom of Choice », Notizie di Politeia, vol. 56, 1999, p. 114-121 ; Martin Van Hees, Legal Reductionnism and Freedom, Dordrecht, Kluwer, 2000, chap. 8 ; M. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., chap. 5.
  • [16]
    Amartya Sen, « Freedom, Capabilities and Public Action : A Response », Notizie di Politeia, vol. 43-44, 1996, p. 107-125 ; J. W. Nickel, « Freedom's Measure », art. cité ; P. Morriss, « Power and Liberalism », art. cité. Je réponds brièvement à Sen dans A Measure of Freedom (p. 127-129) et plus longuement dans « Is Capability Approach Paternalist ? » (article inédit).
  • [17]
    P. Morriss, « Power and Liberalism », art. cité, p. 57.
  • [18]
    J. W. Nickel, « Freedom's Measure », art. cité, p. 534.
  • [19]
    Ibid., p. 538.
  • [20]
    Sur ce point, voir la citation de Robert Sudgen à la note 24, infra.
  • [21]
    Pour un argument relié sur l'importance du concept « agrégatif » de liberté (dans la mesure où ce dernier s'oppose à celui d'une simple liste de libertés) voir Michael Garnett, « Ignorance, Incompetence and the Concept of Liberty », Journal of Political Philosophy, vol. 15, 2007, p. 428-446, p. 430-432.
  • [22]
    A. Sen, « Welfare, Freedom and Social Choice : A Reply », Recherches Économiques de Louvain, vol. 56, 1990, p. 451-486, p. 470. Voir également, « Welfare, Preference, and Freedom », Journal of Econometrics, vol. 50, 1991, p. 15-29, p. 21-22.
  • [23]
    NdT : available action est traduit ici par « action éligible » afin de souligner la possibilité pour l'agent non seulement de choisir, mais aussi de faire réellement cette action. Je remercie Speranta Dumitru pour cette suggestion.
  • [24]
    Les arguments mentionnés plus haut sur l'infinie divisibilité, les contraintes sur la liberté et la probabilité sont développés aux chapitres 7 et 8 de A Measure of Freedom.
  • [25]
    Comme le dit Sudgen lui-même, toute métrique acceptable de l'opportunité doit être motivée par la valeur que nous accordons à l'opportunité, et la valeur que nous accordons à l'opportunité repose, comme le soutenait Mill, sur le fait qu'elle rend possible l'individualité, l'excentricité et l'originalité. Cette valeur ne peut pas être exprimée dans les termes de la valeur que nous attribuons actuellement à des options particulières. « Aucun individu qui valorise l'opportunité comme un moyen de promouvoir l'excentricité et l'originalité ne se satisfera d'une approche théorique qui traite les opportunités d'être vraiment original comme s'il ne s'agissait pas du tout d'opportunités. » Voir R. Sudgen, « Opportunity as a Space for Individuality », art. cité, p. 797.
  • [26]
    Ibid., p. 802.
  • [27]
    Ibid., p. 803.
  • [28]
    M. H. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., chap. 5. Je qualifie Kramer de critique « amical », parce qu'il soutient néanmoins la conception négative pure de la liberté qui dérive de Hillel Steiner (An Essay on Rights, Oxford, Blackwell, 1994) et que je défends dans A Measure of Freedom, et aussi parce qu'il accepte l'idée que les mesures de l'étendue physique des actions disponibles doivent jouer un rôle dans les mesures de la liberté globale.
  • [29]
    Dans A Measure of Freedom (p. 191-204), j'ai essayé de montrer que ma métrique tiendrait compte des degrés de variété des options. Dans The Quality of Freedom (p. 463-471), Kramer fournit un contre-argument qui repose sur une application de ma formule pour mesurer la liberté globale (A Measure of Freedom, p. 182). Même si le contre-argument de Kramer est valide, il ne semble pas exclure, selon moi, la possibilité de découvrir une façon alternative de tenir compte de la variété des options dans l'esprit que j'ai mentionné, mais celle d'adopter une formule révisée de mesure de la liberté.
  • [30]
    I. Carter, A Measure of Freedom, op. cit., partie 5.4.
  • [31]
    M. H. Kramer, The Quality of Freedom, op. cit., p. 433.
  • [32]
    Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, trad.de l'angl. par Jacqueline Carnaud et Jacqueline Lahana, Paris, Calmann-Lévy, 1988, p. 174.
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